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mercredi 30 janvier 2013

D.Bertinotti (29 janvier)

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, les débats sociétaux ont été nombreux au sein de cet hémicycle : les uns anticipateurs, les autres accompagnateurs des évolutions de la société.
 
En effet, il est des temps où la représentation parlementaire a la possibilité de voter des lois qui devancent l’évolution de la société civile et résolvent des problèmes avant qu’ils ne se posent de manière conflictuelle. Mais il est d’autres temps où la représentation parlementaire a la possibilité de voter une loi qui accompagne l’évolution, dans le meilleur des cas sans trop de retard, en prenant acte d’un état des mentalités et des mœurs qui impose une nouvelle législation. Nous sommes précisément à ce moment-là. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 
Oui, cette réforme visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe est une avancée égalitaire.

Un député du groupe UMP. Un recul !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Il n’est pas si loin, le temps où les homosexuels étaient stigmatisés,…

M. Philippe Meunier. Hors sujet !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

…passibles d’une peine délictuelle jusqu’en 1982 en France. Il a fallu attendre 1990 pour que l’OMS retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales. On vient de loin dans le rejet et la discrimination qui ont engendré bien des souffrances inutiles, aussi bien pour les homosexuels que pour leurs familles.

M. Yves Fromion. Personne ne le conteste !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Ils nous l’ont dit lors des auditions, et je cite : « Mon homosexualité n’est pas le souci, c’est l’image de moi et de ma vie qu’on me renvoie et qui me blesse. »
 
Comme femme, comme femme de gauche, comme citoyenne, comme ancienne élue de la République, je ne peux admettre qu’au nom de leur orientation sexuelle, d’autres citoyens ou citoyennes puissent être entravés par la peur, la culpabilité, subir les injures, le rejet, l’intimidation ou éprouver le dégoût de soi, la solitude morale et physique, d’autant plus quand il leur est demandé de choisir entre leur sexualité et leur famille.
 
La République doit retrouver sa vocation universelle et, en particulier, celle de l’universelle dignité humaine. Plus personne ne doit être clandestin dans sa famille, clandestin dans la société, clandestin dans la République.

M. Hervé Mariton. Cela n’a rien à voir !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Le regard de la société a commencé à changer, mais encore trop timidement : seule une loi d’égalité peut le transformer radicalement. Comme on lutte contre le sexisme, comme on lutte contre le racisme, comme il nous faut encore lutter contre l’homophobie, cette réforme visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe s’inscrit dans la lignée des lois luttant contre toute forme de discrimination.

M. Hervé Mariton. C’est faux !

Mme Laurence Dumont. C’est vrai !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Elle est ainsi utile à l’ensemble de la société

.

Un député du groupe UMP. Fossoyeurs !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Cette loi est également utile, parce qu’elle nous oblige, nous et la société française, à regarder en toute objectivité la réalité des familles d’aujourd’hui. Comme ministre de la famille, comme ministre de toutes les familles, je vous invite à faire ce constat. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
 
La généralisation du travail des femmes, la meilleure maîtrise de la contraception, la création et le perfectionnement des techniques d’assistance médicale à la procréation ont changé le visage de la famille et fait évoluer les repères traditionnels de la filiation. Aujourd’hui, conjugalité, sexualité, procréation, amour ou sentiments peuvent être séparés les uns des autres et agencés par chacun de nos concitoyens comme ils l’entendent.

M. Xavier Breton. Ça, c’est votre conception des choses !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Chacun a pris le gouvernement de sa vie sentimentale : voici un phénomène inédit au regard des siècles passés. Le fait est là : la famille repose désormais sur la volonté des individus.

M. Nicolas Dhuicq. C’est l’hybris !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Depuis les années 1970, les familles ont opéré une révolution silencieuse qu’Irène Théry qualifie de « révolution de velours ». Ces changements ont été acceptés parce que la famille, n’en déplaise à quelques-uns, loin d’être une institution figée dans des structures immuables, est un formidable facteur d’adaptation au changement. Les mots eux-mêmes ont changé et traduisent cette évolution sociétale.

M. Hervé Mariton. Cette révolution !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Qui parlerait encore aujourd’hui d’enfants bâtards, d’enfants adultérins, de filles-mères, quand on sait que 56 % des enfants naissent hors mariage ?

M. Jean-Claude Perez. Eux !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Le regard de la société a beaucoup évolué, sans remettre nullement en cause la volonté de « faire famille ». Et, s’il fallait vous en convaincre, pour plus de huit Français sur dix, la famille est devenue la première des priorités. De plus, 63 % de nos concitoyens considèrent que le bien-être, c’est d’avoir une famille, quelle qu’elle soit.

M. Hervé Mariton. Vous mélangez tout !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

On a souvent jugé la valeur famille passéiste, saisissons cette chance pour que ce débat lui redonne ses lettres de modernité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
 
Moins que jamais il n’y a déclin de la famille,…

M. Philippe Meunier. Vous cassez la famille !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

…car elle demeure le lien par excellence entre les générations, jouant un rôle d’autant plus important du fait de la prolongation de la vie humaine. Plus que jamais, elle est chargée de la quête affective et du bonheur que tous, adultes comme enfants, attendent des relations privilégiées qui s’y établissent.
 
En revanche, il n’y a plus de modèle familial unique : c’est une évidence. Chacun invente le sien, chacun doit pouvoir le choisir. C’est pourquoi cette diversité des modèles familiaux appelle des avancées nombreuses de notre droit, qui seront l’objet d’un autre projet de loi que le Gouvernement est en train de préparer. (« Nous y voilà ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
 
Pour l’heure, la loi que nous vous présentons s’inscrit dans la lignée d’une série de lois qui ont déjà fait évoluer notre code civil. Dès 1804, Napoléon Bonaparte n’a-t-il pas dit, au moment de la rédaction de ce code : « Les lois sont faites pour les mœurs et les mœurs varient. Le mariage peut donc être soumis au perfectionnement graduel auquel toutes les choses humaines paraissent soumises » ?
 
Depuis lors – et Christiane Taubira l’a très bien rappelé –, la liste des modifications du droit de la famille s’est beaucoup enrichie. En 1938, les femmes mariées acquièrent la capacité juridique. En 1965, elles acquièrent l’indépendance dans l’exercice d’une profession et dans l’usage de leurs revenus. En 1970, la puissance paternelle est remplacée par l’autorité parentale partagée entre les deux parents. En 1975, la législation sur le divorce est assouplie et le divorce pour rupture de vie commune est créé.

M. Hervé Mariton. Est-ce que c’est le sujet ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

En 2005, la distinction entre enfants légitimes, naturels ou adultérins est supprimée. En parallèle, sont reconnues les formes d’union alternatives au mariage : concubinage et PACS.
 
Vous ne pensez pas que tout cela ait pu s’accomplir sans réticence. Combien de fois la fin du monde nous a-t-elle été annoncée, sans jamais avoir lieu ?
 
Rappelez-vous les mises en garde de Pierre Mazeaud en 1970, hostile au partage de l’autorité parentale…

M. Xavier Breton. Parlez-nous d’Elisabeth Guigou !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Je le cite : « Je voudrais, mes chers collègues, m’efforcer de vous préciser combien à notre époque, le texte qui nous est soumis est lourd de conséquences. Que l’on ne me taxe pas d’antiféminisme. Mais qu’on sache que ce projet risque d’aggraver la dissolution de la famille, pourtant cellule de base de toute société. »
 
De surcroît, comme si la parole politique ne pouvait suffire, il fait appel aux pédiatres et psychanalystes : « La mère exerçant l’autorité parentale, n’est-ce pas affirmer que l’enfant devient finalement l’arbitre des décisions qui le concernent ? », avant de conclure avec gravité : « Je crains qu’il n’y ait des effets graves d’ici quelques années. ». Or ces effets graves n’ont pas eu lieu, et l’on voit aujourd’hui combien ces peurs étaient infondées. Refusons les peurs !
 
La loi voulue aujourd’hui est une avancée pour tous. Tous les choix respectueux des valeurs de la République doivent obtenir d’elle la même reconnaissance et la même protection : c’est pour toutes les familles que l’État se veut confiant, sécurisant et exigeant.
 
Cette loi apportera une réponse aux difficultés concrètes que rencontrent les familles homoparentales dans lesquelles vivent de 40 000 à 300 000 enfants en France. Ils n’ont en effet, pour l’heure, de lien établi qu’avec l’une des deux personnes du couple, ce qui les plonge dans l’incertitude du lendemain en cas de décès ou de séparation. La loi permettra de régler de nombreuses situations, en autorisant notamment l’adoption de l’enfant du conjoint.
 
Redéfinir les contours juridiques des liens qui unissent et protègent adultes et enfants : voilà ce à quoi est invitée la société aujourd’hui, voilà ce que nous dicte l’intérêt de l’enfant.
 
Mais vous savez aussi qu’il y a une multiplication des acteurs impliqués dans sa conception et son éducation. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Force est de reconnaître que la filiation ne peut plus se résumer à la seule filiation biologique, ne serait-ce que parce que l’adoption d’un enfant ou le recours à la procréation médicalement assistée autorisée à des couples hétérosexuels a fait évoluer la donne.
 
M. Hervé Mariton. Pour des raisons médicales, pas pour des raisons sociétales !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

La filiation ne peut plus se réduire au fait procréatif, même s’il s’agit de lui donner la place qui lui revient dans l’histoire de tout individu. Elle s’est enrichie aujourd’hui de la relation sociale et affective qui se noue de plus en plus fréquemment entre l’enfant et l’adulte qui l’éduque.

M. Xavier Breton. Ce n’est pas ça, des parents !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Le plus grand service que l’on puisse rendre à un enfant, c’est de lui reconnaître une histoire dont tous les acteurs et toutes les dimensions, qu’elles soient sociales, biologiques ou culturelles, puissent être connus.
 
Assurément, cette loi répond à une vision généreuse de la famille, une vision qui inclut et non qui exclut (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.). Cette vision est largement partagée par des pays de plus en plus nombreux. À ce jour, il existe plus d’une quinzaine de pays qui se sont engagés ou qui s’engagent dans cette voie. Lorsque David Cameron, Premier ministre britannique conservateur, dit : « Le mariage est une grande institution, il n’y a pas de raison que les homosexuels en soient exclus »,…

M. Hervé Mariton. Je ne peux pas vous laisser dire ça !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

…lorsque l’un des députés uruguayens, auteur de la loi sur le mariage, tient le propos suivant : « Ce n’est pas une loi sur le mariage homosexuel ou gay. Il s’agit d’une mesure pour égaliser l’institution du mariage indépendamment du sexe du couple », lorsque Manu Sareen, ministre danois de l’égalité et des affaires ecclésiastiques, dit : « Il s’agit d’égalité (...) c’est un immense pas en avant », lorsque Barack Obama, à l’occasion de son discours d’investiture, s’exprime ainsi : « Notre voyage ne sera pas terminé tant que nos frères et sœurs homosexuels ne seront pas traités comme tout le monde par la loi », peut-on balayer d’un revers de main les propos de ces responsables politiques, hommes et femmes, d’horizons différents ? Peut-on les soupçonner tous de vouloir détruire le mariage et la famille ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
 
Il est temps de reconnaître à chacun, quelle que soit son orientation sexuelle, la liberté de choisir la façon dont il fait famille.

M. Hervé Mariton. Que signifie cette expression, « faire famille » ?

M. Xavier Breton. Où cela s’arrêtera-t-il ?

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Reconnaître cette liberté, c’est reconnaître la liberté de tous nos concitoyens. Elle est au cœur même de notre République, cette République que Jean Jaurès a si bien définie dans son adresse à la jeunesse : « La République, c’est un grand acte de confiance. La République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action, qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre. Oui la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. » Confiance et audace ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 
J’en appelle, au-delà de la conviction intime de chacun, de ses engagements philosophiques ou religieux, de sa propre expérience, aux forces du changement, aux forces du progrès, à celles qui font avancer l’Histoire. La loi et le droit doivent être les mêmes pour tous. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
 
Mais aucune avancée nouvelle n’est possible, aucune ne peut avoir de sens, tant que subsiste l’inégalité de principe qui frappe les couples de même sexe et les familles homoparentales, qui leur barre l’accès à des formes d’engagement – le mariage, la filiation – ouvertes à toutes les autres familles.
 
Reconnaître la diversité, ce n’est pas créer des régimes juridiques spécifiques à une catégorie ou qui lui seraient plus particulièrement destinés, comme l’opposition nous le propose. Quand on aime la famille, on aime toutes les familles. Je me tourne vers les rangs de l’opposition (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), même si je sais qu’en son sein il y a des hommes et des femmes d’ouverture, pour leur rappeler les propos de Nicolas Sarkozy en 2009, qui parlait d’« erreur » commise par la droite à l’époque du PACS : « C’était ridicule et outrancier. On s’est trompés. Jamais il ne faut se raidir, jamais il ne faut se bunkériser, jamais il ne faut détester. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Arlette Grosskost. C’était pour le pacte civil !

M. Matthias Fekl. Pour une fois qu’on applaudit Sarko !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

Ouvrons donc les mêmes droits dans des conditions qui permettent à tous d’y accéder.
 
J’en appelle à votre attachement républicain et laïc pour refuser toute forme d’exclusion. C’est une tâche exigeante, inlassable. François Mitterrand, en 1981, devant l’Union nationale des associations familiales, nous y invitait déjà : « À chaque période de la vie, comme à chaque période de la vie d’une société, dans une civilisation qui se veut noble et juste, rien n’est facile. Rien, car tout est intolérance. Tout nous invite à ne pas tolérer l’autre, à ne pas l’accepter, à défendre son quant-à-soi par une sorte de mouvement animal qui nous porte à considérer comme une atteinte à notre personnalité l’adresse que l’autre nous fait. Il n’y a qu’une seule réponse. Cela porte un nom peut-être désuet en politique, cela s’appelle l’amour. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, RRDP et écologiste.)

Mme Marie-Jo Zimmermann. Mais c’est nul !

Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

J’ajoute, très modestement, que cela s’appelle la fraternité, car la famille est le creuset des solidarités par excellence, un lieu de confiance et d’entraide, dans un monde qui en manque par trop. Cela s’appelle la liberté, lorsque la République permet à chacun d’être responsable dans sa vie personnelle, dans sa vie familiale, dans sa vie sociale. Cela s’appelle l’égalité, lorsqu’on permet aux membres de la société d’être, comme on le dit, tous différents, mais tous pareils.
 
Alors votez cette loi d’égalité des droits et des devoirs. Votez cette loi nécessaire. Votez cette loi nécessaire maintenant. (Les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR se lèvent et applaudissent longuement.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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