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samedi 6 avril 2013

Cécile Cukierman

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en inscrivant le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe à l’ordre du jour du Parlement, le Gouvernement ouvre la voie à une évolution majeure du droit pour toutes et tous et permet qu’un grand pas soit franchi en matière de lutte contre les discriminations.
 
Oui, ce projet de loi est une chance de faire avancer l’égalité des droits des individus, dans le respect des principes républicains, mais aussi de la philosophie et des croyances de chacune et de chacun. Il s’agit bien pour nous, aujourd’hui, de garantir le respect des principes républicains : rien de plus, mais rien de moins.
 
Je voudrais tout d’abord apporter quelques précisions qui nous éviterons, je l’espère, de tomber dans la violence qui a marqué les débats à l’Assemblée nationale. Cette violence me semble beaucoup plus liée au refus d’accepter que des couples homosexuels veuillent fonder légalement une famille qu’à une homophobie généralisée, même si l’homophobie est réelle chez certaines et chez certains : il faut le dire et le dénoncer. Je souhaite, comme nombre d’entre vous, que le débat porte sur le fond du projet de loi et qu’il se déroule sereinement, dans le respect des positions de chacun.
 
Pour apaiser le débat, nous devons utiliser les bons termes. Ainsi, le projet de loi vise à autoriser non pas le mariage pour tous, mais le mariage civil des personnes de même sexe. Il ne s’agit donc pas de célébrer n’importe quelle union, comme certains détracteurs du projet de loi continuent de le prétendre !
 
Premièrement, tout le monde n’est pas concerné par le dispositif du projet de loi. L’inceste est exclu, la prescription de minorité est respectée, de même que restent interdites les unions si souvent évoquées par certains opposants au projet de loi : la polygamie, pour parler clairement.
 
Deuxièmement, le projet de loi ne concerne que le mariage civil ; faut-il encore le rappeler ? Il n’impose à personne des choix moraux qui ne seraient pas les siens. Ne pas imposer, mais protéger : c’est l’un des fondements de notre laïcité. Qu’est-ce donc que le mariage civil ? Plus précisément, quel est l’objet de cette institution laïcisée en 1792 ? La réponse à cette question importe car, en réalité, la manière dont on comprend et dont on interprète le projet de loi dépend en grande partie de l’idée que l’on se fait du mariage civil.
 
Porteur de droits, mais aussi d’obligations, le mariage civil, pour le législateur, n’est rien de moins ni rien de plus que le statut juridique le plus protecteur que l’État puisse offrir à ce jour à deux personnes désireuses de s’unir et d’organiser leur vie commune. Nous devons mesurer que s’il attire ceux qu’il refoule, c’est probablement que, loin d’être seulement un symbole, il s’accompagne d’un certain nombre de droits auxquels ni le PACS ni le concubinage ne donnent actuellement accès.
 
Mes chers collègues, nous pouvons nous étonner que, au moment où de nombreux couples hétérosexuels refusent le mariage, se tournant vers le PACS ou vers l’union libre, de nombreux couples homosexuels manifestent un tel désir de se marier. Longtemps stigmatisé comme ringard et réactionnaire, le mariage semble devenir, au XXIe siècle, une revendication de progrès pour ces couples.
 
En fait, ce n’est certainement pas l’institution du mariage qui apparaît comme un progrès, mais la possibilité d’accéder au régime juridique qu’il offre. Sauf à recatholiciser le mariage, le législateur doit ouvrir ce statut protecteur aux couples de personnes de même sexe, afin qu’ils puissent se marier dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités que les couples hétérosexuels et, ce faisant, accéder à l’égalité des droits et des devoirs.
 
Reste que, pour certains, le mariage demeure à l’évidence chargé d’une forte connotation religieuse. Plus largement, il est perçu comme une institution immuable, porteuse d’une certaine idée de la morale. Cependant, dans un État laïc, le rôle du législateur n’est pas de moraliser la société.

M. Charles Revet. Ce n’est pas ce que nous disons.

Mme Cécile Cukierman. Notre rôle est de nous saisir des attentes de la population pour légiférer dans le sens de l’intérêt général ; en l’occurrence, celui des adultes qui deviennent parents ou qui demandent à le devenir et celui des enfants nés et élevés dans des familles dont les parents sont homosexuels. Mes chers collègues, c’est le souci de cet intérêt qui devra guider notre vote.
 
Ces enfants ont droit eux aussi à la protection qui découle de l’établissement de liens de filiation avec ceux qui s’occupent d’eux au quotidien, les entourent, les aiment, les élèvent et les éduquent pour leur permettre de devenir des citoyens. Ma collègue Isabelle Pasquier présentera de façon plus détaillée notre position sur ce sujet, en rappelant que, à cet égard aussi, nous devons veiller à protéger et à ne jamais exclure.
 
Mes chers collègues, nous avons toutes et tous été interpellés, par le biais de courriers, de tracts et de manifestations, par ceux qui nous demandent de nous opposer à ce projet de loi. Nous l’avons été aussi par ceux qui souhaitent que nous l’adoptions, même s’ils ont été moins médiatisés.
 
Nous avons dernièrement reçu un courrier signé de 170 juristes qui s’autoproclament défenseurs des libertés individuelles et établissent de façon inadmissible un lien entre le statut de criminel et celui d’homoparent. Je rappellerai à ces professeurs, tout émérites qu’ils soient, que le mot « criminel » a un sens juridique dont il ne convient pas d’abuser. Modestement, mais fermement, je leur rappellerai aussi que s’ils revêtent l’habit de défenseur des libertés individuelles, l’humble rôle du législateur est non seulement de garantir ces libertés, mais aussi de corriger les inégalités au lieu de creuser des différences : tel est justement l’objet de ce projet de loi. Oui, nous sommes là pour protéger toutes et tous !
 
Je ne dénie pas aux auteurs de ce texte le droit de soutenir leurs raisonnements. Ils le peuvent légitimement, comme tout citoyen, et certains de nos collègues ne manqueront certainement pas de relayer leurs arguments.
 
Pour ma part, je suis convaincue, comme sans doute une grande majorité d’entre vous, mes chers collègues, que ce débat a déjà trop tardé et que notre société a bien fait de s’emparer de l’injustice faite aux couples homosexuels, à la suite de plusieurs autres pays. En créant ce droit supplémentaire, notre pays ne peut que se grandir, comme ce fut le cas avec l’adoption d’autres mesures sociétales et politiques telles que le droit de vote des femmes, le droit à la contraception et le droit à l’interruption volontaire de grossesse.
 
Si j’évoque ces droits, c’est parce qu’il est frappant de constater que les arguments avancés aujourd’hui par les opposants au mariage civil pour les couples homosexuels sont identiques à ceux qui furent opposés aux lois émancipatrices les ayant instaurés. En effet, rappelez-vous, la démocratisation de la contraception et le droit à l’IVG ont été combattus par certains au nom de la supériorité naturelle, des fonctions que la nature aurait assignées à chacun ; selon leurs détracteurs, ces nouveaux droit émancipateurs allaient détruire la famille. Souvenons-nous aussi du débat sur la dépénalisation de l’homosexualité ouvert par Robert Badinter. À l’occasion de tous ces débats, des médecins, des scientifiques, des juristes et autres experts ont défilé pour alerter les parlementaires sur les hypothétiques dérives que l’adoption de ces mesures allait provoquer. Tout en les écoutant, le législateur n’a jamais fléchi ; je pense qu’aujourd’hui l’histoire lui donne raison ! (Mme la rapporteur pour avis acquiesce.)
 
Aujourd’hui, notre société souffre, mais ses maux, la vie pénible de nombreuses familles tiennent non pas à la pilule, à l’IVG ou à la dépénalisation de l’homosexualité, mais à la crise, à l’ultralibéralisme, au capitalisme tout-puissant qui, loin de protéger, divise, domine, appauvrit et exclut ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
 
Le présent texte modernisera et démocratisera le mariage. À ce titre, il s’inscrit dans la lignée des grandes réformes du droit de la famille, comme l’assouplissement des règles du divorce,…

M. Philippe Bas. Merci Giscard !

Mme Cécile Cukierman. … la suppression de la distinction entre enfants légitimes et enfants naturels ou l’attribution aux deux parents de l’autorité parentale. Il rejoint la marche inéluctable du progrès en accompagnant les évolutions sociétales tout en protégeant chacune et chacun, adultes et enfants.
 
On ne peut nier que la société a bien évolué ces dernières décennies, tout comme la famille ; celle-ci est aujourd’hui « séparée », « recomposée », « monoparentale ». D’amour en désamour, chacun construit sa vie. La famille d’aujourd’hui s’inscrit dans un PACS, un mariage ou un concubinage. Ces évolutions de fait cassent le cadre trop restreint du couple hétérosexuel marié se jurant fidélité jusqu’à la fin. C’est un constat indéniable, quoi que l’on puisse en penser.
 
D’ailleurs, il ne s’agit plus aujourd’hui de reconnaître l’existence de couples et de parents homosexuels, mais simplement de constater leur légitimité, qui suppose aussi l’ouverture du droit au mariage et à la parentalité.
 
Ce débat interroge, passionne ; il est partout dans l’actualité ces derniers mois.

Une sénatrice de l’UMP. Il n’y a pas que lui !

Mme Cécile Cukierman. La passion que ce débat suscite reflète l’importance des valeurs que le projet de loi met en jeu, à savoir les valeurs républicaines fondamentales auxquelles la société française est attachée. Pour ses détracteurs, le texte s’attaquerait à ces valeurs ; il me semble au contraire qu’il les conforte, comme je vais maintenant le montrer en les évoquant l’une après l’autre.
 
En ce qui concerne d’abord la liberté, le projet de loi renforce celle de se choisir, de vivre ensemble, de fonder une famille.
 
Le texte conforte ensuite l’égalité, car c’est bien d’égalité qu’il s’agit, contrairement à ce que nous avons pu entendre : l’égalité de droits et l’égalité de choix entre les différentes formes d’union possibles.
 
Si les plus hautes juridictions françaises et européennes n’ont pas jugé que l’impossibilité pour les couples de personnes de même sexe de se marier constitue une discrimination, elles ne ferment aucunement la porte à ce type de mariage.
 
De fait, la décision ne peut venir que du législateur. Il nous appartient d’écrire le droit de demain, marquant forcément une évolution par rapport à celui d’hier. Nous ne pouvons que constater, comme la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité hier ou le Défenseur des droits aujourd’hui, que l’impossibilité pour les couples de personnes de même sexe de se marier produit des inégalités et des discriminations indirectes, dès lors que le pacte civil de solidarité ne garantit pas aux couples qui le contractent des droits équivalents à ceux dont bénéficient les personnes mariées.
 
Pour lutter contre ces discriminations, nombre de nos collègues siégeant à droite de l’hémicycle proposent une alternative consistant à aligner le régime du PACS sur celui du mariage ou à créer une union civile. Comme l’explique dans son excellent rapport notre collègue Jean-Pierre Michel, dont je tiens à saluer le travail, le principe d’égalité de tous les citoyens face aux institutions commande que l’on ne crée pas un « mariage bis » pour une catégorie de citoyens. Je le répète : protégeons, incluons et ne discriminons pas.
 
On a beaucoup parlé des manifestations contre ce projet de loi, mais il y en a eu aussi d’organisées pour le soutenir. Je me rappelle la pancarte tenue par un homme manifestant en faveur de l’adoption du texte ; il y était écrit : « l’égalité, ça ne se négocie pas ». J’ajouterai que l’égalité, ça s’applique !
 
Mes chers collègues, le mariage n’est pas qu’un symbole, mais il en est aussi un : c’est pourquoi ce projet de loi s’inscrit dans une politique de reconnaissance sociale des personnes homosexuelles, dans une politique de lutte contre la discrimination.
 
Si nous rejetons ce texte, comment expliquerons-nous, notamment aux jeunes générations, qu’il est important de lutter contre l’homophobie au même titre que contre le racisme ou le sexisme ? S’opposer farouchement au présent projet de loi, c’est vouloir perpétuer une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, établir en creux une hiérarchisation des individus et des familles.
 
Enfin, ce projet de loi promeut la fraternité, par l’ouverture à l’autre qu’il implique. Pour moi, sur cette question de société comme sur bien d’autres, la normalité, c’est la diversité.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Dès lors, c’est en acceptant cette diversité que nous pourrons vivre ensemble dans un monde tout simplement plus humain. Il me semble qu’il faut aller aujourd’hui au bout de la démarche et respecter tous les individus, quelles que soient leur orientation sexuelle et leur identité de genre. Ainsi, chacun fera demain partie d’une société où ne se posera plus la question de la « normalité » d’une famille, d’un couple ou d’un individu.
 
Le groupe communiste républicain et citoyen votera ce projet de loi. Ce faisant, il se prononcera en faveur d’une société plus juste, plus respectueuse, plus protectrice, défendant la fraternité dans la République. Il soutiendra jusqu’au bout les objectifs de liberté et d’égalité qui sous-tendent cette réforme. Mes chers collègues, je suis persuadée que la famille et notre société en sortiront renforcées ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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