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Discussion générale

  • Cécile Cukierman

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

    Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en inscrivant le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe à l’ordre du jour du Parlement, le Gouvernement ouvre la voie à une évolution majeure du droit pour toutes et tous et permet qu’un grand pas soit franchi en matière de lutte contre les discriminations.
     
    Oui, ce projet de loi est une chance de faire avancer l’égalité des droits des individus, dans le respect des principes républicains, mais aussi de la philosophie et des croyances de chacune et de chacun. Il s’agit bien pour nous, aujourd’hui, de garantir le respect des principes républicains : rien de plus, mais rien de moins.
     
    Je voudrais tout d’abord apporter quelques précisions qui nous éviterons, je l’espère, de tomber dans la violence qui a marqué les débats à l’Assemblée nationale. Cette violence me semble beaucoup plus liée au refus d’accepter que des couples homosexuels veuillent fonder légalement une famille qu’à une homophobie généralisée, même si l’homophobie est réelle chez certaines et chez certains : il faut le dire et le dénoncer. Je souhaite, comme nombre d’entre vous, que le débat porte sur le fond du projet de loi et qu’il se déroule sereinement, dans le respect des positions de chacun.
     
    Pour apaiser le débat, nous devons utiliser les bons termes. Ainsi, le projet de loi vise à autoriser non pas le mariage pour tous, mais le mariage civil des personnes de même sexe. Il ne s’agit donc pas de célébrer n’importe quelle union, comme certains détracteurs du projet de loi continuent de le prétendre !
     
    Premièrement, tout le monde n’est pas concerné par le dispositif du projet de loi. L’inceste est exclu, la prescription de minorité est respectée, de même que restent interdites les unions si souvent évoquées par certains opposants au projet de loi : la polygamie, pour parler clairement.
     
    Deuxièmement, le projet de loi ne concerne que le mariage civil ; faut-il encore le rappeler ? Il n’impose à personne des choix moraux qui ne seraient pas les siens. Ne pas imposer, mais protéger : c’est l’un des fondements de notre laïcité. Qu’est-ce donc que le mariage civil ? Plus précisément, quel est l’objet de cette institution laïcisée en 1792 ? La réponse à cette question importe car, en réalité, la manière dont on comprend et dont on interprète le projet de loi dépend en grande partie de l’idée que l’on se fait du mariage civil.
     
    Porteur de droits, mais aussi d’obligations, le mariage civil, pour le législateur, n’est rien de moins ni rien de plus que le statut juridique le plus protecteur que l’État puisse offrir à ce jour à deux personnes désireuses de s’unir et d’organiser leur vie commune. Nous devons mesurer que s’il attire ceux qu’il refoule, c’est probablement que, loin d’être seulement un symbole, il s’accompagne d’un certain nombre de droits auxquels ni le PACS ni le concubinage ne donnent actuellement accès.
     
    Mes chers collègues, nous pouvons nous étonner que, au moment où de nombreux couples hétérosexuels refusent le mariage, se tournant vers le PACS ou vers l’union libre, de nombreux couples homosexuels manifestent un tel désir de se marier. Longtemps stigmatisé comme ringard et réactionnaire, le mariage semble devenir, au XXIe siècle, une revendication de progrès pour ces couples.
     
    En fait, ce n’est certainement pas l’institution du mariage qui apparaît comme un progrès, mais la possibilité d’accéder au régime juridique qu’il offre. Sauf à recatholiciser le mariage, le législateur doit ouvrir ce statut protecteur aux couples de personnes de même sexe, afin qu’ils puissent se marier dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les couples hétérosexuels et, ce faisant, accéder à l’égalité des droits et des devoirs.
     
    Reste que, pour certains, le mariage demeure à l’évidence chargé d’une forte connotation religieuse. Plus largement, il est perçu comme une institution immuable, porteuse d’une certaine idée de la morale. Cependant, dans un État laïc, le rôle du législateur n’est pas de moraliser la société.

    M. Charles Revet. Ce n’est pas ce que nous disons.

    Mme Cécile Cukierman. Notre rôle est de nous saisir des attentes de la population pour légiférer dans le sens de l’intérêt général ; en l’occurrence, celui des adultes qui deviennent parents ou qui demandent à le devenir et celui des enfants nés et élevés dans des familles dont les parents sont homosexuels. Mes chers collègues, c’est le souci de cet intérêt qui devra guider notre vote.
     
    Ces enfants ont droit eux aussi à la protection qui découle de l’établissement de liens de filiation avec ceux qui s’occupent d’eux au quotidien, les entourent, les aiment, les élèvent et les éduquent pour leur permettre de devenir des citoyens. Ma collègue Isabelle Pasquier présentera de façon plus détaillée notre position sur ce sujet, en rappelant que, à cet égard aussi, nous devons veiller à protéger et à ne jamais exclure.
     
    Mes chers collègues, nous avons toutes et tous été interpellés, par le biais de courriers, de tracts et de manifestations, par ceux qui nous demandent de nous opposer à ce projet de loi. Nous l’avons été aussi par ceux qui souhaitent que nous l’adoptions, même s’ils ont été moins médiatisés.
     
    Nous avons dernièrement reçu un courrier signé de 170 juristes qui s’autoproclament défenseurs des libertés individuelles et établissent de façon inadmissible un lien entre le statut de criminel et celui d’homoparent. Je rappellerai à ces professeurs, tout émérites qu’ils soient, que le mot « criminel » a un sens juridique dont il ne convient pas d’abuser. Modestement, mais fermement, je leur rappellerai aussi que s’ils revêtent l’habit de défenseur des libertés individuelles, l’humble rôle du législateur est non seulement de garantir ces libertés, mais aussi de corriger les inégalités au lieu de creuser des différences : tel est justement l’objet de ce projet de loi. Oui, nous sommes là pour protéger toutes et tous !
     
    Je ne dénie pas aux auteurs de ce texte le droit de soutenir leurs raisonnements. Ils le peuvent légitimement, comme tout citoyen, et certains de nos collègues ne manqueront certainement pas de relayer leurs arguments.
     
    Pour ma part, je suis convaincue, comme sans doute une grande majorité d’entre vous, mes chers collègues, que ce débat a déjà trop tardé et que notre société a bien fait de s’emparer de l’injustice faite aux couples homosexuels, à la suite de plusieurs autres pays. En créant ce droit supplémentaire, notre pays ne peut que se grandir, comme ce fut le cas avec l’adoption d’autres mesures sociétales et politiques telles que le droit de vote des femmes, le droit à la contraception et le droit à l’interruption volontaire de grossesse.
     
    Si j’évoque ces droits, c’est parce qu’il est frappant de constater que les arguments avancés aujourd’hui par les opposants au mariage civil pour les couples homosexuels sont identiques à ceux qui furent opposés aux lois émancipatrices les ayant instaurés. En effet, rappelez-vous, la démocratisation de la contraception et le droit à l’IVG ont été combattus par certains au nom de la supériorité naturelle, des fonctions que la nature aurait assignées à chacun ; selon leurs détracteurs, ces nouveaux droit émancipateurs allaient détruire la famille. Souvenons-nous aussi du débat sur la dépénalisation de l’homosexualité ouvert par Robert Badinter. À l’occasion de tous ces débats, des médecins, des scientifiques, des juristes et autres experts ont défilé pour alerter les parlementaires sur les hypothétiques dérives que l’adoption de ces mesures allait provoquer. Tout en les écoutant, le législateur n’a jamais fléchi ; je pense qu’aujourd’hui l’histoire lui donne raison ! (Mme la rapporteur pour avis acquiesce.)
     
    Aujourd’hui, notre société souffre, mais ses maux, la vie pénible de nombreuses familles tiennent non pas à la pilule, à l’IVG ou à la dépénalisation de l’homosexualité, mais à la crise, à l’ultralibéralisme, au capitalisme tout-puissant qui, loin de protéger, divise, domine, appauvrit et exclut ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
     
    Le présent texte modernisera et démocratisera le mariage. À ce titre, il s’inscrit dans la lignée des grandes réformes du droit de la famille, comme l’assouplissement des règles du divorce,…

    M. Philippe Bas. Merci Giscard !

    Mme Cécile Cukierman. … la suppression de la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels ou l’attribution aux deux parents de l’autorité parentale. Il rejoint la marche inéluctable du progrès en accompagnant les évolutions sociétales tout en protégeant chacune et chacun, adultes et enfants.
     
    On ne peut nier que la société a bien évolué ces dernières décennies, tout comme la famille ; celle-ci est aujourd’hui « séparée », « recomposée », « monoparentale ». D’amour en désamour, chacun construit sa vie. La famille d’aujourd’hui s’inscrit dans un PACS, un mariage ou un concubinage. Ces évolutions de fait cassent le cadre trop restreint du couple hétérosexuel marié se jurant fidélité jusqu’à la fin. C’est un constat indéniable, quoi que l’on puisse en penser.
     
    D’ailleurs, il ne s’agit plus aujourd’hui de reconnaître l’existence de couples et de parents homosexuels, mais simplement de constater leur légitimité, qui suppose aussi l’ouverture du droit au mariage et à la parentalité.
     
    Ce débat interroge, passionne ; il est partout dans l’actualité ces derniers mois.

    Une sénatrice de l’UMP. Il n’y a pas que lui !

    Mme Cécile Cukierman. La passion que ce débat suscite reflète l’importance des valeurs que le projet de loi met en jeu, à savoir les valeurs républicaines fondamentales auxquelles la société française est attachée. Pour ses détracteurs, le texte s’attaquerait à ces valeurs ; il me semble au contraire qu’il les conforte, comme je vais maintenant le montrer en les évoquant l’une après l’autre.
     
    En ce qui concerne d’abord la liberté, le projet de loi renforce celle de se choisir, de vivre ensemble, de fonder une famille.
     
    Le texte conforte ensuite l’égalité, car c’est bien d’égalité qu’il s’agit, contrairement à ce que nous avons pu entendre : l’égalité de droits et l’égalité de choix entre les différentes formes d’union possibles.
     
    Si les plus hautes juridictions françaises et européennes n’ont pas jugé que l’impossibilité pour les couples de personnes de même sexe de se marier constitue une discrimination, elles ne ferment aucunement la porte à ce type de mariage.
     
    De fait, la décision ne peut venir que du législateur. Il nous appartient d’écrire le droit de demain, marquant forcément une évolution par rapport à celui d’hier. Nous ne pouvons que constater, comme la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité hier ou le Défenseur des droits aujourd’hui, que l’impossibilité pour les couples de personnes de même sexe de se marier produit des inégalités et des discriminations indirectes, dès lors que le pacte civil de solidarité ne garantit pas aux couples qui le contractent des droits équivalents à ceux dont bénéficient les personnes mariées.
     
    Pour lutter contre ces discriminations, nombre de nos collègues siégeant à droite de l’hémicycle proposent une alternative consistant à aligner le régime du PACS sur celui du mariage ou à créer une union civile. Comme l’explique dans son excellent rapport notre collègue Jean-Pierre Michel, dont je tiens à saluer le travail, le principe d’égalité de tous les citoyens face aux institutions commande que l’on ne crée pas un « mariage bis » pour une catégorie de citoyens. Je le répète : protégeons, incluons et ne discriminons pas.
     
    On a beaucoup parlé des manifestations contre ce projet de loi, mais il y en a eu aussi d’organisées pour le soutenir. Je me rappelle la pancarte tenue par un homme manifestant en faveur de l’adoption du texte ; il y était écrit : « l’égalité, ça ne se négocie pas ». J’ajouterai que l’égalité, ça s’applique !
     
    Mes chers collègues, le mariage n’est pas qu’un symbole, mais il en est aussi un : c’est pourquoi ce projet de loi s’inscrit dans une politique de reconnaissance sociale des personnes homosexuelles, dans une politique de lutte contre la discrimination.
     
    Si nous rejetons ce texte, comment expliquerons-nous, notamment aux jeunes générations, qu’il est important de lutter contre l’homophobie au même titre que contre le racisme ou le sexisme ? S’opposer farouchement au présent projet de loi, c’est vouloir perpétuer une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, établir en creux une hiérarchisation des individus et des familles.
     
    Enfin, ce projet de loi promeut la fraternité, par l’ouverture à l’autre qu’il implique. Pour moi, sur cette question de société comme sur bien d’autres, la normalité, c’est la diversité.

    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

    Mme Cécile Cukierman. Dès lors, c’est en acceptant cette diversité que nous pourrons vivre ensemble dans un monde tout simplement plus humain. Il me semble qu’il faut aller aujourd’hui au bout de la démarche et respecter tous les individus, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur identité de genre. Ainsi, chacun fera demain partie d’une société où ne se posera plus la question de la « normalité » d’une famille, d’un couple ou d’un individu.
     
    Le groupe communiste républicain et citoyen votera ce projet de loi. Ce faisant, il se prononcera en faveur d’une société plus juste, plus respectueuse, plus protectrice, défendant la fraternité dans la République. Il soutiendra jusqu’au bout les objectifs de liberté et d’égalité qui sous-tendent cette réforme. Mes chers collègues, je suis persuadée que la famille et notre société en sortiront renforcées ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
  • François Zocchetto

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.

    M. François Zocchetto. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous vivons un moment important ; je crois même pouvoir dire qu’il est historique. Chacun doit mesurer la responsabilité qui est la sienne alors qu’il est question de modifier l’organisation même de notre société à travers l’institution de la famille.
     
    Le Gouvernement a fait le choix de soumettre ce projet au Parlement plutôt qu’au peuple.

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est dommage !

    M. François Zocchetto. Mesdames les ministres, vous en aviez parfaitement le droit, mais ce choix ne vous interdisait pas d’accorder un minimum de considération et d’écoute aux millions de Français qui n’adhèrent pas à votre thèse ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
     
    Nous, sénateurs et sénatrices centristes, considérons qu’en aucun cas les conventions sociales ne sauraient primer sur la souffrance vécue par un grand nombre de nos concitoyens, qui ressentent un profond sentiment d’injustice.
     
    Une société humaine est un organisme vivant. Elle croît, évolue, change avec le temps ; c’est d’autant plus vrai dans nos sociétés occidentales. Notre droit civil n’a donc rien d’intangible, d’autant qu’il se veut extrêmement complet et invasif. Notre droit de la famille, comme de nombreuses autres branches du droit, doit pouvoir évoluer et s’adapter, en particulier aux évolutions sociales.
     
    Nous sommes donc ouverts au principe de la réforme. Nous avons jadis reçu l’héritage législatif de Simone Veil et, comme nous l’avons déjà démontré plus récemment, nous savons dépasser une attitude d’opposition caricaturale et soutenir des initiatives lorsqu’elles nous semblent aller dans le bon sens. Tel est notre état d’esprit.
     
    Venons-en maintenant à la question du mariage, qui semble être l’une des institutions les mieux partagées du monde. Quelle que soit la forme du lignage ou de la famille dans telle ou telle société, je ne connais pas de civilisation qui n’ait eu une institution de cette nature.
     
    Le mariage est l’union de deux personnes en vue de la fondation d’une famille : telle est la conception retenue dans le code civil. Un premier constat s’impose : au plan historique, les sociétés humaines restent fondées sur l’altérité du féminin et du masculin en tant que principe de la filiation. Un second constat s’impose également : si toutes les sociétés permettent le mariage, sous une forme ou une autre, la conception française du mariage civil, issue du code civil de 1804, est très spécifique.
     
    Le fait que le terme « mariage » se retrouve dans la plupart des systèmes juridiques étrangers n’implique pas que tous nos voisins en aient la même conception que nous. Aussi les comparaisons, souvent un peu rapides et superficielles, avec les évolutions législatives du mariage chez certains de nos voisins européens ne sauraient-elles suffire à justifier votre réforme, madame la garde des sceaux. Une telle démarche n’est pas pertinente. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
     
    Nous sommes par ailleurs attachés à la diversité de régimes existant déjà dans notre droit, pour le couple mais aussi pour la famille. Cette pluralité est synonyme de liberté, pour chacun, de choisir le cadre qui lui convient, d’opter pour un système encadré juridiquement ou beaucoup plus souple et ouvert. Ainsi, en 2013, trois régimes existent déjà : le concubinage ou union libre, le pacte civil de solidarité et le mariage. Nous sommes, ainsi que nos concitoyens, très attachés à cette diversité.
     
    Pour autant, ces différents cadres juridiques sont-ils suffisants et adaptés à l’évolution des couples et à la diversité des familles d’aujourd’hui ? Sans doute pas, nous en convenons. Nous entendons en particulier la demande des couples homosexuels, leur désir d’une reconnaissance sociale accrue.
     
    En effet, il y a aujourd’hui plus de solennité dans la signature d’un acte d’achat ou de vente d’un bien immobilier que dans la signature d’un PACS, ce qui, reconnaissons-le, n’est pas normal.

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vrai !

    M. François Zocchetto. Aussi notre groupe milite-t-il pour l’instauration d’une union civile ouverte à tous les couples. L’union civile que nous vous proposerons d’instituer au travers de nos amendements est non pas un contrat, mais un engagement entre deux personnes. Célébrée en mairie, elle conférerait les mêmes droits et les mêmes devoirs que le mariage, notamment en matière patrimoniale, mais – différence fondamentale avec le mariage – elle n’aurait pas d’effet sur la filiation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
     
    Pourquoi ce choix ? Justement pour préserver la conception actuelle du mariage civil, car, en droit français, même si certains semblent l’ignorer, on déduit du mariage la filiation, que ce soit à travers la présomption de paternité ou l’adoption.

    M. Alain Gournac. Voilà !

    Plusieurs sénateurs socialistes. Il faut évoluer !

    M. François Zocchetto. C’est une évidence juridique, mais je crains que, même parmi nous, certains n’en soient pas totalement empreints.
     
    C’est pour cette raison qu’une large majorité de notre groupe est opposée à votre projet de loi, madame la garde des sceaux. Nous avons tous pu le mesurer, c’est non pas la question de la conjugalité, mais celle de la filiation qui agite le débat public.

    M. Charles Revet. Bien sûr !

    M. François Zocchetto. On a souvent rétorqué à ceux qui souhaitent protéger la forme actuelle de la famille que celle-ci repose sur une inégalité excluant, de fait, les couples homosexuels. Les couples hétérosexuels bénéficieraient d’un droit que l’on refuserait aux autres par pur conformisme. Je pose la question, madame la garde des sceaux : y a-t-il un droit à l’enfant pour le couple hétérosexuel ? Je pense, comme la totalité des membres de mon groupe, qu’il n’y a jamais eu de droit à l’enfant pour un couple hétérosexuel. Un tel couple peut donner la vie, la loi est là pour organiser les choses, mais la filiation reste une éventualité pour les parents ; c’est une liberté que la vie elle-même offre, le législateur ne peut avoir cette prétention.

    M. Philippe Esnol. Quel rapport ?

    M. François Zocchetto. C’est le fond du sujet, mon cher collègue !
     
    Existe-t-il, pour autant, un droit à l’adoption dans notre législation actuelle ? Non : il y a un droit à la famille pour des enfants qui n’ont pas de famille, mais il n’y a pas de droit à l’adoption. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

    Mme Catherine Troendle. Bravo !

    M. François Zocchetto. C’est une erreur fondamentale de considérer l’adoption à l’aune des situations marginales qu’elle a pu engendrer : c’est méconnaître sa vocation originelle.
     
    Nous abordons ici le véritable enjeu de cette réforme. C’est aussi le moment où nous sommes confrontés à une vérité absolue, incontournable : pour procréer, pour donner naissance à un enfant, il faut un homme et une femme, quels que soient les moyens utilisés.

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui, c’est la nature !

    M. François Zocchetto. Nous pouvons changer la loi,…

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … mais pas la nature !

    M. François Zocchetto. … mais celle-ci ne peut dépasser la vérité que je viens de rappeler.

    M. Jackie Pierre. Bravo !

    M. François Zocchetto. Dans le même esprit, on ne saurait décréter le beau temps ou créer un droit opposable au bonheur : le législateur doit faire preuve de modestie et de prudence. « La loi n’est pas un acte de puissance », a-t-il été dit tout à l’heure.
     
    La préoccupation première, celle qui prime sur toutes les autres et qui aurait dû guider votre réforme, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous aurons l’occasion de souligner, au cours de l’examen des articles, que l’obligation juridique de respecter avant tout l’intérêt supérieur de l’enfant résulte notamment de nos engagements internationaux, lesquels, curieusement, ne sont jamais évoqués dans l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi.
     
    La démarche du Gouvernement, qui a choisi de découper sa réforme de la famille en plusieurs textes dont on ne connaît pas les contours, manque de clarté. Dès lors que, en droit français, le mariage renvoie à l’enfant à travers l’adoption et la filiation, il est impossible de ne pas aborder dans le même cadre les questions de la PMA et de la GPA (Applaudissements sur les travées de l’UMP.), surtout lorsque l’on justifie une telle réforme en invoquant la notion d’égalité : quid, en effet, de l’« égalité » entre couples homosexuels de femmes et couples homosexuels d’hommes ? Les seules issues possibles seront la PMA pour les couples de femmes et la GPA pour les couples d’hommes.

    Mme Catherine Troendle. Eh oui ! Tout à fait !

    M. François Zocchetto. Convenez que, sur ces points, les hésitations et les approximations ne manquent pas. D’ailleurs, quand on entend le Président de la République s’exprimer sur ce sujet, qui requiert beaucoup d’expertise et de discernement, on n’y comprend rien ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) Si vous vouliez prendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique, alors il fallait attendre ! Nous aurions ensuite pu légiférer globalement sur la famille.
     
    En conclusion, je dirai que nous ne savons pas où nous allons. Vous demandez au législateur de prendre un risque, contre l’avis d’une part importante de la population ; dans la mesure où il s’agit d’enfants que l’on n’entendra que lorsqu’il sera trop tard, j’estime que nous ne le pouvons pas ! (Bravo ! et applaudissements sur la plupart des travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
  • Jean-Michel Baylet

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.

    M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est avec une émotion particulière que je m’exprime au nom des sénateurs radicaux de gauche, au moment où notre assemblée entame l’examen de ce qui est bien plus qu’un simple projet de loi. Ce débat s’inscrit en effet dans la lignée de ceux, emblématiques, qui ont porté sur la loi Veil, l’abolition de la peine de mort, l(instauration du PACS… (Protestations sur les travées de l’UMP.)

    Mme Nathalie Goulet. Ah non !

    M. Alain Gournac. L’abolition de la peine de mort !...

    M. Jean-Michel Baylet. Parfaitement, mon cher collègue ! J’étais député, en 1981, et j’ai voté l’abolition de la peine de mort. Je me souviens encore de ce que vos amis politiques disaient à l’époque ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
     
    Beaucoup d’arguments, pas toujours de bonne foi, ont été échangés sur la question de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Je souhaite cependant que la discussion de ce projet de loi, ou plutôt la manière dont se dérouleront nos débats, permette un travail législatif de qualité, qui fasse honneur à notre assemblée, car il y va, mes chers collègues, de notre responsabilité collective, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.
     
    Je veux tout d’abord saluer le vaste travail accompli par le rapporteur, Jean-Pierre Michel, qui a su mener sa mission avec respect et assurance. Les auditions – une quarantaine au total – nous ont permis d’entendre les responsables d’associations d’élus, des représentants des cultes, des scientifiques, des philosophes, des juristes…
     
    De ces dizaines d’heures de travail préparatoire – bien sûr indispensables – à l’examen du texte, je ressortirai plus particulièrement ces mots de l’anthropologue Françoise Héritier, qui nous interroge sur ce qui constitue notre humanité :
     
    « Le propre de l’humain est de réfléchir à son sort et de mettre la main à son évolution. Il n’a aucune raison de refuser des transformations dans l’ordre social au seul motif que ses ancêtres ne vivaient pas ainsi il y a plusieurs millions d’années. (M. Vincent Eblé applaudit.) Il accepte bien les innovations technologiques, il les recherche même. Pourquoi repousser celles ayant trait à l’organisation de la société ? Le mariage, cadre à forte charge symbolique, est devenu pensable et émotionnellement concevable comme ouvert à tous, ce qui correspond aux exigences comme aux possibilités du monde contemporain, donc de notre caractère d’être humain. »
     
    Pour en revenir à des considérations plus politiques, je m’attarderai sur l’opportunité de discuter aujourd’hui d’une telle réforme. Certains commentateurs de la vie politique ou opposants au texte posent la question suivante : « Pourquoi discuter d’un tel texte de loi, alors que notre pays traverse la plus grave crise de ces dernières décennies ? » (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

    M. Jean-Claude Gaudin. C’est vrai !

    M. Jean-Michel Baylet. Cela revient donc à affirmer que des avancées ne sauraient intervenir qu’en période de prospérité. En 1974-1975, était-il futile de légiférer sur l’interruption volontaire de grossesse alors que notre pays subissait les conséquences du premier choc pétrolier ? Bien sûr que non ! Je pense pour ma part qu’il n’y a jamais de mauvais moment pour faire avancer l’égalité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
     
    À ceux qui opposent le social au sociétal, je rappellerai les textes discutés dans cet hémicycle depuis l’été dernier, portant création des emplois d’avenir, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, des contrats de génération… Aujourd’hui même, les députés débattent de la transcription législative de l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi, texte déterminant en matière de compétitivité de nos entreprises et de sécurité pour les salariés.
     
    J’ajoute que les réformes sociétales, comme les réformes sociales, ont toute leur place dans les projets du quinquennat : cela avait été dit et promis.
     
    Si nous sommes saisis aujourd’hui d’un texte ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, c’est que nous sommes à la conjonction de deux mouvements : le premier tend à considérer le mariage à la fois comme un contrat et comme une institution en perpétuelle évolution ; le second vise à l’inclusion des personnes homosexuelles au sein de la société.
     
    Madame la garde des sceaux, vous avez brossé, alors que vous présentiez ce texte devant l’Assemblée nationale avec l’ardeur et le lyrisme que nous vous connaissons, un panorama des évolutions du mariage au fil de celles qu’a connues la société. Je me bornerai donc à rappeler quelques étapes.
     
    Tout d’abord, l’article 7 de la Constitution du 3 septembre 1791 opère une sécularisation du mariage, qui, aux yeux de l’État, est non plus un sacrement, mais un contrat civil. Tout le monde doit l’entendre, y compris dans la rue !
     
    Le mariage tel qu’il est aujourd’hui procède d’un cheminement dont un certain nombre de lois constituent autant d’étapes décisives.
     
    Ainsi, la loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale a institué une pleine égalité entre les conjoints et substitué l’autorité parentale à l’autorité paternelle.

    M. Philippe Bas. Pompidou !

    M. Jean-Michel Baylet. Oui, je vous l’accorde, à une certaine époque, la droite était un peu plus progressiste qu’elle ne l’est aujourd’hui ! (Sourires sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
     
    La loi de juillet 1975 a modernisé le droit du divorce.
     
    De même, s’agissant de la filiation, il y a un avant et un après la loi du 3 janvier 1972, texte qui posa le principe de l’égalité entre enfants légitimes et enfants naturels.
     
    Plus récemment encore, s’agissant de la transmission des patronymes, la loi du 18 juin 2003 a disposé qu’un enfant peut porter soit le nom de sa mère, soit le nom de son père, soit les deux.

    M. Philippe Bas. Merci Chirac !

    M. Jean-Michel Baylet. Je ferai le même commentaire que précédemment, monsieur Bas ! Ressaisissez-vous, chers collègues de l’opposition, voyez quel mauvais coton vous filez ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
     
    Ces évolutions du mariage apportent la démonstration que celui-ci est bien une institution vivante. Parallèlement, qu’on le veuille ou non, se sont développées des formes alternatives de familles. En effet, gardons à l’esprit qu’aujourd’hui plus de la moitié des enfants naissant en France sont issus de couples non mariés. Familles divorcées, familles recomposées, familles hors mariage, familles monoparentales et familles homoparentales sont donc une réalité que nul ne peut sérieusement contester.
     
    Mes chers collègues, ayons le courage de regarder notre société en face. Ne faisons pas comme ceux qui s’ébrouent entre Neuilly et l’avenue de la Grande-Armée ; la proximité de l’hippodrome de Longchamp n’oblige pas au port d’œillères ! (M. le rapporteur applaudit.)

    M. Alain Gournac. Arrêtez ! C’est cela, votre grand débat ?

    M. Jean-Michel Baylet. Le second mouvement que j’évoquais est plutôt un combat pour l’acceptation par la société d’une sexualité sortant du schéma traditionnel homme-femme.
     
    Arrêtons-nous un instant sur l’histoire de l’homosexualité. Longtemps criminalisée, car jugée subversive et contre nature, elle fut, pendant de longs siècles, durement et cruellement réprimée. Elle fut ensuite perçue comme une « atteinte aux bonne mœurs » et même considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé, qui la classa comme telle, et par le droit français, jusqu’au début des années quatre-vingt-dix.
     
    Je veux évoquer le rôle prépondérant joué, dans cette longue marche vers l’égalité, par Henri Caillavet, ancien sénateur radical récemment disparu, qui déposa ici même, dès 1978, une proposition de loi visant à abroger les discriminations légales dont les homosexuels faisaient l’objet. Parlementaire exigeant, homme de tolérance, guidé par son grand humanisme et son indépendance d’esprit, il fut le premier à oser brandir l’étendard de l’égalité quelle que soit l’orientation sexuelle. Nous, radicaux de gauche, sommes ses héritiers et continuons aujourd’hui son combat.
     
    Mes chers collègues, en 1999, un pas décisif fut franchi avec l’instauration du pacte civil de solidarité.
     
    Je me souviens – c’est l’apanage des parlementaires disposant d’une certaine expérience – des débats qui ont entouré sa création. J’y vois même des analogies avec les discussions sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Je me remémore les prises de parole outrancières, les arguments alarmistes, les esclandres et chausse-trappes parlementaires. Bref, le présent débat a comme un air de déjà-vu.
     
    Or qui, aujourd’hui, remet en cause le PACS ? Entre 2002 et 2012, soit en dix ans, personne, dans la majorité d’alors, pas même ceux qui s’étaient montrés les plus virulents contre l’institution du PACS, n’a souhaité revenir sur cet acquis.
     
    Depuis l’instauration du PACS et le renforcement de certaines dispositions, des procédures ont été lancées, notamment auprès du Conseil constitutionnel, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais également auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, afin d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. Les décisions de ces deux juridictions n’ont, au final, pas surpris ; elles ont permis d’alimenter le débat et ont renforcé l’idée qu’une telle réforme doit découler d’un choix politique.
     
    C’est la raison pour laquelle, au nom des radicaux de gauche, j’ai porté cette proposition lors de la campagne des primaires citoyennes ; aujourd’hui, madame la garde des sceaux, j’apporte naturellement mon soutien sans réserve à votre texte.
     
    Au-delà du symbole, si fort soit-il, il nous revient, en notre qualité de législateur, de prévoir les implications concrètes de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Cela nous impose de veiller à la qualité du texte sur le plan du droit, et nous serons donc tout particulièrement vigilants au cours de l’examen des articles. On l’a répété, il s’agit non pas de modifier les règles en vigueur pour les couples hétérosexuels, mais d’appliquer et d’adapter ces règles aux couples de personnes de même sexe. D’aucuns auraient préféré que l’on reconnaisse cette égalité, mais sans que l’on puisse appeler « mariage » l’union de deux personnes de même sexe. Je crois, pour ma part, que la force de votre projet de loi, madame la garde des sceaux, tient précisément au fait qu’il retient cette appellation.
     
    Par ailleurs, la question de la filiation est également au cœur de cette réforme. Françoise Héritier, encore elle, éclaire notre débat en différenciant la parentalité, l’engendrement-enfantement et la filiation : selon elle, « la filiation est la règle sociale qui détermine l’affiliation d’un enfant à un groupe, en lui conférant droits et devoirs. Elle se différencie de la vérité biologique […]. On peut être investi dans la parentalité et transmettre la filiation sans être géniteur : c’est l’adoption légale. »

    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Eh oui !

    M. Jean-Michel Baylet. D’ailleurs, s’agissant de l’adoption, cette réforme permettra de sortir de l’hypocrisie. En effet, aujourd’hui, et depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1966, des personnes célibataires peuvent obtenir un agrément pour l’adoption, alors que les couples homosexuels ne le peuvent pas. L’absurdité de la situation contraint certains homosexuels à entamer des démarches en tant que célibataires. Les conseils généraux, qui délivrent les agréments, rencontrent de tels cas quotidiennement. En tant que président du conseil général de Tarn-et-Garonne, j’ai eu dès 2011 à traiter de dossiers d’adoption relevant de l’homoparentalité : je suis fier d’avoir accordé l’agrément aux couples concernés ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.) Cette décision ne fut pas politique, elle fut prise après avis favorable de la commission compétente.
     
    Mes chers collègues, poser la question de la filiation, c’est également interroger les consciences sur certaines avancées scientifiques, notamment l’assistance médicalisée à la procréation et la gestation pour autrui.
     
    Notre assemblée s’est saisie de ces évolutions. À cet égard, je veux citer le rapport d’information intitulé « Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui », publié dès 2008 par trois de nos collègues. Tout en faisant remonter ces pratiques à l’Ancien Testament, en mentionnant notamment l’épisode de la conception et de la naissance d’Ismaël, fils d’Abraham, ce rapport présentait plusieurs préconisations intéressantes.
     
    Ces thématiques ne concernent pas exclusivement les futurs couples homosexuels, puisque la PMA existe déjà pour les couples ayant des problèmes de fertilité à travers la fécondation in vitro et l’insémination artificielle.
     
    Bien sûr, les questions soulevées se posent en termes de bioéthique et ne sauraient être introduites par la voie d’un simple amendement. Si mes amis radicaux et moi-même restons opposés à la GPA, nous proposerons néanmoins, dans l’intérêt supérieur des enfants concernés et afin de remédier à l’insécurité juridique dont ils pâtissent actuellement, d’améliorer le présent texte en vue de permettre la transcription à l’état civil français des actes de naissance des enfants nés à l’étranger à la suite d’une gestation pour autrui.
     
    Regardons ce qui se passe hors de nos frontières : la voie nous est tracée, non seulement en Europe, mais également dans des pays réputés plutôt conservateurs, subissant plus que la France l’influence de l’Église (Exclamations sur les travées de l’UMP.) : l’Argentine, le Chili, l’Uruguay… Dans ce dernier pays, certains sénateurs de l’opposition ont joint leurs voix à celles de leurs collègues de la majorité pour créer le mariage pour tous. Chers collègues qui siégez sur les travées de droite de notre hémicycle, je vous invite à suivre ce bel exemple !
     
    Nos sociétés évoluent. J’entends dire que le droit n’a pas à courir derrière les évolutions sociétales. Je réponds ceci : peut-il les ignorer ? Notre droit peut-il demeurer hermétique à la société à laquelle il s’applique ? Nous ne le pensons pas.
     
    Madame la garde des sceaux, vous avez déclaré, lors de votre audition par la commission des lois, que « le projet de loi est marqué du sceau de l’égalité ». Je ne peux qu’abonder dans votre sens, et j’irai même plus loin : il est marqué aussi du sceau de la liberté. En effet, une fois ce projet de loi adopté, chacun, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, aura la liberté de s’unir ou de ne pas s’unir par le mariage avec la personne qui partage sa vie, de vivre avec elle en concubinage ou de contracter un PACS. Il s’agit d’une loi de fraternité et d’humanisme en ce qu’elle reconnaît indistinctement couples hétérosexuels et couples homosexuels et qu’elle considère avec la même bienveillance toutes les formes de familles.
     
    Notre pays est prêt, j’ai confiance en nos compatriotes, et c’est fort de cette confiance que les sénateurs radicaux apportent tout leur soutien à ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
  • Esther Benbassa

    6 avril 2013
    Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comment comprendre la revendication, de la part des couples gays et lesbiens, de pouvoir accéder à une union dite « normale », c’est-à-dire « ordinaire », ne distinguant en rien ces couples-là, en termes de devoirs comme en termes de droits, de M. et Mme Tout-le-monde.
     
    Force est de constater, aujourd’hui, la baisse du nombre de mariages civils et religieux célébrés dans la société globale et l’augmentation du nombre des naissances hors mariage.
     
    Alors pourquoi, se demanderont d’aucuns, celles et ceux qui ne font rien « comme tout le monde » exigeraient-ils donc de pouvoir accéder au mariage, institution traditionnelle et quelque peu empoussiérée ? (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)

    MM. Jean-Claude Gaudin et Charles Revet. Oui, pourquoi ?

    Mme Esther Benbassa. La perception de l’homosexuel a certes varié dans l’histoire, mais celle qui éclot à l’âge classique est indissociable de la morale bourgeoise. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

    M. Éric Doligé. Heureusement que les bourgeois paient leurs impôts !

    Mme Esther Benbassa. Elle se traduit par une volonté d’exclusion morale et sociale des homosexuels, dont les répercussions, même atténuées, pèsent encore sur nos mentalités.
     
    Comme Didier Eribon le souligne dans ses Réflexions sur la question gay, la morale bourgeoise n’est pas seulement une morale du travail ; c’est aussi une morale de la famille, qui dit désormais ce que doit être la société et qui y appartient ou non de plein droit.
     
    Michel Foucault déjà, dans son Histoire de la folie à l’âge classique, insistait sur la prégnance d’« un certain ordre dans la structure familiale », valant « à la fois comme règle sociale et comme norme de la raison […]. La famille, avec ses exigences, devient un des critères essentiels de la raison […]. Elle exclut comme étant de l’ordre de la déraison tout ce qui n’est pas conforme à son ordre ou à son intérêt. » L’âge classique procède ainsi, précise Michel Foucault, à la « confiscation de l’éthique sexuelle par la morale de la famille ».
     
    En sommes-nous donc toujours là ? Le moyen d’en sortir, après tant de siècles d’exclusion morale et sociale, ne passe-t-il pas, paradoxalement, par l’expression et la satisfaction de ce désir de mariage, de ce curieux désir de normalité bourgeoise, de la part des gays et des lesbiennes ?

    M. Éric Doligé. Ce sont les bourgeois qui paient les impôts !

    M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !

    Mme Esther Benbassa. Gays et lesbiennes entendent affirmer par là leur légitimité à se situer du côté de l’inclusion et de la « raison », mettre fin à ces siècles de discrimination qui en ont fait des malades et des fous. Ils et elles sont des êtres, des citoyens et des citoyennes comme les autres. La revendication du « mariage pour tous » fait partie d’une demande légitime de normalisation, de banalisation de leur condition.
     
    Quels qu’aient pu être leurs slogans officiels ou officieux, les récentes manifestations anti-mariage pour tous ont appuyé l’idée inverse et séculaire selon laquelle ces gens-là ne sont pas comme les autres et n’ont donc pas droit à ce que tout citoyen ou résident en France obtient sans problème aucun. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

    M. François-Noël Buffet. On n’a jamais dit ça !

    M. David Assouline. Vous l’avez pensé très fort !

    Mme Esther Benbassa. Elles ont remis à l’ordre du jour la fameuse « morale bourgeoise », pourtant bien craquelée depuis un bon demi-siècle.
     
    Elles expriment une revanche, enfin, sur les artisans de mai 68, qui, soyons modestes, n’ont réussi qu’à bousculer un peu l’ancien modèle de la famille, même s’ils auraient bien voulu l’abattre.
     
    Ces manifestations marquent surtout un retour du refoulé. L’ordre familial revient au galop et a trouvé ses cibles : anciens exclus et amis de la déraison. Et ce au nom du supposé intérêt supérieur de l’enfant !
     
    Protéger les enfants, tout le monde est pour. Les opposants au mariage pour tous tentent donc d’en faire la justification imparable de leur refus. Le besoin, chez l’enfant, d’un père et d’une mère,…

    M. Gérard Longuet. C’est normal !

    Mme Catherine Troendle. Voilà !

    Mme Esther Benbassa. … contre le désir d’enfant des homosexuels : pure idéologie ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Les manifestants expriment une peur, celle de l’effondrement d’une famille traditionnelle déjà bien ébranlée et de la multiplication, pour un même enfant, du nombre de référents parentaux. Fini, hélas, le modèle « papa-maman et leur enfant » ! (Exclamations indignées sur les travées de l’UMP.) Fini depuis longtemps en fait, sans que les gays et les lesbiennes soient des pionniers en la matière : les familles recomposées ne les ont pas attendus pour se recomposer !
     
    Aucune étude ne démontre que les enfants de familles monoparentales ou homoparentales, que les enfants adoptés, ou nés par PMA ou de mères porteuses, vivent nécessairement dans le malheur. Ils ne vont ni mieux ni moins bien que les autres, élevés dans des familles dites « normales ».

    M. Jean-Vincent Placé. Exactement !

    Mme Esther Benbassa. L’avocate Caroline Mécary, que je le salue, a consacré une grande partie de sa carrière à défendre des familles homoparentales. Elle écrit que, si c’était l’inverse qui était vrai, il faudrait immédiatement contraindre les dix pays européens qui ont d’ores et déjà ouvert l’adoption à tous les couples de modifier leur législation, l’intérêt des enfants ne pouvant être à géométrie variable.
     
    Ces situations existent. Ce sont à ces enfants-là que notre droit est tenu d’apporter une réponse. Les enfants nés par PMA ou par GPA, techniques déjà pratiquées, les enfants de parents homos, ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.) Doit-on les exclure, comme on tente d’exclure leurs parents ? (Mêmes mouvements.)

    M. Gérard Longuet. Vous êtes à côté de la plaque !

    Mme Esther Benbassa. Pour aller encore plus loin, peut-on affirmer sans ambages que l’intérêt « supérieur » de l’enfant est vraiment au centre de notre construction juridique, qui donne la priorité à la liberté d’engendrer de chacun, quels que soient ses qualités et ses défauts, réels ou supposés ? (M. le rapporteur applaudit.)
     
    Les pauvres et les riches, les alcooliques et les sobres, les analphabètes et les cultivés, les malades et les bien portants, les brutes et les doux, tous partagent le même droit de créer une famille. Et c’est fort bien ainsi ! Le temps où la société s’arrogeait le droit de stériliser les alcooliques et les handicapés comme dans les années 1930 en Suède, au nom de l’intérêt de l’enfant, est heureusement révolu. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

    M. Gérard Longuet. Vous y reviendrez avec l’eugénisme !

    Mme Esther Benbassa. Il n’y a que les gays et les lesbiennes à qui, aujourd’hui, on ose ouvertement dénier le droit de fonder une famille au nom de l’intérêt dit « supérieur » de l’enfant. Pourquoi ? Parce qu’ils seraient différents ? Mais différents en quoi et différents de qui exactement ?

    M. Gérard Longuet. Du calme !

    Mme Esther Benbassa. Cette « différence » est-elle autre chose, au fond, que le préjugé qui les frappe ? Est-il admissible de continuer à faire de ce préjugé une règle sociale et juridique ? Si ce n’est pas de la discrimination, alors, qu’est-ce donc ?

    M. Jean-Claude Gaudin. Oh !

    Mme Esther Benbassa. L’internement des gays pour déraison fut hier l’un des outils de la sauvegarde de l’ordre moral au centre duquel se trouvait la famille. La psychiatrie a longtemps joué ce jeu. Aujourd’hui, certains psychanalystes instrumentalisent leur science pour apporter un renfort aux tenants de l’anti-mariage pour tous et défendent le modèle traditionnel de la famille dans une sorte de conservatisme dont on ne sait ce qu’il doit vraiment à la psychanalyse.
     
    Au XIXe siècle, l’homosexualité était tenue pour une pathologie mentale ou pour une perversion du désir ou de l’instinct. Rien, pourtant, dans l’expérience freudienne, ne peut valider « une anthropologie qui s’autoriserait du premier chapitre de la Genèse », comme le rappelle Jacques-Alain Miller.
     
    Calmons-nous quelques secondes (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) et remémorons-nous la Genèse : « Croissez et multipliez » ; « Voilà pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère : il s’unit à sa femme, et ils deviennent une seule chair ».

    M. Michel Mercier. Eh oui !

    Mme Esther Benbassa. Pour les psychanalystes qui se réclament en fait de l’Adam et de l’Ève de la Genèse comme d’un modèle indépassable, il s’agit évidemment plus de croyance religieuse que de psychanalyse.
     
    On ne surestimera jamais trop, dans une France à la laïcité pourtant si chatouilleuse, le poids écrasant de l’impensé catholique dominant (Murmures sur les travées de l’UMP.), y compris lorsque l’on évoque le mariage, même si, en l’occurrence, il s’agit du mariage civil. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
     
    La sacralisation catholique du mariage continue de nous coller à la peau. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

    Mme Christiane Hummel. Inacceptable !

    Mme Esther Benbassa. Chez nous, il n’y a pas eu de révolution luthérienne. Ailleurs, cette révolution a émancipé le mariage de la tutelle de l’Église, l’a désacralisé, a accéléré un bouleversement des représentations, des symboles et des pratiques héritées de la longue tradition catholique.
     
    Avec Luther, le mariage devient – déjà ! – un « mariage pour tous », pour les laïcs et les prêtres, pour les chrétiens et les païens. Cela explique peut-être la facilité avec laquelle le mariage entre personnes de même sexe a été instauré dans certains pays à majorité non catholique. Récemment encore, en Grande-Bretagne, la Chambre des communes adoptait, en une journée, le mariage pour tous, et ce à une écrasante majorité. Et dans la presse de ce 5 février 2013, le sujet ne faisait la une que d’un seul journal : The Daily Telegraph !
     
    La France, premier pays à décriminaliser l’homosexualité, dès 1791, se classe depuis plusieurs années parmi les nations les plus conservatrices en matière de droits LGBT. Quel paradoxe ! La PMA, on n’ose plus en parler. Même la récente circulaire de Mme la garde des sceaux, que je salue, engageant les magistrats à faire droit aux demandes de délivrance de certificats de nationalité française au profit d’enfants nés à l’étranger de Français ayant eu recours à une GPA a provoqué la polémique.
     
    L’intérêt « supérieur » des enfants, en cette occurrence, semblait de peu de poids. Ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? Parce qu’ils ont été conçus hors des modèles admis, seraient-ils donc marqués du sceau d’une sorte de « péché originel » ? Et pour cela, il faudrait les punir ?

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils ne connaîtront pas leurs origines !

    Mme Esther Benbassa. Les opposants au mariage gay et lesbien le dénoncent comme un facteur de décadence. Des pays « avancés » comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne reconnaissaient la PMA et la GPA avant même de légaliser le mariage. Sont-ils pour autant des pays décadents ? Mais la raison n’a plus droit de cité dans des débats qui se fondent sur des présupposés idéologiques et une bonne dose d’hypocrisie.
     
    Rappelons-nous le bruit et la fureur ayant accompagné l’instauration du PACS, devenu depuis une forme de conjugalité hétérosexuelle très ordinaire ! Le mariage et la parentalité gays et lesbiens se banaliseront aussi, inéluctablement. Et je ne doute pas que des voix humanistes s’élèveront, dès aujourd’hui, également au centre et à droite, pour défendre un projet généreux, modernisateur, portant un coup décisif aux discriminations à raison de l’orientation sexuelle !
     
    Nous, écologistes, croyons à ce progrès. Le mariage homosexuel a très tôt figuré dans notre projet de société. On se souvient du mariage de Bègles, en 2004, célébré par le député-maire de la ville, Noël Mamère. (M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.) Venez à la tribune à ma place, monsieur Gaudin ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)

    M. Jean-Claude Gaudin. Je ne dirai pas les mêmes choses que vous !

    Mme Esther Benbassa. Tant mieux ! Mais au moins dans la vieille France, cher monsieur, on respectait les femmes. Ce n’est même plus le cas ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
     
    Nous voterons bien entendu le projet de loi, même si nous regrettons que l’exécutif ne soit pas allé plus loin, qu’il n’ait pas toujours fait preuve de la même détermination que Mme la garde des sceaux et Mme la ministre chargée de la famille.

    M. Jean-Vincent Placé. Voilà !

    Mme Esther Benbassa. Dès le mois d’août dernier, j’ai déposé, au nom de mon groupe, une proposition de loi audacieuse, incluant notamment la PMA pour les couples de lesbiennes et la transcription sur les registres d’état civil des actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger. Nos amendements nous permettront de rouvrir le débat et de demander solennellement au Gouvernement de s’engager sur le texte à venir sur la famille.

    M. Gérard Longuet. Quelle famille ?

    Mme Esther Benbassa. La qualité d’une démocratie se mesure à l’aune de son engagement pour l’égalité. Chaque acquis est à arracher avec les ongles. Le mariage et l’adoption pour tous, voilà une bataille que nous pouvons gagner !

    M. Bruno Sido. Elle sera perdue pour les enfants !

    Mme Esther Benbassa. D’autres suivront demain, tout aussi cruciales, car l’égalité est un combat, et un combat sans fin ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
  • Philippe Darniche

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.

    M. Philippe Darniche. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le voici arrivé entre nos mains ce texte tant désiré par les uns et tant décrié par les autres. C’est un texte majeur, fondamental, en ce sens qu’il touche à l’essence même d’une nation : la famille.

    M. Jean Bizet. C’est vrai !

    M. Philippe Darniche. C’est un texte qui, pour certains, devait augurer le printemps de l’égalité, la renaissance de la démocratie, car tous vivraient enfin heureux sous un même soleil, dans une société plus juste.
     
    Seulement, le rêve a viré au cauchemar. Contre toute attente, une opposition digne des grandes heures de notre histoire s’est soulevée.

    Mme Christiane Hummel. Bravo !

    M. Philippe Darniche. Les Français que l’on pensait beaucoup trop occupés par la crise n’en ont pas pour autant oublié les valeurs fondamentales qui régissent la vie depuis des siècles.

    M. Charles Revet. Eh oui !

    M. Philippe Darniche. Il va toujours plus croissant le nombre de ceux qui commencent à comprendre les enjeux de ce texte. En cinq mois, à trois reprises, des centaines de milliers de personnes ont voulu exprimer leur désaccord, et jamais gouvernement n’a autant méprisé le peuple. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

    Mme Christiane Hummel. Eh oui !

    M. Philippe Darniche. À ces foules immenses venues des quatre coins du pays, le Président de la République et son gouvernement opposent un autisme qui fait honte à notre prétendue démocratie.

    M. Éric Doligé. Exact !

    M. Philippe Darniche. Mes chers collègues de la majorité, il est temps d’écouter l’autre majorité, cette majorité silencieuse, qui, cette fois, ne veut pas que l’on décide pour elle. La coupe est pleine ! (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.)

    Mme Christiane Hummel. Bravo !

    M. Philippe Darniche. À la politique de l’autruche du Gouvernement, nous opposons un langage de vérité pour expliquer que la loi n’a pas à être la transcription d’intérêts particuliers.
     
    Quelques-uns de nos collègues de gauche, toujours très lyriques dans leurs discours pour refuser les tentations de replis communautaristes qui menacent la République, ne pourraient-ils pas convenir que le projet de loi semble être imposé par une minorité ?

    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Bravo !

    M. Philippe Darniche. « Les mentalités ont évolué, la loi doit évoluer aussi », nous répond-on. C’est donc notre devoir de refuser cette logique destructrice. L’adoption du projet de loi serait un grave recul anthropologique.

    Plusieurs sénateurs de l’UMP. Absolument !

    M. Philippe Darniche. Ici, il n’est pas question d’amour. Le mariage a pour rôle non pas d’officialiser une vie de couple mais d’instituer une famille. Si certains couples homme-femme ne procréent pas, c’est pour des raisons subjectives : infertilité, âge ou volonté de ne pas avoir d’enfants. Ces cas particuliers ne remettent pas en cause la dimension objectivement familiale du mariage.
     
    Le mariage est, de tout temps et en tout lieu, l’acte – juridique, public, civil et/ou religieux – ou l’union par lequel un homme et une femme se placent dans une situation juridique durable afin d’organiser leur vie commune et de préparer la création d’une famille. Le mot français « matrimonial » garde la trace du mariage latin, matrimonium, qui a pour but de rendre une femme mère, mater. Le mariage est plus qu’un contrat, c’est une institution.
     
    L’amour et le mariage sont différents. L’amour est l’expression d’un sentiment à l’égard d’une autre personne. Le mariage est avant tout un cadre légal permettant l’union entre deux personnes et non la reconnaissance sociale d’un sentiment amoureux.
     
    Le mariage n’est pas la même chose que l’union de deux personnes de même sexe. Distinguer n’est pas discriminer, c’est respecter ; différencier pour discerner consiste à évaluer correctement, pas à discriminer.
     
    Le droit ne peut pas prendre en considération l’orientation sexuelle des personnes, donnée subjective qui relève de leur vie privée. Il ne peut considérer que l’identité sexuelle, donnée objective, à savoir le fait d’être un homme ou une femme.
     
    L’égalité signifie seulement traiter de la même manière ceux qui sont dans des situations équivalentes.

    Plusieurs sénateurs de l’UMP. Très bien !

    M. Philippe Darniche. Or les couples de même sexe, que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, ne sont en conséquence pas concernés par l’institution du mariage. En cela, leur traitement juridique est différent, parce que leur situation n’est pas analogue.
     
    Pour autant, j’étais disposé à travailler, comme nombre de nos collègues, sur ce traitement juridique sans toucher au mariage et à ses conséquences.

    M. Charles Revet. Très bien !

    M. Philippe Darniche. Modifier le cadre du mariage en l’ouvrant aux personnes de même sexe perturbe notre système bien au-delà de ce qu’on voudrait nous faire croire, et une part importante des spécialistes que nous avons entendus en commission, lors des auditions, est venue nous le rappeler.
     
    La loi va créer une nouvelle catégorie d’enfants : les enfants privés d’un père ou d’une mère. Nous ne l’acceptons pas ! L’égalité serait-elle un concept à géométrie variable ? Avant d’être un rôle, être parents est un statut, car seuls des parents hommes et femmes peuvent indiquer à l’enfant une origine, qu’elle soit fondée sur la vérité biologique de la procréation ou sur la vérité symbolique de l’adoption. Nous sommes tous témoins, dans nos territoires, des souffrances des personnes qui sont à la recherche de leurs origines jusqu’à leur dernier souffle.

    Mme Colette Giudicelli. Exactement !

    M. Philippe Darniche. Après avoir été privés de parents par la vie, certains enfants vont en être privés une seconde fois par la loi.


    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx
    . Eh oui !

    M. Philippe Darniche. Cela, nous le refusons, car tout enfant a droit de savoir d’où il vient. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
     
    En accordant le mariage et la filiation aux personnes de même sexe, vous changez la donne ; ce faisant, vous bouleverserez toutes les règles de la filiation, de la procréation médicalement assistée, de l’état civil et de la parenté. Nous ne sommes pas dupes : aujourd’hui le mariage, demain la PMA, après-demain la GPA !

    M. Charles Revet. Eh oui !

    M. Philippe Darniche. Qui oserait penser en son for intérieur que cet engrenage n’est pas inéluctable, dans cette société qui ne sait plus ce qu’est l’égalité ?

    Mme Catherine Troendle. Bien sûr !

    M. Philippe Darniche. Dans cette société qui n’a que faire du plus faible, mais qui veut assouvir le bien-être des plus grands, qui oserait s’engager sur l’honneur que jamais nous ne tomberons dans de telles dérives ? (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
     
    Je refuse l’hypocrisie ; je refuse le mensonge. Cette France des robots, je n’en veux pas, et je ne crois pas ici être le seul. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur quelques travées de l’UDI-UC.)

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Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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