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Discussion générale

  • Patrice Gélard

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)

    M. Patrice Gélard. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ferai quelques remarques préliminaires.
     
    Tout d’abord, le chef de l’État a affirmé, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle, vouloir tenir compte de la volonté de la population et assurer la concertation.


    Mme Christiane Hummel
    . Il a menti !

    M. Patrice Gélard. Où est la concertation lorsque 300 000 à 1 400 000 personnes manifestent dans la rue et qu’on ne les écoute pas ou qu’on ne veut pas les écouter ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Où est la concertation lorsque 700 000 signatures adressées au Conseil économique, social et environnemental sont mises au panier sans être examinées ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC.) Et l’on veut inscrire le caractère social de notre République dans la Constitution, alors que la démonstration est faite que celui-ci n’est nullement pris en compte à la tête de l’État !

    Mme Christiane Hummel. Il n’y a plus de tête !

    M. Patrice Gélard. Ensuite, une étude d’impact est effectivement annexée au projet de loi, mais elle est totalement insuffisante.

    M. Gérard Larcher. C’est vrai !

    M. Patrice Gélard. De plus, elle est orientée : on ne tient compte que des analyses réalisées dans un sens.

    M. Charles Revet. Eh oui !

    M. Bruno Sido. Les dés sont pipés !

    M. Patrice Gélard. Cette étude ne comprend aucune statistique digne de ce nom ou analyse sur les conséquences de l’application du texte. Elle comporte donc beaucoup trop de lacunes et de survols rapides pour être réellement exploitable.
     
    Parlons de l’avis du Conseil d’État.

    M. Gérard Larcher. Oh oui !

    M. Patrice Gélard. Même si nous n’en avons pas eu officiellement connaissance, la presse s’en est fait l’écho. Le projet de loi serait imparfait, incomplet, en particulier concernant les parties du texte relatives à l’adoption, à l’état civil, au nom : autant de motifs d’inconstitutionnalité.
     
    Ces remarques étant faites, j’en viens au mariage, puis j’évoquerai la filiation.
     
    S’agissant du mariage, je vous rappelle que, au moment de l’examen du PACS, j’avais proposé en tant que rapporteur un amendement visant à affirmer que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme en vue de fonder une famille.
     
    Élisabeth Guigou, garde des sceaux,…

    M. David Assouline. Souvenez-vous de Boutin !

    M. Patrice Gélard. … m’avait répondu à l’époque qu’il était totalement inutile d’inscrire cette disposition dans la loi, car cela allait de soi : c’était le sens même du code civil !

    M. Charles Revet. Eh oui !

    M. Patrice Gélard. Je constate que la situation a évolué de façon considérable depuis lors. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
     
    Je rappelle tout de même que la Convention européenne des droits de l’homme, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les pactes de Téhéran affirment tous que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme.

    M. Charles Revet. Bien sûr !

    M. Didier Guillaume. Comme en Angleterre !

    M. Patrice Gélard. Jusqu’à maintenant, cette règle n’a pas été modifiée.
     
    Notre Constitution dispose également que les traités internationaux régulièrement ratifiés ont immédiatement une autorité supérieure à celle des lois. Cela signifie que nous sommes en train de discuter d’un projet de loi qui n’est pas conforme aux traités internationaux auxquels nous sommes parties. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
     
    Même si l’étude d’impact a survolé cette question, il faut savoir que nous avons signé une multitude d’accords internationaux sur le droit de la famille avec nombre d’États, accords qui deviendront caducs si nous adoptons ce projet de loi. Cela reviendra à nier la supériorité des traités par rapport à la loi. Il faudra donc entièrement les revoir.
     
    Mes chers collègues, les encyclopédistes du XVIIIe siècle – Diderot ou d’Alembert –, dont je me suis beaucoup amusé à lire les citations, étaient tous contre le mariage. Il en va de même de Marivaux, et je ne parle pas du marquis de Sade, qui y était naturellement totalement opposé. (Sourires.)
     
    Le mariage, c’est le pire des esclavages, disait Diderot.

    M. François Rebsamen. Comment peut-on dire cela ?

    M. Patrice Gélard. Les socialistes, les anarchistes et les communistes du XIXe siècle disaient la même chose : le mariage, c’est l’exploitation de la femme par l’homme ; c’est la transposition de la dictature de la bourgeoisie ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)

    Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’était vrai à l’époque, mais la société a évolué !

    M. Patrice Gélard. Je suis étonné de voir nos amis à gauche de l’hémicycle défendre aussi ardemment le mariage pour tous, alors que leurs prédécesseurs étaient au contraire pour l’abrogation de cette institution désuète et bourgeoise. (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

    M. Didier Guillaume. C’est l’évolution !

    M. Patrice Gélard. Il est vrai que quatorze ou quinze pays ont, à l’heure actuelle, reconnu le « mariage pour tous » : les cinq États scandinaves, le Portugal, l’Espagne, le Royaume-Uni, mais avec des conditions différentes des nôtres, le Canada, quelques États aux États-Unis et au Brésil, l’Argentine, l’Uruguay depuis hier, et l’Afrique du Sud.

    M. Didier Guillaume. Belle liste !

    M. Patrice Gélard. C’est une belle liste en effet, mais le mariage n’a pas dans ces pays la même signification que chez nous. (Voilà ! sur les travées de l’UMP.) Cela n’est pas dit dans l’étude d’impact !

    Mme Laurence Rossignol. Cette liste compte des pays catholiques !

    M. Patrice Gélard. Ils ne transposent pas le mariage catholique inscrit dans notre droit depuis 1804. D’ailleurs, c’est là où se situe le problème : le droit français a voulu faire du mariage une institution et un contrat solennels. Or, dans les autres pays, le mariage n’a pas ce caractère. Dans les États protestants, le mariage n’a pas du tout la même signification – il peut être dissous dans des conditions différentes des nôtres, par exemple – et les règles applicables à l’adoption ne sont pas les mêmes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

    M. Marc Daunis. L’Espagne et le Portugal, des pays protestants ?

    M. Patrice Gélard. Je rappelle qu’au Portugal on ne peut pas adopter et qu’aux Pays-Bas on ne peut adopter un enfant que si celui-ci a la nationalité de ce pays.
     
    Je le répète, la situation est totalement différente, parce que le mariage n’a pas la même signification que chez nous.

    M. Gérard Longuet. Exact !

    M. Patrice Gélard. Nous ne voulons pas nous opposer à la reconnaissance de droits que ne possèdent pas à l’heure actuelle les couples homosexuels. C’est la raison pour laquelle nous proposerons une union civile qui conférera à ceux qui y recourront les mêmes droits et les mêmes devoirs que les couples hétérosexuels : la pension de réversion, le droit à succession, la solennité de l’union, à la seule exception des conséquences sur la filiation.

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et voilà !

    M. Patrice Gélard. Le système que nous proposons existe en Allemagne et dans d’autres États, qui ont parfaitement compris la différence entre le mariage, institution consacrée par le code civil depuis deux siècles, et l’union civile, qui est identique au mariage mais réservée aux couples homosexuels.
     
    Voilà la façon dont nous envisageons la question du mariage !

    M. David Assouline. Je n’ai rien compris !

    M. Patrice Gélard. C’est bien dommage, mon cher collègue !
     
    Je voudrais maintenant aborder la question de la filiation et de l’adoption.
     
    Nous sommes tous d’accord pour dire qu’un enfant ne peut être conçu que par un homme et une femme. (Oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.) Cependant, nous voyons apparaître une théorie, celle du gender, autrement dit celle du sexe social et non du sexe réel.
     
    En vertu de cette théorie, chacun d’entre nous aurait le droit de choisir son sexe, de devenir homme ou femme.

    Mme Laurence Rossignol. Mais non !

    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est une souffrance pour beaucoup de personnes !

    M. Patrice Gélard. Par ce biais, on veut nous instiller une façon de penser qui est peut-être celle d’un groupe mais qui ne peut en aucun cas être celle de tous.
     
    Le projet de loi veut totalement assimiler le couple homosexuel et le couple hétérosexuel pour ce qui concerne l’adoption.

    M. David Assouline. Encore vingt-quatre minutes à tenir !

    M. Patrice Gélard. Je le dis comme je le pense : nous sommes face à une hypocrisie manifeste !

    M. David Assouline. De quoi parlez-vous ? Du résultat ?

    M. Patrice Gélard. Tel qu’il est conçu, le texte est mal pensé, mal raisonné, incomplet et dangereux dans son application.

    M. Charles Revet. Eh oui !

    M. Patrice Gélard. Que représentait l’adoption à l’origine ? Certains pays la pratiquent encore sous cette forme : il s’agissait d’assurer le culte des ancêtres et le transfert du nom. C’était en particulier le cas à Rome. Ainsi de Jules César, adoptant Brutus ou Octave : dans les deux cas, il agit ainsi pour transmettre son nom, léguer le patrimoine de sa famille et assurer l’entretien des dieux lares. Cette situation se retrouve dans tous les pays d’Asie, où l’adoption a pour but de perpétuer le culte des ancêtres.
     
    En France, l’adoption correspond à deux réalités différentes que l’on a malheureusement un peu perdues de vue, à savoir l’adoption plénière et l’adoption simple.
     
    L’adoption plénière a été créée dans l’intérêt exclusif de l’enfant.

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ça…

    M. Patrice Gélard. À un enfant sans parents, on trouve une famille qui va totalement suppléer son orphelinat en lui donnant un nom, un état civil, une famille et des origines. De fait, l’enfant devient un membre à part entière de la famille qui l’adopte : il a tous les droits et tous les devoirs d’un enfant biologique.

    Mme Catherine Troendle. Eh oui !

    M. Patrice Gélard. En réalité, même si on ne le dit pas officiellement, l’adoption plénière est réservée aux couples stériles. Reste qu’elle est devenue extrêmement difficile en France, pour une raison simple : il n’y a pratiquement pas d’enfants à adopter. À l’heure actuelle, seule une famille candidate sur trois ou quatre peut adopter un enfant selon cette procédure, compte tenu des nombreuses demandes qui sont formulées.
     
    Naturellement, puisque les enfants à adopter en France sont très peu nombreux, on se demande ce que l’on promet en proposant d’étendre l’adoption. Vous nous direz : nous allons nous tourner vers l’étranger. Mais il n’y a pas d’adoption possible à l’étranger non plus !

    M. Gérard Longuet. Exact !

    M. Patrice Gélard. Cette source tend à se tarir. À cet égard, je citerai l’exemple de la Belgique. Vous le savez, ce pays a instauré le mariage homosexuel depuis de nombreuses années. Depuis 2006, il y a eu zéro adoption. Zéro !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est faux !

    M. Patrice Gélard. Et pour cause : il n’y a pas d’enfants à adopter en Belgique ! Il n’y a pas non plus eu d’enfants adoptés en Espagne.
     
    Cette situation finira nécessairement par survenir en France. Pourquoi ? Parce que les pays qui acceptent l’adoption n’acceptent pas l’adoption par les familles homosexuelles.

    M. Bruno Sido. Absolument !

    M. Patrice Gélard. L’Afrique du Sud est l’un des seuls pays à l’accepter, mais elle a déjà fait savoir qu’elle ne tolérera plus l’adoption par les couples homosexuels si le texte dont nous sommes en train de débattre était adopté. Ainsi, les couples homosexuels ne pourront pas adopter des enfants à l’étranger.
     
    C’est la raison pour laquelle le projet de loi est un texte hypocrite : il n’y a pas d’enfants à adopter et, puisqu’il n’y en aura pas, il faudra nécessairement recourir à d’autres moyens. Or ces autres moyens, c’est la PMA ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)

    M. Jean-Claude Gaudin. Voilà !

    M. Patrice Gélard. Comme tant d’autres l’ont déjà dit, nous serons obligés d’accepter la PMA.

    M. François-Noël Buffet. Voilà !

    M. Patrice Gélard. D’ailleurs, ne soyons pas hypocrites, elle existe déjà !

    M. Jacques Mézard. Bien sûr !

    M. Patrice Gélard. La PMA est pratiquée en Belgique, en Espagne et dans d’autres pays. Certaines femmes s’y rendent donc avant de revenir en France avec des enfants qui ont été conçus à l’étranger, en violation de la loi française. Pourtant, notre législation n’est pas si mauvaise que cela : la PMA est réservée aux couples stériles ou à ceux risquant de transmettre une tare génétique.
     
    Ce constat nous impose de réfléchir de nouveau sur cette question, c’est-à-dire de réexaminer le cas de ces enfants, dont nous ne pouvons pas nier l’existence.
     
    Sans aller dans le sens de Mme le garde des sceaux, je rappelle que M. Baudis a tiré la sonnette d’alarme, en tant que Défenseur des droits, sur la situation de quelques enfants sans droits. Issus de la GPA, ces derniers ne sont pas reconnus.

    M. Jean-Michel Baylet. C’est précisément ce que j’ai dit !

    M. Patrice Gélard. Nous devrions nous pencher sur ce sujet, qui soulève un véritable enjeu. Là encore, ce n’est pas l’intérêt des parents qui nous intéresse, mais celui des enfants, que nous devons garder en permanence à l’esprit. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

    M. Jean Bizet. Très bien !

    M. Jean-Michel Baylet. Vous voterez donc notre proposition de loi ?

    M. Patrice Gélard. Je le répète, l’adoption plénière revient à créer une famille pour un enfant qui n’en a pas. C’est couper entièrement ce dernier de ses origines, qu’il n’aura donc pas à retrouver.
     
    L’adoption simple est d’une tout autre nature. Je rappelle qu’elle était extrêmement répandue en France jusqu’à la guerre de 1914.

    M. Gérard Longuet. Oui !

    M. Patrice Gélard. Ce système vise à permettre la transmission du patrimoine, notamment de ce patrimoine affectif que peut constituer un nom ou un titre de noblesse. En effet, l’adoption simple était souvent employée par l’aristocratie. Or le fisc a jugé que, l’adoption simple n’impliquant aucun sentiment, on pouvait taper dessus sur le plan fiscal.

    M. Bruno Sido. Le fisc n’a vraiment pas de morale !

    M. Patrice Gélard. Ainsi, l’adoption simple fait l’objet d’un désengagement, car elle n’est pas fiscalement intéressante : lors de la succession, l’héritier adopté doit acquitter une forte somme. Il n’est absolument pas assimilé à un enfant comme les autres, dans la mesure où il n’est pas soumis aux mêmes règles fiscales. À mon sens, il s’agit là d’une violation de la loi.
     
    Pourtant, l’adoption simple a son utilité : grâce à elle, un certain nombre de couples homosexuels ont pu disposer d’une double parenté. Grâce à elle, certaines femmes ont pu adopter l’enfant de leur conjointe. Ces cas sont peu nombreux, c’est vrai, mais ils existent. Reste un inconvénient : normalement, l’autorité parentale passe alors à l’adoptant. Or on n’a pas prévu les conséquences de cette adoption simple si elle devait se généraliser.
     
    Il devient nécessaire de repenser l’ensemble de notre système d’adoption. À ce titre, je citerai un exemple que je connais bien, celui d’amis intimes de mes enfants. L’un est homosexuel et vit en couple avec un autre homme. L’autre est homosexuelle et vit en couple avec une autre femme. Tous deux ont eu ensemble un enfant, aujourd’hui âgé de huit ans, conçu par insémination artificielle.
     
    Résultat : cet enfant a deux pères et deux mères. Les deux conjoints sont venus me voir en me disant qu’ils souhaitaient l’adopter. Au reste, l’enfant vit en régime de garde partagée entre le père et la mère, qui résident non loin l’un de l’autre. Il n’y a pas de problème de ce côté-là. Néanmoins, ce système n’est pas envisageable, même en vertu du présent texte : cet enfant a un père et une mère génétiques, et une adoption n’est donc pas possible.

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Et alors ?

    M. Patrice Gélard. Cet exemple illustre la profonde inégalité qu’engendre le projet de loi, ce qui soulève à mes yeux un problème d’inconstitutionnalité. En effet, le présent texte distinguerait au moins trois catégories d’enfants concernant l’adoption par les couples homosexuels.

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !

    M. Patrice Gélard. Premièrement, ceux qui pourront faire l’objet d’une adoption plénière : ces cas sont peu fréquents, mais on en comptera tout de même quelques-uns. Deuxièmement, ceux qui ne pourront faire l’objet que d’une adoption simple. Troisièmement, ceux qui ne pourront faire l’objet d’aucune adoption, parce qu’ils auront deux géniteurs.
     
    Ce constat me conduit à l’inconstitutionnalité majeure que présente l’ensemble de ce texte.

    M. Jacky Le Menn. Ah ?

    M. Patrice Gélard. Je le répète, le principe d’égalité est rompu pour ce qui concerne l’adoption, avec toute une série de conséquences juridiques que mon propos vous a permis d’entrevoir.
     
    De plus – le doyen Capitant l’aurait affirmé avec encore plus de force que moi –, la loi régissant le mariage n’est pas une loi parmi d’autres. Elle fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Par conséquent, elle a valeur constitutionnelle.
     
    Certes, on peut remettre en cause le mariage, mais uniquement en vertu de la Constitution. C’est ce qui s’est passé en Espagne. Il y a environ deux mois, la Cour constitutionnelle espagnole a rendu un arrêt sur la constitutionnalité du mariage homosexuel.

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Tout à fait, et positivement !

    M. Patrice Gélard. Elle a jugé que le mariage pouvait être modifié, étant donné que la Constitution avait prévu cette éventualité, par son article 32.
     
    Toutefois, ce n’est pas le cas chez nous. En France, il s’agit d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis deux siècles, on n’a pas touché à la définition du mariage que j’ai citée il y a quelques instants, à savoir l’union d’un homme et d’une femme en vue de créer une famille. La pérennité et la constance de cette institution lui confèrent dès lors une valeur constitutionnelle.
     
    Cette question relève de ce que le doyen Duguit appelait la constitution sociale de la France, à laquelle on ne peut pas porter atteinte, sauf à modifier véritablement le contrat social qui nous unit tous et dont relève le mariage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

    M. Éric Doligé. Bravo !

    M. Patrice Gélard. J’irai même plus loin : l’article 34 de la Constitution indique-t-il que le législateur a le droit de toucher au mariage ? Pas du tout ! Cet article implique que le législateur fixe les règles relatives non au mariage mais aux régimes matrimoniaux, et seulement à ces derniers. Cela signifie-t-il que le Gouvernement, doté du pouvoir réglementaire, est habilité à y toucher ? Bien sûr que non !
     
    Par conséquent, ce domaine relève bel et bien du droit constitutionnel. Le jour où le constituant affirmera que le législateur peut toucher au mariage, nous corrigerons l’adage anglais selon lequel le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme. Nous pourrons dire : le Parlement peut tout faire, y compris changer un homme en femme ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
     
    Enfin, je veux insister sur quelques lacunes que présente le texte.
     
    Lors du débat relatif au PACS – Jean-Pierre Michel était rapporteur du texte de loi à l’Assemblée nationale alors que je l’étais au Sénat –, nous avions soulevé, auprès de Mme le garde des sceaux de l’époque, un problème qui n’est pas encore résolu d’une manière totalement satisfaisante. Il s’agit des droits des beaux-parents, des ascendants et de tous ceux qui ont participé à l’éducation, à l’encadrement et à la formation des enfants.
     
    Là encore, c’est l’intérêt général de l’enfant que nous visons, et rien d’autre. Las, nous n’avons toujours pas adopté de texte en la matière. Je sais que notre rapporteur a déposé un amendement sur cette question, mais cela ne suffit pas. Il faut aller plus loin et faire en sorte que ceux qui se sont véritablement consacrés au développement d’un enfant puissent avoir des droits que la législation actuelle ne reconnaît pas.
     
    Voilà un des éléments sur lesquels il me semblait nécessaire d’appeler l’attention.
     
    Je voudrais évoquer également une autre idée. Durant la présidence de François Mitterrand, une institution qui datait de la Révolution française a été remise au goût du jour : le parrainage civil, qui contient des dispositions intéressantes. Le parrain ou la marraine s’engagent à suppléer les parents s’ils venaient à défaillir.

    M. Henri de Raincourt. Exact !

    M. Patrice Gélard. Nous pourrions utiliser un peu plus ce parrainage civil afin de répondre à ce besoin de lien avec l’enfant qu’ont les conjoints dans un couple homosexuel ou, éventuellement, dans un couple hétérosexuel.

    M. David Assouline. Quel est le rapport avec le texte ?

    M. François Rebsamen. J’ai perdu le fil…

    M. Patrice Gélard. Voilà quelques pistes sur lesquelles nous devons nous engager.
     
    Ainsi, il apparaît que, dans ce texte, tout ce qui concerne l’adoption ou la délégation de l’autorité parentale n’est pas au point et doit être revu. En outre, le statut des parrains et des marraines dans le parrainage civil doit être repensé.

    M. David Assouline. Mais vous n’en célébrez jamais !

    M. Patrice Gélard. Ce sont là des pistes à explorer.
     
    En conclusion, notre point de vue est simple : nous sommes favorables à l’union civile ainsi qu’à une simplification de l’adoption simple, mais nous refusons de faciliter l’adoption plénière, qui ne peut être appliquée en l’espèce. En conséquence, nous proposerons des amendements concernant ces deux points. S’ils venaient à être rejetés…

    M. David Assouline. Vous voterez contre ?

    M. Patrice Gélard. … nous serons contraints de voter contre l’ensemble du texte.

    M. David Assouline. Quelle surprise !

    M. Patrice Gélard. Mais, avant d’en arriver là, nous allons défendre trois motions de procédure.
     
    Nous avons déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, parce que nous sommes convaincus que ce texte contient beaucoup de motifs d’inconstitutionnalité.
     
    Nous soutiendrons également une motion tendant au renvoi à la commission. En effet, comme nous l’avons démontré, un certain nombre de points de ce texte sont encore obscurs. Sans entrer dans le détail, on pourrait par exemple évoquer la question de l’état civil, qui risque d’infliger à la plupart des maires de violentes migraines. Le dépôt de cette motion est pleinement justifié, car ce texte est incomplet.

    M. Bruno Sido. Il est bâclé !

    M. Patrice Gélard. Enfin, nous présenterons une motion tendant à opposer la question préalable. Nous estimons en effet que la concertation nécessaire n’a pas eu lieu et qu’il est toujours temps de la reprendre ! (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent longuement. – Plusieurs membres de l’UDI-UC applaudissent également.)
  • Nicole Bonnefoy

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

    Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de fierté et d’honneur que je prends la parole aujourd’hui, dans cet hémicycle, pour apporter mon soutien à un projet de loi de grande portée, qui permet de franchir une nouvelle étape vers l’égalité des citoyens en France.

    M. Jacky Le Menn. Bravo !

    Mme Nicole Bonnefoy. Ce texte est l’aboutissement d’un long processus de lutte contre les discriminations qui marquera l’histoire du droit de la famille. (M. Jacky Le Menn acquiesce.) Il constitue, à ce titre, une avancée sociale majeure pour notre pays, similaire à celles que nous avons connues avec le PACS ou l’IVG.
     
    Avant d’aborder le fond du texte, je souhaite remercier l’ensemble des sénateurs qui ont participé ces derniers mois à la préparation de son examen au Sénat. Je tiens à saluer plus particulièrement le rapporteur Jean-Pierre Michel pour la qualité et le sérieux de son travail. (M. François Rebsamen acquiesce.)
     
    Nous pouvons nous féliciter du climat serein dans lequel nos travaux se sont déroulés jusqu’à maintenant, dans le respect des opinions de chacun…

    Mme Sophie Primas. C’est vrai !

    Mme Nicole Bonnefoy. … et le souci de la pluralité, comme le démontre la diversité des personnes entendues durant la cinquantaine d’auditions que nous avons menées. Nous avons su éviter certains débordements et les propos regrettables entendus à l’Assemblée nationale, qui sont parfois repris lors de diverses manifestations.
     
    À ce sujet, je ne peux passer sous silence les menaces et les insultes dont certains de nos collègues sont victimes, au prétexte qu’ils soutiendraient ce texte. Au nom du groupe socialiste, je veux dénoncer ici ces méthodes d’intimidation inacceptables (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) et assurer nos collègues de notre indignation en saluant leur courage, au nom de la liberté d’expression et du respect des opinions.

    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bravo !

    M. François Rebsamen. Très bien !

    Mme Nicole Bonnefoy. J’espère que l’attitude des sénateurs restera responsable tout au long de nos débats. Je crois en effet qu’il est tout à l’honneur du Sénat de se montrer digne de l’enjeu de ce débat, au moins par respect pour les milliers de Français concernés.
     
    Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe poursuit un but simple mais fondamental : il s’agit de reconnaître des droits essentiels à des milliers de Français qui, du fait de leur orientation sexuelle, s’en voient encore aujourd’hui privés.
     
    Cette volonté, exprimée par le Président de la République dès le début de sa campagne en janvier 2011, n’est pas le fruit du hasard. Elle ne résulte pas d’une volonté soudaine, d’un engagement irréfléchi ou électoraliste, comme certains voudraient le laisser penser. Non ! Elle s’inscrit dans la continuité et vient prolonger une évolution naturelle de l’institution du mariage vers l’égalité entre les couples. Car si cette institution semble traverser le temps, son visage s’est transformé !
     
    En effet, le mariage fait l’objet de réformes en France depuis des décennies. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle en particulier, le législateur s’est toujours attaché à faire évoluer le mariage en phase avec son temps et conformément aux attentes de la société. Le législateur a ainsi reconnu toujours davantage de droits et de libertés individuelles, dans un souci constant d’égalité entre les citoyens. Je pense que nous pouvons en être fiers !
     
    Pourtant, force est de constater que toutes les grandes évolutions sociétales, particulièrement en ce qui concerne le droit de la famille, se sont heurtées à des oppositions. Du PACS à l’IVG, en passant par le droit des femmes et celui des enfants, les grands progrès en termes de liberté et d’égalité sociale ne sont jamais advenus sans une certaine douleur. Nous n’y échappons pas aujourd’hui ! En leurs temps, ces réformes ont été très fortement décriées. Elles ont pourtant pris toute leur place dans notre société et peu nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, se risqueraient à vouloir les remettre en cause !
     
    Nous le savons, le temps est souvent l’allié des grandes réformes de société. C’est pourquoi, à titre personnel, je ne suis pas inquiète des réticences et des craintes exprimées aujourd’hui par certains. Dans quelques années, le mariage homosexuel sera une évidence et personne, j’en suis intimement convaincue, ne reviendra sur cette avancée sociale.

    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est évident !

    Mme Nicole Bonnefoy. J’en veux pour preuve l’exemple du PACS. Il a fallu près de dix ans pour le faire voter. Critiqué, honni même, lors de son examen au Parlement, il n’a pourtant, depuis son adoption, jamais été remis en cause. Certains de ses détracteurs d’antan en sont même aujourd’hui devenus des soutiens inconditionnels au point de demander la création d’un PACS bis ou d’un mariage bis, avec l’union civile.

    M. Jacques Mézard. Eh oui !

    Mme Nicole Bonnefoy. Je me suis replongée dans les débats parlementaires qui avaient accompagné l’adoption du PACS. J’y ai retrouvé les mêmes arguments, les mêmes craintes, le même conservatisme d’une partie de la société, identiques à ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.

    M. François Rebsamen. Exactement !

    Mme Nicole Bonnefoy. Nous entendions alors que le PACS constituerait une atteinte aux droits de l’enfant, qu’il fragiliserait la famille et l’institution du mariage. Certains sont même allés jusqu’à dire que le PACS bouleverserait les fondements de notre droit et de notre société, sous les applaudissements de leurs collègues d’alors.

    M. Ronan Kerdraon. Comme tout à l’heure !

    Mme Nicole Bonnefoy. Dix ans après, qu’en est-il de ces craintes ? Il n’en reste rien ! Il est désormais établi et reconnu par tous que le PACS est un réel succès.
     
    Dans ces débats, j’ai retrouvé des arguments refusant au Parlement toute légitimité à conduire une telle réforme. Le Gouvernement aurait privé le peuple d’un débat en lui retirant son pouvoir d’expression. Nous nous serions alors trouvés devant un déni de démocratie intolérable… Nous entendons encore aujourd’hui de tels propos.

    M. François Rebsamen. On vient tout juste de les entendre !

    Mme Nicole Bonnefoy. Pourtant, les Français ont donné mandat à François Hollande pour présider notre pays durant les cinq années à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

    Mme Catherine Troendle. Et ils le regrettent !

    Mme Nicole Bonnefoy. Ils ont donc majoritairement donné leur accord pour que son programme soit appliqué. Le mariage pour les couples de même sexe figurait bien dans ce programme, ce projet n’a donc jamais été un secret !
     
    À ceux qui demandent l’organisation d’un référendum, ce qui est impossible au regard de l’article 11 de la Constitution, je réponds que le référendum a déjà eu lieu, le 6 mai dernier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. ― Exclamations sur les travées de l’UMP.)
     
    Ce texte ne souffre donc d’aucune illégitimité. Le Gouvernement n’a nullement privé la société d’un débat !
     
    Je tiens à rappeler également que ce projet de loi a été présenté en Conseil des ministres dès le 7 novembre dernier, soit il y a près de cinq mois. Ensuite, au Sénat comme à l’Assemblée nationale, les rapporteurs ont mené des dizaines d’heures d’auditions, donnant la parole à des représentants de la société civile de toutes sensibilités. Il est donc parfaitement infondé de prétendre que le Gouvernement aurait agi en catimini ou dans la précipitation.
     
    J’en viens maintenant au fond de cette réforme. Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe est avant tout un texte d’égalité et de progrès social qui vient apporter une réponse juridique à une réalité sociale établie. Depuis une cinquantaine d’années, le visage de la famille française a profondément changé. Aujourd’hui, des milliers d’hommes et de femmes vivent en couple, payent des impôts,…

    M. Pierre Charon. De plus en plus !

    Mme Nicole Bonnefoy. … élèvent des enfants, sont parfaitement intégrés dans notre société, sans pour autant être mariés, pacsés, hétérosexuels ou fervents pratiquants d’un culte.
     
    Cette réalité est incontestable. Pourtant, nous avons le sentiment que certains refusent de la voir, voire en viennent à la nier. La famille d’aujourd’hui, ce n’est pas une maman, un papa, un mariage et deux enfants. (Si ! sur les travées de l’UMP.) Cette conception idéalisée du couple est totalement dépassée et ne correspond en rien à ce qu’est actuellement la réalité sociologique des familles. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
     
    Est-il nécessaire de rappeler que le nombre de familles monoparentales et recomposées ne cesse d’augmenter ? Que le nombre de divorce a explosé ? (Et alors ? sur les travées de l’UMP.) Que le nombre de PACS est en hausse constante depuis dix ans et représente aujourd’hui près d’une union sur deux ? Que plus de la moitié des enfants naissent en dehors du mariage ? Il n’y a pas de famille standard, ne vous en déplaise, qui viendrait à elle seule incarner ce que devrait être notre société !
     
    Aussi, je comprends que beaucoup de familles se soient senties blessées et offensées par les propos tenus ces derniers mois sur ce que devrait être la famille. La société a changé et changera encore. Elle est en perpétuelle évolution, c’est dans sa nature. La famille n’est pas une institution figée et ne peut être régie par une loi immuable !

    M. Alain Chatillon. Si !

    Mme Nicole Bonnefoy. Non ! Nous devons vivre avec notre temps, accompagner les mutations sociales et sociétales en respectant toujours les principes fondamentaux qui constituent notre pacte républicain : la liberté, l’égalité, la laïcité, le respect de la dignité des personnes.

    Mme Catherine Tasca. Bravo !

    Mme Nicole Bonnefoy. C’est cette impérieuse nécessité qui amène le Gouvernement à proposer aujourd’hui à la représentation nationale l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ces couples aspirent depuis de nombreuses années à pouvoir se marier. Leur reconnaître aujourd’hui cette possibilité, tant sur le plan institutionnel que juridique, est une étape supplémentaire vers l’acceptation sociale de l’homosexualité et constitue, par là même, une avancée majeure dans la lutte contre les discriminations.

    Mme Laurence Rossignol. Très bien !

    Mme Nicole Bonnefoy. En effet, si le regard de la société a commencé à changer sur l’homosexualité, le chemin à parcourir reste malheureusement encore long. Le temps où l’homosexualité était considérée comme une maladie, une pathologie psychiatrique ou une déviance n’est pas si éloigné. Gardons toujours cela à l’esprit !
     
    II est de notre devoir, en tant que législateurs et représentants du peuple, d’offrir à tous les Français non seulement les mêmes droits, mais aussi les mêmes devoirs, quelle que soit leur orientation sexuelle, dans le respect des principes fondamentaux qui régissent notre société. Regardons nos voisins européens. Sept d’entre eux ont déjà franchi le pas en accordant le mariage aux couples homosexuels !

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais ce n’est pas comparable !

    Mme Nicole Bonnefoy. Les Pays-Bas l’ont fait dès 2001, la Belgique en 2003, l’Espagne en 2005, la Suède en 2009, le Portugal en 2010, le Danemark en 2012 et la Grande-Bretagne cette année !

    Mme Christiane Hummel. On l’a déjà dit !

    Mme Nicole Bonnefoy. Nombreux aussi sont ceux, dont l’Allemagne, à avoir reconnu, sous des formes diverses, l’adoption par des couples de même sexe.

    M. Alain Gournac. Sous des formes diverses, en effet !

    Mme Nicole Bonnefoy. Ces sociétés s’en portent-elles plus mal ? La famille belge ou danoise a-t-elle volé en éclat ? Les enfants portugais ou suédois sont-ils plus malheureux qu’avant ? Bien sûr que non !
     
    Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’enlève rien à personne. Il ne s’agit pas de remplacer un modèle par un autre. Ce texte ne remet pas en cause l’institution du mariage pour les couples hétérosexuels. Il ne s’agit pas non plus d’ouvrir le mariage à tous, comme nous sommes parfois amenés à le dire par excès de langage. Les règles actuelles de fond et de forme qui le régissent sont maintenues : conditions d’âge, de consentement, d’empêchements quant aux liens de parenté…
     
    Non, il s’agit ici de conférer une sécurité juridique, non seulement à travers des droits mais aussi des devoirs, à tous les couples, sans distinction de sexe ou d’orientation sexuelle.
     
    Je veux aussi rappeler que le mariage n’est pas un acte religieux en France. C’est un acte d’état civil qui vise, par un ensemble de règles juridiques, à faciliter et à régler les éventuels problèmes liés à la vie de couple. Je parle autant ici du droit à la succession que de la filiation ou du divorce.
     
    À ceux qui disent que la finalité du mariage réside dans la procréation, j’aimerais demander comment ils considèrent les couples stériles, les couples de personnes âgées ou ceux qui ne désirent pas avoir d’enfants.

    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Eh oui !

    Mme Nicole Bonnefoy. Faut-il leur interdire également l’accès au mariage ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
     
    À ceux qui disent qu’un enfant doit absolument avoir un papa et une maman, …

    Plusieurs sénateurs de l’UMP. Oui !

    Mme Nicole Bonnefoy. … j’aimerais demander comment ils jugent les mères, dont je suis, ou les pères qui élèvent seuls leurs enfants ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

    M. Charles Revet. Ils n’ont pas d’autre choix !

    Mme Nicole Bonnefoy. Nous voyons bien là toutes les limites d’un raisonnement dogmatique d’un autre temps.
     
    Comment pouvons-nous aujourd’hui priver des milliers de nos concitoyens et, par la même occasion, des milliers d’enfants de la sécurité juridique offerte par le mariage ? Cessons l’hypocrisie en la matière !
     
    Aujourd’hui, 200 000 personnes se déclarent en couple de même sexe et entre 20 000 et 40 000 enfants, voire 250 000…

    M. Gérard Longuet. N’importe quoi !

    Mme Nicole Bonnefoy. … selon certaines associations, sont élevés par un couple homosexuel. L’État ne peut donc pas décemment rester aveugle et muet devant une telle situation. Il est inconcevable de priver ces personnes de la reconnaissance légale que leur procurerait le mariage. Ces familles ont droit à la protection de la loi ! Il y va de l’intérêt des mariés, avec tous les droits que procure le mariage, mais aussi de l’intérêt des enfants.
     
    Il est, par exemple, impensable de laisser l’un des deux parents sans aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève. C’est pourquoi il faut autoriser l’adoption de l’enfant du conjoint. Or seul le mariage rend cette procédure possible.
     
    Par ailleurs, établir la filiation de l’enfant avec ceux qui l’élèvent permettra de le protéger face aux aléas de la vie et lui ouvrira des droits, notamment en matière successorale.
     
    En dépit de ce qui peut être dit, le projet de loi est donc bien une réforme dans l’intérêt de l’enfant.
     
    À ce propos, aucune étude sérieuse – je dis bien aucune ! – n’a démontré, je le rappelle avec force, qu’élever un enfant au sein d’une famille homoparentale comportait des risques particuliers pour l’enfant, que ce soit d’un point de vue psychique ou social.

    Mme Catherine Troendle. Si !

    Mme Nicole Bonnefoy. C’est bien plus le regard des autres qui pose problème à ces enfants que l’homosexualité de leurs parents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
     
    Lors des auditions auxquelles a procédé la commission, la présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille a confirmé que les juges des enfants ne faisaient pas état de signalements particuliers sur ces enfants. La raison en est simple : l’éducation donnée à un enfant n’est liée ni au sexe de ses parents ni à leur orientation sexuelle ; c’est avant tout une question d’individus. Il y aura autant de bons ou de mauvais parents chez les homosexuels que chez les hétérosexuels.

    M. Henri de Raincourt. Platitudes !

    Mme Nicole Bonnefoy. Je pense que notre histoire a largement démontré qu’être élevé dans une famille hétérosexuelle n’était pas un gage de stabilité psychique ou d’environnement social serein.
     
    En ce sens, il semble difficilement concevable de priver un couple homosexuel marié d’un droit à l’adoption, alors même que celui-ci existe pour les couples hétérosexuels et les célibataires.
     
    Mais il ne s’agit pas non plus, au travers de ce projet de loi, de laisser croire que les couples homosexuels pourront adopter systématiquement et facilement.

    Mme Christiane Hummel. Votre temps de parole est fini !

    Mme Nicole Bonnefoy. Ils devront remplir les mêmes critères que les couples hétérosexuels. À cet égard, il faut savoir que, en France, 27 000 couples sont déjà dans l’attente d’une adoption.
     
    Finalement, et même si cela a été répété à maintes reprises, ce texte n’ouvre en aucune façon le droit à la PMA de complaisance ou à la GPA. (Mais si ! sur les travées de l’UMP.)

    M. Pierre Charon. Monsieur le président, c’est fini !

    Mme Nicole Bonnefoy. Pour ce qui concerne la PMA, le Comité consultatif national d’éthique rendra un avis, …

    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quand ?

    Mme Nicole Bonnefoy. … avant la fin de l’année, qui sera pris en compte par le Gouvernement.
     
    Pour ce qui concerne la GPA, l’article 16-1 du code civil, qui pose le principe de l’indisponibilité du corps humain, demeure.

    M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

    Mme Nicole Bonnefoy. Le Président de la République et Mme la garde des sceaux ont rappelé à plusieurs reprises qu’ils n’avaient aucunement l’intention de revenir sur ce principe fondamental.
     
    En somme, le périmètre du projet de loi que nous examinons se limite exclusivement – et doit se limiter – au mariage et à l’adoption conjointe aux couples de personnes de même sexe.
     
    Avant de conclure mon propos (Exclamations sur les travées de l’UMP.), …

    M. le président. Il vous faut conclure maintenant, ma chère collègue !

    Mme Nicole Bonnefoy. En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat apportera son soutien plein et inconditionnel au projet de loi (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.), qui s’inscrit dans l’histoire des grandes avancées sociales de notre pays.
     
    Comme le disait Montesquieu, « une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste ». (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialistes se lèvent et applaudissent longuement. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que certains membres du RDSE, applaudissent également. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
  • Catherine Tasca

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

    Mme Catherine Tasca. Madame la garde des sceaux, vous avez magistralement retracé à l’Assemblée nationale l’histoire du mariage civil, que vous avez qualifié de « conquête […] de la République ». Une conquête, disiez-vous, emportée dans un mouvement général de laïcisation de la société. Vous avez eu également raison d’évoquer le long et difficile chemin des femmes pour trouver leur place dans l’institution du mariage.
     
    Aujourd’hui – c’est l’honneur du Gouvernement ! –, nous avons la faculté d’ouvrir le mariage civil aux personnes de même sexe.
     
    En quatre décennies, la société française a changé profondément son regard sur l’homosexualité.
     
    Le premier pas sur le chemin de la reconnaissance fut franchi avec la loi du 4 août 1982 dépénalisant les relations homosexuelles. Le deuxième pas fut fait en 1999 avec l’adoption du PACS, qui donna lieu à des annonces catastrophistes, à l’agitation de toutes les peurs et à un débat assez semblable à celui que nous vivons aujourd’hui. Le troisième pas qui nous reste à franchir, c’est l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. J’espère que le Sénat, fidèle à sa tradition, mettra plus de raison que de passion dans ce débat.
     
    Avec le PACS, nous avons eu l’acceptation de la différence, ce qui a permis aux homosexuels de sortir du silence, du mensonge, de la peur et de vivre légalement, au grand jour, leurs unions.
     
    La sexualité est une dimension de la vie humaine où subsistent trop de zones d’ombre, trop de tromperies et de dissimulations, sources de multiples souffrances. C’est toute la société, tout le vivre-ensemble familial et social qui en pâtit.
     
    Trop longtemps, l’homosexualité a été vécue comme une exclusion. Trop de jeunes la portent encore comme une faiblesse inavouable, jusqu’à en mourir parfois. Le PACS a ouvert une fenêtre, en permettant, enfin, de dire cette réalité. De fait, ce sont les couples hétérosexuels qui, très majoritairement, se sont approprié ce nouveau type de contrat, alors même qu’ils ont toute liberté de choisir le mariage. C’est bien le signe que nos contemporains ont une vision très diversifiée de la vie commune et ne se réfèrent pas forcément à l’institution du mariage.
     
    Ce qui menace la stabilité des couples, ce n’est pas la création du mariage pour tous, mais ce sont notre individualisme, nos impatiences, les aléas de la vie moderne.
     
    La famille est la première à subir les conséquences du stress au travail, du chômage, de la pauvreté, du mal-logement. Depuis bien longtemps, les mariages se font et se défont. Le « modèle » de la famille unie par le mariage a volé en éclats et ledit « mariage pour tous » n’y est absolument pour rien. De plus en plus d’enfants vivent dans des foyers homosexuels. Comment notre société civile pourrait-elle ignorer cette réalité, la nier, lui refuser une normalisation légale ?

    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien !

    Mme Catherine Tasca. Notre République n’est pas responsable des sentiments, ni de l’orientation sexuelle des individus, ni encore du choix de vie de chacun, mais elle doit donner à tous les couples le cadre juridique adéquat pour assumer leur engagement et leur pleine responsabilité à l’égard du partenaire et de l’enfant, ce que le PACS ne permet pas. Ce sont d’ailleurs ceux-là mêmes qui combattaient le PACS il y a quatorze ans qui réclament aujourd’hui son amélioration ou la création d’un nouveau contrat d’union civile. Que ne l’ont-ils fait pendant la décennie durant laquelle ils étaient au pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

    MM. François Rebsamen et Jacques Mézard. Eh oui !

    Mme Catherine Tasca. Le temps est venu de donner à tous les couples le cadre légal non discriminatoire auquel ils aspirent. Nous devons passer de la reconnaissance de la différence, avec le PACS, à l’acceptation de l’intégration réelle, avec le mariage.
     
    À mes yeux, il s’agit non pas seulement d’une quête d’égalité, mais aussi d’un principe de réalité et de respect de la dignité de tous. C’est l’ouverture d’une nouvelle liberté.
     
    L’avenir dira si de nombreux couples homosexuels se saisiront de cette faculté ou si beaucoup d’entre eux continuent de se satisfaire de l’union libre ou du PACS. Au moins, aurons-nous levé une hypocrisie et une ultime barrière à une réelle liberté de choix.
     
    Regardons ce qu’apporte le mariage civil, dont, curieusement, nos concitoyens ignorent bien souvent les conséquences juridiques. Ce n’est pas seulement la proclamation d’un amour, dont nous savons qu’il peut être précaire ; c’est la volonté d’un engagement durable et responsable. Là est notre responsabilité de législateur d’une République laïque. Laissons à chacun la liberté de faire consacrer ce lien du mariage par une Église, mais ne confondons pas ces deux engagements.

    M. Jacques Mézard. Très bien !

    Mme Catherine Tasca. De toutes les formes d’union, le mariage est celle qui assure au mieux aux partenaires le partage des droits et obligations, qui assure le sort de celui qui reste en cas de décès de l’un d’entre eux et qui assure un règlement équitable en cas de séparation.
     
    Quant aux enfants, leur place au sein des familles de plus en plus diverses et mouvantes pose de très nombreuses et difficiles questions à propos des droits de chacun des parents certes, mais plus encore à propos de leurs devoirs et obligations à l’égard de l’enfant et des droits de celui-ci.
     
    C’est à toutes ces questions que le projet de loi que nous examinons veut répondre, avec la préoccupation prioritaire de l’intérêt de l’enfant, pour être fidèle à la Convention internationale des droits de l’enfant.
     
    Si l’on considère – et je le considère – que la protection de l’enfant est l’objectif majeur, alors on ne peut laisser perdurer l’inégalité de traitement qui frappe les milliers d’enfants vivant avec des parents homosexuels. Leur filiation n’est reconnue qu’à l’égard de l’un des deux parents, que ce soit par filiation biologique ou par filiation adoptive. Ces familles sont de facto dans une situation d’insécurité juridique, psychologique et affective, le second parent n’ayant aucun droit à l’égard de l’enfant en cas de disparition du parent légal ou de séparation du couple. C’est à cette insécurité que le projet de loi mettra fin. L’essentiel est que l’enfant ait une famille solide, responsable et aimante pour l’accompagner dans son développement. Si le projet de loi aboutit comme nous le souhaitons, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra d’instaurer une véritable égalité entre tous les couples, en termes de droits et de devoirs.
     
    On constate que le PACS a vu son régime juridique se rapprocher encore un peu plus de celui du mariage, avec la loi du 23 juin 2006, mais des différences notables subsistent, sur lesquelles je ne reviendrai pas dans la mesure où elles ont déjà été évoquées.
     
    Le mariage permet de pallier l’insécurité juridique du conjoint survivant en cas de décès de l’un des époux, en lui permettant de bénéficier d’une pension de réversion ou d’une allocation veuvage selon les situations. En termes de droits de succession, l’époux survivant est l’héritier légal, ce qui n’est pas le cas du partenaire lié par un PACS.
     
    Enfin – ce n’est pas une considération secondaire –, l’époux est considéré comme le plus proche parent de l’autre pour les questions liées aux soins médicaux.
     
    Le changement décisif apporté par ce texte réside dans son article 1er, qui établit, enfin, une véritable égalité entre tous les couples, en introduisant un article 143 dans le code civil, qui précise, pour la première fois, de manière explicite, la nature du mariage. Le mariage est non plus implicitement un contrat conclu entre un homme et une femme, mais est désormais explicitement « contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».
     
    L’égalité des droits est particulièrement importante pour ce qui concerne l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. L’article 343 du code civil dispose que « l’adoption peut être demandée par deux époux ». La possibilité pour les couples homosexuels de se marier leur ouvre dès lors le droit à l’adoption.
     
    Le droit de l’adoption repose sur le principe fondamental du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Non seulement cette considération juridique résulte de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, mais elle est inscrite dans notre droit national. Ainsi, l’article 371-1 du code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ».
     
    Alors oui, nous allons permettre aux couples homosexuels d’adopter ! Oui, nous allons permettre à deux parents de même sexe d’exercer l’autorité parentale en commun ! Au-delà du désir de parentalité, l’exercice de cette autorité a pour finalité l’intérêt de l’enfant.
     
    Le travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, et les auditions très larges qu’il a menées ont eu le mérite de mettre en lumière la nécessité absolue de bien traduire ce qu’on appelle aujourd’hui – et pour demain – « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cette nécessité devra nous guider lors de l’examen de la future loi sur la famille.
     
    Les futurs mariés de même sexe pourront adopter conjointement, dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Aujourd’hui, une personne vivant avec un partenaire de même sexe doit adopter seule. Dans les faits, selon les départements, cette personne doit souvent dissimuler sa situation familiale afin d’obtenir l’agrément. Est-ce bien l’intérêt de l’enfant ?
     
    Nous savons que les possibilités d’adoption seront assez restreintes du fait du nombre d’enfants adoptables, très inférieur à celui des demandeurs. L’adoption de l’enfant du conjoint sera sans doute le cas le plus fréquent. Les milliers d’enfants vivant déjà dans une famille homoparentale vont enfin voir leur situation reconnue et protégée.
     
    Aujourd’hui, les parents de même sexe doivent utiliser des moyens subsidiaires pour exercer une autorité parentale commune, à travers les procédures de délégation et de délégation-partage, qui, toutes, dépendent de la décision du juge. Avec ces mécanismes de délégation subsiste donc une certaine insécurité juridique, notamment en cas de séparation du couple.
     
    En cas de décès du parent légal, le parent social redevient, en droit, un étranger vis-à-vis de l’enfant. Est-ce bien l’avenir que nous souhaitons préparer à ces enfants ? La possibilité d’adopter l’enfant du conjoint va permettre d’apporter une solution juridique sécurisante à ces enfants dont la vie peut très rapidement basculer en cas de survenance d’un événement dramatique, tel qu’une séparation ou un décès.
     
    Quant à la filiation, il faut rappeler à ceux qui prétendent que l’on mentirait à un enfant en lui disant qu’il a été conçu par deux pères ou par deux mères, que l’adoption simple laisse la mention de la filiation d’origine sur l’acte de naissance de l’enfant et que, en cas d’adoption plénière, la référence du jugement d’adoption figure toujours sur cet acte de naissance. La nature adoptive de la filiation n’est pas cachée à l’enfant. La filiation ne repose donc pas sur un mensonge.
     
    Le droit d’accès aux origines devra sans doute faire l’objet d’une évolution, mais nous avons d’ores et déjà rompu avec le modèle strictement procréatif, en permettant à une personne seule d’adopter de façon plénière, et donc de voir une filiation établie à l’égard d’un seul parent. On peut compter sur le bon sens des enfants pour que, très jeunes, ils voient clairement, grâce à leur environnement, qu’ils ne sont pas « nés » de deux hommes ou de deux femmes, pas plus que d’une femme seule, ce qui ne les empêchera pas de vivre à la fois le lien affectif et juridique.

    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Absolument !

    Mme Catherine Tasca. Il est enfin une question que le texte, tel qu’il nous arrive de la première lecture à l’Assemblée nationale, traite précisément : c’est la question du patronyme. Nous y reviendrons au cours du débat. Ce n’est pas un sujet mineur, car, dans notre société, porter un nom différent de celui de sa mère ou de celui de sa fratrie peut être une vraie douleur pour l’enfant.

    M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

    Mme Catherine Tasca. À toutes les questions posées par l’ouverture du mariage aux homosexuels, le projet de loi répond concrètement. C’est un texte qui met fin à une discrimination. C’est un texte de pacification de notre société qui connaît des mutations profondes. C’est donc un texte de progrès que le groupe socialiste soutient pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
  • Isabelle Pasquet

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.

    Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, inamovible, uniciste, moraliste, la vision que la société s’est longtemps faite de la famille a évolué pour laisser aujourd’hui place à une multitude de structures familiales, à une multitude de formes d’engagement, à une multitude de régimes protecteurs.
     
    Oui, nous pouvons nous réjouir de constater que le regard que la société porte sur la famille a évolué ! Je ne reviendrai pas sur les différentes lois emblématiques qui ont accompagné ces évolutions.
     
    Accompagner, le terme n’est pas choisi au hasard, car nous pouvons tous affirmer que, lorsque des évolutions sociales se sont fait jour, le législateur, poursuivant son rôle de protection de l’intérêt général, est simplement venu les accompagner et a parfois servi de guide sur le chemin de l’égalité.
     
    Égalité, là aussi, le terme est approprié, et je dirai même : revendiqué. Mmes les ministres ainsi que ma collègue Cécile Cukierman ont développé ce point, je n’y reviendrai donc pas, si ce n’est pour interpeller, dans cet hémicycle, ceux qui s’opposent à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
     
    Mes chers collègues, comme l’a dit le rapporteur Jean-Pierre Michel, il n’existe aucune différence entre un couple homo et un couple hétéro, lorsqu’il s’agit de la reconnaissance sociale et législative de la légitimité de leur couple ! Il n’existe aucune différence entre un couple homo et un couple hétéro, lorsqu’il s’agit de la protection d’un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l’unissent à ceux qui l’entourent !
     
    Aussi, je m’étonne de voir les opposants à ce texte, invoquant la protection de la famille, brandir dans la rue le code civil ou des pancartes où nous pouvons lire : « Touche pas à mon code civil. » À ces opposants, je rappellerai qu’il n’existe pas de définition de la famille dans le code civil, mais seulement des régimes juridiques que le législateur a créés pour la protéger. Dès lors, si notre société reconnaît aujourd’hui les familles homoparentales, il devient du devoir de ce législateur d’apporter une réponse en droit à cette réalité sociale, pour faire bénéficier ces couples et ces enfants des droits que notre code civil offre et leur imposer les obligations que ce même code édicte.
     
    Je m’étonne également que l’on nous oppose l’intérêt de l’enfant comme prétexte au rejet du texte. Je m’en étonne, car je pense que c’est justement et essentiellement cet intérêt qui guide le Gouvernement et la majorité de cet hémicycle aujourd’hui. L’intérêt de ces enfants commande qu’ils puissent bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi. Or, actuellement, cette protection est fragilisée par le fait que l’un des deux parents n’a aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève pourtant.
     
    Autre prétexte au rejet du texte, il faudrait, selon les opposants, instaurer une certaine primauté – pour ne pas dire exclusivité – de la filiation dite « biologique » sur la filiation dite « sociologique », ou une imitation de la vérité biologique plus précisément, puisque peu importe, en réalité, si les personnes qui exercent l’autorité parentale sont les véritables parents biologiques de l’enfant. On devine que, pour les opposants, seul compte le fait qu’ils sont censés avoir pu le concevoir ensemble ! Sur ce point, est-il besoin de rappeler que c’est justement dans l’intérêt de l’enfant que notre code civil reconnaît déjà que la parenté est le résultat d’une construction juridique issue d’un subtil dosage entre vérité biologique et vérité sociologique ?
     
    En effet, je ne vous l’apprends pas, la parenté fondée sur la vérité sociologique est un concept qui figure déjà dans notre droit. Je pense, par exemple, à la possession d’état, qui recommande, dans l’intérêt de l’enfant, que les liens d’affection qui unissent le parent et l’enfant soient reconnus par le droit. Le code civil reconnaît donc parfois que la vérité biologique puisse être écartée au profit de la vérité sociologique, car l’intérêt de l’enfant plaide en faveur d’une protection des liens qu’elle tisse. Ainsi, cet argument n’est pas recevable : contester la légitimité de ce type de filiation aux parents homos, alors qu’il existe déjà pour les parents hétéros, ne peut être que discriminatoire.
     
    Mes chers collègues, il est de notre responsabilité d’ouvrir le débat sur le désir de fonder une famille, de transmettre la vie. Il nous faut débattre pour répondre aux attentes, parfois aux souffrances morales et sociales, auxquelles enfants et parents sont confrontés. Les membres de notre groupe sont partagés sur ces questions. Il n’existe pas de famille modèle ni idéale et l’orientation sexuelle des individus n’est pas une garantie quant à la « qualité » des futurs parents. Si nous sommes tous ici soucieux du bien-être de nos enfants, c’est ailleurs que dans ce choix sexuel de leurs parents qu’il nous faut rechercher les modalités de leur plein épanouissement.
     
    Il nous faut débattre sans aucun préjugé. En disant cela, je pense notamment aux amendements plus que douteux déposés par certains de nos collègues et visant à introduire le principe de précaution lors de l’adoption de l’enfant par des couples homos. Nous devons débattre sans préjugés, disais-je, car, contrairement à une idée trop souvent répétée, aucune étude sérieuse n’est venue établir que le fait d’élever un enfant dans le cadre d’un foyer homoparental comporterait des risques particuliers au regard de l’évolution psychique ou sociale de l’enfant. Bien au contraire, l’une des rares enquêtes menée par la plus importante association de pédiatres et de pédopsychiatres des États-Unis a conclu au caractère neutre de l’orientation sexuelle du couple parental dans le développement et l’épanouissement de l’enfant.
     
    Pour finir, je rappellerai que, si certains enfants souffrent parfois du regard extérieur, c’est parce que la législation actuelle ne les traite pas à égalité avec les autres enfants. Les enfants ont besoin d’avoir des parents de plein droit pour se sentir eux-mêmes enfants de plein droit. Il est donc enfin temps pour nous, aujourd’hui, de reconnaître le désir de parentalité de ces couples. Le reconnaître ne revient pas à assouvir une revendication égoïste d’un droit à l’enfant de la part de ces personnes, mais revient simplement à reconnaître cette volonté légitime de s’inscrire dans le monde commun de la transmission, cette volonté de donner à ces enfants des droits, aussi bien en matière de succession qu’en matière de sécurité affective. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
  • Michel Mercier

    6 avril 2013

    M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

    M. Michel Mercier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur et Mme la rapporteur pour avis de la qualité des travaux qu’ils ont dirigés au sein de notre assemblée. Toutes les opinions ont en effet pu s’exprimer. Le débat a eu lieu au Sénat, et c’est une très bonne chose.
     
    Disposant de peu de temps, je vais me borner à quelques brèves remarques.
     
    Des personnes du même sexe peuvent bien sûr s’aimer et, à ce titre, elles ont droit à notre respect. Elles peuvent donc nous demander d’organiser leurs vies afin de bénéficier de plus de sécurité. Le Parlement joue pleinement son rôle quand il essaie de répondre à ces demandes. Le seul problème est de savoir si la réponse que vous nous proposez de leur apporter, madame la garde des sceaux, est bonne ou non. Je soutiens, quant à moi, que vous n’apportez pas la bonne réponse, pour le mariage comme pour l’adoption.
     
    Vous invoquez le principe d’égalité pour justifier vos positions. C’est une vieille habitude française ! En 1793 – permettez-moi de faire à mon tour un historique –, Cambacérès, en présentant la première version du code civil qu’il avait rédigée, invoquait également le principe d’égalité.

    M. Jacques Mézard. Il avait raison !

    M. Michel Mercier. Or c’est dans son système que la femme était la plus soumise à l’homme. Je ne suis pas étonné que vous ayez approuvé, monsieur Mézard. (Sourires.)
     
    Le mariage que l’on nous propose de modifier est celui qui figure dans le code civil rédigé par Portalis, ce n’est pas le mariage religieux, qui n’a rien à voir dans ce débat.

    M. Jean-Michel Baylet. Vous êtes le porte-parole de Mgr Barbarin !

    M. Michel Mercier. Je vous remercie, monsieur Baylet, de rappeler que je suis catholique. Sachez que je l’assume, ce qui me permet de réaffirmer que nous débattons non pas d’une question religieuse, mais d’un point qui fait l’objet d’un consensus culturel et anthropologique. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

    M. Gérard Larcher. C’est vrai !

    M. François Rebsamen. Dites-le à Civitas !

    M. Michel Mercier. Ce consensus n’a jamais été mieux exprimé que par Aragon, dans son poème de 1960 :
     
    « Tout peut changer mais non l’homme et la femme […]
     
    « Le bien le mal les lampes les voitures
     
    « Même le ciel au-dessus des maisons
     
    « Tout peut changer de rime et de raison
     
    « Rien n’être plus ce qu’aujourd’hui nous sommes
     
    « Tout peut changer mais non la femme et l’homme ».
     
    Or c’est ce consensus que le projet de loi remet en cause. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – Mme la ministre déléguée s’exclame.)

    M. Charles Revet. Eh oui !

    M. Michel Mercier. Madame la ministre, vous êtes peut-être gênée que je cite Aragon,…

    M. Robert Hue. Aragon aurait voté le mariage pour tous !

    M. Michel Mercier. … mais c’est l’un des plus grands poètes de ces dernières années. Rappelez-vous La Rose et le réséda.

    M. Robert Hue. Je vous affirme qu’il n’aurait pas voté avec vous !

    M. Michel Mercier. Monsieur Hue, nous n’en savons rien. D’ailleurs, je n’ai pas affirmé le contraire. J’ai simplement souligné qu’il avait décrit ce qu’était le consensus anthropologique – qui, selon vous, n’existerait plus – sur lequel notre société a bâti le mariage. Vous pouvez le remettre en cause, mais encore faut-il dire clairement par quoi vous voulez le remplacer.
     
    Vous passez d’un statut, voulu par la Révolution française, voulu par le code civil, à un acte individuel, remettant ainsi en cause un élément fondateur de l’institution du mariage, je veux parler de l’altérité des sexes entre les époux.
     
    Vous auriez pu apporter une autre réponse. En créant une union civile, par exemple, que notre collègue Patrice Gélard a évoquée. Vous auriez pu vous inspirer de la Rome royale et républicaine, qui connaissait deux mariages : l’un cum mano, l’autre sine mano. La seule différence portait sur la filiation et sur le mode d’entrée dans la famille. Cette solution aurait permis de conserver le mot « mariage », si ce terme magique est la marque de l’égalité. Or je crois très honnêtement qu’on ne peut parler d’égalité qu’entre des êtres semblables, sinon c’est l’altérité qui prévaut.
     
    La question de l’adoption est plus grave.
     
    Vous avez décidé – c’est une bonne chose – de ne pas toucher à l’article 310 du code civil, qui dispose que tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère.
     
    Reste que vous proposez que les couples homosexuels puissent recourir à l’adoption plénière. Or l’adoption plénière conduit à créer un nouvel état civil pour ces enfants. Un état civil sur lequel il sera clairement inscrit : « né de deux parents du même sexe. » (M. Charles Revet s’esclaffe.) La Cour de cassation a rappelé que cela était contraire à un principe essentiel du droit français de la filiation. Surtout, cette disposition, qui nous fait passer du droit des enfants au droit à l’enfant, va conduire à constituer un état civil particulier pour les enfants adoptés par des couples homosexuels en faisant de l’orientation sexuelle de leurs parents un marqueur de leur identité.

    M. François Rebsamen. Mais non !

    M. Michel Mercier. Mais si, monsieur Rebsamen ! Au nom de l’égalité, vous allez probablement créer une très grande discrimination. C’est parce que je suis en désaccord avec l’adoption plénière que je ne pourrai pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

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Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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