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Discussion générale

  • Serge Larcher

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.

    M. Serge Larcher. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, d’aucuns ont voulu faire du mariage pour tous un débat technique mettant en jeu le sens même de notre code civil. D’autres en ont fait une tribune pour déverser, avec une brutalité parfois sidérante, une forme de haine de l’autre.
     
    Certains, faisant preuve de plus de subtilité, tentent de nous démontrer, tout en n’ayant aucun grief contre l’homosexualité, qu’il leur semble normal de maintenir une législation spécifique pour les couples homosexuels, ce qui revient à les cantonner dans une sorte de « ghetto juridique ».

    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

    M. Serge Larcher. En réalité, comme tout sujet de société, ce débat est avant tout affaire de conviction. Ce dont je suis convaincu pour ma part, c’est que le plus grand nombre des opposants à ce texte mène un combat d’arrière-garde. Il me semble donc que l’hémicycle du Sénat est un bon endroit pour aborder ce sujet de façon dépassionnée et dire quelles sont nos convictions en toute sérénité.
     
    Je me suis déjà longuement exprimé, à l’écrit comme à l’oral, sur les raisons pour lesquelles je voterai ce texte : souci d’égalité, lutte contre l’homophobie, nécessité pour la loi de prendre en compte les évolutions de la société.
     
    Ces thèmes ont été et seront encore abordés par de nombreux collègues au cours de nos débats. Aussi, le point sur lequel je souhaite me concentrer aujourd’hui est celui de la position des populations et des élus des outre-mer.
     
    Il semblerait que l’on ait voulu faire de nos territoires des bastions symboliques de la résistance au mariage pour tous, des citadelles imprenables de la défense des valeurs dites traditionnelles. Quelle est la vérité ?
     
    La réalité, c’est qu’il est bien pratique d’entretenir la confusion entre importance du fait religieux outre-mer et conservatisme social. De fait, il me semble important, dans ce débat, de rappeler, deux choses.
     
    Premièrement, il n’y a pas de contradiction entre spiritualité et temporalité. Nos pratiques religieuses n’ont pas vocation à nous figer dans un « c’était mieux avant » réactionnaire ; elles doivent au contraire nous permettre de considérer les choses avec hauteur et tolérance.
     
    Deuxièmement, ce débat constitue également l’occasion de rappeler que la France est une république laïque où l’Église et l’État sont séparés depuis plus d’un siècle. Il s’agit certes aujourd’hui d’une évidence, mais il en est qui ont parfois besoin d’être rappelées.
     
    Cela étant dit, je veux également attirer votre attention sur le fait que nos sociétés ultramarines, dites traditionnelles, ont, par exemple, recours à l’IVG dans des proportions souvent supérieures à celles de l’Hexagone.
     
    En outre, les manifestations contre le mariage pour tous n’ont pas mobilisé grand monde chez nous : quelques centaines de personnes dans les rues de Fort-de-France notamment. S’agissant de ce texte, il n’y a donc pas de fait ultramarin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
     
    D’ailleurs, si nous devions avoir une position particulière liée à ce qu’il est convenu d’appeler nos spécificités, il me semble que nous devrions être les premiers défenseurs de ce projet de loi.
     
    En effet, ce débat nous renvoie à la lutte qui a été historiquement la nôtre au cours du xxe siècle : la conquête de l’égalité parfaite en droit, car c’est bien de droit qu’il s’agit ! Ce pour quoi nous nous sommes battus et nous battons encore aujourd’hui, nous, descendants d’esclaves, au nom de quoi le refuserions-nous à d’autres au motif de leur orientation sexuelle ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
     
    Pour terminer, je voudrais dire mon souhait que la loi soit non seulement votée, mais aussi mise en application rapidement et sans sourciller. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

    M. Bruno Sido. Garde-à-vous !

    M. Serge Larcher. À cet égard, j’ai regretté l’évocation de la notion de clause de conscience. Une fois adoptée, une loi ne peut être négociable. Laisser libre champ aux uns et autres dans la mise en œuvre de ce texte serait préjudiciable à son application et constituerait un précédent fâcheux quant à la force des lois en général, ouvrant la porte à d’éventuelles dérives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
  • Chantal Jouanno

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.

    Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je veux commencer malicieusement par féliciter le Gouvernement de son habileté politique.
     
    Sur ce débat qui devrait parler d’amour, il a réussi à diviser la France en deux catégories : d’une part, les irresponsables et, d’autre part, les ringards. Grâce à lui, des femmes et des hommes, qui n’ont pas choisi leur sexualité, sont au mieux instrumentalisés, au pire humiliés. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.) C’est une performance politique ; espérons qu’elle ne soit pas politicienne…
     
    Je formule cette remarque avec d’autant plus de rancœur que je suis favorable au texte qui nous est soumis, ce par conviction de droite et libérale et depuis longtemps.
     
    J’y suis favorable car j’accorde la même confiance et la même dignité aux personnes homosexuelles qu’aux autres. Elles ne constituent pas une communauté ; ce sont des individus dont l’orientation sexuelle, qui n’est pas un choix, ne porte pas atteinte à autrui et ne préjuge en rien de leur capacité à être ou non « responsables ».
     
    Je suis favorable au présent projet de loi car je considère que moins l’État se mêle des choix individuels, quel que soit le domaine concerné, mieux la société se porte. Il n’appartient donc pas à l’État de restreindre la liberté individuelle tant que celle-ci ne porte pas atteinte à autrui. Ce point distingue clairement le mariage homosexuel de la polygamie ou d’autres pratiques qui, elles, portent atteinte à la dignité.
     
    Je suis favorable au texte que nous examinons car, en tant que responsable politique, j’accorde la même considération à toutes les familles, qu’elles soient traditionnelles, monoparentales, recomposées ou homosexuelles. Se pose d’ailleurs une question centrale : le législateur a-t-il pour rôle de définir les contours de la famille ou de créer les conditions de son développement ?
     
    Tout le paradoxe du présent projet de loi est qu’il devrait être porté, en quelque sorte, par la droite. En effet, la demande de mariage est fondamentalement conservatrice.
     
    Je suis aussi favorable à ce texte car je suis laïque. Libre aux religions de s’exprimer. Libre à chacun de sa conscience sur des questions de société qui n’appellent aucune réponse binaire. Mais je n’entends pas que les religions fassent d’une quelconque manière pression sur nous et nous dictent notre conduite à l’égard ni des femmes ni des personnes homosexuelles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)
     
    Il est paradoxal d’ailleurs que la laïcité soit dans ce débat à ce point instrumentalisée qu’elle devienne un principe mou.
     
    Je suis néanmoins triste et préoccupée par la puissance des divisions que ce débat a créées. La violence des propos est effrayante. En cet instant, je souhaite vous lire la phrase suivante, que nous avons tous déjà entendue : « il n’y a aucun doute quant au fait que les enfants dans cette situation subissent le fardeau […] d’un sentiment d’infériorité quant à leur statut ». Cette citation est extraite de la décision Brown v. board of education rendue par la Cour suprême de Louisiane en 1959 qui visait à interdire les mariages mixtes…
     
    Je suis par ailleurs également un peu atterrée par l’immoralité de certains actes – je ne reviendrai pas sur ce qui s’est passé ce matin – qui visent juste à « faire le buzz ». C’est assez méprisable. De telles actions sont souvent contraires aux valeurs de la famille que ceux-là même qui s’en réclament devraient normalement défendre.
     
    À ceux qui me disent « nous nous en souviendrons », je réponds que la menace n’est pas un argument contre la conviction. À ceux qui bafouent l’éthique politique, je rappelle que la démocratie est une valeur fragile. Le débat politique est argumentation, non éructation ou démonstration de force. Céder à la menace, c’est bafouer la démocratie.
     
    Sans doute cette division nationale aurait-elle pu être évitée. Tel aurait probablement été le cas, et en cela, je rejoins les propos tenus par Alain Milon, si nous avions eu le courage ou l’intelligence de retirer du code civil le terme « mariage » pour le réserver à la sphère religieuse et si nous avions eu préalablement un débat éthique sur la famille et l’enfant, ce dernier se trouvant au cœur du texte dont nous débattons. L’opposition entre « droit à l’enfant » et « droit de l’enfant » est un peu caricaturale, reconnaissons-le. Depuis bien longtemps, depuis la contraception, l’IVG ou la procréation médicalement assistée, l’enfant est le fruit d’un choix et d’un projet parental.
     
    Sans doute aurions-nous pu éviter cette division si nous avions attendu les conclusions de l’auto-saisine du Comité consultatif national d’éthique sur la PMA.
     
    L’adoption – je pense que les débats qui vont avoir lieu lors de l’examen des amendements déposés par M. Milon seront extrêmement intéressants – ou la médicalisation de la procréation, qui est directement liée, soulèvent des questions essentielles, auxquelles le présent projet de loi ne répond pas.
     
    Je ne voterai aucun amendement dont l’adoption conduirait à anticiper le débat sur la procréation médicalement assistée ou, pis, sur la gestation pour autrui.
     
    Madame la ministre, j’en suis fière, notre groupe respecte les convictions de chacun.

    M. Bruno Sido. Nous aussi !

    Mme Chantal Jouanno. Fort bien, mais chacun d’entre nous intervient au nom du groupe auquel il appartient !
     
    Je voterai en faveur du présent texte pour respecter mes valeurs de droite où le libéralisme ne s’arrête pas aux questions de société. Le rôle de la puissance publique est non pas de dicter des modèles, mais de vérifier qu’aucun principe républicain n’est affecté par telle ou telle mesure. C’est de cela que nous devons parler dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
  • Abdourahamane Soilihi

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.

    M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui au Sénat un texte d’une importance capitale pour la nation française tout entière. Or en cet instant je m’interroge sur son opportunité, étant donné qu’il est fortement contesté par la quasi-majorité de nos concitoyens.

    M. Jean Bizet. C’est vrai !

    M. Abdourahamane Soilihi. C’est dire, madame le garde des sceaux, à quel point les nombreuses manifestations d’hostilité à ce projet de loi méritent d’être entendues car elles se trouvent bien fondées.

    M. Serge Larcher. Il y avait 100 manifestants en Martinique !

    M. Abdourahamane Soilihi. Si le texte fait l’objet de vives désapprobations dans l’Hexagone, sachez, mesdames les ministres, mes chers collègues, qu’il ne rencontre guère un écho plus favorable dans les collectivités ultramarines.
     
    Partout, sur notre territoire national, les cris se multiplient pour dénoncer, d’une part, un projet de loi inopportun eu égard au climat exacerbé et émaillé de tensions économiques et sociales fortes et, d’autre part, une promesse de campagne qui heurte profondément les valeurs fondatrices de notre modèle démocratique.
     
    Par ailleurs, il me paraît légitime de reconnaître que les couples constitués de personnes de même sexe ont pleinement leur place dans le pacte républicain qui nous unit. Et la nation doit leur garantir respect et protection. Cela étant, leur homosexualité ne devrait être un motif de rejet d’aucune sorte par la communauté.
     
    Cependant, la notion de mariage civil telle que préconisée par la législation suppose l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille.
     
    Cette remarque m’amène à attirer votre attention, mes chers collègues, sur le cas spécifique de Mayotte, car l’institution du mariage homosexuel ne présente pas la même dimension en métropole que dans les territoires lointains.
     
    Pour ce qui concerne cette collectivité, fraîchement transformée en département, où le processus de droit commun n’en est qu’à ses balbutiements, l’attention à son égard doit rester intacte du fait des risques de démembrement ou de dénaturation d’un modèle uniforme de société.
     
    Pour le deuxième anniversaire de la départementalisation, pas plus tard que le week-end dernier, ce territoire et ses habitants ont encore réaffirmé leur adhésion aux principes et aux valeurs qui fondent notre République.
     
    Devrais-je vous dire, madame le garde des sceaux, qu’il ne s’agit nullement d’opposer les principes fondateurs de nos diversités et singularités culturelles à celui d’égalité républicaine tant sur le plan national que dans nos outre-mer respectifs ? Je sais que ce n’est pas vous qui contredirez mon affirmation selon laquelle ce sont ces inégalités qui font l’actualité dans nos collectivités ultramarines.
     
    Quant à nos spécificités, force est de préserver avec la plus grande acuité nos références culturelles et sociétales, gages de nos identités individuelles dans une République indivisible.
     
    Au demeurant, un débat s’est tenu le 20 février dernier, ici même, au Sénat. Une fois de plus, il a largement contribué à mettre en exergue les défis majeurs auxquels la deuxième île française de l’océan Indien est confrontée.
     
    À l’unanimité, il a été précisé que tout est à construire du point de vue économique et que culturellement Mayotte doit rester ce qu’elle est pour préserver son identité.
     
    À cet effet, j’affirme qu’il ne faut pas mélanger le désir de changement revendiqué par une minorité de personnes qui réclame l’égalité de droit, et le danger de mettre en péril nos structures sociétales, qui sont enracinées avec constance, et ce en conformité avec nos traditions.
     
    Permettez-moi, tout d’abord, de formuler quelques observations de forme sur Mayotte, une collectivité désormais régie par le principe de l’identité législative. Cela suppose que les lois s’y appliquent de la même manière à tout le monde et sans exception.
     
    Or en raison des inégalités sociales qui y existent, ce territoire est devenu le théâtre de manifestations interminables auxquelles participent légalement des citoyens qui réclament aux pouvoirs publics leur dû.
     
    Vous le constatez, madame le garde des sceaux, nos compatriotes mahorais attendent de votre gouvernement des mesures de changement concrètes en faveur de la justice sociale et non la destruction des bases sociétales, qui les caractérisent à bien des égards.
     
    Avec force, je vous dis que le présent texte est en contradiction totale avec la société, même si vous considérez, pour votre part, qu’il constitue une évolution majeure.
     
    Je tiens à souligner qu’un rapport de 2008 de nos collègues Christian Cointat, Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne et Michèle André, intitulé Départementalisation de Mayotte : sortir de l’ambiguïté, faire face aux responsabilités, tire avec éclat les enseignements de la mise en œuvre progressive et adaptée de la mutation statutaire et du fonctionnement progressif des institutions afin d’assurer l’avenir harmonieux de l’île tout en conciliant la préservation des équilibres socio-économiques et le respect des exigences républicaines.

    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

    M. Abdourahamane Soilihi. Madame le garde des sceaux, le changement profond de société que vous proposez amènera certainement les Mahorais à être confrontés à un paradoxe qui ne fera que remettre en cause les aspects inhérents aux traditions et cultures locales à valeur coutumière.
     
    À juste titre, la religion musulmane, implantée à Mayotte depuis le XVe siècle, soit bien avant l’arrivée de la France, occupe une place centrale dans l’organisation sociale ; près de 95 % des Mahorais sont d’obédience musulmane et pratiquent avec modération cette religion, qui se veut paisible et courtoise.

    M. le président. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé !

    M. Abdourahamane Soilihi. Vous l’aurez compris, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’inadéquation du projet de loi est telle par rapport aux constats que je viens d’établir qu’il ne peut exister aucune adaptation possible, compte tenu des spécificités de Mayotte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
  • Virginie Klès

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.

    Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, I have a dream, j’ai fait un rêve…

    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Pas nous !

    Mme Virginie Klès. J’étais dans ma mairie de Châteaubourg, et j’avais devant moi ce jeune couple venu timidement me demander de les marier. Elle, brune à la peau très blanche et aux yeux bleus, lui, un Malien, à la peau très noire et aux yeux bruns. Les boubous avaient envahi la salle de mariage : ces boubous africains avec leurs couleurs chatoyantes côtoyaient les costumes-cravates habituels de chez nous.
     
    Puis, tout à coup, l’atmosphère devint oppressante ; ce rêve devint oppressant. Nous étions en 1778 : c’est l’année où l’interdiction des mariages mixtes fut promulguée en France. Je n’avais plus le droit de célébrer ce mariage, et j’entendais autour de moi les mots « pervers », « contre-nature », « impossible », on demandait « et les enfants, y pensez-vous ? », ils n’auront « pas de statut », ils seront des « bâtards ». Je me suis alors réveillée : nous n’étions pas en 1778, et j’ai bien pu célébrer ce mariage.
     
    J’ai alors pensé à tous les autres mariages que j’ai célébrés. Je me retrouve dans les propos de Mme Jouanno, dans sa façon de dire réellement les choses. Que s’est-il passé dans tous ces mariages que j’ai célébrés ? Quelle était la constante ? La constante, c’était l’amour, l’émotion, l’engagement solennel, le bonheur qui régnait dans la salle de mariage. Quel que soit le mariage, quel que soit le lieu, quel que soit l’âge des mariés, là était la constante, dans cette promesse mutuelle et réciproque de s’aimer et de se protéger longtemps.
     
    Je me suis également souvenue d’un autre mariage, qui m’a beaucoup marqué lui aussi. Il fut célébré dans un hôpital, à la demande d’une jeune femme en phase terminale de cancer, à qui il restait moins d’une semaine à vivre. Elle avait deux enfants et n’était pas mariée. Elle a voulu se marier avant de mourir et de quitter cette terre, pour ses enfants et pour leur père. Je me suis demandé ce qui se serait passé si cette femme avait été homosexuelle, si ses deux filles étaient nées d’une précédente union et si le père avait été absent, inexistant, pour tout un tas de raisons : comment aurait-elle fait ? À qui aurait-elle confié ses enfants ?
     
    Alors faut-il plusieurs mariages ? Faut-il un mariage pour les hétérosexuels, dans lequel les enfants seraient systématiquement pris en compte, et un autre pour les homosexuels, dans lequel on ne parlerait surtout pas des enfants ? Et peut-être que si des hétérosexuels ne veulent pas d’enfants, ils pourraient choisir ce second mariage. Les homosexuels, eux, n’auraient droit qu’au mariage sans enfants.
     
    Soyons raisonnables : il faut le même mariage pour les homosexuels et les hétérosexuels, un mariage qui prenne en compte les enfants, parce que les enfants sont là, ils existent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
     
    Combien de fois le droit de l’enfant a-t-il été évoqué ce soir ? Je peux entendre certains arguments, je peux comprendre les familles qui ont des problèmes pour avoir des enfants, mais faut-il pour autant transformer ce droit de l’enfant en un droit à l’enfant ?
     
    Monsieur le doyen Gélard, je vous ai entendu plaider - Dieu sait que je vous ai écouté avec attention ! – qu’il ne fallait pas autoriser le mariage aux couples homosexuels parce que, dans ce cas, certains pays opposés au mariage homosexuel refuseraient de nous laisser adopter leurs enfants. Vous estimez que les enfants sont un marché avec fermeture de frontières ? Quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qui peut nous garantir que l’intérêt supérieur des enfants de ces pays est d’être adopté par une famille française et non par une autre famille, dans un pays où le mariage homosexuel n’est pas autorisé ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
     
    Je le redemande, quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? À mon sens, c’est d’être accueilli dans une famille, c’est que ses parents soient considérés normalement par la société. Une société tolérante se juge à sa capacité à accepter la différence : la différence fait sans doute peur au début, mais une société tolérante l’apprivoisera, la banalisera et l’acceptera. Ainsi, l’enfant n’aura pas à subir ce qu’il y a de plus terrible pour un enfant : entendre insultés et humiliés ses parents, ses éducateurs, ces adultes qui sont à ses côtés au quotidien et le construisent, l’aiment et le structurent.
     
    Pour toutes ces raisons, qui nous contraindront justement à examiner plus longuement, par la suite, nos lois sur l’adoption et la famille ainsi que sur la PMA et la GPA, qui posent un réel problème, mais un problème indépendant de la question du mariage des personnes homosexuelles et du droit des enfants dont les parents sont homosexuels, je voterai ce projet de loi des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
  • Jean-Pierre Leleux

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

    M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir entendu cette dernière intervention, où, sinon dans mon intime conviction, pourrais-je trouver la force de créer, comme nous le demandaient récemment 173 de nos éminents universitaires, une brèche dans le mur idéologique sur lequel nous avons l’impression de voir nos arguments glisser ? Et quelle lumière pourrait m’aider à éclairer les chemins de votre conscience, au plus profond et au plus sensible d’elle-même, afin de vous faire ressentir les risques considérables que ce projet de loi fait prendre à notre société contemporaine ?
     
    Peut-être y parviendrai-je en appelant à mon secours Jean-Étienne-Marie Portalis – vous l’avez cité aussi, monsieur le rapporteur, mais dans un esprit bien différent du mien –, cet éminent juriste provençal, éclairé et sage, qui, grâce à sa statue de marbre au-dessus de nous, veille sur nos débats, et à qui Bonaparte avait confié la rédaction de notre code civil.

    M. Jean Bizet. C’est vrai !

    M. Jean-Pierre Leleux. La science, la clarté, le bon sens et la pureté de style de Portalis avaient su donner à notre code civil, il y a deux siècles de cela, la cohérence et la portée qui l’ont amené jusqu’à nous. Or voici ce qu’il écrivait : « La durée et le bon ordre de la société générale tiennent essentiellement à la stabilité des familles qui sont les premières de toutes les sociétés, le germe et le fondement de empires. »
     
    Inscrit depuis dans la durée, le code civil n’en mérite que plus de respect. Portalis, homme de conviction, de conscience, de réflexion et de modération, fut, comme le disait Sainte-Beuve, « l’une des lumières civiles du Consulat ».

    M. Marc Daunis. Quelle référence moderne !

    M. Jean-Pierre Leleux. Et, s’il pouvait prendre ma place, il vous dirait combien il faut prendre de précautions quand on rédige une loi. Il vous dirait surtout que la loi civile, notre loi à nous, parlementaires, ne peut en aucun cas être de rang supérieur aux lois naturelles, scientifiques, biologiques ou physiologiques. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.) Il nous dirait : « Ne dégradons point la nature par nos lois. » Ne nous a-t-il pas rappelé l’avertissement de Cicéron, selon lequel « il n’est pas du pouvoir de l’homme de légitimer la contravention aux lois de la nature » ?
     
    Oui, mes chers collègues, ce projet de loi est bien contre-nature. Sous prétexte d’offrir une nouvelle liberté aux personnes homosexuelles et de satisfaire une nouvelle prétendue égalité en voulant gommer la différence entre l’homme et la femme, et partant leur féconde complémentarité, ce texte aura des conséquences directes sur tous les couples composés d’un homme et d’une femme et nous conduira, contrairement à ce qui est annoncé, à de nouvelles injustices et à de nouvelles discriminations.

    Mme Esther Benbassa. C’est faux !

    M. Marc Daunis. Là, on quitte le siècle des Lumières !

    M. Jean-Pierre Leleux. Depuis l’annonce, l’été dernier, de la mise en œuvre de cette promesse électorale, le débat agite la France. Madame le garde des sceaux, était-ce bien le moment, en ces temps difficiles sur le plan économique et social, de diviser les citoyens sur un sujet de société aussi sensible, alors que les Français ont un si grand besoin de se rassembler ? D’autant que le débat, non organisé – dans l’espoir, sans doute, de l’éviter – et mal canalisé, a été pollué et trahi par d’habiles et scandaleuses manipulations sémantiques.

    Un sénateur du groupe UMP. Bravo !

    M. Jean-Pierre Leleux. Quelle belle escroquerie, par exemple, que cette expression de « mariage pour tous », qui tend à faire passer habilement l’idée que la mesure serait juste, équitable et donc forcément bonne !

    Mme Esther Benbassa. C’est la vérité !

    M. Jean-Pierre Leleux. Albert Camus aurait réagi à cette utilisation malfaisante des mots : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».

    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci de ne pas enrôler Camus au service de votre cause !

    M. Jean-Pierre Leleux. Il aurait également réagi devant l’utilisation du mot « mariage » pour qualifier l’union de personnes de même sexe.
     
    Les mots ont un sens, nourri par des siècles d’usage, ils sont porteurs du poids symbolique que leur ont donné des centaines de générations successives.

    M. Charles Revet. Exactement !

    M. Jean-Pierre Leleux. « Il faut faire attention aux mots », écrit Erik Orsenna, il ne faut pas « les employer à tort et à travers, les uns pour les autres ». Mes chers collègues, ne donnons pas au mot « mariage » un sens qu’il n’a pas : ce mot a toujours désigné l’acte qui unit un homme et une femme en vue de protéger leur relation et leur foyer, l’acte fondateur d’une famille, dans l’esprit d’une filiation porteuse du renouvellement des générations.
     
    Loin de nous l’idée de vouloir empêcher les personnes homosexuelles de vivre librement leur vie, affective et civile. Nous sommes favorables à la création d’un statut d’union civile qui permettrait aux couples homosexuels de bénéficier strictement des mêmes « droits mutuels » que les couples hétérosexuels, avec les mêmes avantages et, éventuellement, les mêmes inconvénients.

    M. Marc Daunis. Est-ce que les couples homosexuels sont naturels ou contre-nature ? On ne comprend plus !

    M. Jean-Pierre Leleux. J’emploie l’expression « droits mutuels » pour qualifier ces droits entre adultes, car pour moi il ne saurait être question d’assortir ce statut du droit à l’adoption. Or, au-delà du poids symbolique millénaire du mot « mariage », que vous voulez modifier aujourd’hui, étendre le statut du mariage aux couples de personnes de même sexe implique, ipso facto et de jure, la faculté pour ces couples d’adopter. À nos yeux, ce n’est pas acceptable, au nom de l’enfant.
     
    Je comprends très bien le désir que peut avoir tout homme ou toute femme d’élever un enfant. Mais, quelle que soit l’ampleur de ce désir, il ne peut en aucun cas primer sur le droit de l’enfant d’espérer être élevé par un père et une mère, dans l’altérité sexuelle de ses parents, même si celle-ci peut n’être que virtuelle, comme dans le cas des familles monoparentales.

    M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.

    M. Jean-Pierre Leleux. Je n’évoquerai pas la PMA et la GPA, car vous vous insurgeriez, chers collègues de la majorité. Je vous dirai donc simplement que vous avez ouvert une brèche en proposant d’ouvrir l’adoption aux couples homosexuels, et que, comme le soulignait mon compagnon de route de ce soir, Jean-Étienne-Marie Portalis, « quand la raison n’a point de frein, l’erreur n’a point de bornes ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)

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Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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