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lundi 15 janvier 2018

Séance du 4 avril 2013 (8 et suivants)

Mme Catherine Tasca. Madame la garde des sceaux, vous avez magistralement retracé à l’Assemblée nationale l’histoire du mariage civil, que vous avez qualifié de « conquête […] de la République ». Une conquête, disiez-vous, emportée dans un mouvement général de laïcisation de la société. Vous avez eu également raison d’évoquer le long et difficile chemin des femmes pour trouver leur place dans l’institution du mariage.
Aujourd’hui – c’est l’honneur du Gouvernement ! –, nous avons la faculté d’ouvrir le mariage civil aux personnes de même sexe.
En quatre décennies, la société française aura profondément changé de regard sur l’homosexualité.
Le premier pas sur le chemin de la reconnaissance fut franchi avec la loi du 4 août 1982 dépénalisant les relations homosexuelles. Le deuxième pas fut fait en 1999 avec l’adoption du PACS, qui donna lieu à des annonces catastrophistes, à l’agitation de toutes les peurs et à un débat assez semblable à celui que nous vivons aujourd’hui. Le troisième pas qu’il nous reste à franchir, c’est l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. J’espère que le Sénat, fidèle à sa tradition, mettra plus de raison que de passion dans ce débat.
Avec le PACS, nous avons eu l’acceptation de la différence, ce qui a permis aux homosexuels de sortir du silence, du mensonge, de la peur et de vivre légalement, au grand jour, leur union.
La sexualité est une dimension de la vie humaine où subsistent trop de zones d’ombre, trop de tromperies et de dissimulations, sources de multiples souffrances. C’est toute la société, tout le vivre-ensemble familial et social qui en pâtit.
Trop longtemps, l’homosexualité a été vécue comme une exclusion. Trop de jeunes la portent encore comme une faiblesse inavouable, jusqu’à en mourir parfois. Le PACS a ouvert une fenêtre, en permettant, enfin, de dire cette réalité. De fait, ce sont les couples hétérosexuels qui, très majoritairement, se sont approprié ce nouveau type de contrat, alors même qu’ils ont toute liberté de choisir le mariage. C’est bien le signe que nos contemporains ont une vision très diversifiée de la vie commune et ne se réfèrent pas forcément à l’institution du mariage.
Ce qui menace la stabilité des couples, ce n’est pas la création du mariage pour tous, mais ce sont notre individualisme, nos impatiences, les aléas de la vie moderne. La famille est la première à subir les conséquences du stress au travail, du chômage, de la pauvreté, du mal-logement. Depuis bien longtemps, les mariages se font et se défont. Le « modèle » de la famille unie par le mariage a volé en éclats et ledit « mariage pour tous » n’y est absolument pour rien. De plus en plus d’enfants vivent dans des foyers homosexuels. Comment notre société civile pourrait-elle ignorer cette réalité, la nier, lui refuser une normalisation légale ?
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien !
Mme Catherine Tasca. Notre République n’est pas responsable des sentiments, ni de l’orientation sexuelle des individus, ni encore du choix de vie de chacun, mais elle doit donner à tous les couples le cadre juridique adéquat pour assumer leur engagement et leur pleine responsabilité à l’égard du partenaire et de l’enfant, ce que le PACS ne permet pas. Ce sont d’ailleurs ceux-là mêmes qui combattaient le PACS il y a quatorze ans qui réclament aujourd’hui son amélioration ou la création d’un nouveau contrat d’union civile. Que ne l’ont-ils fait pendant la décennie durant laquelle ils étaient au pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
MM. François Rebsamen et Jacques Mézard. Eh oui !
Mme Catherine Tasca. Le temps est venu de donner à tous les couples le cadre légal non discriminatoire auquel ils aspirent. Nous devons passer de la reconnaissance de la différence, avec le PACS, à l’acceptation de l’intégration réelle, avec le mariage. À mes yeux, il s’agit non seulement d’une quête d’égalité, mais aussi d’un principe de réalité et de respect de la dignité de tous. C’est l’ouverture d’une nouvelle liberté !
L’avenir dira si de nombreux couples homosexuels se saisiront de cette faculté ou si beaucoup d’entre eux continueront de se satisfaire de l’union libre ou du PACS. Au moins, aurons-nous levé une hypocrisie et une ultime barrière à une réelle liberté de choix.
Regardons ce qu’apporte le mariage civil, dont, curieusement, nos concitoyens ignorent bien souvent les conséquences juridiques. Ce n’est pas seulement la proclamation d’un amour, dont nous savons qu’il peut être précaire ; c’est la volonté d’un engagement durable et responsable. Là est notre responsabilité de législateur d’une République laïque. Laissons à chacun la liberté de faire consacrer ce lien du mariage par une Église, mais ne confondons pas ces deux engagements.
M. Jacques Mézard. Très bien !
Mme Catherine Tasca. De toutes les formes d’union, le mariage est celle qui assure au mieux aux partenaires le partage des droits et obligations, qui assure le sort de celui qui reste en cas de décès de l’un d’entre eux et qui assure un règlement équitable en cas de séparation.
Quant aux enfants, leur place au sein des familles de plus en plus diverses et mouvantes pose de très nombreuses et difficiles questions à propos des droits de chacun des parents certes, mais plus encore à propos de leurs devoirs et obligations à l’égard de l’enfant et des droits de celui-ci.
C’est à toutes ces questions que le projet de loi que nous examinons veut répondre, avec la préoccupation prioritaire de l’intérêt de l’enfant, pour être fidèle à la Convention internationale des droits de l’enfant.
Si l’on considère – et je le considère – que la protection de l’enfant est l’objectif majeur, alors on ne peut laisser perdurer l’inégalité de traitement qui frappe les milliers d’enfants vivant avec des parents homosexuels. Leur filiation n’est reconnue qu’à l’égard de l’un des deux parents, que ce soit par filiation biologique ou par filiation adoptive. Ces familles sont de facto dans une situation d’insécurité juridique, psychologique et affective, le second parent n’ayant aucun droit à l’égard de l’enfant en cas de disparition du parent légal ou de séparation du couple. C’est à cette insécurité que le projet de loi mettra fin. L’essentiel est que l’enfant ait une famille solide, responsable et aimante pour l’accompagner dans son développement. Si le projet de loi aboutit comme nous le souhaitons, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra d’instaurer une véritable égalité entre tous les couples, en termes de droits et de devoirs.
On constate que le PACS a vu son régime juridique se rapprocher encore un peu plus de celui du mariage, avec la loi du 23 juin 2006, mais des différences notables subsistent, sur lesquelles je ne reviendrai pas dans la mesure où elles ont déjà été évoquées.
Le mariage permet de pallier l’insécurité juridique du conjoint survivant en cas de décès de l’un des époux, en lui permettant de bénéficier d’une pension de réversion ou d’une allocation veuvage selon les situations. En termes de droits de succession, l’époux survivant est l’héritier légal, ce qui n’est pas le cas du partenaire lié par un PACS.
Enfin – ce n’est pas une considération secondaire –, l’époux est considéré comme le plus proche parent de l’autre pour les questions liées aux soins médicaux.
Le changement décisif apporté par ce texte réside dans son article 1er, qui établit, enfin, une véritable égalité entre tous les couples, en introduisant un article 143 dans le code civil, qui précise, pour la première fois, de manière explicite, la nature du mariage. Le mariage est non plus implicitement un contrat conclu entre un homme et une femme, mais est désormais explicitement « contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».
L’égalité des droits est particulièrement importante pour ce qui concerne l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. L’article 343 du code civil dispose que « l’adoption peut être demandée par deux époux ». La possibilité pour les couples homosexuels de se marier leur ouvre dès lors le droit à l’adoption.
Le droit de l’adoption repose sur le principe fondamental du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Non seulement cette considération juridique résulte de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, mais elle est également inscrite dans notre droit national. Ainsi, l’article 371-1 du code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ».
Alors oui, nous allons permettre aux couples homosexuels d’adopter ! Oui, nous allons permettre à deux parents de même sexe d’exercer l’autorité parentale en commun ! Au-delà du désir de parentalité, l’exercice de cette autorité a pour finalité l’intérêt de l’enfant.
Le travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, et les auditions très larges qu’il a menées ont eu le mérite de mettre en lumière la nécessité absolue de bien traduire ce qu’on appelle aujourd’hui – et pour demain – « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cette nécessité devra nous guider lors de l’examen de la future loi sur la famille.
Les futurs mariés de même sexe pourront adopter conjointement, dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Aujourd’hui, une personne vivant avec un partenaire de même sexe doit adopter seule. Dans les faits, selon les départements, cette personne doit souvent dissimuler sa situation familiale afin d’obtenir l’agrément. Est-ce bien l’intérêt de l’enfant ?
Nous savons que les possibilités d’adoption seront assez restreintes du fait du nombre d’enfants adoptables, très inférieur à celui des demandeurs. L’adoption de l’enfant du conjoint sera sans doute le cas le plus fréquent. Les milliers d’enfants vivant déjà dans une famille homoparentale vont enfin voir leur situation reconnue et protégée.
Aujourd’hui, les parents de même sexe doivent utiliser des moyens subsidiaires pour exercer une autorité parentale commune, à travers les procédures de délégation et de délégation-partage, qui, toutes, dépendent de la décision du juge. Avec ces mécanismes de délégation subsiste donc une certaine insécurité juridique, notamment en cas de séparation du couple.
En cas de décès du parent légal, le parent social redevient, en droit, un étranger vis-à-vis de l’enfant. Est-ce bien l’avenir que nous souhaitons préparer à ces enfants ? La possibilité d’adopter l’enfant du conjoint va permettre d’apporter une solution juridique sécurisante à ces enfants dont la vie peut très rapidement basculer en cas de survenance d’un événement dramatique, tel qu’une séparation ou un décès.
Quant à la filiation, il faut rappeler, à ceux qui prétendent que l’on mentirait à un enfant en lui disant qu’il a été conçu par deux pères ou par deux mères, que l’adoption simple laisse la mention de la filiation d’origine sur l’acte de naissance de l’enfant et que, en cas d’adoption plénière, la référence du jugement d’adoption figure toujours sur cet acte de naissance. La nature adoptive de la filiation n’est pas cachée à l’enfant. La filiation ne repose donc pas sur un mensonge.
Le droit d’accès aux origines devra sans doute faire l’objet d’une évolution, mais nous avons d’ores et déjà rompu avec le modèle strictement procréatif, en permettant à une personne seule d’adopter de façon plénière, et donc de voir une filiation établie à l’égard d’un seul parent. On peut compter sur le bon sens des enfants pour que, très jeunes, ils voient clairement, grâce à leur environnement, qu’ils ne sont pas « nés » de deux hommes ou de deux femmes, pas plus que d’une femme seule, ce qui ne les empêchera pas de vivre à la fois le lien affectif et juridique.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Absolument !
Mme Catherine Tasca. Il est enfin une question que le texte, tel qu’il nous arrive de la première lecture à l’Assemblée nationale, traite précisément : c’est la question du patronyme. Nous y reviendrons au cours du débat. Ce n’est pas un sujet mineur, car, dans notre société, porter un nom différent de celui de sa mère ou de celui de sa fratrie peut être une vraie douleur pour l’enfant.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Tasca. À toutes les questions posées par l’ouverture du mariage aux homosexuels, le projet de loi répond concrètement. C’est un texte qui met fin à une discrimination. C’est un texte de pacification de notre société qui connaît des mutations profondes. C’est donc un texte de progrès que le groupe socialiste soutient pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, inamovible, uniciste, moraliste, la vision que la société s’est longtemps faite de la famille a évolué pour laisser aujourd’hui place à une multitude de structures familiales, à une multitude de formes d’engagement, à une multitude de régimes protecteurs.
Oui, nous pouvons nous réjouir de constater que le regard que la société porte sur la famille a évolué ! Je ne reviendrai pas sur les différentes lois emblématiques qui ont accompagné ces évolutions.
Accompagner, le terme n’est pas choisi au hasard, car nous pouvons tous affirmer que, lorsque des évolutions sociales se sont fait jour, le législateur, poursuivant son rôle de protection de l’intérêt général, est simplement venu les accompagner et a parfois servi de guide sur le chemin de l’égalité.
Égalité, là aussi, le terme est approprié, et je dirai même : revendiqué. Mmes les ministres ainsi que ma collègue Cécile Cukierman ont développé ce point, je n’y reviendrai donc pas, si ce n’est pour interpeller, dans cet hémicycle, ceux qui s’opposent à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
Mes chers collègues, comme l’a dit le rapporteur Jean-Pierre Michel, il n’existe aucune différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, lorsqu’il s’agit de la reconnaissance sociale et législative de la légitimité de leur couple ; il n’existe aucune différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, lorsqu’il s’agit de la protection d’un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l’unissent à ceux qui l’entourent.
Aussi, je m’étonne de voir les opposants à ce texte, invoquant la protection de la famille, brandir dans la rue le code civil ou des pancartes où nous pouvons lire : « Touche pas à mon code civil. » À ces opposants, je rappellerai qu’il n’existe pas de définition de la famille dans le code civil, mais seulement des régimes juridiques que le législateur a créés pour la protéger. Dès lors, si notre société reconnaît aujourd’hui les familles homoparentales, il devient du devoir de ce législateur d’apporter une réponse en droit à cette réalité sociale, pour faire bénéficier ces couples et ces enfants des droits que notre code civil offre et leur imposer les obligations que ce même code édicte.
Je m’étonne également que l’on nous oppose l’intérêt de l’enfant comme prétexte au rejet du texte. Je m’en étonne, car je pense que c’est justement et essentiellement cet intérêt qui guide le Gouvernement et la majorité de cet hémicycle aujourd’hui. L’intérêt de ces enfants commande qu’ils puissent bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi. Or, actuellement, cette protection est fragilisée par le fait que l’un des deux parents n’a aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève pourtant.
Autre prétexte au rejet du texte, il faudrait, selon les opposants, instaurer une certaine primauté – pour ne pas dire exclusivité – de la filiation dite « biologique » sur la filiation dite « sociologique », ou une imitation de la vérité biologique plus précisément, puisque peu importe, en réalité, si les personnes qui exercent l’autorité parentale sont les véritables parents biologiques de l’enfant. On devine que, pour les opposants, seul compte le fait qu’ils sont censés avoir pu le concevoir ensemble ! Sur ce point, est-il besoin de rappeler que c’est justement dans l’intérêt de l’enfant que notre code civil reconnaît déjà que la parenté est le résultat d’une construction juridique issue d’un subtil dosage entre vérité biologique et vérité sociologique ?
En effet, je ne vous l’apprends pas, la parenté fondée sur la vérité sociologique est un concept qui figure déjà dans notre droit. Je pense, par exemple, à la possession d’état, qui recommande, dans l’intérêt de l’enfant, que les liens d’affection qui unissent le parent et l’enfant soient reconnus par le droit. Le code civil reconnaît donc parfois que la vérité biologique puisse être écartée au profit de la vérité sociologique, car l’intérêt de l’enfant plaide en faveur d’une protection des liens qu’elle tisse. Ainsi, cet argument n’est pas recevable : contester la légitimité de ce type de filiation aux parents homos, alors qu’il existe déjà pour les parents hétéros, ne peut être que discriminatoire.
Mes chers collègues, il est de notre responsabilité d’ouvrir le débat sur le désir de fonder une famille, de transmettre la vie. Il nous faut débattre pour répondre aux attentes, parfois aux souffrances morales et sociales, auxquelles enfants et parents sont confrontés. Les membres de notre groupe sont partagés sur ces questions. Il n’existe pas de famille modèle ni idéale et l’orientation sexuelle des individus n’est pas une garantie quant à la « qualité » des futurs parents. Si nous sommes tous ici soucieux du bien-être de nos enfants, c’est ailleurs que dans le choix sexuel de leurs parents qu’il nous faut rechercher les modalités de leur plein épanouissement.
Il nous faut débattre sans aucun préjugé. En disant cela, je pense notamment aux amendements plus que douteux déposés par certains de nos collègues et visant à introduire le principe de précaution lors de l’adoption de l’enfant par des couples homos. Nous devons débattre sans préjugés, disais-je, car, contrairement à une idée trop souvent répétée, aucune étude sérieuse n’est venue établir que le fait d’élever un enfant dans le cadre d’un foyer homoparental comporterait des risques particuliers au regard de l’évolution psychique ou sociale de l’enfant. Bien au contraire, l’une des rares enquêtes menée par la plus importante association de pédiatres et de pédopsychiatres des États-Unis a conclu au caractère neutre de l’orientation sexuelle du couple parental dans le développement et l’épanouissement de l’enfant.
Pour finir, je rappellerai que, si certains enfants souffrent parfois du regard extérieur, c’est parce que la législation actuelle ne les traite pas à égalité avec les autres enfants. Les enfants ont besoin d’avoir des parents de plein droit pour se sentir eux-mêmes enfants de plein droit. Il est donc enfin temps pour nous, aujourd’hui, de reconnaître le désir de parentalité de ces couples. Le reconnaître ne revient pas à assouvir une revendication égoïste d’un droit à l’enfant de la part de ces personnes, mais revient simplement à reconnaître cette volonté légitime de s’inscrire dans le monde commun de la transmission, cette volonté de donner à ces enfants des droits, aussi bien en matière de succession qu’en matière de sécurité affective. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur et Mme la rapporteur pour avis de la qualité des travaux qu’ils ont dirigés au sein de notre assemblée. Toutes les opinions ont en effet pu s’exprimer. Le débat a eu lieu au Sénat, et c’est une très bonne chose.
Disposant de peu de temps, je vais me borner à quelques brèves remarques.
Des personnes de même sexe peuvent bien sûr s’aimer et, à ce titre, elles ont droit à notre respect. Elles peuvent donc nous demander d’organiser leur vie afin de bénéficier de plus de sécurité. Le Parlement joue pleinement son rôle quand il essaie de répondre à ces demandes. Le seul problème est de savoir si la réponse que vous nous proposez de leur apporter, madame la garde des sceaux, est bonne ou non. Je soutiens, quant à moi, que vous n’apportez pas la bonne réponse, pour le mariage comme pour l’adoption.
Vous invoquez le principe d’égalité pour justifier vos positions. C’est une vieille habitude française ! En 1793 – permettez-moi de faire à mon tour un historique –, Cambacérès, en présentant la première version du code civil qu’il avait rédigée, invoquait également le principe d’égalité.
M. Jacques Mézard. Il avait raison !
M. Michel Mercier. Or c’est dans son système que la femme était la plus soumise à l’homme. Je ne suis pas étonné que vous ayez approuvé, monsieur Mézard. (Sourires.)
Le mariage que l’on nous propose de modifier est celui qui figure dans le code civil rédigé par Portalis, ce n’est pas le mariage religieux, qui n’a rien à voir dans ce débat.
M. Jean-Michel Baylet. Vous êtes le porte-parole de Mgr Barbarin !
M. Michel Mercier. Je vous remercie, monsieur Baylet, de rappeler que je suis catholique. Sachez que je l’assume, ce qui me permet de réaffirmer que nous débattons non pas d’une question religieuse, mais d’un point qui fait l’objet d’un consensus culturel et anthropologique. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. Gérard Larcher. C’est vrai !
M. François Rebsamen. Dites-le à Civitas !
M. Michel Mercier. Ce consensus n’a jamais été mieux exprimé que par Aragon, dans son poème de 1960 :
« Tout peut changer mais non l’homme et la femme
« Tout peut changer de sens et de nature
« Le bien le mal les lampes les voitures
« Même le ciel au-dessus des maisons
« Tout peut changer de rime et de raison
« Rien n’être plus ce qu’aujourd’hui nous sommes
« Tout peut changer mais non la femme et l’homme »
Or c’est ce consensus que le projet de loi remet en cause. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – Mme la ministre déléguée s’exclame.)
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Michel Mercier. Madame la ministre, vous êtes peut-être gênée que je cite Aragon,…
M. Robert Hue. Aragon aurait voté le mariage pour tous !
M. Michel Mercier. … mais c’est l’un des plus grands poètes de ces dernières années. Rappelez-vous La Rose et le réséda.
M. Robert Hue. Je vous affirme qu’il n’aurait pas voté avec vous !
M. Michel Mercier. Monsieur Hue, nous n’en savons rien. D’ailleurs, je n’ai pas affirmé le contraire. J’ai simplement souligné qu’il avait décrit ce qu’était le consensus anthropologique – qui, selon vous, n’existerait plus – sur lequel notre société a bâti le mariage. Vous pouvez le remettre en cause, mais encore faut-il dire clairement par quoi vous voulez le remplacer.
Vous passez d’un statut, voulu par la Révolution française, voulu par le code civil, à un acte individuel, remettant ainsi en cause un élément fondateur de l’institution du mariage, je veux parler de l’altérité des sexes entre les époux.
Vous auriez pu apporter une autre réponse. En créant une union civile, par exemple, que notre collègue Patrice Gélard a évoquée. Vous auriez pu vous inspirer de la Rome royale et républicaine, qui connaissait deux mariages : l’un cum manu, l’autre sine manu. La seule différence portait sur la filiation et sur le mode d’entrée dans la famille. Cette solution aurait permis de conserver le mot « mariage », si ce terme magique est la marque de l’égalité. Pourtant, je crois très honnêtement qu’on ne peut parler d’égalité qu’entre des êtres semblables, sinon c’est l’altérité qui prévaut.
La question de l’adoption est plus grave.
Vous avez décidé – c’est une bonne chose – de ne pas toucher à l’article 310 du code civil, qui dispose que tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère.
Reste que vous proposez que les couples homosexuels puissent recourir à l’adoption plénière. Or l’adoption plénière conduit à créer un nouvel état civil pour ces enfants. Un état civil sur lequel il sera clairement inscrit : « né de deux parents du même sexe. » (M. Charles Revet s’esclaffe.) La Cour de cassation a rappelé que cela était contraire à un principe essentiel du droit français de la filiation. Surtout, cette disposition, qui nous fait passer du droit des enfants au droit à l’enfant, va conduire à constituer un état civil particulier pour les enfants adoptés par des couples homosexuels en faisant de l’orientation sexuelle de leurs parents un marqueur de leur identité.
M. François Rebsamen. Mais non !
M. Michel Mercier. Mais si, monsieur Rebsamen ! Au nom de l’égalité, vous allez probablement créer une très grande discrimination. C’est parce que je suis en désaccord avec l’adoption plénière que je ne pourrai pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’histoire de la République est une promesse, celle de la marche vers l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de quelque sorte. Car, comme le disait Montesquieu, « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité » !
Madame la garde des sceaux, il est de l’honneur du Gouvernement de la République auquel vous appartenez de continuer à donner vie à cette belle promesse en soumettant au Parlement le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Ce texte vient traduire dans notre droit la proposition de campagne du candidat François Hollande. Comme des millions de Français, j’ai soutenu le candidat et cette proposition. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
Ce texte va enfin concrétiser, pour des milliers de couples et de familles, un principe d’égalité de traitement et de considération, la reconnaissance d’un statut juridique identique, sans distinction portant sur des aspects ne relevant que de la vie privée.
Cette évolution vient de loin. Je me réjouis que l’histoire aille dans le sens d’un élargissement continu des droits, en permettant l’inclusion des citoyens.
Curieux paradoxe – au demeurant déjà souligné – que de constater que ceux qui étaient, hier, au nom de la défense de la famille, les adversaires acharnés du PACS – je m’en souviens, j’étais parmi les députés qui l’ont voté à l’Assemblée nationale –, s’en fassent aujourd’hui les chantres zélés, allant jusqu’à proposer une union civile qui n’est, en réalité, qu’une version améliorée du PACS, sans permettre la même protection.
En quinze ans à peine, l’évolution des mentalités – c’est heureux ! – a conduit à banaliser les PACS contractés entre personnes de même sexe. Nul ne songe aujourd’hui à revenir dessus, nous l’avons dit. Or les Français sont aujourd’hui largement favorables au mariage entre personnes de même sexe…
M. Jean-Michel Baylet. Eh oui !

M. Robert Hue. … comme le montrent un certain nombre de sondages, même si tout ne se fait pas avec les sondages. Je ne doute donc pas que, d’ici à quelques années, la même banalisation du mariage s’imposera, comme cela s’est passé dans les pays qui ont déjà légiféré dans ce sens.
Ce constat démontre à quel point le combat pour les droits des homosexuels fut aussi âpre que méritoire. Je pense, bien sûr, à la dépénalisation des relations homosexuelles voulue par le Président François Mitterrand en 1982. Je pense aussi, en ce jour, aux revendications exprimées à partir des années 1980, lorsque l’épidémie de sida produisit ses premiers ravages.
L’absence de tout statut légal pour les couples homosexuels plaçait de nombreuses personnes dans des situations matérielles difficiles après le décès de leur concubin, en plus du deuil qui les frappait. C’est aussi pour que de tels drames humains ne se reproduisent plus que ce texte constitue un progrès social.
Mes chers collègues, la famille est bien un socle de notre société. Pour autant, on ne saurait réduire la famille à une simple réalité biologique assise sur les liens du sang. Il n’est pas besoin d’un exposé exhaustif pour constater que le modèle familial, défendu par les opposants à ce texte, n’est qu’une invention récente au regard de l’histoire.
Comme tout modèle, il a ses contingences, soumises aux évolutions de la société. Le modèle familial d’hier n’a pas vocation à demeurer figé dans un moule éternel. Le sens du mariage a lui-même évolué pour exprimer avec davantage d’intensité des ressorts libéraux et égalitaires entre deux personnes qui s’aiment. Que l’on songe au statut de l’épouse avant 1965, lorsqu’elle ne pouvait même pas travailler sans l’autorisation de son mari ! Le droit doit appréhender les faits, et non l’inverse. Nous sommes donc dans notre rôle de législateur en portant cette évolution du droit, a fortiori au nom de l’égalité.
À tous ceux qui s’opposent à ce texte, faut-il dire que, non, nous n’allons pas détruire les fondements de la société ? Non, nous n’allons pas changer de paradigme anthropologique, comme je viens de l’entendre ! Non, nous n’allons pas créer des générations d’enfants psychologiquement instables !
Madame la garde des sceaux, vous l’avez dit, le mariage n’est plus le seul mécanisme de légitimation sociale des familles, même s’il en garantit le niveau de protection le plus élevé. Rappelons-nous que, jusqu’à 2001, les enfants légitimes et naturels n’étaient pas placés sur le même plan d’égalité en matière de successions. D’ailleurs, les familles homoparentales ne constituent pas un fait isolé, puisque l’INSEE estime de 20 000 à 30 000 le nombre d’enfants concernés.
En toute hypothèse, le seul critère qui importe doit être celui de l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel doit bénéficier de la protection juridique la plus élevée. Or, actuellement, ces enfants vivent dans une zone grise juridique susceptible d’amoindrir leurs droits et d’affecter les liens qu’ils entretiennent avec leur parent biologique ou social.
M. le président. Si vous voulez bien conclure, mon cher collègue.
M. Robert Hue. Pour conclure, je dirai donc que ce texte, qui s’inscrit dans la longue marche du progrès, permet aussi de mettre fin à une hypocrisie légale puisque notre droit donne déjà la possibilité à une personne seule homosexuelle d’adopter, tandis que cette possibilité est refusée à un couple homosexuel.
Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour terminer (Ah ! sur les travées de l’UMP.),…
M. le président. Oui, s’il vous plaît !
M. Robert Hue. … je dirai que nous avons conscience de la solennité de ce moment où bien des yeux de nos concitoyens sont dirigés vers notre hémicycle.
L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe ne constitue pas l’octroi d’un droit. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Robert Hue. Je termine, monsieur le président.
Chers collègues de l’opposition, la société change. Si vous ne voulez pas changer avec elle, elle changera sans vous. Et c’est cela qui est l’essentiel aujourd’hui ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures dix.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Discussion générale (suite)
8
MODIFICATION DE L’ORDRE DU JOUR

M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 4 avril, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour :
- du jeudi 11 avril, le soir, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale ;
- du lundi 15 avril, l’après-midi et le soir, de la nouvelle lecture du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, municipaux et intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral, ainsi que des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, intercommunaux et départementaux.
Il a par ailleurs demandé le retrait de l’ordre du jour du mardi 16 avril du projet de loi relatif à la convention OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est.
Acte est donné de cette communication.
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DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 4 avril 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le quatrième alinéa de l’article 695-46 du code de procédure pénale (mandat d’arrêt européen) (n° 2013-314 QPC).
Acte est donné de cette communication.
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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Dépôt d’une motion référendaire
OUVERTURE DU MARIAGE AUX COUPLES DE PERSONNES DE MÊME SEXE

Suite de la discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Dépôt d’une motion référendaire

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Rappel au règlement
M. le président. J’informe le Sénat que, en application de l’article 11 de la Constitution et de l’article 67 du règlement, j’ai reçu une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bonne idée !
M. le président. En application de l’article 67, alinéa 1, du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.
Il va donc être procédé à l’appel nominal des signataires.
Huissier, veuillez procéder à l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motion.
Ont déposé cette motion : MM. Bruno Retailleau, Jean-Claude Gaudin, Christophe-André Frassa, Antoine Lefèvre, Éric Doligé, Jean-Claude Lenoir, Mme Christiane Kammermann, M. Pierre André, Mlle Sophie Joissains, MM. Francis Delattre, Jean Bizet, Hugues Portelli, Marcel-Pierre Cléach, Mme Caroline Cayeux, MM. Gérard Longuet, Gérard Larcher, Bruno Sido, Jean-Patrick Courtois, François Pillet, Michel Magras, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Jacques Hyest, Raymond Couderc, Michel Fontaine, Mmes Catherine Deroche, Colette Giudicelli, MM. Benoît Huré, Patrice Gélard, Michel Bécot, Alain Gournac, Philippe Bas, Mme Colette Mélot, MM. Jackie Pierre, Charles Guené, Gérard César, Mme Catherine Procaccia, MM. Jean-Pierre Leleux, Alain Chatillon, Pierre Charon, Henri de Raincourt, Pierre Bordier, André Dulait, Jean-François Humbert, René Garrec, Charles Revet, Jacques Legendre, Mmes Hélène Masson-Maret, Marie-Annick Duchêne, M. François-Noël Buffet, Mme Catherine Troendle, MM. René Beaumont, Gérard Dériot, Michel Houel, Mme Esther Sittler, MM. Gérard Bailly, André Reichardt, Pierre Martin, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Paul Fournier, René-Paul Savary, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Christiane Hummel, MM. Jean-Noël Cardoux, Philippe Dominati, André Ferrand, Christophe Béchu et Dominique de Legge.
Cette motion sera envoyée à la commission des lois.
Sa discussion aura lieu conformément à l’article 67, alinéa 2, du règlement « dès la première séance publique suivant son dépôt », c’est-à-dire demain, vendredi 5 avril, à dix heures.
Conformément au droit commun défini à l’article 29 ter du règlement, la discussion générale sera organisée sur deux heures, les inscriptions de parole devant être faites à la direction de la séance avant demain, à neuf heures.
Pour l’heure et conformément à la tradition, nous allons poursuivre la discussion du projet de loi.
Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour un rappel au règlement.
Dépôt d’une motion référendaire
Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Discussion générale (début)
Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que notre commission des affaires sociales a été saisie pour avis du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Vous nous avez dit cet après-midi, madame Meunier, que nous vivions un moment important et que nous entrions, à notre manière, dans l’histoire de France. Quant à M. Baylet, il nous a demandé un débat de qualité. Nous en avons pris acte.
Pour autant, ce matin, à dix heures trente-neuf, les membres de la commission des affaires sociales, dont je fais partie, ont reçu un courriel les convoquant à une réunion de la commission des affaires sociales jeudi matin prochain, au lieu de mercredi matin. Comment, dans ces conditions, se dérouleront nos débats ?
Vous voulez débattre, et nous aussi. Pourquoi donc nous éloigner de l’hémicycle ? En effet, nous devions examiner ce texte jeudi matin prochain en séance publique. Mercredi matin, en revanche, non seulement nous n’en débattrons pas en séance publique, mais la commission des affaires sociales ne se réunira pas non plus.
C’est la deuxième fois qu’une telle chose se produit. J’avais en effet déjà fait un rappel au règlement devant la commission des affaires sociales, au motif que l’audition du ministre devait avoir lieu le mardi matin, durant les réunions de groupe.
Je vous demande donc, monsieur le président, de bien vouloir faire respecter le règlement intérieur pour le bon déroulement de nos travaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je souhaite informer les membres de la commission des lois que nous nous réunirons demain matin à neuf heures trente pour examiner la motion référendaire, puisque celle-ci est renvoyée à la commission des lois. (Murmures sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Et la réponse de la commission des affaires sociales ?
Discussion générale (suite)
Rappel au règlement
Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
Discussion générale (interruption de la discussion)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Charles Revet.
M. Charles Revet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues – moins nombreux à gauche qu’à droite (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) –, le doyen Patrice Gélard nous a présenté de façon très brillante (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) une analyse fondée du projet de loi qui nous est soumis. J’ai compris,…
M. David Assouline. Moi, je n’ai rien compris !
M. Charles Revet. … au silence qui régnait pour l’écouter, que, même vous, madame le garde des sceaux, étiez sensible aux arguments qu’il a avancés.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous m’informez sur moi-même ! (Sourires.)
M. Charles Revet. Notre collègue a également exposé la position du groupe UMP et les raisons qui conduiront la quasi-totalité de ses membres à s’opposer à l’adoption de ce texte, si celui-ci reste en l’état.
Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, notre opposition n’est pas politique : elle est beaucoup plus fondamentalement philosophique et sociétale, et cela nous concerne tous.
M. le Président de la République, dans le contexte économique que nous connaissons et alors que notre armée est engagée sur différents fronts, en particulier au Mali, fait appel au rassemblement et à la cohésion nationale. Dans ces conditions, pourquoi nous soumet-il dans le même temps un texte dont il sait qu’il fait division à l’intérieur de notre pays, y compris pour des personnes de la même sensibilité politique que lui ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.) N’est-ce pas lui qui devrait montrer l’exemple d’une volonté de cohésion nationale ?
Madame le garde des sceaux, je vous poserai deux questions : pourquoi nous soumettre un texte qui, s’il est adopté, bouleversera en profondeur les fondements de notre société ? Jusqu’où voulez-vous aller ? Déjà beaucoup s’inquiètent de voir disparaître les repères et valeurs qui ont servi de base à la construction de notre société et au développement de notre beau pays.
L’adoption des dispositions que vous proposez dans le projet de loi dit « mariage pour tous » fera table rase de fondements essentiels. Peut-être est-ce voulu... Quoi qu’il en soit, dites-nous à quoi vous voulez aboutir et quelle société vous proposez pour demain.
J’entends que vous allez nous répéter que c’est l’application d’une promesse de campagne du Président de la République. On affirme aussi que cela n’entraînera aucun changement pour la majorité de nos concitoyens et que c’est simplement un élargissement aux personnes de même sexe des dispositions prévues dans le cadre du mariage.
M. Jean-Pierre Godefroy. Eh oui !
M. Charles Revet. Pensez-vous que ce texte aurait provoqué autant de réactions de tous bords, de toutes instances, des manifestations, une mobilisation aussi importante, si c’était aussi simple et aussi peu fondamental que vous voulez le laisser croire ?
Madame le garde des sceaux, vous ne pouviez être présente lors des nombreuses auditions qui ont eu lieu les semaines passées, et je remercie le président de la commission des lois et le rapporteur de les avoir organisées. Celles et ceux qui y ont participé – j’en étais – ont noté la convergence de la plupart des interventions. Toutes les personnalités que nous avons reçues nous ont fait part de leurs interrogations et de leurs inquiétudes quant aux conséquences qui découleraient de l’adoption de ce texte. Tous ont insisté sur deux aspects.
D’une part, les différents intervenants ont rappelé que le terme « mariage » était un terme signifiant – cela a d’ailleurs fait l’objet d’une discussion –, c’est-à-dire un terme dont la définition a été constante au fil des siècles : il s’agit de l’union d’un homme et d’une femme qui, dans leur complémentarité, peuvent donner la vie.
D’autre part, et de manière plus importante encore, les intervenants ont mis en évidence les conséquences en matière de filiation. J’ai à l’esprit ces propos de Mme la présidente de chambre au tribunal de grande instance de Paris, responsable du service des affaires familiales : « Il faut bien constater que l’accès des couples de même sexe à l’institution du mariage a pour conséquence mécanique de bouleverser tout le droit de la famille, lequel a été conçu et structuré autour de l’idée qu’une famille, c’est un père, une mère et des enfants. À cet égard, l’entrée du "mariage pour tous" dans notre ordre juridique produit un "effet domino", un domino venant renverser tous les autres. »
Plus tard, Mme Bérard met en garde : « Quand vous parlez de mariage, vous parlez de filiation ; quand vous parlez de filiation, vous parlez de famille ; et quand vous parlez de famille, vous ouvrez un tas de boîtes. »
Je pourrais citer d’autres interventions qui ont souligné les enjeux et les conséquences qui découleront de l’adoption de ce texte. Madame le garde des sceaux, ne pensez-vous pas, au regard de tout cela, et sauf s’il s’agit pour le Gouvernement d’une volonté idéologique de changer en profondeur les fondements de notre société, qu’il faut faire preuve de prudence dans les dispositions que nous pouvons engager ?
Je n’oublie pas la demande des personnes de même sexe souhaitant vivre ensemble. Il est possible de traiter cette question sans pour autant engager des bouleversements. D’ailleurs, lorsque ces personnes ont, à plusieurs reprises, manifesté leurs revendications, ne voulaient-elles pas être reconnues dans leur différence ?
L’égalité à laquelle vous faites référence pour justifier le texte qui nous est soumis revient-elle à mettre tout le monde dans le même moule, alors que, par nature, un homme, une femme sont différents, alors que deux hommes ou deux femmes ensemble ne pourront jamais procréer ? L’égalité, me semble-t-il, c’est que, à situation équivalente, hommes et femmes soient traités de la même manière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Que celles et ceux de même sexe qui ont choisi de vivre en couple demandent à pouvoir bénéficier des dispositions liées à cette notion de couple me paraît légitime et c’est à nous de le prendre en compte.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Charles Revet. Pour ce faire, nous devons revoir certaines dispositions, législatives ou réglementaires, mais il ne s’agit pas de fondre dans le même ensemble des situations qui sont voulues et reconnues comme différentes. Ce peut être simple à mettre en place, à condition de le vouloir : tel sera le sens des propositions qui seront faites lors de l’examen des articles.
Madame le garde des sceaux, ne croyez-vous pas que notre pays a un urgent besoin d’apaisement ? Le Président de la République a promis de traiter la situation de personnes de même sexe vivant en couple.
M. le président. Mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole.
M. Charles Revet. Faisons-le en des termes correspondant à leur situation : c’est, je crois, ce qu’ils attendent ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, de grandes figures ont été évoquées dans ce débat, d’autres, moins connues, mais tout aussi belles et généreuses, qui ont marqué l’histoire par leurs combats pour la liberté et l’égalité.
Victor Schœlcher, qui a siégé dans cet hémicycle, est de celles-là. En 1848, il écrivait ces mots solennels : « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine ; elle n’exclut personne de son immortelle devise : liberté, égalité, fraternité. »
M. René Beaumont. Rien ne nous sera épargné !
M. Yves Daudigny. Ce projet de loi, mes chers collègues, est fils de la République. C’est un projet de liberté, d’égalité et de fraternité.
Un projet de liberté, parce qu’il n’oblige pas, ne contraint personne, mais tout au contraire autorise.
M. Gérard Longuet. Il ne contraint personne à devenir homosexuel : voilà une bonne nouvelle !
M. Yves Daudigny. Un projet d’égalité, parce qu’il reconnaît à tous les couples, sans distinguer selon leur orientation sexuelle, l’accès aux mêmes droits et devoirs lorsqu’ils souhaitent formaliser et sécuriser leur union et choisissent de se marier.
Un projet de fraternité, enfin, parce qu’il contribue à enrichir notre « capital social », à renforcer le ciment qui permet à chacune et chacun, dans le respect de son altérité, de faire communauté et de faire sens.
Le mariage a longtemps été l’institution des propriétés, des legs, des héritages, des notaires et des prêtres, une institution d’autorité, celle du chef de famille sur le patrimoine incluant l’épouse et les enfants, une institution d’exclusion contre les juifs, les protestants, les comédiens…
En détachant la loi des sacrements pour l’inscrire dans l’ordre républicain, le constituant de 1791 a permis qu’il soit mis fin à ces exclusions. Dans la continuité de cette conquête permanente de liberté, d’égalité et de responsabilité, les lois de 1970 et de 1975 ont reconnu aux femmes des droits dont elles étaient privées, et celle de 1972 a mis fin à l’exclusion dont les enfants adultérins et naturels étaient victimes.
Ce projet s’inscrit clairement dans cette évolution de l’état civil des personnes et participe à la longue lutte contre les exclusions. Il est la suite logique de l’émancipation progressive du législateur de l’empreinte religieuse, patriarcale et discriminatoire et nous propose de mettre fin à l’exclusion des personnes homosexuelles du mariage et de l’adoption, exclusion que condamne la Cour européenne des droits de l’homme, et qu’aucun principe fondamental de notre ordre républicain ne légitime.
Les conséquences de cette exclusion sont en effet souvent dramatiques pour nos concitoyens. Le PACS, à cet égard, s’est révélé tout à fait insuffisant, malgré les améliorations apportées en 2006 avec le maintien du domicile commun au profit du partenaire survivant durant une année après le décès, en 2007 avec l’exonération de sa part successorale, et en 2009 avec l’adoption d’une règle de conflit de lois permettant la reconnaissance des PACS enregistrés à l’étranger.
Comment accepter que, pour la seule raison de leur orientation sexuelle, des personnes que le mode de vie ne distingue pas de toutes les autres continuent à être privées du droit à pension de réversion, bien qu’elles en remplissent toutes les conditions de fond,…
Mme Nathalie Goulet. La pension de réversion, c’est un vrai sujet !
M. Yves Daudigny. … qu’elles soient, pour la même raison, privées des droits à majoration d’assurance versée à raison de l’incidence sur leur carrière de la naissance et/ou de l’éducation de leurs enfants, qu’elles soient encore privées du droit à indemnisation du congé d’adoption et que des orphelins soient privés de la rente due aux enfants de victimes d’accidents mortels du travail ?
Pourquoi certains enfants sont-ils privés…
M. Alain Gournac. D’un papa et d’une maman !
M. Yves Daudigny. … du bénéfice de l’exercice de l’autorité parentale des personnes qui les aiment, assument leur charge et les élèvent sans en avoir le droit ?
N’ont-ils pas eux aussi un intérêt légitime à être juridiquement protégés ?
Responsable de l’aide sociale départementale à l’enfance, je peux témoigner, comme beaucoup d’entre nous ici, combien ce sont en réalité la misère matérielle, l’ignorance, le sectarisme et l’intolérance qui détruisent les familles et les enfants.
Telle est la réalité. Et quand elle s’accorde aux principes fondamentaux, quand les lois satisfont ce besoin de liberté et d’égalité des uns sans contredire les besoins des autres, alors, nous sommes sûrs d’être dans le juste.
C’est pourquoi nous défendons et approuvons ce projet de loi, qui affronte avec courage et lucidité la réalité sociale et apporte effectivement à nos concitoyens plus de justice et de sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord excuser mon collègue Yves Détraigne, qui devait intervenir aujourd’hui et qui est retenu dans la Marne à la suite d’événements dramatiques qui se sont produits dans sa commune.
Mes chers collègues, au nom du principe d’égalité, le Gouvernement nous propose aujourd’hui de considérer qu’un homme doit pouvoir épouser un homme et qu’une femme doit pouvoir épouser une femme.
Et, dans la même logique, il nous propose également, ce qui est plus préoccupant à mon sens, que ces couples puissent également adopter des enfants, en attendant de pouvoir recourir sous peu à l’aide médicale à la procréation pour les couples de femmes et à la gestation pour autrui pour les couples d’hommes.
Je le dis à celles et ceux qui, de bonne foi ou non, affirment l’inverse : dès lors que l’on aura accepté le mariage entre deux hommes et entre deux femmes et l’adoption, la procréation médicale assistée et la gestation pour autrui viendront inévitablement, d’autant, nous le savons, qu’il n’y aura pas assez d’enfants…
M. Bruno Sido. Et même aucun !
M. Hervé Maurey. … à adopter pour répondre aux attentes des couples homosexuels.
M. Jean Bizet. C’est la vérité !
M. Hervé Maurey. Le principe d’égalité, aujourd’hui invoqué pour justifier le mariage et l’adoption, sera de la même manière mis en avant demain pour justifier le recours à ces techniques de procréation.
Pourquoi, en effet, refuserait-on la GPA aux couples d’hommes dès lors que les couples de femmes pourront accéder à l’étranger, si ce n’est en France, à la PMA pour avoir des enfants ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est déjà le cas !
M. Hervé Maurey. Pourquoi instaurerait-on une inégalité entre couples d’hommes et couples de femmes alors qu’on prétend aujourd’hui que les couples homosexuels doivent avoir le même accès au mariage et le même droit à l’adoption que les couples hétérosexuels ?
Le mariage, je vous le rappelle, mes chers collègues, a pour objet depuis la nuit des temps d’unir l’homme et la femme en vue de créer une famille et d’offrir un cadre à la naissance, l’accueil et l’éducation des enfants.
Mme Éliane Assassi. Votre référence, c’est la Bible ?
M. Hervé Maurey. En dehors même de la revendication d’égalité, ce motif conduira à exiger le droit à la procréation médicale assistée et à la gestation pour autrui, et fera ainsi exploser la notion même de famille.
Je voudrais souligner que le principe d’égalité, qui est constamment évoqué depuis le début de nos travaux par un certain nombre de mes collègues, me semble être mis en avant par les partisans de ce texte de manière inappropriée, pour ne pas dire abusive.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Très bien !
M. Hervé Maurey. Chacun sait en effet que, en droit, l’égalité ne s’applique qu’à des situations équivalentes.
Or, et contrairement à ce que nombre d’orateurs ont essayé de nous faire croire, il est évident qu’au regard de la famille, un couple d’hommes ou un couple de femmes n’est pas structurellement équivalent à un couple formé d’un homme et d’une femme.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ils ne veulent pas le voir !
M. Hervé Maurey. C’est la loi de la nature universelle, ou la loi biologique si vous préférez : un couple d’hommes ou un couple de femmes ne peut pas engendrer un enfant et ne peut donc pas créer une famille au sens traditionnel du terme.
Certes, la famille n’a plus le même sens aujourd’hui qu’il y a un siècle ou même un demi-siècle. La majorité des enfants naissent hors mariage et il n’est plus nécessaire de passer devant le maire pour fonder une famille. Mais faut-il pour autant modifier le droit pour satisfaire la demande d’une minorité ?
M. Jean Bizet. Bien sûr que non !

M. Hervé Maurey. Je ne le pense pas, sauf à considérer que la loi n’est plus l’expression de la volonté générale, mais celle d’une minorité, et à penser que la loi doit s’adapter à toutes les évolutions de la société, quelles qu’elles soient, et non la régir.
Mes chers collègues, « les orientations sexuelles, les préférences sexuelles sont libres. La discrimination à l’égard de telle ou telle orientation m’est insupportable, mais n’oublions pas que l’humanité toute entière est structurée homme-femme, elle n’est pas structurée en fonction des préférences sexuelles ».
Ce constat de bons sens est de l’un des vôtres : j’ai nommé Lionel Jospin… Pour une fois, j’ai plaisir à le citer et à partager son propos. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Je n’en dirais pas autant de son dernier rapport, notamment en ce qui concerne le cumul des mandats…
Au nom de « l’égalité des droits » entre adultes, vous allez créer une grave discrimination entre enfants, puisque vous allez permettre que des enfants n’aient plus officiellement un père et une mère, mais deux pères ou deux mères. C’est aberrant et tellement peu conforme à l’intérêt de l’enfant.
Vous évoquez un « droit à l’enfant », mais ce droit n’existe pas et la nature le rappelle parfois douloureusement aux couples.
Il y a, en revanche, un droit fondamental pour les enfants, celui d’avoir un père et une mère. (Oui ! sur plusieurs travées du groupe UMP.)
Quoi que décide le législateur, l’enfant aura toujours un père et une mère biologiques et la présence d’un deuxième papa à la maison ne remplacera jamais une maman, pas plus qu’une deuxième maman ne remplacera un papa !
C’est particulièrement vrai des enfants adoptés, comme l’ont souligné un grand nombre de personnalités auditionnées par la commission des lois.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas lieu pour le législateur de se pencher sur la situation des couples homosexuels.
Il est parfaitement normal et légitime qu’un couple stable, homosexuel ou hétérosexuel, bénéficie d’un statut qui règle la question des droits et obligations entre ses membres et assure la protection et l’assistance que le mariage confère réciproquement aux époux.
Mais dans la mesure où le mariage est, pour moi, par essence, l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille, c’est une union civile offrant le même cadre juridique protecteur que le mariage, mais sans filiation, qu’il convient d’instaurer. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
C’est le sens d’un amendement proposé par un certain nombre de mes collègues du groupe UDI-UC. Il permettrait de répondre aux attentes de nombreux couples homosexuels, sans en arriver aux solutions destructrices que vous proposez.
La position que je défends répond d’ailleurs au souhait de la majorité des Français. En effet, si 53 % d’entre eux sont favorables au mariage pour les couples homosexuels, 56 % sont opposés à l’adoption.
Pour conclure, je voudrais, madame la ministre, mes chers collègues, vous demander pour une fois d’entendre les Français, d’enlever vos œillères, de tenir compte de la mobilisation qui a encore eu lieu le 24 mars.
Quand plus d’un million de personnes sont dans la rue, on ne peut pas traiter cela par le mépris !
À cet égard, permettez-moi de vous dire, monsieur le rapporteur, que vos tweets ironiques à l’égard des manifestants étaient désobligeants, malvenus et peu compatibles avec votre qualité de rapporteur de ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Hervé Maurey. Écrire qu’il s’agit de « quelques badauds participant à une balade », ou encore que « quelques serre-tête tressés et jupes plissées pensent que nous reculerons », ce n’est pas digne d’un rapporteur de la commission des lois ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Madame la ministre, nous abordons cet important débat en espérant que le Gouvernement saura nous écouter.
Oui, nous souhaitons répondre aux attentes des couples homosexuels, mais nous ne voulons pas remettre en cause l’un des piliers fondamentaux de notre société, le mariage, et par là même la famille, et porter gravement atteinte aux droits des enfants, comme vous le proposez. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, après de longs mois de discussions, de débats, de contestations ou de soutiens, notre assemblée doit à son tour examiner le projet de loi sur le mariage pour tous.
Je tiens, en premier lieu, à remercier le groupe UMP du Sénat, qui me permet d’intervenir dans le cadre de cette discussion alors même que ma position n’est pas majoritaire. Cette liberté d’expression et de pensée honore le groupe auquel j’appartiens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Permettez-moi aussi de dire que, si nous adoptons ce texte, j’en suis convaincu, nous contribuerons à accompagner et à conforter l’acceptation, la normalisation, voire même - c’est l’étape ultime ! – la banalisation du mariage entre personnes de même sexe.
Nous permettrions à ces couples d’exercer une liberté reconnue par le Conseil constitutionnel comme une liberté personnelle. Nous donnerions tout son sens à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Nous rendrions pleinement applicable, sur notre territoire national, l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, évoquée tout à l’heure par Patrice Gélard, qui affirme : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Cet article ne dispose pas que l’homme et la femme doivent nécessairement se marier ensemble.
En accordant ce droit, nous honorerions notre réputation ainsi que la devise nationale qui orne les frontons de nos édifices. Liberté de se marier, égalité de traitement des situations identiques, telles sont, à mes yeux, les avancées qui nous sont proposées dans ce projet de loi.
Derrière une apparente simplicité, l’intitulé de ce texte soulève de multiples questions mettant en exergue la complexité des schémas familiaux actuels. L’opposition exprimée à l’encontre du mariage entre personnes du même sexe semble parfois porter davantage sur le terme même de mariage, et sur ses effets induits, que sur l’acte lui-même.
En ce qui concerne la terminologie, il est certain que, dans l’inconscient collectif hérité de notre culture judéo-chrétienne, le vocable de « mariage » possède une connotation religieuse.
Dès lors, même si les religions ne confèrent pas toutes une dimension sacramentelle au mariage, même si, dans nos sociétés actuelles, le mariage est un acte purement civil, même si les évolutions liées à législation sur le mariage et à son alter ego, le divorce, ont affecté la dimension pérenne de l’union, il n’en demeure pas moins que subsiste une figure idéalisée du mariage, union d’un homme et d’une femme.
Le mariage suppose l’altérité, vous l’avez dit tout à l’heure, madame la ministre. Il est l’expression de la rencontre avec l’autre, dans sa différence. Dans cette optique, reconnaître le mariage homosexuel porterait atteinte à cette altérité fondée sur la différenciation indispensable à toute forme de vie.
Dès lors, parler de mariage pour un couple de même sexe reviendrait à nier cette altérité ou, pour le moins, conduirait à en redéfinir le contenu : qui est l’autre ? Semblable ou différent ? Reflet ou vis-à-vis ?
Nous nous trouvons donc face à un projet qui, par-delà les droits et obligations qu’il peut conférer, exprime une vision de l’homme, de la société, de notre démocratie.
Comme avec la loi sur l’IVG, celle sur l’abolition de la peine de mort, nous sommes face à un texte qui nous oblige à nous interroger sur nos valeurs, sur notre conception de la société et, ici plus particulièrement, sur sa cellule de base qu’est la famille.
Il nous oblige à nous interroger, mais sans pour autant apporter de réponse à notre questionnement. Il nous fait pousser une porte sans savoir si elle nous conduit vers un nouvel espace de droits et de libertés ou si, tel Pandore, nous ouvrons une jarre dont le contenu peut nous échapper, nous dépasser.
C’est bien là tout le sens des réflexions, des résistances, des oppositions qui se manifestent.
M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bien sûr !
M. Alain Milon. En effet, la reconnaissance du mariage entraîne ipso facto le droit à fonder une famille. Le texte sur lequel nous sommes amenés à nous exprimer atteste de cette indissociabilité, même si le mariage n’est plus l’institution qui fonde les règles de la filiation.
Comme je l’indiquais précédemment, l’intitulé de ce texte fait uniquement référence au mariage. Or différents articles – nous en avons suffisamment parlé – sont consacrés à la filiation, notamment adoptive.
Ainsi, insensiblement, nous glissons du mariage entre deux individus vers la construction d’une famille. Si, désormais, la reconnaissance de droits et de devoirs à des couples souhaitant affirmer leur stabilité sociale tout autant que leur affection profonde est majoritairement admise, les questions liées à la filiation font davantage débat.
C’est bien sur cette question qui touche à l’enfant en tant qu’individu, mais peut-être aussi en tant qu’expression de l’avenir, en tant que prolongement de nous-mêmes, que s’expriment les réticences avec le plus de force et de vigueur. C’est aussi en ce domaine que nul aujourd’hui ne peut établir de certitude : l’amour est-il suffisant pour construire un être ? Dans quelle mesure le schéma social pèse-t-il sur la construction individuelle ? Le droit et l’amour peuvent-ils supplanter la biologie ? Et tant d’autres questions encore !
Pour autant, mes chers collègues, ces incertitudes doivent-elles nous empêcher d’avancer ? Doivent-elles nous condamner à l’immobilisme ? Doivent-elles priver de droits certains de nos concitoyens ?
La peur n’a jamais empêché le pire de se produire. Au lieu de refuser et de nier cette évolution, il convient plutôt de l’anticiper et de la préparer.
Les questions soulevées par la reconnaissance de la famille homoparentale, si elles sont plus prégnantes, n’épargnent pas pour autant les autres modes de composition familiale : famille traditionnelle, famille homoparentale, famille monoparentale, famille recomposée…
Les modes de filiation sont divers également et les méthodes de procréation, en évolution constante, suscitent des interrogations majeures en termes d’éthique. Nombreux sont ceux, dans cet hémicycle, à avoir parlé de PMA et de GPA sans forcément savoir qu’il s’agit tout simplement de techniques médicales permettant de lutter contre la stérilité.
Comment concilier volonté légitime de fonder une famille et protection de l’enfant dans sa construction psychologique ? Comment concilier « droit à » et « droits de » l’enfant ? Comment faire pour que la fiction juridique ne prime pas sur la réalité physiologique ? Reconnaître la possibilité d’adopter présente l’avantage d’offrir une stabilité à l’enfant, de lever les tabous, de renforcer la transparence, toutes choses bénéfiques pour son épanouissement.
Il n’est, en effet, rien pire que le secret, le non-dit. De ce point de vue, je souscris à la proposition faite. En revanche, il me paraît impératif et impérieux de dissocier adoption plénière et mariage, car l’adoption plénière, en conférant à l’enfant une filiation qui se substitue à la filiation d’origine, interdit de ce fait l’établissement de toute autre filiation.
M. Gérard Longuet. Voilà !
M. Alain Milon. Or il va de l’intérêt de l’enfant de ne pas lui donner une « homofiliation » – pardonnez-moi l’expression –, de ne pas faire primer la fiction juridique d’un enfant né de deux personnes de même sexe, de ne pas le faire apparaître sur les actes d’état civil comme étant issu de deux hommes ou de deux femmes.
Cela me semble être un point fondamental, qui traduit la volonté de protéger l’enfant et de ne pas en faire l’enjeu ou l’otage de promesses électorales.
Ouvrir l’adoption plénière aux couples mariés, sans aucune restriction, comme le fait le projet de loi sans le dire, c’est reconnaître qu’une personne pourra voir son identité à la fois marquée, décrochée de la filiation naturelle, et tronquée, dépourvue soit d’une ligne paternelle, soit d’une ligne maternelle.
Dans son poème Lorsque l’enfant paraît, Victor Hugo terminait par cette supplique :
« Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
« Frères, parents, amis, et mes ennemis même
« Dans le mal triomphants,
« De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
« La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
« La maison sans enfants ! »
Le texte dont nous discutons, sous réserve des limites importantes que je viens d’évoquer, constitue selon moi une avancée. Si nous l’adoptons, après l’avoir modifié, en particulier sur l’adoption, nous aurons la satisfaction d’avoir contribué à ensoleiller quelques vies en exerçant notre mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, d’aucuns ont voulu faire du mariage pour tous un débat technique mettant en jeu le sens même de notre code civil. D’autres en ont fait une tribune pour déverser, avec une brutalité parfois sidérante, une forme de haine de l’autre.
Certains, faisant preuve de plus de subtilité, tentent de nous démontrer, tout en n’ayant aucun grief contre l’homosexualité, qu’il leur semble normal de maintenir une législation spécifique pour les couples homosexuels, ce qui revient à les cantonner dans une sorte de « ghetto juridique ».
En réalité, comme tout sujet de société, ce débat est avant tout affaire de conviction. Ce dont je suis convaincu pour ma part, c’est que le plus grand nombre des opposants à ce texte mène un combat d’arrière-garde. Il me semble donc que l’hémicycle du Sénat est un bon endroit pour aborder ce sujet de façon dépassionnée et dire quelles sont nos convictions en toute sérénité.
Je me suis déjà longuement exprimé, à l’écrit comme à l’oral, sur les raisons pour lesquelles je voterai ce texte : souci d’égalité, lutte contre l’homophobie, nécessité pour la loi de prendre en compte les évolutions de la société.
Ces thèmes ont été et seront encore abordés par de nombreux collègues au cours de nos débats. Aussi, le point sur lequel je souhaite me concentrer aujourd’hui est celui de la position des populations et des élus des outre-mer.
Il semblerait que l’on ait voulu faire de nos territoires des bastions symboliques de la résistance au mariage pour tous, des citadelles imprenables de la défense des valeurs dites traditionnelles. Quelle est la vérité ?
La réalité, c’est qu’il est bien pratique d’entretenir la confusion entre importance du fait religieux outre-mer et conservatisme social. De fait, il me semble important, dans ce débat, de rappeler deux choses.
Premièrement, il n’y a pas de contradiction entre spiritualité et temporalité. Nos pratiques religieuses n’ont pas vocation à nous figer dans un « c’était mieux avant » réactionnaire ; elles doivent au contraire nous permettre de considérer les choses avec hauteur et tolérance.
Deuxièmement, ce débat constitue également l’occasion de rappeler que la France est une république laïque où l’Église et l’État sont séparés depuis plus d’un siècle. Il s’agit certes aujourd’hui d’une évidence, mais il en est qui ont parfois besoin d’être rappelées.
Cela étant dit, je veux également attirer votre attention sur le fait que nos sociétés ultramarines, dites traditionnelles, ont, par exemple, recours à l’IVG dans des proportions souvent supérieures à celles de l’Hexagone.
En outre, les manifestations contre le mariage pour tous n’ont pas mobilisé grand monde chez nous : quelques centaines de personnes dans les rues de Fort-de-France notamment. En ce qui concerne ce texte, il n’y a donc pas de fait ultramarin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
D’ailleurs, si nous devions avoir une position particulière liée à ce qu’il est convenu d’appeler nos spécificités, il me semble que nous devrions être les premiers défenseurs de ce projet de loi.
En effet, ce débat nous renvoie à la lutte qui a été historiquement la nôtre au cours du xxe siècle : la conquête de l’égalité parfaite en droit, car c’est bien de droit qu’il s’agit ! Ce pour quoi nous nous sommes battus et nous battons encore aujourd’hui, nous, descendants d’esclaves, au nom de quoi le refuserions-nous à d’autres au motif de leur orientation sexuelle ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour terminer, je voudrais dire mon souhait que la loi soit non seulement votée, mais aussi mise en application rapidement et sans sourciller. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Garde-à-vous !
M. Serge Larcher. À cet égard, j’ai regretté l’évocation de la notion de clause de conscience. Une fois adoptée, une loi ne peut être négociable. Laisser libre champ aux uns et autres dans la mise en œuvre de ce texte serait préjudiciable à son application et constituerait un précédent fâcheux quant à la force des lois en général, ouvrant la porte à d’éventuelles dérives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je veux commencer malicieusement par féliciter le Gouvernement de son habileté politique.
Sur ce débat qui devrait parler d’amour, il a réussi à diviser la France en deux catégories : d’une part, les irresponsables et, d’autre part, les ringards. Grâce à lui, des femmes et des hommes, qui n’ont pas choisi leur sexualité, sont au mieux instrumentalisés, au pire humiliés. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.) C’est une performance politique ; espérons qu’elle ne soit pas politicienne…
Je formule cette remarque avec d’autant plus de rancœur que je suis favorable au texte qui nous est soumis, ce par conviction de droite et libérale et depuis longtemps.
J’y suis favorable car j’accorde la même confiance et la même dignité aux personnes homosexuelles qu’aux autres. Elles ne constituent pas une communauté ; ce sont des individus dont l’orientation sexuelle, qui n’est pas un choix, ne porte pas atteinte à autrui et ne préjuge en rien de leur capacité à être ou non « responsables ».
Je suis favorable à ce projet de loi car je considère que moins l’État se mêle des choix individuels, quel que soit le domaine concerné, mieux la société se porte. Il n’appartient donc pas à l’État de restreindre la liberté individuelle tant que celle-ci ne porte pas atteinte à autrui. Ce point distingue clairement le mariage homosexuel de la polygamie ou d’autres pratiques qui, elles, portent atteinte à la dignité.
Je suis favorable au texte que nous examinons car, en tant que responsable politique, j’accorde la même considération à toutes les familles, qu’elles soient traditionnelles, monoparentales, recomposées ou homosexuelles. Se pose d’ailleurs une question centrale : le législateur a-t-il pour rôle de définir les contours de la famille ou de créer les conditions de son développement ?
Tout le paradoxe de ce texte est qu’il devrait être porté, en quelque sorte, par la droite. En effet, la demande de mariage est fondamentalement conservatrice.
Je suis aussi favorable à ce texte car je suis laïque. Libre aux religions de s’exprimer. Libre à chacun de sa conscience sur des questions de société qui n’appellent aucune réponse binaire. Mais je n’entends pas que les religions fassent d’une quelconque manière pression sur nous et nous dictent notre conduite à l’égard ni des femmes ni des personnes homosexuelles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mlle Sophie Joissains applaudit également.)
Il est paradoxal d’ailleurs que la laïcité soit dans ce débat à ce point instrumentalisée qu’elle devienne un principe mou.
Je suis néanmoins triste et préoccupée par la puissance des divisions que ce débat a créées. La violence des propos est effrayante. En cet instant, je souhaite vous lire la phrase suivante, que nous avons tous déjà entendue : « il n’y a aucun doute quant au fait que les enfants dans cette situation subissent le fardeau […] d’un sentiment d’infériorité quant à leur statut ». Cette citation est extraite de la décision Brown v. board of education rendue par la Cour suprême de Louisiane en 1959 qui visait à interdire les mariages mixtes…
Je suis par ailleurs également un peu atterrée par l’immoralité de certains actes – je ne reviendrai pas sur ce qui s’est passé ce matin – qui visent juste à « faire le buzz ». C’est assez méprisable. De telles actions sont souvent contraires aux valeurs de la famille que ceux-là même qui s’en réclament devraient normalement défendre.
À ceux qui me disent « nous nous en souviendrons ! », je réponds que la menace n’est pas un argument contre la conviction. À ceux qui bafouent l’éthique politique, je rappelle que la démocratie est une valeur fragile. Le débat politique est argumentation, non éructation ou démonstration de force. Céder à la menace, c’est bafouer la démocratie.
Sans doute cette division nationale aurait-elle pu être évitée. Tel aurait probablement été le cas et, en cela, je rejoins les propos tenus par Alain Milon, si nous avions eu le courage ou l’intelligence de retirer du code civil le terme « mariage » pour le réserver à la sphère religieuse et si nous avions eu préalablement un débat éthique sur la famille et l’enfant, ce dernier se trouvant au cœur du texte dont nous discutons. L’opposition entre « droit à l’enfant » et « droit de l’enfant » est un peu caricaturale, reconnaissons-le. Depuis bien longtemps, depuis la contraception, l’IVG ou la procréation médicalement assistée, l’enfant est le fruit d’un choix et d’un projet parental.
Sans doute aurions-nous pu éviter cette division si nous avions attendu les conclusions de l’auto-saisine du Comité consultatif national d’éthique sur la PMA.
L’adoption – de ce point de vue, les débats qui vont avoir lieu lors de l’examen des amendements déposés par M. Milon seront extrêmement intéressants – ou la médicalisation de la procréation, qui lui est directement liée, soulèvent des questions essentielles, auxquelles le présent projet de loi ne répond pas.
Je ne voterai aucun amendement dont l’adoption conduirait à anticiper le débat sur la procréation médicalement assistée ou, pis, sur la gestation pour autrui.
Madame la ministre, j’en suis fière, notre groupe respecte les convictions de chacun.
M. Bruno Sido. Nous aussi !
Mme Chantal Jouanno. Fort bien, mais chacun d’entre nous intervient au nom du groupe auquel il appartient !
Je voterai en faveur du présent texte pour respecter mes valeurs de droite selon lesquelles le libéralisme ne s’arrête pas aux questions de société. Le rôle de la puissance publique est non pas de dicter des modèles, mais de vérifier qu’aucun principe républicain n’est affecté par telle ou telle mesure. C’est de cela que nous devons parler dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.
M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui au Sénat un texte d’une importance capitale pour la nation française tout entière. Or, en cet instant, je m’interroge sur son opportunité, étant donné qu’il est fortement contesté par la quasi-majorité de nos concitoyens.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Abdourahamane Soilihi. C’est dire, madame le garde des sceaux, à quel point les nombreuses manifestations d’hostilité à ce projet de loi méritent d’être entendues car elles sont bien fondées.
M. Serge Larcher. Il y avait 100 manifestants en Martinique !
M. Abdourahamane Soilihi. Si le texte fait l’objet de vives désapprobations dans l’Hexagone, sachez, mesdames les ministres, mes chers collègues, qu’il ne rencontre guère un écho plus favorable dans les collectivités ultramarines.
Partout, sur notre territoire national, les cris se multiplient pour dénoncer, d’une part, un projet de loi inopportun eu égard au climat exacerbé et émaillé de tensions économiques et sociales fortes et, d’autre part, une promesse de campagne qui heurte profondément les valeurs fondatrices de notre modèle démocratique.
Par ailleurs, il me paraît légitime de reconnaître que les couples constitués de personnes de même sexe ont pleinement leur place dans le pacte républicain qui nous unit. Et la nation doit leur garantir respect et protection. Cela étant, leur homosexualité ne devrait être un motif de rejet d’aucune sorte par la communauté.
Cependant, la notion de mariage civil telle que préconisée par la législation suppose l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille.
Cette remarque m’amène à attirer votre attention, mes chers collègues, sur le cas spécifique de Mayotte, car l’institution du mariage homosexuel ne présente pas la même dimension en métropole que dans les territoires lointains.
Pour ce qui concerne cette collectivité, fraîchement transformée en département, où le processus de droit commun n’en est qu’à ses balbutiements, l’attention à son égard doit rester intacte du fait des risques de démembrement ou de dénaturation d’un modèle uniforme de société.
Pour le deuxième anniversaire de la départementalisation, pas plus tard que le week-end dernier, ce territoire et ses habitants ont encore réaffirmé leur adhésion aux principes et aux valeurs qui fondent notre République.
Devrais-je vous dire, madame le garde des sceaux, qu’il ne s’agit nullement d’opposer les principes fondateurs de nos diversités et singularités culturelles à celui d’égalité républicaine tant sur le plan national que dans nos outre-mer respectifs ? Je sais que ce n’est pas vous qui contredirez mon affirmation selon laquelle ce sont ces inégalités qui font l’actualité dans nos collectivités ultramarines.
Quant à nos spécificités, force est de préserver avec la plus grande acuité nos références culturelles et sociétales, gages de nos identités individuelles dans une République indivisible.
Au demeurant, un débat s’est tenu le 20 février dernier, ici même, au Sénat. Une fois de plus, il a largement contribué à mettre en exergue les défis majeurs auxquels la deuxième île française de l’océan Indien est confrontée. Il y a eu unanimité pour dire que tout est à construire du point de vue économique et que culturellement Mayotte doit rester ce qu’elle est pour préserver son identité.
À cet effet, j’affirme qu’il ne faut pas mélanger le désir de changement revendiqué par une minorité de personnes qui réclame l’égalité de droit, et le danger de mettre en péril nos structures sociétales, qui sont enracinées avec constance, et ce en conformité avec nos traditions.
Permettez-moi de formuler quelques observations de forme sur Mayotte, une collectivité désormais régie par le principe de l’identité législative. Cela suppose que les lois s’y appliquent de la même manière à tout le monde et sans exception. Or, en raison des inégalités sociales qui y existent, ce territoire est devenu le théâtre de manifestations interminables auxquelles participent légalement des citoyens qui réclament leur dû aux pouvoirs publics.
Vous le constatez, madame le garde des sceaux, nos compatriotes mahorais attendent de votre gouvernement des mesures de changement concrètes en faveur de la justice sociale et non la destruction des bases sociétales, qui les caractérisent à bien des égards.
Avec force, je vous dis que le présent texte est en contradiction totale avec la société, même si vous considérez, pour votre part, qu’il constitue une évolution majeure.
Je tiens à souligner qu’un rapport de 2008 de nos collègues Christian Cointat, Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne et Michèle André, intitulé Départementalisation de Mayotte : sortir de l’ambiguïté, faire face aux responsabilités, tire avec éclat les enseignements de la mise en œuvre progressive et adaptée de la mutation statutaire et du fonctionnement progressif des institutions afin d’assurer l’avenir harmonieux de l’île tout en conciliant la préservation des équilibres socio-économiques et le respect des exigences républicaines.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Abdourahamane Soilihi. Madame le garde des sceaux, le changement profond de société que vous proposez amènera certainement les Mahorais à être confrontés à un paradoxe qui ne fera que remettre en cause les aspects inhérents aux traditions et cultures locales à valeur coutumière.
À juste titre, la religion musulmane, implantée à Mayotte depuis le XVe siècle, soit bien avant l’arrivée de la France, occupe une place centrale dans l’organisation sociale ; près de 95 % des Mahorais sont d’obédience musulmane et pratiquent avec modération cette religion, qui se veut paisible et courtoise.
M. le président. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé.
M. Abdourahamane Soilihi. Vous l’aurez compris, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’inadéquation du projet de loi est telle par rapport aux constats que je viens d’établir qu’il ne peut exister aucune adaptation possible, compte tenu des spécificités de Mayotte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, I had a dream, j’ai fait un rêve…
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Pas nous !

Mme Virginie Klès. J’étais dans ma mairie de Châteaubourg, et j’avais devant moi ce jeune couple venu timidement me demander de les marier. Elle, brune à la peau très blanche et aux yeux bleus, lui, un Malien, à la peau très noire et aux yeux bruns. Les boubous avaient envahi la salle de mariage ; ces boubous africains avec leurs couleurs chatoyantes côtoyaient les costumes-cravates habituels de chez nous.
Puis, tout à coup, l’atmosphère devint oppressante ; ce rêve devint oppressant. Nous étions en 1778 : c’est l’année où l’interdiction des mariages mixtes fut promulguée en France. Je n’avais plus le droit de célébrer ce mariage, et j’entendais autour de moi les mots « pervers », « contre-nature », « impossible », on demandait « et les enfants, y pensez-vous ? », ils n’auront « pas de statut », ils seront des « bâtards ». Je me suis alors réveillée : nous n’étions pas en 1778, et j’ai bien pu célébrer ce mariage.
J’ai alors pensé à tous les autres mariages que j’ai célébrés. Je me retrouve dans les propos de Mme Jouanno, dans sa façon de dire réellement les choses. Car que s’est-il passé dans tous ces mariages que j’ai célébrés ? Quelle était la constante ? Cette constante, c’était l’amour, l’émotion, l’engagement solennel, le bonheur qui régnait dans la salle de mariage. Quel que soit le mariage, quel que soit le lieu, quel que soit l’âge des mariés, là était la constante, dans cette promesse mutuelle et réciproque de s’aimer et de se protéger longtemps.
Je me suis également souvenue d’un autre mariage, qui m’a beaucoup marqué lui aussi. Il fut célébré dans un hôpital, à la demande d’une jeune femme en phase terminale de cancer, à qui il restait moins d’une semaine à vivre. Elle avait deux enfants et n’était pas mariée. Elle a voulu se marier avant de mourir, de quitter cette terre, pour ses enfants et pour leur père. Je me suis demandé ce qui se serait passé si cette femme avait été homosexuelle, si ses deux filles étaient nées d’une précédente union et si le père avait été absent, inexistant, pour tout un tas de raisons : comment aurait-elle fait ? À qui aurait-elle confié ses enfants ?
Alors faut-il plusieurs mariages ? Faut-il un mariage pour les hétérosexuels, dans lequel les enfants seraient systématiquement pris en compte, et un autre pour les homosexuels, dans lequel on ne parlerait surtout pas des enfants ? Et peut-être que si des hétérosexuels ne veulent pas d’enfants, ils pourraient choisir ce second mariage. Les homosexuels, eux, n’auraient droit qu’au mariage sans enfants.
Soyons raisonnables : il faut le même mariage pour les homosexuels et les hétérosexuels, un mariage qui prenne en compte les enfants, parce que les enfants sont là, ils existent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Combien de fois le droit de l’enfant a-t-il été évoqué ce soir ? Je peux entendre certains arguments, je peux comprendre les familles qui ont des problèmes pour avoir des enfants, mais faut-il pour autant transformer ce droit de l’enfant en un droit à l’enfant ?
Monsieur le doyen Gélard, je vous ai entendu plaider - Dieu sait que je vous ai écouté avec attention ! – qu’il ne fallait pas autoriser le mariage aux couples homosexuels parce que, dans ce cas, certains pays qui y sont opposés refuseraient de nous laisser adopter leurs enfants. Vous estimez que les enfants sont un marché avec fermeture de frontières ? Quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qui peut nous garantir que l’intérêt supérieur des enfants de ces pays est d’être adopté par une famille française et non par une autre famille, dans un pays où le mariage homosexuel n’est pas autorisé ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Je le redemande, quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? À mon sens, c’est d’être accueilli dans une famille, c’est que ses parents soient considérés normalement par la société. Une société tolérante se juge à sa capacité à accepter la différence : la différence fait sans doute peur au début, mais une société tolérante l’apprivoisera, la banalisera et l’acceptera. Ainsi, l’enfant n’aura pas à subir ce qu’il y a de plus terrible pour un enfant : entendre insultés et humiliés ses parents, ses éducateurs, ces adultes qui sont à ses côtés au quotidien et le construisent, l’aiment et le structurent.
Pour toutes ces raisons, qui nous contraindront justement à examiner plus longuement, par la suite, nos lois sur l’adoption et la famille ainsi que sur la PMA et la GPA, qui posent un réel problème, mais un problème indépendant de la question du mariage des personnes homosexuelles et du droit des enfants dont les parents sont homosexuels, je voterai ce projet de loi des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir entendu la précédente intervention, où, sinon dans mon intime conviction, pourrais-je trouver la force de créer, comme nous le demandaient récemment 173 de nos éminents universitaires, une brèche dans le mur idéologique sur lequel nous avons l’impression de voir nos arguments glisser ? Et quelle lumière pourrait m’aider à éclairer les chemins de votre conscience, au plus profond et au plus sensible d’elle-même, afin de vous faire ressentir les risques considérables que ce projet de loi fait prendre à notre société contemporaine ?
Peut-être y parviendrai-je en appelant à mon secours Jean-Étienne-Marie Portalis – vous l’avez cité aussi, monsieur le rapporteur, mais dans un esprit bien différent du mien –, cet éminent juriste provençal, éclairé et sage, qui, par sa statue de marbre située au-dessus de nous dans cet hémicycle, veille sur nos débats, et à qui Bonaparte avait confié la rédaction de notre code civil.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Leleux. La science, la clarté, le bon sens et la pureté de style de Portalis avaient su donner à notre code civil, il y a deux siècles de cela, la cohérence et la portée qui l’ont amené jusqu’à nous. Or voici ce qu’il écrivait : « La durée et le bon ordre de la société générale tiennent essentiellement à la stabilité des familles qui sont les premières de toutes les sociétés, le germe et le fondement de empires. »
Inscrit depuis dans la durée, le code civil n’en mérite que plus de respect. Portalis, homme de conviction, de conscience, de réflexion et de modération, fut, comme le disait Sainte-Beuve, « l’une des lumières civiles du Consulat ».
M. Marc Daunis. Quelle référence moderne !
M. Jean-Pierre Leleux. Et, s’il pouvait prendre ma place, il vous dirait combien il faut prendre de précautions quand on rédige une loi. Il vous dirait surtout que la loi civile, notre loi à nous, parlementaires, ne peut en aucun cas être de rang supérieur aux lois naturelles, scientifiques, biologiques ou physiologiques. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.) Il nous dirait : « Ne dégradons point la nature par nos lois. » Ne nous a-t-il pas rappelé l’avertissement de Cicéron, selon lequel « il n’est pas du pouvoir de l’homme de légitimer la contravention aux lois de la nature » ?
Oui, mes chers collègues, ce projet de loi est bien contre-nature. Sous prétexte d’offrir une nouvelle liberté aux personnes homosexuelles et de satisfaire une nouvelle prétendue égalité en voulant gommer la différence entre l’homme et la femme, et partant leur féconde complémentarité, ce texte aura des conséquences directes sur tous les couples composés d’un homme et d’une femme et nous conduira, contrairement à ce qui est annoncé, à de nouvelles injustices et à de nouvelles discriminations.
Mme Esther Benbassa. C’est faux !
M. Marc Daunis. Là, on quitte le siècle des Lumières !
M. Jean-Pierre Leleux. Depuis l’annonce, l’été dernier, de la mise en œuvre de cette promesse électorale, le débat agite la France. Madame le garde des sceaux, était-ce bien le moment, en ces temps difficiles sur le plan économique et social, de diviser les citoyens sur un sujet de société aussi sensible, alors que les Français ont un si grand besoin de se rassembler ? D’autant que le débat, non organisé – dans l’espoir, sans doute, de l’éviter – et mal canalisé, a été pollué et trahi par d’habiles et scandaleuses manipulations sémantiques.
Un sénateur du groupe UMP. Bravo !
M. Jean-Pierre Leleux. Quelle belle escroquerie, par exemple, que cette expression de « mariage pour tous », qui tend à faire passer habilement l’idée que la mesure serait juste, équitable et donc forcément bonne !
Mme Esther Benbassa. C’est la vérité !
M. Jean-Pierre Leleux. Albert Camus aurait réagi à cette utilisation malfaisante des mots : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci de ne pas enrôler Camus au service de votre cause !
M. Jean-Pierre Leleux. Il aurait également réagi devant l’utilisation du mot « mariage » pour qualifier l’union de personnes de même sexe.
Les mots ont un sens, nourri par des siècles d’usage, ils sont porteurs du poids symbolique que leur ont donné des centaines de générations successives.
M. Charles Revet. Exactement !
M. Jean-Pierre Leleux. « Il faut faire attention aux mots », écrit Erik Orsenna, il ne faut pas « les employer à tort et à travers, les uns pour les autres ». Mes chers collègues, ne donnons pas au mot « mariage » un sens qu’il n’a pas : ce mot a toujours désigné l’acte qui unit un homme et une femme en vue de protéger leur relation et leur foyer, l’acte fondateur d’une famille, dans l’esprit d’une filiation porteuse du renouvellement des générations.
Loin de nous l’idée de vouloir empêcher les personnes homosexuelles de vivre librement leur vie, affective et civile. Nous sommes favorables à la création d’un statut d’union civile qui permettrait aux couples homosexuels de bénéficier strictement des mêmes « droits mutuels » que les couples hétérosexuels, avec les mêmes avantages et, éventuellement, les mêmes inconvénients.
M. Marc Daunis. Est-ce que les couples homosexuels sont naturels ou contre-nature ? On ne comprend plus !
M. Jean-Pierre Leleux. J’emploie l’expression « droits mutuels » pour qualifier ces droits entre adultes, car pour moi il ne saurait être question d’assortir ce statut du droit à l’adoption. Or, au-delà du poids symbolique millénaire du mot « mariage », que vous voulez modifier aujourd’hui, étendre le statut du mariage aux couples de personnes de même sexe implique, ipso facto et de jure, la faculté pour ces couples d’adopter. À nos yeux, ce n’est pas acceptable, au nom de l’enfant.
Je comprends très bien le désir que peut avoir tout homme ou toute femme d’élever un enfant. Mais, quelle que soit l’ampleur de ce désir, il ne peut en aucun cas primer sur le droit de l’enfant d’espérer être élevé par un père et une mère, dans l’altérité sexuelle de ses parents, même si celle-ci peut n’être que virtuelle, comme dans le cas des familles monoparentales.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Jean-Pierre Leleux. Je n’évoquerai pas la PMA et la GPA, car vous vous insurgeriez, chers collègues de la majorité. Je vous dirai donc simplement que vous avez ouvert une brèche en proposant d’ouvrir l’adoption aux couples homosexuels, et que, comme le soulignait mon compagnon de route de ce soir, Jean-Étienne-Marie Portalis, « quand la raison n’a point de frein, l’erreur n’a point de bornes ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pitié pour Jaurès, Camus et Aragon ! Cessez de les enrôler au service de votre cause !
M. Alain Gournac. Pourquoi seriez-vous les seuls à avoir le droit de le faire ?
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans sa préface au code civil rédigée en 1936, Henri Capitant écrivait que ce code devait conserver les « solides principes traditionnels » sur lesquels est fondé le droit, tout en faisant place aux « règles exigées par les besoins nouveaux de la vie juridique ». C’est ce que nous faisons aujourd’hui, en adaptant notre code civil aux besoins nouveaux de la société, que certains veulent nier, mais qui existent bel et bien.
Nous allons réaliser cette réforme en respectant l’universalité des droits sur laquelle reposent notre société et notre République. C’est notre fierté !
Le Gouvernement, soutenu par sa majorité parlementaire, porte cette réforme déjà adoptée par de nombreux États européens. Les retours d’expérience dans ces pays démontrent, si besoin était, que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe n’a pas conduit à la disparition de la famille, bien au contraire.
Je demeure convaincu que ce qui fonde la famille, c’est le désir de la vie, de l’échange, de la transmission. Ce qui compte avant toute chose pour un enfant, c’est l’équilibre de sa famille. Dans l’étude d’impact bien documentée – n’en déplaise à Patrice Gélard – qui accompagne ce projet de loi, il est précisé que la centaine d’articles consacrés depuis quarante ans à l’homoparentalité conclue qu’il n’existe aucune différence entre les enfants élevés dans les différents types de famille.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est orienté !
M. Philippe Kaltenbach. Ce sont des analyses scientifiques… On peut tout dénoncer, mais il faut tout de même en tenir compte.
Le débat qui accompagne ce projet de loi est intense, dans les hémicycles comme dans l’opinion, tout autant que celui qu’avait suscité l’adoption du PACS. Analysons ce dernier débat a posteriori, afin de nous projeter dans l’avenir. Que constate-t-on ? Depuis la création du PACS, ni les équilibres humains ni les valeurs de notre société n’ont été bouleversés. Pourtant, à l’époque, Christine Boutin, chef de file de l’opposition, était catégorique : « Le PACS enlève toute raison d’être juridique et sociale au mariage civil. Il le tue par asphyxie. »
Vous aurez également observé que, durant ces quatorze années, aucune initiative parlementaire ou gouvernementale n’a tenté de supprimer la loi adoptée à l’époque.
Les grandes évolutions sociétales se sont toujours faites malgré les protestations, parfois virulentes. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont toujours, aujourd’hui, dans notre ordre juridique.
Vous noterez au passage que celles et ceux qui défilaient en 1999 contre le PACS sont devenus, aujourd’hui, ses plus ardents défenseurs.
Acculés, les opposants au mariage pour tous ont trouvé une échappatoire avec cette proposition d’une nouvelle union civile destinée aux couples de même sexe, une sorte de PACS amélioré. Ce faisant, ils semblent ignorer qu’un tel dispositif serait profondément discriminatoire et, à n’en pas douter, contraire et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, comme cela a déjà été dit, et sûrement également à notre Constitution.
Dans le débat, le doyen Gélard, peut-être à court d’arguments, a soulevé une supposée inconstitutionnalité…
Mme Catherine Procaccia. On verra bien !
M. Philippe Kaltenbach. … en s’appuyant sur des analyses audacieuses, mais en aucun cas sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel.
L’argument selon lequel le mariage ferait partie de notre bloc de constitutionnalité et ne pourrait donc évoluer sans modification de la Constitution ne résiste pas à un simple examen historique. En effet, depuis 1804, le mariage a déjà profondément évolué. Rappelez-vous : à cette date, la femme était soumise à la puissance maritale !
C’est d’ailleurs au sein de la famille que les droits des femmes se sont progressivement imposés et ont été reconnus, à chaque fois difficilement, car les conservateurs ont systématiquement dénoncé une remise en cause de la famille traditionnelle.
Aujourd’hui, je suis fier de soutenir ce projet de loi.
Pour conclure, je voudrais partager avec vous l’opinion de Marcel Proust pour qui « il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme ».
La question qui nous est posée aujourd’hui est une question d’égalité entre tous les citoyens. Parce que les droits de l’enfant sont garantis, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce projet de loi pour faire entrer l’homosexualité dans l’égalité. La famille doit être considérée comme une et heureuse, indépendamment du sexe et du genre des parents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la question du mariage et celle de la filiation sont si indissociables que les juristes auditionnés ont dit combien il eût été plus pertinent d’aborder la seconde question avant la première.
Toutes les sonnettes d’alarme ont été tirées par de très nombreux maires et élus locaux, par des spécialistes du droit de la famille et du droit constitutionnel, par des pédopsychiatres, des philosophes et de nombreux représentants d’associations.
Malgré le nombre des auditions, le débat est resté de façade. Tout était joué d’avance, puisque le Président de la République François Hollande avait promis le mariage pour tous.
Soyons sérieux : il l’avait promis non pas aux Français, mais à une poignée d’activistes qui l’ont étrangement rappelé à l’ordre le jour même de son intervention devant le congrès des maires de France. J’y étais.
Ce qui m’inquiète, c’est ce manque de scrupules, qui part du sommet de l’État, traverse une partie de la classe politique et atteint un certain nombre d’intellectuels.
Venons-en à la question de fond.
L’un des auteurs d’une plaquette préfacée par Jacques-Alain Miller, auditionné par la commission des lois du Sénat, s’est appuyé sur une conférence de Claude Lévi-Strauss pour nous expliquer qu’il n’y a pas d’« invariant familial universel ». Comme si c’était le sujet !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est la vérité ! C’est ce que dit Lévi-Strauss !
M. Alain Gournac. Pourquoi l’auteur se garde-t-il de préciser que Lévi-Strauss ne donne aucun exemple de société ayant institué le mariage homosexuel ?
L’anthropologue Maurice Godelier, auditionné par la commission des lois de l’Assemblée nationale, et pourtant favorable au texte, l’a dit nettement, mais comme à voix basse : « On ne trouve pas dans l’histoire d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. »
Pourquoi craint-on de faire état, haut et fort, de cette réalité anthropologique majeure ? Mais tout simplement, madame la ministre, pour cacher l’énormité de votre projet de vouloir rompre avec cette réalité !
Maurice Godelier poursuit : « pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire ». Cette histoire porte donc bien sur des millénaires.
En conséquence, madame la ministre, on pourrait peut-être désormais laisser les différentes confessions tranquilles et cesser de faire diversion en leur imputant une attitude qui a été celle de toute l’humanité depuis toujours.
Pourquoi Françoise Héritier, célèbre professeur d’anthropologie du Collège de France, a-t-elle été aussi ambigüe sur cet invariant ? On l’a sentie quelque peu gênée : elle a expliqué devant la commission que « la pratique occidentale est marquée notamment par un type de mariage hétérosexué et monogame ». C’était laisser entendre que d’autres sociétés connaîtraient l’institution du mariage homosexuel. Nous attendons encore les exemples !
Que se passe-t-il pour que l’une de nos grandes anthropologues ne s’exprime pas plus nettement ? Comment en est-on arrivé à obtenir que soit ainsi minimisée et maquillée une réalité anthropologique aussi considérable ?
Je citerai un dernier exemple de ce que j’appelle le « mensonge par ambiguïté » : auditionnée par la commission des lois, la sociologue Irène Théry, utilisant la notoriété de Georges Duby pour soutenir votre texte, a expliqué que le grand historien du Moyen Âge ne se référait « en aucune manière à une sorte d’essence intemporelle du mariage ».
Or voici ce qu’il écrit dans son ouvrage majeur, Le chevalier, la femme et le prêtre : « Les rites du mariage sont institués pour assurer, dans l’ordre, la répartition des femmes entre les hommes, pour officialiser, pour socialiser la procréation. »
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Bravo pour la répartition !
M. Alain Gournac. Un peu plus loin, il ajoute : « Le mariage ordonne l’activité sexuelle ou plutôt la part procréative de la sexualité ». On ne peut être plus clair : le reste de l’activité sexuelle, dont l’homosexualité n’est qu’une possibilité, n’a jamais été prise en compte par l’institution du mariage, dans aucune société.
Cette contagion du déni autour d’un sujet aussi grave est préoccupante.
L’égalité de droit inscrite dans notre code civil, pour tout citoyen, de pouvoir contracter une union avec une personne de sexe différent en vue de procréer et de fonder une famille, pour vous, ça n’existe pas !
Les déclarations d’Élisabeth Guigou en 1998 sur le besoin pour l’enfant d’« avoir, pendant sa croissance, un modèle de l’altérité sexuelle », pour vous, ça n’existe pas !
Le million, voire plus, de manifestants dans les rues de Paris, par deux fois, pour vous, ça n’existe pas !
Les 700 000 pétitions envoyées au Conseil économique, social et environnemental, pour vous, ça n’existe pas !
Mme Éliane Assassi. Et les millions de salariés qui défilent pour défendre les retraites, ça existe pour vous ?
M. Alain Gournac. L’invariant anthropologique millénaire du mariage homme-femme, pour vous, ça n’existe pas !
Quel entêtement à dénier la réalité !
Mais cela ne serait rien si vous ne vous apprêtiez, avec le Gouvernement, à instituer un mensonge d’État (Oh ! sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)…
M. Marc Daunis. Rien que ça !
M. Alain Gournac. … dont l’enfant sera la victime. Dans un couple homme-femme, l’enfant est le signe extérieur de l’intimité de ses parents et, en cas d’adoption, le signe extérieur crédible de cette intimité.
Or, dans le cas d’un couple de deux hommes ou de deux femmes, l’enfant ne peut être le signe de leur intimité. Aussi est-il voué à grandir et à évoluer, au moins une partie de son enfance, dans l’eau trouble d’un aquarium mensonger,… (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux de dire cela ! Réactionnaire !
M. Alain Gournac. Cela vous choque, mais c’est la vérité !
… et ce quelle que soit la disposition à la sincérité de deux pères ou de deux mères.
M. François Rebsamen. Hypocrisie !
M. Alain Gournac. Voyez-vous, madame la ministre, tant de désinvolture avec la vérité nous éloigne de la République.
Pour céder à un petit nombre d’homosexuels, qui ont décidé de prendre d’assaut le mariage au nom d’une égalité mal comprise et d’un contresens sur le mariage républicain, vous vous apprêtez à célébrer les noces de la République et du mensonge.
Après le choc qui frappe de plein fouet la crédibilité de la classe politique et qui vient d’assommer, hier, le pays (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.), je vous en prie, n’en rajoutez pas !
Croyez-vous que les Français ont besoin d’un choc d’« homosexualisation » du mariage et de manipulation de la filiation ?
Mme Éliane Assassi. Il faut prendre vos médicaments !
M. Alain Gournac. J’imagine que vous avez grande hâte que la page soit tournée. Eh bien, pas moi, madame la ministre, car le sujet est trop grave !
Aussi, je souhaite que deux ou trois millions de personnes…
M. Marc Daunis. Dix millions, tant que vous y êtes !
M. Alain Gournac. … défilent pacifiquement sur le pavé parisien la prochaine fois (C’est fini ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.), car il y a des moments où la conscience doit se mettre en travers de la politique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, mes chers collègues, le projet de loi instituant le mariage pour tous fait partie des textes dont le vote marque à jamais la vie d’un parlementaire.
Nous le pressentons toutes et tous : il s’inscrit dans le long cheminement, commencé à la Révolution française, vers l’accomplissement de notre devise républicaine. De manière plus sensible que sur bien d’autres votes, nous serons comptables devant les générations futures de la décision de notre assemblée.
Je suis de longue date favorable à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Mon engagement politique, mes convictions personnelles, ma vie, ma conscience citoyenne dictent ce choix que j’assume sans contrainte et avec une immense fierté. Il est juste et rassurant de constater que le débat public ait été aussi dense et que chaque point de vue, chaque opinion, chaque courant de pensée, qu’il soit politique, philosophique ou religieux, aient pu se faire entendre.
Ce débat était légitime, mais il revient désormais à nous et à nous seuls, représentants du peuple, de prendre notre décision et d’assumer notre responsabilité.
Il s’agit de liberté individuelle et collective, d’égalité de tous devant la loi, de fraternité dressée contre toute forme de discrimination. Demain, si nous le décidons, l’orientation sexuelle n’enfermera plus personne dans une forme anachronique de minorité civile.
Le désir de vie commune, le souci de transmission et de filiation ne sont pas réductibles à l’orientation sexuelle. Les modèles familiaux et la place de chacun dans la cellule familiale n’ont cessé d’évoluer au cours des temps et dans chaque culture.
La famille ne doit pas être un carcan, un espace de contrainte, dont la rigidité exclurait toute possibilité d’épanouissement. C’est en adaptant le mariage aux modes pluriels de vie commune que nous donnerons à chacun l’opportunité de s’épanouir dans sa vie privée et sociale.
Je ne mésestime pas le poids moral de la responsabilité que nous nous apprêtons à prendre. En l’espèce, toutefois, il ne s’agit pas de brider les droits d’une population en faveur d’une autre. L’homosexualité a trop longtemps été stigmatisée, punie, traquée, et judiciairement condamnée. Il est temps, aujourd’hui, d’accorder à celles et ceux qui s’y reconnaissent le droit à l’indifférence, dans le respect de nos lois républicaines. À mes yeux, cette réforme marque un progrès pour nos libertés : ouvrir de nouveaux droits se fait toujours au bénéfice de tous, sans retirer quoi que ce soit à quiconque.
Notre pacte social est fondé, depuis 1789, sur une idée simple et révolutionnaire : l’universalité des droits de l’homme et l’émancipation des citoyens. Nous sommes les héritiers de ce mouvement et nous en sommes aujourd’hui les garants.
Malgré les dénégations, les incantations et les fausses frayeurs de certains, le constat, lucide et dépassionné, s’impose : il n’existe aucune raison valable de ne pas ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe. Je ne ferai à personne, ici, de procès en homophobie : chacun, en l’espèce, doit faire son propre examen de conscience, mais il est bien clair que nombre de faux arguments qui ont été avancés jusqu’ici pour repousser cette réforme travestissaient mal cette angoisse primaire et taraudante de l’altérité.
Nous sommes tous pareils, et cependant tous différents : cette dialectique-là, qui irrigue aussi bien les sciences naturelles que les sciences sociales, n’est pas nouvelle.
Deux objections sont fréquemment avancées pour tenter d’enrayer cette dynamique de l’égalité : la possibilité, ouverte aujourd’hui, de contracter un PACS et la proposition de le faire évoluer en une union civile.
Je ne reviendrai pas sur le PACS, progrès décisif pour son époque, mais que la droite avait tant décrié.
M. François Rebsamen. Ah oui !
M. Roger Madec. L’union civile, objet juridique non identifié, avancée par le doyen Gélard, offrirait dans l’esprit de ses partisans l’avantage d’élargir les droits du PACS sans réinterroger les limites actuelles du mariage.
S’agirait-il de créer une forme de mariage au rabais pour les couples dont l’orientation sexuelle leur interdirait le droit commun ? S’agirait-il de créer une voie juridique de garage pour celles et ceux que la loi refuserait de reconnaître dans la plénitude de leur citoyenneté ?
Personne ne peut raisonnablement considérer que le mariage civil serait la condition de la filiation. Personne non plus ne peut prétendre que les référents parentaux, pour être légitimes et assurer le plein épanouissement de l’enfant, devraient être sexuellement différenciés. Si c’était le cas, comment comprendre que plus de la moitié des enfants naissent aujourd’hui hors mariage ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Roger Madec. Notre honneur de parlementaires n’est pas d’emprunter à telle ou telle tradition ou culture religieuse ses impératifs moraux pour en tirer une forme idéale d’organisation de la société. Notre honneur est d’abolir les formes d’exclusion et de faire progresser la société. Ce texte va dans ce sens.
M. le président. Concluez, mon cher collègue.
M. Roger Madec. Madame la garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, je suis très fier de soutenir ce projet de loi et je vous félicite de le défendre avec beaucoup de pugnacité, de courage et de dynamisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis plus de onze ans que je siège au sein de la Haute Assemblée, c’est la première fois que je vois un débat de société susciter autant de passion, autant de bruit et de tels mouvements de rue.
Mme Éliane Assassi. Et le CPE ? Et les retraites ?
M. Gérard Bailly. Par différents moyens, principalement en descendant dans la rue, des centaines de milliers de citoyens, voire plusieurs millions, ont exprimé leur désaccord avec le projet de loi sur le mariage pour tous et demandé qu’il soit soumis à référendum.
Le Gouvernement fait toujours la sourde oreille. Pourtant, le mécontentement est profond. Croyez-vous que c’est par plaisir que des centaines de milliers de personnes venues de toute la France ont quitté, au milieu de la nuit du samedi au dimanche, les Pyrénées, la Côte d’Azur, l’Alsace ou le Jura pour parcourir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres dans des bus ?
Mme Éliane Assassi. C’est terrible !
M. Gérard Bailly. Pourquoi l’ont-ils fait, si ce n’est par conviction profonde que ce projet de loi est mauvais ? Il est en effet très mauvais, principalement du fait des mesures qui toucheront demain l’adoption. Cette question est la seule que j’aborderai dans mon intervention.
Madame la ministre, sans vous faire de procès d’intention, je ne peux pas croire qu’en votre for intérieur, vous ne pensiez pas que, pour un enfant adopté, une maman et un papa, c’est mieux, et même indispensable.
Mme Éliane Assassi. Eh bien non !

M. Gérard Bailly. Vous êtes prise dans une spirale d’idéologie, qui vous éloigne du réalisme. Le premier mot que prononce tout enfant dès son plus jeune âge, n’est-ce pas « maman » ? De même, au moment d’un accident ou d’une mort subite, tout être humain appelle instinctivement sa maman. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Vous allez décider que des enfants n’auront pas de maman, ou tout au moins qu’ils ne la connaîtront pas : où est l’égalité dont vous avez tant parlé cet après-midi ?
C’est pourquoi nous n’acceptons pas le mariage pour tous, prélude à l’adoption par deux êtres du même sexe.
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
M. Gérard Bailly. Je sais que les médias, la presse, publient des témoignages forts pour soutenir ces procédés.
Mme Cécile Cukierman. Le dogmatisme, c’est vous !
M. Gérard Bailly. Vous le savez, madame la ministre, les demandes d’adoption sont beaucoup plus nombreuses que les enfants pouvant être adoptés : ces derniers sont actuellement moins de 2 000, même en tenant compte des enfants venant de pays lointains.
En 1996, en tant que président du conseil général du Jura, j’ai refusé l’agrément à deux femmes qui avaient fait une demande d’adoption, conformément à la décision de la commission d’agrément des familles d’adoption avec laquelle j’étais pleinement d’accord. Ces femmes ont porté l’affaire devant le tribunal administratif de Besançon, qui leur a donné raison. Ensuite, nous avons fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de Nancy, qui nous a donné raison. Le Conseil d’État a été saisi, et jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
Mesdames les ministres, l’adoption ne consiste pas, à mes yeux, à faire plaisir à un couple, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel. Elle consiste à donner à un enfant privé de parents et d’affection une mère et un père : un couple de personnes complémentaires, cadre qui lui permettra de s’épanouir dans la joie et dans l’amour. Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même rendu hommage à votre père et à votre mère qui vous ont élevé !
Le Gouvernement veut la parité entre les hommes et les femmes dans les conseils d’administration des entreprises, les conseils régionaux, les futurs conseils départementaux et les conseils municipaux. Puisqu’il l’impose lorsqu’il s’agit de décider de projets d’équipements sportifs et culturels ou de routes, pourquoi n’accepte-il pas que, pour entourer un enfant, il faille aussi un homme et une femme ? Où est la cohérence ?
M. Jean Bizet. Exactement !
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cela n’a rien à voir !
M. Gérard Bailly. Si j’ai refusé de donner cet agrément, c’est parce que je n’aurais jamais voulu que l’enfant adopté, garçon ou fille, vienne me voir à l’âge de dix ans pour me dire : « monsieur Bailly, c’est à cause de vous que, contrairement à la grande majorité de mes copains et copines d’école, je n’ai pas de papa ou de maman ! » (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
Sans doute, madame la ministre, vous n’avez pas la même conception que moi de l’enfant ; mais sachez que si ce projet de loi est voté, un enfant viendra peut-être vers vous dans quelques années et vous dira : « je n’ai pas eu de maman ou de papa car vous avez soutenu cette loi ». Malheureusement, il sera trop tard ; le mal sera fait.
Mes chers collègues, en particulier les trente-huit d’entre vous qui, en tant que président d’un conseil général, ont des décisions à prendre dans le domaine de l’adoption, réfléchissez au choix que vous allez faire et pensez à tous les enfants qui ne pourront pas dire un jour « mon papa » ou « ma maman ». Sachez que je ne serai pas de ceux qui voteront ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
Mme Éliane Assassi. Sortez les mouchoirs !
Mme Cécile Cukierman. Parlez d’amour !
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, au regard des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale et dans les médias, on pourrait s’étonner de me voir prendre la parole dans cette discussion, moi qui suis l’élu d’un département d’outre-mer où la tradition culturelle est très forte, très différente de celle de la métropole et où 95 % de la population est de confession musulmane.
J’ai pourtant d’excellentes raisons, républicaines, de penser que ce projet de loi, avec tous les enjeux qu’il soulève, représente une chance plus qu’une opportunité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour l’avocat que je suis, le fait que la France souhaite réparer une rupture d’égalité devant le droit en rejoignant les sept autres États de l’Union européenne qui ont ouvert cette voie est une raison suffisante d’agir en tant que législateur. Pour le représentant d’une île qui a tant marqué son attachement à notre pays, c’est une occasion supplémentaire de réaffirmer l’ancrage de ce territoire dans la République.
Je vais vous présenter les raisons qui, transcendant mes convictions religieuses, me poussent à voter ce projet de loi.
M. François Rebsamen. Bravo !
M. Thani Mohamed Soilihi. Auparavant, toutefois, permettez-moi de faire une remarque d’importance. J’ai été très étonné d’apprendre que des membres d’une association avaient prié devant l’Assemblée nationale et demandé à le faire aussi devant le Sénat, alors même que les prières de rue sont interdites, à juste titre, au nom de la laïcité ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Cette interdiction ne saurait s’appliquer aux seuls musulmans de notre pays, au nom du principe d’égalité ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Très juste ! Ce qui vaut pour les uns doit valoir aussi pour les autres.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cette parenthèse refermée, j’en viens aux raisons pour lesquelles je voterai ce projet de loi.
En premier lieu, les couples de même sexe sont aujourd’hui placés dans une situation d’inégalité inacceptable puisque, pour organiser une vie commune, ils n’ont pas d’alternative au PACS, convention qui ouvre des droits étroitement limités. Je vous rappelle que le PACS, qui a démontré son utilité, s’était heurté au moment de sa création à une vive opposition. Il est d’ailleurs amusant d’observer que ses opposants d’hier en sont devenus les ardents défenseurs !
M. François Rebsamen. Eh oui !
M. Thani Mohamed Soilihi. Le présent projet de loi a le mérite de mettre fin à ces situations d’inégalités et de discriminations indirectes en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe.
Il permet également d’offrir aux enfants élevés par un couple homosexuel un cadre familial plus sûr et plus protecteur juridiquement. Car ces enfants existent : selon les associations de parents homosexuels, 200 000 à 300 000 enfants seraient concernés. Nous ne pouvons pas les ignorer, sous prétexte qu’ils heurtent nos représentations morales ou religieuses.
Ensuite, il faut reconnaître que, dans nos îles, l’homosexualité est plus difficile à vivre qu’ailleurs : l’insularité peut y rendre le regard social plus pesant, plus réprobateur qu’en d’autres endroits. Si la diversité sociologique, géographique, culturelle et religieuse des outre-mer est une réalité, elle ne doit pas servir de prétexte pour se soustraire aux avancées sociales de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Bariza Khiari. Bravo !
M. Thani Mohamed Soilihi. Je crois vraiment que nous ne pouvons pas revendiquer l’appartenance à la République et réclamer l’application du droit commun, par exemple en matière de départementalisation, tout en faisant valoir des particularités locales lorsqu’un projet de loi nous contrarie.
Il ne peut y avoir de rupture du pacte républicain entre la France et les outre-mer, surtout quand il s’agit de libertés. Nous avons tant lutté pour elles et nous luttons encore, qu’il s’agisse de l’abolition de l’esclavage, de la départementalisation pour ce qui concerne mon île, ou de notre conquête de l’égalité des droits !
Pas plus que l’abandon légal de la polygamie à Mayotte, coutume interdite en 2005 quoiqu’elle fasse partie intégrante de notre culture, la possibilité donnée aux couples homosexuels de s’unir ne sonnera le glas de notre identité.
M. Marc Daunis. Bravo !
M. Thani Mohamed Soilihi. Enfin, je tiens à rappeler que ce projet de loi répond à un engagement de campagne clair du candidat François Hollande. (Murmures sur les travées de l’UMP.) Il est normal que, devenu Président de la République, il mette en œuvre sa politique au profit de tous les Français. C’est notamment la raison pour laquelle le Gouvernement, qui poursuit la consolidation du processus de départementalisation voulu par les Mahorais, a prévu à l’article 21 du projet de loi que les dispositions relatives aux prestations familiales seraient applicables à la situation de parents de même sexe.
En somme, je considère que ce projet de loi, défendu avec conviction et talent par une ministre elle-même ultramarine, est une formidable occasion de montrer que nous sommes capables d’aller vers l’intérêt général et le dépassement de nos intérêts individuels en portant, mieux encore que quiconque, les grandes avancées symboliques de notre République. C’est à ce prix que les sociétés évoluent et que les droits et les libertés progressent. Je voterai ce projet de loi, qui constitue pour nous tous un véritable progrès pour l’égalité des droits – ce n’est pas Mme Bariza Khiari qui me contredira ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –L’orateur est chaleureusement félicité par ses collègues.)
M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.
M. Claude Dilain. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il est tout à fait normal que ce projet de loi suscite des débats importants ; ils sont légitimes, nécessaires même, et l’opinion de chacun doit être respectée.
En revanche, j’ai du mal à accepter les pressions et les débordements, parfois violents, qui l’ont trop souvent marqué. Force est de constater que, dans des pays comparables au nôtre, le débat sur ce sujet de société s’est déroulé sereinement. Je regrette qu’à cet égard, la France ait été loin de montrer le bon exemple.
De quoi s’agit-il ? Pour moi, ce projet de loi s’inscrit simplement dans le triptyque de notre République : liberté, égalité, fraternité. Il vise simplement à donner administrativement la possibilité que tous les couples aient accès aux mêmes droits. Autrement dit, il autorise les couples homosexuels à être comme les autres couples, dans une société qui a la chance d’avoir un code civil laïc. Puisque nous avons beaucoup parlé de sémantique, je vous rappelle que la Constitution de 1791, à laquelle Mme la ministre a fait allusion, dispose dans son article 7 que « la loi ne considère le mariage que comme contrat civil ».
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Claude Dilain. L’homosexualité est enfin sortie du code pénal grâce à M. Robert Badinter, ministre de la justice à l’époque, que je remercie une fois de plus ; elle est sortie aussi des livres de médecine et de la liste officielle des maladies de l’Organisation mondiale de la santé. Dès lors qu’elle n’est plus ni un crime, ni un délit, ni une maladie, il est tout à fait logique, souhaitable et juste que le mariage des couples homosexuels entre dans le code civil. Il n’y a aucune raison de priver les homosexuels de droits du seul fait de leur orientation sexuelle !
En Espagne, le mariage pour les couples homosexuels existe depuis 2005. Selon M. Zapatero, ancien président du gouvernement, « la civilisation doit beaucoup à la France, patrie des droits de l’homme. Nous lui devons, en très grande partie, l’accélération de l’histoire en faveur des libertés et de l’égalité des êtres humains. La loi du mariage pour tous rendra justice à tous ceux qui ont été injustement traités par l’histoire. » Il ajoute : « Avec l’adoption de la loi du mariage pour tous, la République sera plus républicaine. »
Que dire également de ces élus américains du Parti républicain, qui ont envoyé, en tant qu’amicus curiae, un dossier à la Cour suprême, pour insister sur le fait que le parti de Lincoln doit s’associer au mariage civil, au risque de manquer encore une fois l’évolution de la société ? Selon eux, tous les Américains doivent être traités de la même façon, sans distinction de religion, de race ou d’orientation sexuelle. Comment pourrions-nous penser autrement, alors qu’une tradition d’égalité et de fraternité est encore plus ancrée dans notre pays !
Nous avons été submergés par les courriers, les courriels, les articles et les défilés. On nous dit qu’il suffirait d’augmenter les droits du PACS. Mais le PACS n’est pas le mariage ! On nous dit que l’enfant ne sera plus inscrit dans une parentalité traditionnelle et que cela bouleversera ses repères. Mais force est de constater, que cela nous plaise ou non, que les repères de la famille traditionnelle sont bouleversés depuis longtemps déjà.
Je ne pense pas que la famille traditionnelle soit ringarde, mais la contraception, le divorce et l’adoption ont depuis très longtemps fait évoluer le couple et la famille. Que dire des familles monoparentales, des familles recomposées, de la place des grands-parents, y compris devant les tribunaux ?
Oui, il faut permettre aux couples qui ont le courage de s’affirmer en tant que tels, qui veulent fonder une famille, d’avoir toute leur place au sein de notre société.
Sur la filiation, j’ai écouté avec intérêt les différents orateurs. N’étant pas juriste, j’ai beaucoup appris. Simplement et modestement, en tant que pédiatre, je ne privilégie pas la filiation biologique, qui n’est pas essentielle au bonheur des enfants.
Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Claude Dilain. De nombreux exemples le démontrent tous les jours, jusqu’à l’actualité récente, qui relatait l’histoire d’un échange d’enfants. Vous connaissez tous son épilogue.
Il est clair que, pour l’enfant, ses parents sont évidemment ceux qui l’aiment, ceux qui se réveillent la nuit quand il pleure. Qu’ils aient ou non des gènes en commun n’a pas d’importance. Peu importe la couleur de leur peau, leur religion et même leur genre.
Tous les adolescents, quelle que soit leur famille, fantasment sur leur filiation biologique. Ce sont leurs parents aimants qui les aident à dépasser cette crise.
Je vous remercie, mesdames les ministres, d’avoir eu l’intelligence et le courage de nous présenter cette loi, que je voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Philippe Bas. Vive la Manche ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, si une société n’est pas constituée par la somme des désirs des individus qui la composent, a contrario elle ne se construit pas à contresens de leurs désirs et dans la négation de leurs aspirations.
Une société ne peut perdurer si elle n’arrive pas à créer un projet de société capable d’évoluer et d’assurer la cohésion des individus la composant autour d’un sens commun.
Historiquement, le lien faisant sens fut la religion. Une puissance divine, avec ses codes de conduite, régissait et organisait notre société. Cet ordre fut bouleversé par une transformation majeure : le passage d’un pouvoir monarchique de droit divin à un pouvoir républicain, démocratique et laïque, prenant acte de ce qui rassemble les femmes et les hommes, à savoir leur humanité et leur individualité.
La notion de vivre ensemble doit perpétuellement être remise en question, pour continuer à faire sens, surtout dans le monde actuel, du fait des progrès de la connaissance, de la science, de la recherche et de la médecine.
Le débat relatif au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe est au cœur du vivre ensemble que nous avons inlassablement à construire. Soyons fiers de porter ce débat au sein de nos institutions, car il représente un enjeu fondamental d’intégration ! Arrêtons de stigmatiser certains de nos concitoyens. Accordons-leur enfin le droit d’accéder aux institutions de notre République et la reconnaissance de leur humanité et individualité.
Oui, mes chers collègues, l’homophobie existe dans notre pays ! C’est un devoir pour nous de la combattre. Nous ne pouvons admettre les violences et la haine engendrées par cette classification du genre humain. Les agressions physiques à l’encontre des personnes homosexuelles sont en augmentation de 22 % par rapport à l’année précédente. Les tentatives de suicide sont de 2 à 7 fois plus nombreuses pour les hommes homosexuels que pour les hétérosexuels. Concernant les femmes, le risque suicidaire est de 1,4 à 2,5 fois plus important pour les homosexuelles que pour les hétérosexuelles. Oui, l’homophobie tue ! L’impossibilité d’accéder à une vie normale reconnue et à la parentalité y est certainement pour beaucoup.
Des auditions auxquelles j’ai assisté préalablement à ce débat, je retiendrai deux témoignages qui me semblent très forts, même s’ils n’ont pas la même finalité que la mienne.
M. Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France, a déclaré : « Je n’ai pas voulu participer au débat public, et je n’ai pas souhaité que la communauté juive participe aux manifestations. La place des religions n’est pas dans la rue, d’autant que la communauté juive n’est pas menacée ni réduite à manifester pour se faire entendre. » Cette déclaration empreinte de grande sagesse est confortée par ses propos ultérieurs : « Au cœur de cette loi, il est question d’amour. […] L’amour est donc central et la protection du conjoint est fondamentale. » J’ajouterai la protection des enfants, essentielle dans ce texte, qu’ils soient adoptés ou conçus par une assistance médicale à la procréation. Là encore, pour ces enfants, il s’agit d’amour, ce projet de loi étant aussi et surtout un texte sur le droit de l’enfant. Adoptés, conçus par amour, ou par procréation médicale assistée, ils sont surtout désirés. Comme tous les autres dons de la vie, il faut les protéger et les aimer, en leur offrant les mêmes protections que celles dont bénéficient les autres enfants.
La deuxième audition qui m’a frappé est celle de M. Claude Baty, président de la Fédération protestante de France, qui a rappelé que, « depuis l’origine, les protestants ne considèrent pas que le mariage relève de l’ordre du salut. Le mariage n’est donc pas un acte religieux ; pour nous, il n’y a pas de mariage chrétien, mais des chrétiens qui se marient, ou pas. »
Le texte dont nous débattons, mes chers collègues, est une grande loi contre toutes les ségrégations, tous les rejets.
Pourquoi n’a-t-il fallu, en février dernier, qu’une journée à la Chambre des communes du Royaume-Uni pour adopter une telle disposition ? Pourquoi tant de déchaînements, de violences, d’incompréhensions dans notre pays ? Je laisse cette question à votre sagacité, mes chers collègues, mais il me semble que M. Gélard y a répondu tout à l’heure…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Godefroy. Personnellement, je m’inscris dans la lignée de celles et ceux qui ont défendu l’émancipation des peuples. Je m’inscris dans la lignée de ces femmes et de ces hommes qui se sont battus pour l’égalité des citoyens et contre les exclusions.
Avant de conclure, je tiens à faire un bref rappel. Dans le cadre du débat qui ne manquera pas d’intervenir, mesdames les ministres, lors de l’examen de la grande loi sur la famille que vous allez nous présenter, il sera bon de se souvenir que cette assemblée, le 7 février 2011, a voté à une très large majorité l’assistance médicale à la procréation pour tous les couples infertiles, qu’il s’agisse d’une infertilité médicale ou sociale. Je ne pense pas que le Sénat se soit trompé à cette époque.
Mme Annie David. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. Si l’on dit autant de mal, aujourd’hui, d’une telle mesure, c’est pour tenter de justifier un rejet du présent texte, lequel ne traite pourtant pas de l’assistance médicale à la procréation.
Pour ce qui me concerne, je voterai ce texte des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en tant que sénateur de la République française et parlementaire d’outre-mer, j’ai l’honneur à la fois redoutable et solennel d’apporter mon soutien à ce projet de loi, qui fait débat, particulièrement en outre-mer, où, bien plus qu’ici, perdure un certain conservatisme.
Ce sujet cristallise les émotions les plus intimes, les plus subjectives et donc, fatalement, les plus excessives. Il touche aux profondeurs de notre inconscient collectif et ébranle les racines mêmes de nos représentations multiséculaires du monde, de la famille et de la société.
Mais si je comprends les peurs, les réticences et la résistance au changement, je me dois aussi de prendre acte d’un débat fondamental pour les valeurs républicaines et de défendre ces valeurs.
Ce texte vise simplement à ce que la République reste plus cohérente avec elle-même sur trois principes fondamentaux : la liberté, l’égalité et la vérité, que je substitue au principe de fraternité, tant la conjonction des trois piliers de notre République ne saurait se révéler ou se comprendre qu’à la lumière du principe de vérité.
La liberté, c’est simplement celle de s’aimer et de s’unir entre deux personnes adultes et consentantes, dans les règles du droit positif. Le droit suit la réalité, mais ne la crée pas. Pour l’union de deux êtres, la portée du mariage dépasse celle du PACS, qui ne prévoit que l’assistance matérielle, alors que la relation entre les époux comprend respect, fidélité et secours. Accorder aux homosexuels la possibilité de se marier, c’est leur reconnaître l’engagement public de cette liberté, ce qui constitue une avancée démocratique.
Concernant l’égalité, les divisions et j’ose dire les « paradoxes » révèlent que, dans la société française, laïque, républicaine et fraternelle, il est encore bien long le chemin qui mène à l’altérité et à la reconnaissance d’autrui dans sa différence, et ce quelle que soit, finalement, cette différence.
Il est encore bien douloureux, pour certains, de passer d’une ouverture d’esprit « virtuelle », de bon aloi, à l’épreuve réelle de la confrontation, du respect, de l’acceptation dans la communauté humaine, tout simplement, de couples différents, de familles différentes, que nous croisons pourtant tous les jours au pied de notre immeuble, dans la rue, dans nos quartiers et dans nos villes, sans vouloir les voir...
Si je soutiens ce projet de loi, c’est parce qu’il brise le déni de réalité qui étouffe sous le carcan de la honte l’existence de ces familles homoparentales et de leurs enfants, en leur permettant, en fait, d’exister.
Alors même que les procédures actuelles d’adoption le permettent, mais au prix du secret, du mensonge et du déni de soi-même, ce projet de loi fait tout simplement acte de vérité.
Ceux qui brandissent comme une évidence désespérée que tout enfant a droit à un père et une mère profèrent une lapalissade et font semblant d’oublier que jamais la nature ne changera cette vérité biologique. La filiation, cependant, est affaire de choix et, dans toute l’histoire du monde, jamais un modèle familial n’a rendu un enfant heureux. C’est la famille réelle, concrète et vraie, formée d’adultes en harmonie, qui choisissent et soignent avec amour et respect les enfants qu’ils élèvent.
Que ceux qui prétendent opposer artificiellement le droit de l’enfant et le droit à l’enfant m’expliquent sur quels critères la société devrait valider, aujourd’hui, en l’état actuel de l’évolution des conditions de vie matérielles et morales des enfants, tel ou tel modèle de référence, parmi les familles monoparentales, les « familles alternées », les familles recomposées, toutes prétendument hétérosexuelles, ou les familles homoparentales, encore émergentes.
Les modèles familiaux sont aujourd’hui ébranlés, comme les religions l’ont été en leur temps, comme les idéologies le sont encore. Cela n’empêche ni la foi ni le militantisme. Cela n’empêche nullement les familles nucléaires hétérosexuelles traditionnelles de continuer d’exister. Qu’elles accordent simplement aux autres, différentes, le droit à cette différence, non pas le droit d’exister, car elles existent, mais le droit à la vérité de cette existence.
Il est temps que l’hypocrisie cesse, que le voile se lève, que le droit dise ce qui doit être, en raison non pas de ce qui fait peur, mais de ce qui s’impose comme un phénomène historique et social irréversible.
Ce qui fait sens aujourd’hui dans la société française, laïque et républicaine, c’est que tous les enfants soient reconnus égaux les uns aux autres dans leur droit à pouvoir, sans honte et sans peur, désigner leurs parents, les personnes qui les élèvent. Un droit à la vérité, un droit à la plus haute des valeurs universelles.
En conclusion, que ceux qui, soudainement, spéculent sur les outre-mer sachent que, s’agissant de ces valeurs de liberté et d’égalité, ces territoires ont historiquement une attitude revendicative, tout au moins de dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites sur le fond, synthétisant tous les enjeux du débat qui anime notre pays depuis plus d’un an.
Devant les Français, durant la campagne présidentielle, le candidat François Hollande a affirmé haut et fort son engagement 31 face à l’ancien Président de la République, qui expliquait son opposition à ce droit.
Ce sont 18 millions de nos concitoyens qui ont voté en faveur de François Hollande ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Bizet. Ils le regrettent !

M. David Assouline. Je rappelle ce chiffre, parce que j’en ai entendu d’autres au sujet du nombre de pétitionnaires, du nombre de manifestants, lesquels ont tout à fait raison d’utiliser tous les moyens qu’offre la démocratie – du moment que ces moyens demeurent pacifiques – pour faire entendre leur point de vue et pour essayer de convaincre.
Je rappelle ce chiffre, qui est celui du suffrage universel, par lequel se manifeste la volonté du peuple et sur lequel se fonde notre démocratie.
Depuis lors, nous n’avons pas été convaincus par vos arguments. En dépit des milliers d’heures de télévision et de radio, en dépit des milliers de pages publiées par la presse écrite, en dépit des cent heures de débat en séance plénière à l’Assemblée nationale, des dix heures de discussions, ici, en commission et des quarante heures d’auditions, j’entends encore certains dire que nous voudrions étouffer le débat.
Non, nous n’avons pas été convaincus, car rien ne justifie l’inégalité entre homosexuels et hétérosexuels, rien ne justifie de renoncer à instaurer le même droit au mariage civil ainsi que les mêmes protections pour les homosexuels et les enfants qu’ils élèvent et dont ils ont la charge.
M. Leleux, tout à l’heure, nous invitait à peser nos mots, à faire attention aux termes que nous employons. Je veux lui dire que, depuis quelque temps, les limites sont dépassées.
Devant le Sénat de la République laïque, a eu lieu ce soir une manifestation, ou plus exactement une prière de rue. L’Agence France-Presse relate les propos tenus par un homme portant une grande croix : « La France mérite châtiment si elle autorise le mariage des sodomites. » Voilà ce que disaient les opposants au texte devant le Sénat !
Certes, nos débats sont feutrés, mais ces propos sont une réalité. Alors, oui, il faut faire attention aux mots, monsieur Leleux !
L’hebdomadaire Valeurs Actuelles, quant à lui, rapporte les propos de l’ancien Président de la République : « Quand on pense que le sujet du moment, c’est la traçabilité du bifteck ! Tout le monde veut savoir s’il y a du cheval dans ce qu’on mange. Mais la traçabilité des enfants, qu’est-ce qu’on en fait ? C’est tout de même plus important. Avec leur “mariage pour tous”, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, bientôt, ils vont se mettre à quatre pour avoir un enfant. Et le petit, plus tard, quand il demandera qui sont ses parents ? On lui répondra : “Désolé, il n’y a pas de traçabilité”. »
Vous me permettrez également de citer les propos tenus en séance publique par un député UMP : comparant un homosexuel à un terroriste, il déclare que ce dernier « n’a jamais rencontré l’autorité paternelle, il n’a jamais eu à se confronter avec des limites et avec un cadre parental, il n’a jamais eu la possibilité de savoir ce qui est faisable ou non faisable, ce qui est bien ou mal ». Je vous épargnerai son nom.
Écoutez également ces propos tenus au sein d’une organisation qui appelle chaque fois à manifester contre le mariage pour tous, l’Union des organisations islamiques de France, l’UOIF, vous savez, celle qui invite des prédicateurs salafistes radicaux à ses réunions : « Qui pourra délégitimer la zoophilie, la polyandrie au nom du sacro-saint amour ? Ne sommes-nous pas en train de suivre une voie où le principe d’égalité ne serait plus défini par des limites et des normes communes, mais par des perceptions personnelles aussi égoïstes et affectives puissent-elles l’être ? »
Et Mme Barjot, sympathique animatrice de ces manifestations,…
M. Jean-Michel Baylet. Non, elle n’est pas sympathique du tout !
M. David Assouline. … a répondu à une invitation de cette organisation en se rendant le week-end dernier à son congrès pour leur dire qu’elle et eux partageaient le même combat… Alors, oui, attention aux mots !
Je conclurai mon propos…
M. Philippe Bas. Concluez !
M. David Assouline. … en vous racontant une petite anecdote qui a son importance dans la vie d’un engagement.
À la suite de la dernière manifestation, j’ai participé à un débat avec M. Mariton. De retour chez moi, j’ouvre ma page Facebook et lis le post d’un militant opposé au mariage homosexuel – bien identifié, qu’il le sache ! – : « Crève ! »
Le lendemain, à mon bureau, je reçois un petit message qui dénote une autre conception de la vie et de la société : « Monsieur le sénateur David Assouline, c’est en tant que chrétienne profondément attachée à la laïcité et au mariage civil que je me permets de vous envoyer ce message. Je suis pour le mariage pour tous et, entre autres raisons, pour protéger les enfants de l’amour partagé au sein d’un couple de même sexe, les enfants nés homosexuels au sein d’un couple hétérosexuel homophobe. Le taux de suicide des adolescents issus de ces familles est dramatiquement élevé. Merci de votre soutien à cette loi pour le mariage pour tous, tenez bon. Une citoyenne en âge d’être grand-mère. » (M. Alain Gournac rit.)
À cette dame, je réponds que nous ne lâcherons pas, parce que ces valeurs-là, cette générosité-là nous donnent une énergie énorme pour continuer à progresser dans la voie de l’égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Des questions importantes qui méritent réflexion ont été soulevées sur toutes les travées de cet hémicycle. Je ne m’attarderai pas sur certains propos assez caricaturaux qui ont été tenus : ils ne contribuent en rien à faire progresser l’ensemble de la société.
Je voudrais tout d’abord saluer les propos de Mme Jouanno, non pas tant parce qu’elle n’appartient pas à la majorité présidentielle, que parce qu’elle a insisté sur deux points qui me paraissent importants.
C’est vrai, l’État n’a pas à définir ou à juger les contours de la famille. Son rôle n’est pas de dire s’il est mieux d’appartenir à une famille traditionnelle, à une famille recomposée, à une famille monoparentale ou à une famille homoparentale.
En revanche, à partir du moment où certains de nos concitoyens ont fait des choix différents, l’État, parce que c’est l’honneur de notre démocratie et de notre République, doit - c’est une exigence ! – leur assurer les mêmes droits et leur imposer les mêmes devoirs.
Mme Jouanno a formulé une seconde remarque, très importante : l’homosexualité n’est pas un choix, on ne choisit pas d’être hétérosexuel ou d’être homosexuel. Peu l’ont dit, tant à l’Assemblée nationale qu’ici, au Sénat.
Lorsque j’entends l’expression « préférence sexuelle », je m’interroge : aurait-on l’idée de l’employer à l’égard d’hétérosexuels ? Pourquoi parle-t-on de « préférence sexuelle » pour les homosexuels ?
Après avoir entendu certains propos, j’ai l’impression qu’on tolère aujourd’hui les homosexuels – à cet égard, depuis l’adoption du PACS, la situation a progressé –, mais cela ne suffit pas : il faut les reconnaître comme des citoyens à part entière. Si on les reconnaît comme tels, alors ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
La question n’est pas de reconnaître spécifiquement aux homosexuels le droit de se marier, mais, à partir du moment où l’on considère qu’ils sont des citoyens à part entière, alors ils doivent pouvoir faire les mêmes choix que les hétérosexuels : opter soit pour le concubinage, soit pour le PACS, soit pour le mariage. Aujourd’hui, les homosexuels peuvent choisir le concubinage ou le PACS, mais ils ne peuvent se marier. Et ce n’est pas une ode au mariage que nous faisons, car telle n’est pas notre vocation.
Des questions ont été posées – elles le seront très certainement de nouveau dans les prochains jours – sur le droit de l’enfant, le droit à l’enfant.
Jamais une notion qui, peut-être, pourrait mettre tout le monde d’accord n’a été évoquée : le désir d’enfant. Celui-ci n’a rien à voir avec la sexualité des parents. J’ai bien entendu la définition qui a été donnée de l’adoption, en particulier de l’adoption internationale : c’est non pas la satisfaction d’un droit à l’enfant des parents adoptifs, mais la possibilité d’offrir une famille à un enfant qui n’en a pas.
Très bien, mais, au fond, croyez-vous véritablement que les couples hétérosexuels qui, en raison de la stérilité de l’un des deux conjoints, ne peuvent pas avoir un enfant s’inscrivent uniquement dans une démarche visant à offrir une famille à un enfant qui n’en a pas ? Pourquoi ne pas reconnaître que le désir d’enfant existe dans les couples hétérosexuels et que, à ce titre, il est tout à fait aussi légitime que le même désir puisse se faire jour dans les couples homosexuels ?
J’entends dire qu’il faut un papa et une maman. Nous pouvons être d’accord sur un point : un enfant sera toujours le produit d’un homme et d’une femme. (Tout de même ! sur les travées de l’UMP.)
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, Vous pourriez admettre que, pas plus que les homosexuels, nous ne sommes suffisamment sots pour raconter qu’un enfant quel qu’il soit puisse naître de deux personnes du même sexe ! (M. Charles Revet s’exclame.)
Je dis cela pour tenter de répondre à cette question : le fait biologique suffit-il à faire d’un homme un père et d’une femme une mère ?
M. Charles Revet. Ca y contribue !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Soit vous considérez que l’instinct maternel et l’instinct paternel sont d’emblée acquis, soit vous estimez qu’une femme qui accouche ne devient pas brusquement mère et qu’un père qui reçoit ce nouveau-né ne devient pas subitement père, même dans les couples hétérosexuels.
Vous qui êtes tant attachés à l’intérêt supérieur des enfants, interrogez-en et vous verrez le regard qu’ils portent sur leurs parents. Quelquefois, justement, dans les couples hétérosexuels, ils auraient aimé avoir un père qui soit non pas simplement un géniteur, mais un père, et une mère qui soit non pas simplement une génitrice, mais une mère.
Vous le voyez, cette question dépasse la sexualité des parents. Fondamentalement, vous avez raison de le souligner, il importe de savoir s’il ne faut pas reconnaître à l’enfant le droit de connaître son histoire originelle. La future loi sur la famille sera l’occasion d’en débattre. Mais, là encore, cette question a-t-elle un rapport avec la sexualité des parents ? Pendant des années, on n’a jamais dit la vérité aux enfants qui avaient été adoptés par des couples hétérosexuels. Par la suite, la psychologie et la psychanalyse ayant évolué, on a jugé qu’il fallait leur dire très tôt cette vérité.
Aujourd’hui, adopte-t-on le même comportement vis-à-vis des enfants nés de procréation médicalement assistée ? Cela dépend des parents, cela dépend des familles dans lesquelles ils se trouvent. De fait, la question est bien de savoir s’il est envisageable d’accorder à l’enfant le droit de connaître son histoire originelle, mais, je le répète, cela n’a rien à voir avec le fait d’avoir des parents hétérosexuels ou des parents homosexuels.
L’union civile que vous souhaitez ressemble fort à un sous-mariage, avec une sous-adoption. Or – je serai très claire – parler de sous-mariage et de sous-adoption, c’est considérer une partie de nos citoyens comme des sous-citoyens, ce qu’ils ne sont nullement !
Mme Catherine Troendle. Nous n’avons jamais dit cela !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Monsieur Gournac, vous avez touché mon cœur d’historienne en faisant référence à Georges Duby, que vous avez associé dans un même élan à Maurice Godelier.
Toutefois, quand on fait appel aux historiens, aux sociologues, aux anthropologues ou aux écrivains, il faut les citer de façon juste et intégrale. Monsieur le sénateur, lorsque l’on a demandé à Maurice Godelier ce qu’il pensait de la notion d’« aberration anthropologique » mise en avant par les opposants au projet de loi sur le mariage aux couples de personnes de même sexe, sa réponse fut la suivante :
« Cela n’a aucun sens. Dans l’évolution des systèmes de parenté, il existe des transformations, mais pas des aberrations. Certes, on ne trouve pas dans l’histoire d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. »
Mme Catherine Troendle. Eh oui !
Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Attendez la suite, madame la sénatrice. « On comprend pourquoi, poursuivait-il : pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire, mais souvent l’homosexualité au sein des sociétés a été reconnue dans la formation de l’individu, en Grèce antique, par exemple. J’ai vécu sept dans une tribu de Nouvelle-Guinée, les Baruyas, où pour être homme il fallait être initié et les initiés vivaient en couple homosexuel jusqu’à vingt ans. L’homosexualité avait un sens politique et religieux. L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance ».
Ce ne sont pas tout à fait les propos que vous avez cités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On aurait pu parler de Platon ou d’Aristote.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je tiens tout d’abord à remercier tous les orateurs de la qualité de leurs interventions. Qu’ils me pardonnent, à cette heure tardive, de ne pas prolonger le débat, donc de ne pas leur répondre individuellement. En fait, j’adhère à nombre des arguments, étayés d’exemples, qu’ils ont présentés à la tribune, avec brio, avec une force réelle et une conviction affleurante.
Les sénateurs, je le sais, sont des personnes raisonnables. Ils savent qu’il ne faut pas folâtrer trop tard au Sénat si l’on veut être en forme le lendemain matin. (Sourires.)
M. Philippe Bas. Nous n’avons pas l’impression de folâtrer, madame la garde des sceaux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qui plus est en pleine lumière et en public ! (Nouveaux sourires.) Mais j’espère ne pas vous avoir blessé, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette observation qui se voulait plus amicale qu’ironique. Si tel est le cas, je la retire bien volontiers.
M. Bruno Retailleau. Ce n’était pas blessant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Jouanno, je tiens à saluer votre courage, votre constance et la clarté de vos propos. Toutefois, vous ne pouvez imputer au Gouvernement la responsabilité du comportement des manifestants.
Que les convictions de certains de nos concitoyens soient heurtées par l’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels, cela peut se comprendre. Voilà plusieurs mois que nous le disons : nous savons que, de par leur représentation et leur vision du mariage, certaines personnes ont des difficultés à concevoir que nous puissions ouvrir le mariage civil, avec ce qu’il implique en termes de droits et de libertés, aux couples homosexuels.
Pour autant, le Gouvernement ne peut pas porter la responsabilité d’une opération qui devient manifestement toujours plus politique et qui est prise en charge, de plus en plus, par la parole politique, je devrais même dire partisane.
M. Jean-Michel Baylet. Religieuse !
M. François Rebsamen. Oui, religieuse !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En fait, cette opération est instrumentalisée – c’est incontestable – et sous-tendue par des objectifs qui vont bien au-delà de la contestation du présent projet de loi. Le Gouvernement n’a pas sa part de responsabilité dans ce qui est en train de se passer. Que ceux qui en sont responsables l’assument pleinement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
Nous vivons dans une société qui aime le débat, la controverse, et qui accepte la dispute. Sur un sujet d’une telle importance, nous concevons qu’il y ait débat, désaccords et controverses. Néanmoins, ce qui se passe ne nous concerne pas. Nous n’y avons aucune part. Vous le savez mieux que personne, madame Jouanno. Vous n’y avez d’ailleurs vous-même aucune part, même si vous en êtes considérée également comme partiellement responsable, certains ayant même osé s’attaquer à vous, de façon tout à fait publique et aux yeux de tous.
M. François Rebsamen. C’est scandaleux !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous n’avons absolument rien de commun avec des gens aussi manifestement intolérants.
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je le répète, je ne veux pas prolonger notre débat au-delà du raisonnable. Monsieur Gélard, je présume que les arguments que vous avez développés à la tribune constitueront le corps même de l’exception d’irrecevabilité que vous défendrez. Je prendrai alors le temps de répondre à tous vos arguments. Vous aurez toutefois compris que le Gouvernement ne retient pas l’offre d’union civile qui a d’ailleurs déjà été présentée à l’Assemblée nationale.
Non merci, monsieur Zocchetto, nous ne voulons pas de l’union civile ! Nous voulons le mariage, tout à la fois contrat et institution, qui entraîne des effets d’ordre public. Ce que nous faisons va bien au-delà de quelques intérêts matériels – je pense à la pension de réversion –, même si ceux-ci peuvent être significatifs, notamment pour le conjoint survivant.
Telle n’est pas notre préoccupation. Notre préoccupation, c’est d’instaurer le mariage pour tous. C’est une institution, avec toute son histoire, ses règles, ses conditions, ses obligations, ses sécurités, ses protections et y compris sa charge symbolique que nous voulons ouvrir aux couples homosexuels. C’est en toute lucidité que nous décidons que cette institution républicaine doit être ouverte aux couples de même sexe.
J’ai entendu un orateur affirmer que le mariage religieux était millénaire. Non ! Il a été instauré en 1215, par le concile de Latran.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qu’il y ait encore une vision sacrée ou sacralisée du mariage, nous l’entendons. Et c’est bien dans ce sillage, à la limite d’une vision sacrée, sacralisée, que nous estimons que l’institution du mariage doit être ouverte aux couples homosexuels. Ces derniers ne sont pas composés de citoyens à part entière et nous ne leur proposerons pas une institution de seconde classe.
En outre, l’ouverture de l’institution du mariage en tant que telle aux couples homosexuels représente un enjeu considérable. En effet, parmi les moyens les plus sûrs, les plus efficaces et les plus durables de lutter contre l’homophobie – et je n’accuse personne ici d’homophobie, je parle d’une façon générale – figure l’accès des homosexuels à toutes les institutions, à tous les droits.
Par conséquent, il n’est pas question de leur proposer une institution à leur mesure. Il s’agit de leur ouvrir l’institution républicaine, avec tout ce qu’elle charrie, y compris éventuellement de sacré. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Yves Daudigny. C’est brillant !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Revet, vous souhaitez savoir où nous allons. C’est très simple, dans la mesure où, ici, nous créons du droit, où nous faisons la loi, nous voulons aller là où le précise le texte de loi ! (Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
On peut toujours faire des extrapolations, des supputations, des hypothèses, mais lorsque le texte aura été voté, si vous en décidez ainsi, les citoyens iront jusqu’où le permet le texte. Il n’y a pas de mystère, ne vous inquiétez pas.
Monsieur Milon, je veux juste vous saluer ! (Sourires.) Vous affirmez que le titre du projet de loi est incomplet, puisqu’il mentionne seulement le mariage alors que le texte envisage aussi l’adoption.
Vous avez à la fois raison et tort : vous avez parfaitement raison, car le titre du projet de loi évoque effectivement le mariage, mais vous avez tort – je ne veux pas, après vous avoir salué, être désagréable par un mot déplaisant –, car dans notre droit, vous le savez bien, le mariage emporte l’adoption, aux termes de l’article 343 de notre code civil.
M. Charles Revet. Et au-delà, avec les conséquences !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certes, mais l’article 343 lui-même énonce le droit à l’adoption une fois le mariage prononcé. Voilà l’état de notre code civil.
Si l’on refusait toutes les conséquences de l’application de l’article 343 du code civil et que l’on dissociait le mariage et l’adoption plénière, il faudrait instituer un mariage spécifique pour les couples homosexuels. Toutefois, comme je viens de l’indiquer très clairement, cela n’entre aucunement dans les intentions du Gouvernement. Il n’est pas question de vous être désagréable, mais il convient d’accomplir un acte positif envers ces citoyens à part entière.
« Ces incertitudes doivent-elles nous empêcher d’avancer ? », avez-vous dit. J’ai trouvé cette phrase magnifique !
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous devons avancer !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Toutefois, je m’arrête là sur ce sujet. De même, je répondrai à M. Mercier en sa présence.
Pour conclure, je souhaiterais formuler deux observations.
En écoutant certains propos, j’ai entendu des plaisanteries véritablement malvenues. Néanmoins, le débat étant globalement de haute tenue, je ne m’y appesantirai pas. Je pensais simplement, en entendant ces quelques railleries déplacées, à ce que disait René Char : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. » Il y a des mots qui excluent ! C’est le cas lorsque l’on affirme que le mariage implique la filiation et la procréation, alors que cela ne correspond plus non seulement à ce que sont devenus le couple et la famille, mais aussi à la situation de millions de personnes qui se marient sans vouloir faire d’enfants ou après l’âge de la fécondité.
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je vous le dis posément, cette façon d’exclure les personnes qui n’entrent pas dans le cadre que vous projetez est extrêmement violente. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Je vous demande simplement d’être vigilants sur ce point. Certaines choses sont profondément en nous, mais la puissance de l’individu majeur et responsable est de réfléchir et d’interroger, lui aussi, ses préjugés, ses clichés, sa propre pensée, afin de vérifier s’ils ne se sont pas arrêtés à un état de la société qui ne correspond plus à la réalité. Il faut toujours garder à l’esprit que des propos paraissant anodins concernent tout de même des personnes réelles.
Ainsi, vous parlez des droits à l’enfant et d’intérêt supérieur de l’enfant. Sachez que des dizaines de milliers d’enfants – voire des centaines de milliers, selon certains – sont concernés par ces paroles inutilement blessantes.
Je souhaiterais, pour terminer, vous remercier de nouveau de la qualité de ce débat, qui ne m’a pas déçue, y compris dans la confrontation et dans nos divergences clairement assumées, car je connais cette maison de longue date et je sais le travail de fond qui y est produit.
Nous aurons évidemment droit à quelques querelles, mais si tel n’était pas le cas, à quoi ressemblerait le débat parlementaire ? J’irai même jusqu’à dire que ces divergences, si je ne les sollicite pas, sont bienvenues.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie par avance de ces quelques jours que nous allons passer ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

11
ORDRE DU JOUR

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 5 avril 2013, à dix heures, à quatorze heures trente et le soir :
1. Examen de la motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 482, 2012-2013).
2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 437, tomes I et II, 2012 2013) ;
Texte de la commission (n° 438, 2012-2013) ;
Avis de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 435, 2012-2013).
La séance est levée.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 5 avril 2013, à zéro heure quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART

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