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samedi 6 avril 2013

Clôture par Christiane Taubira

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je tiens tout d’abord à remercier tous les orateurs de la qualité de leurs interventions. Qu’ils me pardonnent, à cette heure tardive, de ne pas prolonger le débat, donc de ne pas leur répondre individuellement. En fait, j’adhère à nombre des arguments, étayés d’exemples, qu’ils ont présentés à la tribune, avec brio, avec une force réelle et une conviction affleurante.
 
Les sénateurs, je le sais, sont des personnes raisonnables. Ils savent qu’il ne faut pas folâtrer trop tard au Sénat si l’on veut être en forme le lendemain matin. (Sourires.)

M. Philippe Bas. Nous n’avons pas l’impression de folâtrer, madame la garde des sceaux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qui plus est en pleine lumière et en public ! (Nouveaux sourires.) Mais j’espère ne pas vous avoir blessé, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette observation qui se voulait plus amicale qu’ironique. Si tel est le cas, je la retire bien volontiers.

M. Bruno Retailleau. Ce n’était pas blessant !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Jouanno, je tiens à saluer votre courage, votre constance et la clarté de vos propos. Toutefois, vous ne pouvez imputer au Gouvernement la responsabilité du comportement des manifestants.
 
Que les convictions de certains de nos concitoyens soient heurtées par l’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels, cela peut se comprendre. Voilà plusieurs mois que nous le disons : nous savons que, de par leur représentation et leur vision du mariage, certaines personnes ont des difficultés à concevoir que nous puissions ouvrir le mariage civil, avec ce qu’il implique en termes de droits et de libertés, aux couples homosexuels.
 
Pour autant, le Gouvernement ne peut pas porter la responsabilité d’une opération qui devient manifestement toujours plus politique et qui est prise en charge, de plus en plus, par la parole politique, je devrais même dire partisane.

M. Jean-Michel Baylet. Religieuse !

M. François Rebsamen. Oui, religieuse !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En fait, cette opération est instrumentalisée – c’est incontestable – et sous-tendue par des objectifs qui vont bien au-delà de la contestation du présent projet de loi. Le Gouvernement n’a pas sa part de responsabilité dans ce qui est en train de se passer. Que ceux qui en sont responsables l’assument pleinement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
 
Nous vivons dans une société qui aime le débat, la controverse, et qui accepte la dispute. Sur un sujet d’une telle importance, nous concevons qu’il y ait débat, désaccords et controverses. Néanmoins, ce qui se passe ne nous concerne pas. Nous n’y avons aucune part. Vous le savez mieux que personne, madame Jouanno. Vous n’y avez d’ailleurs vous-même aucune part, même si vous en êtes considérée également comme partiellement responsable, certains ayant même osé s’attaquer à vous, de façon tout à fait publique et aux yeux de tous.

M. François Rebsamen. C’est scandaleux !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous n’avons absolument rien de commun avec des gens aussi manifestement intolérants.

M. François Rebsamen. Très bien !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je le répète, je ne veux pas prolonger notre débat au-delà du raisonnable. Monsieur Gélard, je présume que les arguments que vous avez développés à la tribune constitueront le corps même de l’exception d’irrecevabilité que vous défendrez. Je prendrai alors le temps de répondre à tous vos arguments. Vous aurez toutefois compris que le Gouvernement ne retient pas l’offre d’union civile qui a d’ailleurs déjà été présentée à l’Assemblée nationale.
 
Non merci, monsieur Zocchetto, nous ne voulons pas de l’union civile ! Nous voulons le mariage, tout à la fois contrat et institution, qui entraîne des effets d’ordre public. Ce que nous faisons va bien au-delà de quelques intérêts matériels – je pense à la pension de réversion –, même si ceux-ci peuvent être significatifs, notamment pour le conjoint survivant.
 
Telle n’est pas notre préoccupation. Notre préoccupation, c’est d’instaurer le mariage pour tous. C’est une institution, avec toute son histoire, ses règles, ses conditions, ses obligations, ses sécurités, ses protections et y compris sa charge symbolique que nous voulons ouvrir aux couples homosexuels. C’est en toute lucidité que nous décidons que cette institution républicaine doit être ouverte aux couples de même sexe.
 
J’ai entendu un orateur affirmer que le mariage religieux était millénaire. Non ! Il a été instauré en 1215, par le concile de Latran.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qu’il y ait encore une vision sacrée ou sacralisée du mariage, nous l’entendons. Et c’est bien dans ce sillage, à la limite d’une vision sacrée, sacralisée, que nous estimons que l’institution du mariage doit être ouverte aux couples homosexuels. Ces derniers ne sont pas composés de citoyens à part entière et nous ne leur proposerons pas une institution de seconde classe.
 
En outre, l’ouverture de l’institution du mariage en tant que telle aux couples homosexuels représente un enjeu considérable. En effet, parmi les moyens les plus sûrs, les plus efficaces et les plus durables de lutter contre l’homophobie – et je n’accuse personne ici d’homophobie, je parle d’une façon générale – figure l’accès des homosexuels à toutes les institutions, à tous les droits.
 
Par conséquent, il n’est pas question de leur proposer une institution à leur mesure. Il s’agit de leur ouvrir l’institution républicaine, avec tout ce qu’elle charrie, y compris éventuellement de sacré. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Yves Daudigny. C’est brillant !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Revet, vous souhaitez savoir où nous allons. C’est très simple, dans la mesure où, ici, nous créons du droit, où nous faisons la loi, nous voulons aller là où le précise le texte de loi ! (Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
 
On peut toujours faire des extrapolations, des supputations, des hypothèses, mais lorsque le texte aura été voté, si vous en décidez ainsi, les citoyens iront jusqu’où le permet le texte. Il n’y a pas de mystère, ne vous inquiétez pas.
 
Monsieur Milon, je veux juste vous saluer ! (Sourires.) Vous affirmez que le titre du projet de loi est incomplet, puisqu’il mentionne seulement le mariage alors que le texte envisage aussi l’adoption.
 
Vous avez à la fois raison et tort : vous avez parfaitement raison, car le titre du projet de loi évoque effectivement le mariage, mais vous avez tort – je ne veux pas, après vous avoir salué, être désagréable par un mot déplaisant –, car dans notre droit, vous le savez bien, le mariage emporte l’adoption, aux termes de l’article 343 de notre code civil.

M. Charles Revet. Et au-delà, avec les conséquences !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certes, mais l’article 343 lui-même énonce le droit à l’adoption une fois le mariage prononcé. Voilà l’état de notre code civil.
 
Si l’on refusait toutes les conséquences de l’application de l’article 343 du code civil et que l’on dissociait le mariage et l’adoption plénière, il faudrait instituer un mariage spécifique pour les couples homosexuels. Toutefois, comme je viens de l’indiquer très clairement, cela n’entre aucunement dans les intentions du Gouvernement. Il n’est pas question de vous être désagréable, mais il convient d’accomplir un acte positif envers ces citoyens à part entière.
 
« Ces incertitudes doivent-elles nous empêcher d’avancer ? », avez-vous dit. J’ai trouvé cette phrase magnifique !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous devons avancer !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Toutefois, je m’arrête là sur ce sujet. De même, je répondrai à M. Mercier en sa présence.
 
Pour conclure, je souhaiterais formuler deux observations.
 
En écoutant certains propos, j’ai entendu des plaisanteries véritablement malvenues. Néanmoins, le débat étant globalement de haute tenue, je ne m’y appesantirai pas. Je pensais simplement, en entendant ces quelques railleries déplacées, à ce que disait René Char : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. » Il y a des mots qui excluent ! C’est le cas lorsque l’on affirme que le mariage implique la filiation et la procréation, alors que cela ne correspond plus non seulement à ce que sont devenus le couple et la famille, mais aussi à la situation de millions de personnes qui se marient sans vouloir faire d’enfants ou après l’âge de la fécondité.
 
Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je vous le dis posément, cette façon d’exclure les personnes qui n’entrent pas dans le cadre que vous projetez est extrêmement violente. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
 
Je vous demande simplement d’être vigilants sur ce point. Certaines choses sont profondément en nous, mais la puissance de l’individu majeur et responsable est de réfléchir et d’interroger, lui aussi, ses préjugés, ses clichés, sa propre pensée, afin de vérifier s’ils ne se sont pas arrêtés à un état de la société qui ne correspond plus à la réalité. Il faut toujours garder à l’esprit que des propos paraissant anodins concernent tout de même des personnes réelles.
 
Ainsi, vous parlez des droits à l’enfant et d’intérêt supérieur de l’enfant. Sachez que des dizaines de milliers d’enfants – voire des centaines de milliers, selon certains – sont concernés par ces paroles inutilement blessantes.
 
Je souhaiterais, pour terminer, vous remercier de nouveau de la qualité de ce débat, qui ne m’a pas déçue, y compris dans la confrontation et dans nos divergences clairement assumées, car je connais cette maison de longue date et je sais le travail de fond qui y est produit.
 
Nous aurons évidemment droit à quelques querelles, mais si tel n’était pas le cas, à quoi ressemblerait le débat parlementaire ? J’irai même jusqu’à dire que ces divergences, si je ne les sollicite pas, sont bienvenues.
 
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie par avance de ces quelques jours que nous allons passer ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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