Mme Annie Genevard.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, chers collègues, en dépit de vos dénégations et des éléments de langage que vous avez ressassés jusqu’à en épuiser le sens, je suis persuadée que cette loi – présentée conformément au 31e engagement du programme de campagne de François Hollande – suscite dans vos rangs, et même probablement au plus haut niveau de l’État, de sérieux doutes.
M. Marcel Rogemont. Ce ne sont que des supputations ! L’important, ce sont les actes !
Mme Annie Genevard.
Le premier des vôtres en témoigne : le Président de la République lui-même a laissé échapper devant les maires, réunis en congrès, cet incroyable aveu : le mariage des couples de même sexe est affaire de conscience et, à ce titre, on peut choisir de ne pas le célébrer. Allons bon ! Cette loi ne serait pas seulement la réparation d’une injustice liée à l’arbitraire des lois, mais une affaire qui interpelle la conscience ? C’est ce qu’avouait ainsi le Président de la République, et c’est ce que nous croyons aussi.Oui, monsieur le rapporteur, les maires ont une conscience, pas seulement une écharpe ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
M. Hervé Mariton. Bravo !
Mme Annie Genevard.
Vous-même, madame la garde des sceaux, avez imprudemment avoué que cette loi est une réforme de civilisation. Diable ! Et cela ne suffirait pas à ce que l’on consultât le peuple ? C’est peut-être la raison pour laquelle vous l’avez prudemment requalifiée, dans le Journal du Dimanche, en « réforme de société ».Quel enseignement tirer des propos de Mme Guigou qui affirmait : « il n’est pas question, ni aujourd’hui, ni demain, que deux personnes de même sexe puissent se marier. » Je ne veux pas la piéger, mais tout de même ! Voyez la fragilité des certitudes d’hier !Et que signifie le dépôt d’amendements sur la PMA, sinon qu’il s’agit d’une conséquence inévitable au mariage homosexuel, juste avant l’autorisation de la gestation pour autrui ?
M. Marcel Rogemont. Oh, ça va !
Mme Annie Genevard.
L’amendement du groupe SRC sur la PMA, promis en septembre, a pourtant été retiré sous la pression du Gouvernement en octobre. Vous avez parfois, presque malgré vous, laissé s’exprimer ces doutes. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’un million de personnes – 800 000 si vous préférez – défilent pour dire leur attachement au mariage et à la famille ?
Mme Catherine Lemorton. Dites qu’ils étaient 63 millions, tant que vous y êtes !
M. Marcel Rogemont. Ils étaient 340 000 !
Mme Annie Genevard.
Comment pourrait-il en être autrement, quand des organismes aussi compétents que l’académie des sciences morales et politiques ou le conseil supérieur de l’adoption expriment des avis négatifs ou un sentiment d’inquiétude ? Enfin, comment rester sourd aux cris de détresse de ces enfants élevés sans père ou sans mère ? Jean-Dominique Brunel, soixante-six ans, explique ainsi dans un témoignage poignant publiée par un grand quotidien qu’il n’a pas souffert à cause du tabou de l’homosexualité, mais à cause de l’homoparentalité. Je tiens à préciser qu’il faut avoir un absolu respect pour l’homosexualité : j’étais d’ailleurs favorable au PACS quand la loi a été votée. M. Brunel condamne ainsi – je le cite – « l’indifférence des adultes aux souffrances intimes des enfants. Dans un monde où leurs droits sont chaque jour évoqués, en réalité, c’est toujours ceux des adultes qui prévalent ».L’enfant est, pour moi, trop absent de votre réflexion et, en fin de compte, de ce débat, alors qu’il aurait dû en constituer la priorité absolue.
M. Philippe Gosselin. C’est vrai !
Mme Annie Genevard.
Il est très symptomatique que les propos de MM. les présidents et rapporteurs aient essentiellement porté sur la reconnaissance de l’homosexualité et la condamnation de l’homophobie, avec quoi nous sommes parfaitement d’accord. Ce que vous nous proposez aujourd’hui, c’est une mutation anthropologique…
M. Thomas Thévenoud. C’est faux !
Mme Annie Genevard.
…résumée à mon sens bien pauvrement par cette expression à la mode : « faire famille ». C’est une rupture du lien entre l’enfant et ses origines. Pour reprendre les termes de Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre spécialiste de l’adoption, « dire à un enfant qu’il est né de la relation amoureuse de deux adultes du même sexe, c’est introduire un faux dans sa filiation, c’est plaquer un mensonge sur sa filiation. L’enfant devient un SDF, sans domicile filiatif ». (Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Bernard Lesterlin. Mais qui dit cela ?
M. Yann Galut. Honteux ! Scandaleux !
M. le président. S’il vous plaît, mes chers collègues !
Mme Annie Genevard.
Bien sûr, vous objecterez des témoignages inverses. Mais à qui le principe de précaution doit-il profiter ? Si vous écoutiez votre propre conscience, ne vous dicterait-elle pas d’examiner en profondeur les conséquences psychiques et psychologiques pour les enfants du fait d’être privés, pour certains à tout jamais, du droit merveilleux et si évident pour la plupart d’entre nous, de prononcer conjointement les mots de « papa » et de « maman » ?Après des centaines d’heures de discussion et de lecture de documents sur ce sujet, il reste parfois, dans le tamis, quelques phrases simples et fortes. Il m’en vient une à l’esprit : mesdames et messieurs les parlementaires, ce n’est pas parce que vous avez le pouvoir de légiférer sur tout, que vous devez le faire. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : si vous n’éprouvez pas ces doutes, c’est que vous êtes des apprentis sorciers, et c’est grave. Mais si vous les éprouvez et que vous les taisez, c’est plus grave encore : l’histoire humaine, comme l’a si bien dit notre collègue Bruno Nestor Azerot, vous en demandera raison. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)