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mardi 30 avril 2013

Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, permettez-moi, pour cette explication de vote, de ne pas reprendre ici les arguments déjà développés par beaucoup en faveur de l’adoption de ce projet de loi.
 
Permettez-moi de ne pas céder non plus, en cet instant si solennel, aux séductions de la polémique, et de ne pas répondre une énième fois aux arguments du camp adverse. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Mme Isabelle Debré. « Camp » ? Ce n’est pas gentil !

Mme Esther Benbassa. Je souhaite seulement donner à mon intervention un peu de chair, d’esprit, un peu de cette simple humanité qui a parfois manqué à nos débats, et vous raconter une histoire.
 
Voilà trente ans, au début des années quatre-vingt donc, alors professeur dans l’enseignement secondaire, j’ai rencontré, dans le fonds d’archives où je préparais ma thèse d’État, un jeune doctorant américain. Par le plus pur des hasards, nous travaillions sur des sujets connexes et exploitions souvent les mêmes sources. Ce jeune homme avait l’aisance et le brio de ces étudiants des grandes universités de la côte Est. Je l’enviais un peu, bien sûr.

M. Christian Cambon. C’est passionnant !

Mme Esther Benbassa. À force de travailler côte à côte, nous finîmes par devenir amis.
 
Un soir d’hiver, après une longue après-midi passée en bibliothèque, sortant tous deux du métro Châtelet (Exclamations sur les travées de l’UMP.), voilà qu’il me prend par la manche et me fait entrer, presque de force, dans le premier bistrot qu’il trouve (Oh ! sur les travées de l’UMP.),…

M. Jean-Claude Lenoir. Canaille !

Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Et alors ?...

Mme Esther Benbassa. … pour me dire quelque chose… pour me dire qu’il est gay et pour me dire sa peur panique que cet aveu ne mette brutalement fin à notre déjà riche amitié. Je n’oublierai jamais son émotion et aussi quelque chose qui ressemblait, chez lui, à de la honte. Je n’oublierai jamais l’expression sombre, anxieuse de son visage.
 
Je suis peu perméable aux préjugés. Ce n’est pas de la vertu, c’est le fruit, plutôt, d’une histoire. Je fus donc stupéfaite, non de l’aveu, mais de l’angoisse profonde qui s’exprimait avec lui. Ma réponse fut simple, sans doute naïve – j’étais jeune. Je ne comprenais tout bonnement pas pourquoi il se mettait dans un tel état. Son homosexualité ne me gênait pas. Je le prenais et l’aimais tel qu’il était. Il me raconta alors sa vie en parallèle, les humiliations au quotidien, sa peur que d’autres n’apprennent son secret.
 
Nous sommes restés amis, bien sûr. Aujourd’hui, l’étudiant d’hier, devenu un éminent professeur, assume son identité en toute simplicité, ainsi que son couple. Quand je prononçais ici même mon intervention lors de la discussion générale, c’est à lui que je pensais, à son visage d’alors, tourmenté par l’aveu. Mon émotion, si vous l’avez perçue, c’est de là qu’elle venait, pas de la perspective des débats qui s’annonçaient. Lui me suivait des États-Unis par vidéo interposée. Nous étions fiers, je crois, l’un de l’autre.
 
C’est donc pour lui, et parce qu’il m’a tant appris, c’est pour tous ces gays et toutes ces lesbiennes qui ont, à un moment de leur vie, tant souffert de ne pouvoir simplement dire leur homosexualité, c’est pour tous ceux et toutes celles qui n’exigent que la banalisation de leur condition, qui n’exigent que l’égalité, et donc la possibilité de se marier et de fonder une famille, c’est pour eux, pour elles, et pour la grandeur de notre démocratie que je voterai, avec le groupe écologiste unanime, ce beau projet de loi, et que je continuerai à me battre.
 
Pardonnez, chers collègues, la tonalité inédite de cette explication de vote. Vous savez bien que je n’en suis pas à mon premier péché sénatorial. J’assume celui-là comme les autres. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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