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mercredi 30 janvier 2013

Explication de la motion : Henri Guaino (29 janvier)

M. Henri Guaino. Monsieur le président… (Rires et exclamation sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. Ça commence !

M. Henri Guaino. Veuillez m’excuser, madame la présidente.

Mme la présidente. Je vous en prie, monsieur le député.

M. Henri Guaino. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi d’abord de vous dire que je ne répondrai pas aux insultes. Ce débat mérite mieux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Christian Jacob. Très bien !

M. Henri Guaino. Permettez-moi de commencer par tenir une promesse que je me suis faite, un triste jour de janvier 2010, dans la chapelle des Invalides. En prenant pour la première fois la parole à cette tribune, je veux rendre hommage à une grande voix républicaine qui s’est tue trop tôt, celle de Philippe Séguin. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
 
Le 5 mai 1992, certains d’entre vous s’en souviennent, c’était la nuit tragique de Furiani, il était monté à cette même tribune et avait déclaré : « Je voudrais croire que nous sommes tous d’accord au moins sur un point : l’exceptionnelle importance, l’importance fondamentale du choix auquel nous sommes confrontés. » Puis il avait demandé à l’Assemblée de déclarer irrecevable le projet de loi constitutionnelle qui devait permettre la ratification du traité de Maastricht, parce que, disait-il, le Parlement n’avait pas le droit de prendre seul une telle décision. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP. – Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Bernard Roman. Cela n’a rien à voir ! De plus, cela n’est pas conforme à l’article 11 de la Constitution !

M. Henri Guaino. Aujourd’hui, c’est pour autre un texte d’une tout autre nature, qui ne met pas en jeu la souveraineté nationale, mais les fondements même de notre société (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC), un texte qui a l’ambition, comme l’a dit madame le garde des sceaux, de réformer la civilisation, que je viens, avec une voix dont j’ai bien conscience qu’elle n’est pas aussi forte que celle de Philippe Séguin,…

M. Matthias Fekl. Ou celle de Malraux !

M. Henri Guaino. …mais avec une gravité comparable à la sienne, vous demander de voter cette motion de rejet préalable, conformément à l’article 91, alinéa 5, du règlement de notre assemblée.

M. Bruno Le Roux. Narcissisme !

M. Yann Galut. Philippe Séguin n’aurait pas remis en cause le Parlement !

M. Henri Guaino. Nous sommes dans un régime parlementaire. La Ve République est un régime parlementaire. Mais il arrive que sur des sujets d’une importance exceptionnelle, sur des textes d’une nature particulière, le choix du référendum ne soit pas une simple option mais, au fond, une obligation…

M. Henri Emmanuelli. On l’a vu ces cinq dernières années !

M. Henri Guaino. …une obligation politique, une obligation intellectuelle, une obligation morale, même si elle n’est pas une obligation juridique. La Constitution offre la possibilité au Président de la République de faire voter le peuple au lieu du Parlement. Elle ne le lui impose pas. Ainsi, ce n’est pas la lettre mais l’esprit de nos institutions qui est ici en cause. Il nous oblige d’autant plus.
 
Nous pourrions – nous devrions – au moins nous accorder sur un point : ce projet de loi est d’une nature très différente de celle des projets qui sont d’habitude soumis au Parlement. Nous pourrions – nous devrions – au moins nous entendre sur un fait : par son objet même, par les conséquences qu’il peut avoir, par la profondeur des sujets auxquels il touche, ce projet de loi n’est pas un projet de loi ordinaire.

M. Matthias Fekl. Pécresse a dit le contraire ! Copé aussi !

M. Henri Guaino. Mes chers collègues, vous le savez tous, dès lors que ce projet de loi serait adopté, tout retour en arrière serait très difficile, pour ne pas dire impossible. Non parce qu’il serait entré dans les mœurs, non parce que ceux qui aujourd’hui le rejettent – et avec quelle force – s’y seraient habitués, non pour des raisons politiciennes, mais pour des raisons politiques et surtout pour des raisons humaines. C’est une loi que l’on ne peut pas prendre à l’essai : si elle était adoptée, des couples se marieraient, des enfants naîtraient. (Mouvements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Yann Galut. Et c’est ce que nous souhaitons !

M. Henri Guaino. Comment dès lors imaginer revenir sur ce qui aurait été accompli ?

M. Bernard Roman. Jean-François Copé dit le contraire : il faudrait vous mettre d’accord !

M. Henri Guaino. Comment concevoir que la parole qui aurait été donnée à ces couples, à ces enfants puisse être reprise ? Mais de ce fait, ce que la majorité d’aujourd’hui déciderait, aucune majorité dans l’avenir ne pourrait le défaire. Or, aucune majorité n’a le droit de dessaisir les majorités futures, c’est la loi d’airain de la démocratie ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 
Quand une décision quasiment irréversible doit être prise, seul le peuple souverain a le droit de la prendre. C’est la loi de la République ! (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe SRC.)
 
Mes chers collègues, ce texte touche à la conscience de chacun. En évoquant l’éventualité d’une clause de conscience pour les maires, M. le Président de la République lui-même l’a reconnu. Et il appartient aujourd’hui à notre Assemblée, à chacun d’entre nous, de répondre en conscience à la question de savoir si nous avons le droit, je dis bien le droit, en tant que démocrates, en tant que républicains, de parler ici à la place de ceux que nous représentons,…

M. Bernard Roman. Non, pas à la place !

M. Henri Guaino. …de savoir si nous avons le droit, oui, le droit, de substituer sur un sujet pareil notre conscience à la leur.

M. Arnaud Leroy. À quoi servons-nous, alors ? Vous êtes un mercenaire politique !

M. Henri Guaino. C’est la question de la République qui se trouve posée. La République ne peut vivre que si chaque conscience républicaine est une conscience inquiète se demandant à chaque instant si elle n’utilise pas avec excès les pouvoirs qui lui ont été confiés,…

M. Bernard Roman. Invraisemblable !

M. Henri Guaino. …si elle exerce avec suffisamment de retenue l’autorité qu’on lui a octroyée. (Exclamations persistantes sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 
Mes chers collègues, vous qui voulez toujours réhabiliter le Parlement, cessez de l’abaisser, et écoutez ceux qui ne sont pas d’accord avec vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. – Vives protestations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Qui a quitté la séance de la commission des affaires sociales ? C’est vous qui en êtes parti ! Ne nous donnez pas de leçons !

M. Henri Guaino. Je n’ai invectivé personne, ni coupé la parole à personne ! Mes chers collègues, soyez à la hauteur de ce débat ! (Tumulte sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, seul M. Guaino a la parole. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Henri Guaino. Chaque conscience républicaine doit être inquiète à chaque instant, pour savoir si elle n’utilise pas avec excès les pouvoirs qui lui ont été confiés, et si elle exerce avec suffisamment de retenue l’autorité qu’on lui a octroyée. Tous ceux qui sont chargés de faire fonctionner les institutions de la République doivent se rappeler sans cesse que, quels que soient les droits, les pouvoirs dont ils disposent, ils n’ont en vérité que des devoirs.
 
La République ne va jamais aussi mal que lorsque cette exigence faiblit dans le cœur et la raison de ceux qui la servent. Voyez comme elle va mal, notre République, et combien elle a besoin de retrouver les vertus qui dans le passé lui ont donné tant de force.

Mme Julie Sommaruga. On se demande à cause de qui !

M. Henri Guaino. Alors, c’est à chaque conscience républicaine, inquiète de savoir où est son devoir, que je m’adresse. Je veux lui dire que l’on aurait pu s’y prendre autrement : recenser les inégalités, les injustices, les souffrances et rechercher tous ensemble, comme pour la loi relative à la bioéthique, une réponse commune afin de régler les problèmes d’héritage, de pension, et même répondre à la demande de reconnaissance d’un amour qui mérite autant de respect, de considération que toutes les autres formes d’amour. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
 
La majorité ne l’a pas souhaité. Elle a voulu que la conclusion soit écrite par avance, irrévocablement, avec l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Avec ce paradoxe que je ne peux manquer de remarquer : ceux qui, dans le passé, ont tant décrié le mariage, sont précisément ceux qui veulent aujourd’hui l’offrir à tous. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 
Dès lors que ce choix avait été fait par la majorité, il ne pouvait plus y avoir de véritable débat, car un débat dont la conclusion est écrite d’avance, mes chers collègues, ce n’est pas vrai débat, c’est un simulacre ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Christian Hutin. Et pendant les cinq dernières années, qu’est-ce que vous avez fait ?

M. Henri Guaino. Si le Président de la République restait sur sa position, si la majorité ne changeait pas d’avis, le peuple serait deux fois bafoué : la première parce qu’il n’aurait pas son mot à dire, la deuxième parce qu’on l’aurait privé du débat par lequel il aurait pu forger son jugement.

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Christian Hutin. C’est n’importe quoi !

M. Henri Guaino. Mais est-il bien raisonnable de croire qu’à notre époque il est encore possible de tenir le peuple à l’écart de décisions qui le concernent aussi irrévocablement ?

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. N’importe quoi !

M. Henri Guaino. Est-il bien raisonnable de croire qu’une loi votée de cette manière – qu’il faut considérer pour ce qu’elle serait, c’est-à-dire un passage en force – pourrait devenir la loi de tous dans les consciences et dans les cœurs ? Quand on viole les consciences, mes chers collègues, quand on les piétine, elles se raidissent, elles se ferment. Regardez ce qui se passe dans la société, regardez les déchirures !

M. Jean-Claude Perez. Vous ne manquez pas d’air !

M. Henri Guaino. Non, on ne crée pas l’ouverture d’esprit, on ne crée pas la tolérance – et, mieux que la tolérance, la compréhension, le respect et la fraternité – par la brutalité aveugle de la loi. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Erwann Binet, rapporteur. Trop facile !

M. Henri Guaino. Pourquoi ne pas admettre enfin que la loi ne peut pas tout régler quand c’est dans l’intimité de la conscience de chacun que se trouve la réponse ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

M. Claude Goasguen. Très bien !

M. Henri Guaino. Pourquoi ne pas reconnaître qu’il y a toujours dans une société des zones grises où les sentiments et les raisons sont si enchevêtrés que la loi, en cherchant à les trancher, ferait plus de mal que de bien ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
 
En parlant du mariage pour tous, le Gouvernement dit : « amour » ! Mais qui sur ces bancs conteste à deux êtres qui s’aiment le droit de s’aimer ?

M. Bernard Roman. Eh bien alors ?

M. Henri Guaino. Le Gouvernement dit : « liberté » ! Mais qui sur ces bancs conteste à quiconque la liberté de vivre selon son cœur ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Vous !

M. Henri Guaino. Le Gouvernement dit : « égalité des droits » ! Mais le mariage n’est pas un droit, c’est une institution. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. - Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Éric Straumann. Belle formule !

M. Henri Guaino. Le Gouvernement dit : « progrès » ! Nous lui opposons la sagesse multimillénaire que toutes les sociétés humaines ont tirée de l’expérience de la vie.

Un député du groupe SRC. Réactionnaire !

M. Henri Guaino. Le million de Français qui est descendu dans les rues de Paris le 13 janvier, parlant pour des millions et des millions d’autres qui n’avaient pu venir, n’a pas manifesté contre l’amour, ni contre la liberté, ni contre l’égalité des droits, ni contre le progrès. Il a manifesté pour défendre une institution aussi ancienne que la civilisation. Il a manifesté parce que dénaturer cette institution, ce serait bouleverser l’ordre social, non pas seulement pour les uns, mais aussi pour tous les autres ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
 
La plupart de ceux qui sont opposés à ce projet n’ont ni moins de cœur ni moins de générosité que ceux qui le soutiennent. Ils ne sont pas moins dignes de respect. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Ils savent que la société a changé, que les mentalités ont évolué, que la famille s’est transformée. Ils portent sur le monde un regard bienveillant. Ils ne veulent blesser personne. On avait dit qu’il y aurait des débordements, des outrances. Il n’y en a pas eu une seule ! (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
 
À ces Français simples et dignes, qui ne demandent au fond qu’un peu de respect, de démocratie et de République, n’allons-nous répondre que par ces deux mots terribles : « taisez-vous ! » ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Qui peut croire que c’est possible ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
 
« Taisez-vous ! » Qui peut croire que cela ne laissera aucune trace ? (Tumulte sur les bancs du groupe SRC.) « Taisez-vous ! » Qui peut croire que c’est possible ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP. – Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.) « Taisez-vous ! » Qui peut croire que la République n’en sortirait pas blessée ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
 
Mes chers collègues, non seulement nous avons à nous prononcer sur un sujet qui n’est au fond, nous le savons bien, comparable à aucun autre, mais nous avons à le faire dans un de ces moments de l’histoire très particuliers où la politique se voit sommée de redonner un sens aux mots de civilisation, de civilité, de civilisé.

M. Henri Emmanuelli. Sous-Malraux !

M. François André. En tout cas, il y a du boulot !

M. Henri Guaino. « Civilisé », réfléchissez à ce mot. Dans quelle société, dans quelle civilisation voulez-vous nous faire vivre ? Voilà la question que, dans des périodes de malaises et de crises profondes, quand un vieux monde n’arrive pas à mourir, quand un monde nouveau n’arrive pas encore à naître, tous les peuples du monde adressent à tous les pouvoirs et d’abord, bien entendu, à la politique.

M. Thomas Thévenoud. Quel acteur !

M. Henri Guaino. Question légitime, si l’on veut bien considérer la politique comme l’expression de la volonté humaine dans l’histoire. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
 
Avec ce texte, que vous le vouliez ou non, nous n’avons pas à prendre position seulement sur une mesure, pas seulement sur un droit, pas seulement sur un statut. Nous discutons d’un texte qui est bien davantage qu’un texte : une déclaration d’intentions sur la manière dont nous allons faire évoluer notre société…

M. Henri Emmanuelli. Dans le bon sens !

M. Henri Guaino. …sur les principes sur lesquels elle se construira, sur les valeurs qu’elle reconnaîtra comme siennes dans l’avenir. Nous à prendre une position sur une politique de civilisation, oui, une politique de civilisation !

M. Henri Emmanuelli. Archéo !

M. Henri Guaino. Qu’y a-t-il derrière ce texte, sinon d’abord la négation de la différence des sexes (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP), et dans le domaine où elle est le plus évidente : celui de la procréation et celui de la relation à l’enfant ? (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Laissez les enfants tranquilles !

M. Henri Guaino. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe, c’est donner le droit d’avoir des enfants à des couples auxquels la loi de la nature ne le permet pas. (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jean-Claude Perez. Amen !

M. Henri Emmanuelli. Archéo !

M. Henri Guaino. Il ne faut pas tricher avec cette question. Il ne se faut pas se mentir à ce sujet, c’est un sujet trop grave. Il n’y a pas d’un côté le mariage et de l’autre côté la procréation et l’enfant.

M. Henri Emmanuelli. C’est cela, oui !

M. Henri Guaino. Dès lors que l’on touche au mariage, on implique l’enfant. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Dès lors que l’on touche au mariage, on pose inéluctablement la question de la procréation.

M. Bernard Roman. Il faut vivre avec son temps ! (Vives exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

Mme la présidente. Monsieur Roman, s’il vous plaît !

Plusieurs députés du groupe UMP. Écoutez la présidente, monsieur Roman !

M. Henri Guaino. Dès lors que l’on touche au mariage, on ne peut pas éviter les conséquences sur la filiation. Et qu’est-ce que cela signifie de vouloir donner un véritable droit à l’enfant à des couples de même sexe, sinon d’abord que l’on est convaincu qu’il n’y a aucune différence entre le père et la mère ? Qu’il y ait des préjugés sociaux dans la répartition des tâches entre les hommes et les femmes au sein de la société, qui le nierait ?

M. Henri Emmanuelli. Mais vous !

M. Henri Guaino. Mais que les relations de l’enfant avec son père et avec sa mère ne soient que l’expression des préjugés sociaux, quelle folie ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Qui donc a aimé de la même manière son père et sa mère ?

M. Henri Emmanuelli. Moi !

M. Henri Guaino. Qui donc a été aimé de la même manière par son père et par sa mère ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli et M. Patrick Lemasle. Moi !

M. Henri Guaino. Il faut l’homme et la femme, le père et la mère, pour engendrer et guider l’enfant sur le chemin de la vie. Oui, c’est une loi de la nature, une loi qu’aucune communauté humaine ne peut abolir. Les accidents de la vie – je sais de quoi je parle – en décident parfois autrement, et chacun s’en sort du mieux qu’il peut. Mais pensez toujours, oui, pensez toujours aux souffrances intimes, aux blessures secrètes (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) de tous ceux auxquels, en dépit de l’amour infini qu’ils ont reçu de ceux qui les ont élevés, il a manqué…

Mme Julie Sommaruga. Cela n’a rien à voir !

M. Henri Emmanuelli. Il n’a pas eu de chance !

M. Henri Guaino. …et manqué toujours et pour toute la vie une mère et un père. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Patrick Lemasle. Un signalement s’impose !

M. Henri Guaino. Et à ceux qui prétendent que les enfants des couples de même sexe apprendront la différence des sexes en regardant autour d’eux ce qui se passe dans la société, je voudrais dire qu’ils semblent ignorer à quel point la prise de conscience pour un enfant qu’il est différent des autres est toujours pour lui une source de profonde douleur. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.) J’ai parlé, un jour, de la souffrance de l’enfant sans père et sans mère qui devait répondre aux questions « profession du père ; profession de la mère ? ». Mme la ministre déléguée chargée de la famille m’a répondu que l’on ne faisait pas de la politique à partir d’un cas personnel. Mais on ne fait pas de politique non plus sans qu’elle soit profondément ancrée dans l’expérience d’une vie, les épreuves affrontées, les peines et les joies ressenties. (« Très bien ! » et applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.) A la politique sèche et froide des idéologues, il faut, sans cesse, opposer la politique charnelle, la politique humaine.

M. François André. Grotesque !

M. Henri Guaino. Si vous lisiez toutes les lettres que j’ai reçues…

De nombreux députés du groupe SRC. Nous aussi, nous en avons reçu !

M. Henri Guaino. Si vous lisiez toutes les lettres que j’ai reçues de Français connus et inconnus, vous sauriez qu’en parlant de moi, j’ai parlé pour tous ceux qui ont vécu le même drame intime, souvent sans en parler jamais.
 
Mesdames les ministres, vous vous défendez – et avec quelle énergie ! – de vouloir faire disparaître les mots de père et de mère du code civil…

Plusieurs députés du groupe SRC. Mais non !

M. Henri Guaino. …mais votre dessein est de la faire disparaître de la société !

M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas vrai !

M. Jean-Claude Perez. Farceur !

M. Henri Guaino. Voilà la vérité, vous qui ne croyez pas qu’il y ait des différences entre l’une et l’autre ! (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.) Les racines idéologiques de votre projet sont décidément très profondes…

M. Henri Emmanuelli. Ah oui ?

M. Henri Guaino. Vous ne voulez pas seulement que l’homme domine la nature. Vous voulez que le social triomphe de la nature et que sa victoire soit sans partage. Vous tournez ainsi le dos à la raison, car c’est la déraison qui commande à l’homme de vouloir nier sa nature. Où cela nous mènerait-il, sinon sur les voies les plus dangereuses ?

M. Henri Emmanuelli. On n’est pas à Rome !

M. Henri Guaino. Ce texte n’est pas qu’un texte : s’il était adopté, il aurait des conséquences. Voulez-vous réellement les conséquences de ce que voulez instaurer ?

Plusieurs députés du groupe SRC. Oui !

M. Henri Guaino. Croire que la question du mariage peut être dissociée de celle de la procréation médicale assistée et de celle de la procréation pour autrui, c’est se mentir à soi-même. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Archéo !

M. Henri Guaino. Cette dissociation est absolument impossible. Si l’on donnait le droit à des couples par nature stériles d’avoir des enfants, on ne pourrait leur refuser les moyens d’en avoir. On finirait donc, et une partie de la majorité ne s’en cache pas, fort logiquement d’ailleurs, par donner accès à la procréation assistée à tous les couples de femmes. Mme la ministre chargée de la famille m’a répondu que la PMA, qui est autorisée pour les couples hétérosexuels souffrant d’un problème de stérilité, crée d’ores et déjà pour ces couples un droit à l’enfant. Mais, dans le cas des couples hétérosexuels, il s’agit seulement, madame la ministre, d’aider à l’accomplissement de la loi de la nature. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

M. Henri Emmanuelli. C’est cela, oui !

M. Henri Guaino. Dans le cas de couples de même sexe, il s’agirait au contraire de s’en affranchir. Cela changerait tout. Cela ferait passer la procréation médicale assistée du champ médical, où elle est aujourd’hui étroitement contenue, dans celui social où elle ne serait pas contenue par rien. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. Allez faire un pèlerinage avec Sarkozy !

M. Henri Guaino. Et ce ne serait plus regarder la procréation que sous le seul angle du désir… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
 
Eh oui, il faut s’habituer à parler au milieu des vociférations et c’est parfois difficile ! (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)
 
Une mère m’a écrit ces quelques mots : « Mon mari et moi avons des jumelles de quatorze ans issues de PMA à partir de mes gamètes et de ceux de mon mari. Je ne juge pas les couples qui font appel à un don de spermatozoïdes, mais c’est de tout autre nature. Il y a un vrai déséquilibre dans le couple : c’est l’enfant biologique d’un seul des parents. Je crois que cela peut poser des soucis aux enfants, surtout si l’enfant ne sait pas que son père n’est pas le père biologique. Et si cette loi passe, disait-elle, nous allons fabriquer des millions d’enfants. » Mais elle ajoutait, écoutez bien : « Après, c’est l’amour qui compte. »
 
Oui, c’est l’amour qui compte. Mais qu’allons-nous faire de l’amour dans cette histoire ? Il est bien difficile, pour n’importe quel parent, d’élever des enfants et je suis bien certain que deux femmes ou deux hommes peuvent donner autant d’amour qu’un père et une mère. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Les deux femmes qui m’ont élevé m’ont aimé sans compter. Mais que deviendrait l’amour, lorsque, ayant donné aux femmes les moyens d’exercer ce droit à l’enfant, on ne pourrait pas le refuser non plus indéfiniment aux hommes ? On leur concéderait les mères porteuses, à moins que ce ne soit les juges qui le fassent au nom de cette exigence d’égalité à laquelle le projet de loi qui nous est présenté prétend répondre. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.) Alors, s’installerait fatalement une relation de client à fournisseur dans la procréation, la marchandisation des corps – eh oui ! –, la demande par les clients d’enfants sans défaut, d’enfants qui leur ressemblent. (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Claude Goasguen. Absolument !

Mme Marie-George Buffet. C’est pour cela que c’est interdit !

M. Henri Guaino. Devant certains tribunaux dans le monde, mes chers collègues, oui, devant certains tribunaux dans le monde, on débat déjà pour savoir si l’intérêt de l’enfant doit primer sur le contrat ou si c’est l’inverse qui doit être vrai. Oui, après c’est l’amour qui compte ; mais que deviendrait l’amour, alors, dans cette relation marchande (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC)…

Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis. Il n’a jamais été question de cela et vous le savez très bien !

M. Henri Guaino. …dans cet asservissement des corps des plus pauvres, dans cette société qui, en tout et pour tout, ferait passer le plaisir et l’utilité devant tout autre considération, et où serait occultée la dimension spirituelle de l’enfant de la personne humaine ?

M. Yves Fromion. Très bien !

M. Henri Guaino. Je veux parler à tous ceux d’entre vous qui, sur tous les bancs de cette assemblée, n’ont pas renoncé à l’idéal de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) Ne voient-ils pas que cette société serait à l’opposé de l’idéal que nous ont légué les Lumières et vingt siècles de civilisation ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. C’est vous qui renoncez à la République !

M. Henri Guaino. Quel modèle, quel repère pourrions-nous donner alors à nos enfants, à nos petits enfants ? Que leur dirions-nous à chaque fois qu’ils nous interpelleraient par ces mots si fréquents dans leur bouche : « A quoi cela me sert-il ? En quoi cela me procure-t-il du plaisir ? », alors que l’enfant lui-même ne serait plus qu’un obscur objet du désir ? Comment trouverions-nous les mots pour dire à nos enfants que les plus grandes satisfactions de l’homme sont dans la récompense des efforts qu’il consent sur lui-même,…

M. Henri Emmanuelli. Quel mélange ! Il mélange tout !

M. Henri Guaino. …dans les exigences qu’il s’impose à lui-même, dans les principes et dans les règles qui le grandissent en lui fixant des limites ? Comment pourrions-nous encore dire à nos enfants qu’entre la recherche du plaisir le plus immédiat et le plus superficiel et l’utilitarisme le plus étroit, ils ne trouveraient qu’une vie médiocre ? Quel républicain ne voit qu’en l’égalitarisme qui est le principe de cette loi et le communautarisme qui en est l’impensé, il n’y a pas de place pour la République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. Henri Emmanuelli. C’est ridicule !

M. Henri Guaino. Quel républicain ne comprend qu’en faisant de la revendication de quelques-uns, aussi légitime soit-elle, la loi de tous, on fait le contraire de la République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Un député du groupe SRC. Elle a bon dos, la République !

M. Henri Guaino. À tous ceux qui parlent de conservatisme à propos des hommes et des femmes qui s’inquiètent que le pas qu’on veut leur faire franchir soit un pas de trop, une conscience républicaine ne devrait-elle pas répondre que si la République, c’est l’audace d’inventer l’avenir, ce n’est pas pour autant l’oubli de toutes les leçons de l’histoire humaine ? (Applaudissements sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)
 
À tous ceux qui exigent que l’on dise oui à leur réforme, au nom d’un prétendu progrès, une conscience républicaine ne devrait-elle pas répondre que seul l’esclave dit toujours oui ? (« Oh ! » sur les bancs du groupe SRC.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Henri Guaino. Oh, certes, une telle société peut advenir, même sans la dénaturation du mariage ! (Vives exclamations sur les bancs du groupe SRC.)

Mme la présidente. Mesdames, messieurs les députés de la majorité, souffrez que M. Guaino finisse, s’il vous plaît ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Plusieurs députés du groupe SRC. On souffre ! (Très vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe UMP. – De nombreux députés du groupe UMP se lèvent.)

M. Jean Leonetti. C’est inadmissible ! C’est un scandale ! C’est insupportable !

M. Philippe Gosselin. Madame la présidente, je demande la parole pour un rappel au règlement !

Mme la présidente. Mes chers collègues, asseyez-vous ! (Vives protestations sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

Monsieur Gosselin, M. Guaino a quasiment épuisé son temps de parole. Je vous propose de le laisser conclure tranquillement. Je vous donnerai la parole après. (Vives exclamations sur de très nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Yves Fromion. Ce sera au procès-verbal !

Mme la présidente. Veuillez poursuivre, monsieur Guaino.

M. Henri Guaino. Oh, certes, une telle société peut advenir, même sans la dénaturation du mariage ! Mais, avec ce projet de loi, nous lui ouvrons grand la porte, nous l’appelons, nous rendons son avènement quasi inéluctable. Aucune conscience républicaine ne peut rester indifférente à ce danger. C’est le rôle, c’est le devoir, c’est la nature même d’une conscience républicaine d’être inquiète des conséquences des choix que nous nous apprêtons à faire !
 
Je m’adresse donc à toutes les consciences républicaines que compte cette assemblée, qu’elles soient de droite, qu’elles soient du centre ou qu’elles soient de gauche.

M. Jean-Claude Perez. On s’en fout !

M. Henri Guaino. Comment trancher entre les consciences qui ne sont pas suffisamment inquiètes de ce projet de loi et celles, qui, peut-être, le sont trop ? Comment trancher, sinon en permettant à chaque Français de prendre part à la décision ?
 
Mes chers collègues, je voudrais que chacun d’entre vous, avant de décider s’il vote pour ou contre cette motion, mesure bien l’importance de sa décision, non seulement pour le présent, mais aussi pour l’avenir. Car nous devons nous demander de quelle manière nous allons répondre, à l’avenir, à toutes les graves questions de société et de civilisation…

M. Henri Emmanuelli. Ça va, les leçons !

M. Henri Guaino. …que toutes les crises que nous vivons vont nous obliger à affronter dans les années qui viennent !
 
Les aborderons-nous en faisant prévaloir la seule logique des majorités parlementaires, la seule logique des camps et des partis ?

M. Henri Emmanuelli. Vous vous êtes gênés, pendant cinq ans !

M. Henri Guaino. C’est une question de morale mais pas seulement ; car comment rendrons-nous acceptables, légitimes – et cette légitimité est indispensable – les règles et les principes au nom desquels nous acceptons de vivre ensemble et de partager – ce n’est pas rien – une destinée commune, si la seule logique qui prime toujours est celle du rapport de forces ? Je ne dis pas cela pour contester la légitimité de la majorité parlementaire à gouverner (Exclamations sur les bancs du groupe SRC) – de celle-ci pas plus que d’une autre. C’est la loi de la démocratie et je l’ai toujours respectée.

M. Jean-Claude Perez. Amen !

M. Henri Emmanuelli. C’est grandiloquent !

M. Henri Guaino. Je l’affirme parce qu’il est des moments et il est des sujets qui appellent chacun à suivre sa conscience davantage que son parti. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et de nombreux bancs du groupe UDI.) Ce moment en est un, ce sujet en est un.
 
En 1984, François Mitterrand avait imposé, contre le souhait de son gouvernement et d’une partie de sa majorité, le retrait du projet de loi sur l’école, non parce qu’il avait peur de la rue, mais parce qu’il ne voulait pas rouvrir une guerre scolaire dont il se rappelait le mal qu’elle avait fait à la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.)

MM. François Rochebloine et Claude Goasguen. Très bien !

M. Henri Guaino. En 1992, il avait répondu à la grande voix de Philippe Séguin en prenant le risque du référendum et du débat. Il avait compris qu’il fallait prendre ce risque pour que la monnaie unique soit la monnaie de tous. À chaque fois, François Mitterrand ne s’était pas abaissé dans son rôle de chef de l’État, il s’était grandi. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.) On se grandit toujours quand on donne la parole au peuple.

M. Jean-Claude Perez. Merci pour Mitterrand !

M. Christian Hutin. Et pour les retraites, vous avez donné la parole au peuple ?

M. Henri Guaino. Il reste quelques semaines au Président de la République pour méditer les leçons de son prédécesseur. Mais, aujourd’hui, c’est à nous de décider que c’est au peuple et non à nous de trancher. Si l’Assemblée fait ce choix, elle ne diminuera pas en prestige, elle ne ruinera pas son autorité : elle les renforcera. Personne ne se reniera, personne ne se déshonorera. Au contraire : chacun d’entre-nous aura redonné du sens au beau nom de « représentant du peuple ».

M. Henri Emmanuelli. C’est cela !

M. Henri Guaino. Mes chers collègues, je vous ai parlé pour l’avenir et c’est pour l’avenir que vous allez décider.
 
Un dernier mot cependant, madame la ministre de la famille : non, je n’aurai pas honte, quand mes enfants et mes petits-enfants liront les mots que j’ai utilisés dans ce débat, avec le souci constant de ne blesser personne (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI),

M. Christian Hutin. Il ne faut jamais préjuger de l’avenir !

M. Henri Guaino. …mais avec la conviction profonde que le combat contre la société que ce texte nous prépare est un combat parfaitement légitime. (Les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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