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Discussion générale

  • Philippe Kaltenbach

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.

    M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans sa préface au code civil rédigée en 1936, Henri Capitant écrivait que ce code devait conserver les « solides principes traditionnels » sur lesquels est fondé le droit, tout en faisant place aux « règles exigées par les besoins nouveaux de la vie juridique ». C’est ce que nous faisons aujourd’hui, en adaptant notre code civil aux besoins nouveaux de la société, que certains veulent nier, mais qui existent bel et bien.
     
    Nous allons réaliser cette réforme en respectant l’universalité des droits sur laquelle reposent notre société et notre République. C’est notre fierté !
     
    Le Gouvernement, soutenu par sa majorité parlementaire, porte cette réforme déjà adoptée par de nombreux États européens. Les retours d’expérience dans ces pays démontrent, si besoin était, que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe n’a pas conduit à la disparition de la famille, bien au contraire.
     
    Je demeure convaincu que ce qui fonde la famille, c’est le désir de la vie, de l’échange, de la transmission. Ce qui compte avant toute chose pour un enfant, c’est l’équilibre de sa famille. Dans l’étude d’impact bien documentée – n’en déplaise à Patrice Gélard – qui accompagne ce projet de loi, il est précisé que la centaine d’articles consacrés depuis quarante ans à l’homoparentalité conclue qu’il n’existe aucune différence entre les enfants élevés dans les différents types de famille.

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est orienté !

    M. Philippe Kaltenbach. Ce sont des articles scientifiques… On peut tout dénoncer, mais il faut tenir compte des analyses scientifiques.
     
    Le débat qui accompagne ce projet de loi est intense, dans les hémicycles comme dans l’opinion, tout autant que celui qu’avait suscité l’adoption du PACS. Analysons ce dernier débat a posteriori, afin de nous projeter dans l’avenir. Que constate-t-on ? Depuis la création du PACS, ni les équilibres humains ni les valeurs de notre société n’ont été bouleversés. Pourtant, à l’époque, Christine Boutin, chef de file de l’opposition, était catégorique : « Le PACS enlève toute raison d’être juridique et sociale au mariage civil. Il le tue par asphyxie. »
     
    Vous aurez également observé que, durant ces quatorze années, aucune initiative parlementaire ou gouvernementale n’a tenté de supprimer la loi adoptée à l’époque.
     
    Les grandes évolutions sociétales se sont toujours faites malgré les protestations, parfois virulentes. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont toujours, aujourd’hui, dans notre ordre juridique.
     
    Vous noterez au passage que celles et ceux qui défilaient en 1999 contre le PACS sont devenues, aujourd’hui, ses plus ardents défenseurs.
     
    Acculés, les opposants au mariage pour tous ont trouvé une échappatoire avec cette proposition d’une nouvelle union civile destinée aux couples de même sexe, soit une sorte de PACS amélioré. Ce faisant, ils semblent ignorer qu’un tel dispositif serait profondément discriminatoire et, à n’en pas douter, contraire et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, comme cela a déjà été dit, et sûrement également à notre Constitution.
     
    Dans le débat, le doyen Gélard, peut-être à court d’arguments, a soulevé une supposée inconstitutionnalité…

    Mme Catherine Procaccia. On verra bien !

    M. Philippe Kaltenbach. … en s’appuyant sur des analyses audacieuses, mais en aucun cas sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel.
     
    L’argument selon lequel le mariage ferait partie de notre bloc de constitutionnalité et ne pourrait donc évoluer sans modification de la Constitution ne résiste pas à un simple examen historique. En effet, depuis 1804, le mariage a déjà profondément évolué. Rappelez-vous : à cette date, la femme était soumise à la puissance maritale !
     
    C’est d’ailleurs au sein de la famille que les droits des femmes se sont progressivement imposés et ont été reconnus, à chaque fois difficilement, car les conservateurs ont systématiquement dénoncé une remise en cause de la famille traditionnelle.
     
    Aujourd’hui, je suis fier de soutenir ce projet de loi.
     
    Pour conclure, je voudrais partager avec vous l’opinion de Marcel Proust pour qui « il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme ».
     
    La question qui nous est posée aujourd’hui est une question d’égalité entre tous les citoyens. Parce que les droits de l’enfant sont garantis, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce projet de loi pour faire entrer l’homosexualité dans l’égalité. La famille doit être considérée comme une et heureuse, indépendamment du sexe et du genre des parents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
  • Alain Gournac

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.

    M. Alain Gournac. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la question du mariage et celle de la filiation sont si indissociables que les juristes auditionnés ont dit combien il eût été plus pertinent d’aborder la seconde question avant la première.
     
    Toutes les sonnettes d’alarme ont été tirées par de très nombreux maires et élus locaux, par des spécialistes du droit de la famille et du droit constitutionnel, par des pédopsychiatres, des philosophes et de nombreux représentants d’associations.
     
    Malgré le nombre des auditions, le débat est resté de façade. Tout était joué d’avance, puisque le Président de la République François Hollande avait promis le mariage pour tous.
     
    Soyons sérieux : il l’avait promis non pas aux Français, mais à une poignée d’activistes qui l’ont étrangement rappelé à l’ordre le jour même de son intervention devant le congrès des maires de France. J’y étais.
     
    Ce qui m’inquiète, c’est ce manque de scrupules, qui part du sommet de l’État, traverse une partie de la classe politique et atteint un certain nombre d’intellectuels.
     
    Venons-en à la question de fond.
     
    L’un des auteurs d’une plaquette préfacée par Jacques-Alain Miller, auditionné par la commission des lois du Sénat, s’est appuyé sur une conférence de Claude Lévi-Strauss pour nous expliquer qu’il n’y a pas d’« invariant familial universel ». Comme si c’était le sujet !

    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est la vérité ! C’est ce que dit Lévi-Strauss !

    M. Alain Gournac. Pourquoi l’auteur se garde-t-il de préciser que Lévi-Strauss ne donne aucun exemple de société ayant institué le mariage homosexuel ?
     
    L’anthropologue Maurice Godelier, auditionné par la commission des lois de l’Assemblée nationale, et pourtant favorable au texte, l’a dit nettement, mais comme à voix basse : « On ne trouve pas dans l’histoire d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. »
     
    Pourquoi craint-on de faire état, haut et fort, de cette réalité anthropologique majeure ? Mais tout simplement, madame la ministre, pour cacher l’énormité de votre projet de vouloir rompre avec elle !
     
    Maurice Godelier poursuit : « pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire ». Cette histoire porte donc bien sur des millénaires.
     
    En conséquence, madame la ministre, on pourrait peut-être désormais laisser les différentes confessions tranquilles et cesser de faire diversion en leur imputant une attitude qui a été celle de toute l’humanité depuis toujours.
     
    Pourquoi Françoise Héritier, célèbre professeur d’anthropologie du Collège de France, a-t-elle été aussi ambigüe sur cet invariant ? On l’a sentie quelque peu gênée : elle a expliqué devant la commission que « la pratique occidentale est marquée notamment par un type de mariage hétérosexué et monogame ». C’était laisser entendre que d’autres sociétés connaîtraient l’institution du mariage homosexuel. Nous attendons encore les exemples !
     
    Que se passe-t-il pour que l’une de nos grandes anthropologues ne s’exprime pas plus nettement ? Comment en est-on arrivé à obtenir que soit ainsi minimisée et maquillée une réalité anthropologique aussi considérable ?
     
    Je citerai un dernier exemple de ce que j’appelle le « mensonge par ambiguïté » : auditionnée par la commission des lois, la sociologue Irène Théry, utilisant la notoriété de Georges Duby pour soutenir votre texte, a expliqué que le grand historien du Moyen Âge ne se référait « en aucune manière à une sorte d’essence intemporelle du mariage ».
     
    Or voici ce qu’il écrit dans son ouvrage majeur, Le chevalier, la femme et le prêtre : « Les rites du mariage sont institués pour assurer, dans l’ordre, la répartition des femmes entre les hommes, pour officialiser, pour socialiser la procréation. »

    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Bravo pour la répartition !

    M. Alain Gournac. Un peu plus loin, il ajoute : « Le mariage ordonne l’activité sexuelle ou plutôt la part procréative de la sexualité ». On ne peut être plus clair : le reste de l’activité sexuelle, dont l’homosexualité n’est qu’une possibilité, n’a jamais été prise en compte par l’institution du mariage, dans aucune société.
     
    Cette contagion du déni autour d’un sujet aussi grave est préoccupante.
     
    L’égalité de droit inscrite dans notre code civil, pour tout citoyen, de pouvoir contracter une union avec une personne de sexe différent en vue de procréer et de fonder une famille, pour vous, ça n’existe pas !
     
    Les déclarations d’Elisabeth Guigou en 1998 sur le besoin pour l’enfant d’« avoir, pendant sa croissance, un modèle de l’altérité sexuelle », pour vous, ça n’existe pas !
     
    Le million, voire plus, de manifestants dans les rues de Paris, par deux fois, pour vous, ça n’existe pas !
     
    Les 700 000 pétitions envoyées au Conseil économique, social et environnemental, pour vous, ça n’existe pas !

    Mme Éliane Assassi. Et les millions de salariés qui défilent pour défendre les retraites, ça existe pour vous ?

    M. Alain Gournac. L’invariant anthropologique millénaire du mariage homme-femme, pour vous, ça n’existe pas !
     
    Quel entêtement à dénier la réalité !
     
    Mais cela ne serait rien si vous ne vous apprêtiez, avec le Gouvernement, à instituer un mensonge d’État… (Oh ! sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

    M. Marc Daunis. Rien que ça !

    M. Alain Gournac. … dont l’enfant sera la victime. Dans un couple homme-femme, l’enfant est le signe extérieur de l’intimité de ses parents et, en cas d’adoption, le signe extérieur crédible de cette intimité.
     
    Or, dans le cas d’un couple de deux hommes ou de deux femmes, l’enfant ne peut être le signe de leur intimité. Aussi est-il voué à grandir et à évoluer, au moins une partie de son enfance, dans l’eau trouble d’un aquarium mensonger… (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

    Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux de dire cela ! Réactionnaire !

    M. Alain Gournac. Cela vous choque, mais c’est la vérité !
     
    … et ce quelle que soit la disposition à la sincérité de deux pères ou de deux mères.

    M. François Rebsamen. Hypocrisie !

    M. Alain Gournac. Voyez-vous, madame la ministre, tant de désinvolture avec la vérité nous éloigne de la République.
     
    Pour céder à un petit nombre d’homosexuels, qui ont décidé de prendre d’assaut le mariage au nom d’une égalité mal comprise et d’un contresens sur le mariage républicain, vous vous apprêtez à célébrer les noces de la République et du mensonge.
     
    Après le choc qui frappe de plein fouet la crédibilité de la classe politique et qui vient d’assommer, hier, le pays, (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) je vous en prie, n’en rajoutez pas !
     
    Croyez-vous que les Français ont besoin d’un choc d’« homosexualisation » du mariage et de manipulation de la filiation ?

    Mme Éliane Assassi. Il faut prendre vos médicaments !

    M. Alain Gournac. J’imagine que vous avez grande hâte que la page soit tournée. Eh bien, pas moi, madame la ministre, car le sujet est trop grave !
     
    Aussi, je souhaite que deux ou trois millions de personnes…

    M. Marc Daunis. Dix millions, pendant que vous y êtes !

    M. Alain Gournac. … défilent pacifiquement sur le pavé parisien la prochaine fois (C’est fini ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.), car il y a des moments où la conscience doit se mettre en travers de la politique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
  • Roger Madec

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Roger Madec.

    M. Roger Madec. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi instituant le mariage pour tous fait partie des textes dont le vote marque à jamais la vie d’un parlementaire.
     
    Nous le pressentons toutes et tous : il s’inscrit dans le long cheminement, commencé à la Révolution française, vers l’accomplissement de notre devise républicaine. De manière plus sensible que sur bien d’autres votes, nous serons comptables devant les générations futures de la décision de notre assemblée.
     
    Je suis de longue date favorable à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Mon engagement politique, mes convictions personnelles, ma vie, ma conscience citoyenne dictent ce choix que j’assume sans contrainte et avec une immense fierté. Il est juste et rassurant de constater que le débat public ait été aussi dense et que chaque point de vue, chaque opinion, chaque courant de pensée, qu’il soit politique, philosophique ou religieux, aient pu se faire entendre.
     
    Ce débat était légitime, mais il revient désormais à nous et à nous seuls, représentants du peuple, de prendre notre décision et d’assumer notre responsabilité.
     
    Il s’agit de liberté individuelle et collective, d’égalité de tous devant la loi, de fraternité dressée contre toute forme de discrimination. Demain, si nous le décidons, l’orientation sexuelle n’enfermera plus personne dans une forme anachronique de minorité civile.
     
    Le désir de vie commune, le souci de transmission et de filiation ne sont pas réductibles à l’orientation sexuelle. Les modèles familiaux et la place de chacun dans la cellule familiale n’ont cessé d’évoluer au cours des temps et dans chaque culture.
     
    La famille ne doit pas être un carcan, un espace de contrainte, dont la rigidité exclurait toute possibilité d’épanouissement. C’est en adaptant le mariage aux modes pluriels de vie commune que nous donnerons à chacun l’opportunité de s’épanouir dans sa vie privée et sociale.
     
    Je ne mésestime pas le poids moral de la responsabilité que nous nous apprêtons à prendre. En l’espèce, toutefois, il ne s’agit pas de brider les droits d’une population en faveur d’une autre. L’homosexualité a trop longtemps été stigmatisée, punie, traquée, et judiciairement condamnée. Il est temps, aujourd’hui, d’accorder à celles et ceux qui s’y reconnaissent le droit à l’indifférence, dans le respect de nos lois républicaines. À mes yeux, cette réforme marque un progrès pour nos libertés : ouvrir de nouveaux droits se fait toujours au bénéfice de tous, sans retirer quoi que ce soit à quiconque.
     
    Notre pacte social est fondé, depuis 1789, sur une idée simple et révolutionnaire : l’universalité des droits de l’homme et l’émancipation des citoyens. Nous sommes les héritiers de ce mouvement et nous en sommes aujourd’hui les garants.
     
    Malgré les dénégations, les incantations et les fausses frayeurs de certains, le constat, lucide et dépassionné, s’impose : il n’existe aucune raison valable de ne pas ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe. Je ne ferai à personne, ici, de procès en homophobie : chacun, en l’espèce, doit faire son propre examen de conscience, mais il est bien clair que nombre de faux arguments qui ont été avancés jusqu’ici pour repousser cette réforme travestissaient mal cette angoisse primaire et taraudante de l’altérité.
     
    Nous sommes tous pareils, et cependant tous différents : cette dialectique-là, qui irrigue aussi bien les sciences naturelles que les sciences sociales, n’est pas nouvelle.
     
    Deux objections sont fréquemment avancées pour tenter d’enrayer cette dynamique de l’égalité : la possibilité, ouverte aujourd’hui, de contracter un PACS et la proposition de le faire évoluer en une union civile.
     
    Je ne reviendrai pas sur le PACS, progrès décisif pour son époque, mais que la droite avait tant décrié.

    M. François Rebsamen. Ah oui !

    M. Roger Madec. L’union civile, objet juridique non identifié, avancée par le doyen Gélard, offrirait dans l’esprit de ses partisans l’avantage d’élargir les droits du PACS sans réinterroger les limites actuelles du mariage.
     
    S’agirait-il de créer une forme de mariage au rabais pour les couples dont l’orientation sexuelle leur interdirait le droit commun ? S’agirait-il de créer une voie juridique de garage pour celles et ceux que la loi refuserait de reconnaître dans la plénitude de leur citoyenneté ?
     
    Personne ne peut raisonnablement considérer que le mariage civil serait la condition de la filiation. Personne non plus ne peut prétendre que les référents parentaux, pour être légitimes et assurer le plein épanouissement de l’enfant, devraient être sexuellement différenciés. Si c’était le cas, comment comprendre que plus de la moitié des enfants naissent aujourd’hui hors mariage ?

    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.

    M. Roger Madec. Notre honneur de parlementaires n’est pas d’emprunter à telle ou telle tradition ou culture religieuse ses impératifs moraux pour en tirer une forme idéale d’organisation de la société. Notre honneur est d’abolir les formes d’exclusion et de faire progresser la société. Ce texte va dans ce sens.

    M. le président. Concluez, mon cher collègue.

    M. Roger Madec. Madame la garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, je suis très fier de soutenir ce projet de loi et je vous félicite de le défendre avec beaucoup de pugnacité, de courage et de dynamisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
  • Gérard Bailly

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.

    M. Gérard Bailly. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis plus de onze ans que je siège au sein de la Haute Assemblée, c’est la première fois que je vois un débat de société susciter autant de passion, autant de bruit et de tels mouvements de rue.

    Mme Éliane Assassi. Et le CPE ? Et les retraites ?

    M. Gérard Bailly. Par différents moyens, principalement en descendant dans la rue, des centaines de milliers de citoyens, voire plusieurs millions, ont exprimé leur désaccord avec le projet de loi sur le mariage pour tous et demandé qu’il soit soumis à référendum.
     
    Le Gouvernement fait toujours la sourde oreille. Pourtant, le mécontentement est profond. Croyez-vous que c’est par plaisir que des centaines de milliers de personnes venues de toute la France ont quitté, au milieu de la nuit du samedi au dimanche, les Pyrénées, la Côte d’Azur, l’Alsace ou le Jura pour parcourir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres dans des bus ?

    Mme Éliane Assassi. C’est terrible !

    M. Gérard Bailly. Pourquoi l’ont-ils fait, si ce n’est par conviction profonde que ce projet de loi est mauvais ? Il est en effet très mauvais, principalement du fait des mesures qui toucheront demain l’adoption. Cette question est la seule que j’aborderai dans mon intervention.
     
    Madame la ministre, sans vous faire de procès d’intention, je ne peux pas croire qu’en votre for intérieur, vous ne pensiez pas que, pour un enfant adopté, une maman et un papa, c’est mieux, et même indispensable.


    Mme Éliane Assassi
    . Et bien non !

    M. Gérard Bailly. Vous êtes prises dans une spirale d’idéologie, qui vous éloigne du réalisme. Le premier mot que prononce tout enfant dès son plus jeune âge, n’est-ce pas « maman » ? De même, au moment d’un accident ou d’une mort subite, tout être humain appelle instinctivement sa maman. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Vous allez décider que des enfants n’auront pas de maman, ou tout au moins qu’ils ne la connaîtront pas : où est l’égalité dont vous avez tant parlé cet après-midi ?
     
    C’est pourquoi nous n’acceptons pas le mariage pour tous, prélude à l’adoption par deux êtres du même sexe.

    Mme Cécile Cukierman. Eh oui !

    M. Gérard Bailly. Je sais que les médias, la presse, publient des témoignages forts pour soutenir ces procédés.

    Mme Cécile Cukierman. Le dogmatisme, c’est vous !

    M. Gérard Bailly. Vous le savez, madame la ministre, les demandes d’adoption sont beaucoup plus nombreuses que les enfants pouvant être adoptés : ces derniers sont actuellement moins de 2 000, même en tenant compte des enfants venant de pays lointains.
     
    En 1996, en tant que président du conseil général du Jura, j’ai refusé l’agrément à deux femmes qui avaient fait une demande d’adoption, conformément à la décision de la commission d’agrément des familles d’adoption avec laquelle j’étais pleinement d’accord. Ces femmes ont porté l’affaire devant le tribunal administratif de Besançon, qui leur a donné raison. Ensuite, nous avons fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de Nancy, qui nous a donné raison. Le Conseil d’État a été saisi, et jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
     
    Mesdames les ministres, l’adoption ne consiste pas, à mes yeux, à faire plaisir à un couple, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel. Elle consiste à donner à un enfant privé de parents et d’affection une mère et un père : un couple de personnes complémentaires, cadre qui lui permettra de s’épanouir dans la joie et dans l’amour. Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même rendu hommage à votre père et à votre mère qui vous ont élevé !
     
    Le Gouvernement veut la parité entre les hommes et les femmes dans les conseils d’administration des entreprises, les conseils régionaux, les futurs conseils départementaux et les conseils municipaux. Puisqu’il l’impose lorsqu’il s’agit de décider de projets d’équipements sportifs et culturels ou de routes, pourquoi n’accepte-il pas que, pour entourer un enfant, il faille aussi un homme et une femme ? Où est la cohérence ?

    M. Jean Bizet. Exactement !

    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Cela n’a rien à voir !

    M. Gérard Bailly. Si j’ai refusé de donner cet agrément, c’est parce que je n’aurais jamais voulu que l’enfant adopté, garçon ou fille, vienne me voir à l’âge de dix ans pour me dire : « monsieur Bailly, c’est à cause de vous que, contrairement à la grande majorité de mes copains et copines d’école, je n’ai pas de papa ou de maman ! » (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
     
    Sans doute, madame la ministre, vous n’avez pas la même conception que moi de l’enfant ; mais sachez que si ce projet de loi est voté, un enfant viendra peut-être vers vous dans quelques années et vous dira : « je n’ai pas eu de maman ou de papa car vous avez soutenu cette loi ». Malheureusement, il sera trop tard ; le mal sera fait.
     
    Mes chers collègues, en particulier les trente-huit d’entre vous qui, en tant que président d’un conseil général, ont des décisions à prendre dans le domaine de l’adoption, réfléchissez au choix que vous allez faire et pensez à tous les enfants qui ne pourront pas dire un jour « mon papa » ou « ma maman ». Sachez que je ne serai pas de ceux qui voteront ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
  • Thani Mohamed Soilihi

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

    M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, au regard des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale et dans les médias, on pourrait s’étonner de me voir prendre la parole dans cette discussion, moi qui suis l’élu d’un département d’outre-mer où la tradition culturelle est très forte, très différente de celle de la métropole et où 95 % de la population est de confession musulmane.
     
    J’ai pourtant d’excellentes raisons, républicaines, de penser que ce projet de loi, avec tous les enjeux qu’il soulève, représente une chance plus qu’une opportunité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
     
    Pour l’avocat que je suis, le fait que la France souhaite réparer une rupture d’égalité devant le droit en rejoignant les sept autres États de l’Union européenne qui ont ouvert cette voie est une raison suffisante d’agir en tant que législateur. Pour le représentant d’une île qui a tant marqué son attachement à notre pays, c’est une occasion supplémentaire de réaffirmer l’ancrage de ce territoire dans la République.
     
    Je vais vous présenter les raisons qui, transcendant mes convictions religieuses, me poussent à voter ce projet de loi.

    M. François Rebsamen. Bravo !

    M. Thani Mohamed Soilihi. Auparavant, toutefois, permettez-moi de faire une remarque d’importance. J’ai été très étonné d’apprendre que des membres d’une association avaient prié devant l’Assemblée nationale et demandé à le faire aussi devant le Sénat, alors même que les prières de rue sont interdites, à juste titre, au nom de la laïcité ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Cette interdiction ne saurait s’appliquer aux seuls musulmans de notre pays, au nom du principe d’égalité ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)

    M. François Rebsamen. Très bien !

    Mme Éliane Assassi. Très juste ! Ce qui vaut pour les uns doit valoir aussi pour les autres !

    M. Thani Mohamed Soilihi. Cette parenthèse refermée, j’en viens aux raisons pour lesquelles je voterai ce projet de loi.
     
    En premier lieu, les couples de même sexe sont aujourd’hui placés dans une situation d’inégalité inacceptable puisque, pour organiser une vie commune, ils n’ont pas d’alternative au PACS, convention qui ouvre des droits étroitement limités. Je vous rappelle que le PACS, qui depuis lors a démontré son utilité, s’était heurté au moment de sa création à une vive opposition. Il est d’ailleurs amusant d’observer que ses opposants d’hier en sont devenus les ardents défenseurs !

    M. François Rebsamen. Eh oui !

    M. Thani Mohamed Soilihi. Le présent projet de loi a le mérite de mettre fin à ces situations d’inégalités et de discriminations indirectes en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe.
     
    Il permet également d’offrir aux enfants élevés par un couple homosexuel un cadre familial plus sûr et plus protecteur juridiquement. Car ces enfants existent : selon les associations de parents homosexuels, 200 000 à 300 000 enfants seraient concernés. Nous ne pouvons pas les ignorer, sous prétexte qu’ils heurtent nos représentations morales ou religieuses.
     
    Ensuite, il faut reconnaître que, dans nos îles, l’homosexualité est plus difficile à vivre qu’ailleurs : l’insularité peut y rendre le regard social plus pesant, plus réprobateur qu’en d’autres endroits. Si la diversité sociologique, géographique, culturelle et religieuse des outre-mer est une réalité, elle ne doit pas servir de prétexte pour se soustraire aux avancées sociales de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

    Mme Bariza Khiari. Bravo !

    M. Thani Mohamed Soilihi. Je crois vraiment que nous ne pouvons pas revendiquer l’appartenance à la République et réclamer l’application du droit commun, par exemple en matière de départementalisation, tout en faisant valoir des particularités locales lorsqu’un projet de loi nous contrarie.
     
    Il ne peut y avoir de rupture du pacte républicain entre la France et les outre-mer, surtout quand il s’agit de libertés. Nous avons tant lutté pour elles et nous luttons encore, qu’il s’agisse de l’abolition de l’esclavage, de la départementalisation, pour ce qui concerne mon île, ou de notre conquête de l’égalité des droits !
     
    Pas plus que l’abandon légal de la polygamie à Mayotte, coutume interdite en 2005 quoiqu’elle fasse partie intégrante de notre culture, la possibilité donnée aux couples homosexuels de s’unir ne sonnera le glas de notre identité.

    M. Marc Daunis. Bravo !

    M. Thani Mohamed Soilihi. Enfin, je tiens à rappeler que ce projet de loi répond à un engagement de campagne clair du candidat François Hollande. (Murmures sur les travées de l’UMP.) Il est normal que, devenu Président de la République, il mette en œuvre sa politique au profit de tous les Français. C’est notamment la raison pour laquelle le Gouvernement, qui poursuit la consolidation du processus de départementalisation voulu par les Mahorais, a prévu à l’article 21 du projet de loi que les dispositions relatives aux prestations familiales seraient applicables à la situation de parents de même sexe.
     
    En somme, je considère que ce projet de loi, défendu avec conviction et talent par une ministre elle-même ultramarine, est une formidable occasion de montrer que nous sommes capables d’aller vers l’intérêt général et le dépassement de nos intérêts individuels en portant, mieux encore que quiconque, les grandes avancées symboliques de notre République. C’est à ce prix que les sociétés évoluent et que les droits et les libertés progressent. Je voterai ce projet de loi, qui constitue pour nous tous un véritable progrès pour l’égalité des droits – ce n’est pas Mme Bariza Khiari qui me contredira ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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