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samedi 6 avril 2013

Présentation par Michelle Meunier (rapporteur pour avis)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous vivons là un moment important et entrons, à notre manière, dans l’histoire de France (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.),…

M. Gérard Longuet. Par la petite porte !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … comme toutes celles et tous ceux qui, bien avant nous, ont fait le choix, souvent courageux, de s’opposer aux conservatismes et d’offrir à leurs concitoyens de nouveaux droits et de nouvelles libertés individuelles et collectives.
 
Il est inutile de le nier, ce texte a suscité des remous dans la société française (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.),…

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et ça continue !

M. Bruno Sido. C’est clair, mais vous les méprisez !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … comme chaque fois qu’une loi de progrès social et sociétal a été proposée ; ni plus, ni moins.
 
Cela démontre, s’il en était besoin, qu’il existe une forte attente du plus grand nombre et une résistance au changement d’une autre partie de la population. Il en est souvent ainsi en France quand on crée des droits nouveaux, particulièrement en matière de normes sexuelles ou familiales. On nous prédit alors l’effondrement de la société, la perte des repères, bref le chaos !

M. Charles Revet. Le chaos, vous êtes en train de le provoquer !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cependant, mes chers collègues, nous le savons, il n’en sera rien avec cette loi, pas plus qu’avec les précédentes.
 
Je dois d’abord vous dire ma fierté d’avoir participé activement aux travaux parlementaires et contribué, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales du Sénat, à cette avancée historique que constitue l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Je dois dire aussi le plaisir que j’ai eu à travailler en étroite collaboration avec Jean-Pierre Michel, que je remercie pour la très grande qualité des auditions organisées par la commission des lois et son président, ainsi que pour le climat serein et toujours respectueux qui a prévalu.
 
Nous avons entendu des juristes, des psychiatres, des représentants des collectivités territoriales, des responsables des cultes, des membres d’associations,…

M. Charles Revet. Vous devriez tenir compte de ce qu’ils ont dit !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … des porte-parole des familles, des ministres, des experts de l’adoption : près de cent personnes, opposées ou favorables au projet de loi, ont pu s’exprimer. Je crois – tout le monde en conviendra – que le Sénat a fait son travail,…

M. Gérard Longuet. Superficiel !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … dans un esprit de sérieux et de complémentarité avec celui de l’Assemblée nationale. On peut donc dire que le débat a eu lieu ; l’heure est désormais au vote.
 
Au-delà des éclairages qu’elles nous ont apportés, ces auditions ont permis de tracer certaines perspectives complémentaires, qui mériteront d’être traitées dans le cadre de la discussion du futur projet de loi sur la famille ; j’y reviendrai.
 
S’il faut entendre et comprendre les motifs de crispation d’une partie de nos concitoyens et concitoyennes, il ne faut pas, pour autant, renoncer à avancer lorsque l’on a la conviction qu’un texte est juste et nécessaire, comme c’est le cas aujourd’hui.
 
Nous avons lu ou entendu de nombreuses contre-vérités, lors des auditions, dans la presse ou dans la rue. Permettez-moi d’en corriger un certain nombre et d’ajouter quelques commentaires.
 
Ce texte ne crée pas un « mariage gay » ; il ne crée pas une union civile différenciée selon le profil du couple ; il fait entrer tous les couples dans l’universalité du mariage républicain. C’est un choix fort, un texte incluant, qui s’inscrit dans la lignée des grandes lois qui ont marqué l’histoire de la lutte contre les discriminations dans notre pays.
 
Nous connaissons la force du droit sur l’évolution des normes sociales. Le PACS avait déjà ouvert cette voie il y a quinze ans. Aujourd’hui, garantir aux couples homosexuels des droits identiques à ceux des couples hétérosexuels fait de l’homosexualité une orientation sexuelle possible, et non plus anormale, déviante ou dramatique.
 
Notre démarche s’inscrit en outre dans un mouvement international qui invite à la tolérance à l’égard des personnes homosexuelles, toujours gravement menacées dans de nombreux pays. La France, patrie de référence en matière de droits humains, s’honore en rattrapant son retard.
 
Ce texte ne réduit en rien les droits des couples hétérosexuels. Il ne leur enlève rien. Il ne changera pas leur quotidien et n’entraînera pas de bouleversement incontrôlé et irrémédiable dans notre société. Dirigeons un instant notre regard vers ceux des pays voisins qui ont déjà ouvert ce droit : l’Espagne, le Danemark, la Suède, la Belgique ou encore le Portugal. Que nous disent ces exemples ? Doivent-ils nous faire peur ou nous rassurer ? Eh bien, ni fléau ni calamité ne sont à déplorer ; on remarque juste une normalisation des différentes façons de vivre sa sexualité.
 
Alors, cessons de craindre le pire et envoyons enfin un message positif à celles et ceux qui ont pour seule particularité d’aimer une personne de leur sexe. Les personnes homosexuelles dont nous parlons ici sont nos enfants, nos frères et nos sœurs, nos petits-enfants, nos voisins et nos voisines, ainsi que tous leurs proches, de tous les milieux sociaux ou géographiques.
 
Oui, je le dis, un des mérites de ce projet de loi est de faire sortir l’homosexualité de son statut d’anomalie, dans le prolongement des textes qui ont mis fin à son inscription dans la liste des maladies mentales ou dans celle des délits.
 
Oui, je le dis, je m’étonne que des personnes, des familles, des représentants des cultes, au nom de leur foi religieuse ou de leurs convictions personnelles, se ferment au sort de milliers de jeunes et de moins jeunes qui vivent leur amour dans la clandestinité, subissent la violence et les actes homophobes, voire attentent à leurs jours.
 
« Celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens », nous a dit Condorcet en son temps, à propos du droit de vote des femmes. Cette phrase se révèle en parfaite résonance avec notre débat.
 
Ce texte correspond à un véritable projet de société : une société où chacune et chacun a sa place, quel que soit son sexe, quelle que soit son orientation sexuelle. Il est en parfaite cohérence avec la devise de notre République, comme l’ont très justement rappelé Mmes les ministres.
 
Ce texte permettra aux couples homosexuels de « faire famille ». Oui, assumons-le : il s’agit de continuer à dissocier la sexualité de la parentalité et la famille de son strict rapport au biologique. Ce texte sort la famille du fantasme « une maman, un papa et un enfant » (Protestations sur les travées de l’UMP.),…

Mme Catherine Troendle. Un fantasme ?

M. Gérard Longuet. C’est une plaisanterie ?

M. Charles Revet. Ce n’est pas un fantasme !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … car cette famille-là n’a jamais véritablement existé de manière universelle.
 
De tout temps, des parents ont mis au monde des enfants qu’ils n’ont pas pu ou pas voulu assumer. De tout temps, des enfants sont nés sans père (Exclamations sur les travées de l’UMP.) ou n’ont eu qu’un seul parent, souvent leur mère. De tout temps, des enfants ont été élevés, au quotidien, par d’autres personnes que leurs père et mère. C’est encore le cas aujourd’hui dans les nombreuses familles dites recomposées.
 
En fait, ce qui pose problème, c’est non pas ces familles réelles, mais bien cette famille idéalisée, érigée en modèle, cette famille « hétéro-patriarcale-blanche » de préférence, qui est de plus en plus éloignée des réalités. (Vives protestations sur les travées de l’UMP. – Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. Bruno Sido. C’est honteux !

M. Jean-Claude Lenoir. Il ne faut quand même pas exagérer !

Un sénateur de l’UMP. C’est nul !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. La loi doit donc s’adapter pour que chacun et chacune soit reconnu et trouve sa place.
 
Soyons confiants dans l’avenir de ces enfants élevés par des couples homosexuels ou transsexuels. Ils ne semblent pas aller plus mal que les autres, à ceci près qu’ils souffrent du regard discriminant et du jugement que l’on porte sur eux.
 
Le présent texte permettra de sécuriser la situation de nombreuses familles homoparentales dans lesquelles, actuellement, les deux parents ne sont pas à égalité de droits face aux enfants. L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra enfin l’adoption de l’enfant du conjoint et donnera une existence juridique pleine et entière à l’autre parent.
 
Reconnaître ces familles existantes insécurisées par l’absence de cadre légal, passe encore, nous a-t-on dit, mais pas question de permettre l’adoption commune d’un enfant par un couple homosexuel. L’enfant adopté serait plus vulnérable, car il a souffert ; il ne faudrait donc pas lui infliger une particularité supplémentaire. Mais de quoi parle-t-on ? Les enfants adoptés ne sont-ils pas surtout instrumentalisés dans ce débat ? Ces enfants savent qu’ils ont eu une première histoire, ils savent qu’ils sont nés d’autres parents : il n’y a pas de mensonge. L’adoption internationale a d’ailleurs beaucoup fait pour affirmer publiquement cette parentalité choisie. Ce lien a suscité beaucoup d’interrogations, voire dérangé, mais il rentre peu à peu dans la normalité.
 
Bien sûr, on regarde encore les familles adoptives comme des familles différentes. On leur prédit beaucoup de problèmes, notamment à l’adolescence, car elles seraient des familles « à risque »… Or des travaux présentés à Nantes en 2008 font apparaître que les écarts sont minimes entre ces enfants qui ont souffert de carences et les autres. À mes yeux, le plus grand risque, pour un enfant abandonné, est de ne pas avoir de famille pour la vie !
 
Non, les enfants adoptés ne sont pas par définition des enfants vulnérables, et leurs familles ne le sont pas davantage. Celles-ci rencontrent des difficultés, comme toutes les autres familles, et y sont peut-être plus sensibilisées, ce qui explique qu’elles aient tendance à consulter davantage les spécialistes. Mais, rassurez-vous, les milliers d’enfants adoptés depuis des dizaines d’années en France vont bien. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Bruno Sido. Qu’est-ce que vous en savez ?

M. Gérard Longuet. Ils ont des parents hétérosexuels !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Avoir deux parents de même sexe, cela met-il les enfants en difficulté ? Je ne le pense pas, pour peu que la société change son regard sur l’adoption et l’homoparentalité. Le présent texte a justement pour objet de contribuer à cette évolution.
 
L’autre argument avancé est la rareté des enfants à adopter aux niveaux national et international : il faudrait donc les « réserver » – passez-moi l’expression – en priorité à des couples hétérosexuels, sous-entendu « normaux ». L’adoption n’est pas un droit à l’enfant, rappelons-le : c’est le droit pour un enfant de grandir dans une famille. C’est le projet parental qui prime et qui fait l’objet d’une évaluation dans le cadre de la procédure d’agrément.

M. Bruno Sido. C’est faux, c’est complètement faux !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est cette même démarche qui s’appliquera aux couples homosexuels, qui, pour le moment, ne peuvent pas exposer clairement leur projet commun d’adoption, dans la mesure où un seul de leurs membres peut être officiellement candidat.
 
La situation de l’adoption internationale est actuellement difficile, car le nombre de postulants et de postulantes est supérieur au nombre d’enfants déclarés adoptables.

M. Charles Revet. Et ce sera encore pire demain !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Même si ce mouvement est assez général à l’échelon international, nous devons poursuivre nos échanges avec les pays étrangers, voire doter notre action diplomatique d’une dimension de protection de l’enfance.
 
En effet, je ne peux croire que le nombre d’enfants en besoin de famille soit si faible, eu égard aux difficultés évidentes constatées dans certains pays. On peut, de manière très réaliste, supposer que de nombreux enfants « invisibles », car sans état civil, sont en attente d’une famille dans des orphelinats ; certaines associations le disent. À la France de se mobiliser pour aider ces pays à proposer un avenir adapté et décent à ces enfants, sur place ou à l’étranger.

Mme Christiane Hummel. C’est hors sujet !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Beaucoup d’idées reçues ont circulé à l’occasion des auditions ; je voudrais y revenir.
 
Je réaffirme ici que les deux formes d’adoption – plénière et simple – dont notre pays s’est doté sont pertinentes, car elles répondent à des réalités bien différentes.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. L’adoption plénière, qui remplace la filiation de naissance par la filiation adoptive, répond aux besoins d’un enfant privé durablement de famille. Le lien de filiation ainsi créé accorde à cet enfant les mêmes droits et devoirs qu’à tout enfant qui serait né du couple. Il en va de même des droits et devoirs des parents, qui inscrivent l’enfant dans leur généalogie. L’adoption plénière n’empêche en rien la recherche des origines. Il serait toutefois intéressant de pouvoir mieux l’organiser pour les enfants nés à l’étranger, à l’instar de ce que propose le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, le CNAOP, pour les pupilles de l’État.
 
L’adoption simple, du fait qu’elle ajoute une nouvelle filiation à la filiation de naissance, correspond principalement à des situations intrafamiliales. On peut raisonnablement penser que c’est cette forme de filiation qui sera le plus fréquemment utilisée dans les situations d’homoparentalité, à travers la reconnaissance des enfants du conjoint. Cependant, ses conséquences juridiques ne sont pas aussi larges que celles de l’adoption plénière, notamment en termes d’accès à la nationalité ou d’inscription dans la famille.
 
Lors des auditions, il est apparu que ce champ de l’adoption devra être réformé ; nous appelons cette grande réforme de nos vœux, et je sais, madame la garde des sceaux, que vous y travaillez.
 
Les auditions ont également été l’occasion d’aborder les questions relatives à l’assistance médicale à la procréation. Il nous faudra, à l’évidence, rouvrir ce débat afin d’assurer aux couples de femmes homosexuelles une plus grande sécurité sanitaire et psychologique, en leur permettant d’avoir recours à l’AMP en France.

Mme Catherine Troendle. Et pour les couples d’hommes ?

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cette orientation est d’ailleurs cohérente avec la proposition qu’avait formulée le Sénat lors de la première lecture du projet de loi relatif à la bioéthique, il y a deux ans.
 
Je terminerai en vous présentant rapidement les amendements adoptés par la commission des affaires sociales le 20 mars dernier.
 
Le premier porte sur l’article 4 ter, inséré par l’Assemblée nationale, qui vise à permettre aux couples pacsés d’adhérer à une association familiale reconnue. Notre amendement tend à élargir ce droit aux couples pacsés sans enfant, pour qu’ils en bénéficient au même titre que les couples mariés sans enfant.
 
Les deuxième et troisième amendements visent à rétablir, aux articles 11 et 14, des mesures de coordination dans les codes sociaux ayant été malencontreusement supprimées lors de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale.
 
Le quatrième amendement, quant à lui, a pour objet d’étendre à l’ensemble des salariées et salariés homosexuels, indépendamment de leur situation familiale, la mesure de protection introduite à l’article 16 bis par l’Assemblée nationale au bénéfice des salariées et salariés mariés ou pacsés à une personne du même sexe en cas de refus de mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité.
 
Cette mesure revêt toute son importance au regard de la situation internationale : l’homosexualité est encore passible de la peine de mort dans sept pays et reste toujours pénalement sanctionnée dans une soixantaine d’autres. Rappelons, d’ailleurs, que la France a récemment, par la voix du Président de la République et de la ministre des droits des femmes, fait part devant l’ONU de sa volonté d’agir en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
 
En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à vous associer à ce rendez-vous avec l’histoire en votant ce projet de loi, car celui-ci constitue une nouvelle étape dans la longue marche vers l’égalité. Nous apporterons ainsi une pierre de plus à l’édifice républicain et franchirons une nouvelle étape sur les chemins longs et sinueux de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits.
 
« L’amour de la démocratie est celui de l’égalité », disait Montesquieu. N’est-ce pas notre rôle, à nous parlementaires, à nous élus de la République représentant le peuple français, de mener, au côté de celui-ci, la marche vers l’égalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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