M. Sergio Coronado. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, au terme de plus de deux mois d’auditions, vingt-cinq heures de travaux en commission, cent dix heures de discussion en séance à l’Assemblée nationale, et d’environ cinquante heures de discussion au Sénat, le texte ouvrant le mariage aux couples de même sexe revient en deuxième lecture dans cet hémicycle.
Depuis sa présentation en Conseil des ministres, des manifestations de partisans et d’opposants se sont succédé,…
M. Yves Fromion. C’est un changement de civilisation !
M. Sergio Coronado. …des magazines et des journaux en ont fait leur une et ont multiplié les dossiers, toutes les chaînes de télévision y ont consacré de nombreuses émissions. Le débat a été vif, polémique ; il a même parfois dérapé.
Le climat s’est alourdi, et la parole homophobe s’est libérée, encouragée parfois par des déclarations irresponsables de certains élus. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Cette parole est une injure non seulement pour les gays et les lesbiennes, mais aussi pour celles et ceux qui considèrent que l’œuvre d’égalité est un des fondements de la République.
La parole homophobe a toujours pour conséquence la violence, la violence symbolique bien sûr, mais également la violence physique. Des élus, de l’opposition comme de la majorité, ont été insultés, menacés, réveillés au petit matin à leur domicile, des photos de leurs enfants ont circulé sur la toile, une élue a eu sa voiture vandalisée, des couples gays ont été passés à tabac. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
L’intimidation et les menaces ont fait leur apparition dans ce débat. On a entendu des appels au sang et à l’insurrection. La France a été comparée à une dictature.
Pour le fils d’exilés que je suis, pour le député des Français établis en Amérique latine et dans les Caraïbes, où les régimes totalitaires ont fait couler tant de sang, ces qualificatifs sont pour le moins indécents !
M. Christian Jacob. Vous êtes pitoyable !
M. Philippe Gosselin. Vous avez le sens de la mesure, cher collègue !
M. Sergio Coronado. Qu’y a-t-il de si terrible, de si dangereux, de si mortifère pour notre République et notre civilisation dans ce projet de loi ?
Dans ma circonscription, en Argentine, dans plusieurs États brésiliens et mexicains, et, il y a quelques jours, en Uruguay – des pays, où la religion demeure centrale et où le poids des églises est considérable –, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe a eu lieu après des débats passionnés, des manifestations parfois ; mais, dans aucun de ces pays, l’adoption du texte ne s’est déroulée dans un tel climat.
Aux yeux de nombre de nos voisins, de celles et de ceux qui nous observent parfois à des milliers de kilomètres, il semble curieux, paradoxal et même inquiétant que dans le pays des droits de l’Homme, des citoyennes et des citoyens manifestent une opposition si vive, parfois violente,…
M. Laurent Wauquiez. La violence syndicale ne vous gêne pas !
M. Sergio Coronado. …contre un texte dont le seul objectif est, dans un même élan d’égalité, d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe, mettant ainsi fin à une hiérarchie des sexualités.
Quatorze ans après le PACS, neuf ans après le mariage célébré dans la ville de Bègles par notre collègue Noël Mamère, dans une désapprobation quasi générale,…
M. Laurent Wauquiez. C’était illégal !
M. Sergio Coronado. …après l’Espagne, le Portugal, la Belgique, la Grande Bretagne, et la Nouvelle-Zélande aujourd’hui même – je les cite dans le désordre –, nous y sommes enfin.
Le PACS avait donné lieu à plus d’un an de débat, à une violente polémique, à des propos inqualifiables ; j’en ai rappelé certains. Aujourd’hui, nul ne conteste cette forme de conjugalité très prisée par les couples hétérosexuels, qui représentent l’écrasante majorité des couples pacsés.
M. Jean-Frédéric Poisson. C’est vrai !
M. Yves Fromion. Mais ce dispositif ne permet pas l’adoption !
M. Sergio Coronado. La droite, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, a même aligné le même régime fiscal des couples pacsés sur celui des couples mariés.
Et pourtant, lors de sa discussion, la reconnaissance pleine et entière des couples homosexuels avait des opposants sur l’ensemble de ces bancs, et même au Gouvernement. À l’époque déjà, la revendication en faveur de l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe avait ses défenseurs, des précurseurs dont certains sont aujourd’hui présents dans nos tribunes.
L’adoption du PACS, je l’ai rappelé lors de la discussion générale en première lecture, n’a été possible en 1999 qu’au prix de deux cantonnements : d’une part, le refus d’une articulation avec le droit de la famille, ce qui explique l’absence de tout débat et de toute proposition parlementaire concernant la reconnaissance du concubinage ; et, d’autre part, le maintien du PACS dans un rang second par rapport à l’institution du mariage. Le raisonnement était simple : la famille repose sur la filiation, qui doit protéger le mariage.
Les gays et les lesbiennes ont été tenus à l’écart d’une institution en pleine révolution, comme l’a rappelé la ministre de la famille. On se marie de moins en moins, de plus en plus tard. Aujourd’hui, 30 % des plus de cinquante ans sont célibataires, contre 8 % dans les années cinquante. On divorce de plus en plus : un mariage sur trois se dénoue par un divorce. Les naissances hors mariage se sont multipliées, de même que les familles dites « monoparentales », principalement féminines.
La famille, telle que nous l’avait léguée le XIXe siècle, celle qu’une partie de nos collègues de l’opposition semble invoquer pour s’opposer à l’accès au mariage aux couples de même sexe, vole en éclats. Elle a changé, s’est recomposée, s’est élargie à des beaux-parents, à des co-parents, à de nombreux grands-parents.
D’autres formes de famille se sont ébauchées. C’est la famille normative et rigide qui semble à bout de souffle, et non pas la famille en elle-même, chers collègues.
Sans la protection de la loi, et accompagnant les mutations, les gays et les lesbiennes ont fait des enfants, ils ont fondé des familles. Ce sont des familles d’aujourd’hui, des familles comme les autres.
Là se trouve la clé de notre opposition. Je ne doute pas que l’homosexualité pose encore des problèmes, même à certains parlementaires. Il est vrai qu’il n’y a pas si longtemps, elle était considérée comme une maladie mentale, que nombre de pays la criminalisent toujours, que de nombreux États la punissent de la peine de mort, qu’il se trouve encore des parents pour jeter à la rue leurs enfants à la découverte ou à l’annonce de leur orientation sexuelle.
Je voudrais néanmoins vous rassurer : l’homosexualité n’est ni contagieuse, ni dangereuse. Cette orientation sexuelle et le choix de l’assumer en toute liberté – et en toute transparence, puisque cette expression est à la mode –, au même titre que vous assumez l’amour de l’autre sexe, sont une forme de vie et d’aspiration au bonheur, comme la vôtre.
M. Yves Fromion. Personne ne le conteste !
M. Sergio Coronado. Vous verrez, lors de la célébration des premiers mariages de couples de même sexe, ce seront les mêmes rires, les mêmes larmes de joie qu’aujourd’hui. Et pour celles et ceux qui cumulent encore leur mandat de parlementaire avec un mandat de maire, vous verrez les mêmes familles dans la salle des fêtes venir fêter les mariages que vous aurez célébrés.
L’opposition à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe puise sa défense dans une conception canonique de l’institution. Ce n’est pas notre conception.
Nous acceptons la pluralité des formes d’alliance et de conjugalité, nous ne hiérarchisons pas les nouvelles formes choisies par nos concitoyens pour fonder une famille. Nous ne voulons plus d’une hiérarchie des sexualités qui fonderait une inégalité des droits.
M. Yves Fromion. Ce n’est pas le sujet !
M. Sergio Coronado. Nous pensons que tout citoyen a le droit d’accéder au mariage et de fonder une famille. En cela, nous rejoignons ce que la directive européenne de 1994 affirmait avec force. Nous pensons qu’il est possible de concilier les avantages de la solidarité familiale que représente le mariage et ceux de la liberté individuelle.
Pour conclure, je voudrais souligner le travail accompli par le Sénat. Des débats et du texte issu de la Haute assemblée, nous pouvons tirer la conclusion, j’imagine partagée, que le Sénat n’a pas trouvé de nouveaux points de cristallisation et d’opposition par rapport à ceux qui avaient été débattus dans notre assemblée. Il a, en revanche, amélioré certaines dispositions. Je citerai ici les principales d’entre elles.
La reconnaissance des familles homosexuelles par les associations familiales est un point important. La pratique est aujourd’hui tout autre. Pour avoir suivi les auditions, et notamment celles de certaines unions familiales très mobilisées contre l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, je ne puis que me féliciter de la décision prise par nos collègues sénateurs.
Le texte que nous étudions comporte également une amélioration du statut de parent social, point qui avait également été au cœur de nos auditions et de certains drames familiaux d’ailleurs, et que notre rapporteur avait souligné.
La reformulation de la disposition relative à la question des noms patronymiques me paraît aussi une clarification nécessaire.
Le Sénat a également clarifié les dispositions concernant les Français de l’étranger.
Nous avions œuvré, avec notre collègue Claudine Schmid, sur l’initiative de notre ancienne collègue Corinne Narassiguin que je salue puisqu’elle est dans les tribunes – ce texte est aussi un peu le sien – pour que la situation des Français établis hors de France ne soit pas oubliée et qu’ils aient accès aux mêmes droits. C’est chose faite.
L’article 16 bis constitue également une avancée. La formulation adoptée par notre assemblée était problématique. Nous l’avions souligné, avec Hervé Mariton, en présentant des amendements non pas similaires mais qui relevaient la difficulté de parvenir à une rédaction. L’homosexualité existe au-delà des liens du mariage ou de la signature d’un PACS. Dès lors, protéger des salariés en raison de leur orientation sexuelle en cas de mutations dans des pays qui criminalisent l’homosexualité est une formulation adéquate.
M. Jean-Frédéric Poisson. Non !
M. Sergio Coronado. Il n’en reste pas moins que le Sénat semble avoir oublié le travail qu’il avait accompli lors de l’examen du texte sur le harcèlement sexuel, que nous avions voté en urgence et à l’unanimité, lorsqu’il avait énuméré dans la liste des discriminations l’orientation sexuelle mais aussi l’identité sexuelle, expression maladroite pour y désigner l’identité de genre et protéger ainsi les personnes transgenres.
M. Jean-Frédéric Poisson. Pourquoi n’amendez-vous pas le texte ?
M. Sergio Coronado. Ne vous inquiétez pas : nous discuterons des articles et des amendements.
M. Jean-Frédéric Poisson. Je ne suis pas inquiet !
M. Sergio Coronado. Mais l’essentiel est le vote conforme de l’article 1er du projet de loi qui ouvre le mariage aux couples de même sexe.
Rien ne s’oppose donc à un vote conforme de notre assemblée. Au nom du groupe écologiste, j’avais en première lecture, comme ma collègue et amie Esther Benbassa au Sénat, tenté d’élargir, au nom de la cohérence, le champ du texte en y incluant la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes, et en réglant la situation d’état civil des enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger. Force est de constater que nous ne sommes pas parvenus à dégager une majorité sur ces points.
M. Rémi Delatte. Heureusement !
M. Sergio Coronado. Nous le regrettons. Ces questions devront être réglées par le législateur, et le plus tôt sera le mieux.
Là où l’opposition a sans doute raison, c’est que, tôt où tard, ces thèmes s’imposeront dans nos débats et qu’il faudra bien que le Gouvernement donne sa position.
M. Rémi Delatte. Le Président de la République a donné la sienne !
M. Sergio Coronado. Ces questions ne sont plus à l’ordre du jour de cette lecture. S’il reste des points qui pourraient être améliorés – et nous y reviendrons lors de la discussion –, le groupe écologiste votera comme en première lecture le texte issu de nos travaux. C’est un ouvrage dont nous pouvons être fiers, mes chers collègues.
En ces temps difficiles, faire œuvre d’égalité en élargissant le champ des droits semble susciter encore colère et oppositions.
En conclusion, je voudrais dire mon respect pour Mme la garde des sceaux, qui a su mobiliser son talent et son érudition pour porter ce texte avec force et conviction, force et conviction qui, je le regrette, ont parfois fait défaut au plus haut sommet de l’État.
Je voudrais adresser également mes remerciements à Mme la ministre déléguée chargée de la famille et à M. le rapporteur, et rappeler de manière assez solennelle que peu de textes ont cette force incroyable de changer la vie.
Ce projet de loi changera la vie de nombre de nos concitoyens, de leurs enfants et de leur famille. Faire la loi et changer la vie : quelle belle mission nous allons accomplir ! (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et RRDP.)