M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
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Questions au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
Rythmes scolaires
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Ma question s’adresse au ministre de l’éducation nationale. Monsieur le ministre, avec votre réforme des rythmes scolaires, vous avez réussi à faire l’unanimité contre vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.) Pourtant, c’était la réforme qu’on ne devait pas rater, puisque c’est la capacité d’apprentissage et la santé de nos enfants qui sont en jeu. C’était la réforme qu’on ne pouvait pas rater, puisque le constat est largement partagé que les journées des écoliers sont trop chargées. Oui, mais voilà : d’un constat partagé vous êtes passé directement à une réforme imposée sans concertation.
Un député du groupe UMP. C’est moche !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet. Aujourd’hui les enseignants sont dans la rue, et vous leur proposez une prime pour les amadouer. Les parents d’élèves sont désorientés ; ils ne comprennent pas pourquoi, au lieu d’alléger les journées, vous alourdissez la semaine et vous la désorganisez. Mais vous leur répondez : je continue ! Enfin, l’immense majorité des maires, de gauche comme de droite, vous alertent sur les difficultés de mise en œuvre de votre réforme. Mais vous leur dites : débrouillez-vous !
Monsieur le ministre, quand accepterez-vous l’idée qu’on a rarement raison tout seul ? Quand réfrénerez-vous votre penchant immodéré pour l’idéologie, qui n’a rien à faire avec le calendrier scolaire ? Quand enfin retirerez-vous cette réforme, pour laisser le temps à la concertation et à l’étude d’autres solutions, comme celle qui consisterait, par exemple, à raccourcir les vacances d’été ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Madame la députée Nathalie Kosciusko-Morizet, je voudrais tout d’abord que vous montriez plus de considération pour l’ensemble des élus et de ceux qui vont passer, en septembre 2013, à la semaine de quatre jours et demi. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Je voudrais également que vous ayez un peu plus de considération pour vous-même, puisque, par cette réforme, nous ne faisons qu’appliquer une de vos préconisations. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Bernard Deflesselles. Apprenez la modestie !
M. Vincent Peillon, ministre. Après avoir soutenu un gouvernement qui a supprimé quatre-vingt mille emplois dans l’éducation nationale, qui est passé, contre toutes les recommandations, à la semaine de quatre jours et qui a fait disparaître la formation des enseignants, vous vous êtes rendu compte de votre erreur et vous avez préconisé d’en finir avec l’exception française pour revenir à la semaine de quatre jours et demi. C’est ce que nous faisons.
Après des mois de concertation avec l’ensemble des associations d’élus et les syndicats (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), nous entamons une concertation très ouverte sur le terrain, pour choisir entre la pause méridienne et la pause du soir, entre le mercredi et le samedi (Mêmes mouvements), et entre différents types d’activités, ce qui répond aux demandes qui nous ont été adressées.
C’est la première fois qu’on vous entend parler d’école, madame. Vous essayez d’instrumentaliser ce débat pour une raison simple, c’est que vous êtes candidate à la mairie de Paris. (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP.) Ce mouvement social ne vous sert pas à défendre l’intérêt des enfants, mais votre intérêt personnel ! Ce n’est pas faire honneur au débat démocratique. (Les députés des groupes SRC et écologiste se lèvent et applaudissent. – Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe UMP. Zéro !
Politique industrielle
M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Bruno Le Roux. Monsieur le Premier ministre, la crise que nous traversons, a des noms : Goodyear, Petroplus, PSA, Arcelor-Mittal et d’autres encore ; elle a des visages : ceux de ces femmes et de ces hommes qui se lèvent chaque jour en craignant pour leur emploi et en se demandant si leur territoire pourra encore, demain, offrir une vie de travail à leurs enfants.
Cette crise, il ne faut ni la sous-estimer ni abdiquer face à ses manifestations, ses effets, ses conséquences. La précédente majorité avait choisi, au nom d’une conception inefficace et doctrinaire, de ne pas agir face à cette réalité. Elle s’est abandonnée à un laisser-faire coupable, générant une défaillance de l’État face au délitement de notre tissu industriel et productif. L’honneur de la gauche, c’est de ne pas fermer les yeux ; l’honneur de la gauche, c’est de regarder la réalité en face et d’agir concrètement pour changer la donne ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement a fait le choix de réhabiliter l’intervention de la puissance publique dans l’économie. Sur le front de l’emploi, avec les contrats d’avenir, les contrats de génération, le crédit d’impôt pour la croissance et l’emploi et bientôt la sécurisation des parcours professionnels. Sur le front industriel aussi, (« Blablabla ! » sur les bancs du groupe UMP.) avec la Banque publique d’investissement, les mesures du pacte de compétitivité et l’engagement d’une politique audacieuse de redressement productif. Un premier bilan démontre la pertinence de cette action : 330 dossiers industriels traités, 46 000 emplois préservés. Où en serait la France si nous avions continué, comme nos prédécesseurs, à ne rien faire ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
Dans les prochains jours, nous déposerons une proposition de loi sur la reprise des sites rentables, tout simplement parce qu’un site viable, menacé par des logiques financières absurdes et morbides, déconnectées des réalités industrielles et économiques, ne doit pas fermer.
Alors, monsieur le Premier ministre, face aux inquiétudes de nos concitoyens, confirmez-nous ici les objectifs et le sens de la stratégie pour l’emploi et l’industrie (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) que, contrairement au gouvernement précédent, vous avez choisi de mener ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Monsieur le président Le Roux, l’emploi est la priorité du Gouvernement, mais aussi la première inquiétude des Français.
M. Jean-Luc Reitzer. Quelle découverte !
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Face au découragement, face à la désespérance, le Gouvernement ne laissera tomber personne ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) L’objectif fixé par le Président de la République est volontariste, ambitieux et courageux : à la fin de l’année 2013, nous aurons inversé la courbe du chômage. Pour cela, nous devons mobiliser, mobiliser, et encore mobiliser ! Car, après dix ans de renoncement à toute politique industrielle ambitieuse, les dégâts sont là.
La reconstruction est donc nécessaire ; elle est engagée et il faut qu’elle réussisse. La majorité a pour cela déjà appuyé le Gouvernement. C’est vous qui avez voté le pacte pour la compétitivité, la croissance et l’emploi : trente-cinq mesures, dont l’une – le crédit d’impôt compétitivité – doit être mise en œuvre le plus rapidement possible avec l’aide de la Banque publique d’investissement. Il y a là un enjeu stratégique, car ce crédit d’impôt va permettre de dégager des marges de manœuvre pour investir, créer des emplois et innover.
Tous, nous devons nous mobiliser pour réussir. Il y a eu la Banque publique d’investissement ; il y aura, dans quelques jours, la réforme bancaire.
Enfin, vous avez également décidé d’adopter des mesures d’urgence sur proposition du Gouvernement. Je pense aux emplois d’avenir, aux contrats de génération ou encore à cette promesse du Président de la République sur laquelle nous travaillons ensemble et qui doit aboutir à une proposition de loi sur la reprise de sites rentables que le Gouvernement soutiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Enfin, il y a cet accord entre les partenaires sociaux, que vous aurez à transcrire dans la loi, mesdames et messieurs les députés, après sa présentation en conseil des ministres le 6 mars prochain. C’est une chance pour l’emploi, parce qu’il s’agit, lorsque des entreprises connaissent des difficultés et qu’elles doivent anticiper des mutations, de faire que le licenciement ne soit pas inéluctable, qu’on lui substitue d’autres solutions, comme, entre autres, la formation ou la sécurisation des parcours professionnels.
J’invite le Parlement à se mobiliser sans attendre. La bataille pour le redressement productif, la bataille pour sauver et créer des emplois, c’est votre bataille, c’est notre bataille, c’est la bataille de la France ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
Rythmes scolaires
M. le président. La parole est à M. Thierry Braillard, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Thierry Braillard. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, notre assemblée, à partir du 11 mars, discutera de votre projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, et je veux dire combien ce texte nous apparaît opportun et bien fondé. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Par ce texte, vous donnez la priorité à l’école primaire pour assurer l’apprentissage des fondamentaux et réduire les inégalités.
Vous réformez la formation des enseignants et des personnels d’éducation et revaloriser ce magnifique métier qui en a bien besoin, car ce n’est pas vous, monsieur Peillon, qui avez supprimé 80 000 emplois en cinq ans ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC et écologiste. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous créez un service public de l’enseignement numérique.
Vous introduisez un enseignement moral et civique.
Vous avez également souhaité que les rythmes scolaires soient modifiés dans les écoles maternelles et élémentaires et que la semaine de quatre jours, que la droite avait imposée sans concertation en 2008, redevienne une semaine de quatre jours et demi. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) C’est qu’elle a la mémoire courte, la droite, elle ne sait pas ce que c’est que la concertation ! (Même mouvement.)
Là encore, je veux dire combien cette réforme nous apparaît opportune et bien fondée, tant les journées trop longues et chargées sont sources de fatigue et de difficultés scolaires. Votre projet fait passer l’intérêt de l’enfant en premier, grâce à un meilleur équilibre du temps scolaire et périscolaire.
Cependant, il faudra résoudre de nombreux problèmes : problèmes financiers pour les collectivités malgré l’effort du Gouvernement et la création d’un fonds spécifique, problèmes d’organisation des moyens humains et des transports scolaires, problèmes liés à l’établissement d’un nouveau projet éducatif territorial.
En réponse, vous avez publié la semaine dernière un guide pratique de la réforme des rythmes scolaires clair et exhaustif. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Malgré cela, certaines communes, de crainte de n’être pas prêtes pour la rentrée 2013 ont d’ores et déjà décidé de ne mettre en place cette réforme que pour la rentrée 2014.
Monsieur le ministre, l’aide financière consentie aux collectivités pour la rentrée 2013 pourra-t-elle être reconduite en 2014 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur plusieurs bancs des groupes SRC et écologiste. –Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
Calmez-vous, mes chers collègues, nous y avons tous intérêt.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, je voudrais que tout le monde prenne conscience de la situation de notre pays, au-delà des polémiques politiques.
De plus en plus d’élèves décrochent. De plus en plus d’élèves – 25 % – sont en difficulté au collège. De plus en plus d’élèves issus de milieux modestes voient leurs destins scolaires contrariés. Notre pays se retrouve, sur le plan européen, à la dernière place pour l’apprentissage des langues étrangères. Toutes les études, aussi bien celles menées au niveau européen que par l’OCDE, y compris l’étude PIRLS, montrent le déclin nos élèves quant à la maîtrise de la lecture, à l’aptitude à construire du sens à partir de textes, et jusqu’à la confiance en eux-mêmes.
Or, nous savons bien que la compétitivité de notre pays, son avenir, seront liés à sa capacité à élever le niveau de qualification de notre jeunesse et à lui assurer un avenir.
La jeunesse représente la priorité de tout le Gouvernement, dans le domaine de l’emploi, bien sûr, comme vient de le rappeler le Premier ministre, mais aussi dans celui de l’éducation.
Les analyses sont simples et partagées : il faut tout d’abord accorder la priorité au primaire, ensuite à la formation des enseignants, enfin aux rythmes scolaires, car nous sommes le seul pays au monde à ne pas donner à nos enfants du temps pour apprendre, du temps suffisant en quantité et en qualité.
Nous sommes engagés dans cette réforme. Personne ne nie qu’elle soit difficile, car elle suppose de nous tous un effort. Elle en demande un aux enseignants, elle en demande un aux collectivités locales.
M. Jean-Luc Reitzer. Pour ça, oui !
M. Vincent Peillon, ministre. Mais nous devons avoir l’intérêt général et l’intérêt des élèves en ligne de mire. De l’argent a été prévu. Commençons déjà par l’utiliser, nous parlerons de la suite après. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Évasion fiscale
M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
M. Alain Bocquet. Monsieur le Premier ministre, à l’heure de la crise des subprimes, on affichait haut et fort au G8, au G20 et dans les sommets européens, l’ambition de s’attaquer à la fraude et aux paradis fiscaux.
L’OCDE devait combattre les pratiques fiscales agressives des multinationales. Résultat : jamais on n’a vu autant de business restructuring pour délocaliser et optimiser leurs profits.
Face à ces réalités, les conventions d’État à État se résument à écoper un océan de spoliation avec une petite cuillère, et l’Europe est aux abonnés absents. Alors qu’elle peine à élaborer son budget de super-austérité à hauteur de 960 milliards d’euros pour sept ans, l’évasion fiscale s’élève chaque année, dans les 28 pays européens, à 1 000 milliards !
Il est insupportable de constater que l’Europe peut supprimer un milliard d’euros d’aide alimentaire, mais n’est pas capable en revanche d’imposer la levée du secret bancaire à l’Autriche et au Luxembourg !
La Suisse continue impunément de voler nos impôts avec la complicité des institutions bancaires, y compris françaises.
La somme de toutes ces évasions fiscales représente 600 milliards qui manquent à la France : 40 à 50 milliards par an !
M. Yann Galut. Très bien !
M. Alain Bocquet. C’est là qu’il faut aller chercher l’argent en priorité, monsieur le Premier ministre, plutôt que dans la poche des honnêtes contribuables.
Quelles mesures fortes la France va-t-elle prendre, et de quels moyens va-t-elle enfin se doter, pour faire reculer cette triche organisée, imposer la transparence et faire avancer l’harmonisation fiscale en Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur de nombreux bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, votre question fait évidemment écho à des préoccupations que le Gouvernement partage. Il est totalement inadmissible, dans la situation de crise que nous traversons, alors même que les Français, comme les Européens, sont appelés à faire preuve de sérieux budgétaire et à consentir des efforts, que certains, nombreux – vous avez cité des chiffres –, puissent organiser leur évasion fiscale.
Le Gouvernement, depuis son entrée en fonctions, a placé la stratégie de lutte contre la fraude fiscale au cœur de sa politique. Ce fut le cas, dès cet été, lorsque, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, nous avons élaboré un plan national de lutte contre la fraude qui donne en particulier des moyens à l’administration fiscale. Hier, le Premier ministre a annoncé un plan plus vaste encore, qui comporte un volet international important.
Vous pouvez être certain, monsieur le député – mais je sais que cette préoccupation est partagée sur tous les bancs – que nous poursuivrons nos efforts dans plusieurs directions, à commencer par celle de la connaissance. J’ai déjà, avec Jérôme Cahuzac (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), donné de premiers éléments au président de la commission des finances, Gilles Carrez. Je lui ai annoncé qu’il obtiendrait très vite la totalité des réponses, qui nécessitent une collecte d’informations malaisées à obtenir.
Par ailleurs, nous devons restaurer nos bases fiscales qui sont erronées. C’est dans ce contexte que nous allons engager une discussion avec nos partenaires pour revisiter un certain nombre de nos conventions fiscales qui, aujourd’hui, ne donnent pas toutes les garanties de transparence.
Enfin, il faut que cette question soit posée dans le cadre international, celui de l’OCDE, celui du G20 aussi – une réunion du G20 ministériel se tiendra à la fin de cette semaine à Moscou. Soyez certains que nous irons dans ce sens et que nous prêterons une très grande attention aux travaux que le Parlement mène sur ces questions décisives. Je sais que vous y êtes attaché. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et RRDP.)
Budget européen
M. le président. La parole est à M. Pierre Lequiller, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Pierre Lequiller. Monsieur le Premier ministre, le projet de budget européen qui vient d’être arrêté traduit un manque total d’ambition. Alors que l’Europe est en concurrence évidente avec des pays continents comme les États-Unis, la Chine ou l’Inde, pour la première fois de son histoire, ce budget pour les sept prochaines années est en baisse et les projets d’avenir sont sacrifiés.
Le vainqueur de cette décision est, c’est un comble, David Cameron, appuyé par l’Allemagne – le fruit d’un axe nouveau, Londres-Berlin en l’occurrence. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Pourtant, monsieur Cazeneuve, vous aviez affirmé la semaine dernière, dans cet hémicycle : « Nous ne voulons pas une négociation qui se réduise à des coupes et des rabais, nous sommes convaincus que nous parviendrons à un bon accord pour la croissance et pour l’Europe. »
Quelques jours après, c’est le contraire qui s’est passé. Sur cette décision majeure, la France a plié.
Tout cela provient d’une erreur de stratégie : à force de vouloir contourner l’Allemagne en recherchant des alliances avec d’autres partenaires, la France a perdu le soutien d’Angela Merkel. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Énorme erreur qui a valu au Président de la République plusieurs camouflets de la part de cette dernière. Il avait promis aux Français que jamais il ne ratifierait le traité, mais il a plié.
M. Jean-Christophe Lagarde. C’est vrai !
M. Pierre Lequiller. Vous l’avez ratifié, mes chers collègues, au prétexte d’un pacte de croissance fictif, puisqu’il recycle des fonds structurels déjà existants. Il avait promis les eurobonds. Il a plié et l’on n’en entend plus parler. Et pour ce qui est du budget européen, il essuie une défaite évidente sur la croissance, parce qu’il est isolé.
M. Yves Fromion. Il a capitulé !
M. Pierre Lequiller. Tous les présidents de la République, et notamment Nicolas Sarkozy, avaient privilégié le dialogue franco-allemand pour être à l’initiative et peser sur les décisions européennes.
Quand François Hollande comprendra-t-il que le couple franco-allemand est incontournable ? Quand comprendra-t-il que, sans l’axe Paris-Berlin, il affaiblit et l’Europe, et la France ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Monsieur Lequiller, je vous remercie de votre question. Je vous sais trop honnête pour ne pas imaginer que vous n’ayez pas eu toutes les informations avant de la poser.
J’ai ici une lettre, que d’ailleurs nous allons publier – ainsi, ce sera transparent – signée de Nicolas Sarkozy, de David Cameron et de l’ensemble des dirigeants européens conservateurs, qui date de novembre 2010 et dans laquelle ils demandaient des coupes massives dans le budget de l’Union européenne. (Mmes et MM. les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent.)
M. Jean-Christophe Lagarde. C’est quand, le changement ?
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Les mêmes qui soutenaient cette politique et ce président de la République sont ceux qui, aujourd’hui, s’étonnent qu’il ait été procédé à des coupes dans une Union européenne au sein de laquelle les conservateurs sont majoritaires !
Non seulement vous demandiez des coupes, dans cette lettre que nous allons publier, monsieur Lequiller, mais vous demandiez également que les crédits de paiement nécessaires à l’exécution du précédent budget soient soigneusement rabotés. Vous avez atteint votre objectif. En effet, vous aviez arrêté en 2005 un budget avec 942 milliards de dépenses programmées. Et savez-vous combien vous avez réellement dépensé, à force de raboter les crédits de paiement nécessaires au financement des politiques de l’Union ? 855 milliards ! Voilà la réalité de votre bilan ! (Huées sur les bancs du groupe SRC.) Cela devrait vous conduire à poser des questions avec un peu plus de mesure que vous ne l’avez fait.
Nous avons effectivement dû affronter les conservateurs qui ne voulaient pas du budget que nous souhaitions. Nous avons réussi à cantonner, à contenir la volonté qu’ils avaient de faire, partout, des coupes et des rabais pour eux-mêmes. C’est la raison pour laquelle si l’ensemble des sommes qui sont actées dans le budget de l’Union européenne sont dépensées, ce sont 50 milliards de plus qui seront dépensés par rapport au budget précédent. Cela permettra de financer la politique agricole commune qui est intégralement préservée (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), les régions en transition et le programme européen d’aide aux plus démunis, que vous aviez décidé de supprimer (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP) et enfin de diminuer la contribution française aux rabais britanniques, ce que vous n’avez jamais obtenu. Alors, un peu plus de modestie ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP, dont plusieurs membres se lèvent.)
Mariage pour les couples de personnes de même sexe
M. le président. La parole est à M. Bernard Roman, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Bernard Roman. Monsieur le Premier ministre, nous allons voter cet après-midi en faveur du droit au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP et sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Nous arrivons au terme d’un long débat : 120 heures d’auditions, deux jours de travaux en commission, onze jours, dix nuits et 110 heures en séance, avec une mobilisation importante sur tous nos bancs.
Ce beau débat,…
M. Jacques Alain Bénisti. Quelle douleur !
M. Bernard Roman. …nous en devons une bonne part à la manière dont le président de l’Assemblée nationale a conduit nos travaux (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR), mais aussi à nos ministres, Christiane Taubira (Mêmes mouvements. – De nombreux députés de ces groupes se lèvent pour applaudir), Dominique Bertinotti et Alain Vidalies, ainsi qu’à nos rapporteurs, Erwann Binet et Marie-Françoise Clergeau. Qu’ils en soient ici remerciés ! (Mêmes mouvements.)
L’opinion a évolué durant ce débat. Aujourd’hui, une majorité de Français soutiennent cette avancée. Cette réforme renforce la famille comme une valeur structurante de notre société, comme un rempart contre les égoïsmes. (Rires sur les bancs du groupe UMP.)
M. Céleste Lett. Ça fait mal aux oreilles d’entendre ça !
M. Bernard Roman. Mais cette réforme est surtout un acte d’égalité, l’aboutissement d’un long combat contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle.
L’homosexualité n’est plus un délit dans notre pays seulement depuis 1982, elle n’est plus une maladie mentale seulement depuis 1992. Désormais, elle sera reconnue non plus pour ce qu’elle n’est pas, mais pour ce qu’elle est, une sexualité autre, mais normale, qui justifie l’égalité juridique et qui autorise à fonder un foyer et une famille, au nom du droit au bonheur et du désir de transmettre. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
Un député du groupe UMP. Et les enfants ?
M. Bernard Roman. C’est le devoir du Parlement de garantir l’égalité. C’est aussi son honneur. (« Stop ! » sur de nombreux bancs UMP.)
Je voulais, monsieur le Premier ministre, vous dire l’immense fierté du groupe socialiste d’y avoir contribué. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR, dont de nombreux membres se lèvent. – « Référendum ! Référendum ! » sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Marc Ayrault, Premier ministre. Oui, le vote par l’Assemblée nationale, dans quelques instants, après cette séance de questions au Gouvernement, du projet de loi ouvrant le droit au mariage pour tous et à l’adoption vient conclure, après deux semaines de débat, un grand débat parlementaire dont vous pouvez effectivement être fiers, mesdames et messieurs les députés.
Le Parlement a rempli son rôle avec éclat. Il est au cœur de notre démocratie, et ce débat, vous le savez, a suscité un intérêt exceptionnel chez nos concitoyens.
Vous avez pris le temps de défendre vos points de vue, vous avez pris le temps d’essayer de vous convaincre et, parfois, c’était difficile, je le sais. Mais les Français ont pris le temps d’écouter vos arguments. Et, comme vous, je le dis, le Gouvernement est fier de cette réforme (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), parce que cette réforme, mesdames et messieurs les députés, s’inscrit dans une longue lignée de réformes républicaines pour l’égalité et contre les discriminations. (« Référendum ! Référendum ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Cette loi va étendre à toutes les familles les protections garanties par l’institution du mariage. Et, malgré ceux qui vocifèrent – mais heureusement, ils sont minoritaires – elle va renforcer l’institution du mariage. (« C’est faux ! » sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
Je voudrais saluer la solidarité et la fermeté dans les convictions de tous les députés de la majorité, et même parfois au-delà. Mesdames et messieurs les députés, vous avez su vous montrer soudés, concentrés, convaincants d’un bout à l’autre du débat. Merci à vous, à chacune et à chacun d’entre vous !
Permettez-moi de saluer le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) et votre rapporteur, Erwann Binet (Même mouvement). Et puis, certes parce que c’est mon rôle mais surtout parce que je le pense profondément, je veux remercier trois des membres du Gouvernement. D’abord Christiane Taubira, dont l’éloquence fait la fierté du Gouvernement et du Parlement. (Applaudissements prolongés sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR, dont de nombreux membres se lèvent.) Elle l’avait déjà montrée en 2001 à l’occasion de cette proposition de loi où la France reconnaissait enfin que l’esclavage était un crime contre l’humanité. Merci, madame la garde des sceaux !
Je voudrais aussi remercier Dominique Bertinotti qui s’est battue avec courage et conviction (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR) et Alain Vidalies, ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a veillé, lui aussi, au bon déroulement de ce débat. (Même mouvement.)
Monsieur le président de l’Assemblée nationale, vous avez présidé quatre-vingt-douze heures de séance sur cent dix. Vous avez eu le souci, au-delà des convictions de chacun, de préserver l’intégrité de l’Assemblée nationale et vous avez forcé le respect, même lorsque c’était difficile. (« Référendum ! Référendum ! » sur les bancs du groupe UMP.)
Je voudrais remercier tous les députés de la majorité ainsi que ceux, pour l’immense majorité d’entre eux, de l’opposition – je dis bien l’immense majorité d’entre eux – qui ont su défendre leurs convictions avec dignité. Merci au Parlement, et d’abord à l’Assemblée nationale. Dans quelques semaines, ce sera au Sénat de compléter ce travail législatif. Je n’ai aucun doute, cette loi restera une des grandes lois de la République. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
Politique de l’emploi
M. le président. La parole est à Mme Sophie Rohfritsch, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Mme Sophie Rohfritsch. Ma question s’adresse à M. le Premier Ministre.
Lors de la campagne présidentielle, François Hollande avait promis de « réenchanter le rêve français ». Ce rêve s’avère être un miroir aux alouettes, et la réalité un vrai cauchemar pour les Français. Le candidat prétendait sauver les usines françaises, force est de constater qu’il n’en est rien !
Quelle est la situation de notre pays aujourd’hui ? Le chômage a progressé deux fois plus vite au deuxième trimestre 2012 qu’au premier, et cette accélération perdure. Les plans sociaux se multiplient. À Petroplus et Florange, symboles utilisés pendant la campagne électorale, s’ajoutent désormais Sanofi, Arcelor-Mittal, Goodyear ou PSA. Aujourd’hui encore, de nombreux salariés ont manifesté leur incompréhension d’une politique qui ne tient pas ses promesses ni ne fixe aucun cap. Votre propre ministre de l’intérieur est même allé jusqu’à évoquer le risque d’implosion ou d’explosion sociale !
Face à cette situation, votre gouvernement n’a cessé de se dédouaner en fustigeant soit l’attitude des chefs d’entreprise, soit les investisseurs étrangers et en invoquant sempiternellement l’héritage du précédent gouvernement, alors même que celui-ci avait courageusement pris des mesures fiscales contre les délocalisations, que vous avez abrogées !
Un député du groupe UMP. Malheureusement !
Mme Sophie Rohfritsch. La situation est bien trop sérieuse pour que l’on puisse encore accepter des manœuvres de diversion et le report des mesures de redressement que notre pays attend ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Louis Gagnaire. Qu’avez-vous fait pendant dix ans ?
Mme Sophie Rohfritsch. Il faut reprendre les préconisations du rapport Gallois, abaisser le coût du travail, alléger les charges des entreprises et oublier le CICE, véritable usine à gaz qui n’améliorera en rien leur compétitivité ! Il faut réduire la dépense et la dette publiques, qui consomment plus des deux tiers de notre PIB !
L’heure est grave, monsieur le Premier Ministre. Il faut cesser de faire de la petite politique et prendre les mesures courageuses que notre pays attend ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
M. Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Les difficultés d’un certain nombre de grandes entreprises, madame la députée, ne datent pas d’aujourd’hui. Goodyear, cela ne date pas d’aujourd’hui : cela fait quatre ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Petroplus, cela ne date pas non plus d’aujourd’hui : cela fait des mois et des mois ! La montée du chômage ne date pas non plus d’aujourd’hui : en cinq ans, le nombre de chômeurs a augmenté d’un million ! Sur un tel sujet, madame la députée, commencez donc par faire preuve d’un peu de modestie ! (Même mouvement.)
Le Gouvernement mène une politique d’ensemble, décrite à l’instant par le Premier ministre. Elle est marquée par la cohérence et la continuité. Il faut en effet redonner de la compétitivité à notre économie, d’où le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi : 20 milliards d’euros qui permettront à nos entreprises d’investir, d’innover et d’embaucher. Il faut en effet mener des politiques en faveur de l’emploi : c’est ce que nous avons fait, en urgence, avec les emplois d’avenir destinés aux jeunes les plus en difficulté et le contrat de génération qui va être voté cette semaine à l’Assemblée et au Sénat. Votez-le donc, si vous êtes favorables à l’emploi des jeunes et des plus âgés ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Philippe Cochet. On n’en veut pas !
M. Michel Sapin, ministre. Nous avons également fait une grande réforme de sécurisation de l’emploi, qui va mettre fin – il était temps – à la préférence pour le licenciement qui caractérise aujourd’hui le fonctionnement de l’économie. Attendre qu’une entreprise soit au bord du gouffre et soit contrainte à licencier : ça, c’était vous ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous, nous allons anticiper, négocier et dialoguer pour prévenir les licenciements plutôt que les mettre en œuvre comme vous le souhaitez ! Voilà la cohérence de notre politique ! Voilà ce que nous faisons, par le dialogue et la recherche d’accords ! Vous vilipendiez les partenaires sociaux, nous travaillons avec eux afin de mettre en place des accords ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Budget européen
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Borloo, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. Jean-Louis Borloo. Ma question s’adresse au Premier Ministre. Je comprends que Bernard Cazeneuve se soit énervé à la suite de la question de Pierre Lequiller.
M. Jean-Louis Gagnaire. Il ne s’est pas énervé !
M. Jean-Louis Borloo. Que n’avez-vous parlé de l’Europe de l’austérité chère à certains, contre laquelle vous proposiez l’Europe de la croissance ? Vous aviez annoncé la renégociation du traité, vous ne l’avez pas fait ! Vous avez inventé un plan de croissance de 120 milliards d’euros qui n’existe pas dans les comptes de l’Union européenne ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.) Nous sommes à l’heure de vérité. Lors du sommet européen tenu vendredi dernier, la France a accepté le premier budget d’austérité de l’histoire de l’Europe.
M. Patrick Lemasle. Ce n’est pas ce qu’a dit M. Cazeneuve !
M. Jean-Louis Borloo. Vous avez alors tourné le dos à vos promesses de croissance en Europe, y compris celles faites par le président Hollande au Parlement européen l’autre jour. Un tel budget d’austérité est un changement de cap historique ! C’est une décision lourde, préoccupante et porteuse de conséquences graves qui concernent tous les Français !
M. Jean-Christophe Lagarde. Exactement !
M. Jean-Louis Borloo. Je vous ai écrit, monsieur le Premier ministre, pour vous demander de faire inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale un débat, conformément à l’article 48-2 de la Constitution. J’imagine que, comme nous, vous considérez qu’un tel changement de cap, qui engage les Français pour sept ans sur un sujet aussi important, mérite un débat dans cet hémicycle et devant les Français. Je vous demande donc si vous avez pu fixer la date de ce débat en urgence. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes. (Vives protestations sur les bancs des groupes UMP et UDI, dont de nombreux membres se lèvent.)
Arrêtez, mes chers collègues, ce n’est pas un comportement ! Rasseyez-vous ! C’est au Gouvernement de décider quel ministre répond ! (Protestations continues sur les mêmes bancs. Les députés du groupe UDI et un certain nombre de députés du groupe UMP se dirigent vers la sortie de l’hémicycle.) Eh bien partez, mais tranquillement !
Monsieur le ministre délégué, vous avez la parole. Nos collègues nous rejoindront tout à l’heure. (Brouhaha persistant sur les bancs des groupes UMP et UDI, dont de nombreux membres scandent « Ayrault ! Ayrault ! ».)
Mes chers collègues, pensez à l’image que nous donnons à tous les Français qui nous regardent ! Monsieur Guaino, vous qui parlez de la République, voyez l’image que vous donnez de la République ! Il a toujours été de tradition que le Gouvernement choisisse quel ministre répond à une question donnée. Votre contestation n’a pas de raison d’être. (Les députés du groupe UDI et un certain nombre de députés du groupe UMP achèvent de quitter l’hémicycle.) Eh bien sortez ! Abrutis ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
La parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Le philosophe Alexis de Tocqueville a écrit, dans De la démocratie en Amérique, que « les centristes sont violemment modérés ». (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Eh bien, les philosophes peuvent parfois se tromper… Je regrette leur départ, car Jean-Louis Borloo m’a interpellé personnellement et j’aurais apprécié qu’il soit là pour entendre la réponse à la question qu’il m’a posée. Il s’est interrogé à plusieurs reprises sur la traçabilité du pacte de croissance.
M. Laurent Wauquiez. Il faut être courageux !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. Nous serons en situation, au cours du débat qu’il appelle de ses vœux et auquel le Premier ministre est favorable, de lui en donner tous les éléments. Ce pacte représente pour la France un peu plus de 2,2 milliards d’euros, grâce auxquels des régions pourront engager des investissements retardés en raison de la difficulté d’y mobiliser des fonds structurels. Nous pourrons donner la liste de ces opérations.
M. Jean Leonetti. Ce n’est pas vrai !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. La recapitalisation, négligée par la précédente majorité, de la Banque européenne d’investissement, dont le conseil des gouverneurs s’est réuni au mois de décembre, permettra de prêter 7 milliards d’euros aux investisseurs français prêts à contribuer à la croissance sur notre territoire. Quant aux project bonds, ils permettront de numériser le territoire, en Auvergne ou en Haute-Savoie. Nous pourrons également donner la liste de ces opérations, qui apportera à M. Borloo toutes garanties sur la traçabilité de ce plan de croissance.
Il souhaite un débat, mais son groupe a dû omettre de l’informer qu’il y en a un à 17 heures 30, devant les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes ! Il porte précisément sur le compte rendu du Conseil européen. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Plusieurs députés du groupe UMP. C’est ici que nous voulons un débat !
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué. S’il veut un débat en séance pour faire toute la lumière sur les questions sur lesquelles il nous a interpellés, bien volontiers ! Il se rendra ainsi compte que notre action a assuré tous les retours sur investissements français et fait en sorte que toutes nos politiques soient financées ! Voilà la vérité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Rythmes scolaires
M. le président. La parole est à M. Alain Suguenot, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Alain Suguenot. Monsieur le président, la tradition veut peut-être que le Gouvernement désigne le ministre chargé de répondre aux députés (« Oui ! » sur les bancs du groupe SRC), mais elle veut également que le Premier ministre réponde à un président de groupe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. Noël Mamère. Non !
M. Alain Suguenot. Le refus de M. Ayrault de répondre à M. Borloo est une nouvelle preuve, s’il en était besoin, du mépris que le Premier ministre a pour l’opposition.
J’en viens à ma question, qui porte sur la réforme des rythmes scolaires.
Monsieur le ministre de l’éducation nationale, l’autosuggestion ne suffit pas. Vous ne répondez pas aux questions qui vous ont été posées. Votre réforme est très mal engagée. Vos propres amis – je pense à la ville de Paris – demandent aujourd’hui la création d’un groupe de travail ou, comme le maire de Lyon lui-même l’a fait ce matin – M. Braillard a été mal inspiré lorsqu’il a posé sa question – expriment leurs craintes et leurs inquiétudes.
Réforme précipitée et réalisée sans concertation, réforme non financée : la dotation de l’État est de 250 millions, alors qu’il en faudrait le triple.
Au-delà de l’inquiétude légitime des enseignants sur le bien-fondé de cette réforme – les grèves se multiplient – vous allez affronter celle des parents d’élèves et des élus locaux. La demi-journée supplémentaire va en effet entraîner des coûts supplémentaires importants en matière de transports scolaires, une nouvelle fois en grande partie au détriment des territoires ruraux.
Qui va payer ?
En matière de restauration scolaire, la réforme nécessitera de renégocier les marchés publics, avec une augmentation sensible du nombre et du prix des repas.
Qui va payer ?
S’agissant des activités périscolaires, la réforme entraînera une explosion des coûts pour les collectivités locales. Ainsi, pour l’agglomération que je préside, il va falloir trouver plus de 2 millions d’euros.
Monsieur le ministre, qui va payer votre réforme bâclée ?
Allez-vous reporter son application à 2014 ou prendrez-vous le risque d’un échec cuisant dont les premières victimes seront, hélas ! nos enfants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale. Monsieur le député, les premières victimes – vous avez raison d’en parler – ce sont nos enfants : ils sont actuellement victimes d’une désorganisation des rythmes scolaires qui a été l’œuvre de la majorité à laquelle vous apparteniez – la semaine de quatre jours – (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), de la suppression de 80 000 postes et de la formation des enseignants, ainsi que d’une pratique qui consiste à prendre les enfants en otages pour des raisons politiciennes. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Après-demain, je me rendrai dans votre académie et je rencontrerai l’ensemble des élus de votre agglomération. En Bourgogne, vous aurez noté qu’à Nevers, à Auxerre, à Dijon et dans de nombreuses autres villes, on est en train de passer à la semaine de quatre jours et demi. La majorité des villes et un grand nombre de conseils généraux, lorsqu’ils n’ont pas d’a priori politiques, appliquent la réforme.
Plusieurs députés du groupe UMP. C’est faux !
M. Vincent Peillon, ministre. Ainsi, pour employer des arguments qui sont les vôtres, Annecy et Bourges, des villes de droite qui ne veulent pas utiliser ce débat de façon politicienne mais qui se souviennent de ce que vous disiez il y a six mois, sont en train de passer aux nouveaux rythmes.
Si vous avez vraiment en ligne de mire l’intérêt des élèves, utilisez le cadre extrêmement large et souple de ce décret pour faire comme les autres : vous mettre au travail et construire les meilleures solutions, avec les partenaires dans les collectivités locales, avec les conseils généraux, les enseignants, les conseils d’école (« Qui paye ? » sur les bancs du groupe UMP) et, pour la première fois, avec l’aide de l’État. Celui-ci reprend trois heures sur ce que vous deviez faire. Vous n’avez pas une heure de plus à faire, mais l’État vous donne 250 millions d’euros supplémentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Pendant toutes ces années, vous n’avez jamais cessé de parler d’argent ; c’était pour faire des cadeaux fiscaux aux plus riches et dépouiller l’école de la République. Nous allons lui rendre ce que nous lui devons, contre vous. Car vous, vous ne pensez qu’à l’argent, jamais aux enfants ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Sécurité alimentaire
M. le président. La parole est à M. Pascal Cherki, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Pascal Cherki. Monsieur le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation, la découverte de viande de cheval mélangée à de la viande bovine dans la préparation de plats cuisinés estampillés « pur bœuf » a provoqué la consternation et la colère légitime de nos concitoyens ainsi que de nos amis d’outre-manche, où ce scandale a été révélé.
Nos concitoyens ont découvert avec stupéfaction les pratiques de certains sous-traitants de l’industrie agro-alimentaire, peu soucieux du respect des règles et des normes en vigueur.
Sous réserve de ce que les services d’enquête établiront prochainement, il semble que nous en soyons arrivés là pour deux séries de raisons. Soit ces comportements résultent d’une absence de scrupules dans la recherche toujours plus frénétique de l’appât du gain sans aucun souci du consommateur. Soit il s’agit d’une suite ininterrompue de négligences coupables qui met en lumière de profondes lacunes dans les contrôles de chacun des opérateurs économiques de la chaîne.
Il apparaît également que ce circuit d’approvisionnement extravagant impliquant des traders établis à Chypre et aux Pays-Bas dissimule une tentative de contourner, si ce n’est d’enfreindre la réglementation en vigueur.
Un montage aussi complexe autour de ce que l’on appelle le marché du « minerai » de viande, destiné à la fabrication de viandes hachées utilisées dans les plats cuisinés, avec industriels et intermédiaires en cascade, ne peut que nous atterrer.
Alors que la France est un pays de production bovine, où une viande de très grande qualité est produite en très grande quantité, les producteurs français sont les victimes de cette fraude.
Les consommateurs français souhaitent disposer de toutes les garanties quant à la qualité de leur alimentation et quant à la véracité des indications affichées sur les emballages s’agissant de la composition des plats ou de la provenance des viandes, de bœuf ou autre.
Monsieur le ministre délégué, pouvez-vous nous indiquer quelle est votre analyse de ces faits et, surtout, quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour remédier à cette situation ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation.
M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le député, vous avez rappelé les faits : la découverte de viande de cheval dans des plats cuisinés dont l’étiquette indiquait : « 100 % viande de bœuf ». Dès leur signalement – je veux insister sur ce point –, la DGCCRF, en moins de quarante-huit heures, est parvenue à remonter la filière, jusqu’à un abattoir roumain, et à identifier les intermédiaires sur le marché de la viande, à Chypre et aux Pays-Bas.
Que reste-t-il aujourd’hui à établir ? L’enquête menée par la DGCCRF le dira, je pense, partiellement demain.
Tout d’abord, s’agit-il d’une ou de plusieurs négligences, qui appelleraient une sanction sous la forme d’une contravention lourde, ou, plus grave, s’agit-il d’une tromperie économique, d’une fraude qui justifierait que nous saisissions la justice ?
Ensuite, au-delà de la nature du préjudice, quelle est son étendue ? Hier, avec Stéphane Le Foll, le ministrede l’agriculture, et Guillaume Garot, le ministre délégué chargé de l’agroalimentaire, nous avons annoncé un plan. Nous étendrons les prélèvements à l’ensemble des plats cuisinés, y compris ceux qui n’ont aucune relation avec la filière Comigel et Spanghero, afin que, à partir d’un échantillon, nous puissions mesurer la réalité du préjudice sur toute la filière.
Nous avons annoncé la mise sous surveillance de la totalité de la filière viande-poisson durant toute l’année 2013, de façon à ce que, s’agissant de la chaîne approvisionnement-transformation-commercialisation, nous puissions mesurer le préjudice.
Enfin, je me rendrai, demain, à Bruxelles avec le ministre de l’agriculture pour discuter avec nos partenaires européens de l’amélioration de la traçabilité. La position de la France est favorable à l’obligation d’afficher l’origine de la viande, y compris pour les plats cuisinés.
Cette affaire est surtout un vivant plaidoyer en faveur de la filière bovine française. La réponse que nous pouvons faire à l’industrie agro-alimentaire française, c’est : achetez du bœuf français ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
Paradis fiscaux
M. le président. La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.
M. Éric Alauzet. Monsieur le ministre de l’économie et des finances, le projet de loi bancaire traduit la volonté de la représentation politique de reprendre la main sur la finance. Protéger l’épargne des déposants, protéger le contribuable face à une éventuelle faillite bancaire, orienter l’épargne vers l’économie durable, vers les entreprises et vers l’emploi, tel est l’enjeu. Pour ce faire, monsieur le ministre, les écologistes sont engagés.
Comme vous l’avez souhaité, nos propositions sont prêtes, déjà intégrées pour partie au projet de loi par la commission des finances. Nous attendons de ce projet qu’il marque notre engagement contre les paradis fiscaux. Dans ce domaine, l’obligation de transparence pour les filiales bancaires constituera à la fois une première et un premier pas. Elle permettra d’évaluer l’activité réelle des banques dans l’ensemble des pays, et d’identifier les paradis fiscaux, où les impôts s’évaporent pour générer ici de l’austérité, où fleurissent les produits financiers risqués qui, tôt ou tard, mettront à bas la finance et l’économie mondiale, et où se perd le contrôle des transactions financières.
L’affaire des lasagnes de Findus a mis en évidence des cheminements tortueux dans trois paradis fiscaux : Chypre, le Luxembourg et les Pays-Bas. Les paradis fiscaux fonctionnent comme des boîtes noires, qui privent de ressources à la fois les États et l’économie. Ce sont de véritables poudrières qui, sous l’effet de la moindre étincelle, pourraient faire sauter toute la finance mondiale.
La France sera la première à faire évoluer les choses. Mais la réussite ne sera réelle que si les projets à l’étude en Europe viennent rapidement conforter et amplifier le nôtre. Alors que l’opposition néglige étrangement ce débat, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer votre détermination à lutter contre les paradis fiscaux, à accorder une attention particulière à la spéculation sur les matières premières agricoles, à mettre la politique au cœur de la finance, à remettre un visage sur la finance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, tout à l’heure, après le vote du projet de loi sur le mariage pour tous, l’Assemblée nationale commencera l’examen du projet de loi portant séparation et régulation des activités bancaires. C’est un engagement très important du Président de la République qui se trouve ainsi concrétisé, et c’est aussi la preuve de notre volonté de tirer les leçons de la crise de 2008, afin d’éviter que de tels errements ne se reproduisent.
Je m’étais, d’emblée, déclaré ouvert à un travail avec le Parlement et à la prise en compte d’amendements, et je m’y suis tenu, notamment sur la question de la lutte contre les paradis fiscaux, si importante pour vous. Ainsi, la commission des finances a adopté, avec le soutien du groupe socialiste, un amendement déposé par le groupe écologiste, qui va permettre à la France de réaliser une première démocratique et, ce faisant, la placer à l’avant-poste de la lutte mondiale contre les paradis fiscaux.
M. Yves Censi. C’était pour trouver une majorité !
M. Pierre Moscovici, ministre. Il existait une liste de huit territoires non coopératifs. Grâce à l’amendement qui, je l’espère, va être approuvé par l’Assemblée nationale tout entière, toutes les banques seront obligées de faire la pleine transparence sur leurs activités et leurs effectifs dans tous les pays, au-delà même des territoires non coopératifs que j’ai évoqués.
Cette avancée, attendue par les ONG et réclamée depuis longtemps par la gauche, me paraît indispensable. Elle s’inscrit dans le cadre d’une lutte menée au niveau international : je reprendrai ce dossier dans le cadre du G20 et de l’OCDE, en évoquant notamment le problème de l’érosion de nos bases fiscales.
Vous m’interrogez également sur la spéculation sur les matières premières agricoles. Comme vous le savez, le projet de loi anticipe également sur cette question, en proposant d’interdire la spéculation sur les marchés dérivés de matières agricoles.
M. Yves Censi. Et les ministres, qu’est-ce qu’ils vont faire ?
M. Pierre Moscovici, ministre. Je suis prêt à aller plus loin, en poursuivant le travail avec l’Assemblée et le Sénat, ainsi que sur le plan international. Le débat va commencer tout à l’heure, et je suis persuadé que, lorsque le texte sera voté, que nous pourrons tous être fiers de cette avancée qui constitue une première mondiale et une avancée historique. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Avenir de PSA
M. le président. La parole est à M. Alain Chrétien, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Alain Chrétien. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et porte sur l’avenir du groupe PSA.
Après les insultes de M. Montebourg (Exclamations sur les bancs du groupe SRC), voilà maintenant la cacophonie des ministres de l’économie et du budget. Alors que l’un veut l’intervention du Fonds stratégique d’investissement et l’entrée de l’État dans le capital de PSA, l’autre n’en veut pas. À l’heure où le groupe PSA aurait besoin d’un État stratège, visionnaire, et d’un vrai partenaire, il ne trouve qu’un gouvernement dogmatique et incohérent ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)
Que voulez-vous faire avec PSA ? Souhaitez-vous, ou non, une entrée de l’État dans le capital via le Fonds stratégique d’investissement ? Mes chers collègues, les Peugeot ont besoin de savoir. À Mulhouse, à Rennes, à Vesoul comme à Aulnay,…
M. Jean-Luc Reitzer. À Sochaux !
M. Alain Chrétien. …bref, sur tous les sites, des questions se posent, auxquelles vous ne répondez pas.
Monsieur le Premier ministre, que comptez-vous faire pour aider PSA et ses salariés à surmonter ce cap difficile ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Monsieur le député, je trouve votre question totalement déplacée. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. Allons, mes chers collègues !
M. Pierre Moscovici, ministre. Vous êtes l’élu d’un territoire où PSA a des actifs importants. Je l’ai été également, et je ne vous autorise pas à dire (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP) que ce gouvernement serait incohérent ou inerte face à la crise de l’industrie automobile.
En tant que ministre, j’ai rencontré à maintes et maintes reprises la direction du groupe PSA. Nous entretenons un contact confiant, quotidien, pour faire face à la crise de l’industrie automobile.
La semaine dernière, PSA a annoncé d’importantes dépréciations d’actifs qui, vous le savez, n’entament pas la solvabilité et la liquidité du groupe. Il n’y a pas eu de cacophonie sur cette question. Jérôme Cahuzac a simplement dit que, si nécessaire, nous avions les outils pour intervenir dans le capital, cette intervention n’étant toutefois pas à l’ordre du jour. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Ce qui est fondamental, c’est que PSA puisse se déployer et poursuivre sa stratégie d’alliance, notamment avec General Motors ; c’est que le groupe puisse modifier sa gouvernance – ce que le Gouvernement a rendu possible en demandant à M. Louis Gallois de devenir administrateur indépendant du groupe.
Nous sommes aux côtés de PSA, et plutôt que de me poser cette question assez mesquine (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe UMP), vous auriez mieux fait de souligner qu’hier la Commission européenne, grâce aux négociations que j’ai conduites, a donné son autorisation provisoire à la garantie de l’État, afin de sauver Banque PSA Finance.
La crise de l’automobile ne date pas d’hier. Alors que vous avez différé les décisions relatives à PSA, nous les affrontons ! Nous soutenons le groupe et ses salariés, et je ne vous autorise pas, je le répète, à poser des questions de cette nature, des questions totalement déplacées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC – Vives protestations sur les bancs du groupe UMP, dont plusieurs membres se lèvent et quittent l’hémicycle.)
M. Alain Chrétien. Nous ne sommes pas à la maternelle, monsieur le ministre !
M. Charles de La Verpillière. Il faut demander votre autorisation pour poser une question, maintenant ?
M. Guy Geoffroy. C’est incroyable !
Sécurité alimentaire
M. le président. La parole est à M. Nicolas Dupont-Aignan, au titre des députés non inscrits.
M. Nicolas Dupont-Aignan. Je voudrais tout d’abord faire remarquer que le Premier ministre de la France préfère s’autoféliciter du mariage homosexuel que répondre à un président de groupe sur l’avenir de l’Europe et de l’emploi. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
Je voudrais faire remarquer qu’au moment où le chômage explose, où nos usines ferment, la majorité ne s’occupe que du mariage homosexuel (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) et ne prévoit même pas un débat sur les délocalisations.
Ma question porte cependant sur un autre sujet : le scandale alimentaire de la viande de cheval. Celui-ci est le fruit, non pas d’un hasard, mais d’un système européen qui organise la concurrence déloyale, qui favorise objectivement la fraude. Ce nouveau scandale s’explique notamment par un marché unique fondé sur le moins-disant social, environnemental et sanitaire. Ce nouveau scandale s’explique par un élargissement de l’Union européenne à des pays qui ne peuvent pas assumer nos règles. Alors qu’on impose à nos éleveurs une traçabilité maximale, des normes, on laisse entrer sur notre territoire des produits qui sont nocifs et qui ne font l’objet d’aucun contrôle.
Comme chaque fois, vous répondrez qu’il faut plus d’Europe. Mais c’est justement ce que vous avez fait depuis la crise de la vache folle,…
M. Julien Aubert. Très bien !
M. Nicolas Dupont-Aignan. …c’est justement ce que vous mettez en place depuis des années : vous transférez toujours plus de pouvoirs à des autorités bruxelloises, bureaucratiques, qui ne contrôlent rien du tout.
M. Julien Aubert. Très bien !
M. Nicolas Dupont-Aignan. Ma question est très claire : j’aimerais savoir, au-delà des conciliabules dont a parlé M. Hamon, quelles mesures concrètes que vous allez mettre en œuvre pour vérifier la traçabilité des produits importés, exercer des contrôles réels et défendre nos éleveurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le député, tout d’abord, pour ce qui est de la défense des éleveurs, le ministre de l’agriculture s’en occupe tout le temps. Je n’ai pas attendu qu’une crise se déclenche pour m’occuper des éleveurs ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
Ensuite, vous parlez d’Europe. Nous n’allons pas revenir sur le débat général, mais vous dites que nous voudrions encore plus d’Europe. Il ne s’agit pas de vouloir plus d’Europe ; il s’agit d’appliquer des règlements européens qui, par définition, n’ont pas été appliqués par ceux qui ont cherché à frauder, et faire en sorte à l’échelle européenne que ceux qui ont pu frauder une fois ne le fassent pas une deuxième fois. Voilà l’enjeu. Il s’agit non pas d’avoir un grand débat général, mais de mettre en œuvre des mesures concrètes. Et ce débat-là, nous l’aurons. Des règles sur l’étiquetage ont été établies à l’échelle européenne et doivent être appliquées partout : tel est l’enjeu, tel est le sujet dont nous discutons.
Imaginons, comme vous le faites souvent, qu’il n’y ait aucune règle, que l’Europe n’existe pas. Que se passerait-il alors ? Les fraudes cesseraient-elles pour autant ? Je ne le crois pas. La vraie question qui est posée est celle des moyens que nous nous donnons pour améliorer la législation européenne et pour faire en sorte que ce type de fraude ne soit pas reproductible ; voilà l’enjeu ! Nous devons mettre de l’ordre dans un marché dont on a vu la complexité. Nous aurons ce débat dès demain.
Je sais que certains pays chercheront à retarder les solutions. Celles-ci sont pourtant assez simples ; elles ont été évoquées par la filière bovine française, qui est en effet exemplaire. J’appelle chacun à bien penser à cela : cette filière a une traçabilité totale. Il faut qu’il en soit de même pour les plats transformés à l’échelle européenne, d’où la nécessité de faire figurer la référence à l’origine des viandes sur les emballages des produits transformés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. C’est la bataille que nous allons mener maintenant. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologiste et RRDP.)
Budget européen
M. le président. La parole est à Mme Marietta Karamanli, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Mme Marietta Karamanli. Monsieur le président, permettez-moi tout d’abord de demander à mes collègues de l’opposition de ne pas polémiquer sur les questions et les réponses. Nous sommes tous égaux ici et, de mémoire, il me semble qu’une question sur quatre posée par le président du groupe SRC lors de la précédente législature au Premier ministre d’alors, François Fillon, n’a pas reçu de réponse de ce dernier. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur quelques bancs du groupe UMP.)
Mme Bérengère Poletti. C’est faux !
Mme Marietta Karamanli. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes et concerne le Conseil européen des 7 et 8 février qui a débouché sur un accord préservant, dans ces grandes masses, le budget européen.
Ce budget maintient à un haut niveau, pour les sept années à venir, les dépenses établies comme celles de la politique agricole commune ou de la politique de cohésion. Par rapport aux dépenses actuelles, celles qui sont liées à la croissance et à l’emploi augmenteront de plus de 40 %, passant de 91 à 125 milliards d’euros, et un crédit spécial de 6 milliards d’euros pour l’emploi des jeunes a été dégagé. Quant au programme européen d’aide aux plus démunis, son enveloppe est préservée et passe de 2,1 à 2,5 milliards d’euros.
Avec 94 % de crédits de ce budget qui reviennent directement, mes chers collègues, aux pays, aux régions ou aux personnes concernées, c’est plutôt une bonne nouvelle, même si des interrogations sont nées de la volonté de plusieurs États de limiter encore les dépenses. Je pense aux chefs de gouvernement conservateurs de plusieurs États qui ont encore demandé des diminutions importantes. Malheureusement, nous le voyons, face aux pays et continents extérieurs, baisser la garde n’est pas suffisant et serait même de nature à diminuer la nécessaire solidarité qui ancre les avantages compétitifs de l’Europe.
Les députés socialistes ne peuvent que regretter que les orientations de ces gouvernements conservateurs contredisent une volonté de préparer l’avenir par des investissements qui, grâce à la France, resteront massifs et significatifs.
Monsieur le ministre, de quelle façon le Gouvernement entend donc s’assurer que la coloration volontariste annoncée par la France et le Président de la République sera sauvegardée et que le projet de budget sera bien exécuté avec la volonté…
M. le président. Merci, madame la députée. La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
M. Bernard Cazeneuve, ministre délégué chargé des affaires européennes. Madame la députée, merci de votre agréable question (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP), qui va me permettre de donner de façon extrêmement précise et calmement des réponses sur le budget de l’Union européenne.
Tout d’abord, pour ce qui concerne les chiffres – après tout, ce qui compte, ce sont les chiffres –, le précédent cadre budgétaire pluriannuel avait un budget global de 942 milliards d’euros en crédits de paiement. Sur cette somme, seuls 855 milliards d’euros ont été dépensés. Pourquoi ? Parce que, aux termes de la lettre que j’évoquais tout à l’heure, les crédits de paiement nécessaires au financement de la politique de l’Union n’ont pas été alloués. Nous souhaitons pour notre part, avec le concours du Parlement européen, qui demande de la flexibilité et une révision à mi-parcours, mobiliser toutes les sommes actées dans le budget. Si nous agissons ainsi, le budget exécuté sera supérieur de 50 milliards d’euros au précédent.
Cette somme permettra à la France de financer l’intégralité de ses retours sur la politique agricole commune, les régions ultrapériphériques, les régions en transition, mais aussi le budget de croissance, dont vous avez eu raison d’indiquer qu’il augmente de 40 %, madame la députée. Le programme Connecting Europe, qui portera la transition énergétique, les transports de demain, la numérisation du territoire, voit ses crédits augmenter de 140 %, le tout dans un contexte où nous diminuons pour la première fois depuis l’accord de Fontainebleau de 1984 notre contribution au financement des chèques britanniques parce que nous avons engagé une réforme des ressources propres. Et la somme ainsi dégagée permettra enfin de financer la politique en faveur des plus démunis, je pense notamment au programme européen d’aide aux plus démunis.
Pour vous montrer l’effort que cela a représenté, je vous lirai tout simplement la déclaration commune de la France et de l’Allemagne inscrite au procès-verbal du Conseil européen de décembre 2011 concernant ce programme : la France et l’Allemagne « jugent que les conditions ne sont pas réunies pour la présentation par la Commission et l’adoption par le Conseil d’une proposition relative à un nouveau programme pour l’après 2013 ». C’est la raison pour laquelle les deux pays « ne pourront pas accepter les propositions de nature juridique et financière que la Commission pourrait formuler à l’avenir concernant un tel programme ». C’est bien la preuve que ce programme, vous l’aviez abandonné, chers collègues. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Programme européen d’aide aux plus démunis
M. le président. La parole est à M. Didier Quentin, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Didier Quentin. Puisque M. le Premier ministre ne répond pas,…
M. Christian Jacob. Et en plus, il s’en va !
M. Didier Quentin. …ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
À l’issue des négociations sur le budget européen pour la période 2014-2020, nous sommes nombreux à penser que l’Europe s’éloigne un peu plus chaque jour des préoccupations de nos concitoyens.
Au sommet européen de Bruxelles, la voix de la France a été inaudible. Vous êtes restés sans la moindre initiative, même sur les sujets pour lesquels vous vous prétendiez les meilleurs avocats. Souvenons-nous : « Moi, président… Moi, président… » Eh bien, vous n’avez cessé de vous renier : rien sur l’innovation, rien sur les grands travaux, rien sur la croissance. Pire encore : l’idée même de solidarité européenne recule, avec une baisse de 30 % des aides alimentaires.
Concrètement, à partir de 2014, près de la moitié des 130 millions de repas servis dans notre pays par les banques alimentaires, la Croix-Rouge, les Restaurants du cœur et le Secours populaire français pourraient ne plus être distribués. Vous comprendrez aisément le désarroi et la déception de ces associations caritatives.
Je rappelle que l’aide alimentaire de l’Union européenne à la France a représenté 72 millions d’euros en 2011. Notre majorité d’alors, grâce à l’action déterminée de Bruno Le Maire, avait réussi à sanctuariser le Programme européen d’aide aux plus démunis. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Sébastien Denaja. C’est faux !
M. Didier Quentin. Déjà, certaines initiatives ont été prises pour pallier les effets de ce recul. C’est ainsi que le président de la FNSEA, Xavier Beulin, a annoncé la création d’une fondation. Il importe aussi sans doute de réduire le gaspillage alimentaire.
Alors, monsieur le ministre – à défaut du Premier ministre –, que compte faire le Gouvernement pour répondre aux besoins vitaux de nos compatriotes les plus fragiles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le député, moi, ministre de l’agriculture (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP), j’ai aussi été député européen et j’ai défendu pendant de nombreux mois le Programme européen d’aide aux plus démunis.
Je me souviens d’ailleurs que l’accord qui avait été passé par le gouvernement français de l’époque avec le gouvernement allemand consistait à mettre fin à ce programme en 2014. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Razzy Hammadi. Voilà !
Mme Bérengère Poletti. C’est faux !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Il n’a jamais été question à cette époque-là d’assurer sa pérennisation ; c’est à notre gouvernement qu’il a incombé de le faire ; c’est l’action que nous avons conduite, avec Bernard Cazeneuve et l’ensemble des ministres concernés, pour défendre cette idée simple d’une solidarité qui doit s’appliquer aux plus démunis, en particulier s’agissant de l’alimentation.
Ce qui était prévu au départ, en termes budgétaires, était encore moins que ce qui a été obtenu en fin de négociation lors de ce compromis, à savoir 2,5 milliards.
M. Julien Aubert. Vous voudriez qu’on vous félicite ?
M. Stéphane Le Foll, ministre. Nous sommes partis pratiquement de zéro suite aux décisions que vous aviez prises… (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Christian Jacob. Arrêtez donc de dire n’importe quoi ! Soyez sérieux !
M. Stéphane Le Foll, ministre. …et nous obtenons un budget de 2,5 milliards d’euros.
Ne vous énervez pas, monsieur Jacob, cela ne sert à rien.
Ce programme doit maintenant être mis en œuvre. Alors qu’il a failli disparaître, il existe toujours. L’action que nous devrons conduire conjuguera l’intervention publique et les initiatives d’un certain nombre d’associations, en particulier professionnelles, dont celle que vous avez citée tout à l’heure. Je ne m’interdis pas non plus, dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune, de faire en sorte que l’on continue à utiliser les stocks existants pour faire des dons aux associations. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Vous voyez que l’engagement est pris et que nous saurons faire face à la solidarité élémentaire qui concerne ceux qui, aujourd’hui, ont du mal à accéder à l’alimentation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.)
Sécurité alimentaire
M. le président. La parole est à M. Yves Jégo, pour le groupe Union des démocrates et indépendants.
M. Yves Jégo. La séance d’aujourd’hui montre à quel point le besoin de débattre de l’Europe est important. Les questions posées sur ce sujet, la vigueur qu’elles ont permis de montrer, prouvent, s’il en était besoin, que la demande – que je réitère officiellement au nom du groupe UDI – d’un débat sur le budget européen est une nécessité démocratique pour que chacun puisse s’exprimer et être éclairé.
Il est vrai, monsieur le président, que le groupe que je représente ici a quitté l’hémicycle, face au refus du Premier ministre de répondre à notre président. Quand, dans une séance, le Premier ministre répond au président du groupe socialiste et à un autre élu socialiste, il pourrait au moins répondre à notre président, et ce d’autant plus que la question n’était pas polémique.
M. Julien Aubert. Très bien !
M. Yves Jégo. Monsieur le président, lorsque mon groupe a quitté librement cet hémicycle, nous avons entendu prononcer le mot « abrutis ». J’espère qu’il n’y a pas, derrière ces propos, une quelconque mise en cause de la qualité des élus. Nous sommes tous des élus du peuple ; nous avons tous la liberté de siéger ou de ne pas siéger, mais aussi de manifester notre mécontentement.
M. Jean Launay. Quelle est la question ?
M. Yves Jégo. Ma question porte sur Findus. Elle s’adressait au Premier ministre, mais je pense que le plat cuisiné de lasagnes avec de la viande roumaine achetée par des traders chypriotes, de la sauce tomate chinoise et un certain nombre d’autres ingrédients inconnus lui est resté sur l’estomac !
Monsieur le ministre de l’agriculture, pourriez-vous répondre clairement aux questions suivantes : rendrez-vous publiques les conclusions de l’enquête que vous avez demandée sur ce qui s’est passé ? Quand et comment allons-nous nous battre pour que l’Europe impose enfin le marquage de l’origine des produits vendus sur son territoire qui entrent dans les plats cuisinés, afin que les consommateurs disposent d’informations sur l’origine de ce qu’ils consomment ? Ce serait la moindre des choses. Nous serons derrière vous, même si, dans cette séance de questions au Gouvernement, nous avons le sentiment d’avoir été particulièrement maltraités par la majorité. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. le président. Avant de donner la parole au ministre pour sa réponse, je dois vous dire que, si j’ai employé cette expression, elle me qualifiait ; j’étais, comme le disait Guy de Maupassant, « abruti de souffrance et de méconnaissance » – je crois que c’était là son expression. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Jean-François Lamour. Il ne faut tout de même pas nous prendre pour des idiots !
M. le président. Je ne comprenais pas cette réaction, compte tenu du nombre de fois où le Premier ministre précédent n’a pas répondu aux présidents de groupe. Par ailleurs, je ne suis pas certain que nous ayons intérêt à donner de notre hémicycle et de ce que nous représentons l’image que nous avons donnée. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation.
M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation. Monsieur le député, je compléterai ce qui a été dit tout à l’heure par M. le ministre de l’agriculture en vous indiquant que notre système a, jusqu’ici, proposé de bonnes réponses aux menaces sanitaires et bactériologiques. Malgré cela, nous renforcerons la traçabilité – M. le ministre de l’agriculture l’a dit tout à l’heure, comme je l’ai fait moi-même – en exigeant que la législation européenne évolue pour que, demain, figure l’origine des viandes qui sont utilisées dans la préparation des plats cuisinés.
Qu’il me soit aussi permis de dire qu’hier, lors de la réunion que nous avons tenue avec les professionnels, ceux-ci ont montré de l’intérêt pour le fait de renforcer les points d’autocontrôle et d’être en mesure de réagir à un certain nombre de signaux d’alarme quand il s’agit d’une menace, non pas sanitaire ou bactériologique, mais potentiellement liée à une tromperie économique.
Quels sont ces signaux ? Un prix sensiblement plus bas que la moyenne du marché européen quand on acquiert des pains de viande, ou encore des défauts d’étiquetage manifestes : autant de points sur lesquels les professionnels se sont engagés à avancer. Ils ont également accepté de tenir une réunion autour du ministre de l’agriculture la semaine prochaine pour voir de quelle manière la France pourrait anticiper une évolution de la législation européenne.
Qu’il me soit enfin permis de dire que nous avons été bien inspirés de sanctuariser, dans le budget de cette année, les moyens humains de la DGCCRF, qui avaient diminué de 15 % sous le précédent quinquennat. Celle-ci, dans l’Aude, en 2008, avait seize employés, qui ne sont plus que dix aujourd’hui pour contrôler Comigel ; en Moselle, ils ne sont plus que vingt, contre quarante-cinq auparavant. Il était donc important de préserver les moyens de la DGCCRF.
M. Razzy Hammadi. Bravo !
M. Benoît Hamon, ministre délégué. C’est ce qui nous permet, à côté de la capacité des professionnels à améliorer les points de contrôle, de faire en sorte que la puissance publique dispose elle aussi des moyens de contrôler la traçabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
2
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe
Vote solennel
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (nos 344, 628, 581).
Explications de vote
M. le président. Nous en arrivons aux explications de vote sur l’ensemble du projet de loi. Conformément à l’alinéa 3 de l’article 54 du règlement, je donnerai la parole à un orateur par groupe, pour cinq minutes.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin pour le groupe socialiste, républicain et citoyen. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, mesdames et messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après deux semaines de débats intenses, des moments de tensions, des moments de fierté, des moments de fous rires même, nous sommes arrivés au bout de ces 5 000 amendements. Nous nous apprêtons maintenant à voter une loi essentielle.
Le groupe socialiste est resté ferme et soudé autour de l’engagement 31 du Président François Hollande, porté par une même conviction : l’égalité des droits pour tous et toutes, quelle que soit l’orientation sexuelle.
La cohérence et la cohésion ont été exemplaires et c’est bien l’ensemble de la majorité qui a défendu sans ambiguïté ce projet. Le travail parlementaire a été de grande qualité, avec des auditions riches et intéressantes en amont, dans les commissions ensuite, en séance publique enfin.
Je veux saluer ici le travail de grande envergure du rapporteur Erwann Binet. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.) Je tiens également à remarquer l’importante contribution de la rapporteure pour avis, Marie-Françoise Clergeau. (Mêmes mouvements.)
Aujourd’hui, nous votons en faveur de l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe.
Un député UMP. Un scandale !
Mme Corinne Narassiguin. Cette loi apportera un changement concret dans la vie de nombreuses familles.
Enfin, après plusieurs années de lutte, une des dernières discriminations institutionnelles sera rayée de nos lois, pour une reconnaissance pleine et entière de l’existence des familles homoparentales et de leur réalité. Parce que, en tant que députés, nous n’oublions pas que nous nous battons pour que toutes les familles de France soient protégées par la République, aucune exception ne peut être tolérée.
Je veux, au nom de tous les députés socialistes, rendre hommage aux membres du Gouvernement pour leur engagement, leur dévouement et leur sincérité. Madame la garde des sceaux Christiane Taubira, (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC) madame la ministre déléguée à la famille Dominique Bertinotti, (Mêmes mouvements.) je vous adresse un grand merci pour avoir défendu ce projet de loi avec ferveur.
Mme la garde des sceaux, Christiane Taubira (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), Mme la ministre déléguée chargée de la famille, Dominique Bertinotti (Mêmes mouvements), un grand merci pour avoir défendu ce projet de loi avec ferveur.
Il est regrettable que l’opposition se soit adonnée à la désinformation et aux amalgames en tout genre, provoquant chez nos concitoyens une certaine confusion. Mais, et je tiens à le souligner, l’opposition a également participé à la bonne tenue des débats. La ténacité dont ont fait preuve nos collègues fut symbolique. Symbolique de nos différences, car ce sont bien deux visions de société qui se sont opposées tout au long de nos échanges.
Le choix que font les socialistes aujourd’hui, c’est de porter l’égalité comme étendard, la justice comme guide pour une grande réforme de progrès.
Cette loi est un premier pas nécessaire, une évolution sociale qui profite à la société dans son ensemble.
M. Jean-Sébastien Vialatte. L’enflure des mots !
Mme Corinne Narassiguin. Le débat a permis de lever d’autres questions, sur la filiation et les différentes façons de faire famille,…
M. Philippe Meunier. On l’a dit !
Mme Corinne Narassiguin. …notamment sur l’anonymat des dons.
Ce débat, nous l’aurons en temps voulu, dans le cadre d’un projet de loi qui concernera toutes les familles françaises, qu’elles soient homoparentales ou hétéroparentales. Nous faisons confiance au Gouvernement pour présenter, avant la fin de cette année, un projet de loi rationnel mais ambitieux.
L’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples homosexuels est une très belle avancée. Aujourd’hui, nous avons l’occasion de nous exprimer solennellement. C’est un vote emblématique, un vote qui marquera l’histoire.
C’est avec une grande fierté et une conviction forte que le groupe socialiste votera ce texte de loi.
Et comme, selon une partie de l’opposition, la crise économique nous poussait à croire que n’était pas venu le temps de parler d’amour, je tiens à les rassurer.
M. Philippe Cochet. C’est grotesque !
Mme Corinne Narassiguin. Après le mariage, nous allons discuter dès aujourd’hui de séparation… Bancaire, soit, mais ce n’est que pour mieux nous retrouver dans cet hémicycle. Car nous, socialistes, ne hiérarchisons pas les priorités !
Dans une démocratie représentative, la majorité parlementaire a toute légitimité à mettre en œuvre les engagements pris devant le peuple.
Nous nous devons d’être exemplaires. En tant qu’élus de la nation, il est de notre responsabilité de faire respecter la devise de la République : « Liberté, égalité, fraternité », rien de plus, rien de moins. (Les députés des groupes SRC, écologiste et GDR se lèvent et applaudissent vivement.)
M. le président. Pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Hervé Mariton.
Mme Marie-Noëlle Battistel. Pour un rappel au règlement ? (Sourires.)
M. Hervé Mariton. Nous allons, vous allez voter contre le projet de loi du Gouvernement.
Ce projet repose sur un constat erroné, oublie la famille, cellule de base de la société. Il est construit autour d’une proposition inadaptée car dogmatique avec des conséquences mal maîtrisées : la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui.
Nous, nous regardons vers l’avenir.
M. Patrick Ollier. C’est vrai !
M. Hervé Mariton. L’avenir s’écrit mieux avec notre engagement pour la famille, pour les enfants et nous continuerons notre combat.
M. Patrick Ollier. Oui, nous le continuerons !
M. Hervé Mariton. Quelles sont nos différences ?
Nous innovons avec le projet d’union civile quand vous vous enfermez dans une réponse standard.
Nous proposons une réponse pragmatique quand votre projet est dogmatique.
Nous regardons l’avenir quand vous vous enfermez dans un symbole.
Nous célébrons le mariage comme institution quand vous le ravalez au rang de contrat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous garantissons l’égalité des enfants quand vous risquez un nouveau droit à l’enfant.
Nous célébrons l’enfant comme un don quand vous le réclamez comme un dû. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous lui devons notre responsabilité quand vous le soumettez à votre liberté.
Nous parlons d’amour quand vous êtes sur la pente glissante de l’enfant objet. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Claude Perez. Zéro !
M. Hervé Mariton. Nous comprenons la filiation comme naturelle et culturelle quand vous l’entendez comme essentiellement culturelle.
Nous voulons réussir l’adoption…
M. Jean-Claude Perez. Tu parles !
M. Hervé Mariton. …quand vous la fragilisez.
Nous voulons une politique familiale forte quand vous en rognez les moyens.
Nous défendons de nouveaux droits pour les personnes homosexuelles quand vous vous y êtes opposés lamentablement l’autre jour en séance.
Nous sommes cohérents et nous regardons les conséquences de la loi quand vous tentez d’esquiver et masquez mal vos contradictions envers la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous voulons une loi intelligible quand vous proposez la construction factice de l’article-balai.
Nous voulons une loi lisible. Vous allez mentir puisque vous n’osez pas corriger l’article 310 du code civil qui précise les conditions de la filiation et allez mettre les couples homosexuels dans une situation impossible.
Nous aimons les mots de père et mère quand vous torturez la langue française (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI) et vous oubliez le nom du père.
Nous assumons notre opposition quand vous vous alignez sur le Président de la République et avez masqué souvent votre propre choix. Vous-même, monsieur le président Bartolone, dans votre profession de foi il n’était pas question du mariage et de la filiation des personnes de même sexe. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous voulons une voie que la France pourrait ouvrir quand vous imitez les copies inadaptées des pays à religion d’État.
Nous aimons la force et le sacré…
M. Jean-Claude Perez. Amen !
M. Pascal Deguilhem. Voilà le futur pape ! (Rires sur les bancs du groupe SRC.)
M. Hervé Mariton. …de la cérémonie républicaine – l’enfant doit honorer ses père et mère – quand vous la désincarnez.
Nous sommes pour la famille solidaire quand vous êtes individualistes.
Nous avons une vision charnelle de la famille quand vous êtes matérialistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Nous voulons transmettre au fil des générations quand vous ne connaissez que l’instant.
Nous voulons réécrire un texte plus beau, plus heureux, plus fécond quand vous voulez une loi irréversible.
Nous rassemblons quand vous clivez.
Nous voulons donner par référendum la parole aux Français quand vous la leur refusez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Nous sommes unis et libres quand vous êtes divisés et contraints.
M. Jean-Michel Clément. Ah bon !
M. Hervé Mariton. Nous voulons donner du sens au monde quand vous le subissez.
Pour nous, la politique est honneur quand vous êtes les greffiers d’un monde desséché. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Que serait la France sans Marcel Pagnol et son père, sans Albert Cohen et sa mère ? Oui, libérez-vous ! N’abîmez pas l’avenir de la France. La France mérite un tout autre projet. (De très nombreux députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent vivement – Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Fromantin, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
M. Pascal Deguilhem. Ce n’est pas le président du groupe UDI qui intervient ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Jean-Christophe Fromantin. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais à mon tour rendre hommage à tous ceux qui, au cours de ce débat, ont défendu des positions de bonne foi. Je pense que toutes les positions de bonne foi sont respectables et qu’elles méritent d’être respectées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)
C’est en conscience et dans le respect des nuances et des positions différentes des députés du groupe UDI que je m’exprime, dans le respect également des couples homosexuels qui attendent beaucoup de ce texte, mais avec la ferme conviction de la très grande majorité d’entre nous que ce projet de loi n’est pas acceptable car il remet en cause les fondements de la famille. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UDI et UMP.)
Nous avons très rarement l’occasion de débattre et de voter pour ou contre un texte qui marque autant le sens de notre engagement politique. Cela donne à chacun de nous, à chacun de nos votes, une portée particulière, une responsabilité particulière car non seulement il nous engage, mais surtout il engage toute la société. Le Président de la République ne s’est pas trompé d’ailleurs quand, il y a quelques mois, il a évoqué cette liberté de conscience.
Les débats que nous avons eus depuis plusieurs jours ont porté sur le sens que nous donnons, les uns et les autres, au mot « égalité ». Nous avions deux interprétations différentes : l’égalité pour les couples et la possibilité qui leur est donnée de fonder une famille, l’égalité pour les enfants et la chance qui leur est donnée d’avoir un père et une mère, la vérité ou la fiction, l’égalité au service des plus forts ou l’égalité au service du plus faible, le droit à l’enfant ou le droit de l’enfant.
Ce débat a été tranché dès le vote de l’article 1er, le 2 février dernier, et toutes les solutions que nous avons alors proposées comme celles de l’union civile et le statut de beaux-parents, alors même qu’elles répondaient à la réalité des situations vécues par les couples homosexuels et aux attentes de la plupart d’entre eux, ont été balayées d’un revers de la main.
Car la victoire que vous recherchiez était probablement d’abord d’ordre symbolique.
Mais ce symbole engage l’avenir bien au-delà de ce que pense la grande majorité des Français qui ne réalise peut-être pas aujourd’hui la portée de ce texte, bien au-delà de ce que vous leur avez dit et promis.
Vous créez trois nouveaux droits : celui de se marier pour les couples de même sexe, celui d’avoir des enfants – un droit à l’enfant –, celui surtout de rompre la filiation et de priver un enfant de ses origines.
Les réponses que vous devrez donner pour rendre effectifs ces droits, au-delà de l’adoption plénière déjà prévue dans le texte mais qui ne suffira pas, seront inévitablement la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui.
Malgré vos hésitations, malgré les débats et les consultations que vous nous avez promis sur le recours, ou non, à ces modes de procréation médicalement assistés, la Cour et probablement la jurisprudence européennes risquent de vous mettre rapidement, vous le savez, face à vos responsabilités.
M. Jean-Pierre Barbier. Très bien !
M. Jean-Christophe Fromantin. Vous avez refusé l’union civile, vous avez choisi le mariage. Ce choix est le vôtre, vous devrez l’assumer car le droit européen risque, je le crains fortement, de faire le reste du chemin à votre place si d’aventure vous n’osez pas aborder cette question ici devant la représentation nationale.
Faibles sont les motifs qui nous permettront, mes chers collègues, d’éviter la PMA et la GPA, ni la légitime attente des couples de même sexe, ni le sens, ni le principe d’égalité que beaucoup d’entre vous brandissent dans les débats au mépris des différences et de la richesse de ces différences.
Sachez que la quasi-totalité des députés du groupe UDI se mobiliseront avec détermination contre cette évolution qui marquerait une étape supplémentaire dans le droit à l’enfant.
Les Français ont-ils réalisé vers quoi ce texte nous emmène ? Je n’en suis pas du tout convaincu.
Votre projet de loi aboutira finalement à deux questions que poseront inévitablement les enfants : « D’où je viens ? » et « Pourquoi je n’ai pas de papa ou pourquoi je n’ai pas de maman ? » Vous estimez que ces questions ne méritaient pas de réponses. Elles sont pour nous essentielles. C’est la raison pour laquelle la majorité des députés du groupe UDI votera contre ce texte. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UDI et UMP.)
M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour le groupe Écologiste.
M. Sergio Coronado. Vingt-quatre séances, dix jours, 110 heures de débat et 4 999 amendements auront été nécessaires à l’examen du texte portant ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.
Majorité et opposition, nous avons bataillé, nous nous sommes affrontés, nous avons confronté nos arguments et défendu nos convictions. Nous avons ainsi fait la preuve que c’est dans cet hémicycle que bat le cœur de notre démocratie. C’est un acquis commun.
Après quinze pays, la France s’apprête enfin à ouvrir le mariage civil et l’adoption à des citoyennes et des citoyens qui en étaient privés du simple fait de leur orientation sexuelle.
Ce texte donne satisfaction à une revendication ancienne, apparue aux heures les plus sombres d’une pandémie qui sévit encore. Longtemps, elle fut tenue en lisière du débat politique. Le PACS lui-même ne fut acquis qu’au prix du renoncement à cette exigence d’égalité. Le législateur d’alors crut bon d’ignorer l’histoire sociale et politique qui se déploie sous nos yeux, celle de la sortie du placard, de la volonté d’être simplement soi et des nouveaux dilemmes ouverts dès lors en matière de conjugalité et d’homoparentalité.
Il eut tort, car les arguments d’hier alimentèrent les conservatismes d’aujourd’hui.
Ce texte, chers collègues, rendra désormais possible ce qui, pour une majorité de nos concitoyens, est une évidence. Une évidence, parce que pour tout citoyen, la possibilité de se marier est un droit et une liberté. Une évidence, parce que la majorité de la population désapprouve aujourd’hui que la loi prive encore de ce droit et de cette liberté les gays et les lesbiennes.
Ce projet de loi donne corps à la belle promesse d’égalité que la République fait à chacun de ses enfants. Il permet à la majorité de renouer avec une tradition d’émancipation parfois oubliée en route.
« Changer la vie », disait-on, si je me souviens bien – et je sais que nous sommes nombreux, sur ces bancs, à partager cette ambition de la politique. Ce que nous allons voter dans quelques minutes va en effet, chers collègues, changer la vie d’hommes et de femmes tenus à l’écart de cette institution républicaine qu’est le mariage civil. Ce que nous allons voter va changer la vie de dizaines de milliers de couples qui se voient ainsi reconnus en dignité et en droits. Ce texte va changer la vie de familles et d’enfants qui n’auront plus à bricoler avec la loi. La loi désormais les protégera.
Membre de la majorité, le groupe écologiste est fier de ce que nous allons accomplir. Cette réforme ne saurait cependant se faire à nos yeux au prix d’une ultime crispation.
Vous le savez, différentes modalités pour établir le lien de filiation existent. La filiation repose en effet sur la procréation, sur l’adoption ou sur l’engendrement avec tiers donneur. La filiation d’hier n’était pas biologique, mais instituée sur le socle du mariage. Telle était d’ailleurs la volonté des codificateurs de 1804. Et la filiation de demain ne sera pas une négation de l’altérité des sexes, mais la conjugaison harmonieuse de ce qui existe déjà, lorsque le législateur ouvrira la procréation médicalement assistée aux couples de femmes.
Votre Gouvernement, monsieur le Premier ministre, a pris ici même des engagements et cette parole donnée nous engage tous.
Je voudrais, en concluant mes propos, m’adresser à Mme la garde des sceaux. Vous avez fait preuve, madame, de talent, de détermination pour porter ce texte. Nul ici ne saurait le contester. Presque neuf ans après le mariage célébré par Noël Mamère à Bègles, vous venez de faire tomber les murs d’une discrimination. Il fut à l’époque sanctionné ; vous êtes aujourd’hui célébrée et applaudie dans les rangs de la majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Que de chemin parcouru ! Ce n’est que justice. C’est donc un mot simple, un mot très simple qui me vient à l’esprit : merci, madame, merci d’avoir apporté votre pierre à ce bel édifice qu’est l’égalité. Dans la majorité, nous pouvons être fiers du vote que nous allons émettre. Nous pouvons aussi être fiers de compter parmi les membres de l’opposition des hommes et des femmes libres qui permettront que des couples aient accès au mariage. (Les députés du groupe écologiste et plusieurs députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent – Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Alain Tourret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, la loi sur le mariage et l’adoption par les couples de même sexe marquera l’histoire de la République.
Cette loi met fin à une discrimination vieille de plus de deux siècles. Cette loi rend justice aux homosexuels qui, de tout temps, ont été victimes d’une homophobie persistante et prégnante. Ce n’est que le 10 décembre 1981 que la dernière loi sanctionnant pénalement l’homosexualité a été abolie. Abolie par la gauche et pas par la droite ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Cette loi a été l’occasion pour la droite et pour la gauche d’opposer leurs visions de la société. D’un côté le passé, certes respectable mais qui reste le passé.
M. Lionnel Luca. Arrêtez !
M. Alain Tourret. De l’autre côté l’avenir, porté par vous monsieur le Premier ministre (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP), porté en particulier par la jeunesse de France qui croit plus que quiconque aux principes d’égalité et d’humanité.
Mais cette loi restera dans notre histoire car, pour la première fois, des amendements communs ont été signés par la droite et par le Front national. Que ce rapprochement honteux se soit fait sur une loi sociétale en dit long sur le délitement d’une certaine droite. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Le groupe RRDP, les radicaux quasi-unanimes, voteront cette loi. Mais ils ont fait valoir avec force, monsieur le Premier ministre, qu’ils s’opposeront frontalement à toute recherche de légalisation de la gestation pour autrui. Ils souhaitent, madame la garde des sceaux, que la France prenne des initiatives pour qu’une convention internationale vienne interdire et sanctionner tout recours à la gestation pour autrui.
Au cours de ces débats, les radicaux ont rappelé avec force leur attachement aux institutions républicaines, à la célébration du mariage républicain, au rôle du procureur de la République, garant des libertés et de l’état civil. Amendements présentés par les radicaux que vous avez, à droite, refusé de voter !
M. le premier ministre anglais David Cameron l’a dit : « Avec cette loi, une nation est plus forte ».
Mme Marie-Christine Dalloz. Nous sommes en France !
M. Alain Tourret. M. l’ancien Premier ministre d’Espagne Zapatero l’a dit : « Avec cette loi la France sera plus républicaine. » (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.)
Ce sont donc les fondements mêmes de la République qui sortiront renforcés de cette loi si magistralement portée par vous, notre amie Christiane Taubira. Merci ! (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes RRDP, SRC, GDR et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-George Buffet pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Mme Marie-George Buffet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les ministres, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la commission des lois, chers collègues, la loi que nous allons adopter ce soir va permettre à la France de franchir une étape nouvelle dans l’égalité d’accès pour toutes et tous aux droits garantis par notre République. C’est pour moi une grande fierté de vivre ce moment.
Après un long débat, le vote de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe va donner à voir la capacité de la représentation nationale à se saisir d’aspirations nouvelles et à leur donner légitimité par la loi.
Notre assemblée s’honorera ainsi de contribuer à une avancée humaine, comme elle a su le faire lors de l’abolition de la peine de mort avec la loi Badinter, ou lors de l’autorisation de l’interruption volontaire de grossesse, avec la loi Veil.
M. Jean Leonetti. Ce n’est pas le même niveau !
Mme Marie-George Buffet. Que nous dit le projet de loi soumis à notre vote ? Il nous dit que le mariage est un droit, le droit à un projet de vie partagé entre deux êtres humains, à un engagement basé sur l’amour et le respect de l’autre.
Mme Barbara Pompili. Tout à fait !
Mme Marie-George Buffet. Il nous dit qu’il n’est pas acceptable que des hommes et des femmes soient écartés de ce droit, car ils vivent ce projet, cet engagement entre personnes du même sexe.
Ce texte met fin à une discrimination. Une discrimination qui s’appuie sur un ordre, la domination patriarcale, et un code aujourd’hui dépassé, réduisant le mariage à un modèle familial unique où amour et sexualité sont liés à procréation et filiation. Un modèle qui serait, selon des orateurs de l’opposition, fondé sur la loi de la nature. Mais les droits acquis par les êtres humains leur ont permis heureusement de dépasser l’état de nature. Aujourd’hui, les femmes disposent de leurs corps et maîtrisent leur fécondité ; elles ne doivent plus enfanter dans la douleur. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.) La liberté sexuelle se conjugue avec l’exigence de la non-marchandisation du corps. (« Ah ! » et « Très bien » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Écoutez, pour une fois !
Une exigence qui dicte notre refus de la gestation pour autrui, qui utilise le corps des femmes. Une exigence qui appelle aussi l’abolition de la prostitution. La famille se conjugue aujourd’hui en famille monoparentale, famille recomposée, famille homoparentale. L’amour, le projet de vie commun se sont libérés d’un modèle unique, et c’est bien ! Car en en finissant avec l’hypocrisie, bien des frustrations, bien des souffrances sont levées.
Le projet de loi ouvre aussi, en lien avec le mariage, le droit de fonder famille, en instaurant l’adoption pour tous les couples. Contrairement à ce qui a été dit par les opposants au projet, il ne s’agit pas d’un « droit à l’enfant » (« Si ! » sur les bancs du groupe UMP) mais, au contraire, d’ouvrir les mêmes droits à tous les enfants, quel que soit le foyer au sein duquel ils vivent. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, RRDP et écologiste.)
Car ce qui importe le plus pour les enfants, c’est bien l’amour qui les entoure, la démarche éducative comme la protection accordée par leurs parents : permettez-moi de penser que tout cela ne dépend pas de l’identité sexuelle de ces derniers.
Permettre l’adoption pour les couples homosexuels comme hétérosexuels, appelle que la France ne se plie pas aux exigences conservatrices de certains pays mais, au contraire, agisse au plan international, lors des conventions bilatérales et des sommets internationaux, contre l’homophobie d’État.
Nos collègues de l’opposition ont, tout au long du débat, opposé les droits des enfants à ce projet de loi, mais ce projet est une avancée pour les droits des enfants ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Il lève toute instabilité pour leur avenir en leur permettant d’avoir des parents dont la responsabilité est reconnue à part entière. Si des enfants, parfois, souffrent du regard extérieur, n’est-ce pas justement parce que la loi ne leur permet pas de vivre à égalité avec les autres enfants ?
Mme Marie-Odile Bouillé. Tout à fait !
Mme Marie-George Buffet. La loi qui nous est soumise ce soir leur permet d’avoir des parents de plein droit pour être des enfants de plein droit.
Ce dont nous décidons par ce vote, c’est en fait de notre capacité à vivre ou non ensemble, à gagner ou non en humanité par la pleine égalité et la liberté de chacun.
L’Assemblée n’a pas retenu l’inscription dans cette loi de la PMA, le Gouvernement s’est engagé à l’inscrire dans la « loi famille » à venir. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP.) Le débat permettra alors, je l’espère, de répondre aux attentes légitimes de toutes les femmes.
Mesdames les ministres, merci à vous pour la qualité de vos apports et pour votre engagement.
Merci aussi à tous ceux qui ont défendu leurs convictions avec sincérité.
Chers collègues, il y a des rendez-vous à ne pas manquer. La loi que nous allons adopter ce soir peut permettre à des hommes, des femmes et des enfants de vivre enfin un vrai bonheur dans la plénitude de leurs droits. C’est la raison pour laquelle les députés du Front de gauche voteront ce projet de loi. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC, RRDP et écologiste.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix l’ensemble du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 568
Nombre de suffrages exprimés 558
Majorité absolue 280
Pour l’adoption 329
Contre 229
(Le projet de loi est adopté.)
(Mmes et MM. les membres des groupes SRC, GDR, RRDP et écologiste se lèvent, applaudissent longuement et scandent « Égalité ! Égalité ! ».)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames et messieurs les députés, après ce vote solennel vous nous avez permis de franchir une étape. Ce n’est pas la dernière, mais elle est extrêmement importante. Après le Premier ministre, je voudrais remercier les présidents des quatre groupes de la majorité et les quatre responsables du texte pour leur engagement constant sur ce texte.
Je voudrais aussi exprimer ma gratitude aux députés de la majorité qui furent constamment nombreux, actifs, qui m’envoyaient une très belle énergie. Je veux saluer les députés de l’opposition, en particulier ceux qui, du premier au dernier jour, ont bataillé avec une très belle ténacité. C’est parce que chacun des députés ici a montré avec quel sérieux il considérait cet effort que nous avons réussi à élever le débat à cette hauteur.
Merci très chaleureusement à Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille, si présente, si impliquée, si combative. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Merci à Alain Vidalies, pour sa présence vigoureuse et efficace. (Mêmes mouvements.) Merci à vous, monsieur le président de l’Assemblée et aux vice-présidents, pour avoir si bien su tenir ces séances. (Mêmes mouvements.) Merci à tous pour ces jours et ces nuits passés ensemble. (Rires sur de nombreux bancs.) Merci pour ces sourires, pour ces rires, pour ces confrontations aussi, convictions contre convictions.
Les protections et les sécurités que promet ce texte concernent évidemment les conjointes et les conjoints mais, par-dessus tout, les enfants. En cas de séparation, le juge pourra s’en mêler, il pourra donc protéger la plus vulnérable ou le plus vulnérable des conjointes ou conjoints mais, surtout, préserver l’intérêt des enfants.
Je reviens rapidement sur l’outre-mer pour rappeler que c’est au nom de la liberté, des libertés individuelles que les Marrons se sont insurgés, que les esclaves se sont rebellés, et que Louis Delgrès a proclamé que la lutte contre l’oppression était un droit naturel. Les collectivités d’outre-mer n’ont donc aucune raison ni historique ni culturelle d’être en retrait sur les libertés. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP, ainsi que sur de nombreux bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe UDI.)
Évidemment, il y a des choses que ce texte ne pourra pas accomplir. Notamment, il ne supprimera pas les jeux amoureux ni chez les hétérosexuels ni chez les homosexuels. (Rires sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.) Il restera toujours beaucoup de femmes pour vous regarder, messieurs, pour vous observer, pour essayer de percevoir, sous vos carapaces, la tendresse qui parfois vous habite (Rires et applaudissements sur les mêmes bancs.), pour essayer de percer les défauts qui se cachent parfois sous des dehors affables et pour discerner dans l’entrelacs de vos talents et de vos faiblesses si vous êtes capables de « tracer des chemins sur la mer », comme l’écrivait Antonio Machado. Et, une fois qu’elles vous auront jaugés, les femmes décideront soit de vous faire languir, soit de vous séduire. (Sourires sur les mêmes bancs.) Ce texte n’y pourra rien : vous serez toujours soit en grâce, soit en péril. (Mêmes mouvements.)
En définitive, ce projet de loi nous a conduits à penser autrui, à consentir à l’altérité. Penser autrui, disait Emmanuel Levinas, relève de l’irréductible inquiétude pour l’autre. C’est ce que nous avons fait tout au long de ce débat. (Les députés des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP se lèvent et applaudissent vivement et longuement.)
3
Coprésidence paritaire
pour les groupes politiques
Vote solennel
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur la proposition de résolution tendant à modifier le règlement de l’Assemblée nationale afin d’instaurer la faculté pour les groupes politiques de se doter d’une coprésidence paritaire (nos 484, 651).
Explications de vote
M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à Mme Barbara Pompili pour le groupe Écologiste.
Mme Barbara Pompili. Monsieur le Président, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, il est difficile, après un moment aussi fort, de passer à la suite. (Murmures sur les bancs du groupe UMP.) Nous allons tout de même continuer à parler d’égalité.
J’ai l’honneur – car c’en est réellement un – de vous appeler à voter la proposition de résolution déposée par l’ensemble des députés écologistes, qui vise à adapter le règlement de l’Assemblée à deux impératifs qui nous sont chers : la collégialité dans l’animation des groupes politiques et la parité.
Reconnaissons-le, ce texte n’a pas la portée du texte précédent, nos travées dégarnies en sont la preuve. Nous nous apprêtons pourtant à modifier un document qui a souvent été brandi ces derniers jours. De quoi s’agit-il, et pourquoi voulons-nous donc changer le texte de ce petit livre violet devenu familier aux internautes qui ont suivi nos débats ?
Alors que les écologistes ont, depuis le mois de juin dernier, fait le choix d’une coprésidence paritaire de leur groupe, que j’exerce avec François de Rugy, le règlement de l’Assemblée ne connaît, dans sa rédaction actuelle, qu’un seul et unique président pour les groupes politiques. C’est doublement dommageable. D’une part, en effet, le fonctionnement de cette coprésidence informelle n’est possible, en pratique, qu’en bricolant, en marge du règlement, ce qui n’est pas très satisfaisant et pourrait un jour être source d’incertitude juridique. D’autre part, en droit strict, les groupes qui souhaitent être coprésidés sont contraints de s’en remettre à un pis-aller : la présidence alternée. Ainsi, sur le plan juridique, seul François de Rugy a été président du groupe écologiste jusqu’au 14 janvier 2013, date à partir de laquelle je lui ai succédé.
Cinquante-cinq ans après la fondation de la Ve République, je suis ainsi la première femme présidente en titre d’un groupe politique à m’exprimer devant vous. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.) J’ai eu l’occasion de le souligner lors de la discussion du texte que nous vous proposons, je ne tire aucun titre de gloire de cette bizarrerie, bien au contraire : la présidente que je suis vient vous appeler à faire en sorte que ce statut puisse être, pour les groupes politiques qui en feront le choix, tout simplement partagé, et que la parité puisse ne pas être une simple option résultant de situations successives, mais bien une réalité permanente.
J’ai lu qu’un de nos collègues centristes s’était ce matin offusqué de ce projet devant la presse : un artifice pour régler les problèmes de ménage entre Pompili et de Rugy, a-t-il élégamment commenté.
M. Régis Juanico. Des noms !
Mme Barbara Pompili. Eh bien j’engage M. Jean-Christophe Lagarde – qui n’est pas présent – à discuter avec Mme Sonia Lagarde – la seule femme députée de son groupe – non pour régler une question de ménage, comme il dit, mais pour prendre un peu en compte son avis, qu’elle a courageusement exprimé au cours de nos débats, et en fonction duquel elle soutient ce texte. Mme Lagarde a en effet bien compris que c’est avec de petites avancées qu’on facilitera progressivement, pour les femmes et pour les personnes jeunes, l’accès à de réelles responsabilités politiques.
Nos débats en commission puis dans l’hémicycle nous ont permis de répondre aux objections légitimes qui avaient pu naître ici ou là : faire de cette ambition de la collégialité et de la parité assurées une règle conforme à notre règlement, sans la rendre unique et obligatoire pour tous, bref, inscrire l’innovation dans notre fonctionnement. C’est cela que nous allons faire aujourd’hui.
Cette volonté de changer concrètement les règles de la vie politique se traduit dans de nombreuses décisions mises en œuvre par la majorité présidentielle : composition paritaire du Gouvernement, efforts de transparence sur les revenus et les moyens de fonctionnement des élus, réforme de la réserve parlementaire, désormais équitable et bientôt transparente.
Il y aura d’autres étapes, d’autres rendez-vous auxquels les écologistes seront présents. François de Rugy et moi-même nous en entretiendrons dans quelques minutes avec le Premier ministre dans le cadre de ses consultations sur la réforme constitutionnelle annoncée par le Président de la République.
Sur l’indépendance de la justice, sur le non-cumul des mandats, sur le droit de vote des étrangers aux élections locales, nous lui dirons notre engagement et notre disponibilité. Toutes ces réformes seront des réformes communes, qui caractérisent une République moderne, ouverte et en phase avec la société.
Au-delà, il y a des modes de fonctionnement qui appartiennent à chacun, qui sont en quelque sorte inscrits dans l’ADN politique de chacune des composantes de cette assemblée. La coprésidence paritaire est aux yeux des écologistes un facteur de modernisation politique ; elle appliquée au Parlement européen et nos collègues du Bundestag, nous l’avons constaté il y a quelques jours, l’ont également adoptée.
En approuvant notre proposition, vous ne ferez pas du mode de fonctionnement choisi par le groupe écologiste une règle à laquelle chaque groupe devra se plier. Vous vous contenterez d’ouvrir un droit, vous rendrez ce mode de fonctionnement pleinement légitime. Vous lui assurerez une stabilité réglementaire et juridique, utile à tous, et en premier lieu à l’administration de l’Assemblée. C’est la raison pour laquelle je vous invite à voter ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Orliac, pour le groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.
Mme Dominique Orliac. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, proposer la modification du règlement de notre assemblée n’est jamais une démarche anodine. S’il en était besoin, l’importance du règlement s’est rappelée à nous au cours des débats qui ont eu lieu dans l’hémicycle ces quinze derniers jours. Brandi lorsqu’il s’agit de revenir au bon déroulement des débats, utilisé pour savoir avec précision quelles sont les prérogatives de l’un ou l’autre des organes qui animent notre assemblée, examiné après chaque modification par le Conseil constitutionnel pour en apprécier la conformité avec la Constitution, le règlement est évidemment la pièce essentielle sur laquelle reposent l’organisation et le fonctionnement de notre institution.
Cette pièce doit cependant évoluer, comme elle peut contribuer à faire évoluer les autres textes qui régissent nos institutions. Les groupes parlementaires ont pour la première fois été reconnus et institutionnalisés dans notre règlement en 1910, alors qu’il s’agissait de régler le problème crucial de la composition des commissions permanentes. Les groupes parlementaires ne se doteront d’un statut constitutionnel qu’en 1946, pour le perdre en 1958, et le retrouver un demi-siècle plus tard, à la faveur de la réforme constitutionnelle de 2008.
Les groupes parlementaires sont la condition sine qua non de la représentation démocratique qui incombe aux assemblées parlementaires. Ils permettent, par le regroupement qu’ils opèrent des élus partageant la même sensibilité, de rendre plausible l’adoption ou le rejet d’un texte avant que le scrutin ait lieu. Ce qui est un gage de transparence dans l’acte de représentation et l’assurance d’une efficacité accrue dans l’action publique.
C’est pour cela que les présidents de groupe, qui les représentent à l’intérieur et à l’extérieur de l’hémicycle, ont des prérogatives et des pouvoirs nominaux. La proposition de résolution déposée par le groupe écologiste a ainsi, principalement, pour objet de « partager les responsabilités » et de « reconnaître une culture plus collective de l’exercice du pouvoir », tout en organisant une solidarité entre deux présidents d’un même groupe : une présomption irréfragable d’accord entre les deux coprésidents existerait, sauf pour l’acte constitutif par excellence, l’adhésion, l’apparentement ou l’exclusion d’un député.
Cette présomption est évidemment la conséquence logique du fonctionnement de l’Assemblée : comme je l’ai rappelé, le président représente son groupe, il en est l’incarnation. Deux coprésidents ne peuvent être qu’un président à deux têtes. Quant à un éventuel désaccord entre les deux coprésidents, il ne pourrait être réglé « que par la voie politique », pour reprendre les propos tenus en commission des lois le 23 janvier par notre collègue Barbara Pompili, présidente en titre du groupe écologiste depuis le 14 janvier. En effet, selon vous, ma chère collègue, « il n’appartient pas au règlement de l’Assemblée nationale de s’immiscer dans le fonctionnement des groupes pour prétendre, à l’avance, faire face à d’éventuels différends ». Je suis en tous points d’accord avec vous, mais ne peut-on renverser l’argument et répliquer, par symétrie, qu’il n’appartient pas à un groupe politique de faire institutionnaliser par le règlement une pratique politique qui lui est propre ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
Car cette coprésidence serait paritaire, et c’est en cela que cette proposition de résolution trahit, d’une certaine manière, son origine. Je suis bien évidemment favorable à une meilleure représentation des femmes à l’Assemblée nationale et à un meilleur partage des responsabilités politiques en son sein. Malheureusement, cette coprésidence facultative mais obligatoirement paritaire risque de faire peu d’émules. Elle reste, cependant, intéressante. Elle peut constituer une soupape…
M. Lionel Tardy. Ce n’est pas le rôle du règlement de servir de soupape !
Mme Dominique Orliac. …et permettre d’éviter la scission d’un groupe en installant à sa tête deux coprésidents qui partageraient ainsi les responsabilités qui leurs échoient. Si elle avait trouvé à s’appliquer il y a quelques mois, le groupe UMP aurait peut-être échappé à la constitution du groupe RUMP.
Pour cette raison, et dans la continuité de ce qu’avait déclaré notre collègue Alain Tourret en commission des lois, le groupe RRDP ne s’opposera pas à l’adoption de cette résolution, même s’il doute fortement de son applicabilité.
L’expérience menée par le groupe écologiste est intéressante, je le répète, mais l’empirisme a des limites, surtout dans cette enceinte : si une modification du règlement peut aider le groupe écologiste à mieux fonctionner, sans nuire à l’organisation des autres, alors pourquoi pas ?
M. le président. La parole est à M. Marc Dolez, pour le groupe de la gauche démocrate et républicaine.
M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, notre groupe est engagé depuis longtemps dans le combat pour l’égalité réelle entre les hommes et les femmes. Il comprend donc l’esprit de ce texte, qui propose d’offrir aux groupes qui le souhaitent la possibilité de se doter d’une coprésidence constituée d’un homme et d’une femme. Si nous comprenons aussi le souhait des auteurs de la proposition de faire reconnaître pleinement la coprésidence de leur groupe, nous estimons cependant qu’il n’est ni nécessaire, ni opportun, de modifier le règlement de notre assemblée.
M. Lionel Tardy et M. Philippe Cochet. Bravo !
M. Marc Dolez. Les exemples qui ont été avancés, celui du Bundestag et celui du Parlement européen, sont probants à cet égard, puisque les coprésidences n’y sont pas nécessairement paritaires et ne résultent pas d’une modification du règlement de ces assemblées, mais d’une convention.
Nous considérons également, comme l’a excellemment démontré le président de la commission des lois, qu’il n’appartient pas au règlement de l’Assemblée nationale de régir le fonctionnement interne des groupes, prolongements des partis politiques, dont l’indépendance et la liberté sont garantis par la Constitution. Nous craignons enfin que, dans la pratique, la coprésidence d’un groupe ne constitue immanquablement une source de dysfonctionnement, des droits spécifiques et des prérogatives étant accordés aux présidents de groupes.
Le texte propose, certes, de présumer l’accord entre les deux coprésidents et de privilégier le règlement politique d’éventuels différends, l’accord conjoint n’étant requis que pour l’adhésion, l’apparentement ou la radiation du groupe. Il n’en est pas moins probable que des désaccords entre coprésidents auraient des conséquences directes sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale.
Compte tenu de ces différentes réserves, les députés du Front de Gauche s’abstiendront sur cette proposition de résolution.
M. Nicolas Sansu. Très bien !
M. Franck Gilard. C’est très dur !
M. le président. Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Dominique Raimbourg pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
M. Dominique Raimbourg. Monsieur le président, mes chers collègues, après avoir un peu hésité, le groupe SRC va finalement voter pour cette proposition de résolution.
Si nous avons hésité, c’est parce que nous nourrissions plusieurs craintes. La première était que cette proposition, par le poids idéologique que représente le thème de la parité, ne s’impose avec force à tous. La deuxième crainte était évidemment celle de l’excès de réglementation. La troisième, c’était de voir, comme l’a dit notre collègue Marc Dolez, l’Assemblée nationale imposer sa loi aux groupes politiques. La quatrième crainte, enfin, nous était plus personnelle. Les groupes politiques sont des appareils fragiles, qui comptent une majorité, une minorité et des sensibilités différentes, et nous avons craint, pendant un moment, qu’une présidence collégiale ne nous amène à une cohabitation entre un courant majoritaire et un courant minoritaire.
Puis, la réflexion aidant, nous avons abouti à d’autres considérations. Nous avons d’abord remarqué que ce texte constitue une avancée incontestable en matière de parité – et nous avons bien besoin de ce type d’avancées. Il constitue également une avancée en matière de direction collégiale. Or, dans une Ve République où le Président de la République a tendance à concentrer beaucoup de pouvoir entre ses mains, c’est une bonne chose d’expérimenter des modes de direction collégiaux. L’examen du texte nous a démontré, enfin, que celui-ci n’avait pas de caractère obligatoire, qu’il s’agissait d’une résolution et qu’il exprimait seulement un souhait, celui de nous voir avancer, en donnant à chaque groupe politique la possibilité de faire, ou non, un pas en avant, et même de le différer dans le temps.
En conséquence, et parce que la question du règlement doit aussi faire l’objet d’une réflexion menée par la présidence de notre assemblée, le groupe SRC votera en faveur de cette résolution. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Lionel Tardy. Monsieur le président, vous m’excuserez de ne pas monter à la tribune, mais franchement, ce texte n’en vaut pas la peine. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
La proposition de résolution sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer cet après-midi vise à modifier le règlement de l’Assemblée nationale, afin de permettre aux groupes politiques de se doter d’une coprésidence. C’est un texte d’affichage, qui est mal ficelé juridiquement, mais qui offre une belle exposition médiatique, puisqu’il paraît promouvoir la parité.
M. Henri Jibrayel. Vous n’avez aucun respect pour la République !
M. Lionel Tardy. Il n’y a là rien d’étonnant, venant du groupe écologiste, qui s’est fait une spécialité de ce genre de proposition. Ce texte, le premier du groupe écologiste examiné à l’Assemblée nationale, donne une bonne idée des priorités de ce groupe, alors que nous sommes en pleine crise économique.
M. Michel Vergnier. Goujat !
M. Lionel Tardy. Ce qui nous a surpris, sur les bancs de l’opposition, c’est la position du groupe socialiste.
Mme Chaynesse Khirouni. Regardez le nombre de femmes sur vos bancs !
M. Lionel Tardy. Après avoir rejeté ce texte en commission sans la moindre hésitation, il annonce finalement en séance, par une volte-face inattendue, qu’il votera ce texte. Chercher la cohérence dans ce vote est sans doute inutile, car il n’y en a pas.
Le vote de ce texte est seulement le résultat d’une négociation de couloir et de la stratégie du donnant-donnant : le groupe majoritaire a baissé pavillon face à un allié turbulent, pour mieux retoquer, dans la même journée, le texte relatif à l’application du principe de précaution aux ondes électromagnétiques, ce dont nous nous félicitons du reste, tant ce texte était, lui aussi, mal ficelé.
M. Henri Jibrayel. Provocateur !
M. Lionel Tardy. Depuis le début de cette législature, on se demande s’il y a un pilote dans l’avion. Avec ce texte, une fois encore, force est de constater que non.
Mes chers collègues, la proposition de résolution qui est aujourd’hui soumise au vote est un texte bancal, très probablement non conforme à la Constitution, et qui n’était pas nécessaire : c’est le sens de l’argumentation, remarquablement développée en séance par le président de la commission des lois lui-même, et à laquelle le groupe UMP adhère totalement.
Ce texte est certes rempli de bons sentiments et vise un objectif, la parité, que nous partageons,…
Mme Barbara Pompili. On en a la preuve en regardant vos bancs !
M. Lionel Tardy. …mais il est techniquement inopérant, et c’est finalement ne pas rendre service à la cause que l’on prétend faire avancer, que de présenter un texte aussi mal ficelé.
Le groupe UMP votera donc contre ce texte d’affichage, essentiellement destiné à permettre à un groupe minoritaire de soigner son image. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Sonia Lagarde, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Mme Sonia Lagarde. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, si certains ne veulent pas monter à la tribune, pour ma part, j’y monte avec beaucoup de conviction, croyez-moi. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)
Il y a deux manières de lire le projet de résolution qui est aujourd’hui soumis au vote de notre assemblée. Derrière les apparences, celles d’une simple modification technique du règlement de notre Assemblée, c’est une question de fond qui se pose, celle de la parité, c’est-à-dire de la place des femmes dans le fonctionnement de notre institution parlementaire et, plus largement, de la place qui leur est faite dans la République.
Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est de permettre aux groupes politiques constitués au sein de notre assemblée de se doter, à rebours des usages en vigueur, d’une coprésidence paritaire. Mais cette réforme renvoie en réalité à un débat de plus grande ampleur, celui de savoir s’il faut se contenter de proclamer l’égalité entre les hommes et les femmes, puis d’attendre patiemment l’avènement de la parité, ou s’il faut mobiliser toute la force de la loi pour hâter notre marche vers la complète réalisation de cet objectif.
Mme Laurence Dumont. Combien y a-t-il de femmes à l’UDI ?
Mme Sonia Lagarde. À la question que je pose, le constituant a déjà répondu par deux fois, en 1999 et en 2008, lorsqu’il a inscrit dans notre loi fondamentale que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».
Depuis 1999, les gouvernements et les majorités qui se sont succédé, quoique de sensibilités politiques différentes, ont poursuivi la mise en œuvre de dispositifs contraignants, destinés à permettre aux femmes de jouer enfin tout leur rôle, non seulement dans notre vie politique, mais aussi, plus récemment, dans les conseils d’administration des grandes entreprises et dans la haute fonction publique.
Ce texte, qui s’inscrit dans leur sillage, a les défauts de ses qualités. Sa principale qualité, c’est qu’en faisant de la coprésidence paritaire une possibilité, il privilégie la souplesse et renvoie la question de la parité à la responsabilité de chaque groupe politique. Mais on sait, malheureusement, de quel côté penche la balance de certaines formations politiques, lorsque la parité relève d’un simple choix.
Mes chers collègues, la question qui nous est posée aujourd’hui est bien celle-ci : en avons-nous fait assez pour la parité ?
M. Alain Suguenot. On a fait le mariage !
Mme Sonia Lagarde. En avons-nous fait assez, alors qu’il manque plus de cent femmes sur nos bancs pour que la représentation nationale soit réellement paritaire ? Le constat s’impose à nous de manière flagrante : en dépit d’avancées chèrement acquises, dont certaines ont été déterminantes, la stricte parité, l’égalité entre les femmes et les hommes, reste encore aujourd’hui à conquérir. Nous ne sommes que 26 % de femmes dans cet hémicycle, et la situation est encore pire au Sénat, puisqu’on ne compte que 22 % de sénatrices.
Comme je l’ai déjà souligné dans une précédente intervention, ces chiffres attestent à la fois de la lente progression de la parité à l’Assemblée nationale – au rythme où nous allons, la parité ne serait effective que dans quinze ans –, mais surtout du travail qu’il nous reste à accomplir pour faire évoluer les mentalités.
Cela étant dit, le groupe UDI regrette que cette proposition de résolution vise à régler un problème interne au groupe écologiste, comme nous l’a expliqué tout à l’heure Barbara Pompili.
M. Jean-Luc Reitzer. Eh oui !
Mme Sonia Lagarde. C’est pour cette raison qu’une grande majorité de notre groupe ne participera pas au vote. Quant à moi, j’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer ici sur ce sujet, et c’est avec une profonde conviction que je voterai en faveur de cette proposition de résolution, à la fois en tant que députée de la nation et en tant que femme qui ne renonce pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et sur quelques bancs du groupe UDI.)
Mme Chaynesse Khirouni. Bravo !
Vote sur l’ensemble
M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix la proposition de résolution.
(Il est procédé au scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 388
Nombre de suffrages exprimés 368
Majorité absolue 185
Pour l’adoption 229
Contre 139
(La proposition de résolution est adoptée.)
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
4
Dépôt du rapport annuel
de la Cour des comptes
M. le président. L’ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Je souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue au Premier président de la Cour des comptes.
Vous le savez, monsieur le Premier président, le contrôle et l’évaluation occupent une importance croissante dans nos activités. Les députés se sont particulièrement investis dans le suivi de l’exécution des lois de finances et de financement de la sécurité sociale.
M. Dominique Baert. C’est vrai !
M. le président. Dans ces domaines, l’institution que vous présidez assiste le Parlement, selon les termes mêmes de la Constitution, et les commissions des finances et des affaires sociales, mais aussi le Comité d’évaluation et de contrôle, ne peuvent que se féliciter de travailler aussi régulièrement avec la Cour.
Cette collaboration prend cette année une dimension particulière puisque désormais les comptes de l’Assemblée nationale seront certifiés par la Cour des comptes.
Je me réjouis tout particulièrement de cette réforme décisive qui illustre une nouvelle fois, s’il en était besoin, notre souci constant de garantir la transparence de notre fonctionnement, et qui ouvre une nouvelle étape dans les relations privilégiées qu’entretiennent nos deux institutions.
Au-delà de nos échanges quotidiens, les rapports publics, s’ils contribuent naturellement à l’information du Parlement, sont progressivement devenus une mine d’information de nos concitoyens, la publicité méritée que lui donnent les médias en atteste.
Vous comprendrez dès lors que, chaque année, le dépôt de ce rapport devant la représentation nationale soit un moment particulièrement important.
Nouvelle manifestation de l’intérêt que l’Assemblée nationale porte au rapport public, la Conférence des présidents réunie ce matin a souhaité lui donner un prolongement en prévoyant un débat qui lui serait spécifiquement consacré et qui pourrait avoir lieu au cours de la semaine de contrôle du 18 mars.
Monsieur le Premier président, je vous donne maintenant la parole.
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Monsieur le président, j’ai l’honneur de vous présenter le rapport public annuel de la Cour des comptes, en application de l’article L. 143-6 du code des juridictions financières.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les députés, c’est pour moi un plaisir – et toujours un moment d’émotion – de présenter le rapport public annuel de la Cour des comptes à la représentation nationale.
Ce rituel a des racines anciennes dans l’histoire du Parlement et de la Cour : il a été instauré en 1832. Il prend aujourd’hui un sens renouvelé, car les évolutions récentes ont considérablement rapproché la Cour du Parlement, afin de lui permettre de l’assister dans le contrôle de l’action administrative, de l’exécution du budget de l’État, dans l’appréciation de la situation et des perspectives des finances publiques, dans l’amélioration de la qualité des comptes publics à travers ses missions de certification et bien sûr, dans l’évaluation des politiques publiques.
Ce travail pour le Parlement représente un enrichissement considérable de nos missions dans le respect du rôle de chacun – pour vous de décideur, pour nous d’expert – et de notre liberté de programmation, afin que nous puissions assumer nos missions en toute indépendance.
Je me réjouis de voir que les rapports qui vous sont livrés, par les observations et les recommandations qu’ils contiennent, alimentent les travaux de vos commissions. Vous pouvez compter, mesdames et messieurs les députés, sur notre concours, sachant que le dernier mot vous revient, comme il se doit.
Le rapport public annuel est notre publication emblématique. Il illustre notre mission d’information du citoyen qui est inscrite dans la Constitution. Cette mission est également remplie, tout au long de l’année, par la publication de rapports et de référés sur des sujets variés, en complément de celui-ci.
Le rapport public de cette année traite quarante-cinq sujets. Le premier répond à la préoccupation constante de la Cour d’éclairer sur la situation de nos finances publiques et de contribuer à leur redressement.
La Cour fait deux constats sur la situation des finances publiques. Le premier est que le redressement des comptes engagé en 2011 s’est poursuivi et a progressé en 2012. Mais une partie toujours importante du chemin reste à faire. C’est pourquoi l’effort entrepris doit être poursuivi sans relâchement.
En 2009, le déficit public avait atteint le niveau historique de 7,5 % du PIB, dont seule une partie limitée était directement imputable aux effets de la crise. Ce niveau de déficit a placé la France dans une situation très préoccupante, en raison de la forte progression de sa dette. Le respect par la France des engagements pris devant ses partenaires européens en 2011 et en 2012 constitue un progrès certain. Il contribue à expliquer la faiblesse des taux d’intérêt dont bénéficie, pour le moment, la France.
Ce début de redressement d’une crédibilité profondément dégradée demeure toutefois fragile. Malgré les mesures supplémentaires prises l’été dernier, le risque que le déficit pour 2012 se révèle un peu plus élevé que l’objectif, fixé à 4,5 % du PIB, ne peut être écarté, en raison de l’effet sur les recettes de la dégradation de la conjoncture. Mais l’effort structurel de réduction du déficit en 2012 a été très significatif : il devrait représenter 1,4 point de PIB.
Toutefois, selon toute vraisemblance, la situation relative de la France en 2012 sera restée moins bonne que la moyenne de la zone euro. Cela est particulièrement vrai par rapport à l’Allemagne qui a quasiment retrouvé l’équilibre de ses comptes publics.
Le deuxième constat de la Cour est que les mesures annoncées pour 2013 représentent un effort considérable, et même sans précédent. Cependant, l’objectif de déficit effectif de 3 % n’a que peu de chances d’être atteint, en raison notamment d’un niveau de croissance vraisemblablement inférieur aux prévisions.
Les prévisions de recettes du Gouvernement pour 2013 sont probablement trop favorables, en raison notamment de la fragilité du scénario macroéconomique retenu.
M. Lionel Tardy. Nous n’avons pas cessé de le dire !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Une hypothèse de croissance de 0,8 % apparaissait déjà optimiste au moment du débat budgétaire. Elle est désormais supérieure d’au moins un demi point de PIB à la plupart des prévisions économiques les plus récentes, qu’elles viennent du FMI, de la Commission européenne, de l’OCDE ou des instituts de conjoncture.
L’atteinte d’un objectif de déficit effectif peut soulever des difficultés importantes dans un contexte de stagnation économique prolongée. L’effet récessif des mesures de redressement, lorsqu’elles s’accumulent et sont mises en œuvre simultanément dans plusieurs États à la fois, ne peut être négligé.
Cela ne signifie pas que le déficit effectif et son évolution soient sans importance, car ils contribuent à l’accroissement de la dette, mais il doit également y avoir place, dans l’analyse, pour un raisonnement complémentaire, que privilégient d’ailleurs le nouveau traité européen et la loi organique du 17 décembre 2012.
Ces textes conduisent les États à viser des objectifs de déficit structurel, c’est-à-dire de déficit calculé indépendamment de l’effet de la conjoncture économique. Pour faire face à leurs engagements, les États fixent chaque année un effort structurel qu’ils doivent réaliser par la hausse des recettes et/ou la maîtrise des dépenses.
Pour l’année 2013, les augmentations de recettes et les économies sur les dépenses programmées représentent un effort de 38 milliards d’euros, soit presque deux points de PIB. Un tel montant n’a jamais été réalisé dans l’histoire récente de notre pays. À condition de réaliser concrètement cet effort, la France serait en mesure de tenir ses engagements en termes de déficit et d’effort structurels.
Selon toute vraisemblance, le respect de l’objectif effectif des 3 % appellerait quant à lui de nouvelles et importantes mesures d’ajustement.
Dans ce contexte, la Cour considère qu’il y a nécessité, pour les autorités responsables de l’Union européenne, de préciser le poids respectif qu’il importe de donner aux critères de solde effectif et de solde structurel. Elle invite les politiques à choisir quel critère ils entendent privilégier, sachant que les deux ont un sens et une importance.
En tout état de cause et quelle que soit l’évolution de la situation économique, la Cour insiste – et c’est son premier message de fond – pour que l’effort structurel programmé en 2013 soit effectivement et intégralement réalisé.
Or la Cour constate que la réalisation des deux points de PIB d’effort structurel n’est pas totalement assurée en raison d’incertitudes sur le produit des recettes ainsi que sur la réalisation des mesures d’économies sur les dépenses.
M. Lionel Tardy. Et oui !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Concernant les recettes, la Cour estime que le Gouvernement a retenu des hypothèses d’élasticité du produit des impôts à la croissance trop favorables. La Cour avait déjà fait un constat identique en 2012. Si des hypothèses plus prudentes étaient retenues, les recettes publiques pourraient être, par exemple, inférieures de près de cinq milliards d’euros aux prévisions actuelles.
Par ailleurs, les dernières lois financières ont introduit de très nombreuses mesures fiscales nouvelles : la Cour en a répertorié soixante-dix ayant chacune un impact sur l’exercice 2013 supérieur à cent millions d’euros. La multiplicité de ces mesures rend l’évaluation de leur produit d’ensemble fragile, le rendement de chacune d’entre elles étant susceptible d’influencer celui d’autres. En outre, il en résulte une complexification et une instabilité accrue de notre système fiscal qui peut être préjudiciable aux entreprises et aux investisseurs.
L’augmentation des dépenses de l’État votée pour 2013 est de 1,2 milliard d’euros par rapport aux dépenses exécutées en 2012. Cet objectif apparaît moins ambitieux qu’en 2012, où les dépenses avaient été réduites de 2,1 milliards d’euros par rapport à l’exécution de l’année précédente. Encore le respect de cet objectif pour 2013 suppose-t-il de réaliser effectivement les économies nécessaires pour contenir la croissance tendancielle des dépenses.
La Cour constate en la matière qu’une part de ces économies repose sur l’effet en 2013 des mesures prises sous la législature précédente dans le cadre de la RGPP, en particulier des réductions d’effectifs opérées en 2012. Les mesures nouvelles, identifiables dans la loi de finances pour 2013, n’expliquent que partiellement les autres économies de dépenses.
M. Jean-François Lamour et Mme Véronique Louwagie. Très bien !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Le Premier président a raison !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Au-delà des finances de l’État, les dépenses d’assurance maladie et de retraites devraient augmenter à un rythme un peu plus rapide qu’en 2012.
M. Jean-François Lamour. C’est mal parti !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Si le Gouvernement affiche une croissance de l’ensemble des dépenses de toutes les administrations publiques au même niveau qu’en 2012, ce résultat repose sur des hypothèses favorables quant à l’évolution des dépenses les moins directement sous le contrôle de l’État – assurance chômage, collectivités territoriales, opérateurs divers –, ce qui constitue un élément de fragilité de la prévision d’ensemble. Ainsi, la loi de finances table sur une hausse des dépenses d’indemnisation des chômeurs limitée à 1,6 %, alors que, de son côté, l’UNEDIC estime aujourd’hui cette augmentation à 8,3 %, soit 2 milliards d’euros supplémentaires.
M. Charles de Courson. Il y a un léger décalage !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Au total, si la poursuite en 2013 du freinage des dépenses publiques engagé en 2011 ne paraît pas aujourd’hui hors d’atteinte, cet effort appellera tout au long de l’année une stricte vigilance et nécessitera de nouvelles et importantes économies en cours d’exécution.
Le second message de la Cour sur les finances publiques, que je tiens à souligner de nouveau, est la nécessité de faire porter désormais l’intégralité de l’effort de redressement sur la seule maîtrise des dépenses jusqu’au retour à l’équilibre.
Certes, un ralentissement sans précédent des dépenses publiques s’est produit en 2011, puis en 2012. Mais, au cours des trois années, le levier des recettes a été utilisé massivement, au point de représenter plus de 75 % de l’effort. Ce choix s’écarte de la recommandation constante de la Cour de donner une priorité claire aux mesures axées sur les dépenses. Dès lors, la priorité absolue ne peut qu’être d’amplifier les efforts de maîtrise des dépenses déjà engagés dans l’ensemble des administrations publiques. Le Gouvernement prévoit un tel rééquilibrage au-delà de 2013, qui se traduira par un ralentissement encore plus marqué des dépenses publiques. Toutefois, il n’a pas encore précisé les mesures qui permettront de réaliser cet effort exigeant, même pour une partie de celui programmé en 2013.
Cet effort est possible : les multiples illustrations qui figurent dans la suite du rapport public annuel, ainsi que dans beaucoup d’autres rapports de la Cour, le montrent bien. En 2011, les dépenses publiques représentaient 56 points de PIB, soit le plus haut niveau jamais atteint en France et le deuxième de l’OCDE. Un tel niveau n’appelle pas en soi un jugement négatif : il traduit un choix collectif de préférence pour la dépense publique. Cependant, ce choix ne trouve sa pleine justification que si notre pays s’assure que les dépenses font la preuve de leur efficacité et de leur efficience. Or les rapports de la Cour, comme les évaluations disponibles – trop peu nombreuses –, montrent que tel n’est pas partout le cas. Lorsque la qualité de la dépense est mesurée, par exemple en matière d’éducation ou de retour à l’emploi – mais je pourrais prendre beaucoup d’autres exemples –, notre pays est loin d’atteindre des résultats en adéquation avec l’importance des dépenses qu’il consacre à ces politiques publiques.
M. René Dosière. Hélas !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Le rapport entend convaincre les citoyens comme les pouvoirs publics qu’il est possible de faire mieux avec moins, et que les économies sont parfaitement compatibles avec l’amélioration de la qualité des services publics.
M. René Dosière. C’est juste !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. C’est pourquoi la démarche de revue des politiques publiques, qu’elle s’appelle RGPP ou MAP, doit viser conjointement les économies et l’amélioration de la qualité. À défaut, le Gouvernement serait conduit, pour respecter ses engagements de maîtrise des dépenses, à appliquer des coups de rabot indifférenciés sur les catégories de dépenses.
De son côté, la Cour met en avant des pistes d’économies importantes. Je prendrai trois exemples tirés du rapport, mais je pourrais en citer d’autres.
Un premier exemple est le dispositif d’aide aux buralistes. Depuis 2004, l’État consacre à cette profession des aides importantes, de plus de 300 millions d’euros par an. Il s’agissait à l’origine de compenser la baisse du chiffre d’affaires attendue en raison de l’augmentation des prix du tabac. Cette baisse ne s’est pas produite : sauf dans des cas très minoritaires, la rémunération moyenne des buralistes a progressé fortement et les aides ont entraîné des effets d’aubaine massifs. La Cour appelle donc à une remise en cause rapide et complète des interventions de l’État, en ne laissant subsister que celles qui sont effectivement indispensables, ciblées sur les débitants en difficulté ou contribuant à la modernisation du réseau.
Un deuxième exemple d’économies possibles pour un résultat équivalent, voire meilleur, est celui des achats de maintenance au sein des armées. Les recommandations de la Cour permettraient une économie de 10 % sur ces dépenses, soit 300 millions d’euros.
Un troisième exemple est le plan d’aide à la presse écrite de 2009 à 2011. Une approche plus sélective des aides importantes que l’État consacre à ce secteur depuis 2009, une réduction de leur ampleur et une concentration plus forte des moyens sur les objectifs fondamentaux de la politique d’aide à la presse sont fortement recommandées. De nombreux autres exemples d’économies possibles figurent dans le rapport.
M. Claude Goasguen. C’est bien !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Si l’effort est à notre portée et si des gisements importants d’économies existent, la maîtrise de la dépense publique ne produira des effets à la hauteur des enjeux que si la contrainte est équitablement partagée entre tous les acteurs de cette dépense.
La pleine participation du secteur local aux efforts de maîtrise de la dépense trouve sa justification dans la croissance soutenue des dépenses publiques locales au cours de la dernière décennie. En euros constants et hors transferts de compétences, elles ont augmenté entre 2002 et 2011 de 16 milliards d’euros pour le bloc communal, de 13 milliards d’euros pour les départements et de 7 milliards d’euros pour les régions.
M. René Dosière. Toujours plus !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. La Cour considère que des marges de manœuvre importantes existent dans les communes et les intercommunalités. Une attention particulière doit entourer les projets d’investissement touristiques, sportifs et culturels. L’exemple du complexe Cap Découverte, ouvert en 2007 à Carmaux, dans le Tarn, en est l’illustration. Reposant sur une ambition irréaliste – 660 000 entrées payantes prévues à comparer aux 73 200 entrées réalisées en 2012 –, le site connaît un déficit important et non soutenable pour les collectivités concernées, ce qui pose la question de son avenir.
Il convient de tenir compte, dans l’effort demandé aux collectivités, des situations particulières de certaines catégories d’entre elles. Ainsi, le chapitre du rapport qui examine la situation financière des départements montre que ceux-ci connaissent généralement une situation difficile, en raison du faible dynamisme de leurs recettes et de dépenses accrues dans le champ social.
M. Henri Emmanuelli. Ces dépenses sont obligatoires !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Toutefois, les situations sont différentes d’un département à l’autre, ce qui appelle un renforcement de la péréquation, c’est-à-dire la redistribution des ressources entre collectivités.
M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Très bien !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. L’effort doit également concerner les opérateurs, c’est-à-dire les établissements de statuts divers dont le contrôle est assuré par l’État. Là aussi, d’importantes marges de progrès existent. Le cas du Centre national d’enseignement à distance illustre la situation d’un établissement qui n’a ni anticipé ni réussi à suivre la transformation profonde des modes d’enseignement qu’entraîne le développement des formations en ligne. Le CNED doit rapidement adopter une stratégie à la fois modernisatrice et réaliste, disposer de moyens humains adaptés et mieux les gérer. L’exemple de l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, créé en 2007, révèle une accumulation de missions mal assurées et des déficiences graves dans l’organisation et la gestion.
Les efforts doivent aussi concerner les administrations de sécurité sociale, afin de maîtriser les dépenses sociales. Le rapport fournit plusieurs illustrations des marges de progrès existantes, qu’il s’agisse du pilotage et des outils de la lutte contre la maladie d’Alzheimer, notamment en termes de prise en charge de certains médicaments à l’efficacité incertaine, de la prévention des accidents du travail ou des téléservices publics de santé, en particulier le dossier médical personnalisé. Une meilleure gestion permettrait d’obtenir à la fois de bien meilleurs résultats en matière de santé et d’importantes économies pour les régimes sociaux.
Enfin, les impératifs de bonne gestion doivent concerner aussi les entreprises publiques. Les contrôles de ces entreprises par la Cour mettent en évidence des pistes d’amélioration de leur gestion. Ainsi, la Cour met en garde le groupe EDF contre les risques qu’entraîne l’accumulation d’avantages salariaux.
M. Dominique Tian. Ah !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. Elle propose que le bénéfice du tarif agents – la fourniture d’électricité à très bas prix pour les agents – soit plafonné et que ses modalités d’évaluation soient conformes aux règles de droit commun applicables aux avantages en nature en matière fiscale et en matière sociale. Elle recommande également que les rémunérations des cadres dirigeants tiennent mieux compte de leur performance individuelle et collective.
L’examen par la Cour de la réforme de l’Audiovisuel extérieur de la France montre une évolution chaotique et une dérive financière, alors qu’un dispositif plus cohérent, lisible et efficient était attendu de la fusion de France 24, Radio France International, TV5 Monde et Monte-Carlo Doualiya. Au contraire, cette fusion inachevée a entraîné d’importants surcoûts. Il importe de définir une stratégie réaliste par rapport aux contraintes des finances publiques, et de mettre en œuvre les mutualisations attendues en surmontant les blocages.
Le rapport prend aussi l’exemple des dépenses de communication de la SNCF. Il révèle des infractions aux règles de la commande publique et certaines opérations dispendieuses. Quelques illustrations figurent dans le rapport.
Vous le constatez : les possibilités d’économies concernent l’ensemble des acteurs publics. Elles tiennent parfois aux imperfections de la gestion, mais également souvent au mauvais ciblage des interventions publiques. La Cour constate très fréquemment que le territoire retenu pour une action publique n’est pas le plus pertinent, ou que les bénéficiaires d’une prestation ne sont pas uniquement ceux qui en ont le plus besoin. Pour arroser quelques parterres de fleurs, on irrigue l’ensemble du jardin. Certains chapitres du rapport mettent en évidence le besoin d’une action publique mieux centrée sur les territoires pertinents. Je citerai brièvement trois exemples tirés du rapport.
L’étude du projet de LGV Est reliant Paris à Strasbourg a entraîné une compétition entre les collectivités qui ont financé le projet, conduisant à des choix d’investissement contestables. Par exemple, la construction de la gare TGV Lorraine en un lieu inapproprié a conduit les autorités à envisager la construction, à quelques kilomètres seulement, d’une autre gare qui serait, elle, reliée au réseau ferré régional.
Le chapitre sur les restructurations hospitalières met en évidence trois exemples de difficultés à regrouper des structures hospitalières dont l’activité est trop faible. Ces projets ont pu conduire à des dérives financières, comme à Perpignan, ou à des décisions incohérentes, comme dans la vallée de la Tarentaise, ou encore dans les Deux-Sèvres où trois hôpitaux proches, de faible activité, pourraient coexister avec un quatrième hôpital conçu à l’origine pour les regrouper entièrement.
Dans le cas du Mont Saint-Michel, le désengagement de l’État au profit d’un syndicat mixte, aux faibles effectifs et ne disposant pas des compétences adéquates, a entraîné de nombreuses déficiences dans la réalisation du projet de restauration du caractère maritime du Mont, concernant notamment le transport des visiteurs entre le parking et le site.
Les défauts de ciblage ne sont pas seulement territoriaux : ils concernent souvent le versement de prestations sociales ou de subventions. Les exemples des aides à la presse ou des débitants de tabac, que j’ai déjà évoqués, l’illustrent. C’est également le cas du RSA activité, que la majorité des bénéficiaires potentiels ne sollicitent pas, faute notamment d’une bonne coordination entre le RSA et la prime pour l’emploi.
Pour améliorer la qualité et l’efficience de la gestion, il convient également de réformer des organisations administratives dont la complexité limite la performance. Le rapport cite les deux exemples de la distribution d’électricité, qui repose sur une multitude de concessions souvent de très petite taille, et de la politique de délivrance aux étrangers de visas et de titres de séjour.
Pour mener à bien les réformes nécessaires – rationalisations, reciblages et simplifications –, une action déterminée et continue est essentielle. La Cour et les chambres régionales et territoriales le constatent lorsqu’elles examinent les conséquences tirées de leurs contrôles. Elles cherchent à rendre leurs travaux aussi utiles que possible. Sans vouloir limiter leur rôle à celui d’un outil de transparence au service de l’information du citoyen, les juridictions financières se considèrent également comme des initiateurs et des accompagnateurs de réformes. Elles s’efforcent d’associer à leurs constats et critiques des recommandations formulées en des termes les plus opérationnels possible. L’objet du tome II du rapport public annuel est de rendre compte des enquêtes de suivi de ces recommandations menées en moyenne trois années après un rapport public de la Cour, conformément à la volonté exprimée par le législateur.
Sur de nombreux sujets, vous verrez que les recommandations de la Cour ont été entièrement suivies, ou presque. C’est l’objet de la première partie de ce tome, identifiée par un onglet vert. Ainsi, la Cour et les chambres régionales et territoriales ont constaté des progrès dans la gestion du service de santé des armées, du port autonome de la Guadeloupe et de la commune d’Hénin-Beaumont. Plus généralement, 71 % des recommandations des trois dernières années sont totalement ou partiellement suivies d’effet.
La Cour a identifié neuf sujets sur lesquels la prise en compte de ses recommandations était insuffisante : il en est ainsi, par exemple, de l’encadrement des rémunérations dans le secteur bancaire…
M. Charles de Courson. Ah !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. …à la suite du plan de soutien au secteur, de la situation du Centre des monuments nationaux ou de la lutte contre le surendettement des particuliers. C’est pourquoi, dans cette circonstance, la Cour insiste. Ces recommandations sont identifiées par un onglet orange.
Enfin, vous trouverez six exemples de dérives persistantes, qui conduisent la Cour à alerter les citoyens et les décideurs.
M. René Dosière. Ce sont les « feux rouges » !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. J’ai déjà évoqué certains de ces sujets, comme le CNED ou l’Audiovisuel extérieur de la France. Je pourrais également citer la Caisse des congés spectacles. Sur chacun de ces sujets identifiés en rouge, la Cour alertera les citoyens et les décideurs publics aussi longtemps que nécessaire.
Avant de conclure, je souhaiterais livrer un dernier message et inviter les pouvoirs publics, à ne pas craindre de dépasser les intérêts particuliers pour faire prévaloir l’intérêt général.
M. René Dosière. Très bien !
M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes. C’est à ce prix que les réformes nécessaires peuvent être mises en place dans certains secteurs : j’ai déjà évoqué les buralistes. Le rapport fournit également l’exemple de l’action sociale de la direction générale de l’aviation civile, dont le budget important dépasse de 63 % les crédits votés par le Parlement. Cet exemple complète d’autres constats très critiques qu’a formulés récemment la Cour sur la gestion de cette direction et celle des contrôleurs aériens.
Enfin, le rapport livre deux exemples territoriaux de situations dans lesquelles l’intérêt général a été perdu de vue : la gestion cloisonnée de deux stations d’épuration contiguës dans l’Essonne, celle d’Évry et celle de Corbeil-Essonnes, ainsi que l’abattoir public de Basse-Terre en Guadeloupe, sujet de carences répétées.
L’effort de maîtrise des dépenses que notre pays s’est engagé à réaliser suppose, par son ampleur, un changement culturel important. Un euro de dépense publique doit être considéré par chacun comme une denrée précieuse. Aucun acteur ne doit se considérer par principe dispensé du nécessaire questionnement sur l’utilité, la pertinence, le juste ciblage et l’efficience de la dépense publique dont il a la charge. Il s’agit de faire en sorte que l’effort soit largement réparti et porte sur les dépenses les moins utiles. C’est à cette condition que l’effort programmé pourra être réalisé sans exiger de sacrifices importants ou arbitraires. Cet effort est possible, c’est la conviction de la Cour ; il suppose la mobilisation de tous.
En rendant compte de quarante-cinq sujets de contrôle, la Cour veut apporter toute sa contribution à cette démarche. Elle est dans son rôle, conformément aux missions qui lui sont confiées par la Constitution et par la loi, lorsqu’elle publie le résultat de ses contrôles après contradiction, formule des recommandations, en assure le suivi, signale les progrès et les insuffisances et, le cas échéant, en tire les suites juridictionnelles qui s’imposent, et, enfin, contribue à l’évaluation des politiques publiques.
Elle est également dans son rôle quand elle s’exprime dans le débat public pour rendre compte de ses travaux et mettre sur la table des propositions, tout en restant à sa place, consciente qu’elle est que le pouvoir de décision appartient naturellement aux représentants du suffrage universel : législatif et exécutif. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la loi organique sur les lois de finances de 2001 – la LOLF – a profondément modernisé nos finances publiques en engageant le Parlement dans l’évaluation des politiques publiques, vous l’indiquiez, monsieur le Premier président, dans votre propos liminaire.
En 2008, nous avons procédé à une réforme constitutionnelle d’une grande importance qui a consacré ce rôle d’évaluation du Parlement et a confié à la Cour des comptes une mission d’assistance du Parlement et du Gouvernement dans la fonction d’évaluation. La coopération entre la Cour des comptes et le Parlement se concrétise dans les relations que les commissions des finances et des affaires sociales en particulier et du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques entretiennent avec les magistrats de la Cour des comptes. Ce travail en commun, la commission des finances le vit tout au long de l’année. En 2012, la Cour nous a adressé trente-deux référés ainsi que vingt-deux rapports particuliers. Je souligne le caractère pointu, critique, le côté opérationnel dans les recommandations que recèlent ces rapports particuliers. Ils font l’objet de réponse de la part du Gouvernement. Je puis vous dire, monsieur le Premier président, que dès que je les reçois, je les transmets immédiatement aux rapporteurs spéciaux compétents, qui en font bon usage dans leur travail de contrôle.
De son côté, la commission des finances s’adresse à la Cour pour lui demander des enquêtes et l’associe aux travaux de sa mission d’évaluation et de contrôle. Je citerai quelques chiffres concernant l’année 2011, l’année 2012, année d’élections nationales, n’étant pas représentative.
En 2011, la Cour des comptes a participé à onze de nos réunions et aux quatre missions d’évaluation et de contrôle. En adoptant la loi portant réforme des juridictions financières, nous avons, du moins je l’espère, remédié à une carence, la Cour ne disposant pas des moyens nécessaires pour travailler, notamment sur les collectivités locales et les administrations déconcentrées.
Le programme pour 2013 est également fourni. Nous avons adressé à la Cour quatre demandes d’enquêtes, au titre de l’article 58-2 de la LOLF : sur l’évolution des missions et l’organisation des consulats ; sur l’évolution des péages autoroutiers et le bilan financier des concessions ; sur l’évolution et les conditions de maîtrise du crédit d’impôt recherche dont le coût est de plus en plus important, enfin, sur les avoirs bancaires et les contrats d’assurance-vie en déshérence.
Quant à la mission d’évaluation et de contrôle, qui souhaite que des magistrats de la Cour participent à ses réunions comme par le passé, elle travaillera successivement sur l’optimisation des aides à la construction de logements sociaux ; sur le recouvrement et la gestion des amendes pénales – n’est-ce pas madame Mazetier ? – ; sur la conduite des programmes d’armement en coopération ; sur l’accompagnement de la procédure pour les plans sociaux d’entreprise.
À côté de cette coopération « bilatérale », des moments forts sont attendus par le Parlement et par l’opinion publique. Il s’agit tout particulièrement de la contribution qu’apporte la Cour à la préparation du débat d’orientation des finances publiques, en juin de chaque année. Je tiens à vous dire, monsieur le Premier président, que votre rapport de juillet 2112, à la fois sur le bilan et la prospective, nous a été extrêmement utile. Second temps fort, la remise du rapport annuel dressant la liste habituelle de dépenses publiques peu efficaces, voire de gaspillages, ainsi que des propositions de réforme.
Je tiens à saluer l’indépendance des analyses de la Cour des comptes et la recherche permanente de l’intérêt général. D’où la force de votre discours, monsieur le Premier président. J’ai beaucoup apprécié votre lucidité sur l’état général de nos finances publiques et, de ce que vous venez d’énoncer, je retiendrai les points suivants. La France s’est engagée auprès de l’Europe, mais également et peut-être avant tout auprès de nos concitoyens à respecter une trajectoire de réduction progressive de nos déficits. Notre pays a plus que tenu ses engagements en 2010, 2011 et, je l’espère, en 2012. Vous avez souligné, monsieur le Premier président, la faiblesse actuelle des taux d’intérêt. Je souhaite profiter de la présence du ministre pour lui rappeler que c’est un héritage précieux qu’il a là. La faiblesse de nos taux d’intérêt est liée au fait que le précédent Gouvernement, la précédente majorité ont su respecter les engagements de réduction des dépenses publiques. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Guy Geoffroy. Absolument !
M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas sérieux !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Cet héritage, monsieur le ministre, il ne faut pas le dilapider. (Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Comme M. le Premier président, j’ai moi aussi, monsieur Emmanuelli, des inquiétudes, mais vous ne l’avez pas entendu…
M. Henri Emmanuelli. Si, je l’ai entendu et je répète que ce que vous dites n’est pas sérieux !
M. Jean-François Lamour. Vous êtes arrivé en plein milieu de son intervention.
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. J’ai, moi aussi, des inquiétudes pour l’année 2013.
L’objectif de réduire le déficit public à 3 % du PIB paraît, hélas, de plus en plus hors de portée.
M. Lionel Tardy. On le dit tous les jours !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Et cela pour les raisons que vous avez évoquées, monsieur le Premier président.
S’agissant des recettes, nous savons tous qu’elles sont surévaluées du fait que, malheureusement, la croissance ne sera pas au niveau de 0,8 % que nous espérons. Le Gouvernement sera très prochainement contraint à une révision à la baisse.
M. Lionel Tardy. Eh oui !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Chacun sait que 0,5 point de croissance en moins, c’est cinq milliards d’euros de recettes qui font défaut. Mais s’il y a une surévaluation – et le Premier président a eu raison d’insister sur ce point – c’est parce que nous sommes arrivés, tous impôts confondus, à une véritable overdose fiscale. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Plusieurs députés du groupe UMP. Il a raison !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Nous sommes entrés dans la zone des rendements décroissants de l’impôt. Le Premier président a pesé ses mots en parlant « d’élasticité ». Notre grande crainte, monsieur le ministre, c’est que les élasticités soient négatives.
M. Jean-François Lamour. On prendra l’élastique dans la figure ! (Sourires sur les bancs du groupe UMP.)
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. N’oublions jamais l’adage : trop d’impôt tue l’impôt ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)
M. le Premier président a évoqué, ce dont je le remercie, un aspect auquel je n’ai pas suffisamment prêté attention. Citant les soixante-dix mesures fiscales – ou de prélèvements obligatoires – diverses et variées que comportent les différentes lois de finances, il en a conclu que les recettes risquaient de ne pas être au rendez-vous.
Mais l’essentiel, mes chers collègues, n’est pas là. L’essentiel est d’abord dans les dépenses.
M. Guy Geoffroy. Oui !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. La Cour des comptes note que les économies qui ont permis de tenir la dépense en 2012 étaient presque totalement liées à des décisions prises par la précédente majorité.
M. Guillaume Larrivé et M. Camille de Rocca Serra. En effet !
M. Pierre-Alain Muet. Ce n’est pas vrai !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je les rappelle brièvement : non-remplacement d’un départ en retraite sur deux (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP) ; indexation partielle des transferts sociaux ;…
M. Jean-François Lamour. C’est nous !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …baisse en valeur des dotations aux collectivités locales ;…
M. Henri Emmanuelli. Vous vous trompez de débat ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. ...révision générale des politiques publiques. Or toutes ces décisions ont été remises en cause.
Mme Pascale Crozon. Heureusement !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. En matière de dépenses, l’année 2013 risque donc d’être très difficile. La Cour des comptes le note : si de loi de finances initiale à loi de finances initiale, la dépense d’État semble être tenue en 2013 par rapport à 2012, ce n’est pas vrai si l’on compare les prévisions de 2013 à l’exécution de 2012 : là, le dépassement sera probablement de plus d’un milliard d’euros.
M. Henri Emmanuelli. Et alors ?
Mme Sandrine Mazetier. Il n’y a que six mois que nous sommes au pouvoir.
Mme Catherine Vautrin. Huit !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Le Gouvernement prétend que, s’il n’avait rien fait, la dépense aurait augmenté de dix milliards d’euros de plus en 2013. Mais la Cour des comptes évalue cette économie en tendance non pas à 10, mais à 6 milliards d’euros. Elle l’indiquait déjà dans son rapport de juillet. Surtout, elle insiste sur le fait que cette économie n’est pas documentée. On ne dispose en effet d’aucun élément précis permettant de savoir où et comment se répartit cette prétendue économie de dix milliards.
M. Charles de Courson. Cela manque de précision en effet.
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. La Cour des comptes met en évidence une singularité française, singularité structurelle qui traverse les majorités et qui nous caractérise depuis une vingtaine d’années, à savoir que nous n’avons fait porter l’effort qu’à la marge. Pour redresser les comptes, nous avons de manière constante choisi d’augmenter les prélèvements obligatoires.
M. Charles de Courson. Hélas !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. La part de la dépense publique qui est d’une stabilité étonnante ces dernières années atteint 56,3 % du PIB en 2012 alors que dans la zone euro, nous sommes seulement à 49,5 %.
Vous dites, monsieur le Premier président, que si cette dépense était totalement efficace, il n’y aurait pas de problème. Je ne partage pas ce point de vue car la contrepartie de 56 points de dépenses publiques passe inévitablement par des prélèvements obligatoires qui détruisent l’initiative et même, à ce niveau, la création de richesses.
M. Henri Emmanuelli. Voici un point de vue très politique !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je n’irai pas plus loin dans l’analyse de ce rapport très intéressant – nous venons de le découvrir. Soyez sûr, monsieur le Premier président, que nous en ferons bon usage.
Je terminerai par un rappel. Comme le souligne la Cour des comptes dans ce rapport, nous dépassons aujourd’hui une limite très dangereuse puisque notre dette publique représente désormais 90 % du PIB. Dans ces conditions, il est clair que le moindre faux pas risque de dégrader très rapidement les conditions de financement de notre pays.
M. Henri Emmanuelli. Grâce à qui ? Dix ans de droite !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. En 2013, la France va être le premier emprunteur du monde en euros ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
M. Christian Eckert, rapporteur général de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le Premier président, j’ai envie de vous demander de nous excuser pour l’image que nous donnons, avec ce débat aussi partisan, j’allais dire aussi provocateur (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP) alors même que la qualité de vos travaux et l’excellente collaboration entre la Cour et le Parlement ont été salués par tous.
M. Yves Censi. Quel esprit critique !
M. Christian Eckert, rapporteur général. J’ai aussi envie de vous dire « Chiche ! ». Rebondissons, de façon calme et sereine, sur les analyses et propositions que contient votre rapport. Plutôt que de nous écharper pour savoir qui, de l’ancienne majorité – qui a exercé le pouvoir pendant dix ans – ou de l’actuelle – qui en a hérité depuis six mois – est responsable de ce que notre taux d’endettement public atteint 90 % du PIB,…
M. Hervé Mariton. Voilà qui vous arrange !
M. Christian Eckert, rapporteur général. …plutôt que de nous écharper pour savoir si la faiblesse de nos taux d’intérêt est le résultat de la politique antérieure ou plutôt de certaines décisions européennes, sur lesquelles le Président de la République a pesé, en convaincant M. Draghi,…
M. Guy Geoffroy. La France n’a jamais aussi peu pesé dans les décisions européennes !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Mieux vaudrait en tout cas, comme nous le faisons assez souvent à la commission des finances, mener un travail constructif pour faire en sorte que la dégradation des comptes publics dont nous avons hérité soit enfin corrigée.
S’agissant de la faiblesse des taux d’intérêt, monsieur le président de la commission des finances, je tiens à vous rappeler les discours alarmistes de ceux qui, durant la campagne électorale, prédisaient que dès le lendemain de l’élection d’un président de gauche et d’une majorité de gauche, on assisterait à une flambée des taux d’intérêt qui mettrait immédiatement à plat le budget de notre pays.
M. Henri Emmanuelli. Ils ont oublié !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Vous feriez mieux de prendre en compte certains constats.
En juin dernier, et vous l’avez dit, le rapport publié par la Cour des comptes à la demande du Premier ministre avait déjà souligné des risques de dérive budgétaire qui s’élevaient, si ma mémoire est bonne, à près de 2 milliards d’euros – 2 milliards pour une demie-année ! Et cette demie-année-là, nous n’y étions pour rien…
M. Éric Woerth. C’est tous les ans la même chose !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Dès le mois de juin, dans la loi de finances rectificative pour 2012, nous avons pris des mesures d’économies sur les dépenses – des mesures de surgel – à hauteur de 1,5 milliard d’euros qui font qu’aujourd’hui, peu ou prou, tout le monde s’accorde à dire qu’à l’épaisseur du trait près, nous tiendrons les prévisions de 4,5 % de déficit nominal.
M. Éric Woerth. Ce sont des mesures de gestion !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Ce sera peut-être 4,55 %, voire 4,6 %, nous verrons bien. Toujours est-il que cela représente un effort de 1,4 point de PIB sur le déficit structurel, comme vous l’avez souligné, monsieur le Premier président, avec l’honnêteté intellectuelle dont vous êtes coutumier.
Dans votre rapport, que j’ai lu attentivement ce week-end, vous avez encore souligné qu’en 2013, le déficit structurel tel qu’il est prévu dans la loi de finances initiale sera réduit de deux points de PIB. Imaginez l’effort que cela représente !
Vous avez également montré que selon une tendance récente, y compris chez nos collègues et amis européens, c’est de plus en plus le déficit structurel plutôt que le déficit nominal qui est pris en considération pour l’évaluation des situations budgétaires, ce qui est une bonne chose.
Disons-le sans langue de bois : aujourd’hui, beaucoup estiment que, compte tenu des estimations de croissance faites par les uns et par les autres, l’objectif de 3 % de déficit nominal est inatteignable. La seule question qui se poserait serait de savoir quand cela serait annoncé officiellement.
Au Parlement, nous considérons que nous avons une obligation de moyens. Elle nous a conduits à prévoir dans la loi de finances initiale des outils pour atteindre cet objectif de 3 %. Certes, nous dépendons aussi de la conjoncture mondiale et européenne. Le récent débat sur le budget européen nous a éclairés sur la nécessité de nous doter d’un programme d’investissements européen qui permette à nos économies de retrouver le chemin d’une croissance plus affirmée, pour employer un euphémisme.
Beaucoup parlent des économies sur les dépenses. M. le président de la commission des finances a encore une fois fait le jeu de ceux qui se plaisent à souligner le décalage avec les 10 milliards annoncés en affirmant que les économies prévues ne sont pas des économies réelles mais des économies virtuelles par rapport à une évolution tendancielle bien connue.
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. C’est bien cela !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Mais, monsieur le président de la commission, quelle a été l’augmentation des dépenses publiques durant les dix dernières années ?
M. Dominique Baert. Une augmentation très rapide !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Trop forte, j’en conviens !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Elle s’est élevée en moyenne à six ou sept milliards d’euros par an ! Vous vous êtes donc autorisé un accroissement des dépenses publiques de six à sept milliards par an pendant dix ans, en vous parant de tous les artifices de la vertu, et vous venez aujourd’hui nous reprocher de maintenir les dépenses à ce niveau alors que l’évolution tendancielle les porterait à un peu moins de 10 milliards d’euros !
Quels sont les outils dont nous disposons ?
Vous étiez partisans d’un coup de rabot général : révision générale des politiques publiques et non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, dont vous évaluiez le rendement à 1,5 milliard d’euros par an, estimation que la Cour avait largement réduite dans ses rapports antérieurs.
Nous avons choisi une autre méthode. Le Gouvernement propose la modernisation de l’action publique, qui implique de prendre en compte, selon l’une de vos préconisations, non pas seulement le budget de l’État mais l’ensemble des budgets publics, qu’il s’agisse du budget des régimes sociaux, du budget des agences et organismes dépendant directement de l’État mais aussi – et nous avons participé ce matin à une réunion du comité des finances locales – du budget des collectivités territoriales avec lesquelles nous devons partager nos efforts.
Voici les quelques éléments généraux que je me devais de développer devant vous, ne serait-ce que pour corriger les caricatures de celui qui m’a précédé à cette tribune.
M. Régis Juanico. Bonne mise au point !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Eh oui, monsieur le président de la commission, vous les avez égrenées les unes après les autres !
M. Éric Woerth. Il est rare de voir mettre en cause de cette manière le président de la commission des finances !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Il est rare aussi de voir un président de la commission des finances tenir un discours aussi polémique !
M. Yves Censi. Parce que vous, vous ne faites pas de politique peut-être ?
M. Christian Eckert, rapporteur général. Vous avez évoqué, monsieur le Premier président, des dossiers plus sectoriels en donnant des exemples de choses à ne pas faire – même si vous êtes aussi revenu sur améliorations que vous aviez déjà mentionnées dans vos rapports précédents.
Pour ma part, j’ai été particulièrement intéressé par les suites de l’évaluation du plan de soutien aux banques décidé à l’occasion de la crise financière. S’il semble que le bilan financier pour l’État soit positif – sous réserve de la prise en compte des nouveaux risques identifiés pour Dexia ou pour le Crédit immobilier de France – il faut souligner que la Cour est très mitigée s’agissant de la réalisation des contreparties demandées aux banques en matière de soutien au financement de l’économie et surtout d’encadrement des rémunérations dans ce secteur, comme vous l’avez rappelé à cette tribune. Nous évoquerons sans doute ces questions lors de la discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires qui s’engagera tout à l’heure.
Le rapport annuel consacre des développements particulièrement intéressants aux difficultés des restructurations hospitalières, à la réforme manquée du plan d’aide à la presse écrite de 2009 à 2011, ou encore à l’insuffisante sollicitation du RSA-activité qui appelle de notre part un travail approfondi, à mener en lien avec une réflexion sur la prime pour l’emploi.
Pour finir, le Lorrain que je suis aimerait évoquer les analyses relatives au financement de la LGV Est et la présence de deux gares à une distance relativement faible, qui a de quoi surprendre. Je vous invite à lire attentivement le rapport et à ne pas en extraire des phrases qui pourraient choquer. L’erreur, monsieur le Premier président, c’est la première gare, pas la deuxième ! S’il y a une préconisation qui est claire et nette, c’est bien celle qui appelle à éviter, à l’avenir, de construire ce que l’on appelle des gares des betteraves – même si j’ai beaucoup de respect pour la filière betteravière.
M. Guy Geoffroy. Comme tout cela est confus !
M. Dominique Baert. C’est important !
M. Christian Eckert, rapporteur général. Il n’y a rien de confus, monsieur Geoffroy. Prenez donc le TGV Est et vous comprendrez.
Après avoir évoqué ce passage du rapport qui risque de passionner dans les prochains jours les Lorrains, je voudrais me joindre, monsieur le Premier président, aux remerciements que vous ont adressés le président Bartolone et le président de la commission – sur ce point au moins, nous sommes d’accord – pour la bonne entente qui existe entre nos institutions. Elle mérite autre chose que des polémiques. Elle appelle des travaux constructifs auxquels j’invite notre assemblée à s’atteler dans les prochains mois. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. le président. Monsieur le Premier président, l’Assemblée nationale vous donne acte du dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes.
Suspension et reprise de la séance
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures quarante, sous la présidence de Mme Catherine Vautrin.)
Présidence de Mme Catherine Vautrin
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Séparation et régulation des activités bancaires
Discussion d’un projet de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (n°s 566, 707, 661, 666).
Présentation
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames et monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, Sénèque disait qu’il faut commander à l’argent, et non pas le servir. Vingt siècles plus tard, cette maxime n’a perdu ni de son tranchant, ni en vérité de sa pertinence.
Reprendre la main face aux dérives de la finance, répondre avec précision aux causes profondes de la crise financière qui a ébranlé les économies occidentales, renforcer – et c’est votre rôle – le contrôle démocratique sur un secteur qui depuis fait l’objet d’une défiance certaine – soyons lucides à cet égard – telle est l’ambition du projet de loi soumis à votre examen, de cet effort affirmé et assumé de régulation, de moralisation et de contrôle que nous menons ensemble et que je suis fier de porter devant la représentation nationale.
Notre devoir collectif, celui de l’exécutif bien sûr, mais aussi celui de la représentation nationale, consiste à tout faire pour éviter qu’après les errances qui ont engendré la crise de 2008 et celles des années qui l’ont précédée, les mêmes causes ne produisent demain, sait-on jamais, les mêmes effets.
C’est pourquoi le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires a pour fondement une analyse à la fois précise et sans complaisance des causes de la crise financière, qui sont évidemment multiples et complexes. J’ai déjà fait part de ma lecture de ces causes à la commission des finances, dont nous examinons aujourd’hui le texte. Je me contente donc de les évoquer brièvement, pour rappeler à tous le contexte.
Si la crise financière est bien, notamment, une crise de l’endettement, c’est largement le manque de régulation de la finance et, en son sein, des activités du secteur bancaire, qui a mis le feu aux poudres. Pour être précis, c’est la conjonction de trois facteurs qui selon moi a provoqué la déflagration de 2008.
Le premier facteur, tout d’abord, tient à une mauvaise compréhension et à une mauvaise gestion des risques, liées à la complexité et au manque de transparence des acteurs financiers.
Le deuxième facteur tient à des incitations perverses pour les acteurs de la finance, largement liées à ce que l’on appelle l’aléa moral, lequel amène les États à garantir in fine les risques excessifs pris par les banques sans forcément obtenir de contrepartie adéquate. Je ne veux pas revenir ici sur le débat précédent concernant le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes : je brûlais d’envie de le faire, mais nous y reviendrons ultérieurement.
Le troisième facteur enfin repose sur une approche de la régulation trop axée sur les comportements individuels, et qui ne prend pas en compte les déséquilibres globaux – appelons-les « systémiques » – du système financier.
L’objet du projet de loi que je vous présente est donc simple : répondre, point par point, à chacune de ces défaillances, parce que si nous apurons encore aujourd’hui le passé, il nous appartient d’écrire un avenir différent. C’est même notre responsabilité.
Pas plus que cette assemblée, le Gouvernement ne se résout à l’impuissance face aux dérives de la finance. Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires vient donc, j’ai la prétention de le dire, réformer durablement le secteur. Nous ne sommes pas là en train de faire une loi de papier, une loi de circonstance, une loi éphémère. En outre, notre réforme sera la première à entrer en vigueur en Europe. Elle s’organise autour de trois grandes lignes de force.
Tout d’abord, le projet de loi s’attaque aux activités spéculatives des banques, en matérialisant notamment la promesse de campagne de François Hollande, alors candidat, de séparer « les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives » ; il s’agit là de son septième engagement.
Par ailleurs, la réforme protège les dépôts des épargnants, mais aussi les contribuables, dont l’argent ne doit plus être, comme c’est le cas aujourd’hui, le premier mis à contribution pour sauver un établissement en faillite.
Enfin, il s’agit d’instaurer un contrôle efficace et préventif des risques, au sein des banques, et plus largement pour le système financier dans son ensemble.
J’ai parlé de trois grandes lignes de force, mais nous sommes au pays d’Alexandre Dumas, et il y en a donc forcément une quatrième – plus concrète, tournée vers les consommateurs et à laquelle je suis profondément attachée : elle permettra de renforcer la protection des clients, à commencer par les plus fragiles. Cela répond à une attente forte de nos concitoyens, qui ont eu, et ont encore – avouons-le – le sentiment que l’État se préoccupait jusqu’alors davantage des banques que de leur propre sort, idée qu’il convient de renverser.
Voilà très succinctement brossés les grands axes de ce projet de loi, les principes clés qui m’ont guidé dans son élaboration. Si ces combats doivent également être portés au niveau européen et international – nous l’avons évoqué tout à l’heure à propos des paradis fiscaux – il nous revient, ici et aujourd’hui, de tracer la voie et de faire la démonstration qu’une régulation efficace et intelligente du secteur bancaire est possible, dans la discussion et la coopération avec la majorité, dans le débat avec l’opposition – et il a été respectueux – mais en gardant toujours en tête que ce que nous faisons, nous le faisons pour notre pays, pour le redressement de notre économie et pour l’avenir de notre jeunesse.
Je vais à présent reprendre ces différents points. Le projet de loi qui vous est soumis met tout d’abord en œuvre avec précision et fidélité – j’y insiste – l’engagement pris par le Président de la République, François Hollande, de séparer les activités utiles au financement de l’économie et à l’emploi des activités spéculatives des banques. Il le fait en ayant l’ambition de changer à la fois les structures et les comportements. C’est l’une des mesures essentielles de ce texte, qui isole strictement – j’ai parlé de « mise en quarantaine » – les activités spéculatives, c’est-à-dire des activités que la banque mène pour compte propre mais en exposant au risque les dépôts de ses clients.
Les banques devront à l’avenir, si vous le décidez, créer une filiale ad hoc, soumise à une réglementation prudentielle stricte, et isoler dans cette filiale leurs activités spéculatives. Cette filiale qui, selon un amendement de la commission des finances que j’ai accepté, n’aura ni le même nom ni la même gouvernance que la maison mère devra être capitalisée et financée de manière autonome. Elle aura, en vérité, sa vie propre.
Cette disposition peut paraître technique. Elle a en réalité une portée dont il faut bien mesurer l’ampleur : la banque ne pourra plus utiliser demain les dépôts des épargnants pour financer les activités spéculatives de la filiale ou pour la sauver si cette filiale venait à rencontrer des difficultés. Ce dernier point, renforcé par le travail en commission, est essentiel : il signifie concrètement que, même en cas de difficultés, la maison mère ne pourra pas financer davantage sa filiale, quitte à la condamner. Ce sont ceux qui ont pris la responsabilité de spéculer qui devront en payer le prix.
Si le texte choisit d’isoler spécifiquement ces activités, c’est parce que ce sont elles qui ont concentré le gros des pertes que les banques françaises ont essuyées sur les marchés pendant la crise. Le cantonnement aura donc un double effet : il va à la fois protéger la maison mère et ses clients, et empêcher que les activités pour compte propre ne retrouvent leur niveau d’avant la crise, lorsqu’elles menaçaient la stabilité financière. J’insiste encore une fois : si la filiale venait à se trouver en difficulté, la loi prévoit explicitement que la maison mère ne pourrait se mettre en danger pour la sauver. Elle instaure pour cela des règles dites « d’exposition » très strictes.
Quant aux activités qui ne seront pas cantonnées dans la filiale, elles ne seront pas pour autant laissées sans surveillance. Au contraire, elles feront l’objet d’un encadrement très précis et d’une surveillance étroite de la part de l’Autorité de contrôle prudentiel, qui devient l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Au total c’est l’ensemble des activités que les banques mènent sur les marchés financiers qui seront à l’avenir soumises à des règles strictes et à un contrôle étroit.
La séparation des établissements faisait, et fait encore l’objet d’importantes attentes chez certains d’entre vous. Je veux donc vous dire ici ce qui a fondé l’approche retenue dans ce projet de loi. Si j’avais estimé que couper les banques en deux pouvait permettre d’une quelconque manière de répondre aux causes profondes de la crise, je l’aurais fait. Ce n’est pas par compromission ou à la suite de je ne sais quelle intervention que ma main a tremblé ; ce n’était simplement pas ma conviction. J’ai donc fait le choix, assumé, de ne pas poursuivre au nom d’une pureté des formes qui pouvait pourtant être séduisante une option qui aurait risqué, compte tenu de la spécificité du modèle bancaire français, de mettre en danger le financement de nos entreprises sans pour autant traiter les causes de la crise.
J’ai eu l’occasion de le dire souvent, je le redis devant la représentation nationale : je suis le ministre de tutelle des banques et, à ce titre – personne ne m’en voudra ! – le partenaire des banquiers ; mais je ne suis ni leur avocat, ni leur défenseur – je le dis avec la même tranquillité. Nous avons eu, pour préparer ce projet de loi, des échanges nombreux, courtois – c’est bien le moins – mais aussi vifs et parfois tendus – ce qui est également normal. Les banquiers ne souhaitaient sans doute pas ce texte, ils n’étaient pas demandeurs ; il fallait néanmoins faire cette réforme. Ils la trouvent à certains égards trop dure : je l’assume ; ils peuvent sans doute vivre avec : je l’assume aussi. Car au final, mon but n’est pas de faire mal aux banques ! C’est de faire mieux pour le financement de l’économie. En vérité, l’amélioration du financement de l’économie est compatible avec une vraie réforme.
Nous avons longuement évoqué ce sujet en commission des finances, je ne m’y attarde donc pas. Je voudrais simplement rappeler quelques faits. D’abord, aucun type de banque n’a été épargné par la crise. Des banques d’investissements comme des banques commerciales ont dû être sauvées, alors que nos banques universelles, combinant banques de dépôt et banques d’investissement, ont plutôt mieux résisté. Nous discutions ce matin, au conseil Ecofin, des principes du FMI et de l’évaluation qu’il fait des systèmes bancaires nationaux : les ratios de solvabilité ou de liquidité de nos banques ont plutôt de quoi nous rassurer, ce qui n’est pas une mauvaise chose.
Le problème n’est donc pas là, et l’ensemble des acteurs que j’ai consultés, au premier rang desquels les syndicats, sont d’ailleurs en accord sur ce point. Ensuite, couper les banques en deux aurait impliqué de créer – ou recréer – des banques d’investissement indépendantes. Or la crise a montré la très grande fragilité de ces acteurs, qui ont presque tous disparu depuis, à l’exception de Goldman Sachs et Morgan Stanley, lesquels ont joué, chacun à leur manière, un rôle particulier pendant la crise. Comme responsable du financement de notre économie, mais tout autant comme homme de gauche, je ne recommande pas ces modèles à nos établissements. Je ne vois pas l’intérêt de créer en France des banques de dépôt privées d’accès aux financements de marché et des banques d’affaires moins compétitives, et donc vulnérables et soumise aux prédations internationales. Enfin, ayons conscience du fait que couper les banques en deux conduirait à faire disparaître une offre de services que les banques françaises peuvent aujourd’hui proposer à nos entreprises, et que ces dernières devraient sinon aller chercher ailleurs, auprès des banques étrangères. J’y vois donc non seulement une question de financement de l’économie, mais aussi de souveraineté.
Ceci posé, il y avait un curseur à placer, et j’ai d’emblée fait part de ma disponibilité pour discuter avec vous, mesdames et messieurs les députés, du juste équilibre à trouver. J’ai entendu les critiques exprimées sur la taille jugée trop modeste des filiales cantonnées – on a parlé de 1 à 3 % – ainsi que les doutes sur la nature réelle des activités dites de tenue de marché, ce que l’on nomme en anglais le market making. Celles-ci, comme l’ont dit aussi bien la Banque centrale européenne que le commissaire européen chargé de la réforme bancaire, Michel Barnier, ne peuvent être considérées comme purement spéculatives, même s’il est vrai que de la spéculation peut s’y dissimuler, ce dont nous devions tenir compte.
C’est pourquoi il fallait aller plus loin que la rédaction initiale du projet, pour donner la main au politique. Les propositions de la commission – et je veux saluer ici les solutions ambitieuses et intelligentes de la rapporteure, Karine Berger, tout particulièrement sur ce sujet – ont permis de renforcer la séparation des opérations spéculatives des banques de leurs activités utiles à l’économie réelle, autour d’un mécanisme à la fois précis et souple. Le texte prévoit aussi d’encadrer l’activité de tenue de marché en la définissant strictement, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent, grâce à une série d’indicateurs proposés dans un amendement adopté à l’initiative de Laurent Baumel, pour que les banques ne puissent y dissimuler des opérations spéculatives. Tout cela donne au ministre de l’économie et des finances le pouvoir de limiter le montant des opérations de tenue de marché conservées dans la banque universelle.
En permettant au Gouvernement de disposer de ciseaux ou, en d’autres termes, d’élargir le périmètre des filiales dans lesquelles seront cantonnées demain les activités spéculatives ou les activités pour compte propre des banques, et en donnant au ministre – à tous les ministres qui se succéderont à Bercy – le pouvoir de fixer le seuil à partir duquel les activités de tenue de marché pourront être filialisées, le texte vient donc garantir – ce qui est une avancée essentielle – que le régulateur puisse s’adapter aux évolutions de la spéculation, sans peser à l’excès sur le financement de l’économie. Et je crois sincèrement que le travail fait par votre commission des finances sur ce sujet est exemplaire.
Ces filiales seraient sans doute aujourd’hui beaucoup plus petites qu’elles ne l’auraient été en 2008, car la spéculation a diminué dans nos banques. Qui s’en plaindrait ? Pas moi. Elles pourraient aussi, si le politique en décide, et notamment si une spéculation exubérante devait reprendre demain, devenir beaucoup plus importantes. Notre démarche conjugue donc fermeté et souplesse. Nous avons là – et j’en remercie la majorité, qui a œuvré bien seule lors de l’examen du texte en commission – une avancée majeure du texte, qui préserve ses grands objectifs et à laquelle chacun, je pense, peut aujourd’hui se rallier.
Mais le projet de loi ne vise pas seulement à changer les structures : il veut aussi et avant tout peser sur les comportements. De ce point de vue, les dispositions relatives à la « résolution » des banques en difficulté sont un complément indispensable du volet « séparation ».
Observez d’ailleurs – et je reparlerai de l’Europe – que, quand nous parlons d’union bancaire à l’échelle européenne, nous ne parlons pas uniquement de la supervision mais également de la résolution et de la garantie des dépôts, dimensions que notre projet de loi prend toutes en compte.
Il s’attaque en effet directement à l’« aléa moral » qui existe aujourd’hui dans les banques et qui, de manière particulièrement choquante pour nos concitoyens, est l’une des causes essentielles de la crise. J’appelle chacun d’entre vous ici à y réfléchir, car je lis parfois que cette réforme serait une réforme pour rien. C’est ignorer que nos concitoyens attendent, eux, un véritable changement – qu’il est certains comportements qu’ils ne supportent plus.
Souvenons-nous de 2008 : à l’époque, des États ont été contraints d’intervenir avec l’argent des contribuables pour empêcher des faillites de banque, qui auraient eu des conséquences désastreuses pour l’économie. Ces banques avaient pris des risques excessifs, anticipant qu’en cas de banqueroute l’État viendrait à la rescousse. En d’autres termes, elles ont risqué l’argent des déposants tout en étant assurées que le contribuable viendrait à leur secours. Il est essentiel de désamorcer ce mécanisme, non seulement, et évidemment, amoral – d’où l’expression « aléa moral » – mais qui conduit même à maximiser la prise de risque, précisément parce que les spéculateurs savent qu’in fine ils ne seront pas les payeurs. Je résumerai donc un peu sommairement le volet « résolution » du projet de loi par la formule « qui faute, paie », en ajoutant que celui qui faute ne doit plus pouvoir décider : il doit être sanctionné.
L’objectif est de protéger les déposants et les contribuables en renforçant la capacité d’intervention des autorités publiques, qui doivent pouvoir prendre la main lorsque cela est nécessaire.
Le projet de loi prévoit tout d’abord de doter le superviseur bancaire, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, de vrais pouvoirs d’intervention dans la structure et le fonctionnement de la banque. Ces pouvoirs doivent lui permettre d’empêcher qu’une banque en difficulté ne fasse faillite, par exemple en transférant ou en cédant d’office tout ou partie de ses actifs ou de son activité, en nommant un administrateur provisoire ou en créant une banque relais en vue d’une cession.
Depuis neuf mois que j’occupe mes fonctions au ministère des finances, il m’eut été utile de disposer de tels outils dans des situations concrètes que je ne peux évoquer ici.
Surtout, cette nouvelle autorité pourra en premier lieu faire peser les pertes d’une banque sur ses actionnaires et certains créanciers plutôt que sur les épargnants ou les contribuables. Ce dispositif est l’un des piliers de ce texte. Il met un terme à la socialisation des pertes des banques en faillite en imputant le coût des risques excessifs d’abord à ceux qui les ont pris au lieu de les faire porter par la collectivité.
Et comme l’aléa moral est aussi et d’abord celui des dirigeants, il est prévu que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution puisse les révoquer lorsque leur banque connaît des difficultés.
À ceux pour qui ces mesures paraissent cosmétiques ou trop faibles, on peut donc opposer la réalité de ce texte.
M. Christian Paul. Ceux-là se trompent !
M. Pierre Moscovici, ministre. Enfin, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution constitue un troisième rempart entre la faillite d’une banque et les dépôts des épargnants ou l’argent du contribuable. C’est le troisième volet que nous attendons de l’Union européenne. Le texte prévoit que le secteur bancaire lui-même soit sollicité en cas de défaillance d’une banque. Il existe aujourd’hui un fonds, doté de 2 milliards d’euros. Nous voulons le porter à 10 milliards d’ici à 2020 pour donner une garantie supplémentaire aux clients de la banque et aux contribuables : celle qu’ils ne seront appelés qu’en tout dernier ressort. Je le répète, c’est celui qui commet une faute qui doit payer, et non la victime.
M. Pierre-Alain Muet. Absolument !
M. Pierre Moscovici, ministre. Grâce à ces deux armes, la séparation et la résolution, nous nous donnons les moyens de lutter contre la spéculation, de réduire l’aléa moral, de protéger les dépôts et l’argent du contribuable et de moraliser certaines pratiques du secteur.
Je veux à présent saluer un autre apport majeur des débats en commission, grâce au dialogue constructif qui s’est noué entre le Gouvernement et les députés. Il s’agit de l’amendement d’Éric Alauzet et du groupe écologiste, appuyé par le groupe socialiste…
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Très appuyé !
M. Pierre Moscovici, ministre. …qui concerne l’obligation de transparence des activités des banques, pays par pays, paradis fiscaux inclus. L’amendement, adopté par la commission des finances, prévoit que les banques publient, dès l’exercice 2013, une liste de leurs filiales et des activités qu’elles mènent dans chaque pays du monde, ainsi que, de manière agrégée, le produit net bancaire et les effectifs en personnel. Cette mesure, attendue par les ONG, réclamée par la gauche depuis des années, permettra de faire ressortir les pays dans lesquels nos banques ont une présence et une activité et, le cas échéant, les amènera à s’expliquer sur ce choix d’implantation. Ce nouveau dispositif est une première dans le monde. Aucun État au monde ne l’a fait jusqu’à présent.
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. C’est dangereux !
M. Pierre Moscovici, ministre. La France doit se souvenir de temps en temps, monsieur le président, qu’elle a des exemples à donner au monde. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Qu’elle ne soit donc pas toujours à suivre ou attendre ce qui peut se passer ailleurs ! Les Gaullistes que vous êtes, paraît-il, devraient le comprendre aisément.
M. Jean-François Lamour. On en reparlera !
M. Pierre Moscovici, ministre. Je veux généraliser ce nouveau dispositif dans les instances européennes et internationales. Que le président de la commission des finances, et d’autres, se rassurent : il résulte d’un bon compromis, qu’il ne me semble pas souhaitable de remettre en question, entre le champ très vaste des pays couverts et les informations que les banques auront à rendre publiques. Nous devons aussi veiller à ce que notre système de financement de l’économie soit performant.
Deuxième axe fort de ce projet de loi : le contrôle efficace et préventif des risques.
Pour comprendre l’accent que le projet de loi met sur le contrôle, il faut rappeler ce que j’ai dit en introduction : parmi les causes de la crise de 2008 figure le manque de supervision des risques du système pris dans son ensemble – ce que l’on appelle le risque systémique. En effet, jusqu’à présent, on n’appréciait pas le risque pris par le système mais le risque pris par tel ou tel individu ou telle banque spécifique.
Un vrai travail devait être réalisé pour renforcer la prévention et le contrôle, et le texte propose un ensemble très complet de dispositions dans cette optique. Je me félicite d’ailleurs qu’il n’ait été contesté par personne – pour ne pas dire qu’il soit approuvé par tous car c’est à vous, mesdames et messieurs les députés, qu’il revient de dire si vous l’acceptez ou non.
Sans être exhaustif, je voudrais mettre quelques-unes de ces dispositions en exergue.
Tout d’abord, les structures et les compétences en matière de contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution sont renforcées. Ainsi, le texte prévoit que chaque établissement bancaire prépare un « plan préventif de résolution » – dans le jargon, un « testament » bancaire – pour faciliter l’intervention du superviseur en cas de risque de défaut. L’Autorité de contrôle validera ce testament. Elle pourra aussi exiger, « à froid », d’une banque dont l’organisation serait trop complexe toutes les modifications de structure qui permettraient de faciliter son intervention en cas de problème – vous voyez bien là, aussi, qu’un pouvoir nouveau et important est conféré à cette autorité.
Ensuite, le projet de loi créé une nouvelle autorité, le Conseil de stabilité financière, qui remplacera le conseil de régulation financière et du risque systémique, avec une double mission : prévenir et surveiller les risques systémiques que j’évoquais il y a quelques minutes. Ce CSF aura de vrais pouvoirs d’intervention, juridiquement contraignants, ce qui n’est pas le cas de l’instance qu’il viendra remplacer. Il pourra ainsi imposer aux établissements de crédit des exigences de fonds propres supplémentaires. La discussion en commission a par ailleurs permis, et j’en remercie plusieurs députés, dont la rapporteure pour avis de la commission des lois, d’enrichir la gouvernance et le contrôle du CSF avec l’instauration d’un objectif de parité dans cette instance, la possibilité pour son président d’être entendu, sur leur demande, par les commissions des finances des assemblées – j’y consens d’autant plus volontiers que le président du CSF est le ministre des finances – ou encore la nomination de deux des trois personnalités qui siégeront au sein du CSF par les présidents des deux assemblées.
Autre mesure importante : l’Autorité de contrôle pourra purement et simplement interdire à un établissement de se livrer à des activités qui présenteraient des risques excessifs, soit pour lui-même, soit pour le reste du système bancaire et financier.
Ces pouvoirs renforcés vont considérablement accroître la régulation du système financier. Croyez-moi, j’ai souvent regretté que les autorités publiques ne puissent pas en disposer quand je suis arrivé au ministère, il y a neuf mois, et qu’il m’a fallu traiter de sinistres financiers comme Dexia ou le Crédit immobilier de France. Eh oui, je mets les pieds dans le plat ! Si nous avions eu de telles dispositions, les pouvoirs publics auraient pu amener plus tôt les dirigeants à adopter un comportement plus responsable, ou bien, le cas échéant, les changer. Cela nous aurait, croyez-le, épargné bien des difficultés. J’ai une pensée ici pour les salariés du CIF, à qui je veux dire qu’ils ne sont pas oubliés et que leur sort est au cœur de mes préoccupations.
M. Jean-Louis Dumont. Il faut que ce soit exemplaire, monsieur le ministre !
M. Pierre Moscovici, ministre. Je suis heureux que nous puissions disposer à l’avenir, si de telles situations venaient à se reproduire, de tels outils.
Enfin, je veux dire un mot sur le dernier grand axe structurant de ce projet de loi, celui de la protection des clients, et en particulier des plus fragiles.
On en avait jusqu’à présent peu parlé, car ce volet se distingue des deux précédents. Il n’en reste pas moins important et concret pour nos concitoyens, dans la lignée des travaux que je revendique en matière de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, dont il intégrera les conclusions grâce à plusieurs amendements que nous allons examiner lors de nos débats. J’ai spécifiquement souhaité que la loi de séparation et de régulation des activités bancaires intègre cette dimension « consommateur et citoyen ».
Sans entrer dans le détail ici, je mets en lumière trois avancées du projet de loi.
Tout d’abord, le texte prévoit de plafonner les commissions d’intervention, c’est-à-dire ces commissions que les banques prélèvent à un client quand son compte fonctionne de manière irrégulière, par exemple quand la banque autorise le paiement d’un chèque sans provision. Le montant moyen est de l’ordre de 8 euros, mais il peut être bien supérieur dans certains cas et, mises bout à bout, ces commissions peuvent atteindre à la fin du mois 200 ou 300 euros, ce qui est insupportable pour une population déjà fragile. Nous avons donc décidé de plafonner ces sommes pour les populations en proie à des difficultés financières.
Les banques auront également l’obligation, j’insiste sur le terme, d’offrir à ces populations des moyens de paiement adaptés à leur situation et permettant notamment de prévenir les incidents. Je sais que nous allons débattre de l’éventualité d’adopter une mesure plus générale s’agissant des commissions d’intervention. J’y suis ouvert, à condition toutefois de trouver le bon équilibre pour qu’une telle mesure ne compromette pas la présence bancaire sur le territoire, à laquelle nous sommes tous attachés. Je pense notamment aux banques d’essence mutualiste.
M. Régis Juanico. Très bien !
M. Pierre Moscovici, ministre. Le texte propose aussi des dispositions pour accroître la transparence et la concurrence dans le domaine des assurances emprunteurs, ces assurances que la banque exige, dans les faits, quand un client contracte un crédit immobilier par exemple. Prenons le cas d’un crédit immobilier de 150 000 euros sur vingt ans à un taux de 3,75 %. Une assurance de 0,36 % souscrite avec ce crédit représente un coût de 11 000 euros sur la durée de vie du prêt. La concurrence en la matière est pratiquement inexistante aujourd’hui : en vous accordant le prêt, on vous suggère avec insistance l’assureur… Si la concurrence, à laquelle je reconnais des mérites, tout homme de gauche que je suis, jouait pleinement son rôle et qu’elle permettait, par exemple, de passer de 0,36 à 0,30 %, ce serait 1 500 euros d’économie pour l’emprunteur, et autant en plus pour le pouvoir d’achat des ménages, surtout les plus fragilisés ! Je salue à cette occasion l’amendement d’ores et déjà adopté en commission à l’initiative de Pierre-Alain Muet qui tend à garantir que le choix d’une assurance concurrente ne remette pas en cause l’offre de prêt, car la concurrence va de pair avec la liberté.
Enfin, le projet de loi prévoit de faciliter le recours à la procédure du « droit au compte » pour ceux qui n’ont pas accès à un compte bancaire. Cette procédure permet à toute personne d’obtenir de la Banque de France qu’elle désigne une banque proche de son domicile pour lui ouvrir un compte accompagné d’un ensemble de services bancaires de base gratuits. Quant au surendettement, le projet propose de simplifier la procédure afin de réduire la durée d’examen de certains dossiers et de permettre la suspension effective du cours des intérêts des crédits dès que la commission de surendettement reconnaît la recevabilité du dossier, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui.
Voilà un certain nombre des progrès concrets que contient ce texte et que notre discussion permettra sans doute d’améliorer encore. Je suis ouvert à toute proposition.
Je m’en tiens là, mesdames et messieurs les députés.
M. Pierre Lellouche. Oh non, vous pouvez continuer !
M. Pierre Moscovici, ministre. Ce texte propose une approche globale et ambitieuse, en réponse aux causes profondes de la crise financière. Il couvre les structures mais aussi les comportements. Il couvre les banques mais aussi le reste de la chaîne, comme les superviseurs, parce que la crise n’a pas été causée par la défaillance d’un seul facteur, ni par un seul acteur.
J’entends vaguement maugréer sur ma droite…
M. Pierre Lellouche. Non, complimenter ! (Sourires.)
M. Pierre Moscovici, ministre. Ce projet de loi ouvre une page dans l’histoire de notre système financier. Il a fait l’objet de débats nourris, et je m’en félicite. De larges consultations ont été conduites, éclairant le Gouvernement dans ses choix, avec les banques, évidemment, mais aussi avec les représentants des entreprises, en tant que clientes des banques, avec les associations de consommateurs ou encore avec les organisations syndicales. Ce texte va poser un cadre et définir des paramètres pour faire émerger un secteur bancaire plus sûr et plus stable, et prenant mieux en compte les préoccupations de ses clients.
Surtout, ce projet de loi va continuer de bénéficier, comme il l’a déjà fait en commission, des enrichissements que lui apportera la représentation nationale. J’ai eu l’occasion de l’indiquer en décembre dernier quand j’ai présenté ce texte, j’en ai fait l’illustration la semaine dernière en commission des finances : je conçois le débat avec un esprit d’ouverture et d’écoute sur certains aspects que cette assemblée et, ultérieurement, le Sénat souhaiteraient voir précisés ou amendés.
Mais je veux vous redire ma conviction que nous avons là un très bon projet, dont je suis fier, bien sûr, mais dont nous pourrons, demain, être collectivement fiers. Mon rôle de ministre de l’économie et des finances est de réguler la finance – c’est ce que je fais au travers de ce projet de loi –, mais aussi de m’assurer que nos entreprises, et nos PME en particulier, puissent se financer à de bonnes conditions. Il n’y a pas lieu, mesdames et messieurs les députés, de menacer ce financement, dès lors que le projet, enrichi de vos amendements, apporte toutes les garanties en matière de lutte contre la spéculation. Et nous avons besoin de banques françaises capables d’accompagner les entreprises de notre pays dans la crise.
Nous avons, je le crois, au fil des débats, trouvé avec ce texte un bon équilibre entre l’ambition réformatrice attendue par nos concitoyens et l’efficacité économique indispensable dans cette période de crise. Je souhaite des banques plus solides, mieux régulées, plus à l’écoute de leurs clients, même si je ne veux pas d’un secteur financier faible, replié sur lui-même ou hors d’état de répondre aux besoins du financement de notre économie.
Un mot à présent pour conclure : sur l’Europe. Avec ce projet, nous sommes pionniers. On m’objecte parfois, pour souligner la prétendue modestie de notre projet, les grandes ambitions ou les grandes décisions de certains de nos partenaires. Mesdames et messieurs les députés, regardons plutôt les choses en face. Certes, il y a des travaux, ici ou là. Londres a déposé un premier projet, dans une optique fondamentalement différente de la nôtre puisqu’il s’agit surtout de préserver la puissance de la City aux portes de l’Europe, alors que nous, nous sommes au cœur de l’Europe. Mais rien, rien qui ne puisse s’appliquer avant 2019 !
M. Jean-François Lamour. C’est bien le problème !
M. Pierre Moscovici, ministre. La réforme qui vous est soumise, elle, s’appliquera avant 2015, soit quatre ans avant ! Nous anticipons sur ce que fait l’Europe, mais j’ajoute, parlant de ce qui se décide en ce moment – et je veux citer la discussion qui a eu lieu ce matin même au conseil Ecofin –, que nous sommes totalement en phase avec ce que propose l’Union européenne. Je vous signale aussi – vous le critiquerez peut-être, mesdames et messieurs de l’opposition – que le gouvernement allemand s’apprête à adopter, dans les tout prochains jours, une loi quasi identique à la nôtre. J’en ai parlé encore ce matin avec mon homologue Wolfgang Schäuble. Avec ce texte, la France va envoyer un message très fort, alors que, dans les six prochains mois, l’Europe doit transformer l’essai en matière de stabilité financière, d’union bancaire et de régulation des marchés.
Sur ces textes dont l’Union européenne s’apprête à se doter, il ne faut pas relâcher l’attention ni la pression. Il faut, au contraire, continuer à travailler pour que notre secteur bancaire fonctionne de nouveau comme il le devrait. Si nous voulons que nos efforts ne soient pas vains – et je le souhaite ardemment –, si nous voulons poursuivre notre ambition réformatrice sur la finance, nous devons nous en donner les moyens au niveau européen. Avec cette loi, nous manifesterons l’engagement de la France et sa capacité à faire preuve de leadership en Europe.
Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi est un texte précurseur. C’est un texte ambitieux, qui permet de moraliser, de réguler, de contrôler la finance sans entraver la distribution du crédit, essentielle à notre économie. C’est un texte animé par des valeurs, et en même temps réaliste. Enfin, le projet de loi a été enrichi par le dialogue constructif et ouvert entre le Gouvernement et les parlementaires de la majorité de la commission des finances auxquels s’est joint le président que je remercie – c’était, il est vrai, sa fonction. Ce texte sera, j’en suis sûr, encore amélioré par nos débats ici, en séance. C’est pourquoi, ou ouvrant cette discussion, je souhaite que cette réforme puisse trouver, dans vos rangs, le large et, pourquoi pas, le très large soutien qu’elle mérite. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire.
Mme Karine Berger, rapporteure de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, l’examen par notre assemblée du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires est un moment important de cette législature. Il fait partie de ces moments où la politique et la démocratie démontrent leur force, en prenant la responsabilité de redessiner le monde en faveur de l’intérêt général. Ces moments où la politique et la démocratie prouvent leur capacité à protéger le monde contre les intérêts particuliers de quelques-uns. Et les intérêts particuliers auxquels nous allons nous attaquer aujourd’hui sont puissants. Ce sont peut-être même les plus puissants, puisqu’il s’agit des intérêts de l’argent.
Notre Président de la République a dit un jour que ces intérêts-là n’avaient pas de visage. Ils ont pourtant des noms : ils s’appellent finance, trading à haute fréquence, spéculation… Ils ont des noms et, surtout, ils ont à leur tableau de chasse des victoires sur la démocratie : je pense notamment à l’attaque du fonds Soros contre le système monétaire européen en 1992, qui a mis à bas cinquante ans de construction européenne en l’espace d’une semaine.
Heureusement, il y a aussi quelques échecs de ces intérêts particuliers. Le même Soros avait eu cette terrible phrase en 2002 : « Dans le capitalisme global, seuls les Américains votent, les Brésiliens non. » L’avis de M. Soros n’avait pas empêché M. Lula da Silva d’être élu président du Brésil !
Notre dilemme, c’est que ces intérêts-là peuvent aussi être utiles à l’économie, même si leur caractéristique principale est qu’ils ne sont jamais rassasiés. C’est cette soif insatiable, ces excès irrépressibles qui sont dangereux. Leurs excès, leur court-termisme, constituent, je crois, le mal de ce début de millénaire. Face à eux nous devons et nous allons lever l’égide de la régulation.
Dans son Jules César, Shakespeare, par la bouche de Cassius, demande à Brutus d’intervenir face au mal qui menace de dominer Rome : There was a Brutus once that would have brooked the eternal devil to keep his state in Rome as easily as a king. (« Parlez français ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.) C’est un peu à Brutus, monsieur le ministre, que je m’adresse aujourd’hui (Sourires), pour reprendre la main de la régulation face au pouvoir déstabilisateur des excès de cette finance.
Ce mal de la finance folle est le seul et unique responsable de la crise financière de 2008, qui est la plus importante crise économique depuis 1929. Et c’est la dérégulation des marchés financiers dans les années 1980 qui a nourri ce mal.
M. Pierre Lellouche. Absolument !
Mme Karine Berger, rapporteure. Les recherches en économie prouvent que les périodes de forte mobilité internationale des capitaux ont, de manière répétée, produit des crises bancaires internationales. Pour autant, la crise de 2008 est la seule crise qui soit comparable à la grande dépression des années 1930. La seule comparable par son impact sur l’emploi : 13 millions de chômeurs dans l’OCDE. La seule comparable par son impact sur la production et la richesse : les pays de l’OCDE n’ont toujours pas retrouvé, cinq ans après, leur niveau de production industrielle de début 2008.
Au départ, oui, c’est une crise de marché.
M. Guénhaël Huet. Il y a trois ou quatre ans, vous disiez qu’il n’y avait pas de crise !
Mme Karine Berger, rapporteure. Des bulles comme nous en avons connu tant dans l’histoire économique sont arrivées un peu partout sur les marchés. Des bulles provoquées par des politiques monétaires en plein dérapage dans les années 2000. Quand ces bulles ont éclaté, la crise s’est immédiatement étendue à l’ensemble des banques de l’OCDE, lesquelles ont entraîné dans leur chute l’ensemble de l’économie réelle. En trois ans, cette dépression exceptionnelle a provoqué le chômage de 13 millions de personnes dans les pays de l’OCDE, détruit quelque 1 000 milliards de dollars de richesse et provoqué une hausse en moyenne de 80 % des déficits publics.
M. Guénhaël Huet. C’est nouveau ! Voilà un bel aveu !
M. Pierre Lellouche. Eh oui ! Il n’y a pas que Sarko !
Mme Karine Berger, rapporteure. Au passage, cette crise a pris en otage les États qui, comme le nôtre sous la précédente majorité, se sont laissé prendre en otages, contraints de sauver les banques de gré ou de force pour ne pas encore prolonger la chute – et, surtout, pour sauver la confiance des populations dans leur compte en banque.
Notre responsabilité est de veiller que cela n’arrive plus jamais, ce que vous n’avez pas fait sous le précédent quinquennat. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Nous avons la responsabilité de faire qu’aucune crise financière ne mette plus jamais en péril les comptes en banque de nos concitoyens. Nous avons la responsabilité de faire que la spéculation ne prenne plus jamais en en otage les États. Notre responsabilité va être engagée par votre projet de loi, monsieur le ministre. Car vous nous proposez de dresser un mur entre cette spéculation autodestructrice que je viens de décrire et les activités normales d’une banque.
Quelles sont ces activités ?
Une banque fait de l’activité de transformation, c’est-à-dire qu’elle utilise les dépôts de ses clients pour assurer des crédits aux particuliers, aux entreprises et aux États.
Une banque fait aussi ce que l’on appelle une activité d’intermédiation sur les marchés financiers, laquelle, normalement, ne fait pas prendre de risque à la banque. En tout cas, c’est ce que nous croyions il y a quelques années encore…
Depuis la libéralisation des marchés financiers, nous avons cru que la réglementation prudentielle était suffisante, qu’il fallait réguler essentiellement le premier groupe d’activité, celle de transformation. Cette régulation se limitait à mettre un gendarme pour vérifier a posteriori que les banques avaient bien évalué les risques pris par la création de crédit.
Pendant trente ans, nous avons tout simplement ignoré les risques d’effet de levier beaucoup plus puissants « hors bilan », qui transitent par la seconde activité, soit l’intermédiation. Et c’est justement par ce second canal que la propagation s’est faite.
Je le dis haut et fort ici, la crise bancaire de 2008 signe l’échec de la régulation prudentielle face à la libéralisation des marchés financiers.
M. Pierre Lellouche. Absolument !
Mme Karine Berger, rapporteure. Elle appelle à une révolution dans la régulation de la finance. Car la dépression financière et économique de 2008 impose une réforme non plus seulement prudentielle, mais bien structurelle, du système bancaire.
M. Pierre Lellouche. C’est vrai !
Mme Karine Berger, rapporteure. Elle révèle deux périls majeurs pour la stabilité globale, notamment pour la stabilité financière, périls qui n’étaient même pas évalués par la régulation prudentielle : le risque systémique d’une part, l’aléa moral d’autre part.
M. Jean-François Lamour. Vous parlez comme si vous étiez les maîtres du monde !
Mme Karine Berger, rapporteure. Depuis la crise financière, seules des mesures de renforcement prudentiel ont été prises. J’ai d’ailleurs rappelé dans mon rapport – le président Carrez qui l’a lu pourra le confirmer – l’ensemble des renforcements des mesures prudentielles prises entre 2008 et 2012. Ce qui manque, c’est la vraie réponse à la crise de 2008, c’est-à-dire des réformes structurelles.
Mme Sandrine Mazetier. Absolument !
M. Jean-François Lamour. Je suis d’accord !
Mme Karine Berger, rapporteure. Aucune évolution notable n’a été suivie par la France pour apporter une réponse structurelle aux dysfonctionnements du secteur financier. Nous mesurons ainsi toute l’opportunité et l’ambition du présent projet de loi qui concerne directement l’activité bancaire et son encadrement, et ce, monsieur le ministre, vous l’avez dit à plusieurs reprises, pour la première fois en Europe.
Alors, certains nous disent : ce n’est pas le moment de réguler ! Vous allez mettre l’économie française en difficulté ! Certains veulent même nous effrayer : si vous régulez les banques maintenant, le financement de nos entreprises va être menacé ! Pis encore, c’est la dette de l’État français qu’on assassine ! Il est vrai qu’en matière de régulation économique, un équilibre est toujours à rechercher entre compétitivité et protection, entre objectifs à court terme et objectifs à long terme, entre ignorance et arrogance, pour reprendre les termes utilisés par M. Liikanen lors de son audition, que nous avons menée avec Christophe Caresche.
Je crois que, dans ce projet de loi sur la régulation bancaire, l’équilibre est bel et bien trouvé ; un équilibre fin, un équilibre fragile, un équilibre pragmatique entre utilité de la finance à l’économie et protection contre les risques excessifs que la finance et les banques pourraient prendre et qui se retourneraient justement contre l’économie – et contre les banques elles-mêmes.
Nous sommes responsables, et nous savons qu’il faut protéger la compétitivité de notre système bancaire. Notre objectif, c’est bien évidemment que l’économie française soit la mieux financée possible et que les banques françaises se portent bien. Par ce projet de loi, nous voulons les protéger d’elles-mêmes, les protéger des risques trop importants qu’elles prendraient et qui pourraient les affaiblir.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que c’est toujours au nom de l’utilité économique que tous les excès de la finance ont été justifiés à court terme. C’est au nom de l’utilité économique que la bulle immobilière s’est formée aux États-Unis entre 2005 et 2008. C’est au nom de l’utilité économique que des hedge funds sur les matières premières se sont constitués avant de devenir parfois des prédateurs contre les pays producteurs de matières premières qui avaient appelé à leur création. Et c’est au nom de l’utilité et de l’équilibre économique que des produits de couvertures complexes, les CDS, les crédit default swaps, ont été inventés avant de devenir des armes de spéculation extrêmement déstabilisantes contre les dettes souveraines de nombreux pays, comme la Grèce en 2010.
Ce projet de loi dessine la frontière entre le nécessaire et l’excessif, auquel la nature humaine est toujours tentée de succomber. Seul le responsable politique est en mesure de la dessiner. Comme disent les économistes Reinhart et Rogoff, « pays, institutions et instruments financiers peuvent évoluer dans le temps, mais non la nature humaine ». Cette frontière est dessinée par le projet de loi, qui vise quatre objectifs : éviter que ne survienne à nouveau la situation de 2008, c’est-à-dire un paysage composé exclusivement de banques systémiques, éviter que l’argent public ne soit mobilisé pour sauver des activités qui n’ont rien à voir avec le financement de l’économie réelle, préserver l’argent des épargnants et financer l’économie réelle.
Pour les atteindre, il faut combattre le risque systémique qui a conduit à l’effondrement du système économique en 2008. Ce risque est généré par la taille des banques et l’interdépendance extrême des établissements financiers. La réduction du risque systémique constitue un élément indispensable de la réforme structurelle du système bancaire.
M. Dominique Baert. En effet !
Mme Karine Berger, rapporteure. Réduire ce risque systémique, c’est tout l’objet du titre I du projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Il prévoit un dispositif de séparation des activités bancaires par une filialisation étanche des activités les plus susceptibles de faire l’objet d’une contamination systémique.
M. Pierre Lellouche. Il est poreux !
M. Jean-François Lamour. Il n’est pas étanche par définition !
Mme Karine Berger, rapporteure. Le projet de loi suit sur ce point les recommandations du rapport Liikanen et s’insère parfaitement dans les réflexions actuelles au niveau européen. Les activités pour compte propre des banques ne pourront plus avoir de contact avec la banque de dépôt ou d’investissement. Les investissements non sécurisés dans les hedge funds ne pourront plus être réalisés par la maison mère.
Après examen par la commission des finances, nous avons en outre confié au ministre des finances la responsabilité de la séparation des activités dites de tenue de marché au sein de la zone grise, qui est la plus complexe. La réforme américaine a échoué à isoler les activités de tenue de marché. Le rapport du groupe d’experts de M. Liikanen a reconnu la complexité du sujet. Si ce projet de loi est adopté, ce sera désormais à vous, monsieur le ministre, de définir la taille maximale des activités pour compte propre compatible avec l’absence de risque systémique. Ce sera à vous de dresser un mur au bon endroit, face à la spéculation et la finance folle.
M. Dominique Baert. Il fera ça très bien ! (Sourires.)
Mme Karine Berger, rapporteure. Ce mur est indispensable, mais il n’est pas suffisant. Le second danger découvert en 2008, c’est l’aléa moral, c’est-à-dire la garantie implicite apportée par l’État au système bancaire, qui prend ainsi en otage l’argent public pour sauver des activités de spéculation. J’ai rappelé dans mon rapport le coût des interventions menées en faveur des banques françaises. Que les banques françaises aient moins souffert de la crise que leurs homologues anglaises ou irlandaises ne garantit pas, selon moi, la stabilité future du système bancaire français.
M. Pierre Lellouche. Très bien ! Bravo, madame !
M. Jean-François Lamour. On est d’accord !
Mme Karine Berger, rapporteure. La réduction de l’aléa moral est assurée par le titre II du projet de loi, qui organise un mécanisme de résolution bancaire. Les titres II et IV obligent les banques à « écrire leur testament » et confèrent des pouvoirs importants à l’Autorité de contrôle prudentiel.
Enfin, le projet de loi s’inscrit dans une approche globale. En effet, la troisième leçon de 2008, c’est qu’une crise financière est toujours macroéconomique. Michel Aglietta m’expliquait en 2008 que la crise bancaire allait durer sept ans. Nous n’avons probablement plus qu’une année à tenir. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Dans le titre III, nous prévoyons des mécanismes de surveillance macrosystémiques. Le Conseil de stabilité financière est doté de forts pouvoirs d’adaptation des règles de fonds propres des banques afin de lutter contre les déséquilibres macrofinanciers.
En fin de compte, le projet de loi présenté par le Gouvernement et complété par le travail en commission des finances atteint bien tous ses objectifs. Il limite l’aléa moral, lutte contre le risque systémique et reste un outil souple et adaptable face aux futures crises financières. Il est à la fois précurseur et compatible avec les futures régulations que nous voulons construire avec nos partenaires européens.
Une comparaison avec les exemples anglo-saxons, que vous avez déjà faite, monsieur le ministre, permet de replacer le projet de loi dans les débats actuels, sans que ces expériences constituent nécessairement une référence. La comparaison avec les recommandations du groupe d’experts de haut niveau présidé par M. Liikanen et mis en place par la Commission européenne devrait constituer la source la plus riche d’instruction.
En introduction à mon rapport, Pierre-Alain Muet a accepté de dresser un bref aperçu de l’histoire de la politique économique de régulation de la financiarisation à outrance.
M. Jean-Marc Germain. Quel talent ! C’est notre maître à tous ! (Sourires.)
Mme Karine Berger, rapporteure. Il nous rappelle que la première grande dépression financière a donné naissance à une double révolution, de la théorie économique et de la politique économique. Elle a aussi donné naissance à un chef-d’œuvre inégalé à ce jour, la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de John Maynard Keynes, qui a bouleversé la vision de la place de l’État dans l’économie, comme l’illustre la politique de Roosevelt, que je laisserai Pierre-Alain Muet commenter, avant de conclure en rappelant Brutus et Roosevelt que j’ai cités.
M. Dominique Lefebvre. Pierre-Alain Roosevelt !
M. Pierre Lellouche. Brutus était muet ? (Sourires.)
Mme Karine Berger, rapporteure. L’un et l’autre menèrent le combat de la démocratie contre la dérive du plus fort. J’espère que ce projet de loi permettra d’ajouter à leurs noms ceux de Hollande et Moscovici ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Pierre Lellouche. Votre diagnostic est juste, votre conclusion moins !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques.
M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président des finances, madame le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, il me revient, au nom de la commission des affaires économiques, d’indiquer la manière dont cette commission a examiné le texte, d’abord pour en faire rapport auprès de la commission des finances, ensuite pour présenter un certain nombre d’observations.
La commission des affaires économiques, ayant pris connaissance du texte, a donné un avis particulièrement favorable à l’ensemble de l’organisation qui modifiera profondément les relations entre le système bancaire et le monde économique, en particulier en France.
Son premier intérêt est d’ajouter, monsieur le ministre, une pierre à l’ensemble de l’édifice de régulation économique en cours de construction en France, constitué par toutes les décisions qui furent prises pour permettre à notre pays de sortir de la crise du surendettement et d’en revenir au simple endettement. Celui-ci peut présenter un intérêt fort pour maintenir ou faire revenir la croissance, comme l’a montré Keynes dont il était question tout à l’heure.
Ce texte ajoute aussi une pierre supplémentaire à l’édifice bâti pour développer l’emploi et la compétitivité. Il s’agit de mettre véritablement le système bancaire au service de l’économie réelle. Celle-ci épargne et investit, mais on sait qu’il y a aujourd’hui, en France, un décalage de 50 milliards d’euros entre l’épargne collectée et l’investissement. Les banques doivent donc en permanence aller chercher l’épargne à l’extérieur, d’autant qu’une partie de l’épargne sort d’elles-mêmes. Leur rôle d’intermédiation, comme le rappelait Mme la rapporteure, est donc particulièrement difficile à jouer aujourd’hui, dans la mesure où les dépôts qui leur sont confiés sont insuffisants, et où leur présence sur les marchés mondiaux les expose nécessairement aux dérives du système financier mondial dont chacun connaît les effets toxiques et catastrophiques.
Je ne reviendrai pas sur la crise hypothécaire qui a amené l’effondrement d’un certain nombre de banques, Lehman Brothers en particulier. La conduite de la politique économique et nos économies en général furent alors plongées dans le malheur, en particulier l’économie réelle, puisqu’il a fallu obérer le pouvoir d’achat et la consommation des ménages pour sauver les banques, ce qui a provoqué un désordre et une dépression économiques sans précédent. Créer les conditions structurelles pour que cela ne se reproduise plus est donc une impérieuse nécessité. Il faut le faire maintenant, car les dérives d’hier montrent qu’il ne faut pas attendre, même si l’Europe ne s’engage pas assez vite vers ces nouvelles formes de régulation. Nous donnerons alors l’exemple et pourrons témoigner. Nous ferons ainsi en sorte que les banques françaises, qui bien sûr interviendront dans le système financier mondial, contribuent à réguler le système monétaire et financier mondial.
On connaît les réformes envisagées par les rapports Liikanen, Vickers et Volcker. On nous dit qu’il faut attendre pour qu’elles soient mises en œuvre. Mais faut-il vraiment attendre 2017 ou 2019, alors que les conditions d’organisation du financement de l’économie réelle ont été structurellement déstabilisées et qu’il faut les reconstruire ? La loi qui nous est proposée permet de le faire et de donner aux banques des points de repère afin qu’elles soient véritablement au service de l’économie réelle.
Cette loi a trois objectifs : réorienter l’activité des banques au service de l’économie, instaurer davantage de régulation et défendre le consommateur dans ses relations avec le milieu bancaire. Elle répond à la volonté de créer les conditions de la régulation pour assurer la transparence de l’information qui doit être partagée entre tous les acteurs du système financier. On sait combien notre système bancaire est un système basé sur le secret. Démontrer que la transparence permettra justement au système bancaire de mieux fonctionner est aussi un enjeu de cette loi.
Dès lors, comment réorienter l’activité des banques vers l’économie réelle ? Tout d’abord par le cantonnement. Il importe de bien définir les activités qui portent la spéculation et celles qui portent véritablement le financement de l’économie. Cela suppose la sanctuarisation. Mais la frontière est fragile entre activités porteuses de l’économie réelle et activités de spéculation. D’où la proposition, faite par Mme la rapporteure, que M. le ministre fasse les arbitrages en fonction des situations. Ainsi, cette frontière pourra s’ajuster en permanence et tenir compte de la réalité. La commission des affaires économiques a présenté un amendement, que nous discuterons tout à l’heure ou demain, visant à contraindre les établissements bancaires liés aux hedge funds à communiquer leur exposition au risque chaque mois à l’Autorité de contrôle prudentiel, à même de prendre les décisions nécessaires.
La commission des affaires économiques a aussi, dans cette partie, examiné la question des activités menées par les banques dans les filiales à l’étranger, le cas échéant dans des pays aux conditions fiscales particulièrement différentes qu’on appelle paradis fiscaux. Nous nous félicitons des évolutions réalisées consistant à mettre sous surveillance les deux critères principaux. Certaines banques fournissent aujourd’hui les résultats de leurs filiales à l’étranger sans qu’on le leur demande. Peut-être faudrait-il prendre en compte cette information. Cela permettrait de bien saisir la manière dont circulent les fonds entre les sociétés mères et les filiales.
M. Razzy Hammadi. Très bien !
M. Philippe Kemel, rapporteur pour avis. La supervision bancaire, dont on sait combien elle est nécessaire, est renforcée. Ainsi, il est déterminant que des positions de résolution soient désormais possibles. Hier, on se limitait à des observations ; demain, grâce à cette possibilité d’intervenir, des catastrophes pourront être évitées. Par la réflexion systémique, les mesures correctrices de régulation macroéconomique pourront être prises. Il s’agit d’un élément très important du projet de loi.
S’agissant de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et du Conseil de stabilité financière, la commission des affaires économiques juge nécessaire que s’instaure un réel échange entre les deux institutions, afin d’éviter l’entre soi. Il faut que la première, qui agit au plan microprudentiel, puisse transmettre des informations au second, qui agit au niveau macroéconomique. Nous n’avons pas toujours été entendus sur ce point, mais nous le comprenons ; c’est la règle du débat démocratique.
Le troisième volet du projet de loi est consacré à la défense du consommateur. Il s’agit de faire en sorte que les clients des banques, souvent placés dans une position de faiblesse, puissent être mieux protégés, qu’il s’agisse des commissions d’intervention, des frais bancaires ou des emprunts. Nous avons proposé qu’une nomenclature des contrats d’assurance soit établie et communiquée à l’Autorité de contrôle prudentiel, afin que soient garanties la transparence et la concurrence – c’est un point dont nous débattrons peut-être ultérieurement.
Monsieur le ministre, nous avons pu apprécier, au cours des échanges que nous avons eus lors des réunions de la commission des finances, la qualité de votre écoute. Vous avez ainsi souhaité que toutes les propositions soient prises en compte. L’exercice exige beaucoup de doigté : il s’agit d’orfèvrerie ou d’horlogerie – vous pourriez en parler mieux que moi –, car nous devons respecter des équilibres très précis. En tout état de cause, nous savons que, grâce à votre qualité d’écoute, nos débats nous permettront d’aboutir à un texte qui mette le système bancaire au service de notre économie, de l’économie réelle. C’est ainsi, nous en sommes convaincus, que la croissance reviendra. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, madame la rapporteure, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, en 2009 se tenait à Londres le sommet du G20, sur les mêmes terres que celles qui accueillent à bras ouverts et souvent les yeux fermés, au bout d’un tapis rouge glissant, le centre névralgique de la finance internationale. En réponse à une crise financière sans précédent, les dirigeants du monde affichaient alors une volonté politique sans faille pour rassurer leurs concitoyens et garantir que le principe Never again ! – plus jamais ça – s’appliquerait.
Le Wall Street Journal titrait, au lendemain de la faillite de Lehman Brothers : « Wall Street tel qu’on l’a connu cessera d’exister. » Il n’était plus question de faire prendre des risques aux déposants et aux contribuables ; tout serait fait pour normaliser une finance devenue folle, car aveuglée par l’appât du gain facile et déconnectée des performances réelles des économies.
En France, tout devait changer ; rien n’a changé, en quatre ans. Mais, aujourd’hui, la France est précurseur. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) C’est ici et sous un gouvernement socialiste, que le fonctionnement du secteur bancaire est réformé, pour la première fois depuis la crise. On compare ce projet de loi à d’autres, inspirés des réflexions de MM. Volcker, Vickers ou Liikanen. L’exercice est intéressant, utile. Il reste que la France agit pour tirer les leçons et prend des mesures dont l’effet est immédiat, et non reporté à 2017 ou 2019, comme au Royaume-Uni, voire plus tard.
Il faut du courage, monsieur le ministre, pour donner le la, et de l’ambition pour donner le ton.
En, 2007, le chômage touchait 16 millions d’Européens ; il en frappe aujourd’hui 27 millions. En écho à la crise financière, la misère continue de gagner du terrain : en France, près de 9 millions de personnes touchent moins de 964 euros par mois.
M. Pierre Lellouche. On se demande ce que fait le Gouvernement !
Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis. Parallèlement, entre 2008 et 2011, 4 500 milliards d’euros d’aides publiques, soit 37 % du PIB de l’Union européenne, ont été accordés aux établissements financiers. Ces aides ont lourdement grevé les finances publiques et dictent encore aujourd’hui les politiques budgétaires sévères menées partout en Europe.
Dans ce contexte, certains reprochent au projet de loi de ne pas aller assez loin ; d’autres affirment, au contraire, qu’il met en péril la compétitivité du secteur bancaire. Faut-il penser que les contraires s’annulent ? Quoi qu’il en soit, ces appréciations opposées sont la meilleure démonstration du caractère équilibré du texte, qui est à la fois ambitieux et réaliste.
Ambitieux parce qu’il apporte, en matière de prévention et de résolution, des réponses fermes et inédites à la crise financière.
Réaliste parce qu’il tient compte de la nécessité de ne pas affaiblir notre industrie bancaire, qui finance l’économie et emploie près de 400 000 personnes en France, et renforce la protection des clients, trop souvent placés dans un rapport de dépendance et dans une position de faiblesse face à leur banque.
Cela a été rappelé, le texte a été substantiellement enrichi lors des débats en commission, et j’espère sincèrement qu’il le sera encore, en particulier sur la question, jamais assez traitée, des commissions d’intervention bancaire. À ce propos, je tiens à saluer l’excellent travail de Mme la rapporteure, Karine Berger, et des autres rapporteurs pour avis, Philippe Kemel et Christophe Caresche.
Je me félicite notamment qu’ait été introduite dans le texte une obligation de transparence applicable aux activités offshore des filiales des banques françaises. C’est une première pierre à l’édifice, forcément international, de la lutte contre les paradis fiscaux. Là aussi, pour la première fois, la transparence l’emporte sur le secret bancaire dans ces îles protégées où exotisme et cynisme vont habituellement de pair.
M. Christian Paul. Très bien !
Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis. La commission des lois, quant à elle, s’est naturellement concentrée sur les aspects juridiques et institutionnels du projet de loi. Elle a ainsi travaillé sur les questions de gouvernance, de contrôle parlementaire et de conflits d’intérêts, mais aussi sur un volet important du texte, consacré à la résolution, qui fait peut-être moins parler de lui que la séparation des activités bancaires, mais qui imprime un véritable changement de paradigme dans la manière d’envisager le traitement réservé à une banque face à un risque de défaillance. C’est vrai tant au plan préventif qu’en cas de liquidation.
Le droit et le juriste interviennent souvent en phase de contentieux et de guérison, moins souvent pour prévenir les maux. Or, ici, nous demandons aux banques de signer leur testament devant l’État, qui devient une sorte de notaire.
M. Razzy Hammadi. Très bien !
Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis Elles doivent prévoir à l’avance ce qui se passerait en cas de crise : quelles filiales céder, quels actifs vendre, quelle activité abandonner, quel créancier appeler. On passe d’un état de panique et de la perte de confiance – qui peut produire un effet boule-de-neige sur les marchés – à une identification des risques en amont, qui doit permettre aux banques de mieux se préparer, de s’adapter et de se spécialiser. Parallèlement, les pouvoirs d’enquête et de contrôle des régulateurs sont considérablement renforcés.
Le texte définit un cadre juridique ad hoc, totalement neuf, pour les liquidations. L’objectif visé est simple : réduire l’aléa moral. Jusqu’à présent s’appliquait le principe too big to fail – trop grosses pour faire faillite –, en particulier à nos quatre grandes banques, considérées comme des banques systémiques, c’est-à-dire des banques dont la chute provoquerait un véritable séisme économique. Songez que le bilan cumulé des trois plus grandes banques françaises équivaut à deux fois et demie le PIB de notre pays !
Forts de la certitude qu’en cas de faillite d’une banque systémique, l’État volerait toujours au secours de l’établissement sans que les créanciers aient à assumer la totalité des pertes, les spéculateurs ont maximisé leurs prises de risques. En effet, pendant la crise, des bail-out ont eu lieu partout, y compris pour Dexia, qui a bénéficié d’un renflouement public à hauteur de 11,5 milliards d’euros. Grâce au texte que nous examinons, nous allons inscrire dans le marbre de la loi le mécanisme du bail-in, c’est-à-dire le renflouement interne : en cas de défaillance, ce sont les actionnaires et les créanciers qui seront d’abord appelés à contribuer. Ce sont eux qui ont pris les risques, et ils doivent les assumer en supportant les pertes.
En outre, la faillite d’une filiale qui se consacre aux activités de marché ne pourra plus entraîner celle du groupe bancaire tout entier. Ce point est essentiel, car il répond à la principale préoccupation de nos concitoyens : si la banque est en difficulté, s’interrogent-ils, qu’en sera-t-il de mes dépôts, de mon épargne, de ma retraite et de mes impôts ? Serviront-ils de solution de dernier recours ?
Il est communément considéré que ce dispositif crucial ne trouvera sa pleine efficacité que s’il s’applique à un champ étendu de créanciers, incluant ce que l’on appelle la dette « senior ». Tel n’est pas le cas dans ce texte, pour des raisons que je comprends parfaitement : c’est au niveau européen qu’il faut réaliser cette avancée. Je salue donc l’engagement que vous avez pris, monsieur le ministre, en nous assurant que la France se battrait pour que la future directive européenne sur la résolution bancaire soit ambitieuse sur ce sujet et impute également les pertes des banques aux créanciers « seniors ».
Dans un souci de sécurité juridique qui doit donner toute sa force à l’intervention publique, la commission des lois a renforcé les garanties, en particulier les garanties procédurales, accordées aux personnes qui peuvent faire l’objet d’une mesure de résolution. Ces mesures, justifiées par des motifs impérieux relevant de l’intérêt général, peuvent en effet porter atteinte à des droits et à des libertés préexistants. La commission a donc introduit le principe de proportionnalité, a limité aux seules situations d’urgence les dérogations au principe du contradictoire et a renforcé l’indépendance de l’expert chargé de la valorisation.
Par ailleurs, je souhaiterais relever l’importance du nouveau Conseil de stabilité financière dans l’identification des risques macroprudentiels. La création de cette instance – passée, elle aussi, plus inaperçue – souligne le fait que les gouvernements ne sont pas exemptés de leur responsabilité dans la crise financière. Aux États-Unis, par exemple, pour étendre l’accès à la propriété et concrétiser ainsi le rêve américain des foyers modestes, les réassureurs ont garanti des prêts hypothécaires à des conditions beaucoup trop relâchées. En Espagne, en Irlande, les bulles ou plutôt les bombes immobilières auraient dû être désamorcées. Ce nouveau conseil français pourra relever les exigences de fonds propres des banques et orienter leurs politiques de crédits.
En conclusion, quel est notre rôle, à nous, législateurs ? Il n’est pas de mettre nos banques au trou, mais de les protéger des excès passés et toujours présents de la spéculation. Car, décidément, la main invisible du marché est bien imparfaite, bien nerveuse et bien maladroite. À cette main, nous opposons celle de l’État, de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, de l’Autorité des marchés financiers, du Conseil de stabilité financière : une main collective, prudente, forte du poids que lui conférera la représentation nationale. C’est cette responsabilité éminente et imminente qui nous revient.
Mme la présidente. Merci, madame la rapporteure pour avis.
Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis. Pour terminer, permettez-moi de citer George Bernard Shaw. Cet essayiste irlandais, anticonformiste et socialiste, connu pour son humour, disait : « Une banque vous prête un parapluie quand il fait beau et vous le reprend quand il pleut. » Cette loi n’empêchera pas la pluie de tomber – surtout pas à Londres, du Square Mile de la City à Canary Wharf en passant par Mayfair –, mais elle est un premier outil majeur pour réguler un capitalisme financier qui est victime de ses propres excès et qui fait des victimes.
Mme la présidente. Merci.
Mme Axelle Lemaire, rapporteure pour avis. Elle doit, en outre, éviter que des banques se voient donner des parapluies par les contribuables lorsqu’il pleut. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
Mme Marie-Christine Dalloz. Un excellent président !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Monsieur le ministre, mesdames et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, en l’état, ce projet de loi, plutôt équilibré, me paraît aller dans la bonne direction. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)
À l’évidence, après la crise de 2008, il fallait renforcer la supervision et la régulation. Cependant, comme l’a très bien dit Mme la rapporteure, il faut maintenant, au-delà des mesures prudentielles prises ces dernières années, progresser sur le plan structurel. Et c’est là que les inquiétudes commencent…
Mme Marie-Christine Dalloz. Eh oui !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …car, mes chers collègues, nous avançons seuls. Si, aux États-Unis, en Allemagne et au Royaume-Uni, des dispositions sont à l’étude, elles n’entreront en application qu’à l’horizon 2018, 2019, voire 2020. Quant à l’Union européenne, elle travaille actuellement sur des orientations censées prendre la forme d’une directive, qui ne sortirait toutefois qu’à la fin de cette année.
Monsieur le ministre, il est essentiel que vous veilliez à ne pas pénaliser un secteur industriel qui représente 400 000 emplois et 30 000 embauches par an, dont la moitié de jeunes de moins de trente ans. Il ne faut pas que notre pays, en voulant toujours être le premier, en voulant se donner en exemple, nuise à ses propres entreprises.
Mme Marie-Christine Dalloz. Eh oui, il ne faut pas faire que de la communication !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Par ailleurs, il faut également veiller à un deuxième aspect, à savoir le financement de nos entreprises. Les entreprises, y compris celles de taille moyenne, sont conduites à recourir de plus en plus aux marchés financiers.
Dès lors, monsieur le ministre, vos maîtres mots devraient être compétitivité et emploi, d’autant que, dans notre pays, il n’y a pas eu véritablement de sinistre bancaire depuis 2008. À ce propos, je voudrais saluer – comme la rapporteure a eu l’honnêteté de le faire dans son rapport – le fait que la France a remarquablement réagi à la crise de 2008. Après la faillite de Lehman Brothers le 14 septembre 2008, dès le 16 octobre 2008 nous avons adopté définitivement, ici même, un dispositif de refinancement permettant notamment de rétablir la liquidité interbancaire, qui ne fonctionnait plus, par le biais de la Société de financement de l’économie française – la SFEF. Nous avons également mis en place un dispositif redotant en fonds propres, ou quasi-fonds propres, un certain nombre de banques, par le biais de la Société des prises de participation de l’État – la SPPE.
Mme Marie-Christine Dalloz. Et qui l’a voté ?
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Effectivement, à l’époque, la gauche ne l’a pas voté.
M. Henri Emmanuelli. Vous avez pris soin de ménager les actionnaires !
Mme la présidente. Allons, mes chers collègues, seul M. le président de la commission des finances a la parole !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. D’ailleurs – et je note que vous ne l’avez pas indiqué dans votre rapport, madame la rapporteure –, il faut savoir que, du seul fait de la garantie de l’État, 3 milliards d’euros de recettes budgétaires ont été mis en œuvre, entre la SFEF et la SPPE.
Mme Marie-Christine Dalloz. Très bien !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Certes, il y a eu le problème Dexia, dont je vais parler dans un instant.
M. Charles de Courson. Et le Crédit immobilier de France !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Ce qui m’a frappé lors des discussions en commission, c’est cette forme d’excès de confiance, peut-être même de naïveté, madame Lemaire, qui consiste à croire que le politique est irréprochable dans ses décisions.
Mme Marie-Christine Dalloz. À ce point-là, ce n’est plus de la naïveté !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je voudrais vous rappeler, par quelques exemples, ce qui s’est passé ces dernières années. Quand, en 2005-2006, le gouverneur de la Banque centrale espagnole va voir le Premier ministre Zapatero pour lui dire que le pays est au bord d’une bulle spéculative dans l’immobilier, le politique décide de ne pas écouter le gouverneur de la Banque centrale.
Quand, au Royaume-Uni, une majorité conservatrice décide d’affaiblir la supervision, avec la mise en œuvre de la light supervision, c’est l’origine de la plupart des déboires bancaires massifs, puisque presque toutes les banques commerciales anglaises, en dehors de Barclays, ont fait faillite à partir de 2008.
Quand, aux États-Unis, le président Clinton et son administration décident de permettre à des ménages à la limite de la solvabilité d’accéder à la propriété, cette décision du politique conduit directement au désastre des subprimes.
M. Henri Emmanuelli. Qui a gagné de l’argent ?
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je vais parler de vous dans un instant, monsieur Emmanuelli.
En Italie, c’est la banque Monte dei Paschi qui, aujourd’hui, pose les plus gros problèmes et risque même de faire faillite. Or, qui est l’actionnaire historique de cette plus vieille banque italienne ? C’est le politique, à savoir la municipalité de Sienne !
Vous qui êtes aujourd’hui le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, monsieur Emmanuelli, vous ne me contredirez pas si je vous dis que nous devons avoir la lucidité, nous les responsables publics, de nous rappeler que l’actionnaire de référence de Dexia, c’était la Caisse des dépôts.
M. Henri Emmanuelli. Non !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Quand Dexia s’est lancée dans l’aventure américaine en 2000, en rachetant un rehausseur de crédits, la Caisse des dépôts était l’actionnaire de référence !
M. Henri Emmanuelli. C’est vous qui l’avez privatisée !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Alors, mes chers collègues, soyons plus modestes et connaissons nos limites : le politique n’est pas irréprochable.
M. Henri Emmanuelli. Vous m’avez mis en cause !
Mme la présidente. Nous verrons cela en fin de séance, monsieur Emmanuelli.
Vous avez la parole, monsieur le président de la commission.
M. Jérôme Chartier. Calmez-vous, monsieur Emmanuelli, vous n’êtes plus dans l’opposition !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Si on vous a porté à la tête de la commission de surveillance, monsieur Emmanuelli, c’est parce qu’on sait que vous serez un gestionnaire avisé et que vous saurez respecter les limites…
M. Jérôme Chartier. Un gestionnaire apaisé !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. J’en viens à l’option choisie par le Gouvernement, celle du cantonnement des activités sans utilité pour l’économie. Je pense que cette option est la bonne, parce que c’est celle retenue par le rapport Liikanen, qui présidera probablement aux grandes orientations de la directive.
À ce stade, je voudrais faire deux observations, en commençant par la tenue de marché. Je pense qu’il est bon de conserver les activités de tenue de marché dans la banque commerciale. Notre rapporteure, qui a d’ailleurs rédigé un très bon rapport, que je vous invite à lire…
M. Pierre Lellouche. C’est fait !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. …s’est vite rendu compte qu’on ne pouvait pas manier les ciseaux pour distinguer, au sein des activités de tenue de marché, celles qui n’étaient pas vraiment spéculatives de celles qui l’étaient.
M. Charles de Courson. Eh oui ! Ce n’est pas étanche !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Je suis donc tout à fait favorable à l’amendement auquel tout le monde s’est rallié en commission des finances, consistant à établir un seuil d’importance de ces activités par rapport à l’ensemble des activités de la banque, seuil à partir duquel le ministre pourrait, par arrêté, décider de basculer les activités excédentaires de tenue de marché dans la filiale cantonnée. La démarche serait d’autant meilleure, monsieur le ministre, que cet arrêté serait conçu par établissement, et probablement pour une durée limitée.
Ma deuxième observation a trait à l’accès à la liquidité et à la relation avec les hedge funds. Là aussi, il faut être pragmatique. Le premier point que nous devons constater, c’est cette particularité française qui veut que les dépôts soient inférieurs aux crédits : les dépôts ne permettent pas de couvrir la totalité des prêts. Par conséquent, la banque doit faire appel aux marchés financiers.
Mme Marie-Christine Dalloz. Exactement !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Tant que la banque fera appel aux marchés financiers, nous aurons ce problème de liquidités. C’est d’ailleurs en raison de ce problème que le modèle du Crédit immobilier de France montre ses limites, et que Dexia se trouve en grave difficulté.
Monsieur le ministre, je voudrais vous poser une question au sujet de l’augmentation du plafond du livret A. Je crois qu’il est légitime qu’une étude soit établie à la fin de cette année, comprenant un bilan sur le problème de dépôt des banques et de liquidités. Qu’en pensez-vous ? Je regrette, pour ma part, que Mme la rapporteure ait donné un avis défavorable au modeste amendement proposant l’établissement d’un rapport. Au passage, je signale que pas un amendement de l’opposition n’a eu l’heur de vous plaire, ce qui me paraît un peu dommage.
Mme Marie-Christine Dalloz. Eh oui ! Comme d’habitude !
M. Christian Paul. Il n’y avait personne pour les défendre !
Mme la présidente. Allons, mes chers collègues ! Seul le président Carrez a la parole !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. Quant aux hedge funds, monsieur le ministre, j’ai bien aimé votre expression de « double face » pour les qualifier. Là aussi, il faut avoir une approche pragmatique. Les banques doivent prêter aux hedge funds, car elles trouvent dans ce type d’opérations une partie de leurs liquidités, ainsi que de la couverture des différents produits dérivés qu’elles détiennent. La solution que vous nous proposez, et qui consiste à n’accepter, dans la banque commerciale, que les relations sécurisées, me paraît être la bonne.
Nous devons également être très attentifs au plafonnement des commissions. Les publics vulnérables, en particulier, doivent faire l’objet d’un plafonnement plus efficace. Les dispositions proposées en ce sens s’inscrivent dans la droite ligne de la loi Lagarde de 2010.
Pour terminer, je voudrais insister sur un point : les banques de détail doivent rester rentables. Si une banque de détail n’est pas rentable, que fait-elle ? Elle se tourne vers les activités de marché, ou est conduite à une contraction de ses activités de financement de l’économie. En ce moment, alors que les taux d’intérêt sont bas et que la rentabilité tirée des dépôts est d’autant plus faible, nous devons être particulièrement attentifs à garder des banques de détail qui gagnent leur vie. À défaut, comme l’a très bien dit M. le ministre, c’est la présence de notre réseau bancaire sur tout le territoire qui sera mise en danger. En commission des finances, un certain nombre d’entre nous ont mis l’accent sur la concurrence, très préoccupante, des banques en ligne. Je le dis solennellement : l’industrie bancaire est un secteur qui marche, prenons garde à ne pas le déstabiliser.
Enfin, je reviens à la notion de compétition internationale. Nous devons veiller à ce que nos banques, qui sont performantes, continuent à rendre toute la gamme de services qu’elles rendent à nos entreprises. J’ai été frappé, lors de l’audition de John Vickers, par le pragmatisme absolu de ce Britannique. Chère collègue londonienne, j’attire votre attention sur cette chose toute simple que nous a dite, en substance, M. Vickers : « Les dépôts, nous allons les protéger en les entourant d’une solide barrière électrifiée. »
M. Henri Emmanuelli. Pas avant 2020 !
M. Gilles Carrez, président de la commission des finances. « Pour le reste, vous continuerez à faire ce que vous voulez, parce que la place financière de Londres doit compter. Nous devons avoir le maximum de hedge funds et être les plus performants possible sur les produits dérivés ». Voilà le pragmatisme anglais, mes chers collègues. Je souhaite que nous nous en inspirions pour sauvegarder nos 400 000 emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Plusieurs commissions ont travaillé sur votre texte, monsieur le ministre, ce dont vous pouvez être fier. J’ai compris que vous aviez les yeux de Chimène pour la commission des finances,…
M. Pierre Moscovici, ministre. Mais non !
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. …ce qui est somme toute normal puisque c’est la commission qui travaille le plus régulièrement avec vous.
M. Henri Emmanuelli. Jaloux !
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Je dis cela parce que, comme me l’a fait remarquer M. Kemel, la plupart des amendements de la commission des affaires économiques ont été différés, parfois réécrits, pour une raison ou pour une autre – mais, après tout, il faut savoir se plier à ceux qui ont l’exigence de la rigueur.
Ne soyez pas triste, monsieur le président de la commission des finances : grâce à ce texte, vous allez entrer dans l’histoire comme un précurseur. Vous êtes président de la commission des finances au moment où ce texte de régulation bancaire est voté, et je ne doute pas que vous en soyez très reconnaissant à l’égard du Gouvernement. (Sourires.)
Madame la rapporteure de la commission des finances, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure de la commission des lois, monsieur le rapporteur de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques – cher Philippe Kemel, mes chers collègues, l’Assemblée nationale examine aujourd’hui un nouvel engagement que le Président de la République avait présenté durant sa campagne : la régulation des activités bancaires au service de l’économie réelle. Je félicite d’ores et déjà mes collègues, ainsi que l’ensemble des rapporteurs, à commencer par Mme la rapporteure de la commission des finances, qui ont donné encore plus de souffle au texte. Je remercie également le Gouvernement d’avoir fait preuve d’ouverture : si j’ai bien compris, même durant le débat en séance, nous pourrons aller au-delà de ce qui a été voté en commission.
Si la thématique du texte peut faire consensus, ou presque, l’audace – je dis bien l’audace – de son contenu doit encore être expliquée, ce dont chacun conviendra. Là où certains souhaitent que l’on s’abstienne de légiférer, là où d’autres souhaitent, au contraire, un grand soir, le Gouvernement a choisi de mettre en œuvre une politique financière de transparence, de prudence et d’efficacité, en tenant en quelque sorte la spéculation en lisière.
Le Gouvernement a également souhaité instaurer une régulation à la fois plus réactive et plus complète, ce qui permettra de prévenir tout risque de crise bancaire semblable à celles que l’on a pu connaître par le passé. Mieux vaut prévenir que guérir, et peut-être l’histoire retiendra-t-elle que la nouvelle régulation bancaire, ce n’est pas la fin des banques, c’est la fin de la banqueroute ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
M. Henri Emmanuelli. Le président Brottes est très en forme !
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Un autre motif de satisfaction concerne les aspects relatifs au consommateur. Je ne peux que me féliciter, en effet, de voir que le texte aborde également les relations que nos concitoyens sont amenés à avoir avec leur banque – dans l’hypothèse où ils en ont une, car certains d’entre eux sont encore totalement exclus de ces établissements.
Ces sujets ne sont pas nouveaux. Ainsi que M. le président de la commission des finances l’a indiqué, nous avons déjà eu l’occasion de les aborder lors des débats sur la loi de modernisation de l’économie quand nous avions débattu de la modernisation de la place financière de Paris, du renforcement du suivi du contrôle interne des banques ou de l’aide au changement de compte bancaire, mais aussi, malheureusement, chers collègues, de la banalisation du livret A, que nous avions dénoncée à l’époque, car elle fragilise durablement le rôle social de la Banque postale.
Le projet de loi relatif à la consommation, que M. Hamon présentera prochainement et qui sera examiné par la commission des affaires économiques, traitera de ces questions, mais il était normal que cette dimension fasse dès à présent l’objet de discussions en étant partie intégrante de ce texte, car la régulation du secteur bancaire doit être faite au service du consommateur.
Nous sommes trop souvent les témoins de situations qui pourraient et qui doivent être évitées. En effet, on estime aujourd’hui que 5 à 6 millions de nos concitoyens ont un accès restreint aux banques. Il s’agit notamment de personnes précaires, de chômeurs, de jeunes qui démarrent dans la vie – parfois sans travail –, de ménages surendettés ou de personnes âgées, des publics qui, selon les cas, se trouvent dans l’impossibilité d’être seulement considérés ou reçus par un conseiller financier de quelque banque que ce soit. Interdits bancaires, ils sont les bannis, une condition qu’ils ne méritent pas.
Cette exclusion place ceux qui en souffrent dans des situations inacceptables. Mener une vie normale devient pour eux une lutte de chaque instant. La loi que nous allons adopter permettra de limiter considérablement ces situations en garantissant un véritable droit au compte – sans rapport aucun avec le droit de régler ses comptes qu’évoquait tout à l’heure le président de la commission des finances – dont la procédure sera désormais renforcée,…
M. Pierre Lellouche. Parfait !
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. …la Banque de France recevant à cette occasion des compétences nouvelles. Permettez-moi, monsieur Lellouche, de préciser que celles-ci pourront en quelque sorte satisfaire « l’irréductible inquiétude pour l’autre », comme l’a dit magnifiquement tout à l’heure Mme la garde des sceaux.
M. Pierre Lellouche. De plus en plus beau, monsieur Brottes ! (Sourires.)
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. La loi contient également des avancées significatives sur d’autres éléments, tels que les commissions bancaires ou encore les frais pour incident de paiement, qui traduisent trop souvent des relations difficiles, voire conflictuelles entre les banques et leurs clients, du moins tant que ces derniers conservent le droit de rester clients ou de disposer de quelque moyen de paiement.
Traiter ces sujets devenait urgent : nous ne pouvons plus accepter qu’un bénéficiaire du RSA, qui perçoit 483 euros par mois, doive parfois payer jusqu’à plusieurs centaines d’euros de frais bancaires. C’est pourquoi je tiens à saluer la mise en place d’un plafonnement des frais bancaires en cas d’irrégularités de fonctionnement d’un compte. Le groupe SRC souhaite d’ailleurs renforcer cette mesure et propose dans un des amendements qu’il a déposés de limiter le montant des commissions d’intervention par mois et par opération. Une telle disposition profitera à tous les clients dès lors qu’il s’agira de besoins non professionnels.
Nous ne pouvons pas ignorer les gestes faits par les banques ces dernières années, mais il était temps de prendre des mesures qui permettent de limiter la charge très souvent excessive des frais bancaires supportés par les plus modestes.
Nous avons l’obligation, au vu de l’expérience, d’améliorer les mesures de protection en vigueur. Je ne peux donc qu’approuver les dispositions inscrites à l’article 22 du projet de loi, relatif à la procédure de surendettement : venant compléter le dispositif de la loi du 1er juillet 2010 portant réforme du crédit à la consommation, dite loi Lagarde, elles visent à accélérer les procédures de surendettement et à garantir la suppression des intérêts intercalaires. En effet, malgré les avancées déjà réalisées – j’étais déjà sceptique à l’époque –, trop de négociations de plans conventionnels de redressement échouent encore.
Par ailleurs, ce projet de loi permet de véritables avancées en matière d’assurance emprunteur. Il clarifie également le régime des frais d’obsèques. Si les banques permettent actuellement aux familles modestes de prélever sur le compte du défunt les sommes nécessaires au paiement de ces derniers, une telle pratique, bien qu’indispensable, demeure dépourvue de base légale.
Enfin, ce projet met la France en conformité avec le droit communautaire en matière d’égalité tarifaire entre les hommes et les femmes dans le domaine de l’assurance puisque, à l’avenir, il ne sera plus possible d’opérer une différenciation en fonction du sexe au motif que ce critère joue un rôle dans l’appréciation du risque ; voilà encore une avancée pour l’égalité des droits !
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux que souhaiter l’enrichissement de ce texte – enrichissement non pas sans cause mais avec cause (Sourires) –, qui a déjà donné lieu à une très large concertation avec toutes les parties en présence et toutes les personnes intéressées, et qui, sans aucun doute, fera date dans la réglementation bancaire non seulement française, mais aussi européenne. Il s’agit pour nous non pas de donner des leçons mais de mettre en œuvre un engagement fort et salutaire.
Je m’arrête là, madame la présidente.
Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur le président ; nous avons eu droit à un petit bonus. (Sourires).
M. François Brottes, président de la commission des affaires économiques. Il est en effet temps de passer à l’acte, c’est-à-dire de légiférer effectivement pour réguler intelligemment – Mme la rapporteure a été sollicitée en ce sens tout à l’heure – et efficacement. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
6
Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente. Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq :
Suite de la discussion du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt.)