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Les débats au Sénat

  • Séance du 4 avril 2013

    15 janvier 2018

    OUVERTURE DU MARIAGE AUX COUPLES DE PERSONNES DE MÊME SEXE

    Discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
    M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe socialiste, la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (projet n° 349, texte de la commission n° 438, rapport n° 437, avis n° 435).
    Rappel au règlement

    Discussion générale
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Discussion générale (début)
    M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour un rappel au règlement.
    M. François Zocchetto. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur l’article 29 bis de notre règlement.
    En cet instant où le Sénat s’apprête à examiner le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, chacun mesure bien l’importance des questions soulevées par ce texte.
    Chacun mesure également que nos débats intéressent l’ensemble des Français, qui y seront particulièrement attentifs, comme ils le seront aux différents votes que le Sénat exprimera dans les jours à venir, ainsi qu’aux conditions d’examen de cette réforme.
    Au vu de ces éléments, je demande, au nom du groupe UDI-UC, que le scrutin sur l’ensemble du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ait lieu selon les modalités prévues à l’article 60 bis de notre règlement, qui régit les scrutins publics à la tribune.
    Nous aurions ainsi sur ce projet de loi un vote solennel, qui pourrait avoir lieu le premier mardi suivant la fin de l’examen des articles du texte, en l’occurrence le mardi 16 avril prochain, l’après-midi.
    Je rappelle que cette modalité est parfaitement courante à l’Assemblée nationale ; elle n’a pas pour but, bien sûr, de désorganiser nos travaux, mais simplement d’assurer un minimum de solennité sur un sujet qui le mérite.
    Pour ce faire, monsieur le président, je demande également que la conférence des présidents soit réunie dès que possible afin de pouvoir opérer cette modification de notre ordre du jour, s’agissant notamment du mardi 16 avril après-midi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. Je vous donne acte de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
    Puisque vous faites référence à notre règlement, vous ne pouvez ignorer que, selon le premier alinéa de l’article 60 bis, « il est procédé au scrutin public à la tribune lorsque la conférence des présidents a décidé que ce mode de scrutin serait applicable lors du vote sur l’ensemble d’un projet ou d’une proposition de loi ».
    Je constate que, lors de la réunion de la conférence des présidents du 20 mars, qui visait à organiser le calendrier d’examen de ce projet de loi, cette question n’a pas été soulevée. Néanmoins, je prends acte de votre souhait et je vais consulter les groupes afin de recueillir leur avis sur la demande que vous venez de formuler.
    Discussion générale

    Rappel au règlement
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Discussion générale (interruption de la discussion)
    M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme la garde des sceaux. (Applaudissements prolongés sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    M. Éric Doligé. Il faut l’encourager ; elle en a besoin...
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, ma collègue Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, et moi-même avons l’honneur de présenter au Sénat ce projet de loi, adopté largement à l’Assemblée nationale par 329 voix pour et 229 contre, qui ouvre le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Ce sont, à titre principal, des dispositions du code civil relatives au mariage et à l’adoption qui ont été modifiées, ainsi que des dispositions portant sur le nom de famille qui ont dû être adaptées.
    L’article 1er, qui est le plus important, ouvre donc le mariage aux couples de personnes de même sexe. Il rétablit dans le code civil un article 143 disposant que le mariage peut être contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe.
    Ce texte affiche donc très clairement l’ambition d’atteindre à l’égalité dans le choix des formes de vie commune et de composition de la famille.
    Ce texte ouvre en effet aux couples de personnes du même sexe la liberté de choisir une troisième forme d’organisation de la vie commune. Ces couples ont en effet déjà accès au concubinage, qui est une union de fait, ainsi qu’au pacte civil de solidarité, mais n’avaient pas accès, jusqu’à ce jour, au mariage, qui est à la fois un contrat et une institution, et qui produit des effets d’ordre public.
    Ces dispositions n’altèrent évidemment en rien les droits des couples hétérosexuels et des familles hétéroparentales. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Roland du Luart. Il ne manquerait plus que cela !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Au contraire ! Du débat est en effet ressortie la possibilité d’une évolution du droit de la famille, notamment en ce qui concerne le statut du parent social. Mais ce texte contient d’ores et déjà des dispositions favorables aux couples hétérosexuels et aux familles hétéroparentales.
    Ce texte ne fragilise pas l’institution de la famille ; au contraire, il la renforce. (Vives exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Michel Baylet. C’est vrai !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il ne met pas en péril les enfants. Au contraire, il les sécurise.
    Des dizaines de milliers d’enfants, voire, dit-on, des centaines de milliers peuvent être concernés.
    Mme Catherine Troendle. Des centaines de milliers ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certains considèrent que ce texte permet à la France d’honorer ses engagements internationaux et qu’il la conforte dans sa lutte contre les discriminations et son combat pour l’égalité politique.
    M. Éric Doligé. Il y a mieux à faire !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. De fait, nous ne sommes pas seuls.
    Après avoir été pionnière, en 1999, avec l’adoption du pacte civil de solidarité, la France a en effet un peu marqué le pas, tandis que d’autres pays européens – les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, la Suède, l’Espagne, le Portugal et bientôt, définitivement, la Grande-Bretagne – légalisaient le mariage entre personnes du même sexe. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Catherine Troendle. Six sur vingt-sept !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Durant la même décennie, le Canada, y compris la Belle Province du Québec, dix États des États-Unis, la ville de Mexico, avec effet sur l’ensemble du territoire mexicain, ainsi que la République d’Afrique du Sud, procédaient de même et légalisaient le mariage entre personnes du même sexe.
    Mme Catherine Troendle. Mais pas la filiation !
    M. Alain Gournac. Non, en effet !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce n’est pourtant pas dans le but d’entrer dans un club hypothétique de pays audacieux,...
    M. Bruno Sido. Un club très fermé... (Sourires sur les travées de l’UMP.)
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.... dont les législations ont d’ailleurs des effets divers, que nous vous présentons ce projet de loi.
    Non, c’est au regard de l’histoire de la République française et de ses valeurs de liberté et d’égalité, au regard de son évolution propre, de l’empreinte laissée sur ses institutions par les débats, les combats, les progrès juridiques et sociétaux, que nous vous soumettons ce projet de loi.
    M’étant exprimée à ce propos à l’Assemblée nationale, c’est à grands traits que je vais tracer les principales étapes qui ont consolidé l’institution du mariage.
    C’est en 1791, à la suite de la réclamation d’un comédien, dont la profession était exclue du mariage religieux, le seul alors en vigueur, que le constituant de 1791 a instauré le mariage civil.
    Quatre ans auparavant, en 1787, le pluralisme religieux avait été reconnu et le mariage des juifs et des protestants – les enfants étaient auparavant considérés comme bâtards - était autorisé, en tout cas pour ceux qui étaient restés en France, puisqu’il semble, selon les sources, que plus de 300 000 d’entre eux avaient quitté le pays.
    En instaurant le mariage civil, en confiant à l’officier d’état civil l’enregistrement des actes, en imposant le consentement – l’article 146 du code civil, inchangé depuis 1804, dispose qu’il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement –, en autorisant le divorce, légalisé en 1792, puis supprimé en 1816, avant d’être rétabli par la loi Naquet, du 27 juillet 1884 dans la grande foulée de ces lois de liberté – loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, loi sur la liberté syndicale, loi sur la liberté d’association – qui culmineront avec cette grande loi de liberté laïque affranchissant l’État des églises, en levant toute restriction à l’accès au mariage, le constituant et le législateur ont bien inscrit cette institution dans le processus de conquête des libertés individuelles. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Avec le temps, le législateur l’a ensuite ancrée dans le principe d’égalité.
    Lorsqu’il abroge, en 1938, l’obéissance due par l’épouse à son mari, inscrite à l’article 213 du code civil,...
    Mme Catherine Troendle. C’est bien !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... et lorsqu’il cesse, entre 1970 et 1975, de faire référence au chef de famille pour reconnaître la communauté de vie et l’égalité des droits et des devoirs, il avance vers l’égalité. Il en va de même, également, avec la loi rétablissant le divorce par consentement mutuel, qui existait déjà en 1792.
    Le législateur pose aussi un acte de fraternité lorsqu’il décide de supprimer, par la loi du 3 janvier 1972, toute distinction entre les enfants légitimes et les enfants dits « naturels ».
    Il fait de même lorsqu’il abroge entre 2000 et 2005, sous pression européenne, d’ailleurs, les discriminations qui continuent à frapper les enfants adultérins, avant d’éliminer du code civil les notions mêmes d’enfant légitime et d’enfant adultérin.
    Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, le mariage est donc un acte de liberté, la liberté de se choisir, la liberté de vivre ensemble,...
    M. Alain Gournac. Pour un homme et une femme !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... la liberté de divorcer, la liberté aussi de ne pas se marier puisque, aujourd’hui, un enfant sur deux naît hors mariage.
    Mais en ouvrant cette liberté aux couples de personnes de même sexe, nous faisons du mariage un acte d’égalité : l’égalité des droits pour tous les couples et pour toutes les familles ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. –Protestations et huées sur les travées de l’UMP.)
    Et, en ouvrant cette institution éminemment républicaine à tous les couples, hétérosexuels et homosexuels, et ce sans aucun préjudice pour l’institution du mariage, c’est bien un acte de fraternité que nous posons aussi. Le mariage est en effet ouvert à droit constant : ses dispositions sociales demeurent – l’assistance, le secours, le respect –, tout comme ses obligations et ses effets d’ordre public – les conditions d’âge et de consentement –, sa prohibition de l’inceste et de la polygamie ainsi que les protections juridiques et les sécurités.
    En d’autres termes, cette institution du mariage, qui était une institution de propriété au temps où l’on alliait surtout les patrimoines, une institution de domination au temps où la loi ordonnait l’obéissance à l’épouse, une institution de possession du mari sur la femme et sur les enfants,...
    M. Bruno Sido. C’était le bon temps !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … une institution d’exclusion sur la base de la religion, de la profession et de la non-croyance, cette institution, disais-je, est en train de devenir universelle, en ce qu’elle cesse de témoigner d’un ordre social où la puissance publique établirait une hiérarchie dans la sexualité,…
    M. Charles Revet. C’est une interprétation…
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … alors que nous avons supprimé de notre droit toute pénalisation de l’homosexualité et toute discrimination à l’encontre des personnes homosexuelles. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Que contient ce texte ?
    D’abord, ce texte ouvre le mariage et l’adoption aux couples homosexuels, et ce à droit constant, c’est-à-dire dans les mêmes conditions, avec les mêmes obligations, les mêmes protections et les mêmes sécurités. C’est donc bien un accueil dans la maison commune !
    M. Jean Bizet. Les mêmes droits !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, les mêmes droits et les mêmes devoirs !
    Ensuite, ce texte rappelle le rôle du procureur de la République auprès des officiers d’état civil. Il réaffirme que le mariage est une cérémonie républicaine et publique. Il élargit les possibilités de lieux de célébration, élargissement qui profite également aux couples hétérosexuels. Il permet aux couples, qu’il s’agisse de deux Français ou de deux Françaises, d’un Français et d’un étranger ou d’une Française et d’une étrangère, résidant dans un pays qui ne reconnaît pas le mariage des couples de personnes de même sexe de pouvoir se marier en France dans des conditions de lieux qui sont encadrées par la loi.
    Ce texte définit également les conditions de l’adoption. Il est bon de rappeler que l’adoption s’effectuera dans les mêmes conditions,…
    M. Bruno Sido. C’est scandaleux !
    M. Ronan Dantec. C’est très bien !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … que les couples soient homosexuels ou hétérosexuels. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Elle se fera donc à droit constant, avec un agrément du conseil général délivré à la suite d’une enquête rigoureuse, que certains jugent d’ailleurs intrusive, et, surtout, à la suite de la décision d’un juge qui, considérant l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’article 353 du code civil, décidera ou non d’accorder l’adoption au couple demandeur.
    Ce texte apporte en outre de la sécurité pour les enfants.
    M. Bruno Sido. Vous ne pensez pas aux enfants !
    Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Vous y pensez peut-être, vous ?...
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pense ici à ces enfants qui sont élevés par deux parents, mais dont les liens affectifs et matériels ne sont reconnus que pour un seul parent : en cas de décès de ce parent, les enfants se retrouvent orphelins et ne peuvent pas continuer à vivre avec le second parent.
    Le texte protégera ces enfants…
    M. Bruno Sido. C’est faux !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … en leur apportant une sécurité juridique. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    M. Jean-Pierre Godefroy. Bravo !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce texte permet aussi l’adoption plénière de l’enfant du conjoint ou de la conjointe, y compris lorsque cet enfant a été adopté de façon plénière. Il permet l’adoption simple dans les mêmes conditions. La commission des lois du Sénat a souhaité restreindre cette possibilité et la réserver aux enfants qui ne disposent que d’une filiation biologique, afin de délimiter la pluriparentalité.
    Ce texte permet encore un exercice plus facile de l’autorité parentale, ce qui profitera également aux familles hétéroparentales.
    M. Bruno Sido. Il ne manquerait plus que ça !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans le cas où une séparation serait intervenue avant la promulgation du présent projet de loi, ce texte permet au juge de prononcer le maintien des liens de l’enfant avec le parent séparé qui n’en a pas la garde, sur la base de l’intérêt supérieur de l’enfant.
    La commission des lois du Sénat a souhaité renforcer cette disposition en rendant obligatoire, à peine de nullité, l’information du tribunal sur l’existence d’un ancien parent social.
    Ce texte organise également la dévolution du nom patronymique. Dans le projet de loi initialement présenté à l’Assemblée nationale, le Gouvernement avait introduit, pour les seuls couples homosexuels, une disposition permettant, en cas de désaccord des parents, d’octroyer à l’enfant le nom de chacun des deux parents – en ne retenant qu’un seul nom par parent –, noms accolés dans l’ordre alphabétique.
    La commission des lois de l’Assemblée nationale a souhaité généraliser le dispositif et l’a donc étendu aux familles hétéroparentales.
    Lors du débat à l’Assemblée nationale, j’ai estimé, au nom du Gouvernement, qu’une partie des arguments présentés par l’opposition avaient toute leur pertinence. C’est pourquoi j’ai souhaité que, à l’occasion de la navette parlementaire, les idées mûrissant, le Sénat réfléchisse à la meilleure formule concernant l’attribution du nom patronymique.
    La commission des lois du Sénat a jugé préférable de maintenir le dispositif prévu par le Gouvernement pour les seuls couples homosexuels et les familles homoparentales. Pour les couples hétérosexuels et les familles hétéroparentales, elle a distingué entre le silence – les parents ne se prononçant pas sur l’octroi du nom, c’est le patronyme du père qui est attribué – et le désaccord entre les parents – l’enfant portera alors les deux noms, dans la limite d’un nom par parent, accolés dans l’ordre alphabétique.
    J’attire néanmoins l’attention sur le fait que la France a fait l’objet d’une interpellation des Nations unies à propos de la préséance systématique donnée au nom du père dans ces cas-là.
    Le présent texte organise bien entendu la coordination des dispositions induites par l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe.
    Le Gouvernement avait choisi pour ce faire un mode d’écriture correspondant à la règle légistique générale qui aboutissait, en dehors du titre VII du code civil – ce titre organise la filiation -, à la coordination des articles concernés dans le code civil et dans les autres codes, lois et ordonnances.
    La commission des lois de l’Assemblée nationale, suivie en cela par les députés, a choisi une autre forme d’écriture, en privilégiant une disposition interprétative, ce que l’on appelle trivialement « un article balai ». Introduite avant le titre Ier du code civil, cette disposition procédait donc à une interprétation de toutes les dispositions du code civil ; pour les autres codes, d’autres articles procédaient à la coordination.
    La commission des lois du Sénat a opté pour une troisième solution. Elle a choisi de poser un principe général selon lequel le mariage et l’adoption produisent des effets de droit identiques, que les parents soient de sexe différent ou de même sexe.
    M. Bruno Sido. C’est cela qui ne va pas !
    M. Gérard Longuet. Ce ne sont pas des parents !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette disposition sera évidemment adossée à une habilitation, prévue dans le texte, afin que le Gouvernement puisse par ordonnance procéder aux adaptations et coordinations nécessaires dans les six mois suivant la publication de la loi, tout cela dans le respect des dispositions de l’article 38 de la Constitution.
    Quelques dispositions diverses ont été introduites. Elles concernent la reconnaissance d’un mariage entre personnes de même sexe contracté à l’étranger légalement – c’est-à-dire dans un pays qui reconnaît le mariage entre personnes du même sexe – avec des effets immédiats pour le couple, et la transcription au registre d’état civil français de ce mariage avec effets à partir de la transcription vis-à-vis des enfants et vis-à-vis des tiers.
    Ces dispositions sont évidemment applicables sous réserve du respect des articles du code civil qui régissent le mariage et l’adoption ainsi que des articles qui régissent la transcription au registre d’état civil.
    J’en viens au périmètre du texte, pour préciser ce qui n’est pas contenu dans ce projet de loi.
    La commission des lois et la commission des affaires sociales du Sénat ont décidé d’un commun accord de maintenir le périmètre du texte présenté par le Gouvernement tel qu’il a été enrichi par l’Assemblée nationale. Le projet de loi traite donc du mariage et de l’adoption, sans compter les quelques dispositions connexes que je viens d’indiquer.
    En revanche, ce texte ne contient pas de dispositions relatives à l’assistance médicale à la procréation.
    M. André Reichardt. Pas encore !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout en considérant que le sujet est légitime, le chef du Gouvernement (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) a estimé qu’il devait faire l’objet d’un autre véhicule législatif ; ce texte de loi sera présenté par Dominique Bertinotti, ministre chargée de la famille, et elle l’évoquera dans un instant plus savamment que je ne saurais le faire. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
    Le Comité consultatif national d’éthique s’est autosaisi du sujet et remettra son rapport au cours du troisième trimestre de cette année. Le Premier ministre a choisi d’attendre d’avoir pris connaissance de cet avis pour que le texte porté par la ministre chargée de la famille en tire toutes les conséquences.
    Il faut rappeler que les dispositions relatives à l’assistance médicale à la procréation se trouvent, en l’état actuel de notre droit, dans le code de la santé publique, alors que le mariage et l’adoption relèvent du code civil, puisqu’ils concernent les libertés et l’état des personnes.
    L’assistance médicale à la procréation concerne les couples hétérosexuels stables, mariés ou non, et est accordée sur présentation d’une justification médicale. Les pays qui ont ouvert le mariage et l’adoption et qui ont aussi ouvert l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et, très souvent, aux femmes célibataires l’ont fait dans des textes différents, la plupart du temps des textes de bioéthique. Seuls les Pays-Bas l’ont inscrit dans un texte sur l’égalité de traitement.
    M. Bruno Sido. Et la GPA ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La gestation pour autrui n’entre pas non plus dans le périmètre du texte.
    Mme Catherine Troendle. Pour l’instant !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Président de la République ainsi que le Premier ministre…
    Mme Christiane Hummel. Mais qui est le Premier ministre ?... (Rires sur les travées de l’UMP.)
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … ont réaffirmé leur attachement au principe, d’ordre public (Exclamations sur les travées de l’UMP.),…
    M. Éric Doligé. S’ils l’ont dit, alors !
    Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Écoutez la réponse !
    M. Jean Bizet. Nous n’avons aucune confiance !
    M. Roland du Luart. Aucune !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … d’indisponibilité du corps humain. Je le fais à mon tour.
    Si la gestation pour autrui ne fait pas l’objet du présent débat, elle mérite néanmoins d’être signalée, peut-être en référence à certaine proposition de loi déposée au Sénat concernant la pratique de la GPA et dont les signataires siègent d’ailleurs de ce côté de l’hémicycle. (Mme la garde des sceaux désigne les travées de l’UMP. – Mme Catherine Procaccia s’exclame.)
    M. Éric Doligé. Allez expliquer la GPA au Maroc !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La commission des lois et la commission des affaires sociales du Sénat, qui se sont réunies concomitamment, ont enrichi le texte de façon significative. Je remercie en particulier le président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, et son rapporteur, Jean-Pierre Michel, la présidente de la commission des affaires sociales, Annie David, ainsi que la rapporteur, Michelle Meunier, du travail de très grande qualité qu’ils ont fourni les uns et les autres.
    Je souhaite revenir un instant sur les sécurités et les protections que ce projet de loi promet.
    Un sénateur du groupe UMP. S’il est voté !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les dispositions en faveur de la protection des conjoints sont évidentes : le régime social, le régime fiscal ainsi que les droits liés à la rupture et au décès seront assurés pour les couples qui ont décidé de s’inscrire dans un projet conjugal ou parental sur le temps long. En d’autres termes, ce qui est dû sera rendu et l’État y veillera par son administration ou par le juge.
    Nous ne disposons d’aucun élément ni scientifique, ni statistique, ni même empirique qui nous permette de penser que les couples homosexuels se montreraient plus raisonnables que les couples hétérosexuels en cas de rupture. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Il est assez peu probable qu’ils résistent plus que les autres à cette étrange fureur qui s’empare de ceux qui se sont passionnément aimés et qui, au moment de la rupture, deviennent d’inflexibles adversaires, quand ce ne sont pas d’intraitables ennemis.
    Il n’en sera pas toujours ainsi, mais quand cela sera, le juge devra pouvoir protéger le plus vulnérable des conjoints, sauvegarder les intérêts des enfants, organiser leurs relations avec le parent qui n’en a pas la garde, assurer le maintien des droits et le respect des devoirs, en reformulant peut-être, sans le dire, ce conseil de Paul Verlaine : « surtout, soyons-nous l’un à l’autre indulgents »…
    M. Bruno Sido. C’est Rimbaud qui a dit cela !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est bien au juge qu’il appartiendra de rappeler que les enfants, par le mariage, entrent dans la famille de chacun des conjoints, que le mariage n’est pas seulement une relation entre deux personnes et que la transmission entre générations se fait dans le cadre élargi des deux familles.
    Le regard social désapprobateur qui pèse parfois lourdement sur les enfants de ces familles, qui insinue l’existence d’une anormalité, d’une bizarrerie, peut bouleverser, perturber, troubler considérablement.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pis encore, des mots, des actes, des agressions peuvent avoir des effets potentiellement dévastateurs. Désormais, grâce à ce texte de loi, ces familles, ces enfants, ces adolescents ne seront plus seulement tolérés par la société, mais protégés par la loi ! (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Ce passage de la tolérance à l’égalité fera toute la différence !
    Je veux saluer les sénateurs des outre-mer, qui seront sans doute plus nombreux que les députés des outre-mer à voter ce projet de loi. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Racolage !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’étais pas habituée à entendre des propos grossiers dans cette assemblée. Je suis un peu surprise. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
    M. David Assouline. C’est M. Sido le responsable !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je veux saluer le courage des sénateurs des outre-mer qui, comme d’autres parlementaires de notre pays fidèles à leurs convictions et à leurs valeurs, choisissent en conscience ce qui est juste, même dans un contexte social et culturel difficile. Notre histoire commune est riche de combats pour l’égalité : c’est bien dans cette filiation et cette tradition que nous nous inscrivons. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    M. Guy Fischer. Très bien !

  • Séance du 4 avril 2013 (2)

    15 janvier 2018

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il nous faut admettre que, à travers le temps, l’institution du mariage témoigne de la démocratisation des liens privés et des rapports sociaux. Cette institution a suivi l’évolution sociale et culturelle de la société. Parfois, elle l’a un peu forcée, pour aller vers plus de liberté et d’égalité, mais nous n’avons jamais eu à nous en plaindre, hormis les tenants d’un ordre immuable et inégalitaire.
    Ainsi, en passant du sacrement matrimonial, qui d’ailleurs n’a pas toujours existé – il n’a été instauré qu’en 1215 – au mariage civil, l’institution a admis le pluralisme religieux d’abord, le pluralisme civique ensuite.
    En ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe, nous franchirons un pas vers la reconnaissance du pluralisme familial, et cela sans dégâts. Qu’y a-t-il en effet de plus précieux pour les familles hétéroparentales et les couples homosexuels, dans l’institution du mariage ?
    M. Bruno Sido. Et l’enfant ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Tout d’abord, le titre VII du code civil, qui régit la filiation biologique, ne sera pas modifié d’une virgule.
    Ensuite, la présomption de paternité demeure absolument intacte. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Quant aux modalités d’encadrement de la séparation, les droits sont étendus, et non pas réduits.
    En revanche, grâce à ce texte, nous complétons ce qui était inachevé en matière d’exercice de l’autorité parentale ou de souplesse dans la détermination du lieu de la célébration du mariage, qui relèvera désormais de l’initiative exclusive des épouses ou des époux. Nous avons veillé à ce que ces dispositions profitent à tous, donc aussi aux familles hétéroparentales.
    Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Par ailleurs, le projet de loi sur la famille, sur lequel travaille déjà Mme Bertinotti, introduira des améliorations substantielles au statut des familles recomposées et aux régimes d’adoption. Les familles hétéroparentales, par la simple loi du nombre, en profiteront beaucoup plus que les familles homoparentales.
    Un sénateur du groupe UMP. C’est nous qu’il faut regarder !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je vous regarderais plus volontiers si vous m’aviez réservé un meilleur accueil ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Nous sommes donc face à l’altérité : non pas une altérité strictement sexuelle, car aucun d’entre nous ne se réduit à son genre ou à son orientation sexuelle (Mme Sophie Primas approuve.), mais une altérité « majuscule ». J’aurais pu parler d’altérité absolue, mais ce serait un oxymore, car l’altérité renvoie justement à ce qui est relatif en nous. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
    Comme le dit Hegel, cité par Tzvetan Todorov, il faut pour le moins être deux pour être humain. C’est bien le souci de l’autre qui me permet d’affirmer mon humanité et, socialement, ma civilité. (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais que vous êtes davantage portés sur le débat de fond et le droit que sur les joutes verbales et la polémique. Par notre action, qui ne se borne pas à des mots, « nous forçons de fumantes portes », comme le dit Aimé Césaire. (Applaudissements prolongés sur les mêmes travées.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà la possibilité de mettre un terme à des siècles de relégation… (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Henri de Raincourt. Ça commence bien !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je vous rappelle que, jusqu’en 1981, l’homosexualité était considérée comme un délit.
    M. Gérard Longuet. Absolument pas !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Voilà donc, disais-je, la possibilité de mettre un terme à des siècles de relégation et de discrimination à l’encontre d’une partie de nos concitoyens. Voilà la possibilité de faire aboutir des combats menés depuis des décennies. Je sais que vous êtes nombreux, au Sénat, à avoir contribué à la longue histoire de l’égalité. Vous avez déposé des propositions de loi pour ouvrir le mariage aux couples homosexuels, leur permettre de fonder une famille, et ce dès 2005, puis en 2006, en 2010, en 2011 et en 2012. Ainsi, vous êtes nombreux, sur toutes les travées, à vous être engagés pour une meilleure reconnaissance de la diversité des familles. Soyez déjà remerciés de cette action passée.
    Les associations qui soutiennent le projet de loi…
    M. Bruno Sido. Elles sont peu nombreuses !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … que Christiane Taubira et moi-même avons l’honneur de vous présenter ont fait leur un très beau slogan : « l’égalité n’attend plus ».
    Après le temps de l’Assemblée nationale vient aujourd’hui celui du Sénat. Je suis convaincue que ce sera le temps de la consolidation, de la solidification et de la confirmation de cette marche vers l’égalité.
    Ce texte s’inscrit dans le contexte bien spécifique d’une révolution silencieuse (Exclamations sur les travées de l’UMP.)…
    M. Alain Gournac. Un million de personnes silencieuses dans la rue !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … entamée dans les années soixante-dix, qui a fait éclater le modèle familial unique en une pluralité de modèles familiaux. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, grâce aux progrès de la contraception et à l’apparition de nouvelles techniques médicales, amour, conjugalité, sexualité et procréation se trouvent dissociés…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On aurait aimé que ce soit dissocié !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … et peuvent être composés et associés de multiples façons.
    Mme Taubira l’a dit à l’instant : aujourd’hui, plus d’un enfant sur deux naît hors mariage,…
    M. Gérard Longuet. Il y a 100 % de naissances hétérosexuelles !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … un sur quatre ne vit pas avec ses deux parents, un sur cinq vit dans une famille monoparentale et un sur neuf dans une famille recomposée. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Alain Gournac. Et alors ?
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je conçois que cet état de fait vous dérange, mais ces quelques éléments statistiques suffisent à montrer la diversité du paysage familial.
    M. François-Noël Buffet. Ce n’est pas le sujet !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Bien sûr que si ! (Mais non ! sur les travées de l’UMP.)
    Pour autant, cette situation ne traduit pas une désaffection de nos concitoyens à l’égard de la valeur « famille » : bien au contraire, la très grande majorité d’entre eux estime que la famille reste le lieu de la sécurité et de la protection. Ce qui a changé, c’est que nos concitoyens refusent désormais que nous leur imposions un modèle familial unique. Ils attendent de nous que nous reconnaissions la diversité des modèles familiaux tout en assurant l’égalité des droits et des devoirs pour toutes les formes de familles.
    Mme Sophie Primas. Et la filiation ?
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’y viens !
    Aujourd’hui, à la suite d’une évolution engagée voilà de nombreuses années, la filiation biologique n’est plus la seule filiation possible ; il y a une multiplication des acteurs impliqués dans la conception et l’éducation des enfants.
    M. Bruno Sido. C’est faux !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Chaque année, de 3 000 à 4 000 enfants sont adoptés et environ 1 500 naissent par insémination artificielle. Ces chiffres montrent que la filiation sociale est d’ores et déjà une réalité au sein des familles hétérosexuelles. On peut comprendre, en conséquence, la demande d’égalité de traitement pour les familles homosexuelles.
    M. Bruno Sido. C’est incroyable !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je voudrais ajouter, après Mme la garde des sceaux, que cette loi ne créera pas de situations nouvelles : elle ne fera qu’adapter notre droit à des évolutions déjà présentes dans la société. En cela, elle s’inscrit dans la lignée des réformes qui ont marqué le droit de la famille depuis les années soixante-dix, comme l’assouplissement des règles du divorce, la suppression de la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels ou l’institution de l’autorité parentale, reconnue aux deux parents à égalité. La législation ne fait que traduire une évolution déjà réalisée par nos concitoyens. Ceux-ci ne nous demandent pas une simple loi d’égalité ; ils veulent également que ce texte leur assure une sécurité et une protection juridiques. Pour l’heure, les dizaines de milliers d’enfants vivant déjà dans des familles homoparentales ne bénéficient pas de la même protection juridique que les autres enfants.
    M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le problème !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. C’est à cela que nous voulons remédier. C’est selon cet objectif d’égalité et de sécurité juridique que ce projet de loi ouvrant à tous le mariage et l’adoption a été conçu.
    Il est temps de reconnaître à chacun, quelle que soit son orientation sexuelle, la liberté de choisir la façon dont il « fait famille ». Reconnaître cette liberté, c’est reconnaître la liberté de tous nos concitoyens. Cette liberté, elle est au cœur même de la République, celle que Jean Jaurès a si bien définie dans son Discours à la jeunesse : « Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; […]. Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. »
    M. Bruno Sido. Tout ça, c’est du bla-bla !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’ajouterai que notre République n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle sait inclure tous ses citoyens, hommes ou femmes, en leur accordant les mêmes droits, quelle que soit la couleur de leur peau, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. La France n’est jamais aussi forte ni confiante dans son avenir (Exclamations sur les travées de l’UMP.) que lorsqu’elle sait s’adresser à tous ses citoyens, à tous ses enfants, à toutes ses familles.
    M. Bruno Sido. Les vraies familles !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Lors des auditions, des avis très différents ont été exprimés, mais je me souviens d’une phrase très simple prononcée par la présidente de GayLib : quand on aime la famille, on aime toutes les familles.
    M. Bruno Sido. C’est ridicule !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je crois pourtant savoir que GayLib est un mouvement lié à l’UMP, monsieur le sénateur… (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Alain Gournac. Et alors ? C’est n’importe quoi !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ce projet de loi d’égalité s’inscrit dans le droit fil de ce que François Hollande rappelait lors de la campagne présidentielle (Vives exclamations sur les travées de l’UMP.) : « Aucune loi de conquête n’a été arrachée sans combat parlementaire. Car les libertés, elles se conquièrent, elles se gagnent. […] L’âme de la France c’est l’égalité, l’égalité, l’égalité toujours. »
    Ce projet de loi est l’expression de notre belle devise républicaine : liberté, celle pour chaque citoyen de prendre le gouvernement de sa propre vie ; égalité, celle des droits et des devoirs pour tous ;…
    M. Bruno Sido. Et la fraternité ?
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. … cette liberté, cette égalité vont permettre de renforcer la fraternité dans notre société. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à la confiance et à l’audace ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, indéniablement, le texte dont nous entamons aujourd’hui la discussion pose problème et provoque des débats au sein de notre société.
    Pour ma part, je respecte toutes les opinions, dès lors qu’elles sont respectueuses des droits des citoyens, notamment de ceux des homosexuels.
    M. David Assouline. Très bien !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Nous sommes saisis d’un projet de loi ; or « les lois ne sont pas des actes de puissances, ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison ».
    M. Gérard Longuet. Eh bien il y a beaucoup à faire !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est sous l’égide de Portalis, dont je viens de lire une phrase extraite du Discours préliminaire au code civil, que je veux me placer dans ce débat.
    Discuter d’un tel texte aujourd’hui est pertinent, non seulement parce qu’il transcrit une promesse du candidat François Hollande (Exclamations sur les travées de l’UMP.),…
    M. Bruno Sido. Le roi de la promesse !
    M. Jean-Noël Cardoux. Une République irréprochable !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … mais surtout parce qu’il est le produit d’une triple convergence qui lui donne toute sa force.
    En effet, depuis la fin de la guerre, la perception sociale et juridique de l’homosexualité a évolué. Nous sommes passés de la condamnation à la reconnaissance. La famille et le mariage ont également connu une évolution sociologique importante, sur laquelle je reviendrai plus tard. Enfin, certains pays de l’Union européenne et d’autres extérieurs à celle-ci nous ont devancés dans l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et la reconnaissance de l’homoparentalité, même si ces deux questions ne sont pas toujours liées dans ces différents pays.
    En consacrant cette évolution, le projet de loi dont nous débattons marque un geste fort d’égalité. À cet égard, que l’on me permette de citer le père de nos constitutions et de notre démocratie parlementaire, Sieyès, qui écrivait ceci dans Qu’est-ce que le Tiers État ? : « Je me figure la loi au centre d’un globe immense ; tous les citoyens sans exception sont à la même distance sur la circonférence et n’y occupent que des places égales. » (M. le président de la commission des lois applaudit.)
    M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le sujet !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ce vœu d’égalité, déjà formulé lors des débats sur l’instauration du PACS, est conforme aux principes qui fondent notre République.
    Cependant, il a été dénoncé à plusieurs reprises lors des auditions : certaines personnes entendues et certains de nos collègues ont fait valoir que l’égalité n’est pas l’identité…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Exactement !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et qu’elle n’impose de traiter également que des personnes placées strictement dans les mêmes situations.
    L’argument mérite d’être entendu : l’égalité n’est pas l’identité. Pour autant, cet argument s’applique-t-il vraiment à la situation visée par le présent projet de loi ?
    M. Bruno Sido. Oui !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Non, car ce texte écarte toute assimilation des couples homosexuels aux couples hétérosexuels en ce qui concerne la filiation biologique.
    Hors ce cas, lorsqu’il s’agit de protection mutuelle, fondée sur l’amour que l’on se porte, quelle différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel ?
    M. Gérard Longuet. Une différence énorme : la vie !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Lorsqu’il s’agit de la protection d’un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l’unissent à ceux qui l’éduquent, qui l’élèvent, qui l’aiment, quelle différence entre l’enfant de parents de même sexe et celui de parents de sexe différent ?
    Mme Sophie Primas. D’accord.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Pourquoi réserver aux uns le mariage et ses effets, et tenir les autres à l’écart de ce statut protecteur ? L’exigence d’égalité commande d’ouvrir l’accès au mariage aux couples de personnes de même sexe, parce que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », comme le proclame l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
    Cette même exigence exclut qu’un statut social à part leur soit réservé. L’idée est souvent avancée, par ceux qui s’opposent au mariage des couples de personnes de même sexe, que l’égalité des droits pourrait être assurée par un statut spécifique, distinct du mariage, propre aux couples homosexuels : M. Gélard la développera tout à l’heure. Cette union civile s’ajouterait au pacte civil de solidarité, ou s’y substituerait, les droits et les obligations ouverts par ce dernier étant alors renforcés.
    Outre le fait que, pendant les dix années que vous avez passées au pouvoir, vous n’avez pas renforcé le PACS, j’observe qu’une telle proposition ne peut être retenue, car elle contredit l’esprit qui anime la présente réforme, en perpétuant l’inégalité ou la différence de traitement appliquée à des situations pourtant identiques.
    En effet, soit l’union civile offre aux couples homosexuels exactement les mêmes droits et les mêmes garanties que le mariage – mais quel serait alors l’intérêt de créer un doublon du mariage, sauf à vouloir priver les couples de personnes de même sexe d’une reconnaissance sociale symbolique, en réservant la dénomination « mariage » à l’union d’un homme et d’une femme ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.) –,…
    M. Bruno Sido. L’adoption !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … soit elle est en retrait par rapport au mariage. Mais alors, comment justifier que l’on prive les couples homosexuels de droits – en dehors de ceux relatifs à la filiation biologique – reconnus aux couples hétérosexuels ? Un statut à part les cantonnerait dans une place à part au sein de notre société, ce qui ne correspond pas aux fondements de l’universalisme républicain.
    M. François Rebsamen. Très bien !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Me Jacques Combret, s’exprimant devant la commission des lois au nom du Conseil supérieur du notariat, a d’ailleurs écarté en ces termes la possibilité de régimes juridiques spécifiques : « Les associations familiales ont demandé pourquoi on n’avait pas choisi un partenariat enregistré pour les couples homosexuels. Mais l’on ne pouvait guère revenir en arrière pour établir un PACS à géométrie variable selon l’orientation sexuelle des contractants ; […]. Enfin, il serait compliqué de juxtaposer mariage entre personnes de sexe opposé, contrat pour les personnes de même sexe, PACS et concubinage. […] S’il vous plaît, assez de régimes juridiques différents, tenons-nous-en là. »
    Aucune norme constitutionnelle ou conventionnelle ne proscrit le mariage de deux personnes de même sexe ni l’adoption par un célibataire ou un couple homosexuel. Au contraire, le principe d’égalité et le droit à une vie familiale et personnelle peuvent fonder l’accès des intéressés à ces deux institutions. En la matière, toutefois, la décision ne peut venir que du législateur, c’est-à-dire de nous, mes chers collègues.
    Saisie de l’annulation du mariage célébré à Bègles, en Gironde, entre deux hommes,…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Dans l’illégalité totale !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … la Cour de cassation a rappelé que, selon la loi française en vigueur, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme…
    M. Bruno Sido. Oui !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et « que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui n’a pas en France de force obligatoire ».
    Le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité défendue par deux femmes qui souhaitaient se marier, a confirmé que la loi française n’est pas contraire à la Constitution du seul fait qu’elle réserve le mariage à deux personnes de sexe différent. Il a ainsi déclaré que le droit de mener une vie familiale normale, qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, n’implique pas le droit de se marier pour les couples de personnes de même sexe, qui peuvent vivre en concubinage ou bénéficier du cadre juridique du pacte civil de solidarité.
    Pour autant, après avoir constaté que, en maintenant jusqu’à présent le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a considéré que la différence de situation entre les couples de personnes de même sexe et les couples de personnes de sexe différent peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille, le Conseil constitutionnel a rappelé qu’il ne lui appartenait pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ».
    Cette dernière mention correspond, dans la jurisprudence constitutionnelle, à la limite que la haute instance donne à son propre contrôle et à la marge d’appréciation discrétionnaire qui relève de la compétence souveraine du législateur.
    Ce faisant, le Conseil constitutionnel reconnaît que le choix d’ouvrir ou non le mariage aux couples de personnes de même sexe n’appartient qu’au législateur et qu’aucune norme constitutionnelle ne s’y oppose.
    Les engagements internationaux de la France ne représentent d’ailleurs pas non plus un obstacle à la décision du législateur en cette matière.
    Certains des principes qui inspirent les normes supérieures peuvent utilement guider le législateur dans son choix : la liberté, l’égalité, le droit de mener une vie familiale normale. Chacun plaide pour que ce droit, dont bénéficient aujourd’hui les couples hétérosexuels, soit ouvert aux couples homosexuels.
    Sous cette lumière, la décision peut être débattue, mais l’avancée sociale apparaît plus que jamais nécessaire.
    Mes chers collègues, je l’ai bien compris au cours des auditions et à l’écoute de vos interventions, c’est le mot « mariage » qui vous gêne… (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Catherine Troendle. Ce n’est pas un mot, c’est une institution !
    M. Bruno Sido. Il n’y a pas que le mot !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne confondez pas le mot et la chose ! Rappelez-vous la formule de Jacques Lacan : « le mot est le meurtre de la chose » !
    Ce sont les rédacteurs du code Napoléon qui ont employé le mot « mariage » pour désigner une union civile entre un homme et une femme dont le cœur était la présomption de paternité, comme le rappelle si justement Irène Théry. Ils auraient pu utiliser un autre terme afin de dissocier cet acte du mariage religieux, que certains d’entre vous ont en tête.
    Aujourd’hui, l’évolution du mariage montre bien qu’il s’agit de tout autre chose, puisque le mariage civil n’a rien à voir avec le sacrement religieux et que le présent projet de loi ne dénature point l’institution du mariage républicain hétérosexuel, contrairement à ce qu’affirment ses opposants. Le texte qui nous est soumis sanctionne plutôt l’évolution de l’institution elle-même, qui s’est abstraite depuis longtemps déjà du modèle, cristallisé pendant plusieurs siècles, sur lequel elle reposait, pour revenir aux principes de liberté et d’universalité qui la caractérisaient à l’origine, définissant davantage la protection que se donnent les deux époux que le seul modèle de filiation possible.
    « Une affirmation de la liberté de l’homme, dans la formation comme dans la dissolution du lien matrimonial, c’est, pour l’ordre terrestre, l’essentiel du message français », rappelait le doyen Jean Carbonnier dans sa célèbre étude Terre et Ciel dans le droit français du mariage.
    L’article 146 du code civil, inchangé depuis 1804, en porte encore aujourd’hui la marque, puisqu’il dispose qu’« il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ».
    Cet esprit de liberté s’appuie sur l’universalisme de l’accès au mariage : tout citoyen majeur peut y prétendre. La Révolution a ainsi opéré une rupture très nette avec le mariage religieux de l’Ancien Régime et confirmé l’égalité de tous devant le mariage. Aujourd’hui, le Gouvernement nous demande de franchir un pas supplémentaire dans cette voie.
    En consacrant la liberté de mariage et en la rattachant à la liberté personnelle découlant des articles II et IV de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel manifeste qu’elle a partie liée avec l’universalisme républicain.
    L’évolution du mariage vers plus de liberté et d’égalité s’est poursuivie aux XIXe et XXe siècles. Elle s’est manifestée dans la fin du monopole du mariage pour l’établissement de la filiation. La loi du 3 janvier 1972, inspirée par le doyen Carbonnier, a introduit une révolution totale du mariage et de la famille traditionnels tels qu’envisagés par certains d’entre vous, mes chers collègues. Elle a engagé l’abolition de la distinction entre enfants légitimes, enfants adultérins et enfants naturels, achevée avec l’ordonnance du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation.
    Parallèlement, les formes de conjugalité ont évolué : s’il reste une référence majoritaire, le mariage n’est plus la seule union possible. Une étude de l’INSEE montre que, en 2011, en France métropolitaine, sur 32 millions de personnes majeures déclarant être en couple, seules 23,2 millions étaient mariées et partageaient la même résidence que leur conjoint, tandis que 22,6 % vivaient en union libre et 4,3 % étaient pacsées.
    Comme l’a rappelé tout à l’heure Mme la ministre chargée de la famille, cette évolution des conjugalités a eu des conséquences sur les filiations : depuis 2006, il naît plus d’enfants hors mariage qu’au sein du mariage. Selon des chiffres provisoires, en 2012, les naissances hors mariage représentaient près de 60 % du total des naissances.
    Il n’est dès lors plus possible, pour l’ensemble de ces raisons, de considérer le mariage comme l’unique institution de la filiation, indissociable de la filiation biologique.
    Cela étant, mes chers collègues, le présent projet de loi n’enlève rien au mariage, à la famille traditionnelle,…
    M. Charles Revet. Ce n’est pas vrai !

  • Séance du 4 avril 2013 (3)

    15 janvier 2018

    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … dont la plupart d’entre nous sont issus et n’ont qu’à se féliciter. Je tiens d’ailleurs, à cet instant, à rendre hommage à mes père et mère, qui m’ont élevé et ont fait de moi ce que je suis aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
    Dès 1950, dans l’ouvrage précité, le doyen Carbonnier estimait que « notre droit matrimonial ne se dément pas : son génie, son démon, c’est la liberté ». Aujourd’hui, mesdames les ministres, le Gouvernement nous invite à aller vers plus de liberté, suivant en cela le doyen Carbonnier, qui pourtant n’aurait pas tout à fait partagé nos idées. (M. Michel Mercier acquiesce.)
    Le sens du mariage a évolué, cette évolution exprimant avec plus d’intensité les ressorts libéraux et égalitaires de cette institution. Le texte qui nous est soumis s’inscrit dans cette dynamique, qu’il accompagne plus qu’il ne l’engage. L’institution du mariage a ainsi sensiblement changé de sens et de finalité : elle n’est plus un mécanisme de légitimation sociale des familles, elle garantit leur protection.
    Le mariage n’est rien de moins que le plus haut degré de protection juridique que peuvent librement s’accorder deux personnes qui s’aiment, qu’elles soient de même sexe ou de sexe opposé. Surtout, cette protection dont profitent les époux s’étendra à leurs enfants, car il est de l’intérêt de ceux-ci que chacun de leurs parents soit suffisamment protégé. Elle se manifestera notamment par le fait que, en cas de séparation, un juge se prononcera obligatoirement sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Dans cette perspective, rien ne peut justifier de tenir encore à l’écart de la protection de la loi les familles homoparentales qui souhaiteraient se placer sous son égide.
    Mes chers collègues, j’en suis profondément convaincu, le présent texte est destiné à protéger les enfants. (Protestations sur les travées de l’UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Non, il ne faut quand même pas exagérer !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Cela vous gêne (Non ! sur les travées de l’UMP.), parce que vous ne voulez pas voir la situation dans laquelle se trouvent actuellement certains enfants rejetés par notre société !
    M. François Rebsamen. Bien sûr !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je le répète, ce texte est destiné à protéger les enfants et parachève une évolution engagée depuis plusieurs années, tendant à l’acceptation sociale de l’homosexualité et à l’affirmation, en parallèle, des familles homoparentales. Dans cette perspective, l’intérêt de l’enfant élevé par deux hommes ou par deux femmes est alors de bénéficier, comme tout autre enfant, de la protection que lui garantira l’établissement de sa filiation à l’égard de ceux qui l’élèvent et du statut de couple marié de ses parents.
    À plusieurs reprises, au cours des auditions, la question de l’intérêt supérieur de l’enfant a été évoquée. Plusieurs professeurs de droit ont souligné qu’il était de l’intérêt de celui-ci que les filiations juridique et sociale correspondent. Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente du Conseil supérieur de l’adoption, a rappelé que, si une partie des membres de son organisation s’est interrogée sur les conséquences d’une remise en cause de l’altérité sexuelle de la filiation, la majorité d’entre eux a jugé qu’ouvrir la possibilité de l’adoption de l’enfant d’un conjoint du même sexe va dans le sens de l’intérêt de l’enfant : dans les familles homoparentales déjà constituées, cette adoption lui apporte la stabilité juridique et la continuité nécessaires à son développement. L’argument est majeur, parce qu’il vise, notamment, la procédure d’adoption intrafamiliale de l’enfant du conjoint.
    L’approche doit être pragmatique : ces familles et ces enfants ont droit à la protection de la loi. Or elles sont fragilisées du fait que l’un des deux parents n’a aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève pourtant aussi bien qu’un autre parent. Il est donc nécessaire d’autoriser l’adoption de l’enfant de l’autre parent. Or l’adoption de l’enfant du conjoint n’est possible que dans le cadre du mariage. Ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe permettra ainsi à leurs enfants de profiter de la protection que leur garantira cette adoption.
    D’ailleurs, cette protection s’étend au-delà du simple lien de filiation, pour atteindre la protection mutuelle des époux, car il est de l’intérêt des enfants que leurs parents voient leur propre situation assurée face aux accidents de la vie ou du sentiment.
    L’avancée qui résulterait de l’adoption du présent projet de loi est autant utile que nécessaire. Cette réforme importante doit être votée !
    Ce texte s’inscrit dans une évolution européenne. Il apparaît que, dans les pays où le mariage entre personnes de même sexe a été autorisé, il n’y a eu ni drames ni bouleversement : la famille hétérosexuelle continue d’exister pleinement.
    À ce jour, onze pays ont légalisé le mariage homosexuel, que ce soit en Europe ou ailleurs. Citons le district fédéral de Mexico et l’État du Quintana Roo, au Mexique, plusieurs États des États-Unis, le Québec, l’Argentine, dernièrement l’Uruguay et le Royaume-Uni, sur l’initiative du gouvernement conservateur de M. Cameron. Cette légalisation concerne plus de 280 millions d’habitants, répartis sur quatre continents.
    Quant à l’adoption par un couple de personnes de même sexe, elle est autorisée dans un certain nombre de pays, qui n’ont d’ailleurs pas autorisé le mariage de tels couples.
    La voie que trace la France avec ce projet de loi emprunte évidemment à cette perspective universaliste et égalitaire.
    Les travaux de la commission des lois ont conduit son rapporteur à proposer un certain nombre de modifications au texte que nous a transmis l’Assemblée nationale. Je tiens, à cet instant, à rendre hommage au travail de nos collègues députés et du rapporteur Erwann Binet.
    Nous avons conservé le périmètre du projet de loi et, en conséquence, repoussé tous les amendements visant à ouvrir d’autres possibilités de filiation, à instaurer d’autres formes d’unions, ou encore à améliorer le PACS. Ces sujets pourront être mieux abordés lors de l’examen du projet de loi relatif à la famille dont le Gouvernement a annoncé le dépôt d’ici à la fin de l’année.
    Pour conclure, vous l’aurez compris, mes chers collègues, la commission des lois a souhaité que ce projet de loi important soit étudié dans les meilleures conditions possibles et fasse l’objet d’un examen sérieux en séance plénière, comme ce fut le cas en son sein.
    Pour ma part, je le répète, je respecte toutes les opinions exprimées…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais nous aussi !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … dès lors qu’elles ne portent pas atteinte à la dignité des personnes, ce qui n’a pas toujours été le cas en dehors de cet hémicycle.
    Par conviction, mais aussi par réalisme, je pense que le législateur doit prendre en considération l’évolution de la société en ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, mais aussi fixer des bornes aux possibilités extrêmes que la recherche médicale et la mondialisation offrent en matière de procréation. Les enfants qui sont nés ou qui naîtront grâce au recours à ces possibilités ne peuvent en être tenus pour responsables et ont droit, comme les autres, à la protection de la loi. C’est la raison pour laquelle, mesdames les ministres, je vous demande instamment de présenter rapidement un projet de loi sur la famille qui prenne en considération toutes ces exigences, notamment la prise en compte de la filiation sociale.
    Comme nous l’a très bien dit Françoise Héritier, les sociétés ont toujours trouvé des compromis. Dans un article publié en 1989, Claude Lévi-Strauss nous guide dans cette exigence : « Le conflit entre parenté biologique et parenté sociale, qui embarrasse chez nous les juristes et les moralistes, n’existe donc pas dans les sociétés connues des ethnologues. Elles donnent la primauté au social sans que les deux aspects se heurtent dans l’idéologie du groupe ou dans la conscience de ses membres. »
    M. François Rebsamen. Absolument !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Sous le bénéfice de ces observations, je vous prie, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le projet de loi, tel que modifié par la commission des lois. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous vivons là un moment important et entrons, à notre manière, dans l’histoire de France (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.),…
    M. Gérard Longuet. Par la petite porte !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … comme toutes celles et tous ceux qui, bien avant nous, ont fait le choix, souvent courageux, de s’opposer aux conservatismes et d’offrir à leurs concitoyens de nouveaux droits et de nouvelles libertés individuelles et collectives.
    Il est inutile de le nier, ce texte a suscité des remous dans la société française (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.),…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et ça continue !
    M. Bruno Sido. C’est clair, mais vous les méprisez !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … comme chaque fois qu’une loi de progrès social et sociétal a été proposée ; ni plus, ni moins.
    Cela démontre, s’il en était besoin, qu’il existe une forte attente du plus grand nombre et une résistance au changement d’une autre partie de la population. Il en est souvent ainsi en France quand on crée des droits nouveaux, particulièrement en matière de normes sexuelles ou familiales. On nous prédit alors l’effondrement de la société, la perte des repères, bref le chaos !
    M. Charles Revet. Le chaos, vous êtes en train de le provoquer !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cependant, mes chers collègues, nous le savons, il n’en sera rien avec cette loi, pas plus qu’avec les précédentes.
    Je dois d’abord vous dire ma fierté d’avoir participé activement aux travaux parlementaires et contribué, en tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales du Sénat, à cette avancée historique que constitue l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Je dois dire aussi le plaisir que j’ai eu à travailler en étroite collaboration avec Jean-Pierre Michel, que je remercie pour la très grande qualité des auditions organisées par la commission des lois et son président, ainsi que pour le climat serein et toujours respectueux qui a prévalu.
    Nous avons entendu des juristes, des psychiatres, des représentants des collectivités territoriales, des responsables des cultes, des membres d’associations,…
    M. Charles Revet. Vous devriez tenir compte de ce qu’ils ont dit !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … des porte-parole des familles, des ministres, des experts de l’adoption : près de cent personnes, opposées ou favorables au projet de loi, ont pu s’exprimer. Je crois – tout le monde en conviendra – que le Sénat a fait son travail,…
    M. Gérard Longuet. Superficiel !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … dans un esprit de sérieux et de complémentarité avec celui de l’Assemblée nationale. On peut donc dire que le débat a eu lieu ; l’heure est désormais au vote.
    Au-delà des éclairages qu’elles nous ont apportés, ces auditions ont permis de tracer certaines perspectives complémentaires, qui mériteront d’être traitées dans le cadre de la discussion du futur projet de loi sur la famille ; j’y reviendrai.
    S’il faut entendre et comprendre les motifs de crispation d’une partie de nos concitoyens et concitoyennes, il ne faut pas, pour autant, renoncer à avancer lorsque l’on a la conviction qu’un texte est juste et nécessaire, comme c’est le cas aujourd’hui.
    Nous avons lu ou entendu de nombreuses contre-vérités, lors des auditions, dans la presse ou dans la rue. Permettez-moi d’en corriger un certain nombre et d’ajouter quelques commentaires.
    Ce texte ne crée pas un « mariage gay » ; il ne crée pas une union civile différenciée selon le profil du couple ; il fait entrer tous les couples dans l’universalité du mariage républicain. C’est un choix fort, un texte incluant, qui s’inscrit dans la lignée des grandes lois qui ont marqué l’histoire de la lutte contre les discriminations dans notre pays.
    Nous connaissons la force du droit sur l’évolution des normes sociales. Le PACS avait déjà ouvert cette voie il y a quinze ans. Aujourd’hui, garantir aux couples homosexuels des droits identiques à ceux des couples hétérosexuels fait de l’homosexualité une orientation sexuelle possible, et non plus anormale, déviante ou dramatique.
    Notre démarche s’inscrit en outre dans un mouvement international qui invite à la tolérance à l’égard des personnes homosexuelles, toujours gravement menacées dans de nombreux pays. La France, patrie de référence en matière de droits humains, s’honore en rattrapant son retard.
    Ce texte ne réduit en rien les droits des couples hétérosexuels. Il ne leur enlève rien. Il ne changera pas leur quotidien et n’entraînera pas de bouleversement incontrôlé et irrémédiable dans notre société. Dirigeons un instant notre regard vers ceux des pays voisins qui ont déjà ouvert ce droit : l’Espagne, le Danemark, la Suède, la Belgique ou encore le Portugal. Que nous disent ces exemples ? Doivent-ils nous faire peur ou nous rassurer ? Eh bien, ni fléau ni calamité ne sont à déplorer ; on remarque juste une normalisation des différentes façons de vivre sa sexualité.
    Alors, cessons de craindre le pire et envoyons enfin un message positif à celles et ceux qui ont pour seule particularité d’aimer une personne de leur sexe. Les personnes homosexuelles dont nous parlons ici sont nos enfants, nos frères et nos sœurs, nos petits-enfants, nos voisins et nos voisines, ainsi que tous leurs proches, de tous les milieux sociaux ou géographiques.
    Oui, je le dis, un des mérites de ce projet de loi est de faire sortir l’homosexualité de son statut d’anomalie, dans le prolongement des textes qui ont mis fin à son inscription dans la liste des maladies mentales ou dans celle des délits.
    Oui, je le dis, je m’étonne que des personnes, des familles, des représentants des cultes, au nom de leur foi religieuse ou de leurs convictions personnelles, se ferment au sort de milliers de jeunes et de moins jeunes qui vivent leur amour dans la clandestinité, subissent la violence et les actes homophobes, voire attentent à leurs jours.
    « Celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens », nous a dit Condorcet en son temps, à propos du droit de vote des femmes. Cette phrase se révèle en parfaite résonance avec notre débat.
    Ce texte correspond à un véritable projet de société : une société où chacune et chacun a sa place, quel que soit son sexe, quelle que soit son orientation sexuelle. Il est en parfaite cohérence avec la devise de notre République, comme l’ont très justement rappelé Mmes les ministres.
    Ce texte permettra aux couples homosexuels de « faire famille ». Oui, assumons-le : il s’agit de continuer à dissocier la sexualité de la parentalité et la famille de son strict rapport au biologique. Ce texte sort la famille du fantasme « une maman, un papa et un enfant » (Protestations sur les travées de l’UMP.),…
    Mme Catherine Troendle. Un fantasme ?
    M. Gérard Longuet. C’est une plaisanterie ?
    M. Charles Revet. Ce n’est pas un fantasme !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. … car cette famille-là n’a jamais véritablement existé de manière universelle.
    De tout temps, des parents ont mis au monde des enfants qu’ils n’ont pas pu ou pas voulu assumer. De tout temps, des enfants sont nés sans père (Exclamations sur les travées de l’UMP.) ou n’ont eu qu’un seul parent, souvent leur mère. De tout temps, des enfants ont été élevés, au quotidien, par d’autres personnes que leurs père et mère. C’est encore le cas aujourd’hui dans les nombreuses familles dites recomposées.
    En fait, ce qui pose problème, c’est non pas ces familles réelles, mais bien cette famille idéalisée, érigée en modèle, cette famille « hétéro-patriarcale-blanche » de préférence, qui est de plus en plus éloignée des réalités. (Vives protestations sur les travées de l’UMP. – Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
    M. Bruno Sido. C’est honteux !
    M. Jean-Claude Lenoir. Il ne faut quand même pas exagérer !
    Un sénateur du groupe UMP. C’est nul !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. La loi doit donc s’adapter pour que chacun et chacune soit reconnu et trouve sa place.
    Soyons confiants dans l’avenir de ces enfants élevés par des couples homosexuels ou transsexuels. Ils ne semblent pas aller plus mal que les autres, à ceci près qu’ils souffrent du regard discriminant et du jugement que l’on porte sur eux.
    Le présent texte permettra de sécuriser la situation de nombreuses familles homoparentales dans lesquelles, actuellement, les deux parents ne sont pas à égalité de droits face aux enfants. L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra enfin l’adoption de l’enfant du conjoint et donnera une existence juridique pleine et entière à l’autre parent.
    Reconnaître ces familles existantes insécurisées par l’absence de cadre légal, passe encore, nous a-t-on dit, mais pas question de permettre l’adoption commune d’un enfant par un couple homosexuel. L’enfant adopté serait plus vulnérable, car il a souffert ; il ne faudrait donc pas lui infliger une particularité supplémentaire. Mais de quoi parle-t-on ? Les enfants adoptés ne sont-ils pas surtout instrumentalisés dans ce débat ? Ces enfants savent qu’ils ont eu une première histoire, ils savent qu’ils sont nés d’autres parents : il n’y a pas de mensonge. L’adoption internationale a d’ailleurs beaucoup fait pour affirmer publiquement cette parentalité choisie. Ce lien a suscité beaucoup d’interrogations, voire dérangé, mais il rentre peu à peu dans la normalité.
    Bien sûr, on regarde encore les familles adoptives comme des familles différentes. On leur prédit beaucoup de problèmes, notamment à l’adolescence, car elles seraient des familles « à risque »… Or des travaux présentés à Nantes en 2008 font apparaître que les écarts sont minimes entre ces enfants qui ont souffert de carences et les autres. À mes yeux, le plus grand risque, pour un enfant abandonné, est de ne pas avoir de famille pour la vie !
    Non, les enfants adoptés ne sont pas par définition des enfants vulnérables, et leurs familles ne le sont pas davantage. Celles-ci rencontrent des difficultés, comme toutes les autres familles, et y sont peut-être plus sensibilisées, ce qui explique qu’elles aient tendance à consulter davantage les spécialistes. Mais, rassurez-vous, les milliers d’enfants adoptés depuis des dizaines d’années en France vont bien. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Qu’est-ce que vous en savez ?
    M. Gérard Longuet. Ils ont des parents hétérosexuels !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Avoir deux parents de même sexe, cela met-il les enfants en difficulté ? Je ne le pense pas, pour peu que la société change son regard sur l’adoption et l’homoparentalité. Le présent texte a justement pour objet de contribuer à cette évolution.
    L’autre argument avancé est la rareté des enfants à adopter aux niveaux national et international : il faudrait donc les « réserver » – passez-moi l’expression – en priorité à des couples hétérosexuels, sous-entendu « normaux ». L’adoption n’est pas un droit à l’enfant, rappelons-le : c’est le droit pour un enfant de grandir dans une famille. C’est le projet parental qui prime et qui fait l’objet d’une évaluation dans le cadre de la procédure d’agrément.
    M. Bruno Sido. C’est faux, c’est complètement faux !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est cette même démarche qui s’appliquera aux couples homosexuels, qui, pour le moment, ne peuvent pas exposer clairement leur projet commun d’adoption, dans la mesure où un seul de leurs membres peut être officiellement candidat.
    La situation de l’adoption internationale est actuellement difficile, car le nombre de postulants et de postulantes est supérieur au nombre d’enfants déclarés adoptables.
    M. Charles Revet. Et ce sera encore pire demain !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Même si ce mouvement est assez général à l’échelon international, nous devons poursuivre nos échanges avec les pays étrangers, voire doter notre action diplomatique d’une dimension de protection de l’enfance.
    En effet, je ne peux croire que le nombre d’enfants en besoin de famille soit si faible, eu égard aux difficultés évidentes constatées dans certains pays. On peut, de manière très réaliste, supposer que de nombreux enfants « invisibles », car sans état civil, sont en attente d’une famille dans des orphelinats ; certaines associations le disent. À la France de se mobiliser pour aider ces pays à proposer un avenir adapté et décent à ces enfants, sur place ou à l’étranger.
    Mme Christiane Hummel. C’est hors sujet !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Beaucoup d’idées reçues ont circulé à l’occasion des auditions ; je voudrais y revenir.
    Je réaffirme ici que les deux formes d’adoption – plénière et simple – dont notre pays s’est doté sont pertinentes, car elles répondent à des réalités bien différentes.
    M. Bruno Sido. Bien sûr !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. L’adoption plénière, qui remplace la filiation de naissance par la filiation adoptive, répond aux besoins d’un enfant privé durablement de famille. Le lien de filiation ainsi créé accorde à cet enfant les mêmes droits et devoirs qu’à tout enfant qui serait né du couple. Il en va de même des droits et devoirs des parents, qui inscrivent l’enfant dans leur généalogie. L’adoption plénière n’empêche en rien la recherche des origines. Il serait toutefois intéressant de pouvoir mieux l’organiser pour les enfants nés à l’étranger, à l’instar de ce que propose le Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, le CNAOP, pour les pupilles de l’État.
    L’adoption simple, du fait qu’elle ajoute une nouvelle filiation à la filiation de naissance, correspond principalement à des situations intrafamiliales. On peut raisonnablement penser que c’est cette forme de filiation qui sera le plus fréquemment utilisée dans les situations d’homoparentalité, à travers la reconnaissance des enfants du conjoint. Cependant, ses conséquences juridiques ne sont pas aussi larges que celles de l’adoption plénière, notamment en termes d’accès à la nationalité ou d’inscription dans la famille.
    Lors des auditions, il est apparu que ce champ de l’adoption devra être réformé ; nous appelons cette grande réforme de nos vœux, et je sais, madame la garde des sceaux, que vous y travaillez.
    Les auditions ont également été l’occasion d’aborder les questions relatives à l’assistance médicale à la procréation. Il nous faudra, à l’évidence, rouvrir ce débat afin d’assurer aux couples de femmes homosexuelles une plus grande sécurité sanitaire et psychologique, en leur permettant d’avoir recours à l’AMP en France.
    Mme Catherine Troendle. Et pour les couples d’hommes ?
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cette orientation est d’ailleurs cohérente avec la proposition qu’avait formulée le Sénat lors de la première lecture du projet de loi relatif à la bioéthique, il y a deux ans.
    Je terminerai en vous présentant rapidement les amendements adoptés par la commission des affaires sociales le 20 mars dernier.
    Le premier porte sur l’article 4 ter, inséré par l’Assemblée nationale, qui vise à permettre aux couples pacsés d’adhérer à une association familiale reconnue. Notre amendement tend à élargir ce droit aux couples pacsés sans enfant, pour qu’ils en bénéficient au même titre que les couples mariés sans enfant.
    Les deuxième et troisième amendements visent à rétablir, aux articles 11 et 14, des mesures de coordination dans les codes sociaux ayant été malencontreusement supprimées lors de l’examen du projet de loi par l’Assemblée nationale.
    Le quatrième amendement, quant à lui, a pour objet d’étendre à l’ensemble des salariées et salariés homosexuels, indépendamment de leur situation familiale, la mesure de protection introduite à l’article 16 bis par l’Assemblée nationale au bénéfice des salariées et salariés mariés ou pacsés à une personne du même sexe en cas de refus de mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité.
    Cette mesure revêt toute son importance au regard de la situation internationale : l’homosexualité est encore passible de la peine de mort dans sept pays et reste toujours pénalement sanctionnée dans une soixantaine d’autres. Rappelons, d’ailleurs, que la France a récemment, par la voix du Président de la République et de la ministre des droits des femmes, fait part devant l’ONU de sa volonté d’agir en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité. (M. le président de la commission des lois applaudit.)
    En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à vous associer à ce rendez-vous avec l’histoire en votant ce projet de loi, car celui-ci constitue une nouvelle étape dans la longue marche vers l’égalité. Nous apporterons ainsi une pierre de plus à l’édifice républicain et franchirons une nouvelle étape sur les chemins longs et sinueux de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des droits.
    « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité », disait Montesquieu. N’est-ce pas notre rôle, à nous parlementaires, à nous élus de la République représentant le peuple français, de mener, au côté de celui-ci, la marche vers l’égalité ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il y a un mot que nous pourrions placer en exergue à ce débat et à ce texte : le mot « respect ».
    Respect pour nos concitoyens…
    M. Gérard Longuet. … mariés !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … homosexuels, qui, pendant des décennies, des siècles, ont été vilipendés,…
    M. Gérard Longuet. Ce n’est pas vrai !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … placés dans des situations inimaginables aujourd’hui, contraints de vivre dans la honte. Ces dernières années, beaucoup d’entre eux ont pu passer de la honte à la fierté. N’oublions pas que l’homosexualité fut considérée comme un des péchés les plus considérables par les religions. N’oublions pas qu’elle fut un délit et que ce n’est qu’avec la loi du 4 août 1982, défendue par Robert Badinter, à qui je tiens à rendre hommage ici, que l’homosexualité a cessé d’en être un au sein de la République française.
    M. Gérard Longuet. Ce n’était pas un délit !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Comme vous l’avez dit, madame la rapporteur, il existe encore de nombreux pays où l’homosexualité est un délit, un crime, parfois passible de la peine de mort. L’action menée pour la dépénalisation universelle de l’homosexualité est à l’honneur de la France et nous devrions être unanimes à soutenir celles et ceux qui se battent, ici et dans le monde, pour cette cause profondément juste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    S’il est un mot qui porte fort, qui porte juste, c’est bien celui de reconnaissance. Ce projet de loi répond à une volonté de reconnaissance qui va de pair avec la revendication de l’égalité des droits. Toutes les personnes homosexuelles de ce pays ne veulent pas se marier, mais elles veulent que ce droit leur soit ouvert, comme à l’ensemble de nos concitoyens.
    Respect, reconnaissance, égalité : ces mots sont importants pour nous. Il est vrai que le mot « mariage » prendra un sens différent ; c’est justement l’objet de ce texte.
    Mme Christiane Hummel. C’est ce qu’on ne veut pas !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je l’ai bien compris, ma chère collègue !
    Je voudrais maintenant évoquer l’adoption. Aujourd’hui, dans notre pays, l’adoption par des personnes célibataires est possible.
    M. Gérard Longuet. Eh oui !
    M. Bruno Sido. Cela n’a rien à voir !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dès lors, il y a beaucoup d’hypocrisie à considérer que l’adoption deviendrait impossible si ces personnes ont une communauté de vie avec une personne du même sexe. Je ne parviens pas à comprendre en vertu de quel argument il pourrait en être ainsi.
    M. Bruno Sido. Nous vous l’expliquerons au cours du débat !

  • Séance du 4 avril 2013 (4)

    15 janvier 2018

    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mes chers collègues, je suis très frappé par les évolutions intervenues depuis les débats au Parlement sur l’instauration du PACS. À cette époque, on avait l’impression que la France était en ébullition.
    M. Philippe Bas. Elle l’était !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je me souviens que le débat fut très vif, en particulier à l’Assemblée nationale. Quelle évolution depuis ! Ceux qui ne voulaient absolument pas du PACS, estimant qu’il s’agissait de quelque chose d’antinaturel,…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il ne s’agissait pas d’un mariage !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … nous disent aujourd’hui qu’il n’est pas utile d’élaborer cette loi de respect, de reconnaissance et d’égalité, puisque le PACS existe. Bienheureux PACS ! Maintenant, vous le soutenez !
    M. Roland Courteau. Ils ont toujours un train de retard !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je mesure donc l’évolution qui s’est produite en une décennie. Certains d’entre vous ont expliqué, avec beaucoup de talent d’ailleurs, que, finalement, puisqu’il y a le PACS, il suffit de l’améliorer en lui donnant la forme d’une union civile.
    À cet égard, je tiens à rendre hommage, comme nous l’avons déjà fait en commission, au travail de M. Gélard, qui a rédigé un amendement de quatorze pages présentant une alternative construite. Nous ne partageons pas votre position, mais nous reconnaissons le travail accompli, qui consiste en une amélioration du PACS, auquel vous étiez opposés voilà dix ans. C’est la vérité !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il y a dix ans, vous disiez qu’il n’y aurait jamais de mariage !
    M. Gérard Longuet. Eh voilà !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mes chers collègues, la société avance. Nous savons tous que lorsque cette loi aura été votée, le mariage de personnes de même sexe passera dans les mœurs et paraîtra naturel, comme dans les autres pays qui l’ont instauré. Je fais le pari que personne ne proposera d’y revenir.
    Avant de conclure, je tiens à rendre un hommage particulier à Michelle Meunier et à Jean-Pierre Michel, qui a été attaqué de façon particulièrement déplacée – ce matin encore, nous avons été à ses côtés dans une instance judiciaire –, parce qu’il a fait son travail avec le courage, la sincérité et la générosité qui sont les siens. Je tenais à le souligner à cette tribune. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Mesdames les ministres, je veux aussi vous remercier de votre travail, de votre sincérité et de votre force de conviction.
    Le présent projet de loi porte sur le mariage et l’adoption. Il est des sujets, tels que la PMA et la GPA, sur lesquels nombre d’entre nous s’interrogent, veulent y voir plus clair ou expriment leur opposition.
    M. Gérard Longuet. Vous serez obligés d’y venir !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela est légitime, mais le Gouvernement, suivi par la grande majorité des membres de la commission des lois, a décidé que ce texte n’aurait que deux objets : le mariage et l’adoption. Nous traiterons ultérieurement des autres sujets (Exclamations sur les travées de l’UMP.), sur lesquels, au sein de tous les groupes de cette assemblée, des positions divergentes s’expriment,…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est normal !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … mais il est inutile d’engager aujourd’hui un débat sur des dispositions qui ne figurent pas dans le texte.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Si, ça y est déjà !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est pourquoi la commission des lois a émis, à une forte majorité, un avis défavorable sur les amendements portant sur les sujets que je viens d’évoquer : débattons de ce qui nous est proposé par le biais du présent projet de loi.
    Nous avons choisi de procéder à de très nombreuses auditions, auxquelles tous les sénateurs ont été conviés.
    M. Bruno Sido. Elles n’étaient pas toutes de qualité…
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Beaucoup d’entre vous y ont participé. Elles ont été menées avec un grand respect pour les positions des uns et des autres, loin de toute démarche simpliste. Nous avons entendu de brillants anthropologues, ethnologues, sociologues, des travailleurs sociaux, des représentants d’associations familiales et, bien sûr, de tous les cultes, ainsi que des juristes.
    M. Charles Revet. Ils se posent beaucoup de questions !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. La réflexion que nous avons menée ensemble sur l’adoption a débouché sur le constat qu’il reste encore du travail à faire.
    Je souhaite vivement que l’esprit qui a marqué les dix heures de travail au sein de la commission et les cinquante heures d’auditions perdure en séance plénière. Quelles que soient nos positions, je forme le vœu que ce débat soit à l’honneur du Sénat, qu’il se déroule dans un climat de sérieux, de sérénité, d’approfondissement, de respect de tous nos frères et sœurs en humanité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Amen ! sur certaines travées du groupe UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
    Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en inscrivant le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe à l’ordre du jour du Parlement, le Gouvernement ouvre la voie à une évolution majeure du droit pour toutes et tous et permet qu’un grand pas soit franchi en matière de lutte contre les discriminations.
    Oui, ce projet de loi est une chance de faire avancer l’égalité des droits des individus, dans le respect des principes républicains, mais aussi de la philosophie et des croyances de chacune et de chacun. Il s’agit bien pour nous, aujourd’hui, de garantir le respect des principes républicains : rien de plus, mais rien de moins.
    Je voudrais tout d’abord apporter quelques précisions qui nous éviterons, je l’espère, de tomber dans la violence qui a marqué les débats à l’Assemblée nationale. Cette violence me semble beaucoup plus liée au refus d’accepter que des couples homosexuels veuillent fonder légalement une famille qu’à une homophobie généralisée, même si l’homophobie est réelle chez certaines et chez certains : il faut le dire et le dénoncer. Je souhaite, comme nombre d’entre vous, que le débat porte sur le fond du projet de loi et qu’il se déroule sereinement, dans le respect des positions de chacun.
    Pour apaiser le débat, nous devons utiliser les bons termes. Ainsi, le projet de loi vise à autoriser non pas le mariage pour tous, mais le mariage civil des personnes de même sexe. Il ne s’agit donc pas de célébrer n’importe quelle union, comme certains détracteurs du projet de loi continuent de le prétendre !
    Premièrement, tout le monde n’est pas concerné par le dispositif du projet de loi. L’inceste est exclu, la prescription de minorité est respectée, de même que restent interdites les unions si souvent évoquées par certains opposants au projet de loi : la polygamie, pour parler clairement.
    Deuxièmement, le projet de loi ne concerne que le mariage civil ; faut-il encore le rappeler ? Il n’impose à personne des choix moraux qui ne seraient pas les siens. Ne pas imposer, mais protéger : c’est l’un des fondements de notre laïcité. Qu’est-ce donc que le mariage civil ? Plus précisément, quel est l’objet de cette institution laïcisée en 1792 ? La réponse à cette question importe car, en réalité, la manière dont on comprend et dont on interprète le projet de loi dépend en grande partie de l’idée que l’on se fait du mariage civil.
    Porteur de droits, mais aussi d’obligations, le mariage civil, pour le législateur, n’est rien de moins ni rien de plus que le statut juridique le plus protecteur que l’État puisse offrir à ce jour à deux personnes désireuses de s’unir et d’organiser leur vie commune. Nous devons mesurer que s’il attire ceux qu’il refoule, c’est probablement que, loin d’être seulement un symbole, il s’accompagne d’un certain nombre de droits auxquels ni le PACS ni le concubinage ne donnent actuellement accès.
    Mes chers collègues, nous pouvons nous étonner que, au moment où de nombreux couples hétérosexuels refusent le mariage, se tournant vers le PACS ou vers l’union libre, de nombreux couples homosexuels manifestent un tel désir de se marier. Longtemps stigmatisé comme ringard et réactionnaire, le mariage semble devenir, au XXIe siècle, une revendication de progrès pour ces couples.
    En fait, ce n’est certainement pas l’institution du mariage qui apparaît comme un progrès, mais la possibilité d’accéder au régime juridique qu’il offre. Sauf à recatholiciser le mariage, le législateur doit ouvrir ce statut protecteur aux couples de personnes de même sexe, afin qu’ils puissent se marier dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les couples hétérosexuels et, ce faisant, accéder à l’égalité des droits et des devoirs.
    Reste que, pour certains, le mariage demeure à l’évidence chargé d’une forte connotation religieuse. Plus largement, il est perçu comme une institution immuable, porteuse d’une certaine idée de la morale. Cependant, dans un État laïc, le rôle du législateur n’est pas de moraliser la société.
    M. Charles Revet. Ce n’est pas ce que nous disons.
    Mme Cécile Cukierman. Notre rôle est de nous saisir des attentes de la population pour légiférer dans le sens de l’intérêt général ; en l’occurrence, celui des adultes qui deviennent parents ou qui demandent à le devenir et celui des enfants nés et élevés dans des familles dont les parents sont homosexuels. Mes chers collègues, c’est le souci de cet intérêt qui devra guider notre vote.
    Ces enfants ont droit eux aussi à la protection qui découle de l’établissement de liens de filiation avec ceux qui s’occupent d’eux au quotidien, les entourent, les aiment, les élèvent et les éduquent pour leur permettre de devenir des citoyens. Ma collègue Isabelle Pasquier présentera de façon plus détaillée notre position sur ce sujet, en rappelant que, à cet égard aussi, nous devons veiller à protéger et à ne jamais exclure.
    Mes chers collègues, nous avons toutes et tous été interpellés, par le biais de courriers, de tracts et de manifestations, par ceux qui nous demandent de nous opposer à ce projet de loi. Nous l’avons été aussi par ceux qui souhaitent que nous l’adoptions, même s’ils ont été moins médiatisés.
    Nous avons dernièrement reçu un courrier signé de 170 juristes qui s’autoproclament défenseurs des libertés individuelles et établissent de façon inadmissible un lien entre le statut de criminel et celui d’homoparent. Je rappellerai à ces professeurs, tout émérites qu’ils soient, que le mot « criminel » a un sens juridique dont il ne convient pas d’abuser. Modestement, mais fermement, je leur rappellerai aussi que s’ils revêtent l’habit de défenseur des libertés individuelles, l’humble rôle du législateur est non seulement de garantir ces libertés, mais aussi de corriger les inégalités au lieu de creuser des différences : tel est justement l’objet de ce projet de loi. Oui, nous sommes là pour protéger toutes et tous !
    Je ne dénie pas aux auteurs de ce texte le droit de soutenir leurs raisonnements. Ils le peuvent légitimement, comme tout citoyen, et certains de nos collègues ne manqueront certainement pas de relayer leurs arguments.
    Pour ma part, je suis convaincue, comme sans doute une grande majorité d’entre vous, mes chers collègues, que ce débat a déjà trop tardé et que notre société a bien fait de s’emparer de l’injustice faite aux couples homosexuels, à la suite de plusieurs autres pays. En créant ce droit supplémentaire, notre pays ne peut que se grandir, comme ce fut le cas avec l’adoption d’autres mesures sociétales et politiques telles que le droit de vote des femmes, le droit à la contraception et le droit à l’interruption volontaire de grossesse.
    Si j’évoque ces droits, c’est parce qu’il est frappant de constater que les arguments avancés aujourd’hui par les opposants au mariage civil pour les couples homosexuels sont identiques à ceux qui furent opposés aux lois émancipatrices les ayant instaurés. En effet, rappelez-vous, la démocratisation de la contraception et le droit à l’IVG ont été combattus par certains au nom de la supériorité naturelle, des fonctions que la nature aurait assignées à chacun ; selon leurs détracteurs, ces nouveaux droit émancipateurs allaient détruire la famille. Souvenons-nous aussi du débat sur la dépénalisation de l’homosexualité ouvert par Robert Badinter. À l’occasion de tous ces débats, des médecins, des scientifiques, des juristes et autres experts ont défilé pour alerter les parlementaires sur les hypothétiques dérives que l’adoption de ces mesures allait provoquer. Tout en les écoutant, le législateur n’a jamais fléchi ; je pense qu’aujourd’hui l’histoire lui donne raison ! (Mme la rapporteur pour avis acquiesce.)
    Aujourd’hui, notre société souffre, mais ses maux, la vie pénible de nombreuses familles tiennent non pas à la pilule, à l’IVG ou à la dépénalisation de l’homosexualité, mais à la crise, à l’ultralibéralisme, au capitalisme tout-puissant qui, loin de protéger, divise, domine, appauvrit et exclut ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Le présent texte modernisera et démocratisera le mariage. À ce titre, il s’inscrit dans la lignée des grandes réformes du droit de la famille, comme l’assouplissement des règles du divorce,…
    M. Philippe Bas. Merci Giscard !
    Mme Cécile Cukierman. … la suppression de la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels ou l’attribution aux deux parents de l’autorité parentale. Il rejoint la marche inéluctable du progrès en accompagnant les évolutions sociétales tout en protégeant chacune et chacun, adultes et enfants.
    On ne peut nier que la société a bien évolué ces dernières décennies, tout comme la famille ; celle-ci est aujourd’hui « séparée », « recomposée », « monoparentale ». D’amour en désamour, chacun construit sa vie. La famille d’aujourd’hui s’inscrit dans un PACS, un mariage ou un concubinage. Ces évolutions de fait cassent le cadre trop restreint du couple hétérosexuel marié se jurant fidélité jusqu’à la fin. C’est un constat indéniable, quoi que l’on puisse en penser.
    D’ailleurs, il ne s’agit plus aujourd’hui de reconnaître l’existence de couples et de parents homosexuels, mais simplement de constater leur légitimité, qui suppose aussi l’ouverture du droit au mariage et à la parentalité.
    Ce débat interroge, passionne ; il est partout dans l’actualité ces derniers mois.
    Une sénatrice du groupe UMP. Il n’y a pas que lui !
    Mme Cécile Cukierman. La passion que ce débat suscite reflète l’importance des valeurs que le projet de loi met en jeu, à savoir les valeurs républicaines fondamentales auxquelles la société française est attachée. Pour ses détracteurs, le texte s’attaquerait à ces valeurs ; il me semble au contraire qu’il les conforte, comme je vais maintenant le montrer en les évoquant l’une après l’autre.
    En ce qui concerne d’abord la liberté, le projet de loi renforce celle de se choisir, de vivre ensemble, de fonder une famille.
    Le texte conforte ensuite l’égalité, car c’est bien d’égalité qu’il s’agit, contrairement à ce que nous avons pu entendre : l’égalité de droits et l’égalité de choix entre les différentes formes d’union possibles.
    Si les plus hautes juridictions françaises et européennes n’ont pas jugé que l’impossibilité pour les couples de personnes de même sexe de se marier constitue une discrimination, elles ne ferment aucunement la porte à ce type de mariage.
    De fait, la décision ne peut venir que du législateur. Il nous appartient d’écrire le droit de demain, marquant forcément une évolution par rapport à celui d’hier. Nous ne pouvons que constater, comme la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité hier ou le Défenseur des droits aujourd’hui, que l’impossibilité pour les couples de personnes de même sexe de se marier produit des inégalités et des discriminations indirectes, dès lors que le pacte civil de solidarité ne garantit pas aux couples qui le contractent des droits équivalents à ceux dont bénéficient les personnes mariées.
    Pour lutter contre ces discriminations, nombre de nos collègues siégeant à droite de l’hémicycle proposent une alternative consistant à aligner le régime du PACS sur celui du mariage ou à créer une union civile. Comme l’explique dans son excellent rapport notre collègue Jean-Pierre Michel, dont je tiens à saluer le travail, le principe d’égalité de tous les citoyens face aux institutions commande que l’on ne crée pas un « mariage bis » pour une catégorie de citoyens. Je le répète : protégeons, incluons et ne discriminons pas.
    On a beaucoup parlé des manifestations contre ce projet de loi, mais il y en a eu aussi d’organisées pour le soutenir. Je me rappelle la pancarte tenue par un homme manifestant en faveur de l’adoption du texte ; il y était écrit : « l’égalité, ça ne se négocie pas ». J’ajouterai que l’égalité, ça s’applique !
    Mes chers collègues, le mariage n’est pas qu’un symbole, mais il en est aussi un : c’est pourquoi ce projet de loi s’inscrit dans une politique de reconnaissance sociale des personnes homosexuelles, dans une politique de lutte contre la discrimination.
    Si nous rejetons ce texte, comment expliquerons-nous, notamment aux jeunes générations, qu’il est important de lutter contre l’homophobie au même titre que contre le racisme ou le sexisme ? S’opposer farouchement au présent projet de loi, c’est vouloir perpétuer une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, établir en creux une hiérarchisation des individus et des familles.
    Enfin, ce projet de loi promeut la fraternité, par l’ouverture à l’autre qu’il implique. Pour moi, sur cette question de société comme sur bien d’autres, la normalité, c’est la diversité.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !
    Mme Cécile Cukierman. Dès lors, c’est en acceptant cette diversité que nous pourrons vivre ensemble dans un monde tout simplement plus humain. Il me semble qu’il faut aller aujourd’hui au bout de la démarche et respecter tous les individus, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur identité de genre. Ainsi, chacun fera demain partie d’une société où ne se posera plus la question de la « normalité » d’une famille, d’un couple ou d’un individu.
    Le groupe communiste républicain et citoyen votera ce projet de loi. Ce faisant, il se prononcera en faveur d’une société plus juste, plus respectueuse, plus protectrice, défendant la fraternité dans la République. Il soutiendra jusqu’au bout les objectifs de liberté et d’égalité qui sous-tendent cette réforme. Mes chers collègues, je suis persuadée que la famille et notre société en sortiront renforcées ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Bravo !
    M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
    M. François Zocchetto. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous vivons un moment important ; je crois même pouvoir dire qu’il est historique. Chacun doit mesurer la responsabilité qui est la sienne alors qu’il est question de modifier l’organisation même de notre société à travers l’institution de la famille.
    Le Gouvernement a fait le choix de soumettre ce projet au Parlement plutôt qu’au peuple.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est dommage !
    M. François Zocchetto. Mesdames les ministres, vous en aviez parfaitement le droit, mais ce choix ne vous interdisait pas d’accorder un minimum de considération et d’écoute aux millions de Français qui n’adhèrent pas à votre thèse ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    Nous, sénateurs et sénatrices centristes, considérons qu’en aucun cas les conventions sociales ne sauraient primer sur la souffrance vécue par un grand nombre de nos concitoyens, qui ressentent un profond sentiment d’injustice.
    Une société humaine est un organisme vivant. Elle croît, évolue, change avec le temps ; c’est d’autant plus vrai dans nos sociétés occidentales. Notre droit civil n’a donc rien d’intangible, d’autant qu’il se veut extrêmement complet et invasif. Notre droit de la famille, comme de nombreuses autres branches du droit, doit pouvoir évoluer et s’adapter, en particulier aux évolutions sociales.
    Nous sommes donc ouverts au principe de la réforme. Nous avons jadis reçu l’héritage législatif de Simone Veil et, comme nous l’avons déjà démontré plus récemment, nous savons dépasser une attitude d’opposition caricaturale et soutenir des initiatives lorsqu’elles nous semblent aller dans le bon sens. Tel est notre état d’esprit.
    Venons-en maintenant à la question du mariage, qui semble être l’une des institutions les mieux partagées du monde. Quelle que soit la forme du lignage ou de la famille dans telle ou telle société, je ne connais pas de civilisation qui n’ait eu une institution de cette nature.
    Le mariage est l’union de deux personnes en vue de la fondation d’une famille : telle est la conception retenue dans le code civil. Un premier constat s’impose : au plan historique, les sociétés humaines restent fondées sur l’altérité du féminin et du masculin en tant que principe de la filiation. Un second constat s’impose également : si toutes les sociétés permettent le mariage, sous une forme ou une autre, la conception française du mariage civil, issue du code civil de 1804, est très spécifique.
    Le fait que le terme « mariage » se retrouve dans la plupart des systèmes juridiques étrangers n’implique pas que tous nos voisins en aient la même conception que nous. Aussi les comparaisons, souvent un peu rapides et superficielles, avec les évolutions législatives du mariage chez certains de nos voisins européens ne sauraient-elles suffire à justifier votre réforme, madame la garde des sceaux. Une telle démarche n’est pas pertinente. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Nous sommes par ailleurs attachés à la diversité de régimes existant déjà dans notre droit, pour le couple mais aussi pour la famille. Cette pluralité est synonyme de liberté, pour chacun, de choisir le cadre qui lui convient, d’opter pour un système encadré juridiquement ou beaucoup plus souple et ouvert. Ainsi, en 2013, trois régimes existent déjà : le concubinage ou union libre, le pacte civil de solidarité et le mariage. Nous sommes, ainsi que nos concitoyens, très attachés à cette diversité.
    Pour autant, ces différents cadres juridiques sont-ils suffisants et adaptés à l’évolution des couples et à la diversité des familles d’aujourd’hui ? Sans doute pas, nous en convenons. Nous entendons en particulier la demande des couples homosexuels, leur désir d’une reconnaissance sociale accrue.
    En effet, il y a aujourd’hui plus de solennité dans la signature d’un acte d’achat ou de vente d’un bien immobilier que dans la signature d’un PACS, ce qui, reconnaissons-le, n’est pas normal.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vrai !
    M. François Zocchetto. Aussi notre groupe milite-t-il pour l’instauration d’une union civile ouverte à tous les couples. L’union civile que nous vous proposerons d’instituer au travers de nos amendements est non pas un contrat, mais un engagement entre deux personnes. Célébrée en mairie, elle conférerait les mêmes droits et les mêmes devoirs que le mariage, notamment en matière patrimoniale, mais – différence fondamentale avec le mariage – elle n’aurait pas d’effet sur la filiation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
    Pourquoi ce choix ? Justement pour préserver la conception actuelle du mariage civil, car, en droit français, même si certains semblent l’ignorer, on déduit du mariage la filiation, que ce soit à travers la présomption de paternité ou l’adoption.
    M. Alain Gournac. Voilà !
    Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Il faut évoluer !
    M. François Zocchetto. C’est une évidence juridique, mais je crains que, même parmi nous, certains n’en soient pas totalement empreints.
    C’est pour cette raison qu’une large majorité de notre groupe est opposée à votre projet de loi, madame la garde des sceaux. Nous avons tous pu le mesurer, c’est non pas la question de la conjugalité, mais celle de la filiation qui agite le débat public.
    M. Charles Revet. Bien sûr !
    M. François Zocchetto. On a souvent rétorqué à ceux qui souhaitent protéger la forme actuelle de la famille que celle-ci repose sur une inégalité excluant, de fait, les couples homosexuels. Les couples hétérosexuels bénéficieraient d’un droit que l’on refuserait aux autres par pur conformisme. Je pose la question, madame la garde des sceaux : y a-t-il un droit à l’enfant pour le couple hétérosexuel ? Je pense, comme la totalité des membres de mon groupe, qu’il n’y a jamais eu de droit à l’enfant pour un couple hétérosexuel. Un tel couple peut donner la vie, la loi est là pour organiser les choses, mais la filiation reste une éventualité pour les parents ; c’est une liberté que la vie elle-même offre, le législateur ne peut avoir cette prétention.
    M. Philippe Esnol. Quel rapport ?
    M. François Zocchetto. C’est le fond du sujet, mon cher collègue !
    Existe-t-il, pour autant, un droit à l’adoption dans notre législation actuelle ? Non : il y a un droit à la famille pour des enfants qui n’ont pas de famille, mais il n’y a pas de droit à l’adoption. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Mme Catherine Troendle. Bravo !
    M. François Zocchetto. C’est une erreur fondamentale de considérer l’adoption à l’aune des situations marginales qu’elle a pu engendrer : c’est méconnaître sa vocation originelle.
    Nous abordons ici le véritable enjeu de cette réforme. C’est aussi le moment où nous sommes confrontés à une vérité absolue, incontournable : pour procréer, pour donner naissance à un enfant, il faut un homme et une femme, quels que soient les moyens utilisés.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui, c’est la nature !
    M. François Zocchetto. Nous pouvons changer la loi,…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. … mais pas la nature !
    M. François Zocchetto. … mais celle-ci ne peut dépasser la vérité que je viens de rappeler.
    M. Jackie Pierre. Bravo !

  • Séance du 4 avril 2013 (5)

    15 janvier 2018

    M. François Zocchetto. Dans le même esprit, on ne saurait décréter le beau temps ou créer un droit opposable au bonheur : le législateur doit faire preuve de modestie et de prudence. « La loi n’est pas un acte de puissance », a-t-il été dit tout à l’heure.
    La préoccupation première, celle qui prime sur toutes les autres et qui aurait dû guider votre réforme, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. Nous aurons l’occasion de souligner, au cours de l’examen des articles, que l’obligation juridique de respecter avant tout l’intérêt supérieur de l’enfant résulte notamment de nos engagements internationaux, lesquels, curieusement, ne sont jamais évoqués dans l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi.
    La démarche du Gouvernement, qui a choisi de découper sa réforme de la famille en plusieurs textes dont on ne connaît pas les contours, manque de clarté. Dès lors que, en droit français, le mariage renvoie à l’enfant à travers l’adoption et la filiation, il est impossible de ne pas aborder dans le même cadre les questions de la PMA et de la GPA (Applaudissements sur les travées de l’UMP.), surtout lorsque l’on justifie une telle réforme en invoquant la notion d’égalité : quid, en effet, de l’« égalité » entre couples homosexuels de femmes et couples homosexuels d’hommes ? Les seules issues possibles seront la PMA pour les couples de femmes et la GPA pour les couples d’hommes.
    Mme Catherine Troendle. Eh oui ! Tout à fait !
    M. François Zocchetto. Convenez que, sur ces points, les hésitations et les approximations ne manquent pas. D’ailleurs, quand on entend le Président de la République s’exprimer sur ce sujet, qui requiert beaucoup d’expertise et de discernement, on n’y comprend rien ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) Si vous vouliez prendre l’avis du Comité consultatif national d’éthique, alors il fallait attendre ! Nous aurions ensuite pu légiférer globalement sur la famille.
    En conclusion, je dirai que nous ne savons pas où nous allons. Vous demandez au législateur de prendre un risque, contre l’avis d’une part importante de la population ; dans la mesure où il s’agit d’enfants que l’on n’entendra que lorsqu’il sera trop tard, j’estime que nous ne le pouvons pas ! (Bravo ! et applaudissements sur la plupart des travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
    M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est avec une émotion particulière que je m’exprime au nom des sénateurs radicaux de gauche, au moment où notre assemblée entame l’examen de ce qui est bien plus qu’un simple projet de loi. Ce débat s’inscrit en effet dans la lignée de ceux, emblématiques, qui ont porté sur la loi Veil, l’abolition de la peine de mort, l’instauration du PACS… (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Nathalie Goulet. Ah non !
    M. Alain Gournac. L’abolition de la peine de mort !...
    M. Jean-Michel Baylet. Parfaitement, mon cher collègue ! J’étais député, en 1981, et j’ai voté l’abolition de la peine de mort. Je me souviens encore de ce que vos amis politiques disaient à l’époque ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Beaucoup d’arguments, pas toujours de bonne foi, ont été échangés sur la question de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Je souhaite cependant que la discussion de ce projet de loi, ou plutôt la manière dont se dérouleront nos débats, permette un travail législatif de qualité, qui fasse honneur à notre assemblée, car il y va, mes chers collègues, de notre responsabilité collective, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.
    Je veux tout d’abord saluer le vaste travail accompli par le rapporteur, Jean-Pierre Michel, qui a su mener sa mission avec respect et assurance. Les auditions – une quarantaine au total – nous ont permis d’entendre les responsables d’associations d’élus, des représentants des cultes, des scientifiques, des philosophes, des juristes…
    De ces dizaines d’heures de travail préparatoire – bien sûr indispensables – à l’examen du texte, je ressortirai plus particulièrement ces mots de l’anthropologue Françoise Héritier, qui nous interroge sur ce qui constitue notre humanité :
    « Le propre de l’humain est de réfléchir à son sort et de mettre la main à son évolution. Il n’a aucune raison de refuser des transformations dans l’ordre social au seul motif que ses ancêtres ne vivaient pas ainsi il y a plusieurs millions d’années. (M. Vincent Eblé applaudit.) Il accepte bien les innovations technologiques, il les recherche même. Pourquoi repousser celles ayant trait à l’organisation de la société ? Le mariage, cadre à forte charge symbolique, est devenu pensable et émotionnellement concevable comme ouvert à tous, ce qui correspond aux exigences comme aux possibilités du monde contemporain, donc de notre caractère d’être humain. »
    Pour en revenir à des considérations plus politiques, je m’attarderai sur l’opportunité de discuter aujourd’hui d’une telle réforme. Certains commentateurs de la vie politique ou opposants au texte posent la question suivante : « Pourquoi discuter d’un tel texte de loi, alors que notre pays traverse la plus grave crise de ces dernières décennies ? » (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Claude Gaudin. C’est vrai !
    M. Jean-Michel Baylet. Cela revient donc à affirmer que des avancées ne sauraient intervenir qu’en période de prospérité. En 1974-1975, était-il futile de légiférer sur l’interruption volontaire de grossesse alors que notre pays subissait les conséquences du premier choc pétrolier ? Bien sûr que non ! Je pense pour ma part qu’il n’y a jamais de mauvais moment pour faire avancer l’égalité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
    À ceux qui opposent le social au sociétal, je rappellerai les textes discutés dans cet hémicycle depuis l’été dernier, portant création des emplois d’avenir, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, des contrats de génération… Aujourd’hui même, les députés débattent de la transcription législative de l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l’emploi, texte déterminant en matière de compétitivité de nos entreprises et de sécurité pour les salariés.
    J’ajoute que les réformes sociétales, comme les réformes sociales, ont toute leur place dans les projets du quinquennat : cela avait été dit et promis.
    Si nous sommes saisis aujourd’hui d’un texte ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, c’est que nous sommes à la conjonction de deux mouvements : le premier tend à considérer le mariage à la fois comme un contrat et comme une institution en perpétuelle évolution ; le second vise à l’inclusion des personnes homosexuelles au sein de la société.
    Madame la garde des sceaux, vous avez brossé, alors que vous présentiez ce texte devant l’Assemblée nationale avec l’ardeur et le lyrisme que nous vous connaissons, un panorama des évolutions du mariage au fil de celles qu’a connues la société. Je me bornerai donc à rappeler quelques étapes.
    Tout d’abord, l’article 7 de la Constitution du 3 septembre 1791 opère une sécularisation du mariage, qui, aux yeux de l’État, est non plus un sacrement, mais un contrat civil. Tout le monde doit l’entendre, y compris dans la rue !
    Le mariage tel qu’il est aujourd’hui procède d’un cheminement dont un certain nombre de lois constituent autant d’étapes décisives.
    Ainsi, la loi du 4 juin 1970 relative à l’autorité parentale a institué une pleine égalité entre les conjoints et substitué l’autorité parentale à l’autorité paternelle.
    M. Philippe Bas. Pompidou !
    M. Jean-Michel Baylet. Oui, je vous l’accorde, à une certaine époque, la droite était un peu plus progressiste qu’elle ne l’est aujourd’hui ! (Sourires sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    La loi de juillet 1975 a modernisé le droit du divorce.
    De même, s’agissant de la filiation, il y a un avant et un après la loi du 3 janvier 1972, texte qui posa le principe de l’égalité entre enfants légitimes et enfants naturels.
    Plus récemment encore, s’agissant de la transmission des patronymes, la loi du 18 juin 2003 a disposé qu’un enfant peut porter soit le nom de sa mère, soit le nom de son père, soit les deux.
    M. Philippe Bas. Merci Chirac !
    M. Jean-Michel Baylet. Je ferai le même commentaire que précédemment, monsieur Bas ! Ressaisissez-vous, chers collègues de l’opposition, voyez quel mauvais coton vous filez ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
    Ces évolutions du mariage apportent la démonstration que celui-ci est bien une institution vivante. Parallèlement, qu’on le veuille ou non, se sont développées des formes alternatives de familles. En effet, gardons à l’esprit qu’aujourd’hui plus de la moitié des enfants naissant en France sont issus de couples non mariés. Familles divorcées, familles recomposées, familles hors mariage, familles monoparentales et familles homoparentales sont donc une réalité que nul ne peut sérieusement contester.
    Mes chers collègues, ayons le courage de regarder notre société en face. Ne faisons pas comme ceux qui s’ébrouent entre Neuilly et l’avenue de la Grande-Armée ; la proximité de l’hippodrome de Longchamp n’oblige pas au port d’œillères ! (M. le rapporteur applaudit.)
    M. Alain Gournac. Arrêtez ! C’est cela, votre grand débat ?
    M. Jean-Michel Baylet. Le second mouvement que j’évoquais est plutôt un combat pour l’acceptation par la société d’une sexualité sortant du schéma traditionnel homme-femme.
    Arrêtons-nous un instant sur l’histoire de l’homosexualité. Longtemps criminalisée, car jugée subversive et contre nature, elle fut, pendant de longs siècles, durement et cruellement réprimée. Elle fut ensuite perçue comme une « atteinte aux bonnes mœurs » et même considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé, qui la classa comme telle, et par le droit français, jusqu’au début des années quatre-vingt-dix.
    Je veux évoquer le rôle prépondérant joué, dans cette longue marche vers l’égalité, par Henri Caillavet, ancien sénateur radical récemment disparu, qui déposa ici même, dès 1978, une proposition de loi visant à abroger les discriminations légales dont les homosexuels faisaient l’objet. Parlementaire exigeant, homme de tolérance, guidé par son grand humanisme et son indépendance d’esprit, il fut le premier à oser brandir l’étendard de l’égalité quelle que soit l’orientation sexuelle. Nous, radicaux de gauche, sommes ses héritiers et continuons aujourd’hui son combat.
    Mes chers collègues, en 1999, un pas décisif fut franchi avec l’instauration du pacte civil de solidarité.
    Je me souviens – c’est l’apanage des parlementaires disposant d’une certaine expérience – des débats qui ont entouré sa création. J’y vois même des analogies avec les discussions sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Je me remémore les prises de parole outrancières, les arguments alarmistes, les esclandres et chausse-trappes parlementaires. Bref, le présent débat a comme un air de déjà-vu.
    Or qui, aujourd’hui, remet en cause le PACS ? Entre 2002 et 2012, soit en dix ans, personne, dans la majorité d’alors, pas même ceux qui s’étaient montrés les plus virulents contre l’institution du PACS, n’a souhaité revenir sur cet acquis.
    Depuis l’instauration du PACS et le renforcement de certaines dispositions, des procédures ont été lancées, notamment auprès du Conseil constitutionnel, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, mais également auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, afin d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. Les décisions de ces deux juridictions n’ont, au final, pas surpris ; elles ont permis d’alimenter le débat et ont renforcé l’idée qu’une telle réforme doit découler d’un choix politique.
    C’est la raison pour laquelle, au nom des radicaux de gauche, j’ai porté cette proposition lors de la campagne des primaires citoyennes ; aujourd’hui, madame la garde des sceaux, j’apporte naturellement mon soutien sans réserve à votre texte.
    Au-delà du symbole, si fort soit-il, il nous revient, en notre qualité de législateur, de prévoir les implications concrètes de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. Cela nous impose de veiller à la qualité du texte sur le plan du droit, et nous serons donc tout particulièrement vigilants au cours de l’examen des articles. On l’a répété, il s’agit non pas de modifier les règles en vigueur pour les couples hétérosexuels, mais d’appliquer et d’adapter ces règles aux couples de personnes de même sexe. D’aucuns auraient préféré que l’on reconnaisse cette égalité, mais sans que l’on puisse appeler « mariage » l’union de deux personnes de même sexe. Je crois, pour ma part, que la force de votre projet de loi, madame la garde des sceaux, tient précisément au fait qu’il retient cette appellation.
    Par ailleurs, la question de la filiation est également au cœur de cette réforme. Françoise Héritier, encore elle, éclaire notre débat en différenciant la parentalité, l’engendrement-enfantement et la filiation : selon elle, « la filiation est la règle sociale qui détermine l’affiliation d’un enfant à un groupe, en lui conférant droits et devoirs. Elle se différencie de la vérité biologique […]. On peut être investi dans la parentalité et transmettre la filiation sans être géniteur : c’est l’adoption légale. »
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Eh oui !
    M. Jean-Michel Baylet. D’ailleurs, s’agissant de l’adoption, cette réforme permettra de sortir de l’hypocrisie. En effet, aujourd’hui, et depuis l’entrée en vigueur de la loi du 11 juillet 1966, des personnes célibataires peuvent obtenir un agrément pour l’adoption, alors que les couples homosexuels ne le peuvent pas. L’absurdité de la situation contraint certains homosexuels à entamer des démarches en tant que célibataires. Les conseils généraux, qui délivrent les agréments, rencontrent de tels cas quotidiennement. En tant que président du conseil général de Tarn-et-Garonne, j’ai eu dès 2011 à traiter de dossiers d’adoption relevant de l’homoparentalité : je suis fier d’avoir accordé l’agrément aux couples concernés ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.) Cette décision ne fut pas politique, elle fut prise après avis favorable de la commission compétente.
    Mes chers collègues, poser la question de la filiation, c’est également interroger les consciences sur certaines avancées scientifiques, notamment l’assistance médicalisée à la procréation et la gestation pour autrui.
    Notre assemblée s’est saisie de ces évolutions. À cet égard, je veux citer le rapport d’information intitulé « Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui », publié dès 2008 par trois de nos collègues. Tout en faisant remonter ces pratiques à l’Ancien Testament, en mentionnant notamment l’épisode de la conception et de la naissance d’Ismaël, fils d’Abraham, ce rapport présentait plusieurs préconisations intéressantes.
    Ces thématiques ne concernent pas exclusivement les futurs couples homosexuels, puisque la PMA existe déjà pour les couples ayant des problèmes de fertilité à travers la fécondation in vitro et l’insémination artificielle.
    Bien sûr, les questions soulevées se posent en termes de bioéthique et ne sauraient être introduites par la voie d’un simple amendement. Si mes amis radicaux et moi-même restons opposés à la GPA, nous proposerons néanmoins, dans l’intérêt supérieur des enfants concernés et afin de remédier à l’insécurité juridique dont ils pâtissent actuellement, d’améliorer le présent texte en vue de permettre la transcription à l’état civil français des actes de naissance des enfants nés à l’étranger à la suite d’une gestation pour autrui.
    Regardons ce qui se passe hors de nos frontières : la voie nous est tracée, non seulement en Europe, mais également dans des pays réputés plutôt conservateurs, subissant plus que la France l’influence de l’Église (Exclamations sur les travées de l’UMP.) : l’Argentine, le Chili, l’Uruguay… Dans ce dernier pays, certains sénateurs de l’opposition ont joint leurs voix à celles de leurs collègues de la majorité pour créer le mariage pour tous. Chers collègues qui siégez sur les travées de droite de notre hémicycle, je vous invite à suivre ce bel exemple !
    Nos sociétés évoluent. J’entends dire que le droit n’a pas à courir derrière les évolutions sociétales. Je réponds ceci : peut-il les ignorer ? Notre droit peut-il demeurer hermétique à la société à laquelle il s’applique ? Nous ne le pensons pas.
    Madame la garde des sceaux, vous avez déclaré, lors de votre audition par la commission des lois, que « le projet de loi est marqué du sceau de l’égalité ». Je ne peux qu’abonder dans votre sens, et j’irai même plus loin : il est marqué aussi du sceau de la liberté. En effet, une fois ce projet de loi adopté, chacun, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel, aura la liberté de s’unir ou de ne pas s’unir par le mariage avec la personne qui partage sa vie, de vivre avec elle en concubinage ou de contracter un PACS. Il s’agit d’une loi de fraternité et d’humanisme en ce qu’elle reconnaît indistinctement couples hétérosexuels et couples homosexuels et qu’elle considère avec la même bienveillance toutes les formes de familles.
    Notre pays est prêt, j’ai confiance en nos compatriotes, et c’est fort de cette confiance que les sénateurs radicaux apportent tout leur soutien à ce texte. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
    Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comment comprendre la revendication, de la part des couples gays et lesbiens, de pouvoir accéder à une union dite « normale », c’est-à-dire « ordinaire », ne distinguant en rien ces couples-là, en termes de devoirs comme en termes de droits, de M. et Mme Tout-le-monde.
    Force est de constater, aujourd’hui, la baisse du nombre de mariages civils et religieux célébrés dans la société globale et l’augmentation du nombre des naissances hors mariage.
    Alors pourquoi, se demanderont d’aucuns, celles et ceux qui ne font rien « comme tout le monde » exigeraient-ils donc de pouvoir accéder au mariage, institution traditionnelle et quelque peu empoussiérée ? (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
    MM. Jean-Claude Gaudin et Charles Revet. Oui, pourquoi ?
    Mme Esther Benbassa. La perception de l’homosexuel a certes varié dans l’histoire, mais celle qui éclot à l’âge classique est indissociable de la morale bourgeoise. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Éric Doligé. Heureusement que les bourgeois paient leurs impôts !
    Mme Esther Benbassa. Elle se traduit par une volonté d’exclusion morale et sociale des homosexuels, dont les répercussions, même atténuées, pèsent encore sur nos mentalités.
    Comme Didier Eribon le souligne dans ses Réflexions sur la question gay, la morale bourgeoise n’est pas seulement une morale du travail ; c’est aussi une morale de la famille, qui dit désormais ce que doit être la société et qui y appartient ou non de plein droit.
    Michel Foucault déjà, dans son Histoire de la folie à l’âge classique, insistait sur la prégnance d’« un certain ordre dans la structure familiale », valant « à la fois comme règle sociale et comme norme de la raison […]. La famille, avec ses exigences, devient un des critères essentiels de la raison […]. Elle exclut comme étant de l’ordre de la déraison tout ce qui n’est pas conforme à son ordre ou à son intérêt. » L’âge classique procède ainsi, précise Michel Foucault, à la « confiscation de l’éthique sexuelle par la morale de la famille ».
    En sommes-nous donc toujours là ? Le moyen d’en sortir, après tant de siècles d’exclusion morale et sociale, ne passe-t-il pas, paradoxalement, par l’expression et la satisfaction de ce désir de mariage, de ce curieux désir de normalité bourgeoise, de la part des gays et des lesbiennes ?
    M. Éric Doligé. Ce sont les bourgeois qui paient les impôts !
    M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !
    Mme Esther Benbassa. Gays et lesbiennes entendent affirmer par là leur légitimité à se situer du côté de l’inclusion et de la « raison », mettre fin à ces siècles de discrimination qui en ont fait des malades et des fous. Ils et elles sont des êtres, des citoyens et des citoyennes comme les autres. La revendication du « mariage pour tous » fait partie d’une demande légitime de normalisation, de banalisation de leur condition.
    Quels qu’aient pu être leurs slogans officiels ou officieux, les récentes manifestations anti-mariage pour tous ont appuyé l’idée inverse et séculaire selon laquelle ces gens-là ne sont pas comme les autres et n’ont donc pas droit à ce que tout citoyen ou résident en France obtient sans problème aucun. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. François-Noël Buffet. On n’a jamais dit ça !
    M. David Assouline. Vous l’avez pensé très fort !
    Mme Esther Benbassa. Elles ont remis à l’ordre du jour la fameuse « morale bourgeoise », pourtant bien craquelée depuis un bon demi-siècle.
    Elles expriment une revanche, enfin, sur les artisans de mai 68, qui, soyons modestes, n’ont réussi qu’à bousculer un peu l’ancien modèle de la famille, même s’ils auraient bien voulu l’abattre.
    Ces manifestations marquent surtout un retour du refoulé. L’ordre familial revient au galop et a trouvé ses cibles : anciens exclus et amis de la déraison. Et ce au nom du supposé intérêt supérieur de l’enfant !
    Protéger les enfants, tout le monde est pour. Les opposants au mariage pour tous tentent donc d’en faire la justification imparable de leur refus. Le besoin, chez l’enfant, d’un père et d’une mère,…
    M. Gérard Longuet. C’est normal !
    Mme Catherine Troendle. Voilà !
    Mme Esther Benbassa. … contre le désir d’enfant des homosexuels : pure idéologie ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Les manifestants expriment une peur, celle de l’effondrement d’une famille traditionnelle déjà bien ébranlée et de la multiplication, pour un même enfant, du nombre de référents parentaux. Fini, hélas ! le modèle « papa-maman et leur enfant » ! (Exclamations indignées sur les travées de l’UMP.) Fini depuis longtemps en fait, sans que les gays et les lesbiennes soient des pionniers en la matière : les familles recomposées ne les ont pas attendus pour se recomposer !
    Aucune étude ne démontre que les enfants de familles monoparentales ou homoparentales, que les enfants adoptés, ou nés par PMA ou de mères porteuses, vivent nécessairement dans le malheur. Ils ne vont ni mieux ni moins bien que les autres, élevés dans des familles dites « normales ».
    M. Jean-Vincent Placé. Exactement !
    Mme Esther Benbassa. L’avocate Caroline Mécary, que je le salue, a consacré une grande partie de sa carrière à défendre des familles homoparentales. Elle écrit que, si c’était l’inverse qui était vrai, il faudrait immédiatement contraindre les dix pays européens qui ont d’ores et déjà ouvert l’adoption à tous les couples de modifier leur législation, l’intérêt des enfants ne pouvant être à géométrie variable.
    Ces situations existent. Ce sont à ces enfants-là que notre droit est tenu d’apporter une réponse. Les enfants nés par PMA ou par GPA, techniques déjà pratiquées, les enfants de parents homos, ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.) Doit-on les exclure, comme on tente d’exclure leurs parents ? (Mêmes mouvements.)
    M. Gérard Longuet. Vous êtes à côté de la plaque !
    Mme Esther Benbassa. Pour aller encore plus loin, peut-on affirmer sans ambages que l’intérêt « supérieur » de l’enfant est vraiment au centre de notre construction juridique, qui donne la priorité à la liberté d’engendrer de chacun, quels que soient ses qualités et ses défauts, réels ou supposés ? (M. le rapporteur applaudit.)
    Les pauvres et les riches, les alcooliques et les sobres, les analphabètes et les cultivés, les malades et les bien portants, les brutes et les doux, tous partagent le même droit de créer une famille. Et c’est fort bien ainsi ! Le temps où la société s’arrogeait le droit de stériliser les alcooliques et les handicapés comme dans les années 1930 en Suède, au nom de l’intérêt de l’enfant, est heureusement révolu. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Gérard Longuet. Vous y reviendrez avec l’eugénisme !
    Mme Esther Benbassa. Il n’y a que les gays et les lesbiennes à qui, aujourd’hui, on ose ouvertement dénier le droit de fonder une famille au nom de l’intérêt dit « supérieur » de l’enfant. Pourquoi ? Parce qu’ils seraient différents ? Mais différents en quoi et différents de qui exactement ?
    M. Gérard Longuet. Du calme !
    Mme Esther Benbassa. Cette « différence » est-elle autre chose, au fond, que le préjugé qui les frappe ? Est-il admissible de continuer à faire de ce préjugé une règle sociale et juridique ? Si ce n’est pas de la discrimination, alors, qu’est-ce donc ?
    M. Jean-Claude Gaudin. Oh !
    Mme Esther Benbassa. L’internement des gays pour déraison fut hier l’un des outils de la sauvegarde de l’ordre moral au centre duquel se trouvait la famille. La psychiatrie a longtemps joué ce jeu. Aujourd’hui, certains psychanalystes instrumentalisent leur science pour apporter un renfort aux tenants de l’anti-mariage pour tous et défendent le modèle traditionnel de la famille dans une sorte de conservatisme dont on ne sait ce qu’il doit vraiment à la psychanalyse.
    Au XIXe siècle, l’homosexualité était tenue pour une pathologie mentale ou pour une perversion du désir ou de l’instinct. Rien, pourtant, dans l’expérience freudienne, ne peut valider « une anthropologie qui s’autoriserait du premier chapitre de la Genèse », comme le rappelle Jacques-Alain Miller.
    Calmons-nous quelques secondes (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) et remémorons-nous la Genèse : « Croissez et multipliez » ; « Voilà pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère : il s’unit à sa femme, et ils deviennent une seule chair ».
    M. Michel Mercier. Eh oui !
    Mme Esther Benbassa. Pour les psychanalystes qui se réclament en fait de l’Adam et de l’Ève de la Genèse comme d’un modèle indépassable, il s’agit évidemment plus de croyance religieuse que de psychanalyse.
    On ne surestimera jamais trop, dans une France à la laïcité pourtant si chatouilleuse, le poids écrasant de l’impensé catholique dominant (Murmures sur les travées de l’UMP.), y compris lorsque l’on évoque le mariage, même si, en l’occurrence, il s’agit du mariage civil. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
    La sacralisation catholique du mariage continue de nous coller à la peau. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Christiane Hummel. Inacceptable !

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Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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