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Les débats au Sénat

  • Séance du 4 avril 2013 (6)

    15 janvier 2018

    Mme Esther Benbassa. Chez nous, il n’y a pas eu de révolution luthérienne. Ailleurs, cette révolution a émancipé le mariage de la tutelle de l’Église, l’a désacralisé, a accéléré un bouleversement des représentations, des symboles et des pratiques héritées de la longue tradition catholique.
    Avec Luther, le mariage devient – déjà ! – un « mariage pour tous », pour les laïcs et les prêtres, pour les chrétiens et les païens. Cela explique peut-être la facilité avec laquelle le mariage entre personnes de même sexe a été instauré dans certains pays à majorité non catholique. Récemment encore, en Grande-Bretagne, la Chambre des communes adoptait, en une journée, le mariage pour tous, et ce à une écrasante majorité. Et dans la presse de ce 5 février 2013, le sujet ne faisait la une que d’un seul journal : The Daily Telegraph !
    La France, premier pays à décriminaliser l’homosexualité, dès 1791, se classe depuis plusieurs années parmi les nations les plus conservatrices en matière de droits LGBT. Quel paradoxe ! La PMA, on n’ose plus en parler. Même la récente circulaire de Mme la garde des sceaux, que je salue, engageant les magistrats à faire droit aux demandes de délivrance de certificats de nationalité française au profit d’enfants nés à l’étranger de Français ayant eu recours à une GPA a provoqué la polémique.
    L’intérêt « supérieur » des enfants, en cette occurrence, semblait de peu de poids. Ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? Parce qu’ils ont été conçus hors des modèles admis, seraient-ils donc marqués du sceau d’une sorte de « péché originel » ? Et pour cela, il faudrait les punir ?
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils ne connaîtront pas leurs origines !
    Mme Esther Benbassa. Les opposants au mariage gay et lesbien le dénoncent comme un facteur de décadence. Des pays « avancés » comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne reconnaissaient la PMA et la GPA avant même de légaliser le mariage. Sont-ils pour autant des pays décadents ? Mais la raison n’a plus droit de cité dans des débats qui se fondent sur des présupposés idéologiques et une bonne dose d’hypocrisie.
    Rappelons-nous le bruit et la fureur ayant accompagné l’instauration du PACS, devenu depuis une forme de conjugalité hétérosexuelle très ordinaire ! Le mariage et la parentalité gays et lesbiens se banaliseront aussi, inéluctablement. Et je ne doute pas que des voix humanistes s’élèveront, dès aujourd’hui, également au centre et à droite, pour défendre un projet généreux, modernisateur, portant un coup décisif aux discriminations à raison de l’orientation sexuelle !
    Nous, écologistes, croyons à ce progrès. Le mariage homosexuel a très tôt figuré dans notre projet de société. On se souvient du mariage de Bègles, en 2004, célébré par le député-maire de la ville, Noël Mamère. (M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.) Venez à la tribune à ma place, monsieur Gaudin ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Claude Gaudin. Je ne dirais pas les mêmes choses que vous !
    Mme Esther Benbassa. Tant mieux ! Mais au moins dans la vieille France, cher monsieur, on respectait les femmes. Ce n’est même plus le cas ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Nous voterons bien entendu le projet de loi, même si nous regrettons que l’exécutif ne soit pas allé plus loin, qu’il n’ait pas toujours fait preuve de la même détermination que Mme la garde des sceaux et Mme la ministre chargée de la famille.
    M. Jean-Vincent Placé. Voilà !
    Mme Esther Benbassa. Dès le mois d’août dernier, j’ai déposé, au nom de mon groupe, une proposition de loi audacieuse, incluant notamment la PMA pour les couples de lesbiennes et la transcription sur les registres d’état civil des actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger. Nos amendements nous permettront de rouvrir le débat et de demander solennellement au Gouvernement de s’engager sur le texte à venir sur la famille.
    M. Gérard Longuet. Quelle famille ?
    Mme Esther Benbassa. La qualité d’une démocratie se mesure à l’aune de son engagement pour l’égalité. Chaque acquis est à arracher avec les ongles. Le mariage et l’adoption pour tous, voilà une bataille que nous pouvons gagner !
    M. Bruno Sido. Elle sera perdue pour les enfants !
    Mme Esther Benbassa. D’autres suivront demain, tout aussi cruciales, car l’égalité est un combat, et un combat sans fin ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche.
    M. Philippe Darniche. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le voici arrivé entre nos mains ce texte tant désiré par les uns et tant décrié par les autres. C’est un texte majeur, fondamental, en ce sens qu’il touche à l’essence même d’une nation : la famille.
    M. Jean Bizet. C’est vrai !
    M. Philippe Darniche. C’est un texte qui, pour certains, devait augurer le printemps de l’égalité, la renaissance de la démocratie, car tous vivraient enfin heureux sous un même soleil, dans une société plus juste.
    Seulement, le rêve a viré au cauchemar. Contre toute attente, une opposition digne des grandes heures de notre histoire s’est soulevée.
    Mme Christiane Hummel. Bravo !
    M. Philippe Darniche. Les Français que l’on pensait beaucoup trop occupés par la crise n’en ont pas pour autant oublié les valeurs fondamentales qui régissent la vie depuis des siècles.
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Philippe Darniche. Il va toujours plus croissant le nombre de ceux qui commencent à comprendre les enjeux de ce texte. En cinq mois, à trois reprises, des centaines de milliers de personnes ont voulu exprimer leur désaccord, et jamais gouvernement n’a autant méprisé le peuple. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Mme Christiane Hummel. Eh oui !
    M. Philippe Darniche. À ces foules immenses venues des quatre coins du pays, le Président de la République et son gouvernement opposent un autisme qui fait honte à notre prétendue démocratie.
    M. Éric Doligé. Exact !
    M. Philippe Darniche. Mes chers collègues de la majorité, il est temps d’écouter l’autre majorité, cette majorité silencieuse, qui, cette fois, ne veut pas que l’on décide pour elle. La coupe est pleine ! (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.)
    Mme Christiane Hummel. Bravo !
    M. Philippe Darniche. À la politique de l’autruche du Gouvernement, nous opposons un langage de vérité pour expliquer que la loi n’a pas à être la transcription d’intérêts particuliers.
    Quelques-uns de nos collègues de gauche, toujours très lyriques dans leurs discours pour refuser les tentations de replis communautaristes qui menacent la République, ne pourraient-ils pas convenir que le projet de loi semble être imposé par une minorité ?
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Bravo !
    M. Philippe Darniche. « Les mentalités ont évolué, la loi doit évoluer aussi », nous répond-on. C’est donc notre devoir de refuser cette logique destructrice. L’adoption du projet de loi serait un grave recul anthropologique. (Absolument ! sur plusieurs travées du groupe UMP.)
    Ici, il n’est pas question d’amour. Le mariage a pour rôle non pas d’officialiser une vie de couple mais d’instituer une famille. Si certains couples homme-femme ne procréent pas, c’est pour des raisons subjectives : infertilité, âge ou volonté de ne pas avoir d’enfants. Ces cas particuliers ne remettent pas en cause la dimension objectivement familiale du mariage.
    Le mariage est, de tout temps et en tout lieu, l’acte – juridique, public, civil et/ou religieux – ou l’union par lequel un homme et une femme se placent dans une situation juridique durable afin d’organiser leur vie commune et de préparer la création d’une famille. Le mot français « matrimonial » garde la trace du mariage latin, matrimonium, qui a pour but de rendre une femme mère, mater. Le mariage est plus qu’un contrat, c’est une institution.
    L’amour et le mariage sont différents. L’amour est l’expression d’un sentiment à l’égard d’une autre personne. Le mariage est avant tout un cadre légal permettant l’union entre deux personnes et non la reconnaissance sociale d’un sentiment amoureux.
    Le mariage n’est pas la même chose que l’union de deux personnes de même sexe. Distinguer n’est pas discriminer, c’est respecter ; différencier pour discerner consiste à évaluer correctement, pas à discriminer.
    Le droit ne peut pas prendre en considération l’orientation sexuelle des personnes, donnée subjective qui relève de leur vie privée. Il ne peut considérer que l’identité sexuelle, donnée objective, à savoir le fait d’être un homme ou une femme.
    L’égalité signifie seulement traiter de la même manière ceux qui sont dans des situations équivalentes. (Très bien ! sur plusieurs travées du groupe UMP.)
    Or les couples de même sexe, que la nature n’a pas créés potentiellement féconds, ne sont en conséquence pas concernés par l’institution du mariage. En cela, leur traitement juridique est différent, parce que leur situation n’est pas analogue.
    Pour autant, j’étais disposé à travailler, comme nombre de nos collègues, sur ce traitement juridique sans toucher au mariage et à ses conséquences.
    M. Charles Revet. Très bien !
    M. Philippe Darniche. Modifier le cadre du mariage en l’ouvrant aux personnes de même sexe perturbe notre système bien au-delà de ce qu’on voudrait nous faire croire, et une part importante des spécialistes que nous avons entendus en commission, lors des auditions, est venue nous le rappeler.
    La loi va créer une nouvelle catégorie d’enfants : les enfants privés d’un père ou d’une mère. Nous ne l’acceptons pas ! L’égalité serait-elle un concept à géométrie variable ? Avant d’être un rôle, être parents est un statut, car seuls des parents hommes et femmes peuvent indiquer à l’enfant une origine, qu’elle soit fondée sur la vérité biologique de la procréation ou sur la vérité symbolique de l’adoption. Nous sommes tous témoins, dans nos territoires, des souffrances des personnes qui sont à la recherche de leurs origines jusqu’à leur dernier souffle.
    Mme Colette Giudicelli. Exactement !
    M. Philippe Darniche. Après avoir été privés de parents par la vie, certains enfants vont en être privés une seconde fois par la loi.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
    M. Philippe Darniche. Cela, nous le refusons, car tout enfant a droit de savoir d’où il vient. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    En accordant le mariage et la filiation aux personnes de même sexe, vous changez la donne ; ce faisant, vous bouleverserez toutes les règles de la filiation, de la procréation médicalement assistée, de l’état civil et de la parenté. Nous ne sommes pas dupes : aujourd’hui le mariage, demain la PMA, après-demain la GPA !
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Philippe Darniche. Qui oserait penser en son for intérieur que cet engrenage n’est pas inéluctable, dans cette société qui ne sait plus ce qu’est l’égalité ?
    Mme Catherine Troendle. Bien sûr !
    M. Philippe Darniche. Dans cette société qui n’a que faire du plus faible, mais qui veut assouvir le bien-être des plus grands, qui oserait s’engager sur l’honneur que jamais nous ne tomberons dans de telles dérives ? (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
    Je refuse l’hypocrisie ; je refuse le mensonge. Cette France des robots, je n’en veux pas, et je ne crois pas ici être le seul. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur quelques travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Patrice Gélard. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ferai quelques remarques préliminaires.
    Tout d’abord, le chef de l’État a affirmé, lors de sa campagne pour l’élection présidentielle, vouloir tenir compte de la volonté de la population et assurer la concertation.
    Mme Christiane Hummel. Il a menti !
    M. Patrice Gélard. Où est la concertation lorsque 300 000 à 1 400 000 personnes manifestent dans la rue et qu’on ne les écoute pas ou qu’on ne veut pas les écouter ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Où est la concertation lorsque 700 000 signatures adressées au Conseil économique, social et environnemental sont mises au panier sans être examinées ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC.) Et l’on veut inscrire le caractère social de notre République dans la Constitution, alors que la démonstration est faite que celui-ci n’est nullement pris en compte à la tête de l’État !
    Mme Christiane Hummel. Il n’y a plus de tête !
    M. Patrice Gélard. Ensuite, une étude d’impact est effectivement annexée au projet de loi, mais elle est totalement insuffisante.
    M. Gérard Larcher. C’est vrai !
    M. Patrice Gélard. De plus, elle est orientée : on ne tient compte que des analyses réalisées dans un sens.
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Bruno Sido. Les dés sont pipés !
    M. Patrice Gélard. Cette étude ne comprend aucune statistique digne de ce nom ou analyse sur les conséquences de l’application du texte. Elle comporte donc beaucoup trop de lacunes et de survols rapides pour être réellement exploitable.
    Parlons de l’avis du Conseil d’État.
    M. Gérard Larcher. Oh oui !
    M. Patrice Gélard. Même si nous n’en avons pas eu officiellement connaissance, la presse s’en est fait l’écho. Le projet de loi serait imparfait, incomplet, en particulier concernant les parties du texte relatives à l’adoption, à l’état civil, au nom : autant de motifs d’inconstitutionnalité.
    Ces remarques étant faites, j’en viens au mariage, puis j’évoquerai la filiation.
    S’agissant du mariage, je vous rappelle que, au moment de l’examen du PACS, j’avais proposé en tant que rapporteur un amendement visant à affirmer que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme en vue de fonder une famille.
    Élisabeth Guigou, garde des sceaux,…
    M. David Assouline. Souvenez-vous de Boutin !
    M. Patrice Gélard. … m’avait répondu à l’époque qu’il était totalement inutile d’inscrire cette disposition dans la loi, car cela allait de soi : c’était le sens même du code civil !
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Patrice Gélard. Je constate que la situation a évolué de façon considérable depuis lors. (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Je rappelle tout de même que la Convention européenne des droits de l’homme, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les pactes de Téhéran affirment tous que le mariage est l’union d’un homme et d’une femme.
    M. Charles Revet. Bien sûr !
    M. Didier Guillaume. Comme en Angleterre !
    M. Patrice Gélard. Jusqu’à maintenant, cette règle n’a pas été modifiée.
    Notre Constitution dispose également que les traités internationaux régulièrement ratifiés ont immédiatement une autorité supérieure à celle des lois. Cela signifie que nous sommes en train de discuter d’un projet de loi qui n’est pas conforme aux traités internationaux auxquels nous sommes parties. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
    Même si l’étude d’impact a survolé cette question, il faut savoir que nous avons signé une multitude d’accords internationaux sur le droit de la famille avec nombre d’États, accords qui deviendront caducs si nous adoptons ce projet de loi. Cela reviendra à nier la supériorité des traités par rapport à la loi. Il faudra donc entièrement les revoir.
    Mes chers collègues, les encyclopédistes du XVIIIe siècle – Diderot ou d’Alembert –, dont je me suis beaucoup amusé à lire les citations, étaient tous contre le mariage. Il en va de même de Marivaux, et je ne parle pas du marquis de Sade, qui y était naturellement totalement opposé. (Sourires.)
    Le mariage, c’est le pire des esclavages, disait Diderot.
    M. François Rebsamen. Comment peut-on dire cela ?
    M. Patrice Gélard. Les socialistes, les anarchistes et les communistes du XIXe siècle disaient la même chose : le mariage, c’est l’exploitation de la femme par l’homme ; c’est la transposition de la dictature de la bourgeoisie ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
    Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’était vrai à l’époque, mais la société a évolué !
    M. Patrice Gélard. Je suis étonné de voir nos amis à gauche de l’hémicycle défendre aussi ardemment le mariage pour tous, alors que leurs prédécesseurs étaient au contraire pour l’abrogation de cette institution désuète et bourgeoise. (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. Didier Guillaume. C’est l’évolution !
    M. Patrice Gélard. Il est vrai que quatorze ou quinze pays ont, à l’heure actuelle, reconnu le « mariage pour tous » : les cinq États scandinaves, le Portugal, l’Espagne, le Royaume-Uni, mais avec des conditions différentes des nôtres, le Canada, quelques États aux États-Unis et au Brésil, l’Argentine, l’Uruguay depuis hier, et l’Afrique du Sud.
    M. Didier Guillaume. Belle liste !
    M. Patrice Gélard. C’est une belle liste en effet, mais le mariage n’a pas dans ces pays la même signification que chez nous. (Voilà ! sur les travées de l’UMP.) Cela n’est pas dit dans l’étude d’impact !
    Mme Laurence Rossignol. Cette liste compte des pays catholiques !
    M. Patrice Gélard. Ils ne transposent pas le mariage catholique inscrit dans notre droit depuis 1804. D’ailleurs, c’est là où se situe le problème : le droit français a voulu faire du mariage une institution et un contrat solennels. Or, dans les autres pays, le mariage n’a pas ce caractère. Dans les États protestants, le mariage n’a pas du tout la même signification – il peut être dissous dans des conditions différentes des nôtres, par exemple – et les règles applicables à l’adoption ne sont pas les mêmes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Marc Daunis. L’Espagne et le Portugal, des pays protestants ?
    M. Patrice Gélard. Je rappelle qu’au Portugal on ne peut pas adopter et qu’aux Pays-Bas on ne peut adopter un enfant que si celui-ci a la nationalité de ce pays.
    Je le répète, la situation est totalement différente, parce que le mariage n’a pas la même signification que chez nous.
    M. Gérard Longuet. Exact !
    M. Patrice Gélard. Nous ne voulons pas nous opposer à la reconnaissance de droits que ne possèdent pas à l’heure actuelle les couples homosexuels. C’est la raison pour laquelle nous proposerons une union civile qui conférera à ceux qui y recourront les mêmes droits et les mêmes devoirs que les couples hétérosexuels : la pension de réversion, le droit à succession, la solennité de l’union, à la seule exception des conséquences sur la filiation.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Et voilà !
    M. Patrice Gélard. Le système que nous proposons existe en Allemagne et dans d’autres États, qui ont parfaitement compris la différence entre le mariage, institution consacrée par le code civil depuis deux siècles, et l’union civile, qui est identique au mariage mais réservée aux couples homosexuels.
    Voilà la façon dont nous envisageons la question du mariage !
    M. David Assouline. Je n’ai rien compris !
    M. Patrice Gélard. C’est bien dommage, mon cher collègue !
    Je voudrais maintenant aborder la question de la filiation et de l’adoption.
    Nous sommes tous d’accord pour dire qu’un enfant ne peut être conçu que par un homme et une femme. (Oui ! sur plusieurs travées de l’UMP.) Cependant, nous voyons apparaître une théorie, celle du gender, autrement dit celle du sexe social et non du sexe réel.
    En vertu de cette théorie, chacun d’entre nous aurait le droit de choisir son sexe, de devenir homme ou femme.
    Mme Laurence Rossignol. Mais non !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est une souffrance pour beaucoup de personnes !
    M. Patrice Gélard. Par ce biais, on veut nous instiller une façon de penser qui est peut-être celle d’un groupe mais qui ne peut en aucun cas être celle de tous.
    Le projet de loi veut totalement assimiler le couple homosexuel et le couple hétérosexuel pour ce qui concerne l’adoption.
    M. David Assouline. Encore vingt-quatre minutes à tenir…
    M. Patrice Gélard. Je le dis comme je le pense : nous sommes face à une hypocrisie manifeste !
    M. David Assouline. De quoi parlez-vous ? Du résultat ?
    M. Patrice Gélard. Tel qu’il est conçu, le texte est mal pensé, mal raisonné, incomplet et dangereux dans son application.
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Patrice Gélard. Que représentait l’adoption à l’origine ? Certains pays la pratiquent encore sous cette forme : il s’agissait d’assurer le culte des ancêtres et le transfert du nom. C’était en particulier le cas à Rome. Ainsi de Jules César, adoptant Brutus ou Octave : dans les deux cas, il agit ainsi pour transmettre son nom, léguer le patrimoine de sa famille et assurer l’entretien des dieux lares. Cette situation se retrouve dans tous les pays d’Asie, où l’adoption a pour but de perpétuer le culte des ancêtres.
    En France, l’adoption correspond à deux réalités différentes que l’on a malheureusement un peu perdues de vue, à savoir l’adoption plénière et l’adoption simple.
    L’adoption plénière a été créée dans l’intérêt exclusif de l’enfant.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ça…
    M. Patrice Gélard. À un enfant sans parents, on trouve une famille qui va totalement suppléer son orphelinat en lui donnant un nom, un état civil, une famille et des origines. De fait, l’enfant devient un membre à part entière de la famille qui l’adopte : il a tous les droits et tous les devoirs d’un enfant biologique.
    Mme Catherine Troendle. Eh oui !
    M. Patrice Gélard. En réalité, même si on ne le dit pas officiellement, l’adoption plénière est réservée aux couples stériles. Reste qu’elle est devenue extrêmement difficile en France, pour une raison simple : il n’y a pratiquement pas d’enfants à adopter. À l’heure actuelle, seule une famille candidate sur trois ou quatre peut adopter un enfant selon cette procédure, compte tenu des nombreuses demandes qui sont formulées.
    Naturellement, puisque les enfants à adopter en France sont très peu nombreux, on se demande ce que l’on promet en proposant d’étendre l’adoption. Vous nous direz : nous allons nous tourner vers l’étranger. Mais il n’y a pas d’adoption possible à l’étranger non plus !
    M. Gérard Longuet. Exact !
    M. Patrice Gélard. Cette source tend à se tarir. À cet égard, je citerai l’exemple de la Belgique. Vous le savez, ce pays a instauré le mariage homosexuel depuis de nombreuses années. Depuis 2006, il y a eu zéro adoption. Zéro !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est faux !
    M. Patrice Gélard. Et pour cause : il n’y a pas d’enfants à adopter en Belgique ! Il n’y a pas non plus eu d’enfants adoptés en Espagne.
    Cette situation finira nécessairement par survenir en France. Pourquoi ? Parce que les pays qui acceptent l’adoption n’acceptent pas l’adoption par les familles homosexuelles.
    M. Bruno Sido. Absolument !
    M. Patrice Gélard. L’Afrique du Sud est l’un des seuls pays à l’accepter, mais elle a déjà fait savoir qu’elle ne tolérera plus l’adoption par les couples homosexuels si le texte dont nous sommes en train de débattre était adopté. Ainsi, les couples homosexuels ne pourront pas adopter des enfants à l’étranger.
    C’est la raison pour laquelle le projet de loi est un texte hypocrite : il n’y a pas d’enfants à adopter et, puisqu’il n’y en aura pas, il faudra nécessairement recourir à d’autres moyens. Or ces autres moyens, c’est la PMA ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
    M. Jean-Claude Gaudin. Voilà !
    M. Patrice Gélard. Comme tant d’autres l’ont déjà dit, nous serons obligés d’accepter la PMA.
    M. François-Noël Buffet. Voilà !
    M. Patrice Gélard. D’ailleurs, ne soyons pas hypocrites, elle existe déjà !
    M. Jacques Mézard. Bien sûr !
    M. Patrice Gélard. La PMA est pratiquée en Belgique, en Espagne et dans d’autres pays. Certaines femmes s’y rendent donc avant de revenir en France avec des enfants qui ont été conçus à l’étranger, en violation de la loi française. Pourtant, notre législation n’est pas si mauvaise que cela : la PMA est réservée aux couples stériles ou à ceux risquant de transmettre une tare génétique.
    Ce constat nous impose de réfléchir de nouveau sur cette question, c’est-à-dire de réexaminer le cas de ces enfants, dont nous ne pouvons pas nier l’existence.
    Sans aller dans le sens de Mme le garde des sceaux, je rappelle que M. Baudis a tiré la sonnette d’alarme, en tant que Défenseur des droits, sur la situation de quelques enfants sans droits. Issus de la GPA, ces derniers ne sont pas reconnus.
    M. Jean-Michel Baylet. C’est précisément ce que j’ai dit !
    M. Patrice Gélard. Nous devrions nous pencher sur ce sujet, qui soulève un véritable enjeu. Là encore, ce n’est pas l’intérêt des parents qui nous intéresse, mais celui des enfants, que nous devons garder en permanence à l’esprit. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean Bizet. Très bien !
    M. Jean-Michel Baylet. Vous voterez donc notre proposition de loi ?
    M. Patrice Gélard. Je le répète, l’adoption plénière revient à créer une famille pour un enfant qui n’en a pas. C’est couper entièrement ce dernier de ses origines, qu’il n’aura donc pas à retrouver.
    L’adoption simple est d’une tout autre nature. Je rappelle qu’elle était extrêmement répandue en France jusqu’à la guerre de 1914.
    M. Gérard Longuet. Oui !
    M. Patrice Gélard. Ce système vise à permettre la transmission du patrimoine, notamment de ce patrimoine affectif que peut constituer un nom ou un titre de noblesse. En effet, l’adoption simple était souvent employée par l’aristocratie. Or le fisc a jugé que, l’adoption simple n’impliquant aucun sentiment, on pouvait taper dessus sur le plan fiscal.
    M. Bruno Sido. Le fisc n’a vraiment pas de morale !
    M. Patrice Gélard. Ainsi, l’adoption simple fait l’objet d’un désengagement, car elle n’est pas fiscalement intéressante : lors de la succession, l’héritier adopté doit acquitter une forte somme. Il n’est absolument pas assimilé à un enfant comme les autres, dans la mesure où il n’est pas soumis aux mêmes règles fiscales. À mon sens, il s’agit là d’une violation de la loi.
    Pourtant, l’adoption simple a son utilité : grâce à elle, un certain nombre de couples homosexuels ont pu disposer d’une double parenté. Grâce à elle, certaines femmes ont pu adopter l’enfant de leur conjointe. Ces cas sont peu nombreux, c’est vrai, mais ils existent. Reste un inconvénient : normalement, l’autorité parentale passe alors à l’adoptant. Or on n’a pas prévu les conséquences de cette adoption simple si elle devait se généraliser.
    Il devient nécessaire de repenser l’ensemble de notre système d’adoption. À ce titre, je citerai un exemple que je connais bien, celui d’amis intimes de mes enfants. L’un est homosexuel et vit en couple avec un autre homme. L’autre est homosexuelle et vit en couple avec une autre femme. Tous deux ont eu ensemble un enfant, aujourd’hui âgé de huit ans, conçu par insémination artificielle.
    Résultat : cet enfant a deux pères et deux mères. Les deux conjoints sont venus me voir en me disant qu’ils souhaitaient l’adopter. Au reste, l’enfant vit en régime de garde partagée entre le père et la mère, qui résident non loin l’un de l’autre. Il n’y a pas de problème de ce côté-là. Néanmoins, ce système n’est pas envisageable, même en vertu du présent texte : cet enfant a un père et une mère génétiques, et une adoption n’est donc pas possible.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Et alors ?
    M. Patrice Gélard. Cet exemple illustre la profonde inégalité qu’engendre le projet de loi, ce qui soulève à mes yeux un problème d’inconstitutionnalité. En effet, le présent texte distinguerait au moins trois catégories d’enfants concernant l’adoption par les couples homosexuels.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !

  • Séance du 4 avril 2013 (7)

    15 janvier 2018

    M. Patrice Gélard. Premièrement, ceux qui pourront faire l’objet d’une adoption plénière : ces cas sont peu fréquents, mais on en comptera tout de même quelques-uns. Deuxièmement, ceux qui ne pourront faire l’objet que d’une adoption simple. Troisièmement, ceux qui ne pourront faire l’objet d’aucune adoption, parce qu’ils auront deux géniteurs.
    Ce constat me conduit à l’inconstitutionnalité majeure que présente l’ensemble de ce texte.
    M. Jacky Le Menn. Ah ?
    M. Patrice Gélard. Je le répète, le principe d’égalité est rompu pour ce qui concerne l’adoption, avec toute une série de conséquences juridiques que mon propos vous a permis d’entrevoir.
    De plus – le doyen Capitant l’aurait affirmé avec encore plus de force que moi –, la loi régissant le mariage n’est pas une loi parmi d’autres. Elle fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Par conséquent, elle a valeur constitutionnelle.
    Certes, on peut remettre en cause le mariage, mais uniquement en vertu de la Constitution. C’est ce qui s’est passé en Espagne. Il y a environ deux mois, la Cour constitutionnelle espagnole a rendu un arrêt sur la constitutionnalité du mariage homosexuel.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Tout à fait, et positivement !
    M. Patrice Gélard. Elle a jugé que le mariage pouvait être modifié, étant donné que la Constitution avait prévu cette éventualité, par son article 32.
    Toutefois, ce n’est pas le cas chez nous. En France, il s’agit d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis deux siècles, on n’a pas touché à la définition du mariage que j’ai citée il y a quelques instants, à savoir l’union d’un homme et d’une femme en vue de créer une famille. La pérennité et la constance de cette institution lui confèrent dès lors une valeur constitutionnelle.
    Cette question relève de ce que le doyen Duguit appelait la constitution sociale de la France, à laquelle on ne peut pas porter atteinte, sauf à modifier véritablement le contrat social qui nous unit tous et dont relève le mariage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Éric Doligé. Bravo !
    M. Patrice Gélard. J’irai même plus loin : l’article 34 de la Constitution indique-t-il que le législateur a le droit de toucher au mariage ? Pas du tout ! Cet article implique que le législateur fixe les règles relatives non au mariage mais aux régimes matrimoniaux, et seulement à ces derniers. Cela signifie-t-il que le Gouvernement, doté du pouvoir réglementaire, est habilité à y toucher ? Bien sûr que non !
    Par conséquent, ce domaine relève bel et bien du droit constitutionnel. Le jour où le constituant affirmera que le législateur peut toucher au mariage, nous corrigerons l’adage anglais selon lequel le Parlement peut tout faire, sauf changer un homme en femme. Nous pourrons dire : le Parlement peut tout faire, y compris changer un homme en femme ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Enfin, je veux insister sur quelques lacunes que présente le texte.
    Lors du débat relatif au PACS – Jean-Pierre Michel était rapporteur du texte de loi à l’Assemblée nationale alors que je l’étais au Sénat –, nous avions soulevé, auprès de Mme le garde des sceaux de l’époque, un problème qui n’est pas encore résolu d’une manière totalement satisfaisante. Il s’agit des droits des beaux-parents, des ascendants et de tous ceux qui ont participé à l’éducation, à l’encadrement et à la formation des enfants.
    Là encore, c’est l’intérêt général de l’enfant que nous visons, et rien d’autre. Las, nous n’avons toujours pas adopté de texte en la matière. Je sais que notre rapporteur a déposé un amendement sur cette question, mais cela ne suffit pas. Il faut aller plus loin et faire en sorte que ceux qui se sont véritablement consacrés au développement d’un enfant puissent avoir des droits que la législation actuelle ne reconnaît pas.
    Voilà un des éléments sur lesquels il me semblait nécessaire d’appeler l’attention.
    Je voudrais évoquer également une autre idée. Durant la présidence de François Mitterrand, une institution qui datait de la Révolution française a été remise au goût du jour : le parrainage civil, qui contient des dispositions intéressantes. Le parrain ou la marraine s’engagent à suppléer les parents s’ils venaient à défaillir.
    M. Henri de Raincourt. Exact !
    M. Patrice Gélard. Nous pourrions utiliser un peu plus ce parrainage civil afin de répondre à ce besoin de lien avec l’enfant qu’ont les conjoints dans un couple homosexuel ou, éventuellement, dans un couple hétérosexuel.
    M. David Assouline. Quel est le rapport avec le texte ?
    M. François Rebsamen. J’ai perdu le fil…
    M. Patrice Gélard. Voilà quelques pistes sur lesquelles nous devons nous engager.
    Ainsi, il apparaît que, dans ce texte, tout ce qui concerne l’adoption ou la délégation de l’autorité parentale n’est pas au point et doit être revu. En outre, le statut des parrains et des marraines dans le parrainage civil doit être repensé.
    M. David Assouline. Mais vous n’en célébrez jamais !
    M. Patrice Gélard. Ce sont là des pistes à explorer.
    En conclusion, notre point de vue est simple : nous sommes favorables à l’union civile ainsi qu’à une simplification de l’adoption simple, mais nous refusons de faciliter l’adoption plénière, qui ne peut être appliquée en l’espèce. En conséquence, nous proposerons des amendements concernant ces deux points. S’ils venaient à être rejetés,…
    M. David Assouline. Vous voterez contre ?
    M. Patrice Gélard. … nous serons contraints de voter contre l’ensemble du texte.
    M. David Assouline. Quelle surprise !
    M. Patrice Gélard. Mais, avant d’en arriver là, nous allons défendre trois motions de procédure.
    Nous avons déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, parce que nous sommes convaincus que ce texte contient beaucoup de motifs d’inconstitutionnalité.
    Nous soutiendrons également une motion tendant au renvoi à la commission. En effet, comme nous l’avons démontré, un certain nombre de points de ce texte sont encore obscurs. Sans entrer dans le détail, on pourrait par exemple évoquer la question de l’état civil, qui risque d’infliger à la plupart des maires de violentes migraines. Le dépôt de cette motion est pleinement justifié, car ce texte est incomplet.
    M. Bruno Sido. Il est bâclé !
    M. Patrice Gélard. Enfin, nous présenterons une motion tendant à opposer la question préalable. Nous estimons en effet que la concertation nécessaire n’a pas eu lieu et qu’il est toujours temps de la reprendre ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Plusieurs membres de l’UDI-UC applaudissent également.)
    M. Jean-Michel Baylet. Vive la COCOE !
    M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
    Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, c’est avec beaucoup de fierté et d’honneur que je prends la parole aujourd’hui dans cet hémicycle pour apporter mon soutien à un projet de loi de grande portée, qui permet de franchir une nouvelle étape vers l’égalité des citoyens en France.
    M. Jacky Le Menn. Bravo !
    Mme Nicole Bonnefoy. Ce texte est l’aboutissement d’un long processus de lutte contre les discriminations qui marquera l’histoire du droit de la famille. (M. Jacky Le Menn acquiesce.) Il constitue, à ce titre, une avancée sociale majeure pour notre pays, similaire à celle que nous avons connue avec le PACS ou l’IVG.
    Avant d’aborder le fond du texte, je souhaite remercier l’ensemble des sénateurs qui ont participé ces derniers mois à la préparation de son examen au Sénat. Je tiens à saluer plus particulièrement le rapporteur, Jean-Pierre Michel, pour la qualité et le sérieux de son travail. (M. François Rebsamen approuve.)
    Nous pouvons nous féliciter du climat serein dans lequel nos travaux se sont déroulés jusqu’à maintenant, dans le respect des opinions de chacun…
    Mme Sophie Primas. C’est vrai !
    Mme Nicole Bonnefoy. … et le souci de la pluralité, comme le démontre la diversité des personnes entendues durant la cinquantaine d’auditions que nous avons menées. Nous avons su éviter certains débordements et les propos regrettables entendus à l’Assemblée nationale, qui sont parfois repris lors de diverses manifestations.
    À ce sujet, je ne peux passer sous silence les menaces et les insultes dont certains de nos collègues sont victimes, au prétexte qu’ils soutiendraient ce texte. Au nom du groupe socialiste, je veux dénoncer ici ces méthodes d’intimidation inacceptables (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) et assurer nos collègues de notre indignation en saluant leur courage, au nom de la liberté d’expression et du respect des opinions.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bravo !
    M. François Rebsamen. Très bien !
    Mme Nicole Bonnefoy. J’espère que l’attitude des sénateurs restera responsable tout au long de nos débats. Je crois en effet qu’il est tout à l’honneur du Sénat de se montrer digne de l’enjeu de ce débat, au moins par respect pour les milliers de Français concernés.
    Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe poursuit un but simple mais fondamental : reconnaître des droits essentiels à des milliers de Français, qui, du fait de leur orientation sexuelle, s’en voient encore aujourd’hui privés.
    Cette volonté, exprimée par le Président de la République dès le début de sa campagne en janvier 2011, n’est pas le fruit du hasard. Elle n’est pas apparue soudainement, elle ne résulte pas d’un engagement irréfléchi ou électoraliste, comme certains voudraient le laisser penser. Non ! Elle s’inscrit dans la continuité et vient prolonger une évolution naturelle de l’institution du mariage vers l’égalité entre les couples. Car si cette institution semble traverser le temps, son visage s’est transformé !
    En effet, le mariage fait l’objet de réformes en France depuis des décennies. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle en particulier, le législateur s’est toujours attaché à faire évoluer le mariage en phase avec son temps et conformément aux attentes de la société. Le législateur a ainsi reconnu toujours davantage de droits et de libertés individuelles, dans un souci constant d’égalité entre les citoyens. Je pense que nous pouvons en être fiers !
    Pourtant, force est de constater que toutes les grandes évolutions sociétales, particulièrement en ce qui concerne le droit de la famille, se sont heurtées à des oppositions. Du PACS à l’IVG, en passant par le droit des femmes et celui des enfants, les grands progrès en termes de liberté et d’égalité sociale ne sont jamais advenus sans une certaine douleur. Nous n’y échappons pas aujourd’hui ! En leurs temps, ces réformes ont été très fortement décriées. Elles ont pourtant pris toute leur place dans notre société et peu nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, se risqueraient à vouloir les remettre en cause.
    Nous le savons, le temps est souvent l’allié des grandes réformes de société. C’est pourquoi, à titre personnel, je ne suis pas inquiète face aux réticences et aux craintes exprimées aujourd’hui par certains. Dans quelques années, le mariage homosexuel sera une évidence et personne, j’en suis intimement convaincue, ne reviendra sur cette avancée sociale.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est évident !
    Mme Nicole Bonnefoy. J’en veux pour preuve l’exemple du PACS. Il a fallu près de dix ans pour le faire voter. Critiqué, honni même, lors de son examen au Parlement, il n’a pourtant, depuis son adoption, jamais été remis en cause. Certains de ses détracteurs d’antan en sont même aujourd’hui devenus des soutiens inconditionnels au point de demander la création d’un PACS bis ou d’un mariage bis, avec l’union civile.
    M. Jacques Mézard. Eh oui !
    Mme Nicole Bonnefoy. Je me suis replongée dans les débats parlementaires qui avaient accompagné l’adoption du PACS. J’y ai retrouvé les mêmes arguments, les mêmes craintes, le même conservatisme d’une partie de la société, identiques à ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.
    M. François Rebsamen. Exactement !
    Mme Nicole Bonnefoy. Nous entendions alors que le PACS constituerait une atteinte aux droits de l’enfant, qu’il fragiliserait la famille et l’institution du mariage. Certains sont même allés jusqu’à dire que le PACS bouleverserait les fondements de notre droit et de notre société, sous les applaudissements de leurs collègues d’alors.
    M. Ronan Kerdraon. Comme tout à l’heure !
    Mme Nicole Bonnefoy. Dix ans après, que reste-t-il de ces craintes ? Rien ! Il est désormais établi et reconnu par tous que le PACS est un réel succès.
    Dans ces débats, j’ai retrouvé des arguments refusant au Parlement toute légitimité à conduire une telle réforme. Le Gouvernement aurait privé le peuple d’un débat en lui retirant son pouvoir d’expression. Nous nous serions alors trouvés devant un déni de démocratie intolérable… Nous entendons encore aujourd’hui de tels propos.
    M. François Rebsamen. On vient tout juste de les entendre !
    Mme Nicole Bonnefoy. Pourtant, les Français ont donné mandat à François Hollande de présider notre pays durant les cinq années à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Catherine Troendle. Et ils le regrettent !
    Mme Nicole Bonnefoy. Ils ont donc majoritairement donné leur accord pour que son programme soit appliqué. Le mariage pour les couples de même sexe figurait bien dans ce programme, ce projet n’a donc jamais été un secret !
    À ceux qui demandent l’organisation d’un référendum, ce qui est impossible au regard de l’article 11 de la Constitution, je réponds que le référendum a déjà eu lieu, le 6 mai dernier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Ce texte ne souffre donc d’aucune illégitimité. Le Gouvernement n’a nullement privé la société d’un débat !
    Je tiens à rappeler également que ce projet de loi a été présenté en Conseil des ministres dès le 7 novembre dernier, soit il y a près de cinq mois. Au Sénat comme à l’Assemblée nationale, les rapporteurs ont mené des dizaines d’heures d’auditions, donnant la parole à des représentants de la société civile de toutes sensibilités. Il est donc parfaitement infondé de prétendre que le Gouvernement aurait agi en catimini ou dans la précipitation.
    J’en viens maintenant au fond de cette réforme. Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est avant tout un texte d’égalité et de progrès social qui vient apporter une réponse juridique à une réalité sociale établie. Depuis une cinquantaine d’années, le visage de la famille française a profondément changé. Aujourd’hui, des milliers d’hommes et de femmes vivent en couple, payent des impôts,…
    M. Pierre Charon. De plus en plus !
    Mme Nicole Bonnefoy. … élèvent des enfants, sont parfaitement intégrés dans notre société, sans pour autant être mariés, pacsés, hétérosexuels ou fervents pratiquants d’un culte.
    Cette réalité est incontestable. Pourtant, nous avons le sentiment que certains refusent de la voir, voire en viennent à la nier. La famille d’aujourd’hui, ce n’est pas une maman, un papa, un mariage et deux enfants. (Si ! sur les travées de l’UMP.) Cette conception idéalisée du couple est totalement dépassée et ne correspond en rien à ce qu’est actuellement la réalité sociologique des familles. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Est-il nécessaire de rappeler que le nombre de familles monoparentales et recomposées ne cesse d’augmenter ? Que le nombre de divorces a explosé ? (Et alors ? sur les travées de l’UMP.) Que le nombre de PACS est en hausse constante depuis dix ans et représente aujourd’hui près d’une union sur deux ? Que plus de la moitié des enfants naissent en dehors du mariage ? Il n’y a pas de famille standard, ne vous en déplaise, qui viendrait à elle seule incarner ce que devrait être notre société !
    Aussi, je comprends que beaucoup de familles se soient senties blessées et offensées par les propos tenus ces derniers mois sur ce que devrait être la famille. La société a changé et changera encore. Elle est en perpétuelle évolution, c’est dans sa nature. La famille n’est pas une institution figée et ne peut être régie par une loi immuable.
    M. Alain Chatillon. Si !
    Mme Nicole Bonnefoy. Non ! Nous devons vivre avec notre temps, accompagner les mutations sociales et sociétales en respectant toujours les principes fondamentaux qui constituent notre pacte républicain : la liberté, l’égalité, la laïcité, le respect de la dignité des personnes.
    Mme Catherine Tasca. Bravo !
    Mme Nicole Bonnefoy. C’est cette impérieuse nécessité qui amène le Gouvernement à proposer aujourd’hui à la représentation nationale l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. Ces couples aspirent depuis de nombreuses années à pouvoir se marier. Leur reconnaître aujourd’hui cette possibilité, tant sur le plan institutionnel que juridique, est une étape supplémentaire vers l’acceptation sociale de l’homosexualité et constitue, par là même, une avancée majeure dans la lutte contre les discriminations.
    Mme Laurence Rossignol. Très bien !
    Mme Nicole Bonnefoy. En effet, si le regard de la société a commencé à changer sur l’homosexualité, le chemin à parcourir reste malheureusement encore long. Le temps où l’homosexualité était considérée comme une maladie, une pathologie psychiatrique ou une déviance n’est pas si éloigné. Gardons toujours cela à l’esprit !
    II est de notre devoir, en tant que législateurs et représentants du peuple, d’offrir à tous les Français non seulement les mêmes droits, mais aussi les mêmes devoirs, quelle que soit leur orientation sexuelle, dans le respect des principes fondamentaux qui régissent notre société. Regardons nos voisins européens : sept d’entre eux ont déjà franchi le pas en accordant le mariage aux couples homosexuels !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais ce n’est pas comparable !
    Mme Nicole Bonnefoy. Les Pays-Bas l’ont fait dès 2001, la Belgique en 2003, l’Espagne en 2005, la Suède en 2009, le Portugal en 2010, le Danemark en 2012 et la Grande-Bretagne cette année.
    Mme Christiane Hummel. On l’a déjà dit !
    Mme Nicole Bonnefoy. Nombreux aussi sont ceux, dont l’Allemagne, à avoir reconnu, sous des formes diverses, l’adoption par des couples de même sexe.
    M. Alain Gournac. Sous des formes diverses, en effet !
    Mme Nicole Bonnefoy. Ces sociétés s’en portent-elles plus mal ? La famille belge ou danoise a-t-elle volé en éclat ? Les enfants portugais ou suédois sont-ils plus malheureux qu’avant ? Bien sûr que non !
    Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui n’enlève rien à personne. Il ne s’agit pas de remplacer un modèle par un autre. Ce texte ne remet pas en cause l’institution du mariage pour les couples hétérosexuels. Il ne s’agit pas non plus d’ouvrir le mariage à tous, comme nous sommes parfois amenés à le dire par excès de langage. Les règles actuelles de fond et de forme qui le régissent sont maintenues : conditions d’âge, de consentement, d’empêchements quant aux liens de parenté,… Non, il s’agit ici de conférer une sécurité juridique, non seulement à travers des droits, mais aussi des devoirs, à tous les couples, sans distinction de sexe ou d’orientation sexuelle.
    Je veux aussi rappeler que le mariage n’est pas un acte religieux en France. C’est un acte d’état civil qui vise, par un ensemble de règles juridiques, à faciliter et à régler les éventuels problèmes liés à la vie de couple. Je parle autant ici du droit à la succession que de la filiation ou du divorce.
    À ceux qui disent que la finalité du mariage réside dans la procréation, j’aimerais demander comment ils considèrent les couples stériles, les couples de personnes âgées ou ceux qui ne désirent pas avoir d’enfants.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Eh oui !
    Mme Nicole Bonnefoy. Faut-il leur interdire également l’accès au mariage ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    À ceux qui disent qu’un enfant doit absolument avoir un papa et une maman,…
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oui !
    Mme Nicole Bonnefoy. … j’aimerais demander comment ils jugent les mères, dont je suis, ou les pères qui élèvent seuls leurs enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
    M. Charles Revet. Ils n’ont pas d’autre choix !
    Mme Nicole Bonnefoy. Nous voyons bien là toutes les limites d’un raisonnement dogmatique d’un autre temps.
    Comment pouvons-nous aujourd’hui priver des milliers de nos concitoyens et, par la même occasion, des milliers d’enfants de la sécurité juridique offerte par le mariage ? Cessons l’hypocrisie en la matière !
    Aujourd’hui, 200 000 personnes se déclarent en couple de même sexe et entre 20 000 et 40 000 enfants, voire 250 000…
    M. Gérard Longuet. N’importe quoi !
    Mme Nicole Bonnefoy. … selon certaines associations, sont élevés par un couple homosexuel. L’État ne peut donc pas décemment rester aveugle et muet devant une telle situation. Il est inconcevable de priver ces personnes de la reconnaissance légale que leur procurerait le mariage. Ces familles ont droit à la protection de la loi ! Il y va non seulement de l’intérêt des mariés, avec tous les droits que procure le mariage, mais aussi de l’intérêt des enfants.
    Il est, par exemple, impensable de laisser l’un des deux parents sans aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève. C’est pourquoi il faut autoriser l’adoption de l’enfant du conjoint. Or seul le mariage rend cette procédure possible.
    Par ailleurs, établir la filiation de l’enfant avec ceux qui l’élèvent permettra de le protéger face aux aléas de la vie et lui ouvrira des droits, notamment en matière successorale.
    En dépit de ce qui peut être dit, le projet de loi est donc bien une réforme dans l’intérêt de l’enfant.
    À ce propos, aucune étude sérieuse – je dis bien aucune ! – n’a démontré, je le rappelle avec force, qu’élever un enfant au sein d’une famille homoparentale comportait des risques particuliers pour l’enfant, que ce soit d’un point de vue psychique ou social.
    Mme Catherine Troendle. Si !
    Mme Nicole Bonnefoy. C’est bien plus le regard des autres qui pose problème à ces enfants que l’homosexualité de leurs parents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Lors des auditions auxquelles a procédé la commission, la présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille a confirmé que les juges des enfants ne faisaient pas état de signalements particuliers sur ces enfants. La raison en est simple : l’éducation donnée à un enfant n’est liée ni au sexe de ses parents ni à leur orientation sexuelle ; c’est avant tout une question d’individus. Il y aura autant de bons ou de mauvais parents chez les homosexuels que chez les hétérosexuels.
    M. Henri de Raincourt. Platitudes !
    Mme Nicole Bonnefoy. Je pense que notre histoire a largement démontré qu’être élevé dans une famille hétérosexuelle n’était pas un gage de stabilité psychique ou d’environnement social serein.
    En ce sens, il semble difficilement concevable de priver un couple homosexuel marié d’un droit à l’adoption, alors même que celui-ci existe pour les couples hétérosexuels et les célibataires. Mais il ne s’agit pas non plus, au travers de ce projet de loi, de laisser croire que les couples homosexuels pourront adopter systématiquement et facilement.
    Mme Christiane Hummel. Votre temps de parole est fini !
    Mme Nicole Bonnefoy. Ils devront remplir les mêmes critères que les couples hétérosexuels. À cet égard, il faut savoir que, en France, 27 000 couples sont déjà dans l’attente d’une adoption.
    Finalement, et même si cela a été répété à maintes reprises, ce texte n’ouvre en aucune façon le droit à la PMA de complaisance ou à la GPA. (Mais si ! sur les travées de l’UMP.)
    M. Pierre Charon. Monsieur le président, c’est fini !
    Mme Nicole Bonnefoy. Pour ce qui concerne la PMA, le Comité consultatif national d’éthique rendra un avis,…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Quand ?
    Mme Nicole Bonnefoy. … avant la fin de l’année, qui sera pris en compte par le Gouvernement.
    Pour ce qui concerne la GPA, l’article 16-1 du code civil, qui pose le principe de l’indisponibilité du corps humain, demeure.
    M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
    Mme Nicole Bonnefoy. Le Président de la République et Mme la garde des sceaux ont rappelé à plusieurs reprises qu’ils n’avaient aucunement l’intention de revenir sur ce principe fondamental.
    En somme, le périmètre du projet de loi que nous examinons se limite exclusivement – et doit se limiter – au mariage et à l’adoption conjointe aux couples de personnes de même sexe.
    Avant de conclure mon propos (Exclamations sur les travées de l’UMP.), …
    M. le président. Il vous faut conclure maintenant, ma chère collègue !
    Mme Nicole Bonnefoy. En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe socialiste du Sénat apportera son soutien plein et inconditionnel au projet de loi (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.), qui s’inscrit dans l’histoire des grandes avancées sociales de notre pays.
    Comme le disait Montesquieu, « une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi ; mais elle doit être loi parce qu’elle est juste ». (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que certains membres du RDSE applaudissent également. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

  • Séance du 4 avril 2013 (8 et suivants)

    15 janvier 2018

    Mme Catherine Tasca. Madame la garde des sceaux, vous avez magistralement retracé à l’Assemblée nationale l’histoire du mariage civil, que vous avez qualifié de « conquête […] de la République ». Une conquête, disiez-vous, emportée dans un mouvement général de laïcisation de la société. Vous avez eu également raison d’évoquer le long et difficile chemin des femmes pour trouver leur place dans l’institution du mariage.
    Aujourd’hui – c’est l’honneur du Gouvernement ! –, nous avons la faculté d’ouvrir le mariage civil aux personnes de même sexe.
    En quatre décennies, la société française aura profondément changé de regard sur l’homosexualité.
    Le premier pas sur le chemin de la reconnaissance fut franchi avec la loi du 4 août 1982 dépénalisant les relations homosexuelles. Le deuxième pas fut fait en 1999 avec l’adoption du PACS, qui donna lieu à des annonces catastrophistes, à l’agitation de toutes les peurs et à un débat assez semblable à celui que nous vivons aujourd’hui. Le troisième pas qu’il nous reste à franchir, c’est l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. J’espère que le Sénat, fidèle à sa tradition, mettra plus de raison que de passion dans ce débat.
    Avec le PACS, nous avons eu l’acceptation de la différence, ce qui a permis aux homosexuels de sortir du silence, du mensonge, de la peur et de vivre légalement, au grand jour, leur union.
    La sexualité est une dimension de la vie humaine où subsistent trop de zones d’ombre, trop de tromperies et de dissimulations, sources de multiples souffrances. C’est toute la société, tout le vivre-ensemble familial et social qui en pâtit.
    Trop longtemps, l’homosexualité a été vécue comme une exclusion. Trop de jeunes la portent encore comme une faiblesse inavouable, jusqu’à en mourir parfois. Le PACS a ouvert une fenêtre, en permettant, enfin, de dire cette réalité. De fait, ce sont les couples hétérosexuels qui, très majoritairement, se sont approprié ce nouveau type de contrat, alors même qu’ils ont toute liberté de choisir le mariage. C’est bien le signe que nos contemporains ont une vision très diversifiée de la vie commune et ne se réfèrent pas forcément à l’institution du mariage.
    Ce qui menace la stabilité des couples, ce n’est pas la création du mariage pour tous, mais ce sont notre individualisme, nos impatiences, les aléas de la vie moderne. La famille est la première à subir les conséquences du stress au travail, du chômage, de la pauvreté, du mal-logement. Depuis bien longtemps, les mariages se font et se défont. Le « modèle » de la famille unie par le mariage a volé en éclats et ledit « mariage pour tous » n’y est absolument pour rien. De plus en plus d’enfants vivent dans des foyers homosexuels. Comment notre société civile pourrait-elle ignorer cette réalité, la nier, lui refuser une normalisation légale ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien !
    Mme Catherine Tasca. Notre République n’est pas responsable des sentiments, ni de l’orientation sexuelle des individus, ni encore du choix de vie de chacun, mais elle doit donner à tous les couples le cadre juridique adéquat pour assumer leur engagement et leur pleine responsabilité à l’égard du partenaire et de l’enfant, ce que le PACS ne permet pas. Ce sont d’ailleurs ceux-là mêmes qui combattaient le PACS il y a quatorze ans qui réclament aujourd’hui son amélioration ou la création d’un nouveau contrat d’union civile. Que ne l’ont-ils fait pendant la décennie durant laquelle ils étaient au pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    MM. François Rebsamen et Jacques Mézard. Eh oui !
    Mme Catherine Tasca. Le temps est venu de donner à tous les couples le cadre légal non discriminatoire auquel ils aspirent. Nous devons passer de la reconnaissance de la différence, avec le PACS, à l’acceptation de l’intégration réelle, avec le mariage. À mes yeux, il s’agit non seulement d’une quête d’égalité, mais aussi d’un principe de réalité et de respect de la dignité de tous. C’est l’ouverture d’une nouvelle liberté !
    L’avenir dira si de nombreux couples homosexuels se saisiront de cette faculté ou si beaucoup d’entre eux continueront de se satisfaire de l’union libre ou du PACS. Au moins, aurons-nous levé une hypocrisie et une ultime barrière à une réelle liberté de choix.
    Regardons ce qu’apporte le mariage civil, dont, curieusement, nos concitoyens ignorent bien souvent les conséquences juridiques. Ce n’est pas seulement la proclamation d’un amour, dont nous savons qu’il peut être précaire ; c’est la volonté d’un engagement durable et responsable. Là est notre responsabilité de législateur d’une République laïque. Laissons à chacun la liberté de faire consacrer ce lien du mariage par une Église, mais ne confondons pas ces deux engagements.
    M. Jacques Mézard. Très bien !
    Mme Catherine Tasca. De toutes les formes d’union, le mariage est celle qui assure au mieux aux partenaires le partage des droits et obligations, qui assure le sort de celui qui reste en cas de décès de l’un d’entre eux et qui assure un règlement équitable en cas de séparation.
    Quant aux enfants, leur place au sein des familles de plus en plus diverses et mouvantes pose de très nombreuses et difficiles questions à propos des droits de chacun des parents certes, mais plus encore à propos de leurs devoirs et obligations à l’égard de l’enfant et des droits de celui-ci.
    C’est à toutes ces questions que le projet de loi que nous examinons veut répondre, avec la préoccupation prioritaire de l’intérêt de l’enfant, pour être fidèle à la Convention internationale des droits de l’enfant.
    Si l’on considère – et je le considère – que la protection de l’enfant est l’objectif majeur, alors on ne peut laisser perdurer l’inégalité de traitement qui frappe les milliers d’enfants vivant avec des parents homosexuels. Leur filiation n’est reconnue qu’à l’égard de l’un des deux parents, que ce soit par filiation biologique ou par filiation adoptive. Ces familles sont de facto dans une situation d’insécurité juridique, psychologique et affective, le second parent n’ayant aucun droit à l’égard de l’enfant en cas de disparition du parent légal ou de séparation du couple. C’est à cette insécurité que le projet de loi mettra fin. L’essentiel est que l’enfant ait une famille solide, responsable et aimante pour l’accompagner dans son développement. Si le projet de loi aboutit comme nous le souhaitons, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra d’instaurer une véritable égalité entre tous les couples, en termes de droits et de devoirs.
    On constate que le PACS a vu son régime juridique se rapprocher encore un peu plus de celui du mariage, avec la loi du 23 juin 2006, mais des différences notables subsistent, sur lesquelles je ne reviendrai pas dans la mesure où elles ont déjà été évoquées.
    Le mariage permet de pallier l’insécurité juridique du conjoint survivant en cas de décès de l’un des époux, en lui permettant de bénéficier d’une pension de réversion ou d’une allocation veuvage selon les situations. En termes de droits de succession, l’époux survivant est l’héritier légal, ce qui n’est pas le cas du partenaire lié par un PACS.
    Enfin – ce n’est pas une considération secondaire –, l’époux est considéré comme le plus proche parent de l’autre pour les questions liées aux soins médicaux.
    Le changement décisif apporté par ce texte réside dans son article 1er, qui établit, enfin, une véritable égalité entre tous les couples, en introduisant un article 143 dans le code civil, qui précise, pour la première fois, de manière explicite, la nature du mariage. Le mariage est non plus implicitement un contrat conclu entre un homme et une femme, mais est désormais explicitement « contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».
    L’égalité des droits est particulièrement importante pour ce qui concerne l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. L’article 343 du code civil dispose que « l’adoption peut être demandée par deux époux ». La possibilité pour les couples homosexuels de se marier leur ouvre dès lors le droit à l’adoption.
    Le droit de l’adoption repose sur le principe fondamental du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Non seulement cette considération juridique résulte de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, mais elle est également inscrite dans notre droit national. Ainsi, l’article 371-1 du code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ».
    Alors oui, nous allons permettre aux couples homosexuels d’adopter ! Oui, nous allons permettre à deux parents de même sexe d’exercer l’autorité parentale en commun ! Au-delà du désir de parentalité, l’exercice de cette autorité a pour finalité l’intérêt de l’enfant.
    Le travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, et les auditions très larges qu’il a menées ont eu le mérite de mettre en lumière la nécessité absolue de bien traduire ce qu’on appelle aujourd’hui – et pour demain – « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cette nécessité devra nous guider lors de l’examen de la future loi sur la famille.
    Les futurs mariés de même sexe pourront adopter conjointement, dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Aujourd’hui, une personne vivant avec un partenaire de même sexe doit adopter seule. Dans les faits, selon les départements, cette personne doit souvent dissimuler sa situation familiale afin d’obtenir l’agrément. Est-ce bien l’intérêt de l’enfant ?
    Nous savons que les possibilités d’adoption seront assez restreintes du fait du nombre d’enfants adoptables, très inférieur à celui des demandeurs. L’adoption de l’enfant du conjoint sera sans doute le cas le plus fréquent. Les milliers d’enfants vivant déjà dans une famille homoparentale vont enfin voir leur situation reconnue et protégée.
    Aujourd’hui, les parents de même sexe doivent utiliser des moyens subsidiaires pour exercer une autorité parentale commune, à travers les procédures de délégation et de délégation-partage, qui, toutes, dépendent de la décision du juge. Avec ces mécanismes de délégation subsiste donc une certaine insécurité juridique, notamment en cas de séparation du couple.
    En cas de décès du parent légal, le parent social redevient, en droit, un étranger vis-à-vis de l’enfant. Est-ce bien l’avenir que nous souhaitons préparer à ces enfants ? La possibilité d’adopter l’enfant du conjoint va permettre d’apporter une solution juridique sécurisante à ces enfants dont la vie peut très rapidement basculer en cas de survenance d’un événement dramatique, tel qu’une séparation ou un décès.
    Quant à la filiation, il faut rappeler, à ceux qui prétendent que l’on mentirait à un enfant en lui disant qu’il a été conçu par deux pères ou par deux mères, que l’adoption simple laisse la mention de la filiation d’origine sur l’acte de naissance de l’enfant et que, en cas d’adoption plénière, la référence du jugement d’adoption figure toujours sur cet acte de naissance. La nature adoptive de la filiation n’est pas cachée à l’enfant. La filiation ne repose donc pas sur un mensonge.
    Le droit d’accès aux origines devra sans doute faire l’objet d’une évolution, mais nous avons d’ores et déjà rompu avec le modèle strictement procréatif, en permettant à une personne seule d’adopter de façon plénière, et donc de voir une filiation établie à l’égard d’un seul parent. On peut compter sur le bon sens des enfants pour que, très jeunes, ils voient clairement, grâce à leur environnement, qu’ils ne sont pas « nés » de deux hommes ou de deux femmes, pas plus que d’une femme seule, ce qui ne les empêchera pas de vivre à la fois le lien affectif et juridique.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Absolument !
    Mme Catherine Tasca. Il est enfin une question que le texte, tel qu’il nous arrive de la première lecture à l’Assemblée nationale, traite précisément : c’est la question du patronyme. Nous y reviendrons au cours du débat. Ce n’est pas un sujet mineur, car, dans notre société, porter un nom différent de celui de sa mère ou de celui de sa fratrie peut être une vraie douleur pour l’enfant.
    M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
    Mme Catherine Tasca. À toutes les questions posées par l’ouverture du mariage aux homosexuels, le projet de loi répond concrètement. C’est un texte qui met fin à une discrimination. C’est un texte de pacification de notre société qui connaît des mutations profondes. C’est donc un texte de progrès que le groupe socialiste soutient pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
    Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, inamovible, uniciste, moraliste, la vision que la société s’est longtemps faite de la famille a évolué pour laisser aujourd’hui place à une multitude de structures familiales, à une multitude de formes d’engagement, à une multitude de régimes protecteurs.
    Oui, nous pouvons nous réjouir de constater que le regard que la société porte sur la famille a évolué ! Je ne reviendrai pas sur les différentes lois emblématiques qui ont accompagné ces évolutions.
    Accompagner, le terme n’est pas choisi au hasard, car nous pouvons tous affirmer que, lorsque des évolutions sociales se sont fait jour, le législateur, poursuivant son rôle de protection de l’intérêt général, est simplement venu les accompagner et a parfois servi de guide sur le chemin de l’égalité.
    Égalité, là aussi, le terme est approprié, et je dirai même : revendiqué. Mmes les ministres ainsi que ma collègue Cécile Cukierman ont développé ce point, je n’y reviendrai donc pas, si ce n’est pour interpeller, dans cet hémicycle, ceux qui s’opposent à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
    Mes chers collègues, comme l’a dit le rapporteur Jean-Pierre Michel, il n’existe aucune différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, lorsqu’il s’agit de la reconnaissance sociale et législative de la légitimité de leur couple ; il n’existe aucune différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel, lorsqu’il s’agit de la protection d’un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l’unissent à ceux qui l’entourent.
    Aussi, je m’étonne de voir les opposants à ce texte, invoquant la protection de la famille, brandir dans la rue le code civil ou des pancartes où nous pouvons lire : « Touche pas à mon code civil. » À ces opposants, je rappellerai qu’il n’existe pas de définition de la famille dans le code civil, mais seulement des régimes juridiques que le législateur a créés pour la protéger. Dès lors, si notre société reconnaît aujourd’hui les familles homoparentales, il devient du devoir de ce législateur d’apporter une réponse en droit à cette réalité sociale, pour faire bénéficier ces couples et ces enfants des droits que notre code civil offre et leur imposer les obligations que ce même code édicte.
    Je m’étonne également que l’on nous oppose l’intérêt de l’enfant comme prétexte au rejet du texte. Je m’en étonne, car je pense que c’est justement et essentiellement cet intérêt qui guide le Gouvernement et la majorité de cet hémicycle aujourd’hui. L’intérêt de ces enfants commande qu’ils puissent bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi. Or, actuellement, cette protection est fragilisée par le fait que l’un des deux parents n’a aucun lien juridique avec l’enfant qu’il élève pourtant.
    Autre prétexte au rejet du texte, il faudrait, selon les opposants, instaurer une certaine primauté – pour ne pas dire exclusivité – de la filiation dite « biologique » sur la filiation dite « sociologique », ou une imitation de la vérité biologique plus précisément, puisque peu importe, en réalité, si les personnes qui exercent l’autorité parentale sont les véritables parents biologiques de l’enfant. On devine que, pour les opposants, seul compte le fait qu’ils sont censés avoir pu le concevoir ensemble ! Sur ce point, est-il besoin de rappeler que c’est justement dans l’intérêt de l’enfant que notre code civil reconnaît déjà que la parenté est le résultat d’une construction juridique issue d’un subtil dosage entre vérité biologique et vérité sociologique ?
    En effet, je ne vous l’apprends pas, la parenté fondée sur la vérité sociologique est un concept qui figure déjà dans notre droit. Je pense, par exemple, à la possession d’état, qui recommande, dans l’intérêt de l’enfant, que les liens d’affection qui unissent le parent et l’enfant soient reconnus par le droit. Le code civil reconnaît donc parfois que la vérité biologique puisse être écartée au profit de la vérité sociologique, car l’intérêt de l’enfant plaide en faveur d’une protection des liens qu’elle tisse. Ainsi, cet argument n’est pas recevable : contester la légitimité de ce type de filiation aux parents homos, alors qu’il existe déjà pour les parents hétéros, ne peut être que discriminatoire.
    Mes chers collègues, il est de notre responsabilité d’ouvrir le débat sur le désir de fonder une famille, de transmettre la vie. Il nous faut débattre pour répondre aux attentes, parfois aux souffrances morales et sociales, auxquelles enfants et parents sont confrontés. Les membres de notre groupe sont partagés sur ces questions. Il n’existe pas de famille modèle ni idéale et l’orientation sexuelle des individus n’est pas une garantie quant à la « qualité » des futurs parents. Si nous sommes tous ici soucieux du bien-être de nos enfants, c’est ailleurs que dans le choix sexuel de leurs parents qu’il nous faut rechercher les modalités de leur plein épanouissement.
    Il nous faut débattre sans aucun préjugé. En disant cela, je pense notamment aux amendements plus que douteux déposés par certains de nos collègues et visant à introduire le principe de précaution lors de l’adoption de l’enfant par des couples homos. Nous devons débattre sans préjugés, disais-je, car, contrairement à une idée trop souvent répétée, aucune étude sérieuse n’est venue établir que le fait d’élever un enfant dans le cadre d’un foyer homoparental comporterait des risques particuliers au regard de l’évolution psychique ou sociale de l’enfant. Bien au contraire, l’une des rares enquêtes menée par la plus importante association de pédiatres et de pédopsychiatres des États-Unis a conclu au caractère neutre de l’orientation sexuelle du couple parental dans le développement et l’épanouissement de l’enfant.
    Pour finir, je rappellerai que, si certains enfants souffrent parfois du regard extérieur, c’est parce que la législation actuelle ne les traite pas à égalité avec les autres enfants. Les enfants ont besoin d’avoir des parents de plein droit pour se sentir eux-mêmes enfants de plein droit. Il est donc enfin temps pour nous, aujourd’hui, de reconnaître le désir de parentalité de ces couples. Le reconnaître ne revient pas à assouvir une revendication égoïste d’un droit à l’enfant de la part de ces personnes, mais revient simplement à reconnaître cette volonté légitime de s’inscrire dans le monde commun de la transmission, cette volonté de donner à ces enfants des droits, aussi bien en matière de succession qu’en matière de sécurité affective. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
    M. Michel Mercier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier M. le président de la commission des lois, M. le rapporteur et Mme la rapporteur pour avis de la qualité des travaux qu’ils ont dirigés au sein de notre assemblée. Toutes les opinions ont en effet pu s’exprimer. Le débat a eu lieu au Sénat, et c’est une très bonne chose.
    Disposant de peu de temps, je vais me borner à quelques brèves remarques.
    Des personnes de même sexe peuvent bien sûr s’aimer et, à ce titre, elles ont droit à notre respect. Elles peuvent donc nous demander d’organiser leur vie afin de bénéficier de plus de sécurité. Le Parlement joue pleinement son rôle quand il essaie de répondre à ces demandes. Le seul problème est de savoir si la réponse que vous nous proposez de leur apporter, madame la garde des sceaux, est bonne ou non. Je soutiens, quant à moi, que vous n’apportez pas la bonne réponse, pour le mariage comme pour l’adoption.
    Vous invoquez le principe d’égalité pour justifier vos positions. C’est une vieille habitude française ! En 1793 – permettez-moi de faire à mon tour un historique –, Cambacérès, en présentant la première version du code civil qu’il avait rédigée, invoquait également le principe d’égalité.
    M. Jacques Mézard. Il avait raison !
    M. Michel Mercier. Or c’est dans son système que la femme était la plus soumise à l’homme. Je ne suis pas étonné que vous ayez approuvé, monsieur Mézard. (Sourires.)
    Le mariage que l’on nous propose de modifier est celui qui figure dans le code civil rédigé par Portalis, ce n’est pas le mariage religieux, qui n’a rien à voir dans ce débat.
    M. Jean-Michel Baylet. Vous êtes le porte-parole de Mgr Barbarin !
    M. Michel Mercier. Je vous remercie, monsieur Baylet, de rappeler que je suis catholique. Sachez que je l’assume, ce qui me permet de réaffirmer que nous débattons non pas d’une question religieuse, mais d’un point qui fait l’objet d’un consensus culturel et anthropologique. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. Gérard Larcher. C’est vrai !
    M. François Rebsamen. Dites-le à Civitas !
    M. Michel Mercier. Ce consensus n’a jamais été mieux exprimé que par Aragon, dans son poème de 1960 :
    « Tout peut changer mais non l’homme et la femme
    « Tout peut changer de sens et de nature
    « Le bien le mal les lampes les voitures
    « Même le ciel au-dessus des maisons
    « Tout peut changer de rime et de raison
    « Rien n’être plus ce qu’aujourd’hui nous sommes
    « Tout peut changer mais non la femme et l’homme »
    Or c’est ce consensus que le projet de loi remet en cause. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – Mme la ministre déléguée s’exclame.)
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Michel Mercier. Madame la ministre, vous êtes peut-être gênée que je cite Aragon,…
    M. Robert Hue. Aragon aurait voté le mariage pour tous !
    M. Michel Mercier. … mais c’est l’un des plus grands poètes de ces dernières années. Rappelez-vous La Rose et le réséda.
    M. Robert Hue. Je vous affirme qu’il n’aurait pas voté avec vous !
    M. Michel Mercier. Monsieur Hue, nous n’en savons rien. D’ailleurs, je n’ai pas affirmé le contraire. J’ai simplement souligné qu’il avait décrit ce qu’était le consensus anthropologique – qui, selon vous, n’existerait plus – sur lequel notre société a bâti le mariage. Vous pouvez le remettre en cause, mais encore faut-il dire clairement par quoi vous voulez le remplacer.
    Vous passez d’un statut, voulu par la Révolution française, voulu par le code civil, à un acte individuel, remettant ainsi en cause un élément fondateur de l’institution du mariage, je veux parler de l’altérité des sexes entre les époux.
    Vous auriez pu apporter une autre réponse. En créant une union civile, par exemple, que notre collègue Patrice Gélard a évoquée. Vous auriez pu vous inspirer de la Rome royale et républicaine, qui connaissait deux mariages : l’un cum manu, l’autre sine manu. La seule différence portait sur la filiation et sur le mode d’entrée dans la famille. Cette solution aurait permis de conserver le mot « mariage », si ce terme magique est la marque de l’égalité. Pourtant, je crois très honnêtement qu’on ne peut parler d’égalité qu’entre des êtres semblables, sinon c’est l’altérité qui prévaut.
    La question de l’adoption est plus grave.
    Vous avez décidé – c’est une bonne chose – de ne pas toucher à l’article 310 du code civil, qui dispose que tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère.
    Reste que vous proposez que les couples homosexuels puissent recourir à l’adoption plénière. Or l’adoption plénière conduit à créer un nouvel état civil pour ces enfants. Un état civil sur lequel il sera clairement inscrit : « né de deux parents du même sexe. » (M. Charles Revet s’esclaffe.) La Cour de cassation a rappelé que cela était contraire à un principe essentiel du droit français de la filiation. Surtout, cette disposition, qui nous fait passer du droit des enfants au droit à l’enfant, va conduire à constituer un état civil particulier pour les enfants adoptés par des couples homosexuels en faisant de l’orientation sexuelle de leurs parents un marqueur de leur identité.
    M. François Rebsamen. Mais non !
    M. Michel Mercier. Mais si, monsieur Rebsamen ! Au nom de l’égalité, vous allez probablement créer une très grande discrimination. C’est parce que je suis en désaccord avec l’adoption plénière que je ne pourrai pas voter ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
    M. Robert Hue. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’histoire de la République est une promesse, celle de la marche vers l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de quelque sorte. Car, comme le disait Montesquieu, « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité » !
    Madame la garde des sceaux, il est de l’honneur du Gouvernement de la République auquel vous appartenez de continuer à donner vie à cette belle promesse en soumettant au Parlement le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Ce texte vient traduire dans notre droit la proposition de campagne du candidat François Hollande. Comme des millions de Français, j’ai soutenu le candidat et cette proposition. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
    Ce texte va enfin concrétiser, pour des milliers de couples et de familles, un principe d’égalité de traitement et de considération, la reconnaissance d’un statut juridique identique, sans distinction portant sur des aspects ne relevant que de la vie privée.
    Cette évolution vient de loin. Je me réjouis que l’histoire aille dans le sens d’un élargissement continu des droits, en permettant l’inclusion des citoyens.
    Curieux paradoxe – au demeurant déjà souligné – que de constater que ceux qui étaient, hier, au nom de la défense de la famille, les adversaires acharnés du PACS – je m’en souviens, j’étais parmi les députés qui l’ont voté à l’Assemblée nationale –, s’en fassent aujourd’hui les chantres zélés, allant jusqu’à proposer une union civile qui n’est, en réalité, qu’une version améliorée du PACS, sans permettre la même protection.
    En quinze ans à peine, l’évolution des mentalités – c’est heureux ! – a conduit à banaliser les PACS contractés entre personnes de même sexe. Nul ne songe aujourd’hui à revenir dessus, nous l’avons dit. Or les Français sont aujourd’hui largement favorables au mariage entre personnes de même sexe…
    M. Jean-Michel Baylet. Eh oui !

    M. Robert Hue. … comme le montrent un certain nombre de sondages, même si tout ne se fait pas avec les sondages. Je ne doute donc pas que, d’ici à quelques années, la même banalisation du mariage s’imposera, comme cela s’est passé dans les pays qui ont déjà légiféré dans ce sens.
    Ce constat démontre à quel point le combat pour les droits des homosexuels fut aussi âpre que méritoire. Je pense, bien sûr, à la dépénalisation des relations homosexuelles voulue par le Président François Mitterrand en 1982. Je pense aussi, en ce jour, aux revendications exprimées à partir des années 1980, lorsque l’épidémie de sida produisit ses premiers ravages.
    L’absence de tout statut légal pour les couples homosexuels plaçait de nombreuses personnes dans des situations matérielles difficiles après le décès de leur concubin, en plus du deuil qui les frappait. C’est aussi pour que de tels drames humains ne se reproduisent plus que ce texte constitue un progrès social.
    Mes chers collègues, la famille est bien un socle de notre société. Pour autant, on ne saurait réduire la famille à une simple réalité biologique assise sur les liens du sang. Il n’est pas besoin d’un exposé exhaustif pour constater que le modèle familial, défendu par les opposants à ce texte, n’est qu’une invention récente au regard de l’histoire.
    Comme tout modèle, il a ses contingences, soumises aux évolutions de la société. Le modèle familial d’hier n’a pas vocation à demeurer figé dans un moule éternel. Le sens du mariage a lui-même évolué pour exprimer avec davantage d’intensité des ressorts libéraux et égalitaires entre deux personnes qui s’aiment. Que l’on songe au statut de l’épouse avant 1965, lorsqu’elle ne pouvait même pas travailler sans l’autorisation de son mari ! Le droit doit appréhender les faits, et non l’inverse. Nous sommes donc dans notre rôle de législateur en portant cette évolution du droit, a fortiori au nom de l’égalité.
    À tous ceux qui s’opposent à ce texte, faut-il dire que, non, nous n’allons pas détruire les fondements de la société ? Non, nous n’allons pas changer de paradigme anthropologique, comme je viens de l’entendre ! Non, nous n’allons pas créer des générations d’enfants psychologiquement instables !
    Madame la garde des sceaux, vous l’avez dit, le mariage n’est plus le seul mécanisme de légitimation sociale des familles, même s’il en garantit le niveau de protection le plus élevé. Rappelons-nous que, jusqu’à 2001, les enfants légitimes et naturels n’étaient pas placés sur le même plan d’égalité en matière de successions. D’ailleurs, les familles homoparentales ne constituent pas un fait isolé, puisque l’INSEE estime de 20 000 à 30 000 le nombre d’enfants concernés.
    En toute hypothèse, le seul critère qui importe doit être celui de l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel doit bénéficier de la protection juridique la plus élevée. Or, actuellement, ces enfants vivent dans une zone grise juridique susceptible d’amoindrir leurs droits et d’affecter les liens qu’ils entretiennent avec leur parent biologique ou social.
    M. le président. Si vous voulez bien conclure, mon cher collègue.
    M. Robert Hue. Pour conclure, je dirai donc que ce texte, qui s’inscrit dans la longue marche du progrès, permet aussi de mettre fin à une hypocrisie légale puisque notre droit donne déjà la possibilité à une personne seule homosexuelle d’adopter, tandis que cette possibilité est refusée à un couple homosexuel.
    Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, pour terminer (Ah ! sur les travées de l’UMP.),…
    M. le président. Oui, s’il vous plaît !
    M. Robert Hue. … je dirai que nous avons conscience de la solennité de ce moment où bien des yeux de nos concitoyens sont dirigés vers notre hémicycle.
    L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe ne constitue pas l’octroi d’un droit. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
    M. Robert Hue. Je termine, monsieur le président.
    Chers collègues de l’opposition, la société change. Si vous ne voulez pas changer avec elle, elle changera sans vous. Et c’est cela qui est l’essentiel aujourd’hui ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Mme Cécile Cukierman. Très bien !
    M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures dix.
    La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures dix.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Discussion générale (début)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Discussion générale (suite)
    8
    MODIFICATION DE L’ORDRE DU JOUR

    M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date du 4 avril, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour :
    - du jeudi 11 avril, le soir, des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi portant réforme de la biologie médicale ;
    - du lundi 15 avril, l’après-midi et le soir, de la nouvelle lecture du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, municipaux et intercommunaux, et modifiant le calendrier électoral, ainsi que des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, intercommunaux et départementaux.
    Il a par ailleurs demandé le retrait de l’ordre du jour du mardi 16 avril du projet de loi relatif à la convention OSPAR pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est.
    Acte est donné de cette communication.
    9
    DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

    M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 4 avril 2013, une décision du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le quatrième alinéa de l’article 695-46 du code de procédure pénale (mandat d’arrêt européen) (n° 2013-314 QPC).
    Acte est donné de cette communication.
    10
    Discussion générale (interruption de la discussion)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Dépôt d’une motion référendaire
    OUVERTURE DU MARIAGE AUX COUPLES DE PERSONNES DE MÊME SEXE

    Suite de la discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
    M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Dépôt d’une motion référendaire

    Discussion générale (suite)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Rappel au règlement
    M. le président. J’informe le Sénat que, en application de l’article 11 de la Constitution et de l’article 67 du règlement, j’ai reçu une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Bonne idée !
    M. le président. En application de l’article 67, alinéa 1, du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.
    Il va donc être procédé à l’appel nominal des signataires.
    Huissier, veuillez procéder à l’appel nominal.
    (L’appel nominal a lieu.)
    M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motion.
    Ont déposé cette motion : MM. Bruno Retailleau, Jean-Claude Gaudin, Christophe-André Frassa, Antoine Lefèvre, Éric Doligé, Jean-Claude Lenoir, Mme Christiane Kammermann, M. Pierre André, Mlle Sophie Joissains, MM. Francis Delattre, Jean Bizet, Hugues Portelli, Marcel-Pierre Cléach, Mme Caroline Cayeux, MM. Gérard Longuet, Gérard Larcher, Bruno Sido, Jean-Patrick Courtois, François Pillet, Michel Magras, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Jean-Jacques Hyest, Raymond Couderc, Michel Fontaine, Mmes Catherine Deroche, Colette Giudicelli, MM. Benoît Huré, Patrice Gélard, Michel Bécot, Alain Gournac, Philippe Bas, Mme Colette Mélot, MM. Jackie Pierre, Charles Guené, Gérard César, Mme Catherine Procaccia, MM. Jean-Pierre Leleux, Alain Chatillon, Pierre Charon, Henri de Raincourt, Pierre Bordier, André Dulait, Jean-François Humbert, René Garrec, Charles Revet, Jacques Legendre, Mmes Hélène Masson-Maret, Marie-Annick Duchêne, M. François-Noël Buffet, Mme Catherine Troendle, MM. René Beaumont, Gérard Dériot, Michel Houel, Mme Esther Sittler, MM. Gérard Bailly, André Reichardt, Pierre Martin, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Paul Fournier, René-Paul Savary, Mmes Marie-Hélène Des Esgaulx, Christiane Hummel, MM. Jean-Noël Cardoux, Philippe Dominati, André Ferrand, Christophe Béchu et Dominique de Legge.
    Cette motion sera envoyée à la commission des lois.
    Sa discussion aura lieu conformément à l’article 67, alinéa 2, du règlement « dès la première séance publique suivant son dépôt », c’est-à-dire demain, vendredi 5 avril, à dix heures.
    Conformément au droit commun défini à l’article 29 ter du règlement, la discussion générale sera organisée sur deux heures, les inscriptions de parole devant être faites à la direction de la séance avant demain, à neuf heures.
    Pour l’heure et conformément à la tradition, nous allons poursuivre la discussion du projet de loi.
    Rappel au règlement

    M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour un rappel au règlement.
    Dépôt d’une motion référendaire
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Discussion générale (début)
    Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il ne vous aura pas échappé que notre commission des affaires sociales a été saisie pour avis du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Vous nous avez dit cet après-midi, madame Meunier, que nous vivions un moment important et que nous entrions, à notre manière, dans l’histoire de France. Quant à M. Baylet, il nous a demandé un débat de qualité. Nous en avons pris acte.
    Pour autant, ce matin, à dix heures trente-neuf, les membres de la commission des affaires sociales, dont je fais partie, ont reçu un courriel les convoquant à une réunion de la commission des affaires sociales jeudi matin prochain, au lieu de mercredi matin. Comment, dans ces conditions, se dérouleront nos débats ?
    Vous voulez débattre, et nous aussi. Pourquoi donc nous éloigner de l’hémicycle ? En effet, nous devions examiner ce texte jeudi matin prochain en séance publique. Mercredi matin, en revanche, non seulement nous n’en débattrons pas en séance publique, mais la commission des affaires sociales ne se réunira pas non plus.
    C’est la deuxième fois qu’une telle chose se produit. J’avais en effet déjà fait un rappel au règlement devant la commission des affaires sociales, au motif que l’audition du ministre devait avoir lieu le mardi matin, durant les réunions de groupe.
    Je vous demande donc, monsieur le président, de bien vouloir faire respecter le règlement intérieur pour le bon déroulement de nos travaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. Acte est donné de votre rappel au règlement, ma chère collègue.
    La parole est à M. le président de la commission des lois.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Je souhaite informer les membres de la commission des lois que nous nous réunirons demain matin à neuf heures trente pour examiner la motion référendaire, puisque celle-ci est renvoyée à la commission des lois. (Murmures sur plusieurs travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Et la réponse de la commission des affaires sociales ?
    Discussion générale (suite)
    Rappel au règlement
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Discussion générale (interruption de la discussion)
    M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Charles Revet.
    M. Charles Revet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues – moins nombreux à gauche qu’à droite (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) –, le doyen Patrice Gélard nous a présenté de façon très brillante (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) une analyse fondée du projet de loi qui nous est soumis. J’ai compris,…
    M. David Assouline. Moi, je n’ai rien compris !
    M. Charles Revet. … au silence qui régnait pour l’écouter, que, même vous, madame le garde des sceaux, étiez sensible aux arguments qu’il a avancés.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous m’informez sur moi-même ! (Sourires.)
    M. Charles Revet. Notre collègue a également exposé la position du groupe UMP et les raisons qui conduiront la quasi-totalité de ses membres à s’opposer à l’adoption de ce texte, si celui-ci reste en l’état.
    Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, notre opposition n’est pas politique : elle est beaucoup plus fondamentalement philosophique et sociétale, et cela nous concerne tous.
    M. le Président de la République, dans le contexte économique que nous connaissons et alors que notre armée est engagée sur différents fronts, en particulier au Mali, fait appel au rassemblement et à la cohésion nationale. Dans ces conditions, pourquoi nous soumet-il dans le même temps un texte dont il sait qu’il fait division à l’intérieur de notre pays, y compris pour des personnes de la même sensibilité politique que lui ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.) N’est-ce pas lui qui devrait montrer l’exemple d’une volonté de cohésion nationale ?
    Madame le garde des sceaux, je vous poserai deux questions : pourquoi nous soumettre un texte qui, s’il est adopté, bouleversera en profondeur les fondements de notre société ? Jusqu’où voulez-vous aller ? Déjà beaucoup s’inquiètent de voir disparaître les repères et valeurs qui ont servi de base à la construction de notre société et au développement de notre beau pays.
    L’adoption des dispositions que vous proposez dans le projet de loi dit « mariage pour tous » fera table rase de fondements essentiels. Peut-être est-ce voulu... Quoi qu’il en soit, dites-nous à quoi vous voulez aboutir et quelle société vous proposez pour demain.
    J’entends que vous allez nous répéter que c’est l’application d’une promesse de campagne du Président de la République. On affirme aussi que cela n’entraînera aucun changement pour la majorité de nos concitoyens et que c’est simplement un élargissement aux personnes de même sexe des dispositions prévues dans le cadre du mariage.
    M. Jean-Pierre Godefroy. Eh oui !
    M. Charles Revet. Pensez-vous que ce texte aurait provoqué autant de réactions de tous bords, de toutes instances, des manifestations, une mobilisation aussi importante, si c’était aussi simple et aussi peu fondamental que vous voulez le laisser croire ?
    Madame le garde des sceaux, vous ne pouviez être présente lors des nombreuses auditions qui ont eu lieu les semaines passées, et je remercie le président de la commission des lois et le rapporteur de les avoir organisées. Celles et ceux qui y ont participé – j’en étais – ont noté la convergence de la plupart des interventions. Toutes les personnalités que nous avons reçues nous ont fait part de leurs interrogations et de leurs inquiétudes quant aux conséquences qui découleraient de l’adoption de ce texte. Tous ont insisté sur deux aspects.
    D’une part, les différents intervenants ont rappelé que le terme « mariage » était un terme signifiant – cela a d’ailleurs fait l’objet d’une discussion –, c’est-à-dire un terme dont la définition a été constante au fil des siècles : il s’agit de l’union d’un homme et d’une femme qui, dans leur complémentarité, peuvent donner la vie.
    D’autre part, et de manière plus importante encore, les intervenants ont mis en évidence les conséquences en matière de filiation. J’ai à l’esprit ces propos de Mme la présidente de chambre au tribunal de grande instance de Paris, responsable du service des affaires familiales : « Il faut bien constater que l’accès des couples de même sexe à l’institution du mariage a pour conséquence mécanique de bouleverser tout le droit de la famille, lequel a été conçu et structuré autour de l’idée qu’une famille, c’est un père, une mère et des enfants. À cet égard, l’entrée du "mariage pour tous" dans notre ordre juridique produit un "effet domino", un domino venant renverser tous les autres. »
    Plus tard, Mme Bérard met en garde : « Quand vous parlez de mariage, vous parlez de filiation ; quand vous parlez de filiation, vous parlez de famille ; et quand vous parlez de famille, vous ouvrez un tas de boîtes. »
    Je pourrais citer d’autres interventions qui ont souligné les enjeux et les conséquences qui découleront de l’adoption de ce texte. Madame le garde des sceaux, ne pensez-vous pas, au regard de tout cela, et sauf s’il s’agit pour le Gouvernement d’une volonté idéologique de changer en profondeur les fondements de notre société, qu’il faut faire preuve de prudence dans les dispositions que nous pouvons engager ?
    Je n’oublie pas la demande des personnes de même sexe souhaitant vivre ensemble. Il est possible de traiter cette question sans pour autant engager des bouleversements. D’ailleurs, lorsque ces personnes ont, à plusieurs reprises, manifesté leurs revendications, ne voulaient-elles pas être reconnues dans leur différence ?
    L’égalité à laquelle vous faites référence pour justifier le texte qui nous est soumis revient-elle à mettre tout le monde dans le même moule, alors que, par nature, un homme, une femme sont différents, alors que deux hommes ou deux femmes ensemble ne pourront jamais procréer ? L’égalité, me semble-t-il, c’est que, à situation équivalente, hommes et femmes soient traités de la même manière avec les mêmes droits et les mêmes devoirs. Que celles et ceux de même sexe qui ont choisi de vivre en couple demandent à pouvoir bénéficier des dispositions liées à cette notion de couple me paraît légitime et c’est à nous de le prendre en compte.
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Charles Revet. Pour ce faire, nous devons revoir certaines dispositions, législatives ou réglementaires, mais il ne s’agit pas de fondre dans le même ensemble des situations qui sont voulues et reconnues comme différentes. Ce peut être simple à mettre en place, à condition de le vouloir : tel sera le sens des propositions qui seront faites lors de l’examen des articles.
    Madame le garde des sceaux, ne croyez-vous pas que notre pays a un urgent besoin d’apaisement ? Le Président de la République a promis de traiter la situation de personnes de même sexe vivant en couple.
    M. le président. Mon cher collègue, vous avez épuisé votre temps de parole.
    M. Charles Revet. Faisons-le en des termes correspondant à leur situation : c’est, je crois, ce qu’ils attendent ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
    M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, de grandes figures ont été évoquées dans ce débat, d’autres, moins connues, mais tout aussi belles et généreuses, qui ont marqué l’histoire par leurs combats pour la liberté et l’égalité.
    Victor Schœlcher, qui a siégé dans cet hémicycle, est de celles-là. En 1848, il écrivait ces mots solennels : « La République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine ; elle n’exclut personne de son immortelle devise : liberté, égalité, fraternité. »
    M. René Beaumont. Rien ne nous sera épargné !
    M. Yves Daudigny. Ce projet de loi, mes chers collègues, est fils de la République. C’est un projet de liberté, d’égalité et de fraternité.
    Un projet de liberté, parce qu’il n’oblige pas, ne contraint personne, mais tout au contraire autorise.
    M. Gérard Longuet. Il ne contraint personne à devenir homosexuel : voilà une bonne nouvelle !
    M. Yves Daudigny. Un projet d’égalité, parce qu’il reconnaît à tous les couples, sans distinguer selon leur orientation sexuelle, l’accès aux mêmes droits et devoirs lorsqu’ils souhaitent formaliser et sécuriser leur union et choisissent de se marier.
    Un projet de fraternité, enfin, parce qu’il contribue à enrichir notre « capital social », à renforcer le ciment qui permet à chacune et chacun, dans le respect de son altérité, de faire communauté et de faire sens.
    Le mariage a longtemps été l’institution des propriétés, des legs, des héritages, des notaires et des prêtres, une institution d’autorité, celle du chef de famille sur le patrimoine incluant l’épouse et les enfants, une institution d’exclusion contre les juifs, les protestants, les comédiens…
    En détachant la loi des sacrements pour l’inscrire dans l’ordre républicain, le constituant de 1791 a permis qu’il soit mis fin à ces exclusions. Dans la continuité de cette conquête permanente de liberté, d’égalité et de responsabilité, les lois de 1970 et de 1975 ont reconnu aux femmes des droits dont elles étaient privées, et celle de 1972 a mis fin à l’exclusion dont les enfants adultérins et naturels étaient victimes.
    Ce projet s’inscrit clairement dans cette évolution de l’état civil des personnes et participe à la longue lutte contre les exclusions. Il est la suite logique de l’émancipation progressive du législateur de l’empreinte religieuse, patriarcale et discriminatoire et nous propose de mettre fin à l’exclusion des personnes homosexuelles du mariage et de l’adoption, exclusion que condamne la Cour européenne des droits de l’homme, et qu’aucun principe fondamental de notre ordre républicain ne légitime.
    Les conséquences de cette exclusion sont en effet souvent dramatiques pour nos concitoyens. Le PACS, à cet égard, s’est révélé tout à fait insuffisant, malgré les améliorations apportées en 2006 avec le maintien du domicile commun au profit du partenaire survivant durant une année après le décès, en 2007 avec l’exonération de sa part successorale, et en 2009 avec l’adoption d’une règle de conflit de lois permettant la reconnaissance des PACS enregistrés à l’étranger.
    Comment accepter que, pour la seule raison de leur orientation sexuelle, des personnes que le mode de vie ne distingue pas de toutes les autres continuent à être privées du droit à pension de réversion, bien qu’elles en remplissent toutes les conditions de fond,…
    Mme Nathalie Goulet. La pension de réversion, c’est un vrai sujet !
    M. Yves Daudigny. … qu’elles soient, pour la même raison, privées des droits à majoration d’assurance versée à raison de l’incidence sur leur carrière de la naissance et/ou de l’éducation de leurs enfants, qu’elles soient encore privées du droit à indemnisation du congé d’adoption et que des orphelins soient privés de la rente due aux enfants de victimes d’accidents mortels du travail ?
    Pourquoi certains enfants sont-ils privés…
    M. Alain Gournac. D’un papa et d’une maman !
    M. Yves Daudigny. … du bénéfice de l’exercice de l’autorité parentale des personnes qui les aiment, assument leur charge et les élèvent sans en avoir le droit ?
    N’ont-ils pas eux aussi un intérêt légitime à être juridiquement protégés ?
    Responsable de l’aide sociale départementale à l’enfance, je peux témoigner, comme beaucoup d’entre nous ici, combien ce sont en réalité la misère matérielle, l’ignorance, le sectarisme et l’intolérance qui détruisent les familles et les enfants.
    Telle est la réalité. Et quand elle s’accorde aux principes fondamentaux, quand les lois satisfont ce besoin de liberté et d’égalité des uns sans contredire les besoins des autres, alors, nous sommes sûrs d’être dans le juste.
    C’est pourquoi nous défendons et approuvons ce projet de loi, qui affronte avec courage et lucidité la réalité sociale et apporte effectivement à nos concitoyens plus de justice et de sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
    M. Hervé Maurey. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord excuser mon collègue Yves Détraigne, qui devait intervenir aujourd’hui et qui est retenu dans la Marne à la suite d’événements dramatiques qui se sont produits dans sa commune.
    Mes chers collègues, au nom du principe d’égalité, le Gouvernement nous propose aujourd’hui de considérer qu’un homme doit pouvoir épouser un homme et qu’une femme doit pouvoir épouser une femme.
    Et, dans la même logique, il nous propose également, ce qui est plus préoccupant à mon sens, que ces couples puissent également adopter des enfants, en attendant de pouvoir recourir sous peu à l’aide médicale à la procréation pour les couples de femmes et à la gestation pour autrui pour les couples d’hommes.
    Je le dis à celles et ceux qui, de bonne foi ou non, affirment l’inverse : dès lors que l’on aura accepté le mariage entre deux hommes et entre deux femmes et l’adoption, la procréation médicale assistée et la gestation pour autrui viendront inévitablement, d’autant, nous le savons, qu’il n’y aura pas assez d’enfants…
    M. Bruno Sido. Et même aucun !
    M. Hervé Maurey. … à adopter pour répondre aux attentes des couples homosexuels.
    M. Jean Bizet. C’est la vérité !
    M. Hervé Maurey. Le principe d’égalité, aujourd’hui invoqué pour justifier le mariage et l’adoption, sera de la même manière mis en avant demain pour justifier le recours à ces techniques de procréation.
    Pourquoi, en effet, refuserait-on la GPA aux couples d’hommes dès lors que les couples de femmes pourront accéder à l’étranger, si ce n’est en France, à la PMA pour avoir des enfants ?
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est déjà le cas !
    M. Hervé Maurey. Pourquoi instaurerait-on une inégalité entre couples d’hommes et couples de femmes alors qu’on prétend aujourd’hui que les couples homosexuels doivent avoir le même accès au mariage et le même droit à l’adoption que les couples hétérosexuels ?
    Le mariage, je vous le rappelle, mes chers collègues, a pour objet depuis la nuit des temps d’unir l’homme et la femme en vue de créer une famille et d’offrir un cadre à la naissance, l’accueil et l’éducation des enfants.
    Mme Éliane Assassi. Votre référence, c’est la Bible ?
    M. Hervé Maurey. En dehors même de la revendication d’égalité, ce motif conduira à exiger le droit à la procréation médicale assistée et à la gestation pour autrui, et fera ainsi exploser la notion même de famille.
    Je voudrais souligner que le principe d’égalité, qui est constamment évoqué depuis le début de nos travaux par un certain nombre de mes collègues, me semble être mis en avant par les partisans de ce texte de manière inappropriée, pour ne pas dire abusive.
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Très bien !
    M. Hervé Maurey. Chacun sait en effet que, en droit, l’égalité ne s’applique qu’à des situations équivalentes.
    Or, et contrairement à ce que nombre d’orateurs ont essayé de nous faire croire, il est évident qu’au regard de la famille, un couple d’hommes ou un couple de femmes n’est pas structurellement équivalent à un couple formé d’un homme et d’une femme.
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Ils ne veulent pas le voir !
    M. Hervé Maurey. C’est la loi de la nature universelle, ou la loi biologique si vous préférez : un couple d’hommes ou un couple de femmes ne peut pas engendrer un enfant et ne peut donc pas créer une famille au sens traditionnel du terme.
    Certes, la famille n’a plus le même sens aujourd’hui qu’il y a un siècle ou même un demi-siècle. La majorité des enfants naissent hors mariage et il n’est plus nécessaire de passer devant le maire pour fonder une famille. Mais faut-il pour autant modifier le droit pour satisfaire la demande d’une minorité ?
    M. Jean Bizet. Bien sûr que non !

    M. Hervé Maurey. Je ne le pense pas, sauf à considérer que la loi n’est plus l’expression de la volonté générale, mais celle d’une minorité, et à penser que la loi doit s’adapter à toutes les évolutions de la société, quelles qu’elles soient, et non la régir.
    Mes chers collègues, « les orientations sexuelles, les préférences sexuelles sont libres. La discrimination à l’égard de telle ou telle orientation m’est insupportable, mais n’oublions pas que l’humanité toute entière est structurée homme-femme, elle n’est pas structurée en fonction des préférences sexuelles ».
    Ce constat de bons sens est de l’un des vôtres : j’ai nommé Lionel Jospin… Pour une fois, j’ai plaisir à le citer et à partager son propos. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.) Je n’en dirais pas autant de son dernier rapport, notamment en ce qui concerne le cumul des mandats…
    Au nom de « l’égalité des droits » entre adultes, vous allez créer une grave discrimination entre enfants, puisque vous allez permettre que des enfants n’aient plus officiellement un père et une mère, mais deux pères ou deux mères. C’est aberrant et tellement peu conforme à l’intérêt de l’enfant.
    Vous évoquez un « droit à l’enfant », mais ce droit n’existe pas et la nature le rappelle parfois douloureusement aux couples.
    Il y a, en revanche, un droit fondamental pour les enfants, celui d’avoir un père et une mère. (Oui ! sur plusieurs travées du groupe UMP.)
    Quoi que décide le législateur, l’enfant aura toujours un père et une mère biologiques et la présence d’un deuxième papa à la maison ne remplacera jamais une maman, pas plus qu’une deuxième maman ne remplacera un papa !
    C’est particulièrement vrai des enfants adoptés, comme l’ont souligné un grand nombre de personnalités auditionnées par la commission des lois.
    Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas lieu pour le législateur de se pencher sur la situation des couples homosexuels.
    Il est parfaitement normal et légitime qu’un couple stable, homosexuel ou hétérosexuel, bénéficie d’un statut qui règle la question des droits et obligations entre ses membres et assure la protection et l’assistance que le mariage confère réciproquement aux époux.
    Mais dans la mesure où le mariage est, pour moi, par essence, l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille, c’est une union civile offrant le même cadre juridique protecteur que le mariage, mais sans filiation, qu’il convient d’instaurer. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    C’est le sens d’un amendement proposé par un certain nombre de mes collègues du groupe UDI-UC. Il permettrait de répondre aux attentes de nombreux couples homosexuels, sans en arriver aux solutions destructrices que vous proposez.
    La position que je défends répond d’ailleurs au souhait de la majorité des Français. En effet, si 53 % d’entre eux sont favorables au mariage pour les couples homosexuels, 56 % sont opposés à l’adoption.
    Pour conclure, je voudrais, madame la ministre, mes chers collègues, vous demander pour une fois d’entendre les Français, d’enlever vos œillères, de tenir compte de la mobilisation qui a encore eu lieu le 24 mars.
    Quand plus d’un million de personnes sont dans la rue, on ne peut pas traiter cela par le mépris !
    À cet égard, permettez-moi de vous dire, monsieur le rapporteur, que vos tweets ironiques à l’égard des manifestants étaient désobligeants, malvenus et peu compatibles avec votre qualité de rapporteur de ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Hervé Maurey. Écrire qu’il s’agit de « quelques badauds participant à une balade », ou encore que « quelques serre-tête tressés et jupes plissées pensent que nous reculerons », ce n’est pas digne d’un rapporteur de la commission des lois ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
    Madame la ministre, nous abordons cet important débat en espérant que le Gouvernement saura nous écouter.
    Oui, nous souhaitons répondre aux attentes des couples homosexuels, mais nous ne voulons pas remettre en cause l’un des piliers fondamentaux de notre société, le mariage, et par là même la famille, et porter gravement atteinte aux droits des enfants, comme vous le proposez. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
    M. Alain Milon. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, après de longs mois de discussions, de débats, de contestations ou de soutiens, notre assemblée doit à son tour examiner le projet de loi sur le mariage pour tous.
    Je tiens, en premier lieu, à remercier le groupe UMP du Sénat, qui me permet d’intervenir dans le cadre de cette discussion alors même que ma position n’est pas majoritaire. Cette liberté d’expression et de pensée honore le groupe auquel j’appartiens. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Permettez-moi aussi de dire que, si nous adoptons ce texte, j’en suis convaincu, nous contribuerons à accompagner et à conforter l’acceptation, la normalisation, voire même - c’est l’étape ultime ! – la banalisation du mariage entre personnes de même sexe.
    Nous permettrions à ces couples d’exercer une liberté reconnue par le Conseil constitutionnel comme une liberté personnelle. Nous donnerions tout son sens à l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Nous rendrions pleinement applicable, sur notre territoire national, l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme, évoquée tout à l’heure par Patrice Gélard, qui affirme : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit ». Cet article ne dispose pas que l’homme et la femme doivent nécessairement se marier ensemble.
    En accordant ce droit, nous honorerions notre réputation ainsi que la devise nationale qui orne les frontons de nos édifices. Liberté de se marier, égalité de traitement des situations identiques, telles sont, à mes yeux, les avancées qui nous sont proposées dans ce projet de loi.
    Derrière une apparente simplicité, l’intitulé de ce texte soulève de multiples questions mettant en exergue la complexité des schémas familiaux actuels. L’opposition exprimée à l’encontre du mariage entre personnes du même sexe semble parfois porter davantage sur le terme même de mariage, et sur ses effets induits, que sur l’acte lui-même.
    En ce qui concerne la terminologie, il est certain que, dans l’inconscient collectif hérité de notre culture judéo-chrétienne, le vocable de « mariage » possède une connotation religieuse.
    Dès lors, même si les religions ne confèrent pas toutes une dimension sacramentelle au mariage, même si, dans nos sociétés actuelles, le mariage est un acte purement civil, même si les évolutions liées à législation sur le mariage et à son alter ego, le divorce, ont affecté la dimension pérenne de l’union, il n’en demeure pas moins que subsiste une figure idéalisée du mariage, union d’un homme et d’une femme.
    Le mariage suppose l’altérité, vous l’avez dit tout à l’heure, madame la ministre. Il est l’expression de la rencontre avec l’autre, dans sa différence. Dans cette optique, reconnaître le mariage homosexuel porterait atteinte à cette altérité fondée sur la différenciation indispensable à toute forme de vie.
    Dès lors, parler de mariage pour un couple de même sexe reviendrait à nier cette altérité ou, pour le moins, conduirait à en redéfinir le contenu : qui est l’autre ? Semblable ou différent ? Reflet ou vis-à-vis ?
    Nous nous trouvons donc face à un projet qui, par-delà les droits et obligations qu’il peut conférer, exprime une vision de l’homme, de la société, de notre démocratie.
    Comme avec la loi sur l’IVG, celle sur l’abolition de la peine de mort, nous sommes face à un texte qui nous oblige à nous interroger sur nos valeurs, sur notre conception de la société et, ici plus particulièrement, sur sa cellule de base qu’est la famille.
    Il nous oblige à nous interroger, mais sans pour autant apporter de réponse à notre questionnement. Il nous fait pousser une porte sans savoir si elle nous conduit vers un nouvel espace de droits et de libertés ou si, tel Pandore, nous ouvrons une jarre dont le contenu peut nous échapper, nous dépasser.
    C’est bien là tout le sens des réflexions, des résistances, des oppositions qui se manifestent.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bien sûr !
    M. Alain Milon. En effet, la reconnaissance du mariage entraîne ipso facto le droit à fonder une famille. Le texte sur lequel nous sommes amenés à nous exprimer atteste de cette indissociabilité, même si le mariage n’est plus l’institution qui fonde les règles de la filiation.
    Comme je l’indiquais précédemment, l’intitulé de ce texte fait uniquement référence au mariage. Or différents articles – nous en avons suffisamment parlé – sont consacrés à la filiation, notamment adoptive.
    Ainsi, insensiblement, nous glissons du mariage entre deux individus vers la construction d’une famille. Si, désormais, la reconnaissance de droits et de devoirs à des couples souhaitant affirmer leur stabilité sociale tout autant que leur affection profonde est majoritairement admise, les questions liées à la filiation font davantage débat.
    C’est bien sur cette question qui touche à l’enfant en tant qu’individu, mais peut-être aussi en tant qu’expression de l’avenir, en tant que prolongement de nous-mêmes, que s’expriment les réticences avec le plus de force et de vigueur. C’est aussi en ce domaine que nul aujourd’hui ne peut établir de certitude : l’amour est-il suffisant pour construire un être ? Dans quelle mesure le schéma social pèse-t-il sur la construction individuelle ? Le droit et l’amour peuvent-ils supplanter la biologie ? Et tant d’autres questions encore !
    Pour autant, mes chers collègues, ces incertitudes doivent-elles nous empêcher d’avancer ? Doivent-elles nous condamner à l’immobilisme ? Doivent-elles priver de droits certains de nos concitoyens ?
    La peur n’a jamais empêché le pire de se produire. Au lieu de refuser et de nier cette évolution, il convient plutôt de l’anticiper et de la préparer.
    Les questions soulevées par la reconnaissance de la famille homoparentale, si elles sont plus prégnantes, n’épargnent pas pour autant les autres modes de composition familiale : famille traditionnelle, famille homoparentale, famille monoparentale, famille recomposée…
    Les modes de filiation sont divers également et les méthodes de procréation, en évolution constante, suscitent des interrogations majeures en termes d’éthique. Nombreux sont ceux, dans cet hémicycle, à avoir parlé de PMA et de GPA sans forcément savoir qu’il s’agit tout simplement de techniques médicales permettant de lutter contre la stérilité.
    Comment concilier volonté légitime de fonder une famille et protection de l’enfant dans sa construction psychologique ? Comment concilier « droit à » et « droits de » l’enfant ? Comment faire pour que la fiction juridique ne prime pas sur la réalité physiologique ? Reconnaître la possibilité d’adopter présente l’avantage d’offrir une stabilité à l’enfant, de lever les tabous, de renforcer la transparence, toutes choses bénéfiques pour son épanouissement.
    Il n’est, en effet, rien pire que le secret, le non-dit. De ce point de vue, je souscris à la proposition faite. En revanche, il me paraît impératif et impérieux de dissocier adoption plénière et mariage, car l’adoption plénière, en conférant à l’enfant une filiation qui se substitue à la filiation d’origine, interdit de ce fait l’établissement de toute autre filiation.
    M. Gérard Longuet. Voilà !
    M. Alain Milon. Or il va de l’intérêt de l’enfant de ne pas lui donner une « homofiliation » – pardonnez-moi l’expression –, de ne pas faire primer la fiction juridique d’un enfant né de deux personnes de même sexe, de ne pas le faire apparaître sur les actes d’état civil comme étant issu de deux hommes ou de deux femmes.
    Cela me semble être un point fondamental, qui traduit la volonté de protéger l’enfant et de ne pas en faire l’enjeu ou l’otage de promesses électorales.
    Ouvrir l’adoption plénière aux couples mariés, sans aucune restriction, comme le fait le projet de loi sans le dire, c’est reconnaître qu’une personne pourra voir son identité à la fois marquée, décrochée de la filiation naturelle, et tronquée, dépourvue soit d’une ligne paternelle, soit d’une ligne maternelle.
    Dans son poème Lorsque l’enfant paraît, Victor Hugo terminait par cette supplique :
    « Seigneur ! préservez-moi, préservez ceux que j’aime,
    « Frères, parents, amis, et mes ennemis même
    « Dans le mal triomphants,
    « De jamais voir, Seigneur ! l’été sans fleurs vermeilles,
    « La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles,
    « La maison sans enfants ! »
    Le texte dont nous discutons, sous réserve des limites importantes que je viens d’évoquer, constitue selon moi une avancée. Si nous l’adoptons, après l’avoir modifié, en particulier sur l’adoption, nous aurons la satisfaction d’avoir contribué à ensoleiller quelques vies en exerçant notre mission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Serge Larcher.
    M. Serge Larcher. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, d’aucuns ont voulu faire du mariage pour tous un débat technique mettant en jeu le sens même de notre code civil. D’autres en ont fait une tribune pour déverser, avec une brutalité parfois sidérante, une forme de haine de l’autre.
    Certains, faisant preuve de plus de subtilité, tentent de nous démontrer, tout en n’ayant aucun grief contre l’homosexualité, qu’il leur semble normal de maintenir une législation spécifique pour les couples homosexuels, ce qui revient à les cantonner dans une sorte de « ghetto juridique ».
    En réalité, comme tout sujet de société, ce débat est avant tout affaire de conviction. Ce dont je suis convaincu pour ma part, c’est que le plus grand nombre des opposants à ce texte mène un combat d’arrière-garde. Il me semble donc que l’hémicycle du Sénat est un bon endroit pour aborder ce sujet de façon dépassionnée et dire quelles sont nos convictions en toute sérénité.
    Je me suis déjà longuement exprimé, à l’écrit comme à l’oral, sur les raisons pour lesquelles je voterai ce texte : souci d’égalité, lutte contre l’homophobie, nécessité pour la loi de prendre en compte les évolutions de la société.
    Ces thèmes ont été et seront encore abordés par de nombreux collègues au cours de nos débats. Aussi, le point sur lequel je souhaite me concentrer aujourd’hui est celui de la position des populations et des élus des outre-mer.
    Il semblerait que l’on ait voulu faire de nos territoires des bastions symboliques de la résistance au mariage pour tous, des citadelles imprenables de la défense des valeurs dites traditionnelles. Quelle est la vérité ?
    La réalité, c’est qu’il est bien pratique d’entretenir la confusion entre importance du fait religieux outre-mer et conservatisme social. De fait, il me semble important, dans ce débat, de rappeler deux choses.
    Premièrement, il n’y a pas de contradiction entre spiritualité et temporalité. Nos pratiques religieuses n’ont pas vocation à nous figer dans un « c’était mieux avant » réactionnaire ; elles doivent au contraire nous permettre de considérer les choses avec hauteur et tolérance.
    Deuxièmement, ce débat constitue également l’occasion de rappeler que la France est une république laïque où l’Église et l’État sont séparés depuis plus d’un siècle. Il s’agit certes aujourd’hui d’une évidence, mais il en est qui ont parfois besoin d’être rappelées.
    Cela étant dit, je veux également attirer votre attention sur le fait que nos sociétés ultramarines, dites traditionnelles, ont, par exemple, recours à l’IVG dans des proportions souvent supérieures à celles de l’Hexagone.
    En outre, les manifestations contre le mariage pour tous n’ont pas mobilisé grand monde chez nous : quelques centaines de personnes dans les rues de Fort-de-France notamment. En ce qui concerne ce texte, il n’y a donc pas de fait ultramarin. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
    D’ailleurs, si nous devions avoir une position particulière liée à ce qu’il est convenu d’appeler nos spécificités, il me semble que nous devrions être les premiers défenseurs de ce projet de loi.
    En effet, ce débat nous renvoie à la lutte qui a été historiquement la nôtre au cours du xxe siècle : la conquête de l’égalité parfaite en droit, car c’est bien de droit qu’il s’agit ! Ce pour quoi nous nous sommes battus et nous battons encore aujourd’hui, nous, descendants d’esclaves, au nom de quoi le refuserions-nous à d’autres au motif de leur orientation sexuelle ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Pour terminer, je voudrais dire mon souhait que la loi soit non seulement votée, mais aussi mise en application rapidement et sans sourciller. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Garde-à-vous !
    M. Serge Larcher. À cet égard, j’ai regretté l’évocation de la notion de clause de conscience. Une fois adoptée, une loi ne peut être négociable. Laisser libre champ aux uns et autres dans la mise en œuvre de ce texte serait préjudiciable à son application et constituerait un précédent fâcheux quant à la force des lois en général, ouvrant la porte à d’éventuelles dérives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno.
    Mme Chantal Jouanno. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je veux commencer malicieusement par féliciter le Gouvernement de son habileté politique.
    Sur ce débat qui devrait parler d’amour, il a réussi à diviser la France en deux catégories : d’une part, les irresponsables et, d’autre part, les ringards. Grâce à lui, des femmes et des hommes, qui n’ont pas choisi leur sexualité, sont au mieux instrumentalisés, au pire humiliés. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.) C’est une performance politique ; espérons qu’elle ne soit pas politicienne…
    Je formule cette remarque avec d’autant plus de rancœur que je suis favorable au texte qui nous est soumis, ce par conviction de droite et libérale et depuis longtemps.
    J’y suis favorable car j’accorde la même confiance et la même dignité aux personnes homosexuelles qu’aux autres. Elles ne constituent pas une communauté ; ce sont des individus dont l’orientation sexuelle, qui n’est pas un choix, ne porte pas atteinte à autrui et ne préjuge en rien de leur capacité à être ou non « responsables ».
    Je suis favorable à ce projet de loi car je considère que moins l’État se mêle des choix individuels, quel que soit le domaine concerné, mieux la société se porte. Il n’appartient donc pas à l’État de restreindre la liberté individuelle tant que celle-ci ne porte pas atteinte à autrui. Ce point distingue clairement le mariage homosexuel de la polygamie ou d’autres pratiques qui, elles, portent atteinte à la dignité.
    Je suis favorable au texte que nous examinons car, en tant que responsable politique, j’accorde la même considération à toutes les familles, qu’elles soient traditionnelles, monoparentales, recomposées ou homosexuelles. Se pose d’ailleurs une question centrale : le législateur a-t-il pour rôle de définir les contours de la famille ou de créer les conditions de son développement ?
    Tout le paradoxe de ce texte est qu’il devrait être porté, en quelque sorte, par la droite. En effet, la demande de mariage est fondamentalement conservatrice.
    Je suis aussi favorable à ce texte car je suis laïque. Libre aux religions de s’exprimer. Libre à chacun de sa conscience sur des questions de société qui n’appellent aucune réponse binaire. Mais je n’entends pas que les religions fassent d’une quelconque manière pression sur nous et nous dictent notre conduite à l’égard ni des femmes ni des personnes homosexuelles. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Mlle Sophie Joissains applaudit également.)
    Il est paradoxal d’ailleurs que la laïcité soit dans ce débat à ce point instrumentalisée qu’elle devienne un principe mou.
    Je suis néanmoins triste et préoccupée par la puissance des divisions que ce débat a créées. La violence des propos est effrayante. En cet instant, je souhaite vous lire la phrase suivante, que nous avons tous déjà entendue : « il n’y a aucun doute quant au fait que les enfants dans cette situation subissent le fardeau […] d’un sentiment d’infériorité quant à leur statut ». Cette citation est extraite de la décision Brown v. board of education rendue par la Cour suprême de Louisiane en 1959 qui visait à interdire les mariages mixtes…
    Je suis par ailleurs également un peu atterrée par l’immoralité de certains actes – je ne reviendrai pas sur ce qui s’est passé ce matin – qui visent juste à « faire le buzz ». C’est assez méprisable. De telles actions sont souvent contraires aux valeurs de la famille que ceux-là même qui s’en réclament devraient normalement défendre.
    À ceux qui me disent « nous nous en souviendrons ! », je réponds que la menace n’est pas un argument contre la conviction. À ceux qui bafouent l’éthique politique, je rappelle que la démocratie est une valeur fragile. Le débat politique est argumentation, non éructation ou démonstration de force. Céder à la menace, c’est bafouer la démocratie.
    Sans doute cette division nationale aurait-elle pu être évitée. Tel aurait probablement été le cas et, en cela, je rejoins les propos tenus par Alain Milon, si nous avions eu le courage ou l’intelligence de retirer du code civil le terme « mariage » pour le réserver à la sphère religieuse et si nous avions eu préalablement un débat éthique sur la famille et l’enfant, ce dernier se trouvant au cœur du texte dont nous discutons. L’opposition entre « droit à l’enfant » et « droit de l’enfant » est un peu caricaturale, reconnaissons-le. Depuis bien longtemps, depuis la contraception, l’IVG ou la procréation médicalement assistée, l’enfant est le fruit d’un choix et d’un projet parental.
    Sans doute aurions-nous pu éviter cette division si nous avions attendu les conclusions de l’auto-saisine du Comité consultatif national d’éthique sur la PMA.
    L’adoption – de ce point de vue, les débats qui vont avoir lieu lors de l’examen des amendements déposés par M. Milon seront extrêmement intéressants – ou la médicalisation de la procréation, qui lui est directement liée, soulèvent des questions essentielles, auxquelles le présent projet de loi ne répond pas.
    Je ne voterai aucun amendement dont l’adoption conduirait à anticiper le débat sur la procréation médicalement assistée ou, pis, sur la gestation pour autrui.
    Madame la ministre, j’en suis fière, notre groupe respecte les convictions de chacun.
    M. Bruno Sido. Nous aussi !
    Mme Chantal Jouanno. Fort bien, mais chacun d’entre nous intervient au nom du groupe auquel il appartient !
    Je voterai en faveur du présent texte pour respecter mes valeurs de droite selon lesquelles le libéralisme ne s’arrête pas aux questions de société. Le rôle de la puissance publique est non pas de dicter des modèles, mais de vérifier qu’aucun principe républicain n’est affecté par telle ou telle mesure. C’est de cela que nous devons parler dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Abdourahamane Soilihi.
    M. Abdourahamane Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui au Sénat un texte d’une importance capitale pour la nation française tout entière. Or, en cet instant, je m’interroge sur son opportunité, étant donné qu’il est fortement contesté par la quasi-majorité de nos concitoyens.
    M. Jean Bizet. C’est vrai !
    M. Abdourahamane Soilihi. C’est dire, madame le garde des sceaux, à quel point les nombreuses manifestations d’hostilité à ce projet de loi méritent d’être entendues car elles sont bien fondées.
    M. Serge Larcher. Il y avait 100 manifestants en Martinique !
    M. Abdourahamane Soilihi. Si le texte fait l’objet de vives désapprobations dans l’Hexagone, sachez, mesdames les ministres, mes chers collègues, qu’il ne rencontre guère un écho plus favorable dans les collectivités ultramarines.
    Partout, sur notre territoire national, les cris se multiplient pour dénoncer, d’une part, un projet de loi inopportun eu égard au climat exacerbé et émaillé de tensions économiques et sociales fortes et, d’autre part, une promesse de campagne qui heurte profondément les valeurs fondatrices de notre modèle démocratique.
    Par ailleurs, il me paraît légitime de reconnaître que les couples constitués de personnes de même sexe ont pleinement leur place dans le pacte républicain qui nous unit. Et la nation doit leur garantir respect et protection. Cela étant, leur homosexualité ne devrait être un motif de rejet d’aucune sorte par la communauté.
    Cependant, la notion de mariage civil telle que préconisée par la législation suppose l’union d’un homme et d’une femme pour fonder une famille.
    Cette remarque m’amène à attirer votre attention, mes chers collègues, sur le cas spécifique de Mayotte, car l’institution du mariage homosexuel ne présente pas la même dimension en métropole que dans les territoires lointains.
    Pour ce qui concerne cette collectivité, fraîchement transformée en département, où le processus de droit commun n’en est qu’à ses balbutiements, l’attention à son égard doit rester intacte du fait des risques de démembrement ou de dénaturation d’un modèle uniforme de société.
    Pour le deuxième anniversaire de la départementalisation, pas plus tard que le week-end dernier, ce territoire et ses habitants ont encore réaffirmé leur adhésion aux principes et aux valeurs qui fondent notre République.
    Devrais-je vous dire, madame le garde des sceaux, qu’il ne s’agit nullement d’opposer les principes fondateurs de nos diversités et singularités culturelles à celui d’égalité républicaine tant sur le plan national que dans nos outre-mer respectifs ? Je sais que ce n’est pas vous qui contredirez mon affirmation selon laquelle ce sont ces inégalités qui font l’actualité dans nos collectivités ultramarines.
    Quant à nos spécificités, force est de préserver avec la plus grande acuité nos références culturelles et sociétales, gages de nos identités individuelles dans une République indivisible.
    Au demeurant, un débat s’est tenu le 20 février dernier, ici même, au Sénat. Une fois de plus, il a largement contribué à mettre en exergue les défis majeurs auxquels la deuxième île française de l’océan Indien est confrontée. Il y a eu unanimité pour dire que tout est à construire du point de vue économique et que culturellement Mayotte doit rester ce qu’elle est pour préserver son identité.
    À cet effet, j’affirme qu’il ne faut pas mélanger le désir de changement revendiqué par une minorité de personnes qui réclame l’égalité de droit, et le danger de mettre en péril nos structures sociétales, qui sont enracinées avec constance, et ce en conformité avec nos traditions.
    Permettez-moi de formuler quelques observations de forme sur Mayotte, une collectivité désormais régie par le principe de l’identité législative. Cela suppose que les lois s’y appliquent de la même manière à tout le monde et sans exception. Or, en raison des inégalités sociales qui y existent, ce territoire est devenu le théâtre de manifestations interminables auxquelles participent légalement des citoyens qui réclament leur dû aux pouvoirs publics.
    Vous le constatez, madame le garde des sceaux, nos compatriotes mahorais attendent de votre gouvernement des mesures de changement concrètes en faveur de la justice sociale et non la destruction des bases sociétales, qui les caractérisent à bien des égards.
    Avec force, je vous dis que le présent texte est en contradiction totale avec la société, même si vous considérez, pour votre part, qu’il constitue une évolution majeure.
    Je tiens à souligner qu’un rapport de 2008 de nos collègues Christian Cointat, Jean-Jacques Hyest, Yves Détraigne et Michèle André, intitulé Départementalisation de Mayotte : sortir de l’ambiguïté, faire face aux responsabilités, tire avec éclat les enseignements de la mise en œuvre progressive et adaptée de la mutation statutaire et du fonctionnement progressif des institutions afin d’assurer l’avenir harmonieux de l’île tout en conciliant la préservation des équilibres socio-économiques et le respect des exigences républicaines.
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Abdourahamane Soilihi. Madame le garde des sceaux, le changement profond de société que vous proposez amènera certainement les Mahorais à être confrontés à un paradoxe qui ne fera que remettre en cause les aspects inhérents aux traditions et cultures locales à valeur coutumière.
    À juste titre, la religion musulmane, implantée à Mayotte depuis le XVe siècle, soit bien avant l’arrivée de la France, occupe une place centrale dans l’organisation sociale ; près de 95 % des Mahorais sont d’obédience musulmane et pratiquent avec modération cette religion, qui se veut paisible et courtoise.
    M. le président. Mon cher collègue, votre temps de parole est écoulé.
    M. Abdourahamane Soilihi. Vous l’aurez compris, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’inadéquation du projet de loi est telle par rapport aux constats que je viens d’établir qu’il ne peut exister aucune adaptation possible, compte tenu des spécificités de Mayotte. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
    Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, I had a dream, j’ai fait un rêve…
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Pas nous !

    Mme Virginie Klès. J’étais dans ma mairie de Châteaubourg, et j’avais devant moi ce jeune couple venu timidement me demander de les marier. Elle, brune à la peau très blanche et aux yeux bleus, lui, un Malien, à la peau très noire et aux yeux bruns. Les boubous avaient envahi la salle de mariage ; ces boubous africains avec leurs couleurs chatoyantes côtoyaient les costumes-cravates habituels de chez nous.
    Puis, tout à coup, l’atmosphère devint oppressante ; ce rêve devint oppressant. Nous étions en 1778 : c’est l’année où l’interdiction des mariages mixtes fut promulguée en France. Je n’avais plus le droit de célébrer ce mariage, et j’entendais autour de moi les mots « pervers », « contre-nature », « impossible », on demandait « et les enfants, y pensez-vous ? », ils n’auront « pas de statut », ils seront des « bâtards ». Je me suis alors réveillée : nous n’étions pas en 1778, et j’ai bien pu célébrer ce mariage.
    J’ai alors pensé à tous les autres mariages que j’ai célébrés. Je me retrouve dans les propos de Mme Jouanno, dans sa façon de dire réellement les choses. Car que s’est-il passé dans tous ces mariages que j’ai célébrés ? Quelle était la constante ? Cette constante, c’était l’amour, l’émotion, l’engagement solennel, le bonheur qui régnait dans la salle de mariage. Quel que soit le mariage, quel que soit le lieu, quel que soit l’âge des mariés, là était la constante, dans cette promesse mutuelle et réciproque de s’aimer et de se protéger longtemps.
    Je me suis également souvenue d’un autre mariage, qui m’a beaucoup marqué lui aussi. Il fut célébré dans un hôpital, à la demande d’une jeune femme en phase terminale de cancer, à qui il restait moins d’une semaine à vivre. Elle avait deux enfants et n’était pas mariée. Elle a voulu se marier avant de mourir, de quitter cette terre, pour ses enfants et pour leur père. Je me suis demandé ce qui se serait passé si cette femme avait été homosexuelle, si ses deux filles étaient nées d’une précédente union et si le père avait été absent, inexistant, pour tout un tas de raisons : comment aurait-elle fait ? À qui aurait-elle confié ses enfants ?
    Alors faut-il plusieurs mariages ? Faut-il un mariage pour les hétérosexuels, dans lequel les enfants seraient systématiquement pris en compte, et un autre pour les homosexuels, dans lequel on ne parlerait surtout pas des enfants ? Et peut-être que si des hétérosexuels ne veulent pas d’enfants, ils pourraient choisir ce second mariage. Les homosexuels, eux, n’auraient droit qu’au mariage sans enfants.
    Soyons raisonnables : il faut le même mariage pour les homosexuels et les hétérosexuels, un mariage qui prenne en compte les enfants, parce que les enfants sont là, ils existent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Combien de fois le droit de l’enfant a-t-il été évoqué ce soir ? Je peux entendre certains arguments, je peux comprendre les familles qui ont des problèmes pour avoir des enfants, mais faut-il pour autant transformer ce droit de l’enfant en un droit à l’enfant ?
    Monsieur le doyen Gélard, je vous ai entendu plaider - Dieu sait que je vous ai écouté avec attention ! – qu’il ne fallait pas autoriser le mariage aux couples homosexuels parce que, dans ce cas, certains pays qui y sont opposés refuseraient de nous laisser adopter leurs enfants. Vous estimez que les enfants sont un marché avec fermeture de frontières ? Quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qui peut nous garantir que l’intérêt supérieur des enfants de ces pays est d’être adopté par une famille française et non par une autre famille, dans un pays où le mariage homosexuel n’est pas autorisé ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
    Je le redemande, quel est l’intérêt supérieur de l’enfant ? À mon sens, c’est d’être accueilli dans une famille, c’est que ses parents soient considérés normalement par la société. Une société tolérante se juge à sa capacité à accepter la différence : la différence fait sans doute peur au début, mais une société tolérante l’apprivoisera, la banalisera et l’acceptera. Ainsi, l’enfant n’aura pas à subir ce qu’il y a de plus terrible pour un enfant : entendre insultés et humiliés ses parents, ses éducateurs, ces adultes qui sont à ses côtés au quotidien et le construisent, l’aiment et le structurent.
    Pour toutes ces raisons, qui nous contraindront justement à examiner plus longuement, par la suite, nos lois sur l’adoption et la famille ainsi que sur la PMA et la GPA, qui posent un réel problème, mais un problème indépendant de la question du mariage des personnes homosexuelles et du droit des enfants dont les parents sont homosexuels, je voterai ce projet de loi des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Pierre Leleux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, après avoir entendu la précédente intervention, où, sinon dans mon intime conviction, pourrais-je trouver la force de créer, comme nous le demandaient récemment 173 de nos éminents universitaires, une brèche dans le mur idéologique sur lequel nous avons l’impression de voir nos arguments glisser ? Et quelle lumière pourrait m’aider à éclairer les chemins de votre conscience, au plus profond et au plus sensible d’elle-même, afin de vous faire ressentir les risques considérables que ce projet de loi fait prendre à notre société contemporaine ?
    Peut-être y parviendrai-je en appelant à mon secours Jean-Étienne-Marie Portalis – vous l’avez cité aussi, monsieur le rapporteur, mais dans un esprit bien différent du mien –, cet éminent juriste provençal, éclairé et sage, qui, par sa statue de marbre située au-dessus de nous dans cet hémicycle, veille sur nos débats, et à qui Bonaparte avait confié la rédaction de notre code civil.
    M. Jean Bizet. C’est vrai !
    M. Jean-Pierre Leleux. La science, la clarté, le bon sens et la pureté de style de Portalis avaient su donner à notre code civil, il y a deux siècles de cela, la cohérence et la portée qui l’ont amené jusqu’à nous. Or voici ce qu’il écrivait : « La durée et le bon ordre de la société générale tiennent essentiellement à la stabilité des familles qui sont les premières de toutes les sociétés, le germe et le fondement de empires. »
    Inscrit depuis dans la durée, le code civil n’en mérite que plus de respect. Portalis, homme de conviction, de conscience, de réflexion et de modération, fut, comme le disait Sainte-Beuve, « l’une des lumières civiles du Consulat ».
    M. Marc Daunis. Quelle référence moderne !
    M. Jean-Pierre Leleux. Et, s’il pouvait prendre ma place, il vous dirait combien il faut prendre de précautions quand on rédige une loi. Il vous dirait surtout que la loi civile, notre loi à nous, parlementaires, ne peut en aucun cas être de rang supérieur aux lois naturelles, scientifiques, biologiques ou physiologiques. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.) Il nous dirait : « Ne dégradons point la nature par nos lois. » Ne nous a-t-il pas rappelé l’avertissement de Cicéron, selon lequel « il n’est pas du pouvoir de l’homme de légitimer la contravention aux lois de la nature » ?
    Oui, mes chers collègues, ce projet de loi est bien contre-nature. Sous prétexte d’offrir une nouvelle liberté aux personnes homosexuelles et de satisfaire une nouvelle prétendue égalité en voulant gommer la différence entre l’homme et la femme, et partant leur féconde complémentarité, ce texte aura des conséquences directes sur tous les couples composés d’un homme et d’une femme et nous conduira, contrairement à ce qui est annoncé, à de nouvelles injustices et à de nouvelles discriminations.
    Mme Esther Benbassa. C’est faux !
    M. Marc Daunis. Là, on quitte le siècle des Lumières !
    M. Jean-Pierre Leleux. Depuis l’annonce, l’été dernier, de la mise en œuvre de cette promesse électorale, le débat agite la France. Madame le garde des sceaux, était-ce bien le moment, en ces temps difficiles sur le plan économique et social, de diviser les citoyens sur un sujet de société aussi sensible, alors que les Français ont un si grand besoin de se rassembler ? D’autant que le débat, non organisé – dans l’espoir, sans doute, de l’éviter – et mal canalisé, a été pollué et trahi par d’habiles et scandaleuses manipulations sémantiques.
    Un sénateur du groupe UMP. Bravo !
    M. Jean-Pierre Leleux. Quelle belle escroquerie, par exemple, que cette expression de « mariage pour tous », qui tend à faire passer habilement l’idée que la mesure serait juste, équitable et donc forcément bonne !
    Mme Esther Benbassa. C’est la vérité !
    M. Jean-Pierre Leleux. Albert Camus aurait réagi à cette utilisation malfaisante des mots : « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci de ne pas enrôler Camus au service de votre cause !
    M. Jean-Pierre Leleux. Il aurait également réagi devant l’utilisation du mot « mariage » pour qualifier l’union de personnes de même sexe.
    Les mots ont un sens, nourri par des siècles d’usage, ils sont porteurs du poids symbolique que leur ont donné des centaines de générations successives.
    M. Charles Revet. Exactement !
    M. Jean-Pierre Leleux. « Il faut faire attention aux mots », écrit Erik Orsenna, il ne faut pas « les employer à tort et à travers, les uns pour les autres ». Mes chers collègues, ne donnons pas au mot « mariage » un sens qu’il n’a pas : ce mot a toujours désigné l’acte qui unit un homme et une femme en vue de protéger leur relation et leur foyer, l’acte fondateur d’une famille, dans l’esprit d’une filiation porteuse du renouvellement des générations.
    Loin de nous l’idée de vouloir empêcher les personnes homosexuelles de vivre librement leur vie, affective et civile. Nous sommes favorables à la création d’un statut d’union civile qui permettrait aux couples homosexuels de bénéficier strictement des mêmes « droits mutuels » que les couples hétérosexuels, avec les mêmes avantages et, éventuellement, les mêmes inconvénients.
    M. Marc Daunis. Est-ce que les couples homosexuels sont naturels ou contre-nature ? On ne comprend plus !
    M. Jean-Pierre Leleux. J’emploie l’expression « droits mutuels » pour qualifier ces droits entre adultes, car pour moi il ne saurait être question d’assortir ce statut du droit à l’adoption. Or, au-delà du poids symbolique millénaire du mot « mariage », que vous voulez modifier aujourd’hui, étendre le statut du mariage aux couples de personnes de même sexe implique, ipso facto et de jure, la faculté pour ces couples d’adopter. À nos yeux, ce n’est pas acceptable, au nom de l’enfant.
    Je comprends très bien le désir que peut avoir tout homme ou toute femme d’élever un enfant. Mais, quelle que soit l’ampleur de ce désir, il ne peut en aucun cas primer sur le droit de l’enfant d’espérer être élevé par un père et une mère, dans l’altérité sexuelle de ses parents, même si celle-ci peut n’être que virtuelle, comme dans le cas des familles monoparentales.
    M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
    M. Jean-Pierre Leleux. Je n’évoquerai pas la PMA et la GPA, car vous vous insurgeriez, chers collègues de la majorité. Je vous dirai donc simplement que vous avez ouvert une brèche en proposant d’ouvrir l’adoption aux couples homosexuels, et que, comme le soulignait mon compagnon de route de ce soir, Jean-Étienne-Marie Portalis, « quand la raison n’a point de frein, l’erreur n’a point de bornes ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pitié pour Jaurès, Camus et Aragon ! Cessez de les enrôler au service de votre cause !
    M. Alain Gournac. Pourquoi seriez-vous les seuls à avoir le droit de le faire ?
    M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
    M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, dans sa préface au code civil rédigée en 1936, Henri Capitant écrivait que ce code devait conserver les « solides principes traditionnels » sur lesquels est fondé le droit, tout en faisant place aux « règles exigées par les besoins nouveaux de la vie juridique ». C’est ce que nous faisons aujourd’hui, en adaptant notre code civil aux besoins nouveaux de la société, que certains veulent nier, mais qui existent bel et bien.
    Nous allons réaliser cette réforme en respectant l’universalité des droits sur laquelle reposent notre société et notre République. C’est notre fierté !
    Le Gouvernement, soutenu par sa majorité parlementaire, porte cette réforme déjà adoptée par de nombreux États européens. Les retours d’expérience dans ces pays démontrent, si besoin était, que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe n’a pas conduit à la disparition de la famille, bien au contraire.
    Je demeure convaincu que ce qui fonde la famille, c’est le désir de la vie, de l’échange, de la transmission. Ce qui compte avant toute chose pour un enfant, c’est l’équilibre de sa famille. Dans l’étude d’impact bien documentée – n’en déplaise à Patrice Gélard – qui accompagne ce projet de loi, il est précisé que la centaine d’articles consacrés depuis quarante ans à l’homoparentalité conclue qu’il n’existe aucune différence entre les enfants élevés dans les différents types de famille.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est orienté !
    M. Philippe Kaltenbach. Ce sont des analyses scientifiques… On peut tout dénoncer, mais il faut tout de même en tenir compte.
    Le débat qui accompagne ce projet de loi est intense, dans les hémicycles comme dans l’opinion, tout autant que celui qu’avait suscité l’adoption du PACS. Analysons ce dernier débat a posteriori, afin de nous projeter dans l’avenir. Que constate-t-on ? Depuis la création du PACS, ni les équilibres humains ni les valeurs de notre société n’ont été bouleversés. Pourtant, à l’époque, Christine Boutin, chef de file de l’opposition, était catégorique : « Le PACS enlève toute raison d’être juridique et sociale au mariage civil. Il le tue par asphyxie. »
    Vous aurez également observé que, durant ces quatorze années, aucune initiative parlementaire ou gouvernementale n’a tenté de supprimer la loi adoptée à l’époque.
    Les grandes évolutions sociétales se sont toujours faites malgré les protestations, parfois virulentes. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont toujours, aujourd’hui, dans notre ordre juridique.
    Vous noterez au passage que celles et ceux qui défilaient en 1999 contre le PACS sont devenus, aujourd’hui, ses plus ardents défenseurs.
    Acculés, les opposants au mariage pour tous ont trouvé une échappatoire avec cette proposition d’une nouvelle union civile destinée aux couples de même sexe, une sorte de PACS amélioré. Ce faisant, ils semblent ignorer qu’un tel dispositif serait profondément discriminatoire et, à n’en pas douter, contraire et à la Déclaration universelle des droits de l’homme, comme cela a déjà été dit, et sûrement également à notre Constitution.
    Dans le débat, le doyen Gélard, peut-être à court d’arguments, a soulevé une supposée inconstitutionnalité…
    Mme Catherine Procaccia. On verra bien !
    M. Philippe Kaltenbach. … en s’appuyant sur des analyses audacieuses, mais en aucun cas sur une jurisprudence du Conseil constitutionnel.
    L’argument selon lequel le mariage ferait partie de notre bloc de constitutionnalité et ne pourrait donc évoluer sans modification de la Constitution ne résiste pas à un simple examen historique. En effet, depuis 1804, le mariage a déjà profondément évolué. Rappelez-vous : à cette date, la femme était soumise à la puissance maritale !
    C’est d’ailleurs au sein de la famille que les droits des femmes se sont progressivement imposés et ont été reconnus, à chaque fois difficilement, car les conservateurs ont systématiquement dénoncé une remise en cause de la famille traditionnelle.
    Aujourd’hui, je suis fier de soutenir ce projet de loi.
    Pour conclure, je voudrais partager avec vous l’opinion de Marcel Proust pour qui « il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme ».
    La question qui nous est posée aujourd’hui est une question d’égalité entre tous les citoyens. Parce que les droits de l’enfant sont garantis, je vous invite, mes chers collègues, à voter ce projet de loi pour faire entrer l’homosexualité dans l’égalité. La famille doit être considérée comme une et heureuse, indépendamment du sexe et du genre des parents. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
    M. Alain Gournac. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, la question du mariage et celle de la filiation sont si indissociables que les juristes auditionnés ont dit combien il eût été plus pertinent d’aborder la seconde question avant la première.
    Toutes les sonnettes d’alarme ont été tirées par de très nombreux maires et élus locaux, par des spécialistes du droit de la famille et du droit constitutionnel, par des pédopsychiatres, des philosophes et de nombreux représentants d’associations.
    Malgré le nombre des auditions, le débat est resté de façade. Tout était joué d’avance, puisque le Président de la République François Hollande avait promis le mariage pour tous.
    Soyons sérieux : il l’avait promis non pas aux Français, mais à une poignée d’activistes qui l’ont étrangement rappelé à l’ordre le jour même de son intervention devant le congrès des maires de France. J’y étais.
    Ce qui m’inquiète, c’est ce manque de scrupules, qui part du sommet de l’État, traverse une partie de la classe politique et atteint un certain nombre d’intellectuels.
    Venons-en à la question de fond.
    L’un des auteurs d’une plaquette préfacée par Jacques-Alain Miller, auditionné par la commission des lois du Sénat, s’est appuyé sur une conférence de Claude Lévi-Strauss pour nous expliquer qu’il n’y a pas d’« invariant familial universel ». Comme si c’était le sujet !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est la vérité ! C’est ce que dit Lévi-Strauss !
    M. Alain Gournac. Pourquoi l’auteur se garde-t-il de préciser que Lévi-Strauss ne donne aucun exemple de société ayant institué le mariage homosexuel ?
    L’anthropologue Maurice Godelier, auditionné par la commission des lois de l’Assemblée nationale, et pourtant favorable au texte, l’a dit nettement, mais comme à voix basse : « On ne trouve pas dans l’histoire d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. »
    Pourquoi craint-on de faire état, haut et fort, de cette réalité anthropologique majeure ? Mais tout simplement, madame la ministre, pour cacher l’énormité de votre projet de vouloir rompre avec cette réalité !
    Maurice Godelier poursuit : « pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire ». Cette histoire porte donc bien sur des millénaires.
    En conséquence, madame la ministre, on pourrait peut-être désormais laisser les différentes confessions tranquilles et cesser de faire diversion en leur imputant une attitude qui a été celle de toute l’humanité depuis toujours.
    Pourquoi Françoise Héritier, célèbre professeur d’anthropologie du Collège de France, a-t-elle été aussi ambigüe sur cet invariant ? On l’a sentie quelque peu gênée : elle a expliqué devant la commission que « la pratique occidentale est marquée notamment par un type de mariage hétérosexué et monogame ». C’était laisser entendre que d’autres sociétés connaîtraient l’institution du mariage homosexuel. Nous attendons encore les exemples !
    Que se passe-t-il pour que l’une de nos grandes anthropologues ne s’exprime pas plus nettement ? Comment en est-on arrivé à obtenir que soit ainsi minimisée et maquillée une réalité anthropologique aussi considérable ?
    Je citerai un dernier exemple de ce que j’appelle le « mensonge par ambiguïté » : auditionnée par la commission des lois, la sociologue Irène Théry, utilisant la notoriété de Georges Duby pour soutenir votre texte, a expliqué que le grand historien du Moyen Âge ne se référait « en aucune manière à une sorte d’essence intemporelle du mariage ».
    Or voici ce qu’il écrit dans son ouvrage majeur, Le chevalier, la femme et le prêtre : « Les rites du mariage sont institués pour assurer, dans l’ordre, la répartition des femmes entre les hommes, pour officialiser, pour socialiser la procréation. »
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Bravo pour la répartition !
    M. Alain Gournac. Un peu plus loin, il ajoute : « Le mariage ordonne l’activité sexuelle ou plutôt la part procréative de la sexualité ». On ne peut être plus clair : le reste de l’activité sexuelle, dont l’homosexualité n’est qu’une possibilité, n’a jamais été prise en compte par l’institution du mariage, dans aucune société.
    Cette contagion du déni autour d’un sujet aussi grave est préoccupante.
    L’égalité de droit inscrite dans notre code civil, pour tout citoyen, de pouvoir contracter une union avec une personne de sexe différent en vue de procréer et de fonder une famille, pour vous, ça n’existe pas !
    Les déclarations d’Élisabeth Guigou en 1998 sur le besoin pour l’enfant d’« avoir, pendant sa croissance, un modèle de l’altérité sexuelle », pour vous, ça n’existe pas !
    Le million, voire plus, de manifestants dans les rues de Paris, par deux fois, pour vous, ça n’existe pas !
    Les 700 000 pétitions envoyées au Conseil économique, social et environnemental, pour vous, ça n’existe pas !
    Mme Éliane Assassi. Et les millions de salariés qui défilent pour défendre les retraites, ça existe pour vous ?
    M. Alain Gournac. L’invariant anthropologique millénaire du mariage homme-femme, pour vous, ça n’existe pas !
    Quel entêtement à dénier la réalité !
    Mais cela ne serait rien si vous ne vous apprêtiez, avec le Gouvernement, à instituer un mensonge d’État (Oh ! sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)…
    M. Marc Daunis. Rien que ça !
    M. Alain Gournac. … dont l’enfant sera la victime. Dans un couple homme-femme, l’enfant est le signe extérieur de l’intimité de ses parents et, en cas d’adoption, le signe extérieur crédible de cette intimité.
    Or, dans le cas d’un couple de deux hommes ou de deux femmes, l’enfant ne peut être le signe de leur intimité. Aussi est-il voué à grandir et à évoluer, au moins une partie de son enfance, dans l’eau trouble d’un aquarium mensonger,… (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Mme Éliane Assassi. C’est scandaleux de dire cela ! Réactionnaire !
    M. Alain Gournac. Cela vous choque, mais c’est la vérité !
    … et ce quelle que soit la disposition à la sincérité de deux pères ou de deux mères.
    M. François Rebsamen. Hypocrisie !
    M. Alain Gournac. Voyez-vous, madame la ministre, tant de désinvolture avec la vérité nous éloigne de la République.
    Pour céder à un petit nombre d’homosexuels, qui ont décidé de prendre d’assaut le mariage au nom d’une égalité mal comprise et d’un contresens sur le mariage républicain, vous vous apprêtez à célébrer les noces de la République et du mensonge.
    Après le choc qui frappe de plein fouet la crédibilité de la classe politique et qui vient d’assommer, hier, le pays (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.), je vous en prie, n’en rajoutez pas !
    Croyez-vous que les Français ont besoin d’un choc d’« homosexualisation » du mariage et de manipulation de la filiation ?
    Mme Éliane Assassi. Il faut prendre vos médicaments !
    M. Alain Gournac. J’imagine que vous avez grande hâte que la page soit tournée. Eh bien, pas moi, madame la ministre, car le sujet est trop grave !
    Aussi, je souhaite que deux ou trois millions de personnes…
    M. Marc Daunis. Dix millions, tant que vous y êtes !
    M. Alain Gournac. … défilent pacifiquement sur le pavé parisien la prochaine fois (C’est fini ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.), car il y a des moments où la conscience doit se mettre en travers de la politique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Roger Madec.
    M. Roger Madec. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, mes chers collègues, le projet de loi instituant le mariage pour tous fait partie des textes dont le vote marque à jamais la vie d’un parlementaire.
    Nous le pressentons toutes et tous : il s’inscrit dans le long cheminement, commencé à la Révolution française, vers l’accomplissement de notre devise républicaine. De manière plus sensible que sur bien d’autres votes, nous serons comptables devant les générations futures de la décision de notre assemblée.
    Je suis de longue date favorable à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe. Mon engagement politique, mes convictions personnelles, ma vie, ma conscience citoyenne dictent ce choix que j’assume sans contrainte et avec une immense fierté. Il est juste et rassurant de constater que le débat public ait été aussi dense et que chaque point de vue, chaque opinion, chaque courant de pensée, qu’il soit politique, philosophique ou religieux, aient pu se faire entendre.
    Ce débat était légitime, mais il revient désormais à nous et à nous seuls, représentants du peuple, de prendre notre décision et d’assumer notre responsabilité.
    Il s’agit de liberté individuelle et collective, d’égalité de tous devant la loi, de fraternité dressée contre toute forme de discrimination. Demain, si nous le décidons, l’orientation sexuelle n’enfermera plus personne dans une forme anachronique de minorité civile.
    Le désir de vie commune, le souci de transmission et de filiation ne sont pas réductibles à l’orientation sexuelle. Les modèles familiaux et la place de chacun dans la cellule familiale n’ont cessé d’évoluer au cours des temps et dans chaque culture.
    La famille ne doit pas être un carcan, un espace de contrainte, dont la rigidité exclurait toute possibilité d’épanouissement. C’est en adaptant le mariage aux modes pluriels de vie commune que nous donnerons à chacun l’opportunité de s’épanouir dans sa vie privée et sociale.
    Je ne mésestime pas le poids moral de la responsabilité que nous nous apprêtons à prendre. En l’espèce, toutefois, il ne s’agit pas de brider les droits d’une population en faveur d’une autre. L’homosexualité a trop longtemps été stigmatisée, punie, traquée, et judiciairement condamnée. Il est temps, aujourd’hui, d’accorder à celles et ceux qui s’y reconnaissent le droit à l’indifférence, dans le respect de nos lois républicaines. À mes yeux, cette réforme marque un progrès pour nos libertés : ouvrir de nouveaux droits se fait toujours au bénéfice de tous, sans retirer quoi que ce soit à quiconque.
    Notre pacte social est fondé, depuis 1789, sur une idée simple et révolutionnaire : l’universalité des droits de l’homme et l’émancipation des citoyens. Nous sommes les héritiers de ce mouvement et nous en sommes aujourd’hui les garants.
    Malgré les dénégations, les incantations et les fausses frayeurs de certains, le constat, lucide et dépassionné, s’impose : il n’existe aucune raison valable de ne pas ouvrir le mariage civil aux couples de même sexe. Je ne ferai à personne, ici, de procès en homophobie : chacun, en l’espèce, doit faire son propre examen de conscience, mais il est bien clair que nombre de faux arguments qui ont été avancés jusqu’ici pour repousser cette réforme travestissaient mal cette angoisse primaire et taraudante de l’altérité.
    Nous sommes tous pareils, et cependant tous différents : cette dialectique-là, qui irrigue aussi bien les sciences naturelles que les sciences sociales, n’est pas nouvelle.
    Deux objections sont fréquemment avancées pour tenter d’enrayer cette dynamique de l’égalité : la possibilité, ouverte aujourd’hui, de contracter un PACS et la proposition de le faire évoluer en une union civile.
    Je ne reviendrai pas sur le PACS, progrès décisif pour son époque, mais que la droite avait tant décrié.
    M. François Rebsamen. Ah oui !
    M. Roger Madec. L’union civile, objet juridique non identifié, avancée par le doyen Gélard, offrirait dans l’esprit de ses partisans l’avantage d’élargir les droits du PACS sans réinterroger les limites actuelles du mariage.
    S’agirait-il de créer une forme de mariage au rabais pour les couples dont l’orientation sexuelle leur interdirait le droit commun ? S’agirait-il de créer une voie juridique de garage pour celles et ceux que la loi refuserait de reconnaître dans la plénitude de leur citoyenneté ?
    Personne ne peut raisonnablement considérer que le mariage civil serait la condition de la filiation. Personne non plus ne peut prétendre que les référents parentaux, pour être légitimes et assurer le plein épanouissement de l’enfant, devraient être sexuellement différenciés. Si c’était le cas, comment comprendre que plus de la moitié des enfants naissent aujourd’hui hors mariage ?
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Roger Madec. Notre honneur de parlementaires n’est pas d’emprunter à telle ou telle tradition ou culture religieuse ses impératifs moraux pour en tirer une forme idéale d’organisation de la société. Notre honneur est d’abolir les formes d’exclusion et de faire progresser la société. Ce texte va dans ce sens.
    M. le président. Concluez, mon cher collègue.
    M. Roger Madec. Madame la garde des sceaux, madame la ministre chargée de la famille, je suis très fier de soutenir ce projet de loi et je vous félicite de le défendre avec beaucoup de pugnacité, de courage et de dynamisme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
    M. Gérard Bailly. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis plus de onze ans que je siège au sein de la Haute Assemblée, c’est la première fois que je vois un débat de société susciter autant de passion, autant de bruit et de tels mouvements de rue.
    Mme Éliane Assassi. Et le CPE ? Et les retraites ?
    M. Gérard Bailly. Par différents moyens, principalement en descendant dans la rue, des centaines de milliers de citoyens, voire plusieurs millions, ont exprimé leur désaccord avec le projet de loi sur le mariage pour tous et demandé qu’il soit soumis à référendum.
    Le Gouvernement fait toujours la sourde oreille. Pourtant, le mécontentement est profond. Croyez-vous que c’est par plaisir que des centaines de milliers de personnes venues de toute la France ont quitté, au milieu de la nuit du samedi au dimanche, les Pyrénées, la Côte d’Azur, l’Alsace ou le Jura pour parcourir plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres dans des bus ?
    Mme Éliane Assassi. C’est terrible !
    M. Gérard Bailly. Pourquoi l’ont-ils fait, si ce n’est par conviction profonde que ce projet de loi est mauvais ? Il est en effet très mauvais, principalement du fait des mesures qui toucheront demain l’adoption. Cette question est la seule que j’aborderai dans mon intervention.
    Madame la ministre, sans vous faire de procès d’intention, je ne peux pas croire qu’en votre for intérieur, vous ne pensiez pas que, pour un enfant adopté, une maman et un papa, c’est mieux, et même indispensable.
    Mme Éliane Assassi. Eh bien non !

    M. Gérard Bailly. Vous êtes prise dans une spirale d’idéologie, qui vous éloigne du réalisme. Le premier mot que prononce tout enfant dès son plus jeune âge, n’est-ce pas « maman » ? De même, au moment d’un accident ou d’une mort subite, tout être humain appelle instinctivement sa maman. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Vous allez décider que des enfants n’auront pas de maman, ou tout au moins qu’ils ne la connaîtront pas : où est l’égalité dont vous avez tant parlé cet après-midi ?
    C’est pourquoi nous n’acceptons pas le mariage pour tous, prélude à l’adoption par deux êtres du même sexe.
    Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
    M. Gérard Bailly. Je sais que les médias, la presse, publient des témoignages forts pour soutenir ces procédés.
    Mme Cécile Cukierman. Le dogmatisme, c’est vous !
    M. Gérard Bailly. Vous le savez, madame la ministre, les demandes d’adoption sont beaucoup plus nombreuses que les enfants pouvant être adoptés : ces derniers sont actuellement moins de 2 000, même en tenant compte des enfants venant de pays lointains.
    En 1996, en tant que président du conseil général du Jura, j’ai refusé l’agrément à deux femmes qui avaient fait une demande d’adoption, conformément à la décision de la commission d’agrément des familles d’adoption avec laquelle j’étais pleinement d’accord. Ces femmes ont porté l’affaire devant le tribunal administratif de Besançon, qui leur a donné raison. Ensuite, nous avons fait appel de ce jugement devant la cour d’appel de Nancy, qui nous a donné raison. Le Conseil d’État a été saisi, et jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme.
    Mesdames les ministres, l’adoption ne consiste pas, à mes yeux, à faire plaisir à un couple, qu’il soit homosexuel ou hétérosexuel. Elle consiste à donner à un enfant privé de parents et d’affection une mère et un père : un couple de personnes complémentaires, cadre qui lui permettra de s’épanouir dans la joie et dans l’amour. Monsieur le rapporteur, vous avez vous-même rendu hommage à votre père et à votre mère qui vous ont élevé !
    Le Gouvernement veut la parité entre les hommes et les femmes dans les conseils d’administration des entreprises, les conseils régionaux, les futurs conseils départementaux et les conseils municipaux. Puisqu’il l’impose lorsqu’il s’agit de décider de projets d’équipements sportifs et culturels ou de routes, pourquoi n’accepte-il pas que, pour entourer un enfant, il faille aussi un homme et une femme ? Où est la cohérence ?
    M. Jean Bizet. Exactement !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Cela n’a rien à voir !
    M. Gérard Bailly. Si j’ai refusé de donner cet agrément, c’est parce que je n’aurais jamais voulu que l’enfant adopté, garçon ou fille, vienne me voir à l’âge de dix ans pour me dire : « monsieur Bailly, c’est à cause de vous que, contrairement à la grande majorité de mes copains et copines d’école, je n’ai pas de papa ou de maman ! » (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
    Sans doute, madame la ministre, vous n’avez pas la même conception que moi de l’enfant ; mais sachez que si ce projet de loi est voté, un enfant viendra peut-être vers vous dans quelques années et vous dira : « je n’ai pas eu de maman ou de papa car vous avez soutenu cette loi ». Malheureusement, il sera trop tard ; le mal sera fait.
    Mes chers collègues, en particulier les trente-huit d’entre vous qui, en tant que président d’un conseil général, ont des décisions à prendre dans le domaine de l’adoption, réfléchissez au choix que vous allez faire et pensez à tous les enfants qui ne pourront pas dire un jour « mon papa » ou « ma maman ». Sachez que je ne serai pas de ceux qui voteront ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    Mme Éliane Assassi. Sortez les mouchoirs !
    Mme Cécile Cukierman. Parlez d’amour !
    M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
    M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, au regard des débats qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale et dans les médias, on pourrait s’étonner de me voir prendre la parole dans cette discussion, moi qui suis l’élu d’un département d’outre-mer où la tradition culturelle est très forte, très différente de celle de la métropole et où 95 % de la population est de confession musulmane.
    J’ai pourtant d’excellentes raisons, républicaines, de penser que ce projet de loi, avec tous les enjeux qu’il soulève, représente une chance plus qu’une opportunité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Pour l’avocat que je suis, le fait que la France souhaite réparer une rupture d’égalité devant le droit en rejoignant les sept autres États de l’Union européenne qui ont ouvert cette voie est une raison suffisante d’agir en tant que législateur. Pour le représentant d’une île qui a tant marqué son attachement à notre pays, c’est une occasion supplémentaire de réaffirmer l’ancrage de ce territoire dans la République.
    Je vais vous présenter les raisons qui, transcendant mes convictions religieuses, me poussent à voter ce projet de loi.
    M. François Rebsamen. Bravo !
    M. Thani Mohamed Soilihi. Auparavant, toutefois, permettez-moi de faire une remarque d’importance. J’ai été très étonné d’apprendre que des membres d’une association avaient prié devant l’Assemblée nationale et demandé à le faire aussi devant le Sénat, alors même que les prières de rue sont interdites, à juste titre, au nom de la laïcité ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Cette interdiction ne saurait s’appliquer aux seuls musulmans de notre pays, au nom du principe d’égalité ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
    M. François Rebsamen. Très bien !
    Mme Éliane Assassi. Très juste ! Ce qui vaut pour les uns doit valoir aussi pour les autres.
    M. Thani Mohamed Soilihi. Cette parenthèse refermée, j’en viens aux raisons pour lesquelles je voterai ce projet de loi.
    En premier lieu, les couples de même sexe sont aujourd’hui placés dans une situation d’inégalité inacceptable puisque, pour organiser une vie commune, ils n’ont pas d’alternative au PACS, convention qui ouvre des droits étroitement limités. Je vous rappelle que le PACS, qui a démontré son utilité, s’était heurté au moment de sa création à une vive opposition. Il est d’ailleurs amusant d’observer que ses opposants d’hier en sont devenus les ardents défenseurs !
    M. François Rebsamen. Eh oui !
    M. Thani Mohamed Soilihi. Le présent projet de loi a le mérite de mettre fin à ces situations d’inégalités et de discriminations indirectes en ouvrant le mariage aux personnes de même sexe.
    Il permet également d’offrir aux enfants élevés par un couple homosexuel un cadre familial plus sûr et plus protecteur juridiquement. Car ces enfants existent : selon les associations de parents homosexuels, 200 000 à 300 000 enfants seraient concernés. Nous ne pouvons pas les ignorer, sous prétexte qu’ils heurtent nos représentations morales ou religieuses.
    Ensuite, il faut reconnaître que, dans nos îles, l’homosexualité est plus difficile à vivre qu’ailleurs : l’insularité peut y rendre le regard social plus pesant, plus réprobateur qu’en d’autres endroits. Si la diversité sociologique, géographique, culturelle et religieuse des outre-mer est une réalité, elle ne doit pas servir de prétexte pour se soustraire aux avancées sociales de notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Mme Bariza Khiari. Bravo !
    M. Thani Mohamed Soilihi. Je crois vraiment que nous ne pouvons pas revendiquer l’appartenance à la République et réclamer l’application du droit commun, par exemple en matière de départementalisation, tout en faisant valoir des particularités locales lorsqu’un projet de loi nous contrarie.
    Il ne peut y avoir de rupture du pacte républicain entre la France et les outre-mer, surtout quand il s’agit de libertés. Nous avons tant lutté pour elles et nous luttons encore, qu’il s’agisse de l’abolition de l’esclavage, de la départementalisation pour ce qui concerne mon île, ou de notre conquête de l’égalité des droits !
    Pas plus que l’abandon légal de la polygamie à Mayotte, coutume interdite en 2005 quoiqu’elle fasse partie intégrante de notre culture, la possibilité donnée aux couples homosexuels de s’unir ne sonnera le glas de notre identité.
    M. Marc Daunis. Bravo !
    M. Thani Mohamed Soilihi. Enfin, je tiens à rappeler que ce projet de loi répond à un engagement de campagne clair du candidat François Hollande. (Murmures sur les travées de l’UMP.) Il est normal que, devenu Président de la République, il mette en œuvre sa politique au profit de tous les Français. C’est notamment la raison pour laquelle le Gouvernement, qui poursuit la consolidation du processus de départementalisation voulu par les Mahorais, a prévu à l’article 21 du projet de loi que les dispositions relatives aux prestations familiales seraient applicables à la situation de parents de même sexe.
    En somme, je considère que ce projet de loi, défendu avec conviction et talent par une ministre elle-même ultramarine, est une formidable occasion de montrer que nous sommes capables d’aller vers l’intérêt général et le dépassement de nos intérêts individuels en portant, mieux encore que quiconque, les grandes avancées symboliques de notre République. C’est à ce prix que les sociétés évoluent et que les droits et les libertés progressent. Je voterai ce projet de loi, qui constitue pour nous tous un véritable progrès pour l’égalité des droits – ce n’est pas Mme Bariza Khiari qui me contredira ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –L’orateur est chaleureusement félicité par ses collègues.)
    M. le président. La parole est à M. Claude Dilain.
    M. Claude Dilain. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, il est tout à fait normal que ce projet de loi suscite des débats importants ; ils sont légitimes, nécessaires même, et l’opinion de chacun doit être respectée.
    En revanche, j’ai du mal à accepter les pressions et les débordements, parfois violents, qui l’ont trop souvent marqué. Force est de constater que, dans des pays comparables au nôtre, le débat sur ce sujet de société s’est déroulé sereinement. Je regrette qu’à cet égard, la France ait été loin de montrer le bon exemple.
    De quoi s’agit-il ? Pour moi, ce projet de loi s’inscrit simplement dans le triptyque de notre République : liberté, égalité, fraternité. Il vise simplement à donner administrativement la possibilité que tous les couples aient accès aux mêmes droits. Autrement dit, il autorise les couples homosexuels à être comme les autres couples, dans une société qui a la chance d’avoir un code civil laïc. Puisque nous avons beaucoup parlé de sémantique, je vous rappelle que la Constitution de 1791, à laquelle Mme la ministre a fait allusion, dispose dans son article 7 que « la loi ne considère le mariage que comme contrat civil ».
    M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
    M. Claude Dilain. L’homosexualité est enfin sortie du code pénal grâce à M. Robert Badinter, ministre de la justice à l’époque, que je remercie une fois de plus ; elle est sortie aussi des livres de médecine et de la liste officielle des maladies de l’Organisation mondiale de la santé. Dès lors qu’elle n’est plus ni un crime, ni un délit, ni une maladie, il est tout à fait logique, souhaitable et juste que le mariage des couples homosexuels entre dans le code civil. Il n’y a aucune raison de priver les homosexuels de droits du seul fait de leur orientation sexuelle !
    En Espagne, le mariage pour les couples homosexuels existe depuis 2005. Selon M. Zapatero, ancien président du gouvernement, « la civilisation doit beaucoup à la France, patrie des droits de l’homme. Nous lui devons, en très grande partie, l’accélération de l’histoire en faveur des libertés et de l’égalité des êtres humains. La loi du mariage pour tous rendra justice à tous ceux qui ont été injustement traités par l’histoire. » Il ajoute : « Avec l’adoption de la loi du mariage pour tous, la République sera plus républicaine. »
    Que dire également de ces élus américains du Parti républicain, qui ont envoyé, en tant qu’amicus curiae, un dossier à la Cour suprême, pour insister sur le fait que le parti de Lincoln doit s’associer au mariage civil, au risque de manquer encore une fois l’évolution de la société ? Selon eux, tous les Américains doivent être traités de la même façon, sans distinction de religion, de race ou d’orientation sexuelle. Comment pourrions-nous penser autrement, alors qu’une tradition d’égalité et de fraternité est encore plus ancrée dans notre pays !
    Nous avons été submergés par les courriers, les courriels, les articles et les défilés. On nous dit qu’il suffirait d’augmenter les droits du PACS. Mais le PACS n’est pas le mariage ! On nous dit que l’enfant ne sera plus inscrit dans une parentalité traditionnelle et que cela bouleversera ses repères. Mais force est de constater, que cela nous plaise ou non, que les repères de la famille traditionnelle sont bouleversés depuis longtemps déjà.
    Je ne pense pas que la famille traditionnelle soit ringarde, mais la contraception, le divorce et l’adoption ont depuis très longtemps fait évoluer le couple et la famille. Que dire des familles monoparentales, des familles recomposées, de la place des grands-parents, y compris devant les tribunaux ?
    Oui, il faut permettre aux couples qui ont le courage de s’affirmer en tant que tels, qui veulent fonder une famille, d’avoir toute leur place au sein de notre société.
    Sur la filiation, j’ai écouté avec intérêt les différents orateurs. N’étant pas juriste, j’ai beaucoup appris. Simplement et modestement, en tant que pédiatre, je ne privilégie pas la filiation biologique, qui n’est pas essentielle au bonheur des enfants.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
    M. Claude Dilain. De nombreux exemples le démontrent tous les jours, jusqu’à l’actualité récente, qui relatait l’histoire d’un échange d’enfants. Vous connaissez tous son épilogue.
    Il est clair que, pour l’enfant, ses parents sont évidemment ceux qui l’aiment, ceux qui se réveillent la nuit quand il pleure. Qu’ils aient ou non des gènes en commun n’a pas d’importance. Peu importe la couleur de leur peau, leur religion et même leur genre.
    Tous les adolescents, quelle que soit leur famille, fantasment sur leur filiation biologique. Ce sont leurs parents aimants qui les aident à dépasser cette crise.
    Je vous remercie, mesdames les ministres, d’avoir eu l’intelligence et le courage de nous présenter cette loi, que je voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
    M. Philippe Bas. Vive la Manche ! (Sourires.)
    M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, si une société n’est pas constituée par la somme des désirs des individus qui la composent, a contrario elle ne se construit pas à contresens de leurs désirs et dans la négation de leurs aspirations.
    Une société ne peut perdurer si elle n’arrive pas à créer un projet de société capable d’évoluer et d’assurer la cohésion des individus la composant autour d’un sens commun.
    Historiquement, le lien faisant sens fut la religion. Une puissance divine, avec ses codes de conduite, régissait et organisait notre société. Cet ordre fut bouleversé par une transformation majeure : le passage d’un pouvoir monarchique de droit divin à un pouvoir républicain, démocratique et laïque, prenant acte de ce qui rassemble les femmes et les hommes, à savoir leur humanité et leur individualité.
    La notion de vivre ensemble doit perpétuellement être remise en question, pour continuer à faire sens, surtout dans le monde actuel, du fait des progrès de la connaissance, de la science, de la recherche et de la médecine.
    Le débat relatif au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe est au cœur du vivre ensemble que nous avons inlassablement à construire. Soyons fiers de porter ce débat au sein de nos institutions, car il représente un enjeu fondamental d’intégration ! Arrêtons de stigmatiser certains de nos concitoyens. Accordons-leur enfin le droit d’accéder aux institutions de notre République et la reconnaissance de leur humanité et individualité.
    Oui, mes chers collègues, l’homophobie existe dans notre pays ! C’est un devoir pour nous de la combattre. Nous ne pouvons admettre les violences et la haine engendrées par cette classification du genre humain. Les agressions physiques à l’encontre des personnes homosexuelles sont en augmentation de 22 % par rapport à l’année précédente. Les tentatives de suicide sont de 2 à 7 fois plus nombreuses pour les hommes homosexuels que pour les hétérosexuels. Concernant les femmes, le risque suicidaire est de 1,4 à 2,5 fois plus important pour les homosexuelles que pour les hétérosexuelles. Oui, l’homophobie tue ! L’impossibilité d’accéder à une vie normale reconnue et à la parentalité y est certainement pour beaucoup.
    Des auditions auxquelles j’ai assisté préalablement à ce débat, je retiendrai deux témoignages qui me semblent très forts, même s’ils n’ont pas la même finalité que la mienne.
    M. Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France, a déclaré : « Je n’ai pas voulu participer au débat public, et je n’ai pas souhaité que la communauté juive participe aux manifestations. La place des religions n’est pas dans la rue, d’autant que la communauté juive n’est pas menacée ni réduite à manifester pour se faire entendre. » Cette déclaration empreinte de grande sagesse est confortée par ses propos ultérieurs : « Au cœur de cette loi, il est question d’amour. […] L’amour est donc central et la protection du conjoint est fondamentale. » J’ajouterai la protection des enfants, essentielle dans ce texte, qu’ils soient adoptés ou conçus par une assistance médicale à la procréation. Là encore, pour ces enfants, il s’agit d’amour, ce projet de loi étant aussi et surtout un texte sur le droit de l’enfant. Adoptés, conçus par amour, ou par procréation médicale assistée, ils sont surtout désirés. Comme tous les autres dons de la vie, il faut les protéger et les aimer, en leur offrant les mêmes protections que celles dont bénéficient les autres enfants.
    La deuxième audition qui m’a frappé est celle de M. Claude Baty, président de la Fédération protestante de France, qui a rappelé que, « depuis l’origine, les protestants ne considèrent pas que le mariage relève de l’ordre du salut. Le mariage n’est donc pas un acte religieux ; pour nous, il n’y a pas de mariage chrétien, mais des chrétiens qui se marient, ou pas. »
    Le texte dont nous débattons, mes chers collègues, est une grande loi contre toutes les ségrégations, tous les rejets.
    Pourquoi n’a-t-il fallu, en février dernier, qu’une journée à la Chambre des communes du Royaume-Uni pour adopter une telle disposition ? Pourquoi tant de déchaînements, de violences, d’incompréhensions dans notre pays ? Je laisse cette question à votre sagacité, mes chers collègues, mais il me semble que M. Gélard y a répondu tout à l’heure…
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Godefroy. Personnellement, je m’inscris dans la lignée de celles et ceux qui ont défendu l’émancipation des peuples. Je m’inscris dans la lignée de ces femmes et de ces hommes qui se sont battus pour l’égalité des citoyens et contre les exclusions.
    Avant de conclure, je tiens à faire un bref rappel. Dans le cadre du débat qui ne manquera pas d’intervenir, mesdames les ministres, lors de l’examen de la grande loi sur la famille que vous allez nous présenter, il sera bon de se souvenir que cette assemblée, le 7 février 2011, a voté à une très large majorité l’assistance médicale à la procréation pour tous les couples infertiles, qu’il s’agisse d’une infertilité médicale ou sociale. Je ne pense pas que le Sénat se soit trompé à cette époque.
    Mme Annie David. Très bien !
    M. Jean-Pierre Godefroy. Si l’on dit autant de mal, aujourd’hui, d’une telle mesure, c’est pour tenter de justifier un rejet du présent texte, lequel ne traite pourtant pas de l’assistance médicale à la procréation.
    Pour ce qui me concerne, je voterai ce texte des deux mains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Étienne Antoinette.
    M. Jean-Étienne Antoinette. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en tant que sénateur de la République française et parlementaire d’outre-mer, j’ai l’honneur à la fois redoutable et solennel d’apporter mon soutien à ce projet de loi, qui fait débat, particulièrement en outre-mer, où, bien plus qu’ici, perdure un certain conservatisme.
    Ce sujet cristallise les émotions les plus intimes, les plus subjectives et donc, fatalement, les plus excessives. Il touche aux profondeurs de notre inconscient collectif et ébranle les racines mêmes de nos représentations multiséculaires du monde, de la famille et de la société.
    Mais si je comprends les peurs, les réticences et la résistance au changement, je me dois aussi de prendre acte d’un débat fondamental pour les valeurs républicaines et de défendre ces valeurs.
    Ce texte vise simplement à ce que la République reste plus cohérente avec elle-même sur trois principes fondamentaux : la liberté, l’égalité et la vérité, que je substitue au principe de fraternité, tant la conjonction des trois piliers de notre République ne saurait se révéler ou se comprendre qu’à la lumière du principe de vérité.
    La liberté, c’est simplement celle de s’aimer et de s’unir entre deux personnes adultes et consentantes, dans les règles du droit positif. Le droit suit la réalité, mais ne la crée pas. Pour l’union de deux êtres, la portée du mariage dépasse celle du PACS, qui ne prévoit que l’assistance matérielle, alors que la relation entre les époux comprend respect, fidélité et secours. Accorder aux homosexuels la possibilité de se marier, c’est leur reconnaître l’engagement public de cette liberté, ce qui constitue une avancée démocratique.
    Concernant l’égalité, les divisions et j’ose dire les « paradoxes » révèlent que, dans la société française, laïque, républicaine et fraternelle, il est encore bien long le chemin qui mène à l’altérité et à la reconnaissance d’autrui dans sa différence, et ce quelle que soit, finalement, cette différence.
    Il est encore bien douloureux, pour certains, de passer d’une ouverture d’esprit « virtuelle », de bon aloi, à l’épreuve réelle de la confrontation, du respect, de l’acceptation dans la communauté humaine, tout simplement, de couples différents, de familles différentes, que nous croisons pourtant tous les jours au pied de notre immeuble, dans la rue, dans nos quartiers et dans nos villes, sans vouloir les voir...
    Si je soutiens ce projet de loi, c’est parce qu’il brise le déni de réalité qui étouffe sous le carcan de la honte l’existence de ces familles homoparentales et de leurs enfants, en leur permettant, en fait, d’exister.
    Alors même que les procédures actuelles d’adoption le permettent, mais au prix du secret, du mensonge et du déni de soi-même, ce projet de loi fait tout simplement acte de vérité.
    Ceux qui brandissent comme une évidence désespérée que tout enfant a droit à un père et une mère profèrent une lapalissade et font semblant d’oublier que jamais la nature ne changera cette vérité biologique. La filiation, cependant, est affaire de choix et, dans toute l’histoire du monde, jamais un modèle familial n’a rendu un enfant heureux. C’est la famille réelle, concrète et vraie, formée d’adultes en harmonie, qui choisissent et soignent avec amour et respect les enfants qu’ils élèvent.
    Que ceux qui prétendent opposer artificiellement le droit de l’enfant et le droit à l’enfant m’expliquent sur quels critères la société devrait valider, aujourd’hui, en l’état actuel de l’évolution des conditions de vie matérielles et morales des enfants, tel ou tel modèle de référence, parmi les familles monoparentales, les « familles alternées », les familles recomposées, toutes prétendument hétérosexuelles, ou les familles homoparentales, encore émergentes.
    Les modèles familiaux sont aujourd’hui ébranlés, comme les religions l’ont été en leur temps, comme les idéologies le sont encore. Cela n’empêche ni la foi ni le militantisme. Cela n’empêche nullement les familles nucléaires hétérosexuelles traditionnelles de continuer d’exister. Qu’elles accordent simplement aux autres, différentes, le droit à cette différence, non pas le droit d’exister, car elles existent, mais le droit à la vérité de cette existence.
    Il est temps que l’hypocrisie cesse, que le voile se lève, que le droit dise ce qui doit être, en raison non pas de ce qui fait peur, mais de ce qui s’impose comme un phénomène historique et social irréversible.
    Ce qui fait sens aujourd’hui dans la société française, laïque et républicaine, c’est que tous les enfants soient reconnus égaux les uns aux autres dans leur droit à pouvoir, sans honte et sans peur, désigner leurs parents, les personnes qui les élèvent. Un droit à la vérité, un droit à la plus haute des valeurs universelles.
    En conclusion, que ceux qui, soudainement, spéculent sur les outre-mer sachent que, s’agissant de ces valeurs de liberté et d’égalité, ces territoires ont historiquement une attitude revendicative, tout au moins de dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. David Assouline.
    M. David Assouline. Monsieur le président, mesdames les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites sur le fond, synthétisant tous les enjeux du débat qui anime notre pays depuis plus d’un an.
    Devant les Français, durant la campagne présidentielle, le candidat François Hollande a affirmé haut et fort son engagement 31 face à l’ancien Président de la République, qui expliquait son opposition à ce droit.
    Ce sont 18 millions de nos concitoyens qui ont voté en faveur de François Hollande ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Jean Bizet. Ils le regrettent !

    M. David Assouline. Je rappelle ce chiffre, parce que j’en ai entendu d’autres au sujet du nombre de pétitionnaires, du nombre de manifestants, lesquels ont tout à fait raison d’utiliser tous les moyens qu’offre la démocratie – du moment que ces moyens demeurent pacifiques – pour faire entendre leur point de vue et pour essayer de convaincre.
    Je rappelle ce chiffre, qui est celui du suffrage universel, par lequel se manifeste la volonté du peuple et sur lequel se fonde notre démocratie.
    Depuis lors, nous n’avons pas été convaincus par vos arguments. En dépit des milliers d’heures de télévision et de radio, en dépit des milliers de pages publiées par la presse écrite, en dépit des cent heures de débat en séance plénière à l’Assemblée nationale, des dix heures de discussions, ici, en commission et des quarante heures d’auditions, j’entends encore certains dire que nous voudrions étouffer le débat.
    Non, nous n’avons pas été convaincus, car rien ne justifie l’inégalité entre homosexuels et hétérosexuels, rien ne justifie de renoncer à instaurer le même droit au mariage civil ainsi que les mêmes protections pour les homosexuels et les enfants qu’ils élèvent et dont ils ont la charge.
    M. Leleux, tout à l’heure, nous invitait à peser nos mots, à faire attention aux termes que nous employons. Je veux lui dire que, depuis quelque temps, les limites sont dépassées.
    Devant le Sénat de la République laïque, a eu lieu ce soir une manifestation, ou plus exactement une prière de rue. L’Agence France-Presse relate les propos tenus par un homme portant une grande croix : « La France mérite châtiment si elle autorise le mariage des sodomites. » Voilà ce que disaient les opposants au texte devant le Sénat !
    Certes, nos débats sont feutrés, mais ces propos sont une réalité. Alors, oui, il faut faire attention aux mots, monsieur Leleux !
    L’hebdomadaire Valeurs Actuelles, quant à lui, rapporte les propos de l’ancien Président de la République : « Quand on pense que le sujet du moment, c’est la traçabilité du bifteck ! Tout le monde veut savoir s’il y a du cheval dans ce qu’on mange. Mais la traçabilité des enfants, qu’est-ce qu’on en fait ? C’est tout de même plus important. Avec leur “mariage pour tous”, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, bientôt, ils vont se mettre à quatre pour avoir un enfant. Et le petit, plus tard, quand il demandera qui sont ses parents ? On lui répondra : “Désolé, il n’y a pas de traçabilité”. »
    Vous me permettrez également de citer les propos tenus en séance publique par un député UMP : comparant un homosexuel à un terroriste, il déclare que ce dernier « n’a jamais rencontré l’autorité paternelle, il n’a jamais eu à se confronter avec des limites et avec un cadre parental, il n’a jamais eu la possibilité de savoir ce qui est faisable ou non faisable, ce qui est bien ou mal ». Je vous épargnerai son nom.
    Écoutez également ces propos tenus au sein d’une organisation qui appelle chaque fois à manifester contre le mariage pour tous, l’Union des organisations islamiques de France, l’UOIF, vous savez, celle qui invite des prédicateurs salafistes radicaux à ses réunions : « Qui pourra délégitimer la zoophilie, la polyandrie au nom du sacro-saint amour ? Ne sommes-nous pas en train de suivre une voie où le principe d’égalité ne serait plus défini par des limites et des normes communes, mais par des perceptions personnelles aussi égoïstes et affectives puissent-elles l’être ? »
    Et Mme Barjot, sympathique animatrice de ces manifestations,…
    M. Jean-Michel Baylet. Non, elle n’est pas sympathique du tout !
    M. David Assouline. … a répondu à une invitation de cette organisation en se rendant le week-end dernier à son congrès pour leur dire qu’elle et eux partageaient le même combat… Alors, oui, attention aux mots !
    Je conclurai mon propos…
    M. Philippe Bas. Concluez !
    M. David Assouline. … en vous racontant une petite anecdote qui a son importance dans la vie d’un engagement.
    À la suite de la dernière manifestation, j’ai participé à un débat avec M. Mariton. De retour chez moi, j’ouvre ma page Facebook et lis le post d’un militant opposé au mariage homosexuel – bien identifié, qu’il le sache ! – : « Crève ! »
    Le lendemain, à mon bureau, je reçois un petit message qui dénote une autre conception de la vie et de la société : « Monsieur le sénateur David Assouline, c’est en tant que chrétienne profondément attachée à la laïcité et au mariage civil que je me permets de vous envoyer ce message. Je suis pour le mariage pour tous et, entre autres raisons, pour protéger les enfants de l’amour partagé au sein d’un couple de même sexe, les enfants nés homosexuels au sein d’un couple hétérosexuel homophobe. Le taux de suicide des adolescents issus de ces familles est dramatiquement élevé. Merci de votre soutien à cette loi pour le mariage pour tous, tenez bon. Une citoyenne en âge d’être grand-mère. » (M. Alain Gournac rit.)
    À cette dame, je réponds que nous ne lâcherons pas, parce que ces valeurs-là, cette générosité-là nous donnent une énergie énorme pour continuer à progresser dans la voie de l’égalité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
    La discussion générale est close.
    La parole est à Mme la ministre déléguée.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Des questions importantes qui méritent réflexion ont été soulevées sur toutes les travées de cet hémicycle. Je ne m’attarderai pas sur certains propos assez caricaturaux qui ont été tenus : ils ne contribuent en rien à faire progresser l’ensemble de la société.
    Je voudrais tout d’abord saluer les propos de Mme Jouanno, non pas tant parce qu’elle n’appartient pas à la majorité présidentielle, que parce qu’elle a insisté sur deux points qui me paraissent importants.
    C’est vrai, l’État n’a pas à définir ou à juger les contours de la famille. Son rôle n’est pas de dire s’il est mieux d’appartenir à une famille traditionnelle, à une famille recomposée, à une famille monoparentale ou à une famille homoparentale.
    En revanche, à partir du moment où certains de nos concitoyens ont fait des choix différents, l’État, parce que c’est l’honneur de notre démocratie et de notre République, doit - c’est une exigence ! – leur assurer les mêmes droits et leur imposer les mêmes devoirs.
    Mme Jouanno a formulé une seconde remarque, très importante : l’homosexualité n’est pas un choix, on ne choisit pas d’être hétérosexuel ou d’être homosexuel. Peu l’ont dit, tant à l’Assemblée nationale qu’ici, au Sénat.
    Lorsque j’entends l’expression « préférence sexuelle », je m’interroge : aurait-on l’idée de l’employer à l’égard d’hétérosexuels ? Pourquoi parle-t-on de « préférence sexuelle » pour les homosexuels ?
    Après avoir entendu certains propos, j’ai l’impression qu’on tolère aujourd’hui les homosexuels – à cet égard, depuis l’adoption du PACS, la situation a progressé –, mais cela ne suffit pas : il faut les reconnaître comme des citoyens à part entière. Si on les reconnaît comme tels, alors ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs.
    La question n’est pas de reconnaître spécifiquement aux homosexuels le droit de se marier, mais, à partir du moment où l’on considère qu’ils sont des citoyens à part entière, alors ils doivent pouvoir faire les mêmes choix que les hétérosexuels : opter soit pour le concubinage, soit pour le PACS, soit pour le mariage. Aujourd’hui, les homosexuels peuvent choisir le concubinage ou le PACS, mais ils ne peuvent se marier. Et ce n’est pas une ode au mariage que nous faisons, car telle n’est pas notre vocation.
    Des questions ont été posées – elles le seront très certainement de nouveau dans les prochains jours – sur le droit de l’enfant, le droit à l’enfant.
    Jamais une notion qui, peut-être, pourrait mettre tout le monde d’accord n’a été évoquée : le désir d’enfant. Celui-ci n’a rien à voir avec la sexualité des parents. J’ai bien entendu la définition qui a été donnée de l’adoption, en particulier de l’adoption internationale : c’est non pas la satisfaction d’un droit à l’enfant des parents adoptifs, mais la possibilité d’offrir une famille à un enfant qui n’en a pas.
    Très bien, mais, au fond, croyez-vous véritablement que les couples hétérosexuels qui, en raison de la stérilité de l’un des deux conjoints, ne peuvent pas avoir un enfant s’inscrivent uniquement dans une démarche visant à offrir une famille à un enfant qui n’en a pas ? Pourquoi ne pas reconnaître que le désir d’enfant existe dans les couples hétérosexuels et que, à ce titre, il est tout à fait aussi légitime que le même désir puisse se faire jour dans les couples homosexuels ?
    J’entends dire qu’il faut un papa et une maman. Nous pouvons être d’accord sur un point : un enfant sera toujours le produit d’un homme et d’une femme. (Tout de même ! sur les travées de l’UMP.)
    Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, Vous pourriez admettre que, pas plus que les homosexuels, nous ne sommes suffisamment sots pour raconter qu’un enfant quel qu’il soit puisse naître de deux personnes du même sexe ! (M. Charles Revet s’exclame.)
    Je dis cela pour tenter de répondre à cette question : le fait biologique suffit-il à faire d’un homme un père et d’une femme une mère ?
    M. Charles Revet. Ca y contribue !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Soit vous considérez que l’instinct maternel et l’instinct paternel sont d’emblée acquis, soit vous estimez qu’une femme qui accouche ne devient pas brusquement mère et qu’un père qui reçoit ce nouveau-né ne devient pas subitement père, même dans les couples hétérosexuels.
    Vous qui êtes tant attachés à l’intérêt supérieur des enfants, interrogez-en et vous verrez le regard qu’ils portent sur leurs parents. Quelquefois, justement, dans les couples hétérosexuels, ils auraient aimé avoir un père qui soit non pas simplement un géniteur, mais un père, et une mère qui soit non pas simplement une génitrice, mais une mère.
    Vous le voyez, cette question dépasse la sexualité des parents. Fondamentalement, vous avez raison de le souligner, il importe de savoir s’il ne faut pas reconnaître à l’enfant le droit de connaître son histoire originelle. La future loi sur la famille sera l’occasion d’en débattre. Mais, là encore, cette question a-t-elle un rapport avec la sexualité des parents ? Pendant des années, on n’a jamais dit la vérité aux enfants qui avaient été adoptés par des couples hétérosexuels. Par la suite, la psychologie et la psychanalyse ayant évolué, on a jugé qu’il fallait leur dire très tôt cette vérité.
    Aujourd’hui, adopte-t-on le même comportement vis-à-vis des enfants nés de procréation médicalement assistée ? Cela dépend des parents, cela dépend des familles dans lesquelles ils se trouvent. De fait, la question est bien de savoir s’il est envisageable d’accorder à l’enfant le droit de connaître son histoire originelle, mais, je le répète, cela n’a rien à voir avec le fait d’avoir des parents hétérosexuels ou des parents homosexuels.
    L’union civile que vous souhaitez ressemble fort à un sous-mariage, avec une sous-adoption. Or – je serai très claire – parler de sous-mariage et de sous-adoption, c’est considérer une partie de nos citoyens comme des sous-citoyens, ce qu’ils ne sont nullement !
    Mme Catherine Troendle. Nous n’avons jamais dit cela !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Monsieur Gournac, vous avez touché mon cœur d’historienne en faisant référence à Georges Duby, que vous avez associé dans un même élan à Maurice Godelier.
    Toutefois, quand on fait appel aux historiens, aux sociologues, aux anthropologues ou aux écrivains, il faut les citer de façon juste et intégrale. Monsieur le sénateur, lorsque l’on a demandé à Maurice Godelier ce qu’il pensait de la notion d’« aberration anthropologique » mise en avant par les opposants au projet de loi sur le mariage aux couples de personnes de même sexe, sa réponse fut la suivante :
    « Cela n’a aucun sens. Dans l’évolution des systèmes de parenté, il existe des transformations, mais pas des aberrations. Certes, on ne trouve pas dans l’histoire d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. »
    Mme Catherine Troendle. Eh oui !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Attendez la suite, madame la sénatrice. « On comprend pourquoi, poursuivait-il : pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire, mais souvent l’homosexualité au sein des sociétés a été reconnue dans la formation de l’individu, en Grèce antique, par exemple. J’ai vécu sept dans une tribu de Nouvelle-Guinée, les Baruyas, où pour être homme il fallait être initié et les initiés vivaient en couple homosexuel jusqu’à vingt ans. L’homosexualité avait un sens politique et religieux. L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance ».
    Ce ne sont pas tout à fait les propos que vous avez cités ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On aurait pu parler de Platon ou d’Aristote.
    M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je tiens tout d’abord à remercier tous les orateurs de la qualité de leurs interventions. Qu’ils me pardonnent, à cette heure tardive, de ne pas prolonger le débat, donc de ne pas leur répondre individuellement. En fait, j’adhère à nombre des arguments, étayés d’exemples, qu’ils ont présentés à la tribune, avec brio, avec une force réelle et une conviction affleurante.
    Les sénateurs, je le sais, sont des personnes raisonnables. Ils savent qu’il ne faut pas folâtrer trop tard au Sénat si l’on veut être en forme le lendemain matin. (Sourires.)
    M. Philippe Bas. Nous n’avons pas l’impression de folâtrer, madame la garde des sceaux !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qui plus est en pleine lumière et en public ! (Nouveaux sourires.) Mais j’espère ne pas vous avoir blessé, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette observation qui se voulait plus amicale qu’ironique. Si tel est le cas, je la retire bien volontiers.
    M. Bruno Retailleau. Ce n’était pas blessant !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Madame Jouanno, je tiens à saluer votre courage, votre constance et la clarté de vos propos. Toutefois, vous ne pouvez imputer au Gouvernement la responsabilité du comportement des manifestants.
    Que les convictions de certains de nos concitoyens soient heurtées par l’ouverture du mariage civil aux couples homosexuels, cela peut se comprendre. Voilà plusieurs mois que nous le disons : nous savons que, de par leur représentation et leur vision du mariage, certaines personnes ont des difficultés à concevoir que nous puissions ouvrir le mariage civil, avec ce qu’il implique en termes de droits et de libertés, aux couples homosexuels.
    Pour autant, le Gouvernement ne peut pas porter la responsabilité d’une opération qui devient manifestement toujours plus politique et qui est prise en charge, de plus en plus, par la parole politique, je devrais même dire partisane.
    M. Jean-Michel Baylet. Religieuse !
    M. François Rebsamen. Oui, religieuse !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En fait, cette opération est instrumentalisée – c’est incontestable – et sous-tendue par des objectifs qui vont bien au-delà de la contestation du présent projet de loi. Le Gouvernement n’a pas sa part de responsabilité dans ce qui est en train de se passer. Que ceux qui en sont responsables l’assument pleinement. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
    Nous vivons dans une société qui aime le débat, la controverse, et qui accepte la dispute. Sur un sujet d’une telle importance, nous concevons qu’il y ait débat, désaccords et controverses. Néanmoins, ce qui se passe ne nous concerne pas. Nous n’y avons aucune part. Vous le savez mieux que personne, madame Jouanno. Vous n’y avez d’ailleurs vous-même aucune part, même si vous en êtes considérée également comme partiellement responsable, certains ayant même osé s’attaquer à vous, de façon tout à fait publique et aux yeux de tous.
    M. François Rebsamen. C’est scandaleux !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous n’avons absolument rien de commun avec des gens aussi manifestement intolérants.
    M. François Rebsamen. Très bien !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je le répète, je ne veux pas prolonger notre débat au-delà du raisonnable. Monsieur Gélard, je présume que les arguments que vous avez développés à la tribune constitueront le corps même de l’exception d’irrecevabilité que vous défendrez. Je prendrai alors le temps de répondre à tous vos arguments. Vous aurez toutefois compris que le Gouvernement ne retient pas l’offre d’union civile qui a d’ailleurs déjà été présentée à l’Assemblée nationale.
    Non merci, monsieur Zocchetto, nous ne voulons pas de l’union civile ! Nous voulons le mariage, tout à la fois contrat et institution, qui entraîne des effets d’ordre public. Ce que nous faisons va bien au-delà de quelques intérêts matériels – je pense à la pension de réversion –, même si ceux-ci peuvent être significatifs, notamment pour le conjoint survivant.
    Telle n’est pas notre préoccupation. Notre préoccupation, c’est d’instaurer le mariage pour tous. C’est une institution, avec toute son histoire, ses règles, ses conditions, ses obligations, ses sécurités, ses protections et y compris sa charge symbolique que nous voulons ouvrir aux couples homosexuels. C’est en toute lucidité que nous décidons que cette institution républicaine doit être ouverte aux couples de même sexe.
    J’ai entendu un orateur affirmer que le mariage religieux était millénaire. Non ! Il a été instauré en 1215, par le concile de Latran.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est vrai !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Qu’il y ait encore une vision sacrée ou sacralisée du mariage, nous l’entendons. Et c’est bien dans ce sillage, à la limite d’une vision sacrée, sacralisée, que nous estimons que l’institution du mariage doit être ouverte aux couples homosexuels. Ces derniers ne sont pas composés de citoyens à part entière et nous ne leur proposerons pas une institution de seconde classe.
    En outre, l’ouverture de l’institution du mariage en tant que telle aux couples homosexuels représente un enjeu considérable. En effet, parmi les moyens les plus sûrs, les plus efficaces et les plus durables de lutter contre l’homophobie – et je n’accuse personne ici d’homophobie, je parle d’une façon générale – figure l’accès des homosexuels à toutes les institutions, à tous les droits.
    Par conséquent, il n’est pas question de leur proposer une institution à leur mesure. Il s’agit de leur ouvrir l’institution républicaine, avec tout ce qu’elle charrie, y compris éventuellement de sacré. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. Yves Daudigny. C’est brillant !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Revet, vous souhaitez savoir où nous allons. C’est très simple, dans la mesure où, ici, nous créons du droit, où nous faisons la loi, nous voulons aller là où le précise le texte de loi ! (Sourires sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
    On peut toujours faire des extrapolations, des supputations, des hypothèses, mais lorsque le texte aura été voté, si vous en décidez ainsi, les citoyens iront jusqu’où le permet le texte. Il n’y a pas de mystère, ne vous inquiétez pas.
    Monsieur Milon, je veux juste vous saluer ! (Sourires.) Vous affirmez que le titre du projet de loi est incomplet, puisqu’il mentionne seulement le mariage alors que le texte envisage aussi l’adoption.
    Vous avez à la fois raison et tort : vous avez parfaitement raison, car le titre du projet de loi évoque effectivement le mariage, mais vous avez tort – je ne veux pas, après vous avoir salué, être désagréable par un mot déplaisant –, car dans notre droit, vous le savez bien, le mariage emporte l’adoption, aux termes de l’article 343 de notre code civil.
    M. Charles Revet. Et au-delà, avec les conséquences !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certes, mais l’article 343 lui-même énonce le droit à l’adoption une fois le mariage prononcé. Voilà l’état de notre code civil.
    Si l’on refusait toutes les conséquences de l’application de l’article 343 du code civil et que l’on dissociait le mariage et l’adoption plénière, il faudrait instituer un mariage spécifique pour les couples homosexuels. Toutefois, comme je viens de l’indiquer très clairement, cela n’entre aucunement dans les intentions du Gouvernement. Il n’est pas question de vous être désagréable, mais il convient d’accomplir un acte positif envers ces citoyens à part entière.
    « Ces incertitudes doivent-elles nous empêcher d’avancer ? », avez-vous dit. J’ai trouvé cette phrase magnifique !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Nous devons avancer !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Toutefois, je m’arrête là sur ce sujet. De même, je répondrai à M. Mercier en sa présence.
    Pour conclure, je souhaiterais formuler deux observations.
    En écoutant certains propos, j’ai entendu des plaisanteries véritablement malvenues. Néanmoins, le débat étant globalement de haute tenue, je ne m’y appesantirai pas. Je pensais simplement, en entendant ces quelques railleries déplacées, à ce que disait René Char : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. » Il y a des mots qui excluent ! C’est le cas lorsque l’on affirme que le mariage implique la filiation et la procréation, alors que cela ne correspond plus non seulement à ce que sont devenus le couple et la famille, mais aussi à la situation de millions de personnes qui se marient sans vouloir faire d’enfants ou après l’âge de la fécondité.
    Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je vous le dis posément, cette façon d’exclure les personnes qui n’entrent pas dans le cadre que vous projetez est extrêmement violente. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
    Je vous demande simplement d’être vigilants sur ce point. Certaines choses sont profondément en nous, mais la puissance de l’individu majeur et responsable est de réfléchir et d’interroger, lui aussi, ses préjugés, ses clichés, sa propre pensée, afin de vérifier s’ils ne se sont pas arrêtés à un état de la société qui ne correspond plus à la réalité. Il faut toujours garder à l’esprit que des propos paraissant anodins concernent tout de même des personnes réelles.
    Ainsi, vous parlez des droits à l’enfant et d’intérêt supérieur de l’enfant. Sachez que des dizaines de milliers d’enfants – voire des centaines de milliers, selon certains – sont concernés par ces paroles inutilement blessantes.
    Je souhaiterais, pour terminer, vous remercier de nouveau de la qualité de ce débat, qui ne m’a pas déçue, y compris dans la confrontation et dans nos divergences clairement assumées, car je connais cette maison de longue date et je sais le travail de fond qui y est produit.
    Nous aurons évidemment droit à quelques querelles, mais si tel n’était pas le cas, à quoi ressemblerait le débat parlementaire ? J’irai même jusqu’à dire que ces divergences, si je ne les sollicite pas, sont bienvenues.
    Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie par avance de ces quelques jours que nous allons passer ensemble. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    11
    ORDRE DU JOUR

    M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, vendredi 5 avril 2013, à dix heures, à quatorze heures trente et le soir :
    1. Examen de la motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 482, 2012-2013).
    2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013) ;
    Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 437, tomes I et II, 2012 2013) ;
    Texte de la commission (n° 438, 2012-2013) ;
    Avis de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 435, 2012-2013).
    La séance est levée.
    Personne ne demande la parole ?…
    La séance est levée.
    (La séance est levée le vendredi 5 avril 2013, à zéro heure quarante-cinq.)
    Le Directeur du Compte rendu intégral
    FRANÇOISE WIART

  • Séance du 5 avril 2013

    15 janvier 2018

    PRÉSIDENCE DE M. JEAN-PIERRE BEL

    Secrétaires :
    M. Jacques Gillot,
    Mme Odette Herviaux.
    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à dix heures dix.)
    1
    PROCÈS-VERBAL

    M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
    Il n’y a pas d’observation ?…
    Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
    2
    COMMUNICATION RELATIVE À UNE DEMANDE DE SCRUTIN SOLENNEL

    M. le président. Monsieur le président Zocchetto, vous avez exprimé le souhait, en préambule à notre débat, que le vote sur l’ensemble du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe fasse l’objet d’un « scrutin solennel », organisé le mardi 16 avril prochain.
    Je vous rappelle que le recours à cette modalité de vote ne peut être décidé qu’en conférence des présidents…
    M. Charles Revet. Et la prochaine se réunit le 17 avril !
    M. le président. … et qu’aucune demande en ce sens n’a été formulée lors de la conférence qui a fixé les conditions d’examen du projet de loi.
    J’ai néanmoins pris en considération votre demande (Ah ! sur plusieurs travées de l’UMP.) et, comme je m’y étais engagé publiquement ici même devant vous, j’ai consulté les présidents des autres groupes pour recueillir leur avis sur l’opportunité de réunir la conférence des présidents.
    De ces consultations, il ressort que les autres groupes ne formulent pas la même demande car ils ne souhaitent pas modifier l’organisation des débats et des votes telle qu’elle a été arrêtée le 20 mars dernier.
    Dans ces conditions, monsieur le président Zocchetto, je ne crois pas nécessaire de réunir la conférence des présidents.
    M. Bruno Sido. C’est dommage !
    M. François Rebsamen. C’était bien tenté… mais un peu tardif !
    Mme Laurence Rossignol. Un peu tardif, en effet !
    3
    MOTION RÉFÉRENDAIRE SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AU MARIAGE POUR COUPLES DE PERSONNES DE MÊME SEXE

    M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la motion (n° 482, 2012-2013) de M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013).
    La parole est à M. Bruno Retailleau, premier auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. François Zocchetto et Hervé Maurey applaudissent également.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
    M. Bruno Retailleau, premier auteur de la motion. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, avant de soutenir cette motion référendaire au nom de mon groupe, que je remercie, je veux commencer par rendre hommage à la clarté et à la franchise des propos de Mme la garde des sceaux.
    Sur ce projet de loi, nous avons peu de points d’accord. Néanmoins, madame la garde des sceaux, nous en avons un, qui est essentiel : nous considérons comme vous que l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe est, comme vous l’avez si bien indiqué, une vraie « réforme de civilisation ». Et c’est aussi parce qu’il existe un consensus entre nous sur ce point que nous allons, au final, nous opposer, dans toute la force de nos convictions – et ni les vôtres ni les nôtres ne sont tièdes !
    Nous partageons l’idée que ce texte opère un basculement. Cependant, quand vous soutenez que c’est un progrès, nous pensons que c’est un recul (Oui ! sur les travées de l’UMP.), et même un double recul : un recul pour la République, un recul pour la société.
    Il s’agit d’abord d’un recul pour la République puisque votre réforme, madame la garde des sceaux, s’appuie sur une conception biaisée non seulement de la loi, mais aussi de l’égalité.
    C’est d’ailleurs au nom de l’égalité républicaine que vous nous présentez ce texte. Mais quelle est la définition de cette égalité ? L’égalité républicaine, c’est celle qui consiste à traiter de la même façon des situations identiques. Or, un couple composé de deux personnes de même sexe, ce n’est pas la même chose qu’un couple composé de personnes de sexe différent ! Au demeurant, ce n’est pas moi qui l’affirme : c’est ce qui résulte d’une décision importante rendue par le Conseil constitutionnel en janvier 2011. Du reste, ce point fait l’objet d’une jurisprudence constante, de la part tant du Conseil constitutionnel que des juridictions des deux ordres français.
    Madame la garde des sceaux, c’est aussi au nom de l’égalité que vous vous exprimez lorsque vous prétendez que, loin de retirer un droit à quiconque, le texte élargira à tous un droit d’ores et déjà existant. Cette affirmation est rigoureusement fausse parce que, avec cette réforme, vous allez tarir un peu plus la source de l’adoption pour tous les couples, y compris hétérosexuels. Surtout, vous allez priver des enfants de connaître leurs origines, leur père et leur mère. Vous allez donc, au nom de l’égalité pour les adultes, créer une discrimination entre enfants.
    Au-delà de l’égalité, c’est aussi la conception de la loi qui est en jeu.
    Je pense que la source du droit républicain n’est ni le sentiment ni, à l’inverse, et à plus forte raison d’ailleurs, le rapport de forces.
    Pour ce qui concerne le sentiment, j’ai souvent entendu que l’amour justifiait le droit au mariage et constituait un passeport suffisant pour y accéder.
    L’amour, c’est le plus grand et le plus beau de tous les sentiments ; nous nous accordons aussi sur ce point. Mais l’amour est de l’ordre de l’intime, de la sphère privée. En quoi la loi donnerait-elle un statut public à une relation affective, aussi noble, aussi digne soit-elle ? Au nom de quoi la République se mêlerait-elle de ce qui ne la regarde pas ?
    Et quand la République, à travers l’officier de l’état civil qu’est le maire, s’intéresse au mariage, c’est pour jouer le rôle du tiers qui constate l’existence d’une coïncidence entre l’intérêt particulier d’un couple et l’intérêt général, à savoir le renouvellement des générations et la transmission des patrimoines matériel et immatériel de la Nation. Il est important de rappeler que la République ne fait alors que se mêler de ce qui la regarde.
    À l’inverse, la loi n’est pas non plus l’expression d’un rapport de forces.
    Monsieur le rapporteur, au cours des auditions, vous avez indiqué que « ce qui est juste, c’est ce que dit la loi » et que celle-ci « se réfère à un rapport de forces à un moment donné ». Mais, sur ce texte, quelle est la loi du plus fort ? Où est le rapport de forces ? Est-ce le droit des adultes contre le droit des enfants ?
    Mes chers collègues, les grands perdants de cette réforme, ce seront les enfants ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
    M. Charles Revet. C’est à eux qu’il faut penser !
    M. Bruno Retailleau. Ce sont en effet des sans-voix, car ils ne disposent pas de relais dans les médias.
    Et si, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégieons, nous acceptions que la loi ne soit que l’expression d’un rapport de forces, que ferions-nous ici ? Sommes-nous convoqués pour n’être que des greffiers qui doivent enregistrer de façon automatique des revendications catégorielles au profit des groupes les plus influents ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Si notre boussole n’est autre que celles des désirs et des volontés individuelles, où se trouve alors l’intérêt général ? Comment, et avec quels concepts, limitera-t-on les caprices, les désirs et les volontés individuels ?
    Non, je ne crois pas à la République du désir, je crois à la République des droits, à la République des devoirs. Je pense que la République n’est pas un self-service normatif, auprès duquel chacun viendrait quémander la reconnaissance de son droit ou la satisfaction de sa demande personnelle.
    Cette réforme n’est pas un progrès pour le droit républicain, pas plus qu’elle ne l’est pour la société, voire pour la civilisation. En effet, vous avez parlé, madame la ministre, de « réforme de civilisation », Erwann Binet, rapporteur sur le texte à l’Assemblée nationale, évoquant pour sa part une « révolution anthropologique ».
    Certes, cela fait bien longtemps que nous vivons dans un monde qui est – et il le restera – marqué par la différence irréductible et la complémentarité qui caractérisent la figure masculine et la figure féminine. C’est à partir de cette réalité que les sociétés, quelle que soit leur culture – et leur religion, d’ailleurs –, se sont organisées. Elles se sont organisées non pas pour obéir et se soumettre à la nature, mais pour tenir compte de cette donnée objective, parce que c’était le cadre le plus harmonieux pour leur développement, et aussi le plus universel. En effet, tout homme, quelles que soient sa culture, sa couleur de peau, sa religion, est issu d’un homme et d’une femme.
    C’est aussi cette dimension universelle que porte en son cœur l’institution – il ne s’agit en effet pas que d’un contrat – du mariage. Je voudrais rappeler à ce stade les mots très justes qu’avait eus, en 2004, l’ancien premier ministre Lionel Jospin : « Le mariage est, dans son principe et comme institution, “l’union d’un homme et d’une femme”. Cette définition n’est pas due au hasard. Elle renvoie, non pas d’abord à une inclinaison sexuelle, mais à la dualité des sexes qui caractérise notre existence et qui est la condition de la procréation et donc de la continuation de l’humanité ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Lionel Jospin ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
    En remettant en cause cette définition du mariage, madame la ministre, vous préparez – je vous le dis très sincèrement – un bouleversement profond de la société, avec deux conséquences majeures.
    La première concerne la filiation. De nombreux pédopsychiatres nous mettent en garde…
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Pas tous !
    M. Bruno Retailleau. … parce que « l’homme n’est pas une mère comme une autre », et inversement.
    Mme Cécile Cukierman. Personne ne dit le contraire !
    M. Bruno Retailleau. Je citerai ici – c’est le fait du hasard – Sylviane Agacinsky : « La paternité ne sera jamais l’équivalent masculin de la maternité ». (M. Gérard Larcher acquiesce.) C’est une évidence qu’il faut rappeler, mais au cœur de laquelle il y a la construction psychologique des enfants. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Je suis sûr que vous la gardez, de même, à l’esprit. Au moment où nous discutons de ce texte, c’est le fil rouge qui doit nous guider. En effet, au nom de quelle modernité projetterait-on ces enfants dans une origine impossible ? Impossible, parce qu’impensable, et impensable, parce que ces enfants-là, plus que d’autres, ont besoin de fantasmer la scène originelle de l’engendrement !
    M. Roland du Luart. Tout à fait !
    M. Bruno Retailleau. Il se peut qu’un jour, dans de nombreuses années, ces enfants-là nous le reprochent. Un jour, peut-être, en souffriront-ils.
    La seconde conséquence, madame la ministre, c’est l’engrenage, le processus, que vous mettez en place. Ce texte est un cheval de Troie, et vous ne devez pas mentir aux Français sur ce point : aujourd’hui, le mariage et l’adoption ; demain, la procréation médicalement assistée, ou PMA, et la gestation pour autrui, ou GPA ! (Bien sûr ! sur les travées de l’UMP.) La PMA se pratique déjà aujourd’hui à l’étranger, et même en France, dans des conditions artisanales – consultez les médecins, les obstétriciens –…
    M. Roland du Luart. Tout à fait !
    M. Bruno Retailleau. … et aussi virtuellement, potentiellement, sur un plan juridique, avec la Cour européenne des droits de l’homme, ou CEDH, qui tolère parfaitement des régimes différents à condition que les statuts de couple soient différents.
    Mais, dès lors que vous autoriserez le mariage pour les couples de même sexe, vous ne pourrez, d’après la CEDH, réserver de différences de traitement dans l’exercice du droit de procréer en ayant recours à la PMA.
    En votant ce texte, le bras est pris dans l’engrenage qui nous conduira demain à la PMA et après-demain, bien entendu, à la gestation pour autrui. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
    M. Gérard Larcher. Bien sûr !
    M. Bruno Retailleau. J’entends déjà les objections – elles sont d’ailleurs sincères et viennent sans doute aussi du cœur – de tous ceux qui nous diront qu’il n’y a ni PMA ni GPA dans ce texte. (Mme Marie-Hélène Des Esgaulx s’exclame.) Mais en réalité, tout va se passer comme pour le PACS, voilà un peu plus de dix ans, dont on nous promettait qu’il serait une étape ultime !
    Mme Cécile Cukierman. Certains, qui le décriaient à l’époque, s’en félicitent aujourd’hui !
    M. Bruno Retailleau. Souvenez-vous de la déclaration d’Élisabeth Guigou ! Souvenez-vous, monsieur le rapporteur, de votre propre déclaration ! À l’époque, les mêmes qui, aujourd’hui, disent « jamais » trouveront à l’évidence les meilleurs arguments pour tout justifier au nom de l’égalité, de la générosité – parce que cela se fait dans d’autres pays… – et du progrès.
    Voilà où peut vous conduire cette ambition prométhéenne, cette toute-puissance juridique que vous voulez faire adopter par ce texte. Et je pense que, au bout de ce texte, il peut y avoir un risque, un précipice, celui de la fabrique d’enfants.
    C’est la raison pour laquelle vous avez le devoir de consulter les Français. Non seulement vous en avez le devoir, mais vous en avez aussi la possibilité juridique, et je voudrais m’attarder quelques instants sur ce point.
    Le recours au référendum est ici parfaitement conforme à l’esprit de la Ve République ainsi qu’à la lettre de la Constitution.
    L’esprit de la Ve République est bien entendu respecté puisque, d’après l’article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Et l’article 2 mentionne que le principe de la République est le « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».
    Le peuple a donc la plénitude – et j’insiste sur ce dernier mot – de la souveraineté démocratique. Il n’y a pas de domaine qui puisse échapper au droit souverain du peuple d’en décider par lui-même. On ne peut bâillonner le peuple ! On ne peut pas limiter le peuple !
    Mme Cécile Cukierman. Et qu’avez-vous fait pendant dix ans ?
    M. Bruno Retailleau. Du reste, depuis quand le mandataire aurait-il une compétence plus large que son mandant ? Cela ne tient pas.
    Conforme à l’esprit de la Ve République, le référendum est tout aussi conforme à la lettre de la Constitution.
    Je connais le prétexte, habile et fallacieux, que vous avez trouvé pour nous objecter un faux-semblant d’argument juridique : nous nous trouverions dans le champ du « sociétal » plutôt que dans celui du « social », et le sociétal n’est pas prévu par l’article 11 de la Constitution, celui qui traite du référendum.
    C’est un argument facile ! Mais c’est aussi un argument admirablement artificiel, et je vous en donnerai quelques raisons.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pourtant, le Conseil constitutionnel l’a dit alors que M. Jacques Toubon était garde des sceaux !
    M. Bruno Retailleau. Monsieur le président de la commission des lois, M. Toubon ne siège pas au Conseil constitutionnel !
    Le premier argument est tiré de la Constitution qui proclame la langue française, langue de la République. Or quelle définition l’Académie Française donne-t-elle du mot : « social » ? Je cite : « qui concerne la société ». Et qu’indique le dictionnaire, par exemple le Petit Robert,…
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pourquoi ne prenez-vous pas le Grand Robert ?
    M. Bruno Retailleau. … pour la définition du « sociétal «  ? Deux mots : « de la société ».
    Mes chers collègues, lorsque l’on remonte aux sources de la signification, les deux définitions se répondent en écho, car « sociétal » est un néologisme qui ne signifie rien d’autre que « social » ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce raisonnement est complètement spécieux ! Personne ne peut croire à cet argument ! Et l’on voit que vous n’y croyez pas…
    M. Bruno Retailleau. D’ailleurs, comment se lisent les effets de la réforme, sinon en termes d’impacts sociaux ? L’étude d’impact – le doyen Gélard en a parlé hier et d’autres auront l’occasion d’y revenir –, très lacunaire, ne recense guère que des effets sociaux – et non pas sociétaux – qui ont une incidence sur le code de l’action sociale et des familles, le code de la sécurité sociale, les droits sociaux parmi lesquels la retraite, les prestations familiales, la santé, etc.
    Dans ce texte figure bien l’adoption, qui est une compétence des conseils généraux. Et pourquoi est-ce l’une des compétences des conseils généraux ? Parce que le cœur de métier de ces derniers est assurément la compétence sociale ! Et vous voudriez nous faire croire qu’il n’est ici question que de « sociétal », et pas de « social », et ce alors même que ce texte prétend d’abord fonder ce qui pourrait être un autre ordre social ?
    M. François Rebsamen. Celui de l’égalité !
    M. Jean-Michel Baylet. Et de l’humanité !
    M. Bruno Retailleau. Mais il y a mieux pour interpréter le mot « social », c’est la Constitution de 1958 elle-même, dont le préambule renvoie à celui de la constitution de 1946 qui énonce : « Le peuple français […] proclame […] comme particulièrement nécessaires à notre temps, les principes politiques, économiques et sociaux ci-après : ».
    Que sont ces fameux principes sociaux ? Au dixième alinéa de ce préambule, je lis : « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » Il découle donc du préambule de la constitution de 1946 que le social recouvre, englobe et concerne bien le droit de la famille. C’est une évidence. Et vous voudriez nous faire croire que ce texte ne concerne ni la famille, ni l’adoption, ni le social ? Eh bien, constitutionnellement, c’est faux !
    J’en arrive aux articles 69 et 70 de la Constitution, qui concernent le Conseil économique, social et environnemental. Ce conseil est sorti de l’anonymat…
    M. Jean-Pierre Sueur. Voilà qui est très sympathique pour cette assemblée !
    M. Bruno Retailleau. … pour refuser la première pétition constitutionnelle de l’histoire de la Ve République, qui a tout de même réuni 720 000 signatures…
    Ce conseil qui est « social », comme l’indique sa dénomination, n’intègre pas moins de dix associations familiales dans sa représentation. Pour échapper à cette saisine, il s’est autosaisi sur un thème intéressant : « les évolutions contemporaines de la famille et leurs conséquences en matière de politiques publiques ».
    Or, si le CESE s’estime compétent pour les questions familiales, alors que le terme « social » figure dans sa dénomination, c’est bien que la famille renvoie au social, et que vous ne pouvez vous cacher derrière le « sociétal » sauf à considérer qu’il s’agit d’un faux argument pour ne pas avoir à donner la parole au peuple.
    Pourtant, le Président de la République devrait y réfléchir à deux fois.
    M. Gérard Larcher. Oui !
    M. Bruno Retailleau. En effet, seule une loi référendaire, si elle était votée, lui permettrait de surmonter deux obstacles majeurs.
    Le premier obstacle, dont nous avons parlé hier, tient à l’article 55 de notre Constitution qui confère aux traités ou accords internationaux une autorité supérieure à celle de la loi ordinaire. Comment allez-vous vous y prendre avec les innombrables conventions et accords bilatéraux ou multilatéraux qui traitent justement de la filiation ou du mariage ? Vous connaissez comme moi, madame la garde des sceaux, la jurisprudence de la Cour internationale de justice. Vous savez aussi quelle interprétation on donne à l’article de la convention de Vienne qui concerne l’interprétation des traités, quelle est l’importance du sens des mots ! Les choses sont claires, et je pense qu’il s’agit ici de l’une des difficultés majeures présentées par le texte.
    L’autre difficulté est l’inconstitutionnalité de ce texte. Jean-Jacques Hyest, notamment, y reviendra tout à l’heure. Selon moi, cette réforme fait violence à notre identité constitutionnelle, et plus particulièrement à ce que les juristes appellent « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Je pense, avec beaucoup d’autres juristes, que le mariage et la filiation en font partie. C’est tout particulièrement le cas pour la filiation, car il existe un lien indissociable entre sa définition et le régime de protection que le législateur, au-delà de notre République, a toujours tenu à lui apporter.
    Vous le voyez, les arguments juridiques ne manquent pas ; mais, au bout du compte, l’affaire est politique puisque c’est au Président de la République d’en décider, et l’on sait depuis 1962 qu’il n’aura aucun contrôle, pas même celui du Conseil constitutionnel qui se refuse à examiner la constitutionnalité des lois adoptées par référendum.
    Cette question est évidemment de nature politique, car elle concerne les Français d’aujourd’hui et de demain, les nouvelles générations... On ne saurait remettre en cause notre pacte social avec une simple loi ordinaire, au gré d’une majorité parlementaire nécessairement éphémère au regard des générations successives.
    Si François Hollande, en s’exprimant au Congrès des maires, a parlé de « liberté de conscience », c’est bien que les circonstances sont d’une gravité exceptionnelle, bien plus qu’avec le cumul des mandats,…
    Mme Cécile Cukierman. Il ne faut pas tout mélanger !
    M. Bruno Retailleau. … sujet que le premier secrétaire du Parti socialiste, M. Harlem Désir – personnage considérable puisqu’il a succédé à François Hollande –, voudrait pourtant porter devant les Français pour qu’ils en décident par la voie du référendum.
    Les Alsaciens sont d’ailleurs appelés à se prononcer dimanche prochain par référendum sur la création d’une collectivité unique qui, je l’espère, verra le jour. Pourquoi organiser un référendum sur ces questions et pas sur le pacte social ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. François Zocchetto et Hervé Maurey applaudissent également.)
    Avec le référendum, mes chers collègues, vous avez une occasion unique de donner la preuve que le peuple compte pour vous : un peuple qui ne comprend pas que vous vouliez la parité partout sauf là où elle est indispensable (Exclamations sur les travées de l’UMP.) ; un peuple et des élus qui ne comprennent pas que l’on brandisse à tout bout de champ le principe de précaution…
    Mme Cécile Cukierman. Il ne faut pas tout mélanger !
    M. Bruno Retailleau. … pour des sous-espèces protégées de tritons, par exemple, mais que l’on abandonne toute prudence lorsque des pédopsychiatres nous mettent en garde ; un peuple que vous ne voulez pas entendre quand il défile par centaines de milliers dans la rue !
    M. François Rebsamen. Là, c’est limite…
    M. Bruno Retailleau. M. Hollande devrait se souvenir de l’anaphore : « Moi, Président de la République, je ne diviserai pas les Français ! »
    Mme Cécile Cukierman. Justement, on les rassemble avec ce texte !
    M. Bruno Retailleau. Il a une occasion de les réconcilier par le référendum. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Vous avez une occasion de montrer que le socialisme n’est pas devenu qu’un néolibéralisme libertaire, comme le dit Laurent Bouvet dans son excellent livre Le Sens du peuple : La gauche, la démocratie, le populisme.
    M. François Rebsamen. Nous ne sommes pas d’accord avec lui !
    M. Bruno Retailleau. Il n’est pas trop tard : revenez au peuple, revenez à la réalité, revenez aux sources de la République et de la démocratie !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
    M. Bruno Retailleau. Organisez ce référendum, monsieur le Président de la République ! Oui, Mme la garde des sceaux a raison, il s’agit bien d’une réforme de civilisation,…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Oui !
    M. Bruno Retailleau. … et on ne change pas subrepticement de civilisation par une loi ordinaire, au gré des majorités parlementaires passagères ! (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP se lèvent et applaudissent longuement. – Les membres de l’UDI-UC applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je m’en tiendrai à des propos plus juridiques que lyriques. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Mauvais joueur !
    M. Gérard Longuet. À l’impossible, nul n’est tenu !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission des lois s’est réunie ce matin à neuf heures trente et s’en est remis, sur cette motion, à la sagesse du Sénat. Toutefois, à titre personnel, je vous invite à la rejeter, pour des raisons de fond et de forme.
    Sur le fond – et vous le savez tous aussi bien que moi –, les questions sur lesquelles portent le projet de loi n’entrent pas dans le champ de l’article 11 de la Constitution. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Gérard Larcher. M. Retailleau a démontré le contraire !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Pas du tout !
    Il ne s’agit pas de procéder par affirmation et par tautologie pour répondre aux questions constitutionnelles !
    Le champ du référendum a été étendu en 1995, et il était bien clair dans l’esprit des constituants et du garde des sceaux de l’époque que celui-ci n’englobait pas ce que l’on appelle les problèmes de société. La Constitution a d’ailleurs été modifiée ultérieurement, notamment en 2008, sur proposition du précédent président de la République. Vous avez voté en faveur de cette modification, contrairement à nous. Vous avez alors voté l’extension du champ de l’article 11 aux réformes relatives à la politique environnementale.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. À une large majorité !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mais pourquoi n’avez-vous pas englobé les réformes de société ? (Vives protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela y était déjà !
    M. Jean-Pierre Michel. Madame Des Esgaulx, ne soyez pas de mauvaise foi !
    M. Bruno Sido. C’est vous qui êtes de mauvaise fois ! C’est incroyable !
    M. Charles Revet. Vous ne voulez pas entendre raison !
    M. François-Noël Buffet. C’est le texte !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … alors que le problème s’était déjà posé lors de la réforme de l’école et que, à ce moment-là, il avait clairement été dit que le recours au référendum n’était pas possible ?
    Un sénateur du groupe UMP. Pinocchio !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La question n’a pas été soulevée pour des réformes importantes comme la filiation, l’avortement, etc., mais elle l’avait été dans le passé. En 2008, lorsque vous avez étendu le champ de l’article 11 aux réformes relatives à la politique environnementale, pourquoi ne pas avoir ajouté tout simplement : « et aux réformes de société » ?
    M. François Rebsamen. Voilà !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Vous ne l’avez alors pas voulu, c’est tout !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’était pas le problème !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Dans ces conditions, pourquoi le demandez-vous aujourd’hui ?
    Cette motion n’est pas non plus fondée en opportunité : franchement, sommes-nous en démocratie parlementaire, oui ou non ?
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Le peuple a toujours raison !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Le peuple a toujours raison ; il s’exprime par la voie de ses représentants…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … et, à titre accessoire, supplémentaire, par référendum. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça, ça ne marche pas !
    M. Gérard Larcher. Le référendum est « accessoire » ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, si les élus du peuple que vous êtes me disent que nous ne sommes pas dans une démocratie parlementaire et que le peuple ne s’exprime pas d’abord par nous,…
    M. François-Noël Buffet. Le peuple est « accessoire » ?
    Mme Cécile Cukierman. Personne ne dit cela ! C’est injurieux !
    M. François Rebsamen. Il n’a pas dit cela !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne déformez pas mes propos !
    … alors, nous sommes dans une autre république, une république censitaire. Dans ce cas, il faut réformer totalement nos institutions.
    Le débat, qui aurait pu au demeurant être abordé plus longuement pendant la campagne présidentielle, a eu lieu à l’Assemblée nationale ; il a lieu au Sénat ; il a lieu ailleurs. (Où ? sur les travées de l’UMP)
    M. Christophe Béchu. « Ailleurs » ?
    Mme Catherine Troendle. Où, ailleurs ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Madame Troendle, je sais combien vous êtes attachée aux institutions de la Ve République : nous sommes ici par la volonté du peuple, et c’est nous qui légiférons (Exclamations sur les travées de l’UMP.) ! Ce n’est pas l’ « ailleurs » qui va légiférer !
    Par conséquent, mes chers collègues, à titre personnel, je vous invite à repousser cette motion référendaire, même si la commission des lois s’en remet à la sagesse du Sénat, puisqu’il y a eu en son sein une égalité parfaite de vote.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Voilà ! Il fallait le dire !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je voudrais ajouter un seul point de fond, même si cela dépasse un peu le cadre de cette discussion.
    Monsieur Retailleau, j’ai apprécié votre intervention. (Ah !... Nous aussi ! sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Claude Gaudin. Ce n’est pas tous les jours !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je dois néanmoins ajouter, comme je l’ai dit hier dans mon intervention à la tribune, au nom de la commission des lois, que ce texte est aussi dans l’intérêt des enfants (Ah non ! sur les travées de l’UMP.),…
    MM. Bruno Sido et Charles Revet. Pas du tout !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … notamment de ceux que vous ignorez peut-être, monsieur Sido, même si vous présidez un conseil général, de ceux qui, si ce texte n’était pas adopté, n’auraient pas les mêmes droits que les autres enfants. Pour quelles raisons ferait-on porter à ces enfants le poids de l’union de leurs parents ?
    M. Gérard Longuet. L’absence d’union de leurs parents !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ce texte est donc aussi dans l’intérêt de ces enfants, bien souvent traumatisés par le regard social qui est porté sur eux. Il suffit, mes chers collègues, de se rendre dans les lieux qui accueillent ces enfants – je l’ai fait à Montpellier, à Paris –, au bord du suicide, exclus par leurs parents…
    M. François Rebsamen. Bien sûr !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Convenez que ce projet de loi, même si vous êtes contre, est aussi dans l’intérêt de ces enfants.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, la commission des lois s’en remet à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme Annie David.
    Mme Annie David. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous ne voterons pas cette motion référendaire.
    M. Gérard Longuet. Nous sommes déçus !
    Mme Annie David. En effet, depuis longtemps, la gauche, dont le parti communiste français,…
    M. Bruno Sido. Il existe encore ?
    Mme Éliane Assassi. Les remarques gratuites, ça suffit !
    Mme Annie David. … s’est exprimée en faveur de l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Ainsi, pour ce qui nous concerne, c’est un sujet sur lequel nous travaillons depuis des décennies avec de nombreuses associations et organisations qui militent pour la dignité de la personne humaine et l’égalité des droits.
    Nous sommes donc très satisfaites et très satisfaits qu’un projet de loi soit enfin présenté devant le Parlement. Les sénatrices et les sénateurs de mon groupe sont très fiers de contribuer à son adoption, car ce texte est attendu, contrairement à ce que certaines et certains se plaisent à propager, par un très grand nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens, qui, par ailleurs, n’oublient pas que la droite n’a même pas osé poser les termes du débat.
    Nous nous félicitons donc que la gauche se saisisse de cette question avec courage et détermination, respectant ainsi la promesse faite devant le peuple – eh oui, mes chers collègues, le peuple compte pour la gauche ! –,…
    M. Charles Revet. Vous allez donc voter la motion référendaire !
    Mme Annie David. … la promesse faite devant les électrices et les électeurs lors des élections présidentielle et législatives, l’an dernier, qui ont donné une majorité de gauche pour gouverner notre pays.
    M. Gérard Longuet. Ils ont également promis la PMA !
    Mme Annie David. Donc, oui, le peuple est entendu !
    Élue au printemps dernier, la gauche a toute légitimité pour tenir cette promesse sans avoir à passer par un référendum.
    Sur cette question, comme sur beaucoup de questions sociétales, il ne devrait pas y avoir de clivages politiques. À gauche comme à droite, nous devons toutes et tous être à l’écoute de ces femmes, de ces hommes et de leurs enfants, mais aussi de tous nos jeunes adolescents en souffrance, qui ne demandent qu’à sortir de l’injustice qui leur est faite afin de se sentir enfin égaux en droits et en dignité.
    Il s’agit simplement d’une question d’humanité marquée par le sceau du progrès.
    Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne voterons pas les différentes motions qui ont été déposées sur ce texte. La motion référendaire, de surcroît, est dépourvue de toute consistance juridique et n’a d’autre but que de retarder l’adoption de ce projet de loi.
    M. Roland du Luart. Vous avez mal lu, ou mal écouté !
    Mme Annie David. Quoi qu’en dise M. Bruno Retailleau, dont l’argumentation est des plus fallacieuses,…
    M. Jackie Pierre. « Des plus fallacieuses » ?
    Mme Annie David. … juridiquement, cette motion n’a pas de sens dès lors que l’article 11, premier alinéa, de la Constitution limite expressément le champ d’utilisation du référendum à des sujets précis, à savoir « l’organisation des pouvoirs publics » – il ne s’agit pas là d’un texte relatif à l’organisation des pouvoirs publics ! –, les « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent » – le texte n’entre pas non plus dans cette catégorie ! (Vives protestations sur les travées de l’UMP.) –…
    Mme Catherine Troendle. Il s’agit bien d’une réforme sociale !
    Mme Annie David. … et « la ratification d’un traité qui […] aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
    Il s’agit bien d’un changement de société, et donc d’un thème sociétal et non pas social. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Christian Cambon. La belle explication !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien, madame David !
    Mme Annie David. À l’évidence, comme le soulignent un grand nombre de constitutionnalistes, le projet de loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels n’entre dans aucune de ces catégories, et je pense que le groupe UMP compte suffisamment de constitutionnalistes…
    M. Jean-Claude Gaudin. Nous avons les meilleurs !
    M. Charles Revet. Justement, cela a été démontré hier excellemment !
    Mme Annie David. … pour ne pas mettre en doute cette affirmation.
    En l’occurrence, je le répète, il s’agit non pas d’un sujet de politique sociale, mais plutôt d’une réforme sociétale du code civil.
    Pour vous donner un élément de comparaison et sans doute pour vous rafraîchir quelque peu la mémoire, la réforme des retraites était véritablement un sujet de politique économique et sociale, tout comme l’était d’ailleurs la votation citoyenne pour exiger un grand service public de La Poste. Je ne me souviens pas qu’il y ait eu un référendum sur ces sujets majeurs,…
    Mme Éliane Assassi. Eh oui, souvenez-vous !
    Mme Catherine Troendle. Pourquoi ne l’avez-vous pas demandé ?
    Mme Annie David. … alors qu’ils avaient mobilisé plus d’un million de manifestants pour le premier et plus de deux millions de votants pour le second. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. – Mme Esther Benbassa applaudit également.) Vous ne les aviez pas entendus, vous aviez alors fait le choix de les ignorer, tout comme vous aviez repoussé les motions référendaires que nous avions déposées et qui pourtant, elles, étaient juridiquement justifiées, contrairement à celle-ci.
    Enfin, argument supplémentaire s’il en était besoin, la possibilité d’un référendum d’initiative partagée, en principe autorisé par la réforme constitutionnelle de 2008, n’est pas envisageable – et vous le savez fort bien – tant que la loi organique qui doit permettre son entrée en vigueur n’est pas adoptée dans des conditions qui permettraient qu’un projet comme celui-ci lui soit soumis.
    Mme Cécile Cukierman. Et vlan !
    Mme Annie David. Vous l’aurez compris, mesdames les ministres, mesdames et messieurs les sénateurs, les membres du groupe communiste républicain et citoyen ne voteront pas cette motion référendaire. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. Hervé Marseille.
    M. Hervé Marseille. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en rejoignant le Sénat ce matin pour poursuivre nos travaux, je réfléchissais à notre rôle, à la responsabilité qui est la nôtre au moment où notre pays traverse une tourmente économique, politique également, mais surtout sociale : déficit des comptes publics, qui explosent, accumulation des dettes, dégradation incessante de la situation de l’emploi.
    Nombreux sont les Français durement affectés par les conséquences de la crise qui sévit. On leur demande, y compris aux plus humbles d’entre eux, de faire beaucoup d’efforts afin de relever ces défis. Lorsqu’ils s’informent à la télévision ou à la radio sur les moyens mis en œuvre par le Gouvernement pour sortir la France de l’ornière, nos concitoyens observent des choses un peu irréelles.
    L’ordre du jour dicté par le Gouvernement au Parlement nous conduit à discuter des dates mémorielles, à modifier les modes de scrutin, à revoir le découpage des cantons, à modifier les dates électorales, enfin à mobiliser – ou plutôt à diviser – le pays sur la question du mariage homosexuel, lequel est élevé au rang de priorité.
    Comment ces Français – à Florange, chez Goodyear à Amiens, chez Peugeot, chez Renault, chez Alcatel – peuvent-ils nous juger ? Était-il si urgent de traiter ce sujet alors que les familles françaises font face à des problèmes si importants ?
    On nous dit qu’il s’agit là de mettre en œuvre une promesse du candidat Hollande, aujourd’hui Président de la République. Or ce n’est pas la seule promesse qu’il a faite, et ce n’est certainement pas la plus urgente.
    Nombre de nos concitoyens sont inquiets. Ils le sont d’autant plus que ce n’est pas tant l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe qui les préoccupe que ce que cela pourrait cacher. Quelle sera la place de l’enfant dans ce nouveau dispositif ? Mme Bertinotti nous a dit que M. le Président de la République s’était engagé sur le mariage et sur l’adoption, rien que sur le mariage et l’adoption ; mais un aspect reste très flou : la procréation médicalement assistée.
    Au moment où la parole publique est sérieusement déconsidérée, je vous rappelle que le 31 mars 2012, aux Folies Bergère – cela ne s’invente pas ! –, Mme Vallaud-Belkacem, alors porte-parole officielle du candidat Hollande,…
    M. François Rebsamen. C’est un argument limite, ça !
    Mme Cécile Cukierman. C’est border line !
    M. Hervé Marseille. … détaillait son programme devant les participants au meeting pour l’égalité organisé par les associations homosexuelles. Elle a clairement annoncé l’ouverture de la PMA avec donneur anonyme à tous les couples, sans discrimination, comme l’ont déjà fait les socialistes belges et espagnols. Elle précisait même le calendrier de cette réforme, laquelle devait intervenir au printemps 2013. Nous y sommes.
    Ce texte est donc ambigu. Beaucoup le redoutent, beaucoup le combattent.
    La question de la PMA a été renvoyée au projet de loi sur la famille annoncé pour le mois d’octobre. Le Comité consultatif national d’éthique a été saisi, son avis est attendu.
    Peut-on vraiment séparer la PMA du mariage pour tous ? Nous ne le pensons pas. Le projet de loi étend aux couples de personnes de même sexe le bénéfice des dispositions relatives à l’adoption plénière – c’est l’article 345-1 du code civil –, qui prévoit que l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint.
    Cette situation est celle dans laquelle va se trouver l’enfant conçu par un couple de femmes au moyen d’une PMA réalisée à l’étranger. Dans cette hypothèse, l’enfant voit sa filiation établie à l’égard de celle des deux femmes qui l’a mise au monde. La branche paternelle de sa filiation est donc vacante. Dès lors, en raison de l’anonymat du don de sperme, l’enfant peut être adopté, au sens de l’article 345-1 du code civil.
    Alors, quand bien même le projet de loi sur la filiation ne remettrait pas en cause l’altérité sexuelle comme condition d’accès à la PMA, le mécanisme de l’adoption permettrait aux couples qui le voudront et qui le pourront de contourner la loi.
    Enfin, on peut estimer que la Cour européenne des droits de l’homme n’acceptera pas que des personnes se trouvant dans des situations identiques soient traitées différemment. Si les couples hétérosexuels mariés peuvent accéder à la PMA, refuser cet accès aux couples homosexuels sera alors susceptible d’être considéré comme une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
    Vous nous assurez que la liberté des adultes est un principe absolu et que les règles de procréation sont sources de discrimination. La suite logique – nous la connaissons, et cela a été dit à de nombreuses reprises par différents orateurs–, c’est l’accès à la PMA. Il faut donc dire les choses clairement aux Français. Dans ces conditions, le référendum peut leur permettre de s’exprimer sur un sujet qui touche au plus profond de notre société.
    Des voies de convergence étaient possibles, mesdames les ministres.
    M. Jean-Michel Baylet. Pas tellement, tout de même !
    M. Hervé Marseille. Nous aurions pu converger vers un peu plus de reconnaissance des droits des couples homosexuels et instaurer un engagement d’union civile, mais vous l’avez refusé.
    C’est l’honneur de la République que de chercher à dégager des positions aussi partagées que possible. Nous en avons été capables parfois, après des débats importants, forts. Cela a ainsi été le cas sur les questions de la fin de vie ou du port du voile à l’école. Le débat a été fort, il continue de l’être.
    Aujourd’hui, il y a plus d’affrontements que de débat, car ce débat, vous l’avez abordé comme un rapport de forces.
    Ainsi, monsieur le rapporteur, avez-vous répondu au philosophe Thibaud Collin, lors de son audition par la commission, après qu’il eut rappelé le texte liminaire de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui prévoit que le mariage civil s’inscrit dans un ordre humain, universel, fondé sur le partage d’une nature humaine commune : « Ce qui est juste, c’est ce que dit la loi. Et celle-ci ne se réfère pas à un ordre naturel, mais à un rapport de force à un moment donné ». Vous concédiez ensuite : « C’est le point de vue marxiste. Je provoque un peu. », mais je crois que vous le pensiez réellement.
    Le référendum peut être une façon de sortir par le haut. L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe était un engagement présidentiel, nous dit-on. C’est vrai. Cela signifie-t-il qu’il faille adopter les engagements sans en discuter ? Mais alors, que faisons-nous ici ? Dans ce cas, ce n’est pas la peine de réunir le Parlement ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
    Un référendum, ce n’est pas la victoire d’une majorité sur une autre. C’est simplement le verdict populaire sur un sujet qui concerne tous les Français.
    Mme David a avancé des arguments juridiques, indiqué qu’il s’agissait d’un débat sociétal, et pas vraiment d’un débat de société.
    Mme Annie David. Je n’ai pas dit que ce n’était pas un débat de société, au contraire !
    M. Hervé Marseille. Pensez-vous que le Conseil constitutionnel irait jusqu’à censurer la demande du Président de la République visant à consulter les Français sur un sujet aussi important ?
    M. Christian Cambon. Bien sûr que non !
    M. Hervé Marseille. Pour notre part, nous ne le pensons pas.
    Au demeurant, certains dans votre majorité envisageaient un référendum sur le cumul des mandats ou le vote des étrangers afin de connaître l’avis des Français.
    M. Gérard Longuet. Absolument !
    M. Hervé Marseille. Sur un sujet tel que celui-ci, comment ne pas demander l’avis des Français ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
    Il ne faut pas craindre le verdict populaire. Sur un sujet tel que celui-ci, sur lequel autant de Français sont mobilisés, chacun doit être consulté. Tel est le souhait du groupe UDI-UC. Prendre le train de l’histoire, ce n’est pas continuer de débattre ici, c’est consulter les Français sans attendre ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. Jean-Claude Gaudin. Bravo !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
    M. Jean-Michel Baylet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nos collègues de l’opposition ont choisi de déposer une motion tendant à soumettre au référendum ce projet de loi, en application de l’article 67 de notre règlement, qui renvoie aux dispositions de l’article 11 de la Constitution.
    C’est leur droit le plus absolu.
    M. Bruno Sido. Merci !
    M. Jean-Michel Baylet. Nous ne voulons pas nous opposer au principe même de l’utilisation de cet outil juridique, qui permet de demander au Président de la République, sur proposition conjointe des deux assemblées, de soumettre un projet de loi à référendum.
    À ce stade, mes chers collègues, le dépôt de cette motion peut être interprété de deux façons. Les plus mal intentionnés – ce n’est pas mon cas, je vous rassure ! – n’y verront qu’un moyen de faire de l’obstruction parlementaire, une façon d’épuiser jusqu’à la lie toute la panoplie qu’offre le droit parlementaire sachant que, in fine, seul le vote du Sénat comptera et que la majorité…
    M. Bruno Sido. Quelle majorité ?
    M. Jean-Michel Baylet. … aura le dernier mot.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous avez raison !
    M. Jean-Michel Baylet. S’agirait-il alors de faire traîner en longueur les débats en grignotant une demi-journée supplémentaire dans le temps – déjà très long, reconnaissez-le – qui nous est imparti pour examiner ce texte ?
    Mme Cécile Cukierman. Nous verrons ce soir à vingt-deux heures, après le départ du dernier TGV, combien nous serons en séance !
    M. Jean-Michel Baylet. Je rappelle au passage que la Chambre des communes britannique n’a mis qu’une journée, le 5 février dernier, pour adopter l’ouverture du mariage aux homosexuels (Exclamations sur les travées de l’UMP.),…
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela n’a rien à voir !
    M. Jean-Michel Baylet. … à une large majorité, laquelle dépassait d’ailleurs les clivages politiques habituels. J’ai évoqué également hier l’Uruguay, où certains sénateurs de l’opposition ont joint leurs voix à celles de leurs collègues de la majorité pour créer le mariage pour tous.
    Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui intenteront aux auteurs de cette motion – et je respecte leur initiative – un procès d’intention, car leur cause est de toute façon perdue d’avance.
    L’autre façon d’interpréter le dépôt de cette motion est d’y voir une volonté démocratique, celle de permettre au peuple de se prononcer lui-même, par le biais d’une procédure de démocratie directe et d’expression de la souveraineté nationale, sur une question qui concerne chacun d’entre nous. Ce vœu est légitime, même s’il traduit une opinion qui n’est ni la mienne ni celle de la majorité de la Haute Assemblée. À cet égard, nous serons fixés dans quelques instants.
    Faut-il toutefois souligner que les auteurs de cette motion sont les mêmes que ceux qui ont soutenu un gouvernement ayant mis près de quatre ans à inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale le projet de loi organique relatif à l’organisation du référendum d’initiative partagée ? Je ne me souviens pas, chers collègues de l’opposition, vous avoir entendu faire preuve de la même ardeur qu’aujourd’hui pour défendre la consultation populaire. (Eh oui ! sur les travées du groupe CRC.)
    Je note avec le même étonnement que les auteurs de cette motion, qui se réfèrent au droit du peuple à se prononcer directement sur l’adoption d’une loi, sont les mêmes qui, hier, niaient au peuple ce même droit, s’arc-boutaient sur le fait majoritaire et refusaient d’écouter le grondement de la rue, car « ce n’est pas la rue qui gouverne », nous disaient-ils alors !
    Mme Françoise Laborde. Eh oui !
    M. Jean-Michel Baylet. Contrat première embauche, privatisation de La Poste, réforme des retraites, démantèlement des services publics : depuis dix ans, les exemples de surdité de l’ancienne majorité ne manquent pas, et sa mémoire sélective a de quoi surprendre… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) C’est peut-être ce que l’on nomme la résilience !
    Mes chers collègues, toutes les opinions sur ce projet de loi sont éminemment respectables, à condition, bien sûr, qu’elles respectent les droits des citoyens, notamment des personnes homosexuelles.
    Cependant, les raisons qui sous-tendent cette motion ne me paraissent pas recevables, loin s’en faut, et ce pour plusieurs raisons.
    « L’adoption de cette motion référendaire aboutirait en effet à empêcher les sénateurs de s’exprimer et de débattre, alors que ce travail leur revient » : ainsi s’exprimait notre collègue Gérard Longuet le 4 novembre 2009 pour s’opposer à la motion référendaire déposée par les sénateurs de gauche sur le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. On n’allait pas consulter le peuple sur La Poste, enfin !
    Un sénateur du groupe UMP. Cela n’a rien à voir !
    M. Jean-Michel Baylet. Si, cela a à voir ! Un référendum, c’est un référendum ! Et, en la circonstance, la Constitution offrait une telle possibilité !
    Mes chers collègues, le Sénat, sa commission des lois et sa commission des affaires sociales, ont beaucoup œuvré, et je salue une nouvelle fois le remarquable travail de notre rapporteur : plus de cinquante heures d’auditions de personnalités de tous bords et près de dix heures de travail en commission ont contribué à une réflexion nourrie et approfondie pour aboutir à un texte juridiquement irréprochable.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous vous avancez peut-être un peu trop !
    M. Jean-Michel Baylet. Surtout, le Sénat, tout comme l’Assemblée nationale, est dans son droit le plus strict lorsqu’il s’agit d’examiner un texte de cette importance, à l’instar de tous les projets de loi d’ailleurs. Nous, sénateurs, sommes constitutionnellement des législateurs de plein exercice, légitimés par le suffrage de nos électeurs.
    Mme Cécile Cukierman. Exactement !
    M. Jean-Michel Baylet. Nous sommes d’ailleurs d’autant plus confortés sur ce point que, en tant que représentants des collectivités territoriales, nous portons la voix des maires, lesquels seront demain amenés à célébrer des mariages entre personnes de sexe différent ou de même sexe. Nous sommes donc, mes chers collègues, pleinement dans notre rôle en débattant de ce projet de loi.
    Les Radicaux de gauche n’ont historiquement jamais été enclins à céder aux sirènes référendaires, dont l’histoire ravive le funeste souvenir de la consultation plébiscitaire et du tropisme autoritaire.
    Nous n’avons pas peur de l’avis du peuple,…
    Un sénateur du groupe UMP. Ah bon ?
    M. Jean-Michel Baylet. … bien au contraire, puisque nous en procédons. Mais nous faisons confiance en premier lieu à la démocratie représentative, qui assoit les conditions d’une délibération collective légitime, sereine et approfondie, qui donne sa pleine force à la loi de la République !
    Adopter cette motion référendaire signifierait par conséquent consentir à nous déposséder d’une compétence qui nous est reconnue par la Constitution et que nous aspirons à exercer pleinement, en toute responsabilité. Ce serait aussi légiférer sous la pression de groupes d’opinion, de groupes de pression, radicalisés pour certains, qui sont loin d’être aussi représentatifs que ce qu’ils proclament.
    Mes chers collègues, nous devons donc demeurer libres de nos votes et ne pas ressusciter le mandat impératif. Les sondages, pas plus que les manifestants, ne doivent pas présider aux destinées de notre pays !
    Enfin, ce serait omettre que, dans une décision de 2011, portant sur la question précise du mariage des homosexuels, le Conseil constitutionnel a clairement énoncé qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur, lequel avait donc pleine compétence pour modifier ou non la législation, la Constitution ne prohibant pas, vous le savez, le mariage pour tous.
    Je souhaite, par ailleurs, rappeler que l’article 67 du règlement du Sénat dispose que les motions tendant à soumettre au référendum un projet de loi doivent porter sur les matières définies à l’article 11 de la Constitution : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, la ratification d’un traité qui aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.
    À l’évidence, le présent projet de loi, madame la garde des sceaux, n’entre dans aucune des catégories mentionnées par l’article 11 de la Constitution. (M. André Reichardt s’exclame.)
    M. Jean-François Husson. Bien sûr que si !
    M. Jean-Michel Baylet. Que vous le vouliez ou non, mes chers collègues, l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe est une question de société, et non une question sociale comme vous tentez de le montrer.
    M. Charles Revet. C’est jouer sur les mots !
    M. Jean-Michel Baylet. Je le répète : c’est une question de société, et non une question sociale !
    À ce propos, on peut rappeler que, lors des débats sur la réforme constitutionnelle de 1995, Jacques Toubon – vous le connaissez bien, chers collègues de l’opposition –, alors garde des sceaux, avait expliqué que le gouvernement de l’époque avait choisi sciemment de limiter l’extension du champ d’application du référendum aux questions économiques et sociales, les questions de droit civil, telles que celles qui nous réunissent aujourd’hui, s’en trouvant de jure exclues.
    En effet, le référendum ne saurait être un instrument de démagogie. Cela risquerait de nous faire ouvrir la boîte de Pandore : nous n’en maîtriserions pas les conséquences, et nous le regretterions tous.
    L’exemple de nos voisins suisses doit nous éclairer et nous inciter à une grande modération dans les actes politiques qui engagent la vie de la nation. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est un mauvais exemple !
    M. Jean-Claude Lenoir. Les Suisses votent tous les dimanches…
    M. Bruno Sido. Faites preuve de modération !
    M. Jean-Michel Baylet. Mais nous sommes d’une grande modération, cher collègue, quand nous accompagnons l’évolution de la société !
    Surtout, les radicaux de gauche et la plupart de leurs collègues du RDSE s’opposent à cette motion référendaire car ils considèrent qu’elle ne va pas dans le sens du progrès social que permet le présent projet de loi.
    On nous dit que nous restons sourds aux clameurs des manifestants. C’est oublier – mes chers collègues, vous avez la mémoire courte ! – que près de 18 millions de voix se sont portées sur la candidature de François Hollande, qui avait clairement affiché… (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Christian Cambon. Ce n’est pas vrai !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Son engagement ne portait pas sur la filiation !
    M. Jean-Michel Baylet. Écoutez la phrase en entier, chers collègues de l’opposition. Vous poussez des hurlements sans même savoir ce que je vais dire ! (Sourires sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
    François Hollande, donc, avait clairement indiqué, dans son programme, qu’il ouvrirait le mariage et l’adoption aux personnes de même sexe.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La filiation, non !
    M. Jean-Michel Baylet. Nos concitoyens ont donc exprimé leur choix en toute connaissance de cause.
    Mme Catherine Troendle. Et les 60 % de Français hostiles à l’adoption ?
    M. Jean-Michel Baylet. Il en est ainsi de la démocratie et des élus de la République, qui s’honorent, même si cela peut vous sembler bizarre, de transformer leurs paroles en actes. Notre choix est donc responsable.
    Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nos débats l’ont déjà clairement montré hier : l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe est un acte fort pour l’égalité des citoyens, mais aussi pour la justice et la liberté. (M. Jean Bizet s’exclame.)
    Il n’appartient pas à la puissance publique d’imposer un modèle de famille, lequel relève d’ailleurs davantage, aujourd’hui, du mythe nostalgique que de la réalité des faits.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !
    M. Jean-Michel Baylet. Il lui appartient, en revanche, de s’assurer que chacun peut s’épanouir librement dans la dignité et le respect des valeurs de la République.
    M. Jean-Claude Gaudin. Cela suffit !
    M. Jean-Michel Baylet. Le présent projet de loi marque donc un progrès social, attendu depuis longtemps par des milliers de nos compatriotes et sur lequel nous avons reçu du peuple le mandat de nous prononcer, en bâtissant un texte juridiquement irréprochable.
    Sur ce point, d’ailleurs, comment un référendum portant sur des questions aussi techniques que la dévolution du nom de famille ou les modalités de l’adoption simple ou plénière pourrait-il être compréhensible pour nos compatriotes non initiés aux arcanes du droit ?
    Je le disais hier à cette tribune, je le répète aujourd’hui avec force : le mariage, ainsi que la famille, sont, depuis deux siècles, en perpétuel mouvement, évoluant avec les transformations de la société et la maturation des mentalités, qui font reculer, et c’est heureux, le conservatisme moral. Contrat civil et institution sécularisée, le mariage n’a plus l’apanage de la légitimation sociale de la famille. Il suffit pour vous en convaincre, mes chers collègues, d’aller à la rencontre de nos concitoyens et de leur famille – cela doit vous arriver de temps en temps –, dont les situations sont aussi multiples que changeantes.
    Ce projet de loi est aussi une victoire du combat politique pour la reconnaissance des droits et libertés des homosexuels. J’ai bien conscience qu’il reste beaucoup de travail pour que disparaissent les discriminations à leur égard.
    Je sais, madame la garde des sceaux, que nous pouvons compter sur votre engagement, votre détermination et votre courage, que vous avez déjà eu l’occasion de démontrer. Cependant, je ne doute pas que l’ouverture du mariage et de l’adoption pour les couples de personnes du même sexe contribuera à changer les mentalités, en banalisant une question relevant, d’abord, de la vie privée, et en faisant disparaître le curseur de l’orientation sexuelle de la représentation sociale des homosexuels.
    Ceux qui, hier, s’opposaient au PACS en stigmatisant la destruction des fondements de la société et le début de la « décadence » en sont aujourd’hui les thuriféraires les plus accomplis, si j’en juge par les amendements qu’ils ont déposés sur le présent texte. Tant mieux ! Cela prouve que, même dans l’opposition, on peut évoluer. Il serait donc dommage, chers collègues, que nous ne puissions vous entendre développer vos arguments sur cette question, si d’aventure cette motion venait à être adoptée.
    Dans tous les cas, je ne doute pas que vous, qui vous opposez aujourd’hui au mariage pour tous, y serez demain aussi indifférents que vous l’êtes actuellement au PACS. Ce sera alors, mes chers collègues, la plus belle des consécrations pour le droit des homosexuels, mais aussi pour l’universalisme et le progrès, qui font de la République notre bien commun le plus précieux.
    C’est parce que nous défendons ces valeurs républicaines et humanistes que nous nous prononcerons contre cette motion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
    Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un jeune public est présent dans nos tribunes. J’espère que mes propos, qui pourront déplaire, ne choqueront personne. J’aimerais donc que l’on puisse s’entendre pour que ces futurs citoyens qui nous regardent n’aient pas une vision trop négative de nos travaux. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Au contraire !
    M. Gérard Longuet. Vous n’êtes pas maîtresse d’école, madame !
    Mme Corinne Bouchoux. En effet, je ne le suis plus, cher collègue.
    En ce premier jour de l’opération Sidaction 2013, je voudrais, tout d’abord, rendre hommage aux personnes que j’ai croisées dans la salle des conférences du Sénat, venues assister à nos débats. Je voudrais saluer M. Jean-Luc Romero, qui, avec les membres d’autres associations, a beaucoup fait pour les malades du sida, quelle que soit leur orientation sexuelle, et qui travaille actuellement sur un sujet qui nous concernera tous, le droit de choisir notre fin de vie. (Brouhaha.)
    Nous sommes réunis, ce matin, pour discuter de la motion tendant à soumettre au référendum le présent projet de loi. (L’orateur s’interrompt en attendant le silence. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Le temps passe, madame !
    Mme Corinne Bouchoux. Je préfère parler peu mais parler bien, monsieur Sido !
    M. Gérard Longuet. Vous pourriez faire les deux !
    Mme Cécile Cukierman. Laissez-la parler !
    M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
    Mme Corinne Bouchoux. L’article 11 de la Constitution permet de « soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ». Or les homosexuels n’ont pas la prétention d’organiser les pouvoirs publics. Ils sont des citoyens comme les autres.
    L’article 11 permet également de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique économique ». Ce n’est pas le sujet.
    M. Charles Revet. Si !
    Mme Corinne Bouchoux. Il permet aussi de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique […] sociale ».
    Mme Catherine Troendle. C’est le sujet !
    Mme Corinne Bouchoux. Les homosexuels ne demandent pas à bénéficier d’une politique sociale particulière. Ils veulent seulement que s’applique le principe d’égalité et qu’ils soient considérés comme des citoyens comme les autres.
    L’article 11 permet, en outre, de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des « réformes relatives à la politique […] environnementale ». Les homosexuels ne sont pas des pingouins qui demandent à être protégés. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce ne sont pas eux, les pingouins !
    Mme Corinne Bouchoux. J’attendais cette plaisanterie de votre part, chère collègue ; c’est bien pour cela que j’en ai parlé.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est vous qui avez commencé !
    M. Jackie Pierre. Respectez les pingouins ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
    M. David Assouline. Ne regardez pas de leur côté, madame Bouchoux ! Regardez plutôt du nôtre !
    Mme Corinne Bouchoux. Oui, mais vous, je le sais, vous êtes dans le bon camp, monsieur Assouline.
    Enfin, l’article 11 permet de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur des réformes relatives aux services publics qui concourent à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation. Les homosexuels ne prétendent pas être un service public. Ils veulent simplement être des citoyens comme les autres.
    Je voudrais remercier l’auteur de cette motion de l’avoir déposée. Sans elle, je l’avoue, je n’aurais pas pris la parole sur ce sujet.
    Les citoyens homosexuels et les citoyennes lesbiennes veulent simplement être libres de pouvoir se marier ou de ne pas le faire. Les familles homoparentales sollicitent pour leurs enfants, qui sont déjà, je suis désolée de vous le dire, chers collègues de l’opposition, plusieurs dizaines de milliers, le droit à la sécurité et l’égalité avec les autres enfants. Ils réclament aussi de la considération. Ils demandent à ne pas être méprisés, à ne pas être des sous-citoyens. Ils veulent être, tout simplement, des citoyens comme les autres.
    M. Bruno Sido. Il est évident qu’ils le sont !
    M. Christian Cambon. Ce n’est pas le sujet !
    Mme Corinne Bouchoux. Ce n’est que théorique, mes chers collègues, mais certains d’entre vous, quelle que soit leur tendance politique, ont peut-être, qu’ils le sachent ou non, un fils ou un neveu homosexuel, une fille ou une nièce lesbienne.
    M. Gérard Longuet. Et les homosexuels ont des parents hétérosexuels !
    Mme Corinne Bouchoux. Peut-être même que leur voisin de commission, au Sénat, est homosexuel ? Mes chers collègues, les homosexuels sont parmi nous, il y en a dans cet hémicycle. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cela ne nous gêne pas !
    M. Gérard Longuet. Ce n’est pas le débat !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Nous n’avons pas de problème sur ce point !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ne vous laissez pas impressionner, madame Bouchoux !
    Mme Corinne Bouchoux. Pour de nombreuses personnes qui suivent nos débats, vos propos tendent à insinuer qu’il y aurait des citoyens de première zone, qui auraient droit au mariage, et des citoyens de seconde zone, qui n’y auraient pas droit. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce n’est pas vrai !
    Mme Catherine Troendle. Nous n’avons jamais dit cela !
    Mme Corinne Bouchoux. C’est ce que vos propos laissent entendre !
    Mme Catherine Troendle. Cessez de me regarder, madame Bouchoux !
    Mme Corinne Bouchoux. Je regarde qui je veux, madame la sénatrice !
    Mme Catherine Troendle. En me regardant, vous me stigmatisez !
    Mme Éliane Assassi. Respectez l’oratrice !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Restez calme, ma chère collègue, et poursuivez votre intervention.
    M. le président. Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
    Mme Corinne Bouchoux. La motion référendaire déposée ne respecte ni l’esprit ni la lettre de l’article 11 de la Constitution. Nous tenons à redire en ces lieux que les citoyens homosexuels ne demandent que l’égalité des droits. Ils veulent, eux aussi, être libres de choisir de vivre seul, en concubinage, en couple marié. Ce choix, mes chers collègues, doit être ouvert à tous.
    Selon nous, le présent texte, tel qu’il est discuté, est loin de méconnaître les intérêts des enfants. Bien au contraire, il va dans le sens de leur protection, de leur sécurité, de leur respect.
    Vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera contre la motion référendaire.
    Je tiens à terminer mon intervention en évoquant le sort de ceux dont on ne parle jamais, parce qu’ils sont extrêmement âgés. Je veux parler de ces « invisibles » dont l’histoire a fait l’objet d’un excellent film, que je vous invite à voir. Toute leur vie, ces personnes ont vécu une homosexualité tue, cachée. Elles se sont même parfois mariées. Dans les lettres que certaines d’entre elles nous ont envoyées, ces personnes nous disent que le choix, qu’elles n’ont pas fait, de vivre son homosexualité au grand jour devrait, au XXIe siècle, être un choix de liberté et de progrès.
    Mes chers collègues, je vous invite à examiner les débats qui ont eu lieu ici-même, il y a plus de cinquante ans, sur l’accès des femmes à la citoyenneté. Vous constaterez que les mêmes arguments naturalistes étaient opposés à leurs défenseurs. Il n’était pas naturel que les femmes votent.
    M. Gérard Longuet. C’est le général de Gaulle qui leur a accordé ces droits !
    Mme Corinne Bouchoux. Tout à fait, et ce fut une excellente chose.
    M. Bruno Sido. Vous nous faites la leçon ?
    Mme Corinne Bouchoux. C’est un rappel historique, monsieur Sido, et non une leçon !
    Plongez-vous, mes chers collègues, dans les débats de l’époque. Les arguments défendus étaient alors les mêmes qu’aujourd’hui : il n’était pas naturel qu’une femme fasse de la politique, ni qu’elle délaisse sa famille. (Mme Françoise Laborde acquiesce.) Les temps ont changé. Nous souhaitons une autre approche de la société.
    Pour toutes ces raisons, nous voterons contre la motion que vous avez déposée. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Gérard Longuet. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe UMP m’a demandé de défendre la motion référendaire qui a été excellemment présentée par notre collègue Bruno Retailleau.
    M. Charles Revet. Tout à fait excellemment !
    M. Bruno Sido. C’est vrai !
    M. Gérard Longuet. J’appartiens à une droite libérale,…
    M. David Assouline. Dure !
    Mme Éliane Assassi. Réactionnaire !
    M. Gérard Longuet. … qui considère la pratique et les institutions référendaires avec une grande prudence.
    M. Jean-Michel Baylet. Vous avez raison !
    M. Gérard Longuet. Je suis aussi parlementaire depuis 1978.
    Mme Éliane Assassi. Cela fait longtemps !
    M. Gérard Longuet. Force est de constater que les représentants du peuple font preuve de professionnalisme et de sagesse, ce qui rend possible des débats contradictoires de qualité. Loin de moi, cher Jean-Michel Baylet, l’idée de condamner le travail parlementaire !
    Aussi, je souhaite attirer votre attention sur les raisons profondes, qui sont des raisons d’avenir, car nous les rencontrerons de plus en plus souvent, justifiant cette demande de motion référendaire.
    Trois raisons de nature différente, mais qui convergent sur ce sujet, madame la garde des sceaux, me font militer avec conviction pour la motion référendaire et pour le recours direct au suffrage universel.
    J’ai bien entendu les arguments liés à la Constitution ; j’aurais pu en ajouter d’autres, qui sont d’ordre politique. Le référendum peut parfois flatter l’émotion, voire se nourrir d’elle, ce qui n’est pas une bonne façon de travailler. Il appelle quelquefois des réponses à des questions, qui ne sont pas posées : nous l’avons constaté, par exemple, en 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne.
    En l’espèce, nous devrons faire face, à l’avenir, à trois types de considérations sur lesquelles, mesdames, messieurs les sénateurs, nous serons obligés, en qualité de parlementaires, de nous prononcer.
    La première raison est que le quinquennat, on l’oublie trop souvent, a profondément modifié notre République.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Hélas !
    M. Gérard Longuet. Je partage votre sentiment, cher collègue !
    Désormais, le soir du deuxième tour de l’élection présidentielle, le seul rendez-vous avec l’opinion qui compte véritablement, tout du moins pour les observateurs de la vie politique, c’est le premier tour de la prochaine élection présidentielle, qui aura lieu cinq ans plus tard !
    M. Bruno Sido. Tout à fait !
    M. Gérard Longuet. Les élections locales deviennent des scrutins contracycliques, ce qui fait que les élus locaux sont sanctionnés ou reconduits pour des raisons parfaitement indifférentes à leurs efforts et à leur travail. Par ailleurs, l’Assemblée nationale, en raison du calendrier législatif, a le sentiment d’être liée par l’autorité – considérable, il faut le reconnaître – du suffrage universel exprimé dans le cadre de l’élection présidentielle.
    Vous avez évoqué la force du vote du 6 mai. Cela signifierait que les députés n’ont plus droit ni à la parole ni à la libre appréciation.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !
    M. Gérard Longuet. Ils seraient tenus par un contrat de type référendaire, c’est-à-dire par le suffrage universel.
    Les sénateurs ne sont pas dans cette situation, étant élus à une autre date, par d’autres électeurs.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !
    M. Gérard Longuet. Les rapports de force sont également autres pour eux : ils sont élus soit à la proportionnelle, soit au scrutin majoritaire, ce qui induit des comportements différents.
    Faut-il condamner toute respiration politique pendant cinq ans ? Telle est la question que soulève ce débat, mais qui se posera également sur d’autres sujets. Pourquoi ? Parce que le contrat référendaire du 6 mai, que vous évoquiez, est extraordinairement ambigu. Le véritable socle du Président de la République – on le voit d’ailleurs dans les sondages ; c’était vrai pour le président Sarkozy, ça l’est encore plus pour le président Hollande –, sa véritable légitimité populaire, c’est le premier tour.
    Au deuxième tour, il fédère des voix différentes, madame Taubira, ce qui participe d’un contrat. Ce dernier est-il global ? Le serment des Folies Bergères vaut-il pour tous ceux qui ont voté au deuxième tour pour François Hollande, pour des raisons de natures profondément différentes ? Pour ma part, je ne le crois pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Mme Cécile Cukierman. Tous les candidats de gauche du premier tour étaient favorables à ce texte !
    M. Gérard Longuet. Je comprends parfaitement que les députés élus dans le sillage du contrat référendaire du 6 mai se sentent liés. J’en parle d’expérience : en 1978, j’ai été moi-même élu député en tant que candidat du Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, dans une circonscription où j’avais été parachuté ; j’ai d’ailleurs été battu trois ans plus tard pour les mêmes raisons ! Seul le temps m’a permis d’acquérir localement une petite autorité personnelle.
    Donnons à ces députés un peu de liberté. Or la seule respiration qui existe, c’est le référendum. C’est important si nous voulons que l’opinion juge la République vivante et la trouve à l’écoute.
    Est-ce une innovation complète ? La réponse est non. Les grands Présidents de la République ont utilisé la respiration référendaire, même lorsqu’ils n’y étaient pas contraints.
    M. David Assouline. Sarkozy est-il un petit président ?
    M. Gérard Longuet. Je ne parle pas du référendum sur l’indépendance de l’Algérie. Je pense, par exemple, au courage du général de Gaulle, décidant de réformer les institutions régionales, et accessoirement le Sénat, et acceptant, un an après sa victoire triomphale de 1968, de remettre tout en jeu lors d’un référendum.
    Le président Pompidou a choisi la voie du référendum pour l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, car il n’ignorait pas qu’il s’agissait d’une question majeure pour la construction européenne. Le président Mitterrand aussi a eu recours au référendum – je l’ai soutenu – pour la ratification des accords de Maastricht.
    M. David Assouline. Et après ?
    M. Gérard Longuet. Certes, Nicolas Sarkozy n’a pas fait le choix du référendum.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est juste !
    M. Gérard Longuet. Je le regrette parfois. Après la crise financière de 2008, en particulier, il aurait pu proposer de réformer l’économie de notre pays par des mesures courageuses.
    Néanmoins, à cette époque, Jean-Michel Baylet l’a souligné, le parti socialiste se mobilisait sur un sujet majeur, qui a bouleversé l’avenir de la société française pour des siècles : il réclamait un référendum sur le statut de La Poste ! (M. Bruno Sido s’esclaffe.) Aujourd’hui, tout fonctionne bien et nous nous sommes épargné ce rendez-vous. Merci messieurs ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Vous êtes cruel !
    M. Gérard Longuet. Quoi qu’il en soit, le référendum, dans la République quinquennale totalement présidentielle, c’est la respiration qu’attendent nos compatriotes.
    Je m’efforcerai d’être plus bref sur la deuxième raison qui justifie le recours au référendum.
    M. Charles Revet. Continuez, nous aimons vous écouter !
    M. Gérard Longuet. Madame la garde des sceaux, je rends hommage à votre initiative. Vous avez lancé un débat, et vous l’avez fait avec conviction. À tout prendre, si l’on croit à quelque chose, mieux vieux le faire complètement.
    Ce débat a suscité un immense intérêt dans l’opinion française. Le statut familial des cas particuliers, mais qui méritent le respect, évoqués par les uns et par les autres aurait pu susciter de l’indifférence. Nous aurions pu traiter rapidement le débat et le bâcler au cours de l’été. Le calendrier parlementaire ne l’a pas voulu, et c’est tant mieux.
    Dans notre pays, se sont exprimées des positions différentes, parfois conflictuelles, mais appuyées sur de profondes mobilisations. Nous commençons à mesurer que le débat concerne non pas telle ou telle catégorie, mais le pays tout entier.
    J’appartiens à un groupe, celui de l’UMP, qui a pour fierté, je le dis avec gravité, d’avoir donné à la fois la liberté de parole et la liberté de vote à chacun de ses membres. Je suis plutôt conservateur, voire assez traditionaliste, et je crois que cela se sait.
    Mme Éliane Assassi. Ah bon ? (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
    M. Gérard Longuet. J’essaye d’écouter tout le monde et de comprendre.
    Le débat d’aujourd’hui change la nature des relations entre ceux qui réfléchissent à l’hétérosexualité et ceux qui réfléchissent à l’homosexualité. Il faut s’en réjouir, car, après tout, tous les homosexuels sont filles ou fils d’hétérosexuels.
    Je suis père de famille : jamais je ne rejetterai le choix sexuel de mes enfants. Évidemment, en tant que père, j’ai envie d’être grand-père. Je me dis donc que plus c’est simple, moins c’est compliqué… (Sourires sur les travées de l’UMP.)
    Néanmoins, il me semble que ce débat est en train de faire bouger le pays. Vous l’avez souligné à l’instant, chère collègue, les homosexuels ont parfois le sentiment d’être réprouvés. Ce n’est pourtant pas une tradition française. De la Révolution française à nos jours, si l’on excepte le cas très particulier de la loi de 1942 – j’en parlerai lorsque l’on évoquera le ministère de la marine ; ceux qui connaissent le sujet comprendront –, l’homosexualité n’a jamais été réprouvée dans notre pays.
    Pourquoi Oscar Wilde a-t-il choisi la France ? Parce que c’était une terre de liberté. J’ai succédé dans ma circonscription à un ministre du général de Gaulle qui était ouvertement homosexuel. Cela ne l’a jamais empêché d’être réélu pendant quarante ans. J’ajoute que j’entretenais avec lui des relations de confiance, qui n’ont jamais été marquées par une quelconque forme de réprobation.
    La cause homosexuelle et la compréhension dans les familles continueront d’évoluer. Certes, il n’est jamais facile d’appartenir à une minorité. Il n’est pas aisé non plus d’afficher que l’on sera différent de ses parents. Néanmoins, les mentalités bougent. Même si j’ai écouté avec beaucoup de respect les points de vue de mes amis de l’UMP à l’Assemblée nationale et au Sénat, que je ne partage pas, pourquoi vouloir arrêter brutalement une évolution qui va dans le sens du progrès ?
    Le doyen Gélard, avec son talent et son ironie discrète, a mis en avant un problème qui n’est pas traité. Je veux parler, madame la garde des sceaux, de la marchandisation du corps humain. Lorsqu’il y a adoption, il y a demande. Et lorsqu’il y a demande, il y a offre. Or quand une offre s’organise – c’est le libéral en matière d’économie qui vous le dit –, elle cherche d’une façon ou d’une autre la solvabilité. Cela se constate déjà dans d’autres pays du monde.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Aux États-Unis !
    M. Gérard Longuet. Puisqu’on ouvre la porte de l’adoption, nous avons le devoir absolu de ne pas tromper ceux dont on prétend satisfaire les besoins.
    Il est compréhensible de vouloir s’inscrire dans la continuité et de désirer une famille. Lorsque l’on vieillit, on aime avoir de la jeunesse autour de soi. Celle-ci sera peut-être d’ailleurs hétérosexuelle. Car si les enfants d’hétérosexuels choisissent parfois l’homosexualité, les enfants d’homosexuels pourront choisir l’hétérosexualité.
    En tout état de cause, même si le besoin d’adoption sera sans doute marginal, comme le prouve très largement l’étude de l’INSEE, il pèsera sur la demande, au détriment de tous.
    Cet état de fait posera une autre difficulté, mise en lumière par Patrice Gélard avec autorité : celle de la filiation. Qu’on le veuille ou non, et plus encore lorsque l’on avance en âge, on a envie de savoir d’où l’on vient. Qui pourrait refuser à un citoyen français de savoir où sont ses racines ? Car ce sont elles qui lui donnent le courage d’affronter la vie dans toutes ses perspectives !
    Voilà pourquoi un tel débat ne peut s’arrêter à l’instant. Vous avez lancé avec succès cette discussion, madame la garde des sceaux. J’ai presque envie de dire que les différentes manifestations sont un hommage rendu au débat que vous avez ouvert ! Ne l’interrompez donc pas, puisqu’il n’aura de sérieux et de responsabilité que s’il se conclut par un vote populaire.
    En effet, tant que l’on est dans le domaine du « il n’y a qu’à », « il faut qu’on », on peut exalter sa différence. Les plus traditionalistes de ma famille politique affirmeront qu’il ne faut rien changer parce que tout est parfait. Les plus exigeants de la vôtre clameront qu’il faut tout changer parce que rien n’est parfait. Laissons plutôt le débat s’organiser, par exemple, au cours des déjeuners familiaux du dimanche, car ils existent encore. Les familles, si elles doivent voter, examineront sérieusement le sujet.
    Si l’on doit s’affronter, on s’affrontera. Mais s’il faut voter, chacun prendra sa part de responsabilité.
    M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
    M. Gérard Longuet. Un dernier argument montre que ne pouvez pas échapper au débat populaire sur ce qui constitue un bien commun à tous les Français.
    Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, 32 millions de Français vivent en couple ; 73 % d’entre eux sont mariés, quelque 20 % ont opté pour l’union libre et les autres ont choisi le PACS.
    Dans un pays où le mariage n’est nullement obligatoire, il n’y a plus de pression morale ; ceux qui s’autocensurent n’y sont pas contraints par la loi. Il n’y a plus de pression sociale. Il n’y a plus de pression juridique : ce sont les mêmes enfants ! Je me souviens d’ailleurs avoir été collé à un examen de droit sur la question « Quels enfants peut-on légitimer ? » (Sourires.) Aujourd’hui, les règles ont changé et la situation est plus ouverte. Et il n’y a plus de pression patrimoniale, même s’il reste sans doute des imperfections juridiques ; c’est d’ailleurs pourquoi nous avons proposé le contrat d’union civile.
    Aujourd’hui, il n’y a pas d’autre raison de se marier que le fait de le vouloir ! C’est un acte de foi, par lequel on décide de construire quelque chose en commun avec son conjoint et de transmettre la vie. Et c’est avec une personne à laquelle vous devrez rendre des comptes tout au long de votre vie, même en cas de divorce, car elle restera le père ou la mère de vos enfants !
    Ce patrimoine, qui évolue et qui résulte d’une volonté, mérite le respect. Donnons la parole au peuple français ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – Plusieurs sénateurs de l’UMP se lèvent pour saluer l’orateur.)
    M. Jean-Claude Lenoir. C’est remarquable !
    M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
    M. Alain Anziani. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre rapporteur Jean-Pierre Michel a posé la bonne question : à quoi sert cette motion ?
    M. Charles Revet. On vient de vous le dire !
    M. Alain Anziani. Vous savez comme moi qu’elle a perdu son objet. En effet, l’Assemblée nationale a rejeté une motion similaire. Or, en l’absence d’accord des deux assemblées, il n’y aura pas de référendum.
    M. François Rebsamen. Très bon argument !
    M. Alain Anziani. Par conséquent, l’organisation d’un référendum n’est pas le véritable objet de cette motion.
    Pour ma part, j’ai écouté avec beaucoup de respect ce que vous avez dit hier et ce matin, tout comme j’écoute les arguments que vous avancez depuis des années, chers collègues de l’opposition.
    J’ai particulièrement apprécié les propos de notre collègue le doyen Patrice Gélard, pour lequel j’ai beaucoup d’estime. Il a rappelé avec humour une vérité qui nous convient : la gauche a toujours été contre le mariage, dans la filiation de Diderot et des grands encyclopédistes. Je vous remercie, mon cher collègue : nous sommes effectivement fiers d’un tel héritage !
    Mme Cécile Cukierman. Exactement !
    M. Alain Anziani. Ce camp, c’est celui du progrès ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) Ce camp, c’est celui des Lumières ! Ce camp, c’est celui qui choisit de donner corps aux évolutions de la société !
    Et vous, dans quel camp êtes-vous ?
    M. Christian Cambon. Ce n’est pas un camp, c’est la France !
    M. Alain Anziani. Si vous ne vous référez pas aux Lumières, à qui vous référez-vous ?
    M. François Rebsamen. À l’Église !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Au concile de Latran !
    M. Alain Anziani. Aux mouvements conservateurs ? À l’immobilisme ? À ceux qui toujours refusent les évolutions de la société ? Je ne vous ferai pas ce procès, mais votre interpellation d’hier m’incite évidemment à m’interroger.
    Ce matin, j’ai écouté avec attention notre collègue Bruno Retailleau, qui a posé une très belle, une très forte, une très puissante question.
    M. Bruno Retailleau. Merci !
    M. Alain Anziani. Il a demandé : qu’est-ce que la République ? Pour lui, la République ne doit pas être la « République des désirs ». Nous sommes d’accord ! Car, contrairement à ce qu’il a semblé sous-entendre, nous n’avons jamais été pour la République des désirs. Nous sommes pour la République…
    M. François Rebsamen. De l’égalité et de l’humanisme !
    M. Alain Anziani. … qui reconnaît la réalité.
    Nous n’avons pas inventé l’amour entre deux personnes du même sexe ; cet amour existe, et les personnes concernées souffrent de leur clandestinité. Nous n’avons pas inventé les enfants des familles homoparentales ; ces enfants existent, et ils souffrent de leur exclusion.
    Pour nous, la République, c’est faire des lois qui reconnaissent des situations de fait. C’est refuser l’hypocrisie du : « Cachez cette réalité que je ne saurais voir ! » Les couples homosexuels, les familles monoparentales, cela existe !
    Aimer la République, c’est d’abord respecter ses institutions, donc la Constitution.
    Or, aux termes de l’article 11 de la Constitution, le Président de la République peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur « l’organisation des pouvoirs publics » et, depuis les réformes de 1995 et 2008, sur « des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation ».
    Le cœur du débat réside dans l’interprétation d’une telle formulation. Nous pourrions faire appel à des juristes, consulter d’innombrables manuels ou traités de droit constitutionnel et interroger le Conseil constitutionnel, qui sera d’ailleurs amené à se prononcer ; au demeurant, comme l’a rappelé Jean-Michel Baylet tout à l’heure, la jurisprudence des Sages va plutôt dans notre sens que dans le vôtre, chers collègues de l’opposition.
    Je vais vous soumettre une interprétation qui devrait vous convaincre, puisque c’est la vôtre, celle que vous avez défendue lors de la réforme constitutionnelle de 1995.
    Tout à l’heure, M. Longuet nous a rappelé qu’il avait toujours été…
    M. Gérard Longuet. Réservé !
    M. Alain Anziani. … réservé sur le référendum ; nous en sommes persuadés.
    Reprenons les travaux parlementaires de 1995. À l’époque, l’un des meilleurs d’entre vous, M. Jacques Toubon, garde des sceaux, donnait son interprétation de la réforme constitutionnelle. Je vous renvoie au compte rendu de son audition devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.
    Selon M. Toubon, en limitant l’extension du champ référendaire aux matières économiques et sociales, le gouvernement d’alors – c’était votre gouvernement ! – a choisi d’exclure ce qu’il est convenu d’appeler les « questions de société ».
    Afin d’éviter toute ambiguïté entre questions sociales et questions de société, il ajoutait qu’« il ne saurait être question, et il faut que cela soit bien clair pour nous tous, d’organiser des référendums sur des sujets tels que la peine de mort ou le droit à l’avortement », sur lesquels certains voulaient alors revenir.
    Nous le voyons bien, la question dont nous débattons aujourd’hui est bien plus proche de tels sujets que du champ d’application de l’article 11 de la Constitution, c’est-à-dire les réformes relatives à la politique économique et sociale. La politique économique et sociale, ce ne sont pas les questions de société !
    M. Toubon concluait, d’une manière peut-être un peu brutale, que le référendum n’était pas et ne devait pas être « un instrument de démagogie ».
    Mme Cécile Cukierman. Eh oui ! C’est lui qui l’a dit.
    M. Alain Anziani. Je vous invite à relire et à méditer cette formule, mes chers collègues !
    M. Jean-Michel Baylet. Très belle formule.
    M. Alain Anziani. Peut-être ces débats vous semblent-ils quelque peu éloignés de notre sujet.
    Dans ce cas, je vous propose de vous reporter aux propos plus récents d’un autre « meilleur d’entre vous », M. Brice Hortefeux, grand constitutionnaliste comme chacun sait. (Sourires sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Au mois de janvier 2010, M. Hortefeux nous expliquait pourquoi le Sénat devait rejeter la motion référendaire qui avait été déposée sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales ; d’ailleurs, nombre d’entre vous applaudissaient à ce moment-là, chers collègues de l’opposition.
    Mme Éliane Assassi. Eh oui !
    M. Alain Anziani. M. Brice Hortefeux déclarait : « Je crois profondément que le débat parlementaire constitue la garantie d’un examen exhaustif, par la sérénité qu’il apporte, autant que par l’expertise qu’il comporte. » Nous faisons ce matin la démonstration de cette sérénité.
    Il ajoutait cette interrogation de bon sens : « Comment expliquer à nos concitoyens que les parlementaires qu’ils ont élus au suffrage universel renonceraient, en quelque sorte, à leur devoir de législateur ? »
    Et il assénait un dernier coup avec sa brutalité, que je qualifierais de coutumière, en employant une formule cruelle, une formule terrible, mais qui est votre formule : « Cette motion, ou devrais-je dire cette forme de démission, qui peut l’entendre ? »
    Il concluait en opposant le référendum, qui n’offre qu’une « réponse binaire », à savoir oui ou non, à une question fermée – il avait raison –, à la procédure parlementaire, qui a « l’immense avantage d’autoriser une discussion ouverte » ; nous le voyons depuis quelques heures, et nous le savons depuis que nous siégeons au Parlement. Il rappelait notamment que la procédure parlementaire permettait l’échange d’arguments et le dépôt d’amendements. Vous en avez d’ailleurs déposé beaucoup, et c’est positif pour la démocratie.
    Voilà ! Ce sont vos propos ! Certes, nul n’est obligé d’être en accord avec Brice Hortefeux. Nous-mêmes ne le sommes que très rarement.
    Mme Bariza Khiari. Heureusement !
    M. Alain Anziani. Toutefois, nul n’est obligé non plus de se contredire. Nous, nous sommes fidèles à nous-mêmes, me semble-t-il.
    Comme l’ont rappelé hier Nicole Bonnefoy et Michelle Meunier, et je ne comprends pas que l’on puisse balayer un tel argument d’un revers de main, un candidat qui s’appelait François Hollande avait pris un engagement n° 31 ; celui-ci a été soumis à une consultation populaire. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Cet engagement n’allait pas jusqu’à l’adoption !
    M. Alain Anziani. Selon vous, l’élection présidentielle n’est pas une consultation populaire ? Bravo !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Les propositions du candidat François Hollande n’allaient pas aussi loin que ce texte !
    M. Alain Anziani. L’engagement n° 31 a été soumis à consultation populaire. (Nouvelles protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Gérard Longuet. Qui a voté pour cela ?
    M. Christian Cambon. Il avait aussi pris l’engagement de réduire le chômage…
    M. Alain Anziani. Et 32 millions de personnes se sont exprimées lors de l’élection présidentielle ; ce n’est tout de même pas rien ! (Brouhaha.)
    Chers collègues de l’opposition, si vous considérez que le débat n’a pas vraiment eu lieu pendant la campagne présidentielle, assumez-en la responsabilité ! Vous connaissiez une telle proposition ; vous auriez dû engager la discussion avec vos mandants sur cette question, au lieu d’essayer d’obtenir une session de rattrapage aujourd’hui ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Au fond, et M. le rapporteur Jean-Pierre Michel l’a souligné tout à l’heure, vous auriez eu plus de chances de succès aujourd’hui si vous aviez fait preuve de plus d’audace en 1995, lors de la révision constitutionnelle. Il ne tenait qu’à vous d’élargir le champ d’application du référendum à l’ensemble des questions dont nous débattons aujourd’hui. Or vous ne l’avez pas souhaité.
    Par ailleurs, votre motion aurait sans doute juridiquement beaucoup plus de force aujourd’hui si elle se fondait sur le référendum d’initiative populaire.
    Toutefois, là encore, nous sommes désespérés, à gauche, comme le sont aussi d’ailleurs certains dans vos rangs, de la lenteur avec laquelle vous avez mis en œuvre la réforme constitutionnelle sur la notion d’initiative populaire. Il a fallu attendre quatre ans et ce n’est qu’en février dernier que le projet de loi organique a pu être voté ici.
    M. Bruno Sido. Tout vient à point…
    M. Alain Anziani. Il ne l’est pas encore définitivement et ne peut donc s’appliquer. Pourtant, c’est sur ce terrain-là que vous auriez pu aller. Si vous ne l’avez pas fait, mes chers collègues, c’est parce que, comme l’ont d’ailleurs rappelé plusieurs des orateurs qui m’ont précédé, vous aviez peur ! (M. Patrice Gélard s’exclame.)
    Mme Éliane Assassi. Eh oui !
    M. Alain Anziani. Vous aviez peur du référendum d’initiative populaire parce qu’à l’époque se posait effectivement la question de l’avenir de La Poste.
    Mme Cécile Cukierman. Une question économique et sociale à la fois !
    M. Alain Anziani. Je ferai observer – je ne sais pas si 720 000 personnes sont derrière vous pour soutenir la demande que vous formulez aujourd’hui – que deux millions de personnes s’étaient prononcées lors d’une votation citoyenne en faveur d’un référendum d’initiative populaire sur La Poste.
    Mme Éliane Assassi. Eh oui !
    M. Alain Anziani. Mais, là, vous nous avez dit : « Il n’y a rien à voir, circulez ! Le référendum n’est certainement pas d’actualité ».
    Je sais qu’il est toujours difficile d’avoir du courage, d’être en conformité avec ses convictions, d’être cohérent avec soi-même, mais je pense que vous devriez expliquer à toutes celles et à tous ceux qui, de bonne foi, demandent un référendum que si, aujourd’hui, ils ne peuvent pas l’obtenir, c’est parce que votre majorité n’a pas pris, en son temps, les dispositions nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Charles Revet. C’est scandaleux !
    M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
    M. Hugues Portelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention se situera sur le seul terrain juridique.
    Je ne reviendrai pas sur le passé, comme l’a fait à l’instant mon ami Alain Anziani, qui nous a demandé quelles positions nous avions défendues il y a dix ans. Je n’étais pas sénateur il y a dix ans, et je me moque éperdument de ce que la droite pouvait alors défendre. Je ne vais pas vous demander, chers collègues de la majorité, pourquoi vous ne défendez plus le point de vue de Thorez ou de Jaurès sur le mariage !
    Mme Cécile Cukierman. Parce que nous ne sommes pas réactionnaires, nous évoluons !
    M. Jean-Claude Gaudin. Les autres aussi !
    M. Hugues Portelli. Nous sommes ici et maintenant, en 2013, donc nous parlons des problèmes d’aujourd’hui.
    Cette motion a un seul but : demander au Président de la République de prendre ses responsabilités en organisant un référendum sur ce projet de loi. (Très bien sur plusieurs travées de l’UMP.) Techniquement, politiquement, il ne s’agit que de cela !
    Que prévoit en effet le règlement du Sénat, comme celui de l’Assemblée nationale ? Que les deux assemblées peuvent demander qu’un projet de loi soit soumis à référendum et qu’il revient donc au Président de la République, en vertu de ses pouvoirs, d’organiser ce référendum. Il a le pouvoir de le faire.
    M. Gérard César. Il en a le devoir !
    M. Hugues Portelli. Il a même le pouvoir de nous dire qu’il refuse de le faire. Mais ce que nous lui demandons, c’est de se prononcer, sur un vote parlementaire.
    J’ai bien entendu les arguments qui ont été avancés pour nier que ce sujet puisse relever de l’article 11 de la Constitution. Je répondrai deux arguments à cela.
    Je sais bien que l’on est ici dans le temple du « notabilisme » parlementaire et local (Mme Esther Benbassa s’exclame.) et qu’il est un peu difficile d’y défendre la démocratie directe.
    Toutefois, ayant été élève de René Capitan, je n’oublierai jamais que c’est lui qui m’a appris quel était l’intérêt du référendum. Il me disait à l’époque que, lors du référendum de 1962, le général de Gaulle, à qui avait été opposé l’article 89 de la Constitution, avait répondu que la possibilité de se prononcer sur des questions essentielles pour son destin était un pouvoir fondamental du peuple français. Et le destin du peuple, ce n’est pas uniquement sa constitution, c’est aussi la société qu’il constitue et dans laquelle il vit. C’est une première réponse.
    La seconde réponse, c’est le fameux article 11. Honnêtement, j’avais des doutes puisque, à moi aussi, on a servi les discours de Jacques Toubon. Néanmoins, je n’en ai plus depuis quelques jours, après avoir écouté attentivement les débats au sein de la commission des lois à laquelle j’appartiens. Deux éléments, en particulier, ont retenu mon attention.
    Tout d’abord, lors des auditions, l’avis de toute une série d’instances a été sollicité. Nous avons notamment consulté, comme l’a fait le Gouvernement, la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, dont l’avis était négatif en raison de la position de la CGT, qui a emporté la majorité. Or, que je sache, la CNAF est un organisme social, ce n’est pas un organisme sociétal ou politique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. David Assouline. La commission a auditionné des politiques !
    Mme Cécile Cukierman. Les syndicats sont libres de leur vote, tout comme les politiques !
    M. Hugues Portelli. Laissez-moi poursuivre, s’il vous plaît !
    Par ailleurs, j’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les interventions de Mme Benbassa en commission des lois, même si je ne suis pas toujours d’accord avec elle. Un point m’a fait dresser l’oreille. Mme Benbassa nous a expliqué que, aujourd’hui, on passait de la notion de parent biologique à celle de parent social. On est donc dans le social, comme Mme Benbassa nous l’a expliqué ! Elle n’a pas dit qu’il y avait des parents sociétaux, elle a dit qu’il y avait des parents sociaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous jouez sur les mots, c’est n’importe quoi !
    M. Hugues Portelli. Eh bien, s’il y a des parents sociaux, il y a des référendums sur les questions sociales ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Je formulerai une dernière remarque.
    En 1984, lors des tentatives pour nationaliser l’enseignement libre, François Mitterrand s’est retrouvé dans une impasse, face à des millions de personnes descendues dans la rue pour manifester. Qu’a-t-il fait ? Tout d’abord, il a retiré le texte. Je signale au passage que, constitutionnellement, il était assez drôle d’apprendre par la télévision un 14 juillet que le Président de la République – et non le Parlement – décidait de retirer un texte qui était débattu à l’Assemblée nationale.
    M. David Assouline. Et qu’avez-vous fait avec le CPE, le contrat première embauche ! C’était encore plus drôle !
    M. Hugues Portelli. Immédiatement après, et c’est intéressant, il a proposé d’organiser un référendum.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Un référendum sur le référendum !
    M. Hugues Portelli. Malheureusement, il n’y en a pas eu.
    Le Président de la République avait proposé une modification de la Constitution, afin d’élargir le domaine de l’article 11 aux projets de lois concernant les garanties fondamentales des libertés publiques, notamment la liberté de l’enseignement. Ce projet a été bloqué ici même, ce qui est dommage.
    M. David Assouline. Par la droite !
    M. Hugues Portelli. En tout cas, l’intention du Président de la République était d’organiser un référendum.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Sur le référendum !
    M. Hugues Portelli. Or que faisons-nous aujourd’hui ? Nous ne faisons que marcher dans les pas de François Mitterrand. (Rires et exclamations sur diverses travées.)
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Bravo !
    M. Bruno Sido. Pas trop quand même !
    M. Hugues Portelli. Nous ne faisons que reconnaître la légitimité du Président de la République. Nous lui demandons de se prononcer sur un vote parlementaire. Et si le Président de la République n’en veut pas, ce sera son droit souverain, car, en matière de référendum, le seul interprète de l’article 11, c’est lui ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Bas.
    M. Philippe Bas. Tout d’abord, je me permettrai de saluer avec une sympathie particulière Mme la ministre déléguée aux affaires sociales,…
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Chargée de la famille !
    M. Philippe Bas. … qui est à vos côtés, madame la garde des sceaux, pour présenter un projet de loi dont certains de nos collègues nous disent qu’il n’a trait en rien aux politiques sociales. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.) Je vous remercie donc, madame la ministre !
    M. Jean-Claude Gaudin. Surtout, ne partez pas, madame la ministre !
    M. Christian Cambon. Bien ajusté !
    M. Philippe Bas. Monsieur le président, mes chers collègues, après avoir écouté très attentivement chacun des orateurs qui se sont succédé à cette tribune, ma conviction n’en est que renforcée : oui, le peuple français doit se prononcer. C’est la sagesse.
    Il doit se prononcer parce que cette réforme change le mariage de chacun autant et même plus qu’elle n’ouvre le mariage pour tous. Elle change la conception légale de la filiation et la notion juridique de la parenté. Elle nous engage tous, dans notre vie familiale. Elle propose un modèle juridique pour traiter de situations différentes. Ce faisant, elle dénature le principe d’égalité au lieu de le défendre. Elle laisse croire qu’un enfant peut avoir deux pères ou deux mères. Elle reconnaît ainsi une parenté d’intention, à l’égal de toute parenté, maternelle ou paternelle.
    Cette construction du cœur et de l’esprit ne correspond à aucune réalité anthropologique. Elle méconnaît l’importance essentielle de la filiation biologique et nie le caractère fondateur de l’altérité sexuelle à l’origine de toute vie. Elle entre en matière de filiation dans une fiction juridique, pour reprendre l’expression employée par notre collègue Alain Milon. Elle substitue le volontarisme de la loi à la réalité des familles, sous toutes leurs formes.
    Dans cette réforme, tout semble avoir été décidé avant d’avoir été étudié.
    M. Charles Revet. Exactement !
    M. Philippe Bas. Vous n’avez envisagé aucune solution de substitution créant un cadre stable pour organiser la vie des couples de même sexe en ne permettant pas d’être parent sans être ni père ni mère. Et vous instruisez un procès en conservatisme contre vos opposants, comme si vous seuls étiez à l’écoute des besoins de notre époque, en harmonie avec l’évolution des mœurs.
    Pourtant, comme l’a excellemment souligné hier M. Baylet, la part de chacun doit être reconnue dans toutes les lois qui ont fait grandir les droits des Français.
    M. François Calvet. Très bien !
    M. Philippe Bas. Nous revendiquons autant que vous progrès et humanisme, et c’est précisément au nom de ces valeurs que nous combattons votre réforme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
    Plusieurs orateurs de la majorité ont réduit l’opposition à votre réforme, madame la garde des sceaux, madame la ministre déléguée aux affaires sociales,…
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, chargée de la famille !
    M. Philippe Bas. … à celle de l’église catholique, comme si un tel argument valait disqualification. Les représentants des autres religions chrétiennes, comme de nombreux religieux juifs et musulmans, se sont pourtant prononcés dans le même sens.
    Toutes ces grandes voix, qui s’expriment au nom de l’idée qu’elles se font du bien de l’homme (Mme Esther Benbassa s’exclame.), ont le droit légitime d’éclairer la réflexion des Français sur des questions dont nos débats montrent à quel point elles sont complexes et controversées.
    Enfin, il est désolant de voir le débat si souvent rétréci par ceux qui n’entrevoient décidément aucun autre ressort possible que l’homophobie pour expliquer toute opposition à l’égard de ce projet. Ce n’est pas seulement stupide ; c’est aussi insultant. Quelle condescendance pour tous les Français qui ne veulent que débattre démocratiquement et rechercher des solutions d’intérêt général, en ayant à l’esprit l’intérêt supérieur de l’enfant à naître !
    Faites confiance à nos compatriotes ! Les Français dans leur ensemble, ainsi que M. Anziani l’a d’ailleurs rappelé tout à l’heure, ne sont pas homophobes, pas plus qu’ils ne sont racistes, antisémites ou islamophobes.
    Mme Cécile Cukierman. Cela leur arrive tout de même !
    M. Philippe Bas. Il est vain, il est affligeant de vouloir les diviser sur ce point en exerçant une sorte de police du vocabulaire et de la pensée qui prétend s’opposer à l’expression des désaccords en répandant le soupçon sur ceux qui les expriment.
    M. Jean-Pierre Caffet. C’est vous qui le dites.
    M. Philippe Bas. Je suis au regret de le dire, c’est une méthode sectaire : elle vise à atteindre le contradicteur plutôt qu’à répondre à la contraction. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean Bizet. C’est vrai !
    M. Philippe Bas. Il ne faut pas se tromper de débat : la question posée au travers de cette réforme n’est nullement celle de l’homosexualité et de sa reconnaissance par la société.
    M. Christian Cambon. Bien sûr !
    M. Philippe Bas. C’est celle des fondements d’une nouvelle forme de parenté, exercée ensemble par deux personnes de même sexe liées par leur amour.
    La difficulté que nous rencontrons, c’est ce constat que les enfants auxquels la réforme prétend donner deux parents de même sexe resteront orphelins de père ou de mère.
    La loi ne doit pas, elle ne peut pas reposer sur l’idée qu’il ne leur manquerait rien. Quelles que soient les qualités éducatives du foyer dans lequel ces enfants grandiront, quel que soit l’amour qu’ils recevront, nul ne peut ignorer cette incomplétude. Ce n’est pas dans le déni que nous pouvons construire un cadre harmonieux pour le développement de l’enfant élevé au foyer de deux personnes de même sexe.
    Il faut un référendum : vous qui vous réclamez si souvent des sondages quand ils vous arrangent – ce qui devient assez rare, il est vrai ! – (Rires sur les travées de l’UMP.),…
    M. François Rebsamen. Vous en avez aussi beaucoup usé en votre temps ! (Sourires.)
    M. Philippe Bas. … vous qui vous prévalez du vote des Français à l’élection présidentielle, vous ne devriez pas craindre le verdict du suffrage universel ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC. – Mme Esther Benbassa proteste.)
    Quand 700 000 Français signent une pétition contre votre réforme, quand tant de familles se mobilisent par centaines de milliers, pour dire non à cette réforme avec sincérité, avec conviction, avec détermination, avec calme, quand la société française se divise à ce point, tous les signaux sont allumés pour vous alerter sur la nécessité de ne pas passer en force et de respecter tous les Français qui s’expriment, au lieu de les caricaturer.
    En réalité, vous le savez bien, depuis trente ans aucune réforme n’a suscité une telle opposition populaire, une telle division entre Français, au moment où il serait si nécessaire de nous rassembler pour surmonter nos difficultés économiques et sociales et la crise morale dans laquelle notre pays et notre démocratie sont, hélas, plongés.
    Vous vous livrez à une interprétation de circonstance de l’article 11 de la Constitution.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Monsieur le conseiller d’État ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Philippe Bas. Une discussion est sans doute possible, mais cette réforme est bien relative à la politique sociale, comme l’article 11 de la Constitution l’exige. Dans la longue histoire de la Ve République, des interprétations beaucoup plus contestées de l’article 11 se sont finalement imposées à tous. Celle-ci est juste !
    En effet, comment douter qu’un projet de loi qui porte principalement sur la possibilité pour deux personnes de même sexe de recourir à l’adoption pour être parents ensemble ne concerne pas au premier chef les politiques sociales ? Les pupilles de l’État proposés à l’adoption sont confiés à l’aide sociale à l’enfance, que je sache ! La gestion des agréments pour les adoptants est confiée, dans le cadre de ces responsabilités sociales, au président du conseil général.
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Philippe Bas. Cette loi est bien, en grande partie, une loi de protection sociale, de protection de l’enfance, et elle entre donc bien dans le cadre de l’article 11 de notre Constitution ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille. (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. Jean-Claude Lenoir. Et des affaires sociales !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Je suis consciente de votre appétence très forte ces derniers jours pour un remaniement ministériel, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, mais, jusqu’à présent, je suis toujours ministre déléguée à la famille ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Puisque vous parliez d’accepter la contradiction, monsieur Bas, je souhaite répondre à l’ensemble des orateurs en abordant trois points.
    Je serai très brève sur le premier, puisque j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer hier soir. Dans la continuité des propos de Mme Jouanno, je le répète : l’homosexualité n’est pas un choix ; on ne décide pas d’être homosexuel ou hétérosexuel !
    Mme Annie David. Absolument !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. On ne décide pas d’être majoritaire ou minoritaire. Si nous admettons ce constat, nous éviterons certaines dérives langagières. J’ai entendu évoquer hier la notion de « préférence sexuelle », mais la question n’est pas là.
    Le deuxième point sur lequel je souhaite insister concerne l’adoption. Si nous voulons progresser dans le débat, il est nécessaire de rappeler un certain nombre de faits. Nous pouvons tomber d’accord sur un point : effectivement, de moins en moins d’adoptions internationales sont possibles. Les chiffres le démontrent : en 2006, près de 4 000 enfants étaient adoptés ; aujourd’hui, ce chiffre est divisé par deux.
    Toutefois, que je sache, les homosexuels ne sont en rien responsables de cette baisse de l’adoption internationale !
    M. Gérard Longuet. Nous n’avons jamais dit cela !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il faut examiner avec beaucoup plus de lucidité les raisons pour lesquelles l’adoption internationale est en régression.
    M. Christian Cambon. Ce n’est pas le sujet !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Mais si !
    L’adoption internationale est en régression, parce que la convention de La Haye a introduit des règles beaucoup plus strictes en ce qui concerne l’adoptabilité des enfants étrangers. L’adoption internationale est en régression, parce que nombre de pays qui rendaient ces enfants adoptables sont en plein décollage économique et qu’ils demandent à leurs nationaux d’adopter des enfants de leur pays plutôt que de les laisser partir à l’étranger.
    M. Bruno Sido. C’est vrai !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Peut-on ne pas s’en satisfaire ? Bien évidemment, non !
    Enfin, il faut savoir que le profil des enfants adoptables à l’international a évolué : il s’agit d’enfants plus âgés, qui peuvent présenter des problèmes de santé ou de handicap ou faire partie d’une fratrie. Les conditions exigées des familles potentiellement adoptantes doivent donc évoluer, si l’on veut remédier à la baisse de l’adoption internationale. Quoi qu’il en soit, les homosexuels ne sont absolument pour rien dans cette affaire !
    Certains ont exprimé des inquiétudes quant à l’avenir. Examinons la situation des pays qui ont ouvert l’adoption à des couples de même sexe : au contraire, l’Espagne a vu le nombre d’adoptions internationales augmenter ; parmi les enfants concernés, 160 ont été adoptés par des couples homosexuels. J’ai entendu dire qu’il n’y avait plus d’adoptions internationales en Belgique : c’est faux !
    Les chiffres sont là pour montrer que les pays d’origine n’ont pas fermé leurs frontières, puisque s’applique toujours la même réglementation qui garantit la liberté de choisir les familles adoptantes. Ne jouez donc pas sur des peurs qui ne sont pas fondées !
    Le dernier point sur lequel je tiens à insister est l’utilisation des psychologues ou des psychanalystes ; nous en avons encore eu un exemple dans l’intervention de M. Retailleau ce matin. Je l’invite à relire la pétition signée par plusieurs centaines de psychanalystes, qui s’expriment ainsi : « Nous, psychanalystes […], souhaitons par ce communiqué exprimer que “la psychanalyse” ne peut être invoquée pour s’opposer à un projet de loi visant l’égalité des droits. Au contraire, notre rapport à la psychanalyse nous empêche de nous en servir comme une morale ou une religion.
    « En conséquence, nous tenons à inviter le législateur à la plus extrême prudence concernant toute référence à la psychanalyse afin de justifier l’idéalisation d’un seul modèle familial.
    « Nous soutenons qu’il ne revient pas à la psychanalyse de se montrer moralisatrice et prédictive. Au contraire, rien dans le corpus théorique qui est le nôtre ne nous autorise à prédire le devenir des enfants quel que soit le couple qui les élève. La pratique psychanalytique nous enseigne depuis longtemps que l’on ne saurait tisser des relations de cause à effet entre un type d’organisation sociale ou familiale et une destinée psychique singulière. »
    Une autre psychanalyste disait : « La spécificité de notre métier est de ne pas être dans une norme. » C’est une très bonne chose pour les patients qui fréquentent les psychanalystes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de ce débat sur la motion référendaire, je veux saluer la qualité des interventions et, d’une certaine façon, des contre-plaidoyers qui ont présenté, avec beaucoup de clarté et de précision, des arguments juridiques, politiques ou encore éthiques.
    Ces interventions, comme celles d’hier, ont été d’une grande qualité, y compris celles de certains orateurs opposés au projet de loi. (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) Ce fut par ailleurs le cas de la très grande majorité, de la totalité même, des interventions des orateurs favorables à ce projet de loi. (Mêmes mouvements.) En effet, ces derniers sont allés au-delà de l’argumentaire développé par le Gouvernement. Ils ont exposé leurs convictions, mais surtout leur analyse. Il y a une rigueur qui rend hommage au droit, en particulier dans cette assemblée ; comme je le disais déjà hier : mesdames, messieurs les sénateurs, vous travaillez sur le fond et sur le droit.
    Je veux donc véritablement vous remercier du travail effectué, qui a la même tonalité aujourd’hui qu’hier. Nous avons eu le privilège extraordinaire d’entendre deux fois M. Jean-Michel Baylet, hier soir et ce matin, dans des interventions très construites, roboratives. (Exclamations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Comme à son habitude !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai pas la chance d’être présente chaque fois qu’il prend la parole, hélas ! donc je ne sais pas si telle est son habitude ! De même, Mme Tasca, M. Anziani et les rapporteurs ont fait preuve de la même pertinence.
    Si vous êtes aussi attentifs que moi, vous ne pouvez que convenir de la qualité de ces interventions et de ce qu’elles apportent à nos débats. En effet, je ne doute pas une seconde que vous ayez le souci, au-delà de vos convictions, au-delà de certaines croyances que j’ai entendu énoncer explicitement, d’adopter un texte qui soit le meilleur possible. Pour cela, nous devons faire bon usage des arguments et des analyses qui nous sont présentés.
    En tout cas, j’écoute avec la même attention les interventions de tous les sénateurs ; je pense que vous vous en rendez compte lorsque vous êtes à la tribune.
    M. Bruno Sido. Par souci d’égalité ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, monsieur le sénateur. Je le fais dans un souci de responsabilité à l’égard des citoyens pour lesquels nous élaborons les lois. Nous rédigeons les règles de la vie commune qui s’imposent à eux et j’ai l’obsession permanente de veiller à ce que ces règles améliorent leur vie, au lieu de la compliquer ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. François Rebsamen. Très bien !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Retailleau, vous avez commencé votre présentation de cette motion référendaire en rappelant un argument qui a été beaucoup utilisé à l’Assemblée nationale, avant de tomber en désuétude, si j’ose dire. Vous avez évoqué une « réforme de civilisation ».
    Comme je l’ai dit aux députés, je me réfère pour ma part à la civilisation au sens d’Aimé Césaire, selon lequel « une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».
    M. Bruno Sido. Eh voilà ! Nous y sommes !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La France a construit sa nation et ses républiques successives sur la passion de l’égalité. Oui, nous nous réclamons de l’égalité, parce que c’est une valeur fondamentale de la République. C’est la marque particulière de l’histoire de la nation française et des républiques françaises.
    Parce que nous nous référons à cette valeur, nous constatons que, à diverses périodes, on a rusé avec l’égalité. On a parfois inscrit des prétextes dans le droit pour refuser à des citoyens la plénitude de l’exercice de leur citoyenneté. C’est cela que nous corrigeons ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Oui, une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde, et nous pensons que la France n’est pas moribonde ! Lorsque nous repérons une ruse avec les principes, nous y mettons fin ; c’est ce que nous faisons avec ce texte.
    Les personnes homosexuelles sont des citoyens comme les autres…
    M. Gérard Longuet. Personne ne le conteste ! Ce n’est pas le sujet. C’est un problème de parenté : ces personnes ne sont pas des parents comme les autres !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Longuet, je vous ai écouté avec attention, au point de me rendre compte que, alors que vous aviez commencé votre propos en vous élevant, par des analyses qui semblaient fondées sur des principes, vous n’avez pas pu éviter le surgissement d’une petitesse en m’appelant par mon nom, « Mme Taubira », au sujet d’un candidat présent au deuxième tour de l’élection présidentielle…
    M. Gérard Longuet. J’ai rappelé un fait politique. En 2002, vous avez été candidate au premier tour de la présidentielle contre Lionel Jospin !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Voilà ! Vous avez beau essayer de vous élever vers des hauteurs vertigineuses, il y a des petitesses qui vous rattrapent ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. Gérard Longuet. C’est la vérité qui vous gêne !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Rien ne me gêne, monsieur Longuet !
    M. Gérard Longuet. Moi, je ne suis pas gêné ! J’ai voté pour Jacques Chirac ! Tant mieux si vous l’avez fait élire.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La seule chose qui peut me gêner en ce moment, c’est cette discourtoisie que je découvre ici, au Sénat, après avoir entendu une grossièreté hier après-midi ! C’est tout ce qui me gêne, parce que je n’étais pas habituée à cela dans cette maison ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Cette interruption permanente est discourtoise, monsieur Longuet ! Et je ne comprends pas pourquoi vous me reprochez d’être hors sujet, alors que je réponds précisément aux questions ou aux affirmations prononcées par celui qui, en votre nom à tous, a présenté la motion référendaire.
    De ma part, il y a là, tout d’abord, une marque de respect, et, ensuite, la prise au sérieux du travail de fond et des arguments qui ont été présentés.
    Monsieur Retailleau, vous vous interrogez sur ce qu’est la République. Évidemment, on peut donner des définitions de la République empruntées au droit ; on peut donner celles que l’on trouve dans les dictionnaires, puisque j’ai entendu ici des références à certains d’entre eux. La République s’est définie par l’histoire et par les choix des constituants et des législateurs.
    On peut donner toutes sortes de définitions de la République, des définitions subjectives, des définitions philosophiques, et évoquer la res publica, c’est-à-dire la chose publique, ce bien commun qui appartient à tous les citoyens et que nous devons partager.
    Ce bien commun n’autorise pas à faire main basse sur une institution républicaine et à considérer qu’une catégorie de citoyens, dont on apprécie l’orientation sexuelle, pourrait en être exclue.
    La République est définie dans la Constitution. Elle est qualifiée, en tout cas. Elle est indivisible et elle appartient à tous les citoyens. Elle est laïque, c’est-à-dire que les institutions publiques doivent échapper à toute influence : il faut qu’elles soient neutres, pour être au service de l’ensemble des citoyens.
    Je vous rappelle l’histoire de la République et de la laïcité. Cette dernière a été organisée par la loi de 1905 pour soustraire l’État et les institutions publiques aux influences confessionnelles, en premier lieu, mais aussi aux influences partisanes, aux influences financières et économiques, aux influences des lobbies. Une République laïque est donc fondée sur un principe de concorde. Et celui-ci permet le traitement égal dans la société de l’ensemble des citoyens, de chaque citoyen, dans son individualité.
    Notre République est démocratique. La démocratie, ce n’est pas simplement le règne de la majorité, ce qui nous conviendrait. C’est le règne du droit, comme le disait le philosophe Alain. Ce sont donc nos lois qui ont force de règle dans l’ensemble de la société.
    La République est aussi sociale, c’est-à-dire qu’elle vise principalement à lutter contre les inégalités et contre les injustices. Elle inscrit cette démarche dans les textes et elle assure qu’aucune différence ne peut servir de prétexte pour justifier des discriminations. C’est précisément ce que nous voulons corriger !
    J’ai entendu dire que ce projet de loi allait tarir la source des enfants qui peuvent être adoptés. Pour nous, il n’y a pas « les enfants qui peuvent être adoptés ». Il y a chaque enfant. Pour nous, il n’y a pas « un marché d’enfants à adopter », cette expression que consolidait, d’une certaine façon, M. Longuet, lorsqu’il parlait de l’offre, de la demande et de la solvabilité qui sera appréciée.
    M. Gérard Longuet. C’est ce que nous craignons !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, nous n’avons pas la même approche ! J’ai cité hier soir René Char, pour qui « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux. »
    Cette façon de définir l’adoption internationale, et même l’adoption nationale, sous forme de marché, d’offre, de demande, de solvabilité…
    M. Gérard Longuet. C’est ce que vous allez créer !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … nous paraît assez effrayante.
    Vous nous avez dit que l’amour ne doit pas être un élément qui permette d’organiser une institution. Sans aucun doute, mais c’est valable pour tous ! Si c’est valable pour les homosexuels, c’est valable pour les hétérosexuels ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. L’amour est partout !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Si je vais jusqu’au bout de ce raisonnement, nous abolissons le mariage !
    J’en viens aux revendications catégorielles. Il arrive, effectivement, que des revendications soient portées par des groupes, que ceux-ci appartiennent à la société civile ou qu’ils soient organisés dans des structures démocratiques, comme les syndicats ou les partis politiques. Elles peuvent aussi être portées par des groupes informels.
    La question n’est pas de savoir si les revendications sont portées par un groupe, petit, moyen ou grand, mais si elles sont légitimes et si une alerte adressée aux institutions publiques est fondée. Car si tel est le cas, les institutions publiques doivent s’emparer du problème, pour travailler à le résoudre.
    Dans l’histoire de la France, et dans celle du mariage en particulier, de telles alertes ont parfois été lancées par des groupes, voire par de simples individus. Vous vous rappelez comment a été institué le mariage civil : à partir d’une interpellation au constituant formulée par le citoyen Talma, comme on disait à l’époque. Sur la base de cette interpellation, une mission a été confiée, un rapport a été établi et le constituant révolutionnaire a décidé d’instituer un mariage civil, qu’il a défini dans la Constitution de 1791.
    Cette revendication, M. Talma l’a portée parce qu’il était comédien et parce que l’Église excluait alors les professions de « saltimbanques » du mariage religieux. La revendication de M. Talma n’était-elle pas fondée ? Fallait-il la rejeter au motif qu’il était concerné par la question et qu’il a interpellé le législateur – le constituant, en l’occurrence ? Sa revendication était tellement fondée qu’elle a abouti à l’institution du mariage civil !
    L’argument qui consiste à rejeter la revendication parce qu’elle est formulée par des catégories n’est donc pas recevable. Ce qui doit être examiné, c’est la nature de nos actes. Or nous ne faisons que rétablir l’égalité proclamée dans la devise de la République. Nous considérons que les couples homosexuels ont le droit de se marier, de composer leur vie commune et leur famille au même titre que les couples hétérosexuels. Il faut leur ouvrir la seule façon de le faire qui ne l’était pas jusqu’à maintenant.
    Je reviendrai plus tard sur un certain nombre de points, car je pense qu’ils seront de nouveau évoqués par M. Jean-Jacques Hyest, quand il défendra la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
    M. Jean-Jacques Hyest. Vous ne savez pas ce que je vais dire !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je l’ignore, en effet !
    M. Jean-Claude Gaudin. Vous avez déjà confessé notre collègue, madame la garde des sceaux ! (Sourires.)
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne me savais pas aussi douée, monsieur le sénateur ! (Nouveaux sourires.)
    Avant de revenir sur ces points, je m’arrêterai un instant sur la différence entre « social » et « sociétal ». Vous vous êtes référés à l’Académie française, au Petit Robert et à l’étude d’impact, qui examine scrupuleusement l’impact social d’un texte de loi, comme le font toutes les études d’impact.
    M. Jean-Jacques Hyest. C’est obligatoire !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et cela n’induit pas que la nature du sujet est sociale !
    La différence entre « social » et « sociétal » est absolument claire, et cela depuis un moment, puisqu’elle l’était déjà en 1995.
    Vous êtes le législateur. Dans notre quotidien, nous pouvons avoir besoin de l’Académie française, du Petit Robert, voire du Littré. Toutefois, pour comprendre le législateur, ce qui prévaut, c’est l’intention.
    Lorsque nous nous interrogeons sur l’interprétation d’un terme ou d’un concept contenu dans un texte de loi, c’est auprès de son auteur que nous devons aller trouver l’expression, la source, l’intention. Sur le sujet de ce matin, je vous invite à consulter, plutôt que l’Académie française, les travaux préparatoires à la révision constitutionnelle de 1995.
    Le garde des sceaux de l’époque, M. Jacques Toubon, a été abondamment cité. La première fois qu’il l’a été, cela a été par mes soins. Je m’en réclame parce que les citations et les références croisées sont toujours extrêmement surprenantes ! J’ai donc été la première à évoquer M. Jacques Toubon devant la commission des lois de l’Assemblée nationale.
    Je suis d’autant plus à l’aise pour parler de ces débats que, à l’époque, votre formation politique, dont le nom a changé mais qui a gardé la même sensibilité, détenait la majorité. Lors des travaux préparatoires à ces débats sur le projet de loi constitutionnelle de 1995, la question a été posée précisément par les parlementaires, sénateurs et députés.
    Or le garde des sceaux a répondu précisément, dissipant toute confusion entre « social » et « sociétal ». Ce n’est pas par omission, oubli ou inadvertance que le législateur n’a pas inclus dans le champ du référendum les questions à caractère « sociétal ».
    Lors de son audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale, le garde des sceaux a répondu que le Gouvernement avait choisi d’exclure du champ d’application du référendum « les sujets touchant à la souveraineté comme la défense et la justice ou ce qu’il est convenu d’appeler les questions de société avec les libertés publiques, le droit pénal ou encore les lois de finances dont l’examen relève des prérogatives traditionnelles du Parlement. » C’est clair !
    Il poursuivait ainsi : « Il doit donc être clair qu’il ne saurait y avoir de référendum sur des sujets tels que la peine de mort, la repénalisation de l’avortement », etc. En effet, je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais certains réclamaient, à l’époque, un référendum pour rétablir la pénalisation de l’avortement.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. On l’oublie !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le garde des sceaux de l’époque a eu le courage de dire, s’exprimant à la fois en droit et en responsabilité, que la Constitution n’autoriserait pas l’organisation de référendum sur « la repénalisation de l’avortement ou sur l’expulsion des immigrants clandestins, le référendum n’étant pas – et ne devant pas être – un instrument de démagogie. »
    M. Jacky Le Menn. Bravo !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. La révision constitutionnelle visait à étendre le champ d’application du référendum. M. Jacques Toubon a clairement précisé qu’en seraient exclus, en revanche, le droit pénal, l’entrée et le séjour des étrangers en France, les libertés publiques dès lors qu’elles ne constituent pas une orientation de politique économique et sociale ou une règle fondamentale du service public, les prérogatives de police, la politique étrangère, la politique de défense, la justice et le droit civil.
    Autrement dit, le garde des sceaux a pris la peine, au sujet de la justice, de préciser « et le droit civil », qui recouvre l’état des personnes et les libertés.
    M. François Rebsamen. Bravo !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’état des personnes et les libertés ont donc été exclus explicitement du champ du référendum par le garde des sceaux de l’époque. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Vous avez fait une mauvaise manière – je la relève, parce que je pense que vous avez parlé ainsi davantage par goût pour l’ironie que par intention de nuire – au Conseil économique, social et environnemental. Je tiens à rectifier vos propos parce que je lis, depuis des années, les rapports de cette institution, et je les trouve d’excellente qualité.
    Cette institution est d’une grande utilité. Certes, il est arrivé qu’on décide inconsidérément d’augmenter le nombre de ses membres,…
    M. François Rebsamen. Pour caser des politiques !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … que les désignations des conseillers se fassent d’une façon qui mérite peut-être que le législateur, ici en tant que responsable politique, les examine, les commente et les apprécie. Cela arrive ! Néanmoins, l’institution, en tant que telle, est utile à notre démocratie et produit un travail de très grande qualité. Je ne relève donc ce point, soulevé, à mon avis, avec un soupçon d’ironie, que pour rendre hommage à cette institution.
    M. François Rebsamen. Bravo !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le référendum introduit par la révision constitutionnelle de 2008 n’est pas un référendum d’initiative populaire. C’est un référendum d’initiative partagée ! Nous le savons et nous l’avons souligné à l’occasion de l’examen par le Sénat du projet de loi relatif à cette procédure, il y a quelques semaines. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, il faut le dire aux personnes auxquelles vous promettez de vous battre pour obtenir un référendum !
    M. Bruno Retailleau. Je l’ai dit ici !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Absolument, monsieur le sénateur, et je vous rends…
    M. Bruno Retailleau. Grâce ? (Sourires.)
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, je vous rends justice ! Il n’y a pas de nécessité que je vous rende grâce… (Nouveaux sourires. – M. Daniel Raoul applaudit.)
    Je le répète, ceux qui font croire, notamment aux manifestants, qu’ils peuvent se battre pour réclamer, en vertu de cette disposition constitutionnelle, un référendum d’initiative populaire, ceux-là les trompent, peut-être par méconnaissance, mais ils les trompent.
    D’abord, en effet, cela a été rappelé, quatre années se sont écoulées sans qu’aient été inscrites dans notre législation les modalités nécessaires à l’application du référendum d’initiative partagée.
    Par ailleurs, tel qu’il est conçu, ce référendum est une prérogative parlementaire qui ne saurait servir qu’à titre supplétif, s’il advenait que le Parlement n’inscrive pas dans les délais la proposition de loi d’initiative parlementaire.
    Autrement dit, non seulement les textes d’application n’ont pas été présentés, ni donc adoptés, mais, même s’ils l’avaient été, ils n’auraient pas permis d’organiser un référendum d’initiative populaire. Cela, il faut le dire très clairement aux manifestants de bonne foi.
    Je vous prie de me pardonner d’avoir été un peu longue. J’entends des soupirs d’impatience... (Non, pas du tout ! sur les travées de l’UMP. – Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
    M. Charles Revet. Vous savez bien que nous vous écoutons, madame la ministre !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pense cependant que ce sujet mérite que nous lui accordions le temps et les précisions nécessaires.
    J’ai observé, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, que vous étiez pris d’une passion soudaine pour des personnalités de gauche, que vous avez abondamment citées. Je pense donc que vous serez sensibles à une citation de Jean Jaurès ! (Ah ! sur les travées de l’UMP.) Il faut bien que nous alimentions cette admiration récente ! (Sourires sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.) Elle vous permettra, surtout, de comprendre pourquoi nous livrons cette bataille et allons continuer à le faire avec détermination.
    Nous sommes en effet persuadés qu’en termes aussi bien juridiques qu’éthiques et politiques, nous avons raison et œuvrons en faveur de l’égalité.
    M. Charles Revet. Mais non !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous sommes par ailleurs convaincus que toutes les propositions, qu’elles soient formulées en toute lucidité ou en quelque sorte par inadvertance, qui tendent à instituer un mariage « spécial » pour les personnes homosexuelles, parce que l’on considère qu’il faut améliorer leurs droits sociaux, leur situation au regard de la fiscalité, leur protection sur le plan matériel, toutes ces propositions ne sont en fait que des ruses, visant à ranimer certaines croyances. Je ne parle pas ici des croyances religieuses, mais de celles qui, s’appliquant à des attitudes ou à des caractéristiques que l’on prête à certaines personnes, vont à l’encontre de l’égalité des droits.
    Les personnes homosexuelles sont des citoyens à part entière… (Nous sommes d’accord ! sur les travées de l’UMP.)
    M. Charles Revet. Personne ne le conteste !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … et, en tant que tels, elles doivent avoir accès à cette institution du mariage, non pas retouchée, ripolinée ou restreinte, mais dans toute sa plénitude d’institution républicaine.
    Nous allons donc continuer à nous battre,...
    M. Charles Revet. Nous aussi !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. ... en vous écoutant, en vous respectant, en tenant compte de vos observations et en étudiant scrupuleusement vos amendements.
    M. François Rebsamen. Allumons le soleil !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et les étoiles ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
    Je vous ai promis une citation de Jean Jaurès, la voici : « il vaut la peine de penser et d’agir, [...] l’effort humain vers la clarté et le droit n’est jamais perdu. »
    Voilà pourquoi nous savons que nous ne perdrons jamais cette bataille ! (Vifs applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe écologiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La discussion générale est close.
    Mes chers collègues, ayant d’ores et déjà reçu quatorze demandes d’explication de vote sur l’article unique de cette motion référendaire, il me paraît préférable, pour la cohérence de nos débats, que nous interrompions maintenant nos travaux.
    La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Nous poursuivons l’examen de la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Je rappelle que la discussion générale a été close.
    Nous passons à la discussion de l’article unique de la motion référendaire.
    Article unique
    En application de l’article 11 de la Constitution et des articles 67 et suivants du règlement, le Sénat propose au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013).
    Explications de vote

    M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique, je donne la parole à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
    M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, nous allons donc être appelés à nous prononcer sur la motion référendaire qui, après avoir été brillamment défendue par notre collègue Bruno Retailleau, a donné lieu à un certain nombre d’échanges au cours de la matinée.
    Néanmoins, nous aurons sans doute l’occasion, dans les jours qui viennent, de débattre sur le fond, de faire des propositions alternatives, éventuellement de modifier le contenu de ce projet de loi. Cependant, la question qui est posée à présent est la suivante : le texte qui nous est soumis doit-il être soumis à référendum ? En d’autres termes, le peuple français doit-il se prononcer par référendum sur cette question ?
    Je répondrai que le peuple français doit se prononcer, parce que c’est un devoir que de le consulter, et qu’il peut se prononcer, ce qui signifie qu’il en a la possibilité, contrairement à ce que laissaient entendre certaines constructions juridiques qu’on nous a présentées ce matin.
    Oui, le peuple français doit se prononcer, et les propos mêmes de Mme le garde des sceaux, étayés par ceux d’autres intervenants, me renforcent dans cette conviction.
    Vous l’avez dit, madame la ministre, le texte qui nous est proposé ouvre un vrai changement de société. Ce changement n’est pas de ceux qui, à travers des textes de loi, meublent habituellement l’ordre du jour du Parlement. C’est un changement profond, qui concerne l’une des bases de notre société, et même son socle : la famille.
    Je le dis devant l’effigie de Portalis,...
    M. Charles Revet. Il est bien placé !
    M. Jean-Claude Lenoir. ... que l’évocation de ses écrits, au demeurant, laissera sans doute de marbre. (Sourires.)
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je le confirme ! (Nouveaux sourires.)
    M. Jean-Claude Lenoir. Portalis a écrit à propos du mariage : « C’est la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider, par des secours mutuels, à porter le poids de la vie, et pour partager leur commune destinée. »
    Le fait que vous remettiez en cause la définition du mariage telle qu’elle fut rédigée par celui-là même qui l’a inscrite dans le code civil, définition selon laquelle la famille est constituée d’un homme et d’une femme, c’est bien un vrai changement, sur les implications duquel nous aurons l’occasion de nous exprimer au cours des jours et des nuits à venir. Rien que sur ce point, le peuple français doit être appelé à se prononcer.
    Ensuite, le peuple français peut-il se prononcer ?
    J’ai entendu un certain nombre d’arguments donnant à penser qu’il n’est pas possible d’organiser un référendum sur cette question.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est évident !
    M. Jean-Claude Lenoir. Je note que le président de la commission des lois, en ce début d’après-midi, veut bien faire entendre sa voix pour appuyer cette analyse formulée au cours de la matinée. (Sourires.)
    L’argument qui consiste à se fonder sur une citation de Jacques Toubon n’est pas très pertinent.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ce n’est pas gentil pour lui !
    M. Jean-Claude Lenoir. En effet, les travaux préparatoires qui ont précédé la modification de la Constitution ne peuvent en rien se substituer au texte même de la Constitution.
    Ces travaux, nous le savons, peuvent éclairer le lecteur de la Constitution, pour le cas où il y aurait une confusion. Or vous entretenez, avec une constance qui se vérifie à chacune de vos interventions, l’idée selon laquelle il y aurait une confusion autour du mot « social ».
    Madame la ministre, je ne partage absolument pas votre avis : il n’y a pas de confusion !
    Rappelez-vous : en 1995, nous siégions tous deux à l’Assemblée nationale au sein du même groupe parlementaire, qui s’appelait « Liberté et progrès ».
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous étions alors plus fringants ! (Sourires.)
    M. Charles Revet. Ah bon, vous étiez dans le même groupe ? C’est une révélation ! (Nouveaux sourires.)
    M. Jean-Claude Lenoir. À l’époque, nous n’avons pas utilisé le mot « sociétal ». Ce mot, entré récemment dans notre vocabulaire, d’où vient-il ? C’est une transposition en français du mot anglais societal, qui lui-même n’est apparu qu’à la fin du XIXe siècle.
    J’ai cherché à en savoir plus sur l’histoire de ce mot. Les étymologistes anglais nous expliquent qu’il s’agit d’une forme aristocratique du mot social. En réalité, c’est un de ses synonymes ; c’est même, selon l’un de ces savants, une forme pédante du mot social.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Vous y croyez ?
    M. Jean-Claude Lenoir. Pour moi, « social » et « sociétal » veulent dire la même chose.
    Dès lors, madame la ministre, les textes que nous avons votés ensemble en 1995 nous autorisent parfaitement à saisir le peuple français de cette évolution de la société, de ce changement profond auquel vous aspirez et qui est le contenu même de votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. J’invite les prochains orateurs à respecter scrupuleusement leur temps de parole. Monsieur Lenoir, je vous ai laissé aller au bout de votre raisonnement, qui était très intéressant,…
    M. Jean-Claude Lenoir. Merci, monsieur le président !
    M. le président. … mais je serai dorénavant plus intransigeant.
    La parole est à M. Christophe Béchu.
    M. Christophe Béchu. Si je comprends bien, monsieur le président, j’inaugure le cycle de votre intransigeance ! Je vais donc essayer de m’y soumettre d’avance. (Sourires.)
    Je ne tiens d’ailleurs pas rigueur à mon collègue Jean-Claude Lenoir d’avoir quelque peu dépassé son temps de parole, car il a, ce faisant, servi une partie de mes arguments. C’est une raison de plus de ne pas prolonger mon intervention.
    Madame la garde des sceaux, je tiens d’abord à vous dire que je n’ai aucun doute sur la sincérité avec laquelle vous défendez ce texte, pas plus que sur l’intensité de vos convictions et de vos valeurs. Je ne doute pas non plus que vous ayez la certitude de faire œuvre utile en présentant ce texte, ainsi que vous l’avez dit avant que la séance soit suspendue.
    Mais croyez bien que je m’exprime dans cet hémicycle avec la même intensité dans les convictions et les valeurs, et avec le même sentiment de faire œuvre utile en m’opposant à ce projet de loi.
    Nous avons effleuré, ce matin, un certain nombre d’arguments. Je concentrerai mon intervention, non sur l’adoption internationale ou sur la question de l’inconstitutionnalité, mais sur le sujet qui nous occupe à présent : la motion référendaire.
    Vous nous dites en substance qu’il ne serait pas possible de recourir au référendum pour trois raisons.
    Selon la première, ce référendum serait impossible juridiquement. Cela a été démontré, le lien entre le social et le sociétal est extrêmement étroit. Or ce texte concerne d’abord les familles. Je ne crois donc absolument pas à cette objection.
    La deuxième raison, c’est que nous devons faire notre travail de parlementaire. Pour ma part, et comme beaucoup de mes collègues, quelle que soit leur appartenance politique, j’appréhende ma fonction avec beaucoup d’humilité. Aussi, je considère que, sur certains sujets, il n’est pas illogique que ce soient les citoyens qui aient leur mot à dire : après tout, s’il s’agit bien du mariage pour tous, ce doit être l’affaire de tous et chacun doit pouvoir s’exprimer de manière directe.
    La troisième raison, c’est que le référendum aurait en quelque sorte eu lieu le 6 mai dernier.
    M. Bruno Retailleau. Alors, là !
    M. Christophe Béchu. Voilà un argument que je ne peux entendre !
    M. Bruno Retailleau. Nous non plus !
    Mme Catherine Troendle. Bien sûr !
    M. Christophe Béchu. Si l’on envisage les choses de cette manière, force est de constater que nombre de décisions qui ont été prises depuis le 6 mai ne faisaient pas partie de la plate-forme sur la base de laquelle les Français ont élu le Président de la République. Avait-il annoncé qu’il augmenterait la TVA ou qu’il envisageait un allongement de la durée des cotisations ? (Non ! sur les travées de l’UMP.)
    Sur ce point, je me sens assez proche du Front de gauche, qui considère qu’il y a un manquement à une parole. C’est pourquoi j’ai du mal à comprendre que l’on invoque cet argument pour justifier que cet engagement, et celui-là seul, doit être en quelque sorte « sanctuarisé », alors que tant d’autres ont fait l’objet de reniements ou d’ajustements et que la réaction de la population ou des corps sociaux est si vive.
    Madame la garde des sceaux, vous avez cité ce matin cette phrase d’Aimé Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde. »
    J’ai sincèrement le sentiment que vous rusez avec nos principes, sur la forme et sur le fond.
    Sur la forme, vous refusez sur un sujet aussi important de laisser la parole au peuple.
    Sur le fond, surtout, vous donnez à ce mot « égalité » un sens qu’il n’a ni en principe ni en droit : l’égalité n’a jamais consisté, à aucun moment de notre histoire juridique, à traiter tout le monde de la même façon ; elle consiste à traiter de façon identique ceux qui sont dans des situations identiques.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. C’est absurde !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est surtout effrayant !
    M. Christophe Béchu. De fait, cet argument ne tient pas.
    Par-dessus tout, qu’y a-t-il de plus important que de se préoccuper des plus fragiles, au premier rang desquels se trouvent les enfants ? N’est-ce pas le premier des principes ? N’est-ce pas le premier rôle du législateur et des politiques ? C’est en ce sens que je considère qu’il y a là ruse avec nos principes.
    M. André Reichardt. Absolument !
    M. Christophe Béchu. Madame la garde des sceaux, je ne parle pas des enfants qui sont déjà là, pas plus que de la circulaire que vous avez prise pour reconnaître qu’il y avait des situations de fait et des réalités humaines qui, loin des abstractions juridiques, nous obligeaient à faire un geste, dans un souci de protection.
    Je parle des conséquences de ce texte. En effet, au nom de la même argumentation spécieuse sur l’égalité, on nous expliquera demain que la PMA et la GPA sont obligatoires. Je rends d’ailleurs hommage à votre absence totale d’hypocrisie sur ce point puisque vous reconnaissez que l’égalité doit conduire à aller jusque-là. Mais c’est nous entraîner vers des effets dominos et nous amener sur des terrains éthiques que nous n’avons pas balisés. Cela ne pourra qu’avoir des conséquences très problématiques pour les plus faibles, ceux-là même que nous devons protéger, ces enfants qui seront conçus avec d’autres méthodes.
    Voilà pourquoi je considère que la motion référendaire doit être approuvée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Yves Détraigne et Philippe Darniche applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
    M. André Reichardt. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en qualité d’Alsacien, je ne peux pas ne pas rebondir sur la référence de Bruno Retailleau au référendum auquel sont conviés les Alsaciens dimanche prochain. Comme vous le savez tous maintenant, les médias nationaux s’étant enfin emparés du sujet, le 7 avril, les Alsaciens sont amenés à se prononcer sur la fusion du conseil régional d’Alsace et des conseils généraux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
    M. Bruno Retailleau. Très bien !
    M. André Reichardt. Certes, nous sommes là très loin du mariage homosexuel et, subséquemment, de la filiation. Pourtant, permettez-moi, en tant qu’acteur engagé dans la campagne référendaire actuelle – et une campagne référendaire n’est pas très fréquente –, de formuler trois observations.
    Premièrement, j’entends témoigner ici de la soif qu’ont nos concitoyens de débattre des sujets qui les préoccupent. Je m’appuie sur l’exemple des Alsaciens, mais je suis sûr que c’est le cas de tous les Français.
    Dans le sillage de Philippe Richert, qui porte ce dossier, je parcours, matin, midi et soir – quand je ne suis pas au Sénat ou dans d’autres instances –, l’Alsace du nord au sud. J’ai ainsi participé à un grand nombre de réunions publiques : près de 150 ont été organisées depuis plusieurs mois.
    Je peux attester que le référendum est une opportunité extraordinaire de débattre sur le fond du dossier avec nos concitoyens.
    Soir après soir, réunion après réunion, nous échangeons nos arguments, nous complétons nos informations respectives, nous nous accordons – j’insiste là-dessus – sur les éléments du dossier au fond. La fusion des trois collectivités alsaciennes est complexe. Quand on les interroge sur cette mesure, les Alsaciens commencent par nous demander ce que sont un conseil général et un conseil régional. Le dialogue est donc absolument nécessaire : plus le dossier est complexe, plus il est important de parler le même langage pour décider ensemble.
    À propos du présent projet de loi, on ne cesse de brandir ces chiffres : 53 % des Français semblent favorables au mariage de personnes du même sexe, mais 56 % d’entre eux sont défavorables à l’adoption dans ces conditions. Il faut s’assurer que nous parlons bien des mêmes choses. Dans ce dossier autrement plus complexe du mariage homosexuel, complété aujourd’hui par l’adoption et, qu’on le veuille ou non, compte tenu de la récente jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, complété demain par la PMA et la GPA, nous aurions intérêt, mes chers collègues, à nous accorder sur le fond avant de nous prononcer. Il y va de la bonne compréhension de ce dont nous parlons par nos concitoyens.
    Deuxièmement, politique sociale ou politique sociétale, peu importe l’interprétation que l’on a de l’article 11 de la Constitution. Bien que je sois docteur en droit, tout cela me paraît tout à fait secondaire, en tout cas bien loin de nos préoccupations d’aujourd’hui. Le référendum présente à mes yeux un intérêt évident, celui d’apaiser le débat et de rassembler les Français, comme indique vouloir le faire le Président de la République. Pour rassembler les Français, il faut parler de la même chose !
    Troisièmement, le référendum nous offre une occasion magnifique de rapprocher les Français des hommes et des femmes politiques, au moment même où nos concitoyens, du fait d’événements récents, s’interrogent. Il ne faut pas la laisser passer !
    Mardi et mercredi derniers, j’ai passé deux soirées extrêmement difficiles. Chaque fois que les élus prenaient la parole, jaillissaient de la salle des sarcasmes, alors que nous ne sommes en rien concernés par la récente affaire sur laquelle je ne veux pas revenir.
    Dès lors, je crois qu’il est essentiel que nous proposions résolument au Président de la République de soumettre ce projet de loi au référendum. J’ai cosigné cette motion référendaire. Ce que j’observe autour de moi depuis quelque temps m’incite à la défendre bec et ongles.
    Mes chers collègues, j’espère vous avoir convaincus de voter, tous ensemble, massivement, cette motion référendaire ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Yves Daudigny. Nous ne sommes pas convaincus !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
    M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comme l’atteste la mobilisation grandissante de nos concitoyens, qu’ils soient jeunes ou âgés, religieux ou laïcs, français de souche ou d’origine immigrée, de droite ou de gauche, homosexuels ou hétérosexuels, ouvrir le mariage aux personnes de même sexe va bien au-delà de nos logiques partisanes.
    Récemment, le Président de la République déclarait : « En ce moment, il y a une radicalité, une montée des excès, une violence dans la rue. » Nos concitoyens manifestent dans la rue, à Paris, dans nos départements. Ils nous écrivent abondamment pour protester contre ce projet de loi. Oui, cher Jean-Pierre Sueur, le nombre de courriers que nous avons reçus dans le Loiret est considérable, et même des maires que vous connaissez aussi bien que moi sont révoltés par ce qui se passe actuellement.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je leur réponds !
    M. Jean-Noël Cardoux. Devons-nous plus longtemps rester sourds à leurs demandes ? Pouvons-nous abandonner ce débat à une minorité et admettre qu’une association comme LGBT, Lesbiennes, gays, bi et trans en France, qui compte 2 000 adhérents, puisse imposer un choix de société qui concerne 65 millions de Français ? Non, sauf à considérer, comme le rapporteur Jean-Pierre Michel, que le fondement du « juste », c’est le « rapport de force », selon « le point de vue marxiste de la loi ». Cette citation m’en rappelle une autre, de sinistre mémoire : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires. » (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
    Ce n’est ni ma conception ni celle de la loi républicaine : la loi est l’expression de la volonté générale, non celle de l’envie de quelques-uns. Il ne peut en être autrement si le Président de la République considère que son mandat doit « permettre le rassemblement du pays, l’apaisement de la France », comme il le rappelait lors de ses vœux à la jeunesse.
    Mes chers collègues, saisissez cet outil proposé par Bruno Retailleau : cette motion référendaire vient servir la volonté de dialogue social tout à fait légitime et si chère à la majorité. En effet, « le dialogue [...] n’est pas un obstacle sur le chemin des décisions, il permet de les prendre librement, de les assumer pleinement et surtout de les appliquer efficacement. [Le dialogue] doit être un processus constant et cohérent. » C’est le Président de la République lui-même qui a tenu ces propos au mois de juin dernier devant les membres du Conseil économique, social et environnemental en annonçant la conférence sociale.
    Pourquoi le dialogue ne concernerait-il que les salariés et les entreprises, et pas les familles ? En quoi ces dernières ne sont-elles pas légitimes pour être entendues ? Parce qu’elles seraient « sociétales » et non « sociales » ? Je ne reviendrai pas sur le débat qui a été lancé. Dans ce cas, il faudrait renommer la commission des affaires sociales « commission des affaires sociales et des affaires sociétales », pour que son rapporteur, Michelle Meunier, ait toute sa légitimité à intervenir dans la discussion de ce projet de loi.
    Refusez-vous ce référendum parce que vous craignez un rejet majeur de la politique du Gouvernement et de ses façons de faire ? Pensez-vous véritablement que la pression de la rue retombera une fois le texte adopté sans consultation référendaire ?
    Je vous rappelle les propos que tenait François Hollande en 2006 sur le CPE, le contrat première embauche : « Quand il y a des milliers et des milliers de citoyens, jeunes ou moins jeunes, [...] aussi mobilisés, à quoi sert d’attendre la prochaine manifestation ? [...] Il suffirait d’un mot, un seul, que le pouvoir hésite à prononcer : l’abrogation. C’est un gros mot pour la droite. Mais quand on a fait une erreur, il faut savoir l’effacer. » Si cette motion référendaire est rejetée, j’espère que l’abrogation ne deviendra pas un gros mot pour la gauche...
    Ce débat dépasse largement les frontières des partis politiques. Or il est à craindre que plusieurs parlementaires de la majorité, tel Janus, ne puissent exercer leur liberté de conscience et exprimer par leur vote leur opposition au texte, du fait du règlement intérieur du parti socialiste. Vous avez constaté qu’à l’UMP la liberté de parole et de choix est de rigueur, comme l’a souligné Alain Milon hier. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
    La colère de la rue et les pressions multiples sont une chose, la liberté de conscience en est une autre. Elle est l’honneur du Parlement. Aussi est-ce à cette liberté que j’en appelle. Je n’imagine pas que votre vote puisse être motivé par d’autres raisons que par le bien commun et l’intérêt national.
    Peut-on imaginer qu’une personne sans racine puisse se développer sainement ?
    Depuis la nuit des temps et dans toutes les sociétés, le mariage d’un homme et d’une femme a été le socle pour bâtir la cohésion des nations. Nul ne pouvait imaginer la conception d’un enfant en dehors de ce couple. Aujourd’hui, on nous propose de libérer l’homme de sa condition naturelle par la culture et par la technique.
    « Chassez le naturel, il reviendra. » Ainsi, plus le droit de la famille s’est fragilisé, plus les recours en expertise génétique se sont développés pour établir les liens de filiation. Alors que se profile le passage d’une filiation intrinsèque à une filiation octroyée par la volonté d’adultes, tout le monde s’accorde à revendiquer la levée du secret des origines.
    Mes chers collègues, au nom du bénéfice que la majorité d’entre nous a connu d’avoir ses géniteurs comme parents, je vous invite à faire le choix le meilleur pour l’enfant. Au-delà de tout calcul politicien, nous devons sans cesse nous poser la question : quel monde laisserons-nous à nos enfants ? C’est pourquoi je soutiendrai la motion défendue par Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, pour moi, le peuple français doit se prononcer. Je voudrais en effet vous rendre attentifs au fait que personne, dans cet hémicycle, quelles que soient les travées sur lesquelles il siège, ne peut affirmer qu’il a reçu un mandat de ses électeurs pour décider de ce sujet du mariage pour tous.
    Nous sommes, les uns et les autres, élus sur les positions politiques, économiques et sociales que nous défendons à propos, notamment, de la gouvernance et des compétences des collectivités. Mais aucun de nos électeurs n’a eu, au moment de notre élection, connaissance de notre position sur le mariage pour tous. Prenez n’importe quel département et écrivez à tous les maires pour leur demander s’ils nous ont vraiment mandatés pour voter dans un sens ou dans l’autre sur ce sujet !
    C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il y a, dans chaque camp politique, des positions différentes, voire opposées.
    Aussi, donner la parole au peuple, qui la réclame très largement, serait tout simplement juste et prudent.
    Vous n’ignorez pas qu’une vraie réforme de société ne peut qu’avoir été pensée, réfléchie, mais surtout conçue de manière consensuelle.
    Disant cela, nous ne démissionnons nullement de notre fonction de législateur. Car, si le peuple dit oui, il nous faudra encore légiférer, et nous serons alors pleinement dans notre rôle.
    Enfin, chers collègues de la majorité, vous ne pouvez pas vous fonder exclusivement sur l’engagement électoral de François Hollande pour défendre le mariage pour tous. En effet, le texte va bien au-delà du contenu de cet engagement. Si ce texte n’avait prévu que l’union des couples homosexuels, je vous le dis franchement, il y aurait eu une très large majorité pour le soutenir.
    Le problème, c’est que vous êtes allés trop loin. Vous avez tout mélangé, le mariage, l’adoption et la filiation, de surcroît avec une très grande hypocrisie. En effet, vous ne le dites pas, mais vous êtes en train de mettre en place, dès ce texte, la PMA et la GPA. (Bien sûr que non ! sur plusieurs travées du groupe socialiste et du RDSE.)
    N’ayez pas peur du peuple, mes chers collègues ! D’ailleurs, il ne vous pardonnera pas de l’avoir ainsi évincé et vous le rappellera longtemps !
    Ce n’est pas une simple motion de procédure que nous défendons. L’affaire est bien plus grave. Croyez-moi, le peuple vous rappellera que vous n’avez pas voulu lui donner la parole sur cette affaire extrêmement importante !
    Oui, aujourd’hui, le peuple français doit pouvoir se prononcer !
    J’ai cosigné cette motion référendaire, je la soutiens et je la voterai ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Yves Détraigne, Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. François Pillet.
    M. François Pillet. Mes chers collègues, mon intervention se situe dans la droite ligne de la précédente.
    Dans leur esprit comme dans leur lettre, les institutions républicaines qui organisent la représentation du peuple ne prévoient jamais la délégation définitive de toute sa souveraineté, comme en témoigne l’article 3 de la Constitution.
    En tant que parlementaires, nous avons le droit et le devoir de voter la loi, qu’elle soit ordinaire ou fondamentale. Mais, dès lors que nous touchons à la Constitution, notre mandat, du fait de la majorité spécifique qui est exigée, est forcément limité.
    Madame la garde des sceaux, dans tous les débats, vous avez expressément confirmé que vous engagiez, à travers ce texte et tout ce qu’il induit, un changement de civilisation. En introduisant cette notion dans les débats, voire dans l’exposé des motifs du texte lui-même, vous l’avez ainsi, de fait, placé sous l’empire de l’article 11 de la Constitution.
    Au-delà, qui peut aujourd’hui affirmer dans cet hémicycle, en conscience, qu’il a reçu mandat de changer de civilisation, alors que notre action s’inscrit nécessairement dans un moment éphémère de l’Histoire ? Pour ma part, cela ne fait aucun doute, je n’ai pas reçu un tel mandat.
    Si l’un d’entre vous me dit que je me trompe et que j’ai juridiquement reçu un tel mandat, je lui répondrai que, moralement, il est des hypothèses où un mandataire doit revenir vérifier auprès de son mandant l’étendue de son mandat. Tel est bien le cas aujourd’hui : nous devons réécouter la voix du peuple ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
    M. Gérard Bailly. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, l’objet de mon intervention est de soutenir la motion référendaire qui doit conduire à soumettre au référendum le projet en discussion, particulièrement parce qu’il prévoit d’ouvrir l’adoption aux couples de même sexe.
    L’outil du référendum est un outil qu’il faut savoir utiliser avec parcimonie, et c’est justement parce que cet outil est utilisé avec mesure qu’il devient un juge de paix.
    Oui, le référendum est un juge de paix. Le référendum n’est pas un outil de division ; il permet, lorsque la passion l’emporte sur les facultés de discernement de chacun d’entre nous, de poser avec calme et méthode les enjeux profonds d’une décision ou d’une politique publique.
    Face à la gravité que revêt cette décision d’avoir recours directement à la sagesse populaire, les anathèmes, les insultes, les jugements de valeur s’effacent pour laisser la place à la solitude de chacun. En effet, une fois dans l’isoloir, face à sa propre vérité, ses opinions, ses croyances, ses doutes, avec les capacités réflexives qui lui sont propres, chacun de nos concitoyens, au regard de la gravité de la mission qui lui est confiée, engage un dialogue avec lui-même.
    Parfois des certitudes se dégagent, parfois ce sont des incertitudes qui jaillissent. Mais, quoi qu’il advienne, l’utilisation du référendum permet à chacun d’envisager la question d’une manière profondément nouvelle.
    Dans cet instant démocratique, où il est demandé à chacun d’utiliser son libre arbitre, chacun envisage la question sous un angle nouveau, débarrassé du jugement de valeur de ses contemporains, et parfois aussi de la pression sociale familiale, amicale ou professionnelle qu’il peut subir. Chacun est alors débarrassé des pressions politiques, dégagé des intérêts particuliers. Dans l’isoloir, il n’y a plus de postures qui tiennent et je ne suis pas sûr que, dans ces conditions, mes chers collègues, nous votions tous de la même manière que dans l’hémicycle. (MM. Jackie Pierre et François Pillet applaudissent.)
    L’isoloir, ce n’est pas le Parlement, ce n’est pas un plateau de télévision, ce n’est pas un café du commerce ! Bien évidemment, en entrant dans l’isoloir, de nouvelles interrogations jaillissent, des interrogations plus personnelles. On se demande alors si les points de vue que l’on considérait comme rétrogrades n’étaient pas l’expression d’une inquiétude légitime. À l’inverse, on se demande avec la même force si le vote défavorable qu’on était sur le point d’exprimer à l’égard du mariage pour tous n’est pas une atteinte aux droits de ses voisins, un couple de même sexe.
    Le référendum est donc un outil profondément singulier, un outil qu’il nous faut savoir utiliser, comme d’ailleurs le général de Gaulle a su l’utiliser à cinq reprises – et je ne crois pas que cela lui ait été reproché.
    Alors, je le répète, le référendum sera le juge de paix de ce débat : la vérité qui sortira des urnes aura permis à chacun de pouvoir s’exprimer, de se sentir écouté, d’être un élément du débat démocratique.
    On dirait, chers collègues de gauche, que vous en redoutez le résultat.
    Chacun, quelle que soit son opinion, quel que soit son vote, sera amené à rencontrer ses contemporains ; chacun pourra alors discuter de sa position ; chacun pourra alors se confronter à l’autre.
    Ce référendum permettra de réconcilier les Français avec la politique, de réconcilier les Français avec le débat public, de réconcilier les Français avec leurs contemporains qui ont un point de vue opposé.
    Avec le référendum, nous mettrons fin aux agitations que connaît notre pays, nous mettrons fin aux prêches de ces sociologues officiels qui nous disent que le débat n’a pas lieu d’être. Nous mettrons fin aux batailles de chiffres et de pourcentages de ceux qui sont pour et de ceux qui sont contre, aux querelles sur le nombre de manifestants – 300 000 ? 1,4 million ? Nous mettrons fin aux tirades de ces leaders d’opinion sur la réalité politique de la France, qui estiment savoir mieux que quiconque ce que pensent les Français.
    Mes chers collègues, sur un sujet si important, revenons aux fondements de la Ve République, revenons au référendum ! Voilà pourquoi je voterai cette motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière.
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, tout au long des débats, la majorité et le Gouvernement ont tenté de faire croire que le clivage pertinent dans ce débat consistait à dire qui était moderne et qui ne l’était pas, qui était progressiste et qui ne l’était pas, qui était homophobe et qui ne l’était pas ! Or il suffit à chacun de lire les comptes rendus des séances à l’Assemblée nationale et au Sénat pour comprendre que les oppositions sont beaucoup plus subtiles, qu’elles existent au sein même des différentes institutions, des différentes options philosophiques ou religieuses.
    J’ai, moi aussi, bien sûr, mon opinion sur cette question, mais je regrette la manière dont est conçu le débat sur un sujet si important. Alors que le Gouvernement se fait un devoir de relayer l’opinion d’une minorité, il s’obstine à ne pas vouloir écouter nos nombreux concitoyens qui défilent au cœur de Paris !
    C’est pour cette raison que je crois qu’il faut, sur ce point, rendre la parole aux Français ! C’est l’objet de cette motion référendaire.
    Il est important de redonner la parole à nos concitoyens pour que, à la lumière des discussions que nous avons eues ici et au Palais-Bourbon, ils puissent enfin s’exprimer sur cette réforme.
    Je comprends bien que vous craigniez cette confrontation, car vous n’avez eu de cesse, dès le départ, d’en dissimuler les conséquences, en termes de filiation, de fragilisation de la présomption de paternité, d’élargissement de la PMA ou de recours à la GPA, autant de conséquences directes du droit à l’enfant, au nom de l’égalité !
    Vous avez également tenté de leur faire croire que ce texte ne concernait que les couples de personnes de même sexe ! Mais ils ne sont pas dupes et ils demandent déjà des comptes par milliers ! Quels arguments oserez-vous leur opposer ?
    Il est normal que le débat se joue désormais sur la place publique, comme nous l’avions souhaité dès le départ sur les recommandations de l’Académie des sciences morales et politiques. C’est tout à fait normal, alors que le texte soulève des questions morales, des questions politiques, des questions philosophiques et des questions de bioéthique !
    C’est pourquoi, aujourd’hui, plus d’un million de Français vous montrent leur exaspération ! Mais à ces Français vous répondez malheureusement par le mépris et l’indifférence ! Vous qui dénoncez les remarques parfois très maladroites sur les homosexuels, je me demande comment vous avez reçu celle qui visait « les serre-tête et les jupes plissées » ?
    Si nous demandons un référendum, c’est avant tout pour rouvrir le débat sur des bouleversements importants que vous avez dissimulés aux Français, afin de donner de la hauteur et de la solennité à un débat que vous avez voulu petit et court !
    Ce référendum obligera le Gouvernement à la clarté ; il permettra de sortir des affrontements stériles et de dégager un consensus. C’est d’ailleurs le rôle d’un gouvernement que de rassembler les Français.
    Je ne comprends d’ailleurs pas très bien pourquoi vous vous refusez la facilité du référendum, alors que tous les sondages que vous avez commandés afficheraient, semble-t-il, une acceptation majoritaire de cette réforme. Ce serait pourtant une aubaine pour vous que de pouvoir balayer toutes les oppositions en une seule procédure !
    Certes, il faut du courage politique… Mais enfin, où est passé votre sens du dialogue social ?
    Peut-être craignez-vous que la majorité de nos concitoyens ne pensent que ce texte marque un changement historique dans l’institution de la famille et du mariage, en mettant en place une société dégorgeant de droits : droit à l’amour, droit à l’enfant, droit à la parenté…
    Quoi qu’il en soit, je crois qu’il est important que les Français puissent exprimer la souveraineté qu’ils détiennent en vertu de l’article 3 de la Constitution, qui dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
    Or, puisque les débats, tels qu’ils se déroulent, empêchent le consensus, je crois fermement qu’il est important que nous ayons recours au référendum sur ces questions qui engagent le destin de la Nation
    Aussi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette motion référendaire pour que les millions de Français qui ont montré leur opposition puissent s’exprimer. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
    M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, comme d’autres, j’ai le sentiment que ce débat arrive à un mauvais moment, et qu’il s’inscrit même à contretemps si l’on considère la situation de notre pays et du continent européen.
    Certes, vous n’y êtes pour rien, chers collègues de la majorité, mais le fait est que nous travaillons aujourd’hui avec ce paysage en toile de fond.
    Je ferai une première remarque sur la manière assez différente dont vous avez appréhendé le débat sur le mariage « pour tous » et le débat sur la fin de vie. J’aurais préféré que vous adoptiez la méthode qui a prévalu s’agissant de ce dernier sujet, sur lequel vous avez souhaité qu’une réflexion menée par différents experts permette d’éclairer les assemblées avant qu’elles se prononcent.
    Puisqu’il s’agit, pour ma part, de défendre avec détermination et fermeté la motion référendaire, je voudrais, madame le garde des sceaux, vous faire part de mon étonnement lorsque je vous ai, ce matin, entendu utiliser le mot « ruse » à propos de ce que vous appelez un « projet de civilisation ».
    Croyez-moi, croyez beaucoup de Françaises et de Français, il ne se trouve, derrière les positions que nous défendons, ni ruse ni malice, mais une simple volonté – volonté légitime – de participer au débat démocratique et d’exprimer, en responsabilité et en conscience, nos convictions quand bien même elles seraient différentes des vôtres.
    De grâce, n’opposez pas, n’opposez plus les « modernes » à ceux qui seraient « archaïques », les forces de « progrès » à différents « conservatismes », voire, comme vous l’avez plusieurs fois dit dans le passé, l’« ombre » à la « lumière ». Le débat, comme l’ont démontré les interventions des uns et des autres hier et ce matin, vaut bien mieux.
    Puisque vous défendez le mariage dit « pour tous », autorisez aussi, autorisez d’abord l’expression de chacune et chacun d’entre nous.
    Je vous pose la question : qu’avez-vous à craindre si vous acceptez cette motion référendaire ? Par définition, les uns et les autres l’ont rappelé, le peuple de France, lorsqu’il s’exprime démocratiquement, a toujours raison : c’est même la base de la démocratie.
    Certains d’entre vous sont d’ailleurs allés beaucoup plus loin dans cette démarche. Je m’étonne de ne plus beaucoup entendre parler de démocratie dite « participative ». (M. Jackie Pierre applaudit.)
    M. Charles Revet. C’est vrai !
    M. Jean-Pierre Caffet. Parce que vous y croyiez, vous ? (Sourires.)
    M. Jean-Michel Baylet. Un peu de sérieux ! Vous l’avez assez brocardée !
    M. Jean-François Husson. Que dire du peu de considération du Gouvernement et du chef de l’État à l’égard de celles et ceux de nos concitoyens, militants du monde associatif, qui ont exprimé leur différence ? Ils ont trouvé bien peu de temps pour recevoir ces personnes qui représentent une part du peuple de France. Ne croyez-vous pas qu’ils méritaient davantage qu’une petite demi-heure alors qu’ils ont su organiser à Paris des manifestations pacifiques, sereines, dignes ?
    En ce qui concerne la deuxième d’entre elles, permettez-moi de dire que je goûte peu la manière dont vous avez parqué, avenue de la Grande-Armée, des Français qui, simplement, voulaient exprimer une différence. (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Christian Cambon. Mais oui !
    M. Jean-François Husson. Quand on ne peut défiler, on fait du surplace. C’est comme ça !
    Je vous demande simplement et sereinement, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, de faire confiance aux Françaises et aux Français, à leur sagesse. Croyez-moi, l’expression du peuple vaut mieux que tous les sondages. Et, à mon tour, je me permets de vous dire : n’ayez pas peur ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Philippe Darniche applaudit également.)
    M. Jean-Pierre Caffet. Amen !
    M. le président. La parole est à M. Jackie Pierre.
    M. Jackie Pierre. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous le savons tous, notre Constitution dispose, en son article 3, que « la souveraineté nationale appartient au peuple, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
    Le général de Gaulle, dont vous conviendrez avec moi qu’il n’est pas vraiment étranger à l’instauration de cette procédure, disait d’ailleurs ceci : « Le référendum, enfin, institué comme le premier et le dernier acte de l’œuvre constitutionnelle m’offrirait la possibilité de saisir le peuple français et procurerait à celui-ci la faculté de me donner raison, ou tort, sur un sujet dont son destin allait dépendre pendant des générations. »
    Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, je crois justement que le destin des Français est engagé de génération en génération. Voilà pourquoi nous présentons cette motion, dont l’objet vise à redonner la parole à nos concitoyens alors qu’ils en ont été privés depuis le début de ces discussions.
    Si vous avez choisi de faire taire les Français, de les empêcher d’exprimer leur opinion, c’est pour deux raisons, également illégitimes.
    Vous avez tout d’abord tenté de nous faire croire que la majorité des Français n’était pas intéressée par la présente réforme. Je relève d’ailleurs une singulière contradiction de votre part puisque, d’un côté, vous considériez que ce texte était d’intérêt général, qu’il faisait progresser la France sur le chemin de l’égalité totale des droits et que, d’un autre côté, vous ne jugiez pas utile de dialoguer avec toutes les familles de France... C’est assez étrange, vous en conviendrez.
    Ensuite, alors que les débats révélaient l’envergure des bouleversements induits par cette réforme dans l’institution de la famille et du mariage, dans notre droit de la filiation et dans les orientations prises jusque-là en matière de bioéthique, vous coupez court à vos tergiversations en vous radicalisant.
    Le Président de la République a décidé de s’enfermer à l’Élysée sans écouter les Français ; le Gouvernement monopolise le débat à l’Assemblée ; certains parlementaires méprisent les opposants au projet. Mais que va devenir la France ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier.
    M. Pierre Bordier. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avec l’adoption du mariage pour tous, nous entrerions dans une nouvelle phase de l’organisation humaine et sociale des Français. Par cette réforme, le Gouvernement et la majorité engagent donc l’avenir de chacun de nos concitoyens.
    C’est parce que les générations futures sont ainsi concernées sur le long terme que nous estimons important que le peuple français soit consulté. Comment apaiser les craintes de chacun, faire taire les dissensions, consacrer ce changement avec force, si ce n’est par la voie du référendum ?
    Sur toutes les travées de cet hémicycle, se trouvent des soutiens et des opposants à ce projet. Depuis plusieurs mois, on s’assomme à grands coups d’arguments, mais personne n’écoute vraiment personne. Nous assistons à une guerre de tranchées !
    Dans ce contexte, il reviendrait normalement au Gouvernement et à la majorité de prendre une initiative forte. Ce sont eux, alors qu’ils détiennent tous les pouvoirs, qui devraient assumer les responsabilités d’une réforme qu’ils veulent ambitieuse ! Visiblement, les uns et les autres ne semblent pas décidés. Nous prenons donc l’initiative de vous proposer cette motion référendaire, afin que les Français puissent s’exprimer sur le sujet.
    Cette solution est la seule qui, aujourd’hui, permettrait de sortir de cette crise politique par le haut. Plus que de l’humilité, c’est du courage qu’il faut au Gouvernement pour affronter le suffrage populaire !
    Vous nous dites que cette réforme traduit un engagement électoral de François Hollande. Mais devant qui s’est-il engagé ? Devant les Français ! Il est donc temps, en vérité, qu’il ait le courage de se porter devant eux pour leur donner la parole ! Qu’a-t-il à craindre ? Un désaveu vaudrait mieux qu’une faute morale !
    C’est beaucoup que de réorganiser nos structures sociales conçues autour de la famille, que de vouloir remettre en cause la présomption de paternité qui a jusque-là permis qu’une généalogie lisible puisse s’établir entre les membres d’une même famille.
    C’est beaucoup que de consacrer aux parents un droit à l’enfant, ou un droit à la parenté, c’est-à-dire faire en sorte qu’un enfant trouve comme réponse à un questionnement existentiel une existence fictive et naturellement impossible.
    C’est beaucoup, enfin, que de considérer que les êtres humains seront régulés selon les règles classiques qui organisent les marchés de matériels et de capitaux. Je n’invente rien, puisque certains comparent désormais le ventre des femmes au bras des ouvriers !
    M. Christian Cambon. Pierre Bergé !
    Mme Catherine Procaccia et M. Charles Revet. Tout à fait !
    M. Pierre Bordier. Il existe une alternative à ce projet auquel nous nous opposons.
    Soucieux que les pouvoirs publics prennent en considération les évolutions humaines et sociales dont ils doivent organiser les rapports, nous proposions qu’une union civile vienne accorder aux uns et aux autres les mêmes droits patrimoniaux. Un tel dispositif venant s’ajouter à ceux qui existent déjà – je pense à l’adoption testamentaire et à la possession d’état –, nous pensons que cette évolution, nécessaire, serait suffisante.
    Si nous voulons accorder une place importante au progrès, nous ne voulons pas pour autant céder à la pagaille ! Sur ces questions sociales majeures, qui concernent l’ensemble des Français, et sur lesquelles chacun peut avoir un avis très tranché, nous ne pouvons pas faire n’importe quoi !
    Il faut que chacun puisse, en responsabilité, s’élever au-dessus de son intérêt particulier pour prendre clairement conscience de l’intérêt général de la France.
    Le mariage n’est pas un contrat comme les autres. Il a occupé et occupe toujours une place particulière dans notre société. On peut le regretter, mais c’est une réalité. Croit-on vraiment pouvoir se passer des réalités ? Plus qu’une institution pluriséculaire, c’est la nature même qu’il faudrait remettre en cause !
    Le mariage doit être préservé parce qu’il a tout son sens dans notre société. Il permet à un homme et une femme de s’engager auprès de leurs enfants. Il permet de créer, entre un père et son enfant, un lien de filiation qui est bien plus difficile à établir que celui, organique, existant entre une mère et son bébé. Il permet de faire reposer sur ce père les responsabilités qui doivent vraisemblablement lui incomber, car il est vraisemblablement le père de son enfant !
    Quant aux filiations fictives ou à la procréation assistée, elles ont pour vocation de pallier un accident de la vie : il s’agit soit de donner une famille à un enfant qui s’en trouve privé, soit de permettre à une femme de donner la vie alors qu’elle en est médicalement empêchée. Il ne s’agit pas de permettre une procréation ou une adoption de confort !
    Toutefois, malgré cette apparence fictive, toujours nous en revenons à la vraisemblance biologique et à la réunion des éléments naturels : l’homme, la femme, l’enfant.
    Je comprends le désarroi des couples de personnes de même sexe que la nature empêche de procréer, mais je refuse d’assumer en mon âme et conscience la tragédie des centaines de milliers d’enfants que l’on privera de leurs origines. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Philippe Darniche applaudit également.)
    M. Yves Daudigny. Tout cela n’est-il pas un peu exagéré ?
    M. le président. La parole est à M. Michel Magras.
    M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je suis profondément convaincu qu’en demandant aux électeurs de décider de l’ouverture ou non du mariage aux couples de même sexe le Parlement accomplirait un devoir démocratique à l’égard des Français.
    Jusqu’ici, en effet, ce sont les enquêtes d’opinion qui font office de consultation populaire. Selon les chiffres les plus optimistes 55 % à 60 % des Français sondés sont favorables au mariage de couples de même sexe. Dans le même temps, ils sont toutefois 56 % à être défavorables à l’adoption par ces mêmes couples.
    Or le mariage, madame la garde des sceaux, vous l’avez affirmé hier, emporte ipso facto l’adoption.
    M. Charles Revet. Et au-delà !
    M. Michel Magras. Ces enquêtes montrent la contradiction qui existe dans l’opinion : bien que le mariage soit lié à l’adoption, les Français sondés veulent bien du premier, mais non de la seconde.
    Ces deux chiffres soulèvent une question : le débat a-t-il été suffisant pour que le lien entre mariage et adoption soit parfaitement perçu ? II faut croire que non !
    De même, la présence de ces 1 400 000 Français dans les rues de Paris, le 24 mars dernier, témoigne d’une demande d’expression.
    Certes, l’article 11 de la Constitution ne prévoit pas expressément qu’un référendum puisse être organisé sur une question sociétale. Cependant, de par leur caractère systémique, les questions sociétales englobent plusieurs domaines, y compris la politique sociale visée par le même article 11.
    Je vous ai tous écoutés, mes chers collègues. De manière unanime, vous reconnaissez qu’il s’agit d’un profond changement de société. J’irai personnellement plus loin : ce projet est une véritable révolution copernicienne, qui ne devrait pas être adoptée alors que subsiste, dans la société, le doute que révèlent les chiffres que je viens de citer.
    Pour ces raisons, un référendum ne semble pas anticonstitutionnel et encore moins antidémocratique. Je ne doute pas que nous soyons tous, dans cet hémicycle, profondément respectueux de la Constitution et unanimement attachés à la démocratie, même si nos opinions divergent sur de nombreuses questions.
    L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe était une des propositions du programme de celui qui a été élu Président de la République. Pour autant, la Constitution ne dit pas que l’élection présidentielle soit incompatible avec le référendum ni que cette dernière vaille référendum. Et surtout, on ne peut que se réjouir de la vivacité de la démocratie chaque fois que l’on donne la parole aux électeurs.
    C’est d’ailleurs ce que réclament ceux qui, nombreux, ont manifesté le 24 mars dernier. Le débat a été diffus ces dernières années, depuis le PACS. Il serait exagéré de considérer que la campagne présidentielle a été l’occasion d’un véritable débat.
    De plus, si les Français avaient approuvé le mariage des couples de même sexe à travers l’élection présidentielle, la tenue d’un référendum ne viendrait alors que confirmer l’adhésion d’une majorité d’entre eux à cette réforme.
    L’organisation d’un référendum aurait également le mérite de permettre à ceux qui n’y sont pas favorables de s’exprimer autrement que dans la rue, autrement que par les centaines de courriels que nous recevons depuis plusieurs semaines, et d’ouvrir enfin un débat. La démocratie doit permettre à tous de s’exprimer. Pouvons-nous transiger sur ce principe ?
    La suspicion d’homophobie a largement occulté le sujet de fond et a cristallisé les récents débats. Ainsi, ceux qui n’étaient pas favorables à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ou défavorables à l’adoption, ont été autant, voire davantage contraints de se défendre de toute forme d’homophobie que d’expliquer en quoi ils étaient attachés à la famille, à un repère culturel fort.
    En réalité, c’est là que se situe l’enjeu du mariage. C’est bien pour cela que la Cour européenne des droits de l’homme, renvoyant à la souveraineté des États le sujet de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, rappelle que le mariage est profondément enraciné dans la culture de chaque pays.
    L’ouverture du mariage aux couples de même sexe n’est pas qu’un changement de « périmètre » ; c’est un projet qui touche à un repère culturel profond et qui nous renvoie, nous, législateurs, à une dimension essentielle de notre fonction.
    En effet, si l’on considère que l’ouverture du mariage est inéluctable parce qu’elle correspond à une évolution de la société, cela signifie-t-il que Parlement devient une chambre d’enregistrement des mœurs ? Pourtant, l’une des missions essentielles des législateurs que nous sommes est de définir des limites à la société.
    En résumé, ce texte repousse les limites souhaitées par la société car, si les Français sont favorables à l’union des couples de même sexe, ils ne le sont majoritairement que si elle ne s’accompagne pas de l’adoption : seuls 44 % d’entre eux expriment une opinion totalement favorable. Or le projet de loi n’entend pas cette nuance.
    Pour cette raison, à titre personnel, je voterai en faveur de la motion référendaire. Je pense, mes chers collègues, que nous ne devrions pas rater l’occasion qui nous est offerte de consulter le peuple français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
    M. Christian Cambon. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, cette motion référendaire, nous l’adressons solennellement au Président de la République puisque, tout au long de sa campagne, il a proclamé qu’il garantirait l’unité nationale. C’est à lui qu’il appartient aujourd’hui de rétablir la concorde nationale, que le présent projet de loi met à mal.
    Cette demande est légitime. En effet, un bouleversement aussi profond de notre société, de ses symboles et de ses valeurs vaut bien qu’on recueille l’avis du peuple.
    À cet égard, ce matin, il était assez cocasse d’entendre notre collègue Jean-Michel Baylet, que je respecte tout à fait par ailleurs, rappeler la force avec laquelle la gauche avait exigé la mise en œuvre d’un référendum au sujet de la réorganisation des bureaux de poste et refuser en même temps un référendum sur une question, sans doute de moindre importance : la place du mariage dans le statut de la famille !
    Comme l’a dit Gérard Longuet, vous avez voulu ce débat, madame la garde des sceaux, mais la société française s’en est emparée.
    Pour quelque temps encore, nous sommes nombreux à être des élus territoriaux. Or il ne se passe pas de jour sans que nous soyons questionnés, voire mis en cause au sujet de ce texte. Sur le terrain, nos concitoyens nous demandent même l’organisation de débats locaux pour mesurer les conséquences incalculables d’un tel changement. Ne méritent-ils pas de faire entendre leur avis ? N’ont-ils pas le droit, eux aussi, d’exprimer leur approbation ou leur opposition au présent projet de loi, alors même que, élection après élection, nous les voyons bouder les bureaux de vote ? Que craignez-vous, chers collègues de gauche, vous qui, si souvent, en appelez au peuple ?
    Puisque les sondages sur le mariage pour tous vous sont, paraît-il, si favorables, en ces temps de disette de popularité, un bon résultat lors d’une consultation de nos concitoyens vous aiderait sûrement… Avez-vous donc peur de la réponse du peuple français ?
    Pour contrer cette motion, vous invoquez toutes sortes d’arguments, et au premier chef, bien sûr, les relents d’homophobie que charrierait l’hostilité à ce projet de loi. Mais, mesdames les ministres, aucun membre de cette assemblée, sur quelque travée qu’il siège, n’est homophobe ! Et pas plus que vous, nous n’avons à nous justifier sur ce point ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Vous vous livrez en outre à une sorte d’explication de texte : sociétal n’est pas social, dites-vous. Mais croyez-vous sincèrement que, eu égard aux enjeux de ce débat, la controverse se limite à une telle dialectique ? Et de triturer l’article 11 dans tous les sens pour démontrer que la Constitution va bien dans votre sens ! Or cet article vise les « réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale ». Cette rédaction n’a-t-elle pas été conçue pour couvrir le plus large spectre de l’action de l’État ?
    Par ailleurs, mes chers collègues, méfiez-vous des commentateurs, exégètes de tous poils, et référez-vous plutôt à ceux qui, tel le général de Gaulle en 1962, ont eu recours au référendum afin que le peuple s’exprime, quand les juristes les plus chevronnés parlaient d’un « coup de force » que même l’approbation des urnes ne suffirait pas à absoudre ! Et pourtant, cette réforme n’a-t-elle pas refondé notre propre Constitution par le seul jeu de la légitimation populaire ?
    Non, le recours à la sagesse populaire n’est pas toujours la résurgence du populisme, et sûrement pas lorsque des questions fondamentales pour notre société sont posées ! Or, vous le savez, le présent projet de loi divise les Français. Ce n’est pas en usant du moyen dérisoire des faux décomptes des manifestants que vous tarirez les cortèges d’opposants, d’hommes et de femmes de bonne foi qui, constatant qu’on ne les écoute pas, n’ont plus qu’à descendre dans la rue pour se faire entendre.
    M. Roland du Luart. Bien au contraire !
    M. Christian Cambon. Nous pouvons, nous aussi, vous opposer les analyses extrêmement argumentées de juristes, dont certains ont même manifesté en robe à plusieurs occasions. Des professeurs de droit, tels le professeur Mainguy, le professeur Mathieu, rapportent à l’envi que les sujets relatifs à la famille relèvent du social. Ils rappellent aussi que le préambule de la Constitution de 1946 dispose que la famille bénéficie de la protection sociale.
    Le Président de la République et sa majorité peuvent jouer sur les mots, se prêter à des exercices de contorsion intellectuelle, par exemple en invoquant le fait que le mariage pour tous était une promesse électorale de François Hollande et qu’elle a été avalisée par le peuple français avec l’élection de ce dernier. Mettez donc plus d’entrain à concrétiser une autre de ses promesses, bien plus importante : la baisse du chômage ! Cela vous réconciliera sûrement avec les Français, qui doutent qu’elle soit tenue.
    M. Roland Courteau. Il faut conclure !
    M. Christian Cambon. Nous allons soutenir cette motion référendaire et, mes chers collègues, nous vous invitons à faire de même. Votez-la, que vous soyez favorables ou non au projet de loi, en prenant en compte cet argument qui l’emporte sur tous les autres : au-delà des responsabilités parlementaires qui sont les nôtres, lorsqu’un pilier essentiel de la société est en jeu, la parole du peuple est un fondement de la démocratie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux.
    Mme Caroline Cayeux. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, à en croire certains, cette motion référendaire – brillamment défendue par Bruno Retailleau et que j’ai cosignée –, cette demande d’organiser une consultation nationale sur le présent projet de loi, ne serait qu’un artifice.
    Permettez-moi de regretter que, dans cette assemblée et ailleurs, on puisse considérer que le recours à la sagesse populaire ne soit qu’un subterfuge. Ainsi, le référendum ne serait qu’un instrument au service de positionnements politiques. À ceux qui le prétendent je veux dire qu’il n’en est rien.
    Non, madame la garde des sceaux, ni vous-même ni le Président de la République ne sortiriez affaiblis d’une consultation nationale sur un sujet aussi fondamental pour l’avenir de notre société. Bien au contraire, un vote favorable des Français au mariage pour tous – puisqu’on affirme qu’ils sont majoritairement d’accord – consoliderait le Gouvernement et la majorité. Et si le vote devait se révéler négatif, il servirait autant qu’il desservirait le Gouvernement dans la mesure où chacun lui saurait gré d’avoir eu le courage d’utiliser la voie la plus transparente et la plus démocratique qu’offre notre République.
    Je ne crois pas que l’exécutif, la majorité ou l’opposition, certains partis ou certains leaders, puissent tirer leur épingle du jeu en refusant l’utilisation du référendum. De toute façon, quelle que soit la décision du peuple, elle lui appartient, et à lui seul. Dans le contexte de crise économique que nous traversons, toute tentative d’instrumentalisation est vaine.
    Faut-il comprendre dans ce refus que le Gouvernement, qui croyait « capitaliser » une certaine bienveillance des Français en déposant ce projet de loi, constate actuellement que son initiative ne lui sera d’aucune aide pour redresser la bien faible estime que lui portent actuellement nos compatriotes ?
    M. Roland Courteau. Hors sujet !
    Mme Caroline Cayeux. Mais les choses peuvent changer. En tout cas, espérons-le pour la France !
    Que personne ne soit dupe dans cet hémicycle : la consultation nationale sur le mariage pour tous ne sanctionnera ni ne récompensera personne. Je fais confiance aux Français qui, dans l’isoloir, voteront en leur âme et conscience, sans se soucier des pressions qui peuvent les entraîner vers un vote qu’ils récusent dans leur for intérieur.
    Les Français n’ont qu’une seule revendication : que ce débat ne soit pas confisqué, notamment par des organisations qui se disent représentatives de communautés. Car non seulement ces organisations ne sont pas représentatives, mais surtout elles ne sont pas légitimes puisque les communautés en question n’ont aucunement besoin d’être reconnues par l’État.
    Mes chers collègues, ne faisons pas de ces communautés qui n’existent pas les nouveaux corps intermédiaires de la République ! Le champ des possibles de l’homme ne peut être encadré que par la loi, et les législateurs que nous sommes, émanation du peuple, doivent prendre leurs responsabilités.
    Posez-vous cette question : que restera-t-il à celui qui n’appartient à aucune de ces communautés ? Comment ferons-nous si, dans quelques années, les seules revendications qui trouvent grâce aux yeux du législateur sont celles qui émanent d’une organisation communautaire ?
    Notre démocratie est-elle si malade que, pour nous donner bonne conscience, pour pouvoir ignorer la crise sociale, nous saupoudrons quelques communautés d’avantages non justifiés ?
    Alors, mes chers collègues, n’ayez pas peur du référendum ! Laissez le peuple s’exprimer ! Donnez-lui la parole et votez avec courage en faveur de la motion référendaire ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
    Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les fondements de la motion référendaire, que mon collègue Bruno Retailleau a défendue ce matin de façon remarquable, mais je me permettrai de reprendre à mon compte un argument qui a déjà été avancé cet après-midi.
    Nous, sénateurs, avons une légitimité que nous tenons des élections. Avouons-le, ceux d’entre nous qui ont été élus ou réélus en 2011 n’ont à aucun moment abordé le sujet du mariage pour tous avec les grands électeurs lors de leur campagne pour les élections sénatoriales. Ils n’ont reçu aucun mandat pour voter pour ou contre le texte que nous examinons.
    Depuis, qu’avons-nous fait ? Dans le département de Maine-et-Loire, Christophe Béchu, nos collègues députés et moi-même avons organisé des débats auxquels ont participé des maires de toutes tendances. Ils nous ont dit leur désarroi face à ce texte et à la position qu’ils devraient adopter en leur qualité d’officier d’état civil. Nous avons entendu les représentants d’associations, reçu des familles, des parents d’homosexuels, des homosexuels. Tous nous ont fait part de leur sentiment.
    Au fil de la réflexion, il est vrai, nos propres convictions ont pu évoluer. En réalité, nous avons surtout compris que le mariage pour tous était un sujet complexe, sur lequel nous devions nous attarder. Or, mesdames les ministres, le texte que vous nous soumettez est tout ficelé. Certes, ce n’est qu’une première étape. Mais quid de la PMA, de la GPA, dont nous devrons discuter ?
    Je pense qu’il faut se tourner vers le peuple. Le Président de la République ne peut ignorer les centaines de milliers de personnes qui ont manifesté. Pour ma part, j’ai participé aux deux grandes manifestations et je crois que vous en minimisez l’importance. Vous n’avez pas perçu la différence entre la première et la seconde. Lors de la seconde, nous avons ressenti l’exaspération de nos concitoyens : non pas une exaspération vis-à-vis de la politique économique du Gouvernement, mais une exaspération devant son incapacité à comprendre qu’il s’agit d’un sujet qui les concerne.
    Comment pouvez-vous nous caricaturer, nous ramener, comme l’a fait Manuel Valls lors de la dernière séance de questions d’actualité, à des groupuscules extrémistes ?
    M. Michel Vergoz. On les a vus à la télé, quand même !
    Mme Catherine Deroche. Ces Français qui manifestaient souhaitent être entendus, pouvoir s’exprimer, voter.
    Quel que soit le résultat de la consultation, ils le respecteront, tout comme nous. Nous ne vous demandons qu’une seule chose : laissez la parole à ces Français, qui méritent notre respect. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. Charles Revet.
    M. Charles Revet. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, par cette intervention, je m’inscris dans une logique d’apaisement entre les Français, celle-là même que j’évoquais hier soir.
    Le Gouvernement défend un texte auquel s’oppose la majorité de nos concitoyens.
    Je souhaite que, par le biais du vote de la motion référendaire, nous puissions enfin mettre cartes sur table : à la lumière des débats qui ont eu lieu jusqu’à présent, je pense que chacun doit assumer ses responsabilités et regarder en face la vérité démocratique, s’agissant d’un texte dont l’adoption aboutirait à un véritable changement de civilisation, ainsi que vous nous l’avez d’ailleurs dit vous-même, madame le garde des sceaux.
    Le débat ne peut être confiné à l’ombre des voûtes du Palais-Bourbon et du Palais du Luxembourg, le peuple, après avoir traversé la France entière pour se faire entendre, trouvant, à son arrivée, les portes de la démocratie fermées !
    Sur un sujet aussi important, déterminant pour l’avenir de notre société, nous voyons bien que les clivages historiques se redéfinissent. C’est pourquoi de nouvelles majorités se dessinent, qui ne correspondent plus à celles qui se sont établies lors de l’élection présidentielle et des élections législatives. Moins d’un an plus tard, le Président de la République et son gouvernement voient les choses leur échapper.
    J’aime à penser que, lorsque les citoyens que nous représentons se défient de notre action, il ne faut pas les craindre, mais aller vers eux, leur donner toutes les explications souhaitables, faire preuve de pédagogie. Il ne faut pas redouter la colère des autres, même s’ils nous adressent parfois des insultes et si leur exaspération s’exprime souvent en période de crise.
    Le Président de la République et sa majorité sont sourds à la réaction inquiète et forte de nos concitoyens. En démocratie, lorsque les représentants fuient le suffrage populaire, ce n’est jamais bon signe... Au lieu de fuir la contradiction, vous devriez la rechercher ! C’est en tout cas, à mes yeux, toute la force de la consultation populaire.
    Je crois qu’il devient urgent de soumettre le présent projet de loi à un référendum, en posant une question précise, éliminant toute ambiguïté sur les conséquences de la réforme en tant qu’elle prive les couples hétérosexuels de règles qui se sont imposées comme des évidences depuis plus de 1 000 ans : celles qui portent sur la présomption de paternité, dont la consécration pratique se traduit par la transmission du nom paternel afin d’établir une filiation claire et lisible, mais aussi celles qui ont trait à l’adoption plénière, dont l’objectif est de construire une filiation symbolique assimilable à la nature humaine. Dans cinquante ans, les enfants arrêteront de croire à leur origine comme ils arrêtent aujourd’hui de croire au père Noël ! En vertu des nouvelles règles, le désir d’enfant impliquera inévitablement l’élargissement de la PMA en fonction des convenances personnelles et l’ouverture de la GPA aux couples d’hommes sur le fondement du principe d’égalité.
    Chers collègues, sur ces questions essentielles, il faut en appeler à l’arbitrage du peuple par la voie du référendum. Beaucoup essaient de nous faire croire que voter ce texte, c’est prendre le train de l’Histoire, mais je ne crois pas que nous puissions nous élever au rang de juges de l’histoire humaine. Tout ce qui est moderne n’est pas forcément bon ! Et c’est justement notre rôle que d’arbitrer en fonction de l’intérêt général, non de l’intérêt de quelques communautés.
    Ainsi, et puisque je suis persuadé que, comme nous, la majorité de nos concitoyens pensent que ce texte marque un changement historique – vous l’avez d’ailleurs souligné, vous aussi – dans l’institution de la famille, en promouvant une société de droits – droit à l’amour, droit à l’enfant, droit à la parenté, etc. – mais dépourvue de devoirs, je crois qu’il est important de redonner la parole aux Français. Tel est le sens de la motion référendaire qu’a présentée Bruno Retailleau et que je vous invite fortement à voter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Roland du Luart.
    M. Roland du Luart. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, quelle est la raison fondamentale de ce projet de loi ? Sommes-nous confrontés à une telle urgence qu’il faille légiférer pour régler des questions patrimoniales qui se posent pour les couples de personnes de même sexe, ou pour qu’un enfant puisse être adopté par le concubin ou la concubine de son père ou de sa mère ? Bien sûr que non !
    Certes, des situations juridiques singulières existent, qui ne sont pas sans poser de problèmes à certaines familles, mais le juge peut, à l’aide de l’arsenal législatif existant, répondre de manière positive à la plupart des situations. Ce n’est pas une raison pour ne pas aider les enfants, bien sûr. Cependant, si le seul critère qui vaille est le lien affectif entre les enfants et les parents, faudrait-il également reconnaître la pluriparentalité au motif qu’elle existe déjà et que des enfants sont déjà concernés ? Fût-ce au nom des droits de l’enfant, on ne peut pas tout tolérer !
    Quant à la sécurité juridique de l’enfant, rappelons qu’il y a en France des milliers de familles monoparentales et que, malgré les difficultés, les enfants de ces familles ne sont pas placés en situation de carence juridique. Alors soyons précis quand nous parlons de carence ou de silence de la loi à l’égard des enfants : en vérité, ce silence n’existe pas. Le juge peut en effet procéder à un partage de l’autorité parentale qui permet de répondre à la question du statut du concubin dans un couple de personnes de même sexe.
    Notre droit est encore plus précis puisque l’article 371-4, alinéa 2, du code civil prévoit que, en cas de séparation des adultes, et lorsqu’il est dans l’intérêt de l’enfant de garder des liens avec un adulte avec lequel il a vécu et noué une relation étroite, le juge peut organiser le maintien de ces liens. Ce maintien n’est pas automatique, mais décidé au cas par cas, dans l’intérêt de l’enfant, car il n’est pas systématiquement dans son intérêt de maintenir des liens avec le ou les adultes ayant partagé la vie de son père ou de sa mère. Pour cette raison, le maintien des liens au cas par cas est sans nul doute le compromis le plus intelligent, et surtout le plus favorable à l’enfant.
    Nous venons de le voir, il n’y a aucune raison de légiférer pour répondre à une urgence, puisqu’il n’y a pas d’urgence. Dans la France de 2013, la principale priorité pour la sécurité matérielle de l’enfant, ce n’est pas que le concubin de son père puisse être officiellement reconnu comme étant son père, c’est de pouvoir donner du travail à son père afin que son pouvoir d’achat n’enregistre pas une baisse historique ! C’est bien là la seule urgence, mes chers collègues !
    M. Gérard Longuet. Très bien !
    M. Roland du Luart. Alors pourquoi légiférer ? À mes yeux, comme à ceux de nombre de mes collègues, vous voulez imposer à la société française dans son ensemble – une société pourtant très diverse, comme vous aimez à le répéter – une vision de l’homme dans la nature, une anthropologie, alors même qu’aucune manifestation de Français ne vous permet de dire que cette vision anthropologique que vous défendez est communément admise. De fait, la seule certitude que vous ayez, c’est que des millions de Français sont en total désaccord avec cette vision.
    Oui, c’est vrai, votre démarche part sans doute d’une bonne intention, madame le garde des sceaux : il s’agit d’envoyer un message de bienveillance et de solidarité à l’égard de personnes qui ont trop longtemps été blâmées du fait de leur orientation sexuelle. Il est vrai qu’aucun droit n’est enlevé à qui que ce soit, mais il est tout aussi vrai que, pour apporter un bénéfice à quelques-uns, on impose à l’ensemble de la société une nouvelle vision de l’homme. Or, à moins que cette vision nouvelle soit explicitement validée par l’ensemble de la population, car c’est bien au peuple et non à des techno-gestionnaires de décider de ses mœurs, on ne traduit pas dans la loi une telle rupture anthropologique.
    Pour ces raisons, le référendum est la dernière possibilité donnée au Gouvernement et à sa majorité de ne pas trahir l’idée selon laquelle il revient au peuple de choisir. C’est pourquoi, vous l’avez compris, mes chers collègues, je vous demande d’adopter cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
    M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
    M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mesdames les ministres, mes chers collègues, je dois vous dire que je ne suis pas un « fana » de la procédure référendaire. Cependant, il est des moments où il faut se poser la question, et je crois que c’est le cas aujourd’hui.
    En effet, le texte qui nous est présenté n’est pas un texte de loi ordinaire, banal. Il ne s’agit pas de prendre une mesure fiscale ou technique, mais de transformer, ni plus ni moins, l’un des piliers immémoriaux de notre société : le mariage. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Au nom de quoi nous propose-t-on de modifier ce pilier immémorial de notre société ? Au nom d’un mot, d’un concept : l’égalité. Nous serions certainement nombreux à bien vouloir admettre ce simple motif pour étendre le mariage aux couples homosexuels s’il existait effectivement une égalité dans l’ensemble des conséquences du mariage. Mais force est de constater que, quel que soit le contenu du texte que nous adopterons et des décrets d’application et circulaires qui le mettront en œuvre, il restera une condition sine qua non du mariage qui ne sera jamais remplie : la capacité des deux membres du couple à engendrer un enfant ; ce sera véritablement « mission impossible » ! Or, depuis des temps très reculés, le mariage vise à créer un cadre pour la naissance et l’éducation des enfants. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
    Si l’on peut évidemment imaginer qu’un couple de deux hommes ou de deux femmes puisse éduquer un enfant aussi bien que ne le ferait un couple traditionnel – cela arrive d’ailleurs déjà, et je n’y trouve rien à redire, même si vous ne m’empêcherez pas de penser que deux papas ne remplacent pas un papa et une maman (Eh oui ! sur certaines travées de l’UMP.) –, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit là d’une situation qui ne correspond pas à la réalité anthropologique que la plupart des pays ont transcrite dans leur cadre législatif. On s’apprête à modifier – je n’irai pas jusqu’à dire qu’on s’y attaque, car ce serait excessif - une institution essentielle de notre société. On ne peut pas le faire d’un claquement de doigts !
    Je crois que le moment est venu d’en appeler au peuple sur cette question. En effet, ce ne sont pas les grandes fortunes ou une profession particulière ou les collectivités locales qui sont concernées : c’est l’ensemble de la population de notre pays. L’enjeu est extrêmement important.
    J’ai entendu ce matin que, en élisant François Hollande, les Français s’étaient déjà prononcés sur le sujet.
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Sûrement pas !
    M. Yves Détraigne. J’ai franchement un doute ! Du reste, si tel était le cas, cela voudrait dire qu’ils ont accepté cette mesure et il n’y aurait alors aucune raison de craindre le recours au référendum ! (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
    N’ayant pu, pour des raisons indépendantes de ma volonté, intervenir dans la discussion générale, j’avais prévu de développer d’autres arguments extrêmement forts, mais je ne le ferai pas, car il ne s’agit pas pour moi de « jouer la montre ». Cependant, ne serait-ce que pour la raison que je vous ai indiquée, je crois que l’on ne peut pas se contenter d’un débat parlementaire, comme pour n’importe quelle loi, quand il est question d’étendre le mariage, avec tout ce que cela signifie et que cela suppose, à l’ensemble de la population, indifféremment.
    Il faut que ce soit la population elle-même qui se prononce, et c’est pourquoi je vous appelle toutes et tous, mes chers collègues, à voter cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Christian Cointat.
    M. Christian Cointat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nul ne peut nier que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe touche à des questions de société. Du reste, si ce n’était pas le cas, s’il ne s’agissait que d’égalité des droits, il n’y aurait pas eu autant de personnes pour manifester dans les rues. Ce n’est pas contre l’égalité des droits entre couples hétérosexuels et homosexuels que l’on descendrait dans la rue ! Il faut en être conscient, ceux qui ont manifesté ont peur pour l’avenir de la famille. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
    M. Michel Vergoz. Eh bien, ils peuvent être rassurés !
    M. Christian Cointat. Ils ont peur de voir notre société évoluer dans des directions qu’ils ne maîtrisent pas. Qu’elle soit fondée ou non, cette crainte existe et nous devons la prendre en compte.
    D’un autre côté, on sait bien que les conséquences de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe sont essentiellement d’ordre social.
    M. Roland Courteau. On disait la même chose à propos du PACS !
    M. Christian Cointat. Monsieur le rapporteur, vous avez dit à juste titre – je vous suis sur ce point – qu’il fallait se préoccuper des enfants qui sont actuellement élevés par des couples homosexuels. Ils ont besoin de reconnaissance, de protection et de droits. Mais ce sont là des questions sociales !
    M. Charles Revet. Bien sûr !
    M. Christian Cointat. Il en va de même des difficultés que rencontrent les conjoints de même sexe : ce sont des questions sociales ! J’en veux pour preuve que, lorsque vous parlez d’un deuxième parent, vous l’appelez vous-même le « parent social ».
    En vérité il y a autant d’éléments qui militent pour un référendum qu’il y en a qui militent contre.
    Je ne suis pas forcément favorable à ce qu’on soumette toutes sortes de questions à référendum. Lorsqu’il s’agit de sujets de société qui touchent au cœur même des valeurs de chaque individu, on peut toujours, bien sûr, se passer de demander son avis au peuple, mais à la condition qu’un consensus se dessine au Parlement et, donc, que le clivage entre majorité et opposition soit dépassé. Or, chers collègues, vous le voyez bien, il n’y a pas de consensus. On en est même loin ! La crispation est au contraire de plus en plus forte, et on la ressent tant chez les citoyens que chez les élus. Parce que ce débat touche à des questions qui effraient !
    Je parle d’autant plus librement que, vous le savez, j’estime qu’il faut légiférer dans ce domaine. Nous n’avons pas le droit de rester sans rien faire. À tout prendre, je préfère une solution qui ne me plaît pas trop – celle du mariage – à une absence de solution.
    Dans ma vie, dans mon engagement, j’ai toujours milité pour le droit au bonheur de chacun, à condition que ce soit dans le respect de tous. C’est cette recherche qui doit nous guider.
    Il faut donc faire quelque chose. Mais, lorsqu’on n’est pas compris, il n’y a pas 36 000 solutions : il faut retourner vers le peuple, et le référendum le permet. Ce n’est déshonorant ni pour une majorité ni pour une opposition, bien au contraire !
    Moi qui voterai pour la motion et qui voterai oui au référendum, s’il a lieu, je vous le dis tout net : si un accord n’est pas trouvé, ça ne tiendra pas !
    Il faut justement arriver à faire participer les citoyens, ne serait-ce que pour leur expliquer les termes du débat. Quand j’explique ma position, j’ai plus de chances d’être entendu que si je ne l’explique pas ! Quand je ne l’explique pas, c’est là que j’ai droit aux insultes, aux menaces, etc. Quand je l’explique, on me dit « Ah bon ? Mais il y a tout de même des risques… » Je réponds alors que, dans la vie, il y a des moments où il faut savoir pendre des risques si l’on veut faire progresser la société.
    Voilà pourquoi il faut demander au peuple de trancher.
    Je terminerai en m’adressant plus particulièrement à vous, chers collègues de la majorité. Je constate que le désir de démocratie directe est toujours très fort lorsqu’on se siège sur les travées de l’opposition, mais qu’il s’émousse considérablement lorsqu’on se retrouve sur ceux de la majorité, quelle qu’elle soit, d’ailleurs. (Rires et exclamations.)
    Lorsque vous étiez dans l’opposition, chers collègues, vous aviez un grand désir de démocratie. Alors ne l’oubliez pas, ce désir, que nous avons nous-mêmes retrouvé ! (Eh voilà ! sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Tout est donc réuni pour que nous puissions nous retrouver sur cet appel au peuple.
    De plus, mes amis, nous vous faisons une sacrée fleur avec cette motion ! (Sourires.)
    M. François Rebsamen. Sans blague !
    M. Jean-Vincent Placé. Merci !
    M. Christian Cointat. Nous vous donnons l’occasion de redorer – il en a bien besoin ! – le blason du Président de la République… (Rires sur les travées de l’UMP.)
    M. Roland Courteau. C’est hors sujet ! Élevez le débat !
    M. Nicolas Alfonsi. Il n’a rien compris !
    M. Christian Cointat. Si le Président de la République s’adresse au peuple sur un sujet aussi important, croyez-moi, même ceux qui ne l’aiment pas apprécieront le geste et lui tireront leur chapeau !
    Je vous le dis : il y va de votre intérêt. Nous n’aurions jamais dû déposer cette motion, car, si vous la votez, c’est vous qui en retirerez le bénéfice politique ! Alors, chers amis, votez-la donc, comme je la voterai moi-même. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Yves Détraigne et Vincent Delahaye applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Leleux.
    M. Jean-Pierre Leleux. Nous sommes nombreux, pour un vendredi, à nous retrouver dans l’hémicycle, mais il est vrai que ce débat est important.
    Nous intervenons, les uns et les autres, avec la force de nos convictions, certains avec calme, les autres avec fougue. Tous, nous le faisons avec notre fibre propre, qu’elle soit historique, juridique, humaniste, sociétale, culturelle… Nous démontrons ainsi l’importance du sujet soumis à notre examen en même temps que la diversité des manières de l’aborder.
    Il s’agit d’un sujet à multiples facettes, qui va beaucoup plus loin que cette simple locution – à la tonalité très marketing – de « mariage pour tous ».
    M. Michel Vergoz. Elle n’est pas dans l’intitulé du projet de loi !
    M. Jean-Pierre Leleux. Je suis d’ailleurs surpris de n’avoir entendu aucune voix s’élever pour réclamer que l’on parle de « mariage pour tous et pour toutes ». Curieusement, sur certaines travées de cet hémicycle, on n’a pas éprouvé, cette fois-ci, le besoin de mettre en avant la pluralité des situations ! (Exclamations amusées et marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
    Ce débat, je le trouve beau, mais aussi un peu frustrant, voire désespérant.
    Il est beau en ce sens qu’il permet à chacun de faire valoir ses convictions. Pour ma part, je les respecte toutes, mais je ne suis pas sûr que celles qui sont exprimées sur les travées de l’opposition aient droit au même respect. J’ai surpris des mimiques ou des remarques qui laissaient transparaître, à notre égard, un certain dédain, comme si nous étions les derniers des « ringards » et que seuls les « modernes » savaient ce qui était bon pour notre société. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Roland Courteau. L’inverse a été vrai !
    M. Jean-Pierre Leleux. Du coup, pour essayer de me consoler, j’ai pris la peine d’ouvrir mon dictionnaire afin de rechercher l’étymologie et la définition du mot « ringard ».
    J’ai eu la surprise de découvrir qu’il s’agit du terme ancien pour désigner un tisonnier, c’est-à-dire l’instrument qui ravive la flamme du foyer ; (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.) Ce foyer que vous êtes en train d’étouffer avec ce projet de loi !
    Comme la loi sur le cumul des mandats n’est pas encore adoptée, je me réjouis d’être en même temps maire d’une commune de 52 000 habitants et parlementaire,…
    M. Jean-Pierre Caffet. Ça ne va pas durer !
    M. Jean-Pierre Leleux. … ce qui me permet de rapporter ici ce que j’entends, le matin, à sept heures, lorsque je bois le café avec mes concitoyens. Du reste, tous, que nous soyons de gauche ou de droite, nous entendons forcément la voix du peuple dans nos départements.
    Je peux donc en témoigner, le clivage parlementaire n’a rien à voir avec ce qui se passe dans le peuple. Notre débat, un peu étriqué malgré tout, nous a cantonnés dans notre rôle d’opposant ou de majoritaire, alors que le débat qui se déroule dans la société n’est pas aussi figé.
    Ne soyons pas hypocrites : nous avons tous de nombreux amis dans l’autre camp !
    M. Jean-Pierre Caffet. Là, on avance vraiment ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Pierre Leleux. Or je connais beaucoup de gens de gauche, dont certains sont parlementaires, qui me disent qu’ils ne sont pas forcément d’accord avec ce texte et qu’ils n’ont pas envie qu’il soit voté. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Je connais aussi des gens de droite qui souhaiteraient le voir adopté.
    Alors, pour régler ce problème, la meilleure solution consiste à suivre la proposition de notre collègue Bruno Retailleau, et je la soutiens avec conviction.
    C’est dans un tel cas, très particulier – car il est rare que les conditions soient réunies –, qu’il est utile de faire appel au peuple pour trancher le débat entre deux camps très cristallisés et débloquer la situation. Vive le référendum ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Baylet.
    M. Jean-Michel Baylet. Madame la garde des sceaux, je voudrais vous dire combien les radicaux vous sont reconnaissants…
    M. Jean-François Husson. Les radicaux de gauche !
    M. Jean-Michel Baylet. Les radicaux, ils sont de gauche ou ils ne sont pas ! Regardez l’histoire de France ! (Sourires et exclamations.)
    Nous vous sommes donc reconnaissants d’avoir présenté devant le Parlement un beau texte républicain, qui fait avancer la liberté dans notre pays, qui apporte davantage d’égalité et qui est porteur de fraternité.
    Je remercie aussi, bien sûr, le Président de la République, le Premier ministre ainsi que l’ensemble du Gouvernement.
    Je constate que nos collègues de l’opposition sont subitement – je comprends bien pourquoi – pris d’une frénésie « référendesque », mais je voudrais quand même leur rappeler que, en dix ans de pouvoir, ils n’ont organisé qu’un seul référendum, et c’était il y a huit ans ! Il n’y en a eu aucun pendant le dernier quinquennat !
    Aussi, ce que vous réclamez aujourd’hui à cor et à cris me semble davantage procéder d’une ruse, comme vous l’a dit Mme la ministre. Parce que vous avez déjà été minoritaires à l’Assemblée nationale et que vous sentez bien que vous allez l’être de nouveau dans quelques jours au Sénat,…
    M. Jean-Claude Gaudin et Mme Catherine Troendle. Ce n’est pas sûr !
    M. Jean-Michel Baylet. … vous tentez de retarder le verdict parlementaire.
    Si je vous reconnais, bien entendu, le droit d’utiliser cette procédure tendant à l’organisation d’un référendum, il faudrait quand même vous mettre d’accord sur le fondement de celui-ci. Certains avancent des considérations d’ordre social, quand d’autres évoquent une dimension sociétale.
    M. Charles Revet. C’est la même chose !
    M. Jean-Michel Baylet. Alors, s’agit-il d’une question sociale ou d’un problème de société ?
    Pour nous, il s’agit tout simplement d’une question d’humanité et de générosité !
    M. François Rebsamen. Et d’égalité !
    M. Jean-Michel Baylet. Bien sûr ! Je l’ai dit en commençant.
    En tout cas, nous ne pouvons accepter que vous cherchiez à donner l’impression que nous sortons ce texte comme un lapin d’un chapeau. (Vives exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Francis Delattre. C’est pourtant bien le cas ! Où est l’urgence de légiférer sur cette question ?
    M. Jean-Michel Baylet. Ne vitupérez pas par principe avant que je me sois exprimé !
    Pendant toutes les primaires citoyennes, suivies par des millions de téléspectateurs, nous avons porté cette proposition, que ce soit François Hollande, moi-même ou un certain nombre d’autres candidats. (Mme Frédérique Espagnac et M. Michel Vergoz applaudissent.)
    M. Jean-Pierre Caffet. C’est exact !
    M. Jean-Michel Baylet. Durant toute la campagne électorale, à chaque meeting, nous l’avons reprise, et nous continuons en ce moment même, dans nos territoires, à animer des réunions d’explication et de concertation.
    Vous pouvez évidemment nous dire qu’il est possible de faire mieux. D’ailleurs, vous en savez quelque chose ! Mais vouloir faire croire que nous n’aurions pas suffisamment informé nos concitoyens, que ceux-ci n’avaient pas compris qu’en nous donnant la majorité ils verraient arriver cette réforme – tout comme le droit à mourir dans la dignité, je vous l’annonce d’ores et déjà, au cas où vous auriez les mêmes idées –, cela relève tout bonnement du mensonge !
    M. Jean-Vincent Placé. Très bien !
    M. Jean-Michel Baylet. Cela montre, au surplus, la piètre opinion que vous avez de ce qu’ont voté les Français puisque, ayant lu notre programme, ils savaient très bien à quoi s’attendre.
    Peut-être trouvez-vous bizarre qu’une majorité tienne ses engagements, mais, pour nous, ce n’est rien d’autre que logique ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Madame la garde des sceaux, je vous remercie de ce magnifique texte. Il va de soi que les radicaux de gauche et, dans sa majorité, le groupe du RDSE voteront contre cette motion référendaire. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
    M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, au moment où le débat sur cette motion référendaire va s’achever, permettez-moi de revenir quelques minutes… (Marques d’impatience sur les mêmes travées.)
    Vous ne pouvez pas refuser de donner la parole à la fois au peuple et aux parlementaires ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Mme Cécile Cukierman. Ça, on vous la donne !
    M. Bruno Retailleau. N’en doutez pas un instant, nous sommes résolus à nous battre, respectueusement, mais vigoureusement !
    Que reste-t-il des arguments des uns et des autres ?
    Tout d’abord, ce qui est à mes yeux une certitude : ce texte n’est comparable à aucun autre, car il engage nos consciences sur la conception que nous nous faisons de l’homme, de la civilisation, de la société, du mariage, autant de sujets fondamentaux.
    J’ai également la conviction que ce texte ne clôt pas un débat à un instant donné, mais qu’il nous fait entrer dans une logique, un processus débouchant sur un horizon évident qui est le droit à l’enfant. Mme la ministre déléguée nous l’a d’ailleurs expliqué tout à l’heure, peut-être sans le vouloir, en évoquant les problèmes que pose le tarissement de l’adoption, notamment internationale, laquelle a connu une baisse de 52 % depuis 2004.
    Dès lors, vous savez très bien que ce droit à l’enfant, que ce texte, s’il est voté, va inscrire dans le code civil, ne pourra être satisfait, en pratique, sans recours aux techniques de procréation artificielle : c’est une évidence !
    C’est en raison de cette inévitable dérive que votre texte choque bon nombre d’entre nous.
    J’ai entendu citer Jaurès et bien d’autres. Bien que la citation ait été attribuée à Michel Foucault, en raison, peut-être, du titre de son essai les Mots et les choses, c’est Jaurès qui a dit un jour : « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots. »
    Pour ce qui vous concerne, vous avez été beaucoup plus habiles : vous avez gardé le mot mais, par une formidable audace sémantique, vous en avez changé radicalement le sens, la nature profonde. C’est ainsi que vous avez sans doute gagné la première manche, la bataille médiatique, mais, heureusement, le bon sens populaire a fait tomber le masque et révélé la réalité des choses…
    Par ailleurs, le référendum est juridiquement possible, chers collègues.
    M. François Rebsamen. Le référendum, on n’en veut pas !
    M. Bruno Retailleau. Vous en appelez à Jacques Toubon. Que je sache, sa statue n’est pas encore exposée dans notre hémicycle : je vois celle de saint Louis, celle de Portalis… mais je ne vois pas celle de Jacques Toubon ! (Sourires.) Du reste, cela vaut mieux pour lui, car le fait d’avoir ici sa statue signifierait sans doute qu’il lui est arrivé quelque chose de funeste... (Nouveaux sourires.)
    Comme le disent les juristes, comme le diraient Jean-Jacques Hyest et le doyen Gélard, le seul et ultime interprète authentique de l’opportunité du recours au référendum, c’est le Président de la République. Et, sur ce sujet profondément social, rien ne s’oppose à ce que celui-ci choisisse de donner la parole au peuple.
    Enfin, contrairement à ce que j’ai entendu tout à l’heure, le référendum, ce n’est pas la rue. Au contraire, chers collègues, le référendum, c’est précisément l’antidote aux frustrations, l’antidote à la rue et au désordre.
    Depuis une trentaine d’années, jamais un texte n’aura autant mobilisé nos compatriotes. D’ailleurs, si ces derniers, quels qu’ils soient, se mobilisent, ce n’est pas pour eux ! C’est parce qu’ils ont le sentiment qu’on va leur enlever quelque chose.
    M. François Rebsamen. On n’enlève rien : on ajoute !
    M. Bruno Retailleau. Ils ont le sentiment qu’ils vont être amputés de la possibilité de donner le meilleur à leurs enfants, ce qu’ils ont eux-mêmes reçu : le fait d’avoir été engendrés par un père et une mère, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. (Et alors ? sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
    M. François Rebsamen. So what ?
    M. Bruno Retailleau. Cette amputation est mal vécue et nos concitoyens souhaitent aujourd’hui pouvoir s’exprimer sur ce point. Il faut les écouter !
    Au moment du débat sur le PACS, Irène Théry avait défini le mariage comme l’institution qui articule la différence des sexes – l’altérité sexuelle – et la différence des générations – la parenté.
    Eh bien, aujourd’hui, les Français ne veulent pas qu’on leur arrache leurs origines. Tous ceux qui ont un proche dont l’état civil présente un « trou » savent la souffrance qui en résulte, quel que soit l’âge de la personne concernée.
    Mme Cécile Cukierman. Et quelle que soit l’orientation sexuelle de ses parents !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Cela n’a rien à voir avec le mariage homosexuel !
    M. Bruno Retailleau. Il faut écouter les Français ! Revenez au peuple, écoutez-le ! Le Président de la République peut le faire, et il le doit ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Exclamations et manifestations de lassitude sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, la question que nous soulevons ne s’adresse pas au Gouvernement, elle s’adresse au Président de la République.
    M. Jean-Pierre Caffet. Alors, écrivez-lui !
    M. Philippe Bas. C’est l’article 11 de la Constitution qui le prévoit.
    Nous n’entendons pas forcer la main au Président de la République : nous demandons seulement que, par un vote du Parlement, cette question lui soit solennellement posée.
    Nous pensons que le Président de la République, à la différence de ce que peut être le chef du gouvernement en Allemagne, en Espagne ou en Royaume-Uni, n’est pas le chef d’une coalition responsable devant une majorité. Ses responsabilités vont bien au-delà de cela. Elles lui commandent de rassembler, et non de diviser, d’unir, et non de cliver. Le Président de la République est responsable de l’unité des Français.
    M. David Assouline. Sarkozy l’a prouvé ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Philippe Bas. C’est à ce titre que nous voulons lui poser la question, car, sur ce projet de réforme, les divisions dans notre pays sont réelles et profondes.
    Les Français qui expriment aujourd’hui leur opposition le font avec sincérité : ils ne vous veulent aucun mal ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.) Ils sont descendus dans la rue en vertu de l’idée qu’ils se font de la famille et de l’intérêt de l’enfant, idée qu’ils veulent défendre avec force et avec générosité. Car vous n’avez pas le monopole de la générosité !
    Vous prétendez agir au nom du principe d’égalité. Mais vous dénaturez ce principe dans la mesure où les règles que vous estimez devoir étendre à tous s’appliqueraient à des personnes qui sont dans des situations différentes. Le principe d’égalité, ce n’est pas cela ! Respectez ce qu’en disent le Conseil constitutionnel comme le Conseil d’État, et ce depuis fort longtemps !
    On ne peut avoir une vision personnelle de l’égalité. C’est un principe objectif, qui nous est imposé par le préambule de la Constitution, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’interprétation qui en a été fréquemment donnée.
    Si nous présentons cette motion référendaire, ce n’est pas pour vous tendre un piège. (Mais non ! sur les travées du groupe socialiste.) Au contraire, c’est une main tendue pour vous aider à sortir de la difficulté majeure dans laquelle vous vous êtes mis vis-à-vis des Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
    Nous souhaitons que, s’agissant de l’institution la plus fondamentale pour chacune et chacun d’entre nous, c’est-à-dire la famille, structure de base de la société française, nos compatriotes puissent être interrogés directement.
    Depuis quarante ans, notre société n’a pas connu d’aussi profond mouvement d’opposition à une réforme. (M. David Assouline s’esclaffe.)
    Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ce n’est pas vrai !
    M. Claude Haut. C’est faux !
    M. Philippe Bas. Cette opposition, vous ne pouvez pas feindre de ne pas l’avoir entendue. Vous ne pouvez pas refuser de l’écouter. Vous devez dialoguer, vous devez parler avec les Français. Pour cela, vous devez faire sortir le débat de notre hémicycle et de celui de l’Assemblée nationale, permettre qu’il ait lieu dans tous les départements et toutes les circonscriptions de France,…
    Mme Cécile Cukierman. Il a déjà lieu !
    M. Philippe Bas. … et y convier tous les Français, tous personnellement concernés par cette réforme.
    En effet, cette dernière n’a pas pour seul objet de répondre à la demande d’une partie des couples, que nous respectons tout comme vous : elle change nos conceptions fondamentales de la famille,…
    M. David Assouline. Votre conception de la famille !
    M. Philippe Bas. … la place de l’altérité sexuelle, qui est au fondement de la famille, et celle de la parenté biologique dans notre droit. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC. – MM. Philippe Darniche et Jean-François Husson applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
    M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comme notre collègue Yves Détraigne, je ne suis pas un « fan » de la procédure référendaire, notamment parce que les Français, souvent, ne répondent pas à la question posée.
    M. David Assouline. C’est justement ce que veulent ceux qui ont déposé la motion !
    M. Vincent Delahaye. Néanmoins, en l’espèce, je voterai en faveur de la motion référendaire.
    M. Jean-Pierre Caffet. On s’en doutait !
    M. Vincent Delahaye. À cela, quatre raisons.
    Premièrement, je considère que, contrairement à ce que j’ai entendu ici ou là, l’élection présidentielle n’a pas tranché cette question. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
    Pourquoi ? D’abord, parce que, dans les motivations de l’élection, il y avait d’abord le rejet d’un homme. Ensuite, parce que, dans les engagements du candidat François Hollande, la proposition qui nous est faite aujourd’hui figurait plutôt à la fin de la liste.
    Deuxièmement, le lobby homosexuel et le collectif LGBT, qui ont inspiré ce projet, ne me semblent pas vraiment représentatifs des homosexuels de France.
    M. Charles Revet. Ça, c’est vrai !
    M. Vincent Delahaye. Pour ma part, j’ai eu l’occasion de rencontrer les deux associations qui représentent les homosexuels dans mon département. Pour avoir discuté assez longuement avec elles, et pour avoir également rencontré de nombreux homosexuels, j’estime que l’on peut faire évoluer le projet de loi qui nous est soumis dans un sens qui serait beaucoup plus consensuel et qui leur donnerait satisfaction.
    Par conséquent, si la revendication de départ est légitime, il ne faut pas laisser croire qu’il existe une position unique susceptible de la satisfaire. Je reviendrai sur le problème de l’adoption lorsque nous serons amenés à évoquer le fond du texte.
    Troisièmement, si la discussion parlementaire – à l’Assemblée nationale comme dans cet hémicycle – est riche, et c’est tant mieux, je considère, mes chers collègues, que le débat n’a pas eu lieu dans le pays.
    À une certaine époque, on a beaucoup parlé de démocratie participative.
    Mme Cécile Cukierman. On en parle encore !
    M. David Assouline. Le référendum, ce n’est pas la démocratie participative !
    M. Vincent Delahaye. Or, sur ce sujet précis, cela a déjà été dit, il n’y a pas vraiment eu de débat public dans notre pays.
    Mme Cécile Cukierman. Rien à voir avec la motion !
    M. Vincent Delahaye. Quatrièmement, je considère que le Gouvernement n’a pas du tout pris la mesure de l’ampleur de la contestation sur ce projet de loi. Il n’écoute pas, contrairement à ce qu’avait fait François Mitterrand en 1984, en retirant le projet sur l’enseignement.
    Je ne dis pas que le Gouvernement doit retirer le présent projet ; je prétends qu’il se grandirait en écoutant un peu plus ce que dit la rue et en le modifiant. En tout cas, on peut le modifier, de manière à trouver autour de lui un rassemblement beaucoup plus large – et les amendements que nous défendrons vont dans ce sens –, au lieu de la division qu’il suscite aujourd’hui et qui me semble préjudiciable à notre pays.
    Tout gouvernement doit essayer de rassembler au maximum les Français, qui sont naturellement assez divisés. Or, sur cette question, il n’est pas très compliqué d’aboutir à un rassemblement plus large. Cela grandirait à la fois le Gouvernement et le Président de la République.
    Dans ces conditions, vous le comprendrez, les membres du groupe UDI, dont moi-même, voteront très majoritairement en faveur de cette motion référendaire. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UDI-UC et sur de nombreuses travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
    Mme Cécile Cukierman. Pour paraphraser Thorez, il faut savoir terminer une discussion ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
    M. Dominique de Legge. Mesdames les ministres, chers collègues de la majorité, pour justifier votre rejet de cette motion référendaire, vous évoquez l’article 11 de la Constitution et usez d’arguties autour des mots « social » et « sociétal ». Or, lorsque vous proposiez l’organisation d’un référendum sur La Poste, je n’ai pas souvenance que vous ayez eu recours à ce type d’arguments. Pourtant, nous n’étions ni dans le social, ni dans le sociétal !
    Mme Cécile Cukierman. Le service public, ce n’est ni du social ni du sociétal ?
    M. Dominique de Legge. Du reste, vos raisonnements seraient davantage audibles si vous aviez bien voulu prendre un tout petit peu plus en considération les arguments constitutionnels qui ont été excellemment avancés hier par notre collègue le doyen Gélard.
    Votre deuxième argument consiste à nous dire que tout a été tranché le 6 mai de l’année dernière. En somme, vous nous dites : « Circulez, il n’y a rien à voir ! »
    Mais, chers collègues, depuis quand un programme électoral dispenserait-il d’un débat public ? À ce compte-là, il faut supprimer le Parlement et légiférer par ordonnances pendant cinq ans ! (Exclamations sur diverses travées.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça les arrangerait !
    M. Dominique de Legge. J’ai ici le projet présidentiel du candidat François Hollande ; je peux reprendre un certain nombre de ses engagements : l’emploi, troisième engagement ; le niveau du budget européen, sixième et douzième engagements ; la réduction du déficit, neuvième engagement ;…
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oubliés !
    M. Dominique de Legge. Le pacte de croissance européen, onzième engagement ;…
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oublié !
    M. Dominique de Legge. … la retraite à dix-huit ans… (Vives exclamations et huées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) … je veux dire : la retraite à soixante ans, dix-huitième engagement ;…
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oubliée !
    M. Dominique de Legge. … la décentralisation, cinquante-quatrième engagement.
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oubliée !
    M. Dominique de Legge. Et je peux également vous parler de la TVA ou de la République irréprochable !
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Oubliées !
    M. Dominique de Legge. Alors, ce programme valait-il mandat impératif ?
    Mes chers collègues, Jean-Michel Baylet l’a dit tout à l’heure, la question du mariage pour les couples de personnes de même sexe a été évoquée à l’occasion de la primaire organisée entre le parti socialiste et le parti radical de gauche. D’ailleurs, le logo de ces deux partis figure sur le projet présidentiel. Mais, que je sache, aujourd’hui, M. Hollande n’est plus le candidat ! C’est le président, non seulement du PS et du PRG, mais de toute la France !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Très bien !
    M. Dominique de Legge. Dès lors, on peut légitimement attendre qu’il écoute l’ensemble des Français ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Véhémentes protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    M. David Assouline. Est-ce ce qu’a fait Nicolas Sarkozy ?
    M. Dominique de Legge. Voulez-vous essayer de réunir votre majorité en sacrifiant la famille et l’union des Français ?
    M. Michel Vergoz. Un peu de respect !
    M. Dominique de Legge. Je veux également remercier Mme le ministre,…
    M. David Assouline. Mme « la » ministre !
    M. Dominique de Legge. … qui, hier, nous a invités à méditer sur une très belle citation de René Char. À cet égard, je dois dire que les propos de notre rapporteur sont tout à fait révélateurs !
    Je vous renvoie également au message récemment publié par M. Pierre Bergé sur son compte Twitter : « Vous me direz, si une bombe explose le 24 mars sur les Champs à cause de la Manif pour tous, c’est pas moi qui vais pleurer ! »
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça craint !
    M. Dominique de Legge. Voilà des mots qui dévoilent le fond d’une pensée et qui, en tout état de cause, ne sont pas des mots de rassemblement.
    Il est temps que vous suiviez la proposition de la commission des lois, qui appelle à la sagesse. La sagesse, pour le Président de la République, c’est effectivement de donner la parole au peuple de France.
    Que craignez-vous donc ? Que les 18 millions de personnes qui ont voté pour François Hollande aient changé d’avis ? Que les images qui ont été prises le 24 mars par hélicoptère et que vous avez gardées pour vous…
    M. David Assouline. Tout le monde y a accès !
    M. Dominique de Legge. … révèlent le nombre réel des manifestants ?
    M. David Assouline. Au grand maximum 300 000 !
    M. Dominique de Legge. C’est sans doute ce dont vous avez peur… Eh bien, donnez la parole aux Français et nous saurons à quoi nous en tenir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
    M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
    M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le 10 janvier dernier, soit quelques jours avant la première manifestation d’ampleur à Paris contre le projet de mariage pour les couples de même sexe et, par là même, contre les bouleversements induits pour l’adoption et la filiation, j’ai signé l’appel à un référendum pour que chaque Français puisse peser toutes les conséquences de cette réforme et se prononcer en conscience.
    Cet appel n’a pas été entendu par notre exécutif puisqu’il a maintenu l’inscription du projet de loi, en première lecture, à l’Assemblée nationale.
    Je rappelle que parallèlement, le 13 novembre dernier, nos collègues députés avaient demandé, en vain, la création d’une commission spéciale et l’organisation d’un débat national.
    La majorité avait pourtant là l’occasion de donner un signe d’apaisement aux Français, qui y auraient été sensibles, et les débats n’en auraient été que plus sains.
    Mais non, votre majorité, madame la garde des sceaux, s’est enferrée dans la voie du refus d’un nécessaire débat national au motif qu’il s’agissait d’une promesse de campagne électorale.
    Or, il est évident que M. Hollande n’a pas été élu avec l’accord des Français sur la totalité de son programme. Il commet donc l’erreur de considérer que tous les Français sont d’accord avec l’ouverture du mariage, et donc de l’adoption, aux couples homosexuels.
    D’ailleurs, dans la litanie des renoncements successifs du Président de la République, cette promesse apparaît curieusement comme une des rares qui doivent être respectées coûte que coûte.
    Pourquoi, si le Gouvernement est convaincu de l’adhésion d’une majorité de Français à ce projet de loi, n’organise-t-il pas un référendum ? Poser la question revient à y répondre…
    Bien que la mobilisation de nos concitoyens ne fasse que s’amplifier et que deux manifestations d’ampleur croissante aient été organisées pour demander un référendum, le texte a été discuté et adopté par les députés.
    Ceux qui, parmi les députés de l’opposition, ont demandé la tenue d’un référendum n’ont pas été davantage écoutés que lors de leur demande de constitution d’une commission spéciale.
    Un tel débat de société mérite une autre approche. Comme vous l’avez vous-même dit, madame la garde des sceaux, cette « réforme de civilisation » effacera la filiation biologique par une filiation irréelle issue de deux hommes ou de deux femmes. Elle changera le mode de renouvellement des générations.
    Un changement de société qui relève à ce point de l’intime ne saurait ni faire l’objet de consignes de vote, comme cela a malheureusement été le cas à l’Assemblée nationale, ni résulter du seul rapport de force entre majorité et opposition.
    En effet, il règne actuellement une confusion entre le désir d’enfant et le droit à l’enfant. Si un tel droit était accordé, il faudrait poser la question de savoir si les lois sont des self-services destinés à satisfaire les désirs de tous et, si tel n’est pas le cas, se demander où est la limite.
    Ce projet de loi divise profondément la nation alors qu’elle a au contraire besoin d’être soudée, à l’heure où nous devrions plutôt nous retrousser les manches et nous battre ensemble contre le chômage et les déficits publics.
    Cette réforme est-elle donc si urgente qu’elle ne puisse être reportée ?
    Alors, madame la garde des sceaux, donnons ensemble à nos concitoyens, avec le référendum, le droit au débat et au vote. En tant que législateur, sachons, mes chers collègues, nous effacer et rendre la décision au peuple souverain. N’oublions pas que c’est ce peuple que nous avons promis de servir, ce peuple dont nous avons promis de porter la voix.
    Plus largement, engageons une réflexion anthropologique et éthique, approfondie et commune, sur le statut des enfants et sur leurs droits à une société humaine, respectueuse de la nature, des hommes et des générations futures.
    Nous sommes en démocratie, madame la garde des sceaux. Or les Français voient bien que l’on attente à leur droit au dialogue et à l’écoute. Je ne peux m’empêcher, comme mon collègue Jean-Noël Cardoux, de citer notre Président de la République déclarant en 2006, lors des manifestations contre le contrat premier embauche : « Quand il y a des milliers et des milliers de citoyens, jeunes ou moins jeunes, quand toutes les organisations syndicales représentées sans exception, quand de nombreuses associations d’étudiants et de parents d’élèves, sont aussi mobilisés, à quoi sert d’attendre la prochaine manifestation ? »
    « Il suffirait, poursuivait-il, d’un mot, un seul, que le pouvoir hésite à prononcer : l’abrogation. […] Quand on a fait une erreur, il faut savoir l’effacer. »
    Je vous en prie, madame la garde des sceaux, prenez le temps de la consultation et demandez au peuple ce qu’il attend véritablement.
    Voilà pourquoi je soutiens la motion référendaire, que je vous invite, mes chers collègues, à voter à une large majorité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré.
    Mme Isabelle Debré. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il n’est pas dans mon tempérament d’aller manifester. Pourtant, j’étais au Champs-de-Mars et avenue de la Grande-Armée.
    Je me suis trouvée au milieu de familles,…
    M. David Assouline. En mettant les enfants devant !
    Mme Isabelle Debré. … de jeunes et de moins jeunes qui étaient un peu désemparés, un peu perdus, se demandant s’ils allaient être entendus.
    Vous le savez tous ici, le sujet dépasse les clivages gauche-droite. Il y avait, dans la manifestation, des gens tant de gauche que de droite. J’ai entendu des manifestants dire qu’ils n’avaient pas élu François Hollande pour ça.
    Vous prétendez qu’un référendum a eu lieu en mai. Il est vrai que le mariage pour tous constituait la proposition n° 31 de François Hollande, mais tous ceux qui l’ont élu ont-ils voté pour toutes ses propositions ? Si c’était le cas, la TVA sociale ne devrait pas pouvoir être instaurée. Or, a priori, elle va l’être !
    M. David Assouline. Ils ont voté contre celle de Sarkozy !
    Mme Isabelle Debré. Aujourd’hui la France va mal, le peuple français souffre de la crise.
    Mme Éliane Assassi. À cause de qui ?
    Mme Isabelle Debré. Les Français doutent, et ils doutent notamment de la représentation politique. Un référendum serait peut-être, justement, le meilleur moyen de les réconcilier avec la classe politique. Il faut leur donner la parole !
    Vous dites, madame la garde des sceaux, qu’il s’agit d’égalité ; je vous réponds que l’égalité est réelle dans notre pays, mais c’est une égalité en droit, pas devant la nature !
    M. David Assouline. Et les handicapés ?
    Mme Isabelle Debré. Aujourd’hui, un couple homosexuel ne pourra pas donner la vie.
    Mmes Éliane Assassi et Cécile Cukierman. Eh oui ! C’est le cas aujourd’hui !
    Mme Isabelle Debré. Prenons l’exemple de deux couples hétérosexuels. L’un pourra procréer tandis que l’autre, pour des raisons tenant à la nature ou que la médecine peut expliquer, ne pourra malheureusement pas donner la vie. Peut-on parler d’égalité ?
    Je le répète, nous ne pouvons pas être égaux face à la nature. Nous sommes égaux en droit. Lorsque vous parlez d’égalité, vous devriez donc vous en tenir à l’égalité en droit. En aucun cas, le mariage homosexuel ne donnera une égalité totale ! C’est impossible : jamais deux hommes ou deux femmes ne pourront donner naissance à un enfant ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
    Nous discutons de la motion référendaire ; nous dirons après pourquoi nous ne sommes pas favorables à ce texte et, à titre personnel, je m’expliquerai sur les droits de l’enfant, puisque, comme vous les savez dans cet hémicycle, je travaille au sein d’une association qui lutte contre la maltraitance des enfants depuis longtemps. Je réaffirmerai que l’éducation dans un couple homosexuel est possible et peut même être une très belle éducation. Là n’est pas le problème.
    M. David Assouline. Tout le monde ne l’a pas dit aussi clairement dans votre camp !
    Mme Isabelle Debré. À titre personnel, je crois que le modèle majoritaire doit, dans un système démocratique, trouver un gouvernement qui fasse écho à la volonté qui s’exprime par la voie du scrutin.
    Je voudrais, à cet égard, citer Claude Lévi-Strauss : « On a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite alors qu’elle est faite d’habitudes, d’usages, et qu’en broyant ceci sous les meules de la raison, on pulvérise des genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l’état d’atomes interchangeables et anonymes. La liberté véritable ne peut avoir qu’un contenu concret. »
    Mes chers collègues, la République se grandit toujours dans les moments où elle cherche à dégager une position commune. C’est pourquoi nous devons rendre la parole aux Français. Je voterai donc la motion qu’a présentée notre collègue Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Bécot.
    M. Michel Bécot. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, M. Gélard nous a apporté, hier après-midi, un précieux et nouvel éclairage…
    M. David Assouline. Je n’ai rien compris !
    M. Michel Bécot. … sur le texte que Mme la garde des sceaux nous a présenté.
    Ce matin, M. Retailleau nous a donné une remarquable explication sur sa proposition de motion référendaire.
    Vous savez, madame la garde des sceaux, que ce projet de loi ouvrant le droit au mariage et à l’adoption pour des couples de même sexe est de nature à déstabiliser profondément la société française. Le mariage se trouve, en effet, au fondement de notre pacte social. C’est un acte juridique visant à établir un cadre institutionnel pour un couple constitué d’un homme et d’une femme qui décident de fonder une famille, première cellule de notre société.
    Ce n’est pas une ruse, madame la garde des sceaux. Ce contrat, qui accorde des droits, impose des devoirs. Il assure une protection juridique aux plus fragiles des membres d’une famille, au premier rang desquels les enfants. Mariage et filiation sont intimement liés.
    C’est pourquoi nous ne pouvons vous laisser agir comme si ce projet de loi ne visait qu’à répondre à une demande d’égalité entre les citoyens adultes. Ce double basculement ne peut se faire sans l’accord des Français : ils ne comprendraient pas qu’on puisse les exclure d’un processus de décision qui concerne aussi leur vie personnelle, leur vie intime, l’avenir de leurs enfants et leur vision de la famille.
    C’est le sens des manifestations successives organisées ces derniers mois, manifestations d’une ampleur historiques qui ont rassemblé des millions de participants exprimant ainsi leurs inquiétudes face à cette révolution de notre droit de la famille.
    C’est pourquoi nous demandons au Président de la République, qui se veut soucieux de rétablir le dialogue social et de recueillir l’adhésion d’une majorité de Français à ses réformes, de faire le choix de l’apaisement et du dialogue en organisant un référendum législatif dans les conditions que prévoit notre Constitution.
    Toute autre décision serait un déni de démocratie, une manière de diviser les Français dans une période qui exige, au contraire, le rassemblement le plus large autour de nos valeurs républicaines.
    Madame la garde des sceaux, les Français sont inquiets. Ils ont peur pour leurs enfants. Je crois très sincèrement que nous devons faire confiance au peuple français et, mes chers collègues, que nous devons, ce soir, voter ensemble la motion référendaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
    Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, par le dépôt de cette motion référendaire, nous faisons appel en dernier ressort à l’arbitrage du peuple par la voie du référendum.
    Nous en appelons à cet arbitrage pour une raison simple : lorsqu’on s’attaque à l’essence même de l’institution du mariage et aux structures de la famille, on demande son avis au peuple. Voilà pourquoi il faut le consulter.
    De plus, il convient de souligner que cet appel à la souveraineté populaire est parfaitement légitime.
    Certains assurent, avec ce qu’ils croient être de l’habileté, que les Français se sont déjà prononcés sur le mariage pour tous en votant pour François Hollande. De fait, avec cette théorie, nulle pédagogie, nul travail de persuasion, nulle confrontation des idées n’est nécessaire puisque le peuple a déjà tranché !
    Il est étrange cependant que ceux qui étaient dans l’opposition il y a moins d’un an n’aient pas mis en pratique cette conception de la vie démocratique. Ils auraient pu le faire lorsque la précédente majorité appliquait son programme sur les heures supplémentaires et les retraites : sachant que tout cela figurait dans notre programme, comment ont-ils pu oser défier la souveraineté populaire qui s’était exprimée en 2007 ?
    Non, mes chers collègues, vous voyez bien que cette conception du débat publique n’est pas viable.
    Heureusement que nous ne l’avons pas mise en pratique pour les différentes mesures qu’il nous a été donné de prendre au cours de la précédente législature ! À cet égard, je tiens à rappeler les efforts de pédagogie réalisés à l’occasion des lois « Grenelle de l’environnement », de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA », s’agissant notamment des heures supplémentaires, de la réforme des retraites de 2010 et de bien d’autres lois encore.
    Certes, la pédagogie n’implique pas de déboucher sur un large consensus, mais elle implique de laisser s’exprimer des opinions divergentes et de ne pas user d’arguments d’autorité et d’anathèmes pour étouffer toute contestation.
    Or, dans le débat que nous avons depuis plusieurs mois, nous avons passé et nous passons encore notre temps à défendre notre droit à l’expression d’opinions contradictoires.
    Pendant de long mois, contester le bien-fondé du mariage pour tous relevait d’une nouvelle forme de fascisme,…
    M. Roland Courteau. C’est nouveau !
    Mme Catherine Troendle. … d’une homophobie latente ou de tous ces qualificatifs qu’on emploie lorsqu’on veut être certain de ne pas avoir à débattre. De fait, le débat a été pollué par cette question simple : a-t-on le droit de débattre de l’opportunité du mariage pour tous ?
    Pendant des mois, nous avons donc perdu de très longues heures dans des conférences, des débats, des émissions médiatiques, dans les salons, sur les marchés, dans les bistros à débattre du débat !
    En conséquence, le choix de société qui nous est proposé ici n’a pas suivi le parcours habituel de ces politiques publiques qui, ordinairement, font l’objet d’un processus de maturation qui doit conduire à un débat relativement apaisé.
    Alors, mes chers collègues, ne vous demandez pas pourquoi, y compris devant le Parlement, le débat demeure toujours aussi pesant ! Cette pesanteur n’a de fait qu’une seule cause : l’incapacité des Français et des corps intermédiaires qui ne sont pas favorables au projet de loi à s’exprimer.
    En effet, le débat a été confisqué par la coalition de quelques lobbies radicaux se revendiquant de communautés qui ne les ont jamais mandatés. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Peu importe de savoir quelles communautés devaient représenter ces lobbies puisque, de fait, il n’y a rien qui puisse nous prouver que ces organisations ou associations de quelques centaines de membres soient bel et bien les représentantes de communautés de plusieurs millions de membres. Par conséquent, il n’y a rien qui puisse justifier l’écoute dont ces lobbies ont pu bénéficier auprès du Gouvernement.
    À l’inverse, à la faveur d’un rééquilibrage de la censure médiatique, d’un rééquilibrage dans l’accès aux médias, immédiatement, des voix discordantes ont pu s’élever contre ce « hold-up intellectuel ». En quelques semaines, l’opinion a commencé à s’emparer du sujet, faisant abstraction de la vindicte de quelques leaders d’opinions, appliquant implacablement la devise selon laquelle il ne faut pas laisser de « liberté aux ennemis de la liberté ».
    Pour tout cela, puisque le débat a été confisqué depuis trop longtemps, puisque les opinions contradictoires ont été cachées, avant d’être stigmatisées,…
    M. Roland Courteau. Allons !
    Mme Catherine Troendle. … il faut donner la possibilité au peuple de s’exprimer à travers une consultation nationale.
    Ce référendum sera ainsi l’occasion pour tous les Français de donner leur plus profond sentiment sur cette question de l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe.
    Laissez donc les Français construire leur propre opinion, laissez-les choisir ce qui est bon pour eux ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy. (Enfin ! sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Nicole Bonnefoy. Mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, je tiens à rappeler une nouvelle fois les raisons qui nous poussent à rejeter cette motion référendaire.
    La raison principale est, bien évidemment, d’ordre constitutionnel.
    Cela a été rappelé à maintes reprises, ici-même ce matin, mais aussi à l’Assemblée nationale au mois de janvier dernier : l’article 11 de la Constitution ne permet pas de demander un référendum sur une question de société. (Si ! sur plusieurs sénateurs du groupe UMP.)
    Vous le savez d’ailleurs très bien, car vous en êtes en partie responsables ! Si vous l’aviez voulu, il fallait l’intégrer dans la révision constitutionnelle de 2008, cela vous a déjà été dit.
    M. Jean-Claude Lenoir. « Social » est synonyme de « sociétal » !
    Mme Nicole Bonnefoy. Souvenez-vous des propositions qui avaient été faites en ce sens à l’Assemblée nationale et que la garde des sceaux de l’époque, pourtant de votre bord politique, avait rejetées.
    M. Jean-Pierre Caffet. Très bien !
    Mme Nicole Bonnefoy. Vous ne pouvez donc pas feindre la surprise aujourd’hui quand nous vous expliquons que votre demande n’est pas recevable.
    Vous êtes bien ici dans une posture purement politique et démagogique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Catherine Troendle. Pas du tout !
    Mme Nicole Bonnefoy. Car, comme je le disais lors de mon intervention en discussion générale, comme le rappelait Alain Anziani ce matin, le référendum que vous appelez de vos vœux a déjà eu lieu, ne vous en déplaise. Le 6 mai dernier, ce sont 18 millions de Français qui se sont déplacés vers les urnes (Mêmes mouvements.) pour donner à François Hollande toute la légitimité d’appliquer son programme, programme dans lequel le mariage pour les couples de même sexe a toujours été inscrit.
    En demandant aujourd’hui l’organisation d’un référendum, vous respectez bien peu la voix de ces Français.
    Par ailleurs, vous ne cessez de répéter que le Gouvernement prive ici la société d’un débat fondamental. Mais que vous faut-il de plus ?
    Je vous rappelle encore que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe était inscrite dans le programme de François Hollande dès le mois de janvier 2011 ; le projet de loi a été présenté au conseil des ministres le 7 novembre dernier, puis les rapporteurs sur ce texte, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont organisé respectivement des dizaines d’auditions pendant plusieurs semaines, en recevant l’ensemble des représentants de la société civile dans leur diversité.
    M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !
    Mme Nicole Bonnefoy. De surcroît, il ne vous aura pas échappé que, depuis plusieurs mois, les médias se sont emparés de ce sujet et qu’il ne se passe pas un jour sans que nous en débattions.
    Le débat a donc bien eu lieu, et il a lieu encore aujourd’hui dans cet hémicycle. Certes, nous ne sommes pas d’accord, mais ce n’est pas pour autant que nous sommes devant un quelconque déni de démocratie.
    Le Parlement doit jouer son rôle, mes chers collègues ! Ne l’opposez pas au peuple !
    Pour conclure, je dirai que nos débats nous confirment une chose évidente : il y a bien un fossé idéologique entre nous, entre les progressistes, qui souhaitent donner toujours plus d’égalité et de droits aux citoyens (Protestations sur les travées de l’UMP. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.), et les conservateurs, qui considèrent, comme nous l’avons entendu ce matin, que le mariage fait partie de notre patrimoine et, à ce titre, serait une institution intangible.
    Ce n’est pas notre vision de la société. La famille n’est pas une institution figée. Il ne peut y avoir de loi « immuable » qui la régisse. Le projet de loi qui nous est proposé aujourd’hui vise justement à accompagner des évolutions sociales et sociétales.
    Il s’agit de reconnaître des droits essentiels à des milliers de Français, mes chers collègues, qui existent, qui nous écoutent, ne l’oubliez jamais, et qui se voient privés de ces droits du fait de leur orientation sexuelle.
    Ce texte d’égalité et de progrès social a toute sa légitimité depuis le 6 mai dernier. C’est pour toutes ces raisons que le groupe socialiste votera contre cette motion ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
    Je mets aux voix la motion de renvoi au référendum.
    Je rappelle que, en application de l’article 68 du règlement, l’adoption par le Sénat d’une motion de référendum suspend, si elle est commencée, la discussion du projet de loi.
    En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
    Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n°126 :
    Nombre de votants 343
    Nombre de suffrages exprimés 340
    Majorité absolue des suffrages exprimés 171
    Pour l’adoption 164
    Contre 176
    Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    En conséquence, la motion de renvoi au référendum est rejetée et le Sénat va poursuivre la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    La parole est à Mme la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je remercie très chaleureusement les sénatrices et sénateurs qui ont permis que le débat sur ce texte extrêmement important se poursuive, ainsi que tous ceux qui ont exprimé avec franchise et conviction leur position.
    Il serait facile pour nous tous de considérer que s’en remettre au peuple est l’alpha et l’oméga de la politique. Mme Cayeux a eu l’amabilité de nous dire que ni le Président de la République ni moi-même ne sortirions affaiblis de cette consultation, sauf que nous ne jouons pas ici notre réputation.
    Nous sommes respectueux de la loi fondamentale. Elle pose les conditions dans lesquelles une consultation peut se faire ; elle dit la nécessité de la prise de responsabilité de l’exécutif. Nous prenons cette responsabilité, avec tous les désagréments que cela peut supposer. Nous remercions donc ceux qui ont permis au débat de se poursuivre sur ce texte important. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    (M. Didier Guillaume remplace M. Jean-Pierre Bel au fauteuil de la présidence.)
    PRÉSIDENCE DE M. DIDIER GUILLAUME

    vice-président
    4
    COMMUNICATIONS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

    M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date de ce jour, deux décisions du Conseil sur une question prioritaire de constitutionnalité portant, d’une part, sur l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale (réduction sur les cotisations à la charge de l’employeur) (n° 2013-300 QPC) et, d’autre part, sur les dispositions de l’article L. 756 5 du code de la sécurité sociale issues de la loi d’orientation pour l’outre-mer du 13 décembre 2000 (cotisations et contributions des employeurs et travailleurs indépendants) (n° 2013-301 QPC).
    Par ailleurs, M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, également ce vendredi 5 avril, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont respectivement adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité, la première portant sur l’article 1er de la loi n° 2005 5 du 5 janvier 2005 (statut des maîtres contractuels des établissements d’enseignement privé sous contrat) (2013-322 QPC) et la seconde portant sur les troisième à cinquième alinéas du IV du 1.1 du 1 et du IV du 2.1 du 2 de l’article 78 de la loi du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 dans leur rédaction antérieure à la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 (dotations de compensation de la réforme de la taxe professionnelle) (2013-323 QPC).
    Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
    Acte est donné de ces communications.
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    Discussion générale (interruption de la discussion)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Exception d’irrecevabilité
    OUVERTURE DU MARIAGE AUX COUPLES DE PERSONNES DE MÊME SEXE

    Suite de la discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
    M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (projet n° 349, texte de la commission n° 438, rapport n° 437, avis n° 435).
    Nous en sommes parvenus à l’examen de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
    Exception d’irrecevabilité

    Discussion générale (suite)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Question préalable
    M. le président. Je suis saisi, par M. Hyest et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, d’une motion n°1 rectifiée bis.
    Cette motion est ainsi rédigée :
    En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 438, 2012-2013).
    Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
    En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
    La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour la motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le rapporteur, dans votre rapport écrit, vous réfutez, parfois d’ailleurs en une phrase lapidaire, les objections très nombreuses exprimées, sur les plans tant juridique qu’anthropologique, contre ce projet de loi.
    Votre thèse est que « rien n’est ôté au mariage que connaissent aujourd’hui les couples hétérosexuels » – pour ma part, je ferai observer que l’altérité est constitutive du couple… – et que, compte tenu du périmètre limité de la réforme, le bouleversement symbolique n’est pas avéré !
    C’est bien ce que vous avez écrit dans votre rapport, mais un peu moins dit dans les médias, n’est-ce pas ?
    Si vous voulez dire qu’une infime minorité réclame au nom de l’égalité l’extension du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe, vous avez sans doute raison. Mais alors, qui devons-nous croire ? Vous, monsieur le rapporteur, ou vous, madame la garde des sceaux, qui, à plusieurs reprises, avez parlé de « réforme de civilisation » ?
    Vous avez d’ailleurs expliqué, madame la garde des sceaux, ce qu’était selon vous une civilisation ; j’avoue que je ne suis pas sûr d’avoir tout compris… Une civilisation, me semble-t-il, c’est principalement la recherche permanente du bien commun de l’humanité ou d’une société.
    M. David Assouline. Par exemple !
    M. Jean-Jacques Hyest. Autrement, cela n’a pas de sens. On ne peut pas uniquement prendre un petit morceau et laisser croire que tout le reste n’a aucune valeur.
    Si votre projet de loi ne prévoyait, comme c’est le cas dans un certain nombre de pays, que de permettre à des personnes de même sexe d’officialiser leur union civile en mairie et de bénéficier de l’ouverture de droits sociaux et patrimoniaux, une majorité de nos concitoyens l’accepteraient. Or, parce que vous bouleversez le droit de la filiation, ils ont l’impression que, au nom du principe d’égalité, on veut transformer la société, ce projet de loi n’étant qu’une étape dans la déconstruction de la famille. En conséquence, ils disent non majoritairement. Le consensus explose et les problèmes juridiques et constitutionnels s’accumulent.
    Tout d’abord, madame la garde des sceaux, l’étude d’impact est particulièrement insuffisante, car elle ne répond absolument pas aux exigences de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 concernant l’impact juridique et l’évaluation des conséquences économiques, financières et sociales d’un projet de loi.
    À cet égard, permettez-moi de citer ce que nous connaissons de l’avis du Conseil d’État qui pointe les failles de cette étude d’impact : « Elle ne traite pas […] des questions multiples et complexes que soulève l’ouverture de l’adoption aux conjoints de même sexe, tant dans le cadre de l’adoption internationale que, plus généralement, au regard de l’appréciation que les autorités compétentes seront amenées à faire de l’intérêt de l’enfant et qui est opéré, en droit positif, de manière concrète, au cas par cas ».
    Le Conseil d’État note ensuite les conséquences sur l’état civil, lequel mettra en évidence, « par la référence à des parents de même sexe, la fiction juridique sur laquelle repose cette filiation ».
    Il en est de même concernant l’accès aux origines, point sur lequel l’étude d’impact est.
    Le Conseil d’État s’est également interrogé sur les effets pour les conjoints étrangers, sans que ni l’étude d’impact ni le projet de loi ne règlent vraiment le problème.
    Enfin, et c’est le plus important, le Conseil d’État met en garde le Gouvernement contre l’impact d’un tel projet de loi sur le mariage tel qu’il existe aujourd’hui, et ce depuis deux siècles, entre un homme et une femme : « Eu égard à la portée du texte qui remet en cause un élément fondateur de l’institution du mariage, à savoir l’altérité sexuelle des époux, et compte tenu des conséquences insuffisamment appréhendées par l’étude d’impact qu’un tel changement apportera à un grand nombre de législations, dans l’ordre pratique comme dans l’ordre symbolique, il y a lieu pour le Conseil d’État de ne rien changer aux conditions applicables à ce dernier ».
    On ne peut pas mieux dire !
    On nous a affirmé que le Conseil d’État était favorable au projet de loi. C’est donc entièrement faux ! Il a au contraire émis de fortes objections sur ce texte.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On ne connaît pas l’avis du Conseil d’État !
    M. Jean-Jacques Hyest. Allez-vous me dire, madame la garde des sceaux, que ce qui a été publié est faux ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est assez étonnant que l’avis du Conseil soit lu à la tribune…
    M. Jean-Jacques Hyest. Certes, mais dès lors que cet avis est public, j’ai bien le droit de l’utiliser, d’autant plus qu’il reflète exactement ce que je pense de l’étude d’impact de ce projet de loi. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    De surcroît, on cite de manière biaisée la décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011, qui permettrait au législateur d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe. C’est sans doute ignorer son interprétation du principe d’égalité,…
    M. Bruno Retailleau. Absolument !
    M. Jean-Jacques Hyest. … qui ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général.
    Cette décision permet sans doute de créer l’union civile que nous proposons. En revanche, qu’on le veuille ou non, et c’est le centre du débat, l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe a pour conséquence de leur ouvrir le droit à l’adoption plénière, qu’il s’agisse de l’adoption plénière par les deux conjoints ou de l’adoption de l’enfant du conjoint survivant.
    À moins que ne soit substantiellement modifiée la loi du 11 juillet 1966, je mets en garde ceux qui répètent, sans doute de bonne foi, qu’il faut absolument réformer le droit de la filiation. Sont-ils prêts à faire reposer le droit de la filiation sur la pure intention, en s’affranchissant encore plus de la vérité biologique par l’abandon de la référence à l’altérité sexuelle nécessaire à la conception d’un enfant ? La question est posée !
    Mme Catherine Troendle. C’est en effet la question !
    M. Jean-Jacques Hyest. Les parents dits « sociaux » auraient seuls droit de cité, aboutissement logique de cette réforme ?
    L’adoption plénière par des couples homosexuels crée une inégalité criante en ce qui concerne les droits des enfants, contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant, comme ne cesse d’ailleurs de le répéter la Cour de cassation.
    Et ce n’est pas le tour de passe-passe qui consisterait à créer un état civil spécifique pour les enfants faisant de l’orientation sexuelle de leurs parents un marqueur de leur identité qui réglerait le problème. L’égalité supposée des adultes conduirait nécessairement à une inégalité pour les enfants dont les conséquences n’ont pas été appréciées.
    M. Gérard Longuet. Et voilà !
    M. Jean-Jacques Hyest. À cet égard, je rappellerai son propos à notre rapporteur : « Faut-il que les enfants fassent les frais de l’orientation sexuelle de leurs parents ? »
    M. Gérard Longuet. CQFD !
    M. Jean-Jacques Hyest. Dans l’état actuel de notre droit, les enfants vivant dans des familles de parents homosexuels ont bien un père et une mère biologique,…
    Mme Françoise Laborde. Ils vont très bien, merci !
    M. Jean-Jacques Hyest. … puisque la PMA et la GPA sont, en principe, interdites, et, à moins de modifier le régime de l’adoption plénière et de la filiation en acceptant, justement, la gestation pour autrui et la procréation médicalement assistée, le risque de ne pas aller au bout de la problématique entraîne obligatoirement le grief d’« incompétence négative ».
    Le projet de loi, contrairement à ce qui était affirmé, prévoit bien, dans son article 4, dit « de coordination », de remplacer les termes de « père et mère » par le terme de « parents » dans un grand nombre de dispositions du code civil, dont l’article 34, avec pour effet de supprimer les termes de « père » et de « mère » dans les actes de l’état civil.
    Devant l’énormité de ce procédé (M. François Rebsamen rit.), qui avait toutefois sa logique, l’Assemblée nationale a souscrit à ce que le tome 1 du code civil – sauf, tout de même, le titre de la filiation, qui a sans doute été conservé pour faire plaisir, parce que cela fait beau… – s’applique aux parents de même sexe lorsqu’ils font référence aux père et mère.
    Quant à la commission des lois du Sénat, encore plus subtile, elle prévoit, pour l’article 6-1 du code civil, que : « Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion du titre VII du livre 1er du présent code civil, que les époux ou les parents soient du même sexe ou de sexe différent. » J’ai essayé de traduire cette disposition dans divers articles du code civil, mais je n’y arrive pas du tout.
    Pour compléter le tout, on renvoie à des ordonnances le soin d’adapter les autres législations à cette indifférenciation des sexes.
    M. Charles Revet. Comme ça, on pourra faire ce que l’on veut !
    M. Jean-Jacques Hyest. Cela s’apparente à du bricolage législatif, ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’article 34 du code civil, ce qui est totalement contraire aux principes d’intelligibilité et de clarté de la loi, sur lesquels le Conseil constitutionnel veille jalousement, et il a raison.
    De surcroît, au lieu de créer une égalité, vous prenez le risque de « consacrer une adoption dans l’intérêt des adoptants et de rompre l’égalité de statut entre les enfants selon leur filiation ».
    Les enfants adoptés par des couples de personnes de sexe différent bénéficient, en effet, d’une filiation symbolique en substitution de leur filiation biologique, alors que, arbitrairement, les enfants adoptés par des personnes de même sexe n’auront même plus de filiation symbolique à laquelle se rattacher.
    Que vous le vouliez ou non, il faudra créer deux états civils différents, deux livrets de famille différents, à moins de nier tout ce qui fait le mariage, lequel est, dans son principe et comme institution, « l’union d’un homme et d’une femme ».
    À cet égard, permettez-moi, même si cela a déjà été fait, de citer Lionel Jospin, dont l’opinion sur ce sujet me paraît pleine de bon sens : « Quant à l’enfant, il n’est pas un bien que peut se procurer un couple hétérosexuel ou homosexuel, il est une personne née de l’union […] d’un homme et d’une femme […]. Et c’est à cela que renvoient le mariage et aussi l’adoption ». Ce point de vue me paraît aussi respectable que d’autres !
    Rupture du principe d’égalité pour les enfants, incompétence négative, défaut de clarté et d’intelligibilité de la loi, graves lacunes de l’étude d’impact : je dois avouer que rarement un texte n’a concentré de tels griefs d’inconstitutionnalité.
    J’ajoute que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe va à l’encontre du Préambule de la Constitution de 1946, notamment de ses articles 10 et 11, et plus généralement du principe de l’altérité sexuelle du mariage, qui est l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République depuis 1804. Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.
    En outre, le projet de loi est contraire aux conventions internationales, dont les principes sont universels, en l’occurrence à la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen et à la Convention européenne des droits de l’homme, qui prévoient que l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille, ainsi, bien entendu, qu’à la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989. Nous aurons l’occasion de développer tous ces points dans le cours de la discussion du projet de loi.
    L’ambiguïté majeure de votre texte réside dans le fait qu’il vous permet d’avancer masqués. (M. Roland Courteau s’exclame.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Eh oui !
    M. Ronan Kerdraon. Arrêtons les caricatures et les faux procès !
    M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas une caricature : il suffit d’entendre ce que dit M. le rapporteur.
    Au nom du principe d’égalité et pour donner un droit à l’enfant, comme dans certains pays, mais alors que seuls les droits de l’enfant valent dans une société humaniste, nous en viendrons à l’aide médicale à la procréation assistée de convenance,…
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. « De convenance » ? C’est choquant !
    M. Jean-Jacques Hyest. … et, même si le Président de la République s’en défend, à la procréation médicalement assistée. Puisque des enfants sont déjà issus de telles pratiques en France, c’est donc que la loi n’a pas été respectée, mais, au nom de l’intérêt de l’enfant, on va les reconnaître, et la boucle sera bouclée !
    M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
    M. Jean-Jacques Hyest. Vous aurez mis en route une machine infernale, à la grande joie de ceux qui affirment la négation de l’altérité sexuelle au profit de la seule orientation sexuelle.
    M. Roland Courteau. Vous disiez déjà cela lors du vote du PACS !
    M. Jean-Jacques Hyest. Êtes-vous bien sûrs que c’est cela que les Français ont entendu dans les promesses de campagne du Président de la République ?
    Mes chers collègues, compte tenu des enjeux constitutionnels de ce projet de loi, parce qu’il y a d’autres voies permettant de respecter les choix de vie de chacun, parce que nous ne voulons pas d’une dénaturation de l’institution du mariage, véritable enjeu de civilisation, nous vous invitons à voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, contre la motion.
    Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, si aucune jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme non plus qu’aucune norme supérieure ne contraint la France à ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, aucune ne s’oppose à ce que le législateur décide de le faire.
    En effet, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a indiqué, dans sa décision du 28 janvier 2011, que les articles 75 et 144 du code civil, qui expriment une conception exclusivement hétérosexuelle du mariage, ne sont pas inconstitutionnels.
    Toutefois, le Conseil a aussi rappelé que si « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, il n’appartient pas au Conseil de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ».
    Ainsi, ni les articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ni aucun des quatre-vingt-neuf articles de la Constitution proprement dite ne peuvent être invoqués pour justifier l’inconstitutionnalité du projet de loi.
    Au contraire, « il serait même possible de soutenir que la liberté individuelle, reconnue à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, implique que chacun puisse vivre sa vie comme il l’entend, sans que l’État vienne imposer aux individus une conception particulière de la vie bonne, en l’espèce, une seule modalité de mariage ».
    J’ajouterai que le législateur a le devoir d’affirmer que ces citoyens, qui peuvent être nos enfants, des membres de notre famille, nos amis, nos collègues, sont nos égaux en droit et en dignité, ce qui justifie de leur ouvrir le régime juridique du mariage.
    De la même manière, leur accorder le droit à la parentalité, c’est leur reconnaître le droit d’établir des liens de filiation avec un enfant le plus rapidement et le plus simplement possible, dans l’intérêt de cet enfant. Dans ce même intérêt, on ne peut plus accepter qu’une personne ne puisse pas exercer des droits parentaux sur un enfant qu’elle aurait choisi d’accueillir, d’éduquer et d’aimer, pour des raisons liées à ses orientations sexuelles.
    Certaines craintes se sont exprimées concernant l’ouverture de l’adoption plénière à un couple de même sexe, qui remettrait en question un modèle bâti sur l’imitation de la nature et la retranscription de celle-ci sur les actes de naissance de ces enfants, l’adoption plénière entraînant, en effet, une nouvelle filiation, qui efface la filiation d’origine.
    Il y aurait là, pour certains, un risque d’inconstitutionnalité, fondé sur l’incompétence négative du législateur.
    Je leur rappellerai simplement que, depuis 1966, l’adoption plénière est ouverte aux personnes seules…
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Oui !
    Mme Éliane Assassi. … et que, dans ce cas aussi, l’acte d’état civil ne fait pas mention d’une altérité sexuelle.
    De plus, comme l’a préconisé la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, nous devons faire la part entre le principe de l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe et la nécessité de résoudre les questions concernant la filiation en général posées par le modèle français de l’adoption plénière. En effet, celle-ci est parfois qualifiée de « mensonge institutionnalisé ».
    Un tel « mensonge » n’est pourtant pas propre aux couples de personnes de même sexe. Je dirai même que la critique vaut essentiellement pour l’adoption par des couples de sexes opposés et met en débat la question de l’adoption plénière elle-même, qui coupe les liens avec la filiation d’origine et permet une substitution totale dans les actes d’état civil. Le vrai débat est donc celui de l’accès aux origines.
    Sur cette question, comme sur toutes les problématiques soulevées par l’adoption, sur lesquelles Michelle Meunier, notre rapporteur pour avis, est intervenue, une volonté politique forte sera nécessaire pour mener à bien une réforme. Nous faisons confiance aux ministères concernés pour le faire prochainement.
    Ainsi, mes chers collègues, la mise en cause de la constitutionnalité du projet de loi nous apparaît infondée. La vérité, en effet, est ailleurs.
    Chers collègues de l’opposition, vous subvertissez le sujet du mariage pour tous pour imposer une vision de la société, comme si celle-ci était la réponse à la crise dans laquelle notre pays est plongé depuis des années, crise dont vous êtes grandement responsables. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Nous ne sommes pas dupes. C’est la raison pour laquelle nous voterons contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Excellent !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La commission demande au Sénat de voter contre cette motion.
    En effet, la conformité à la Constitution du texte que nous nous apprêtons à examiner et à voter est hors de doute. D’une part, la décision d’ouvrir ou non le mariage aux couples de même sexe entre bien dans le champ de compétence du législateur, et de lui seul. D’autre part, aucun principe constitutionnel ne s’oppose à l’accès des couples homosexuels au mariage et à l’adoption.
    La décision du Conseil constitutionnel du 28 janvier 2011 a clairement établi la compétence du législateur sur cette question. En effet, la haute instance a indiqué qu’il ne lui appartenait pas « de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation », à savoir « la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme ». On ne peut pas mieux dire !
    Cette dernière mention fait référence, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à la limite que la haute instance donne à son propre contrôle et à la marge d’appréciation discrétionnaire qui relève de la compétence souveraine du législateur, en particulier sur les grandes questions de société : l’IVG, la bioéthique, le partage du temps de travail, le droit à vivre dans un environnement protégé, l’appréciation de la nécessité des peines, les grands choix de politiques fiscales, etc.
    Le choix d’ouvrir ou non le mariage et l’adoption conjointe aux couples de même sexe ne fait pas exception et relève, comme les autres, de notre compétence souveraine et exclusive de législateur.
    Conscients de la détermination de la majorité à conduire cette réforme nécessaire, légitime et attendue, ses opposants ont tenté, par d’audacieux échafaudages juridiques, de contester sa conformité à la Constitution. Je ne parle pas de vous, monsieur Hyest, mais d’opposants extérieurs à notre assemblée. Pas un seul de ces échafaudages ne tient.
    L’existence d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ? Il ne suffit pas qu’une loi n’ait pas été contestée dans le temps pour fonder un tel principe. En outre, si tel avait été le cas, le Conseil constitutionnel n’aurait pu reconnaître au législateur le pouvoir d’appréciation qu’il lui a reconnu.
    Une rupture d’égalité entre les enfants adoptés conjointement par deux personnes de même sexe par rapport aux autres ? Écartons dès à présent une grave confusion, parfois entretenue à dessein : l’adoption, même plénière, ne prétend pas donner de géniteurs à l’enfant. Elle se contente de lui donner des parents, ce qui est bien différent.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Tout à fait !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Même si l’adoption plénière entretient un secret, pour l’instant encore, sur les origines de l’enfant, ce secret n’est pas différent, que les adoptants soient de même sexe ou de sexe différent.
    M. François Rebsamen. C’est vrai !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. L’enfant n’est pas plus privé d’une branche parentale qu’un autre adopté par un célibataire ou non reconnu par un de ses parents. Cessons de croire que tous les enfants pourraient ou même devraient avoir un père et une mère : certains ont deux pères ou deux mères, qui les élèvent et qui les aiment, pas plus, pas moins ! Nous nous devons d’assurer leur situation juridique, sans plaquer sur eux un modèle auquel ils ne correspondent pas et qui les exclut.
    N’est-ce pas là, d’ailleurs, ce que commandent l’égalité de droits et la protection de tous les enfants ? Ce serait ne pas reconnaître les mêmes droits à l’adoption pour tous les couples mariés qui serait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
    Par ailleurs, comment raisonnablement soutenir que le législateur ne serait pas compétent en matière de mariage ? Parce que le mot ne se retrouve pas à l’article 34 de notre Constitution ? Mais l’on n’y trouve pas plus celui de « famille » ! Faut-il pour autant s’abstenir de légiférer en la matière ? Il n’y a pas davantage celui de « filiation », non plus que celui d’« autorité parentale ». Or nous avons légiféré dans ces domaines. La constitutionnalité de la réforme de 2002 a-t-elle jamais été contestée ? Le raisonnement déployé interdirait au législateur de modifier le livre Ier du code civil !
    J’ajoute que le Conseil constitutionnel a consacré la liberté de mariage en la rattachant au principe constitutionnel de la liberté personnelle. Or, selon l’article 34 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordés aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ».
    Quant au grief d’incompétence négative, il ne tient pas, puisque les interdictions actuelles concernant la PMA et la GPA ont été maintenues. Si elles ne l’avaient pas été, on aurait pu, en effet, nous reprocher d’ouvrir le périmètre du projet de loi.
    Je veux cependant saluer les efforts de Jean-Jacques Hyest, qui a tenté de nous démontrer l’inconstitutionnalité du projet de loi, mais je dois aussi souligner ce qui était finalement un aveu de faiblesse de sa part. Il a en effet lui-même dit que nous reparlerions de ces questions dans le cours du débat…
    Pour l’ensemble de ces raisons, mes chers collègues, et parce qu’aucun des griefs présentés ne paraît fondé, la commission des lois vous invite à rejeter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. C’est toujours avec grand plaisir que j’écoute Jean-Jacques Hyest, faiblesse que j’avoue sans difficulté.
    M. Gérard Longuet. Vous aurez d’autres occasions de vous réjouir, madame la garde des sceaux !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’ai ainsi écouté avec la plus grande attention la présentation de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, motion dont, je le rappelle, l’objet est de démontrer l’inconstitutionnalité d’un texte et, par conséquent, la nécessité de mettre un terme à son examen.
    En l’espèce, l’argumentaire qui nous a été présenté se composait essentiellement de la lecture de l’avis du Conseil d’État.
    Je rappelle que l’avis du Conseil d’État n’est pas rendu public, sauf si le Premier ministre en décide autrement, non qu’il s’agisse de le dissimuler aux parlementaires ou à l’opinion publique, mais parce que le Conseil d’État exerce une mission de conseil, précisément, auprès du Gouvernement et que la condition pour que cette mission soit efficacement remplie est la confidentialité.
    Ce n’est pas là un archaïsme qui nous aurait échappé : le sujet a été débattu devant le Parlement il y a deux ans encore et il a été décidé de maintenir ce principe de confidentialité.
    Je dois donc dire mon étonnement qu’un avis d’une institution de cette nature soit lu au Parlement au motif que la presse l’aurait publié. Mon étonnement est d’autant plus grand s’agissant du Sénat que cette maison est extrêmement attachée au droit et aux règles.
    M. Gérard Longuet. Tout fout le camp !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’en viens à la pertinence de cet avis.
    Je rappelle d’abord que ce dernier a été donné sur le projet de loi du Gouvernement. Or nous discutons aujourd’hui d’un texte qui a été modifié par la commission des lois de l’Assemblée nationale, par l’Assemblée nationale en séance plénière et par la commission des lois du Sénat. Il y a donc un décalage temporel.
    Par ailleurs, M. Hyest nous a expliqué, à juste titre, que dans son projet de loi initial le Gouvernement avait choisi de respecter une des principales règles de la légistique en insérant dans le projet de loi toutes les modifications et coordinations qu’entraînerait l’adoption éventuelle de l’article 1er, qui ouvre le mariage aux couples de même sexe. Ce mode d’écriture du droit imposait de recenser de la façon la plus exhaustive possible les conséquences de la modification législative introduite à cet article sur le reste du code civil, d’une part, et sur les autres codes, lois et ordonnances, d’autre part.
    La commission des lois de l’Assemblée nationale a choisi un autre mode d’écriture, optant pour ce que l’on appelle, de manière triviale, un « article balai », disposition interprétative, également conforme aux règles de la légistique, inscrite au début du livre Ier du code civil.
    M. Hyest nous dit que c’est l’énormité du procédé du Gouvernement qui a conduit l’Assemblée nationale à choisir un autre mode d’écriture.
    M. Michel Vergoz. M. Hyest n’est plus en séance… (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il a eu la courtoisie de me prévenir qu’une contrainte l’obligeait à s’en aller, mais qu’il prendrait connaissance de ma réponse.
    M. Jean-Claude Lenoir. Voilà !
    Un sénateur du groupe UMP. Ce n’est pas correct, monsieur Vergoz !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est de ma faute, mesdames, messieurs les sénateurs : j’aurais dû vous le dire au début de mon propos !
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. C’est de la faute de M. Vergoz !
    M. Christian Cambon. Il nous cherche !
    M. le président. Veuillez poursuivre, madame la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dans son intervention, donc, M. Hyest insistait sur l’énormité du procédé utilisé par le Gouvernement.
    Le Gouvernement n’avait pas touché au titre VII, qui concerne la filiation, et avait procédé aux coordinations nécessaires à partir du titre VIII, lié à la filiation adoptive.
    L’Assemblée nationale a préféré, je l’ai dit, un autre mode d’écriture.
    La commission des lois du Sénat en a choisi encore un autre, qui consiste à poser pour principe général que les conséquences et obligations en droit sont les mêmes, que les époux et parents soient de sexe différent ou de même sexe.
    En ce qui concerne l’inconstitutionnalité du texte, je n’ai pas entendu un seul argument remettant en cause un article ou une disposition du texte en particulier.
    Je n’ai pas entendu évoquer l’argument, prévisible, relatif à l’accessibilité et à l’intelligibilité du texte, dont nous aurions pu effectivement discuter, mais, cet argument n’ayant pas été avancé, je n’ai aucune raison, pour l’instant, d’y répondre.
    Il est normal que toutes les motions de procédure soient utilisées ; il est possible qu’elles le soient pour enrichir le débat, et c’est tant mieux, car, s’il est un lieu propice aux délibérations collectives éclairées, c’est bien le Parlement.
    Il y a des débats au sein de la société, vous le savez : tout le monde en organise. J’ai entendu quelqu’un réclamer davantage de débats, mais cela fait plus de six mois que des débats sont organisés ! Je ne connais pas de sujet qui ait été autant débattu dans la société française : que ce soit sur le terrain ou dans les médias, il a été abordé sous tous les angles !
    Le Gouvernement a procédé à des auditions. Avec ma collègue Dominique Bertinotti, ministre de la famille, nous avons entendu des personnalités de sensibilités différentes, des représentants de diverses institutions, des responsables de culte, des spécialistes des sciences humaines et des sciences sociales…
    M. Charles Revet. Mais il n’y a pas eu de débat !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Leurs contributions ont été mises en ligne sur le site du ministère de la justice pour nourrir la réflexion de tous ceux qui voulaient organiser des débats, mais il faut regarder la réalité en face : certains débats ont été très perturbés.
    Ainsi, pas plus tard que la semaine dernière, Erwann Binet, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, qui organisait un débat, a dû être évacué par la police, car il était pris à partie et menacé. Je veux bien que l’opposition demande davantage de débats,…
    M. Charles Revet. Madame la ministre, le sujet est grave !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … mais pas quand les personnes dont elle se réclame, puisqu’elle défend avec détermination, dans les deux chambres du Parlement, les manifestations qui ont eu lieu, empêchent qu’ils aient lieu !
    Je ne parle pas des citoyens inquiets qui s’interrogent ou qui protestent en participant à ces manifestations. Ce n’est pas un propos de circonstance, puisque je l’ai dit avant même la présentation du projet de loi en conseil des ministres, voilà donc des mois : je sais que l’ouverture du mariage aux couples de même sexe va heurter des personnes et ébranler des représentations.
    M. Gérard Larcher. Pas seulement des représentations !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne sous-estime pas cet aspect de la question. Je l’ai dit ce matin, ce sont des choses que je peux entendre ! Il y a encore des traces de sacré dans l’institution du mariage : même si elle a changé de nature en devenant laïque et civile, cette institution a marqué d’une empreinte forte notre société. Elle est devenue une institution civile, mais il reste des traces de la représentation sacramentelle qu’elle a portée pendant pratiquement un demi-millénaire.
    C’est un aspect que j’aborde avec le plus grand respect et j’ai eu des échanges posés avec des personnes qui considèrent encore que l’institution du mariage est sacrée, y compris avec des participants aux manifestations, pour leur expliquer le point de vue du Gouvernement. Mais, s’il est normal que des Français, dont personne ne connaît d’ailleurs le nombre, s’interrogent sur ce texte et sur les bouleversements dont il est porteur, il est inadmissible de ne pas pouvoir débattre publiquement. C’est notre démocratie qui est en jeu !
    Notre responsabilité politique est d’abord d’éclairer. J’ai entendu des sénateurs de l’opposition dire, de bonne foi, qu’il fallait parler aux Français, leur expliquer le texte pour qu’ils le comprennent mieux, mais il faut reconnaître que certains luttent à coup de contre-vérités.
    Nous avons entendu pendant plusieurs mois que les mots de « père » et de « mère » allaient disparaître complètement du code civil alors qu’il n’en a jamais été question, ne serait-ce que parce que le titre VII concerne la filiation biologique. Le code civil emploie le terme de « filiation ». Il ne la qualifie pas, mais il s’agit bien de la filiation par engendrement. Il n’y a donc aucune raison que le titre VII soit modifié. Or, nous avons tous entendu des manifestants interrogés à la télévision dire que les mots « père » et « mère » allaient disparaître du code civil.
    Éclairons donc les Français en leur disant la vérité, présentons-leur les arguments qui ont été employés, y compris – je pense, notamment, aux propos de M. Milon – par l’opposition.
    Oui, dans certaines situations, il y a des risques, mais, objectivement, quels sont ici les risques ?
    M. Retailleau parlait tout à l’heure d’amputation, mais de quelle amputation ? Qui ampute-t-on en ouvrant l’institution du mariage aux couples de même sexe ?
    M. Bruno Retailleau. L’enfant !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et que veut dire ce « la famille » au singulier ?
    Débattons, mais débattons des faits, de la vérité, de la réalité, et, si après avoir débattu, nous constatons que les divergences demeurent et sont peut-être même indissolubles, eh bien, assumons-le !
    Quant aux arguments relatifs au risque d’inconstitutionnalité, je ne les ai pas, je l’ai dit, entendus. Sans doute n’ont-ils pas été développés faute de temps. Je ne devrais pas le dire à haute voix, mais j’avoue que, un quart d’heure pour défendre une exception d’irrecevabilité, c’est assez peu. Cela étant, si M. Hyest avait sacrifié la lecture d’une partie d’un avis du Conseil d’État supposé demeurer confidentiel et d’une certaine façon déjà caduc, il aurait pu se consacrer davantage aux arguments d’ordre constitutionnel.
    Je crois donc être fondée, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous inviter à rejeter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
    M. Patrice Gélard. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite revenir un instant sur ce qu’ont dit notre rapporteur et Mme la garde des sceaux. Bien que respectant parfaitement leurs points de vue, je dois faire état de mon total désaccord.
    Personnellement, je suis convaincu de l’inconstitutionnalité du texte qui nous est soumis et je vais – très brièvement, puisque je ne dispose que de cinq minutes – dire pourquoi.
    Le premier motif d’inconstitutionnalité est une forme d’irrespect des dispositions de la Constitution en ce qui concerne l’application des traités internationaux.
    Ce texte ne respecte pas les traités internationaux qui gèrent le droit de la famille puisque nous avons signé avec d’autres États des conventions bilatérales. Il existe au moins une trentaine de conventions de ce type. Ces conventions auraient d’abord dû être révisées ou revues avant que l’on se lance dans l’adoption d’une telle réforme.
    Le deuxième motif d’inconstitutionnalité, Jean-Jacques Hyest l’a très bien expliqué, a trait à l’étude d’impact, laquelle ne répond pas du tout aux exigences posées par la loi organique en la matière. Nous nous trouvons ainsi face au problème de l’intelligibilité de la loi, qui a déjà été soulevé par le Conseil constitutionnel. À partir du moment où l’étude d’impact n’est pas correcte, la loi n’est pas totalement intelligible.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est nouveau !
    M. Patrice Gélard. Troisième motif, relatif aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Personnellement, je suis convaincu que l’altérité dans le mariage fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
    Il y a trois conditions pour qu’un principe soit reconnu comme fondamental.
    Première condition, il faut que le principe s’applique en fonction de la loi et non pas d’une tradition. Or, nous l’avons vu, une multitude de lois ont respecté le principe de l’altérité dans le mariage depuis les débuts de la République : qu’il s’agisse des lois sur la sécurité sociale, des lois concernant les allocations familiales, des lois relatives au logement, toutes se réfèrent à cette altérité de façon continue, pérenne et sans aucune exception, altération ou interruption.
    Deuxième condition, il doit s’agir de lois républicaines. Si le code civil a été adopté en 1804, il a été maintenu et développé au fil de nos Républiques, de la IIe à la Ve.
    Enfin, troisième condition, le principe doit être antérieur au Préambule de la Constitution. Or le mariage, dans sa forme actuelle, est bien antérieur à 1946.
    À l’heure actuelle, neuf principes fondamentaux sont reconnus par les lois de la République. On les connaît peu, car ils sont rarement évoqués, notre système de droits et de libertés étant extrêmement étendu, mais je vous renvoie aux conclusions du rapport du comité Veil sur le Préambule de la Constitution.
    Quatrième motif, l’article 34 de la Constitution ne nous donne pas compétence en matière de mariage, mais seulement de régimes matrimoniaux. Il y a là une différence fondamentale.
    Enfin, cinquième motif que j’ai souligné hier, le texte qui nous est présenté met en place un système de statuts différents pour les enfants : les uns pourront être adoptés pleinement, les autres simplement. Il s’agit d’une grave atteinte au principe d’égalité entre les enfants.
    Pour tous ces motifs, l’inconstitutionnalité subsiste. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
    Mme Marie-Christine Blandin. Le texte qui nous est proposé par Mme la garde des sceaux ouvre de nouveaux droits et de nouvelles libertés.
    Aussi, je suis étonnée que M. Hyest, qui a présidé la commission des lois, trouve ce projet de loi contraire aux principes édictés par la Constitution, alors qu’il est seulement question d’égalité entre les citoyens et de la liberté de chacun de se marier ou non, avec un homme ou avec une femme.
    D’un point de vue plus juridique, qu’il s’agisse de la Constitution de 1958, de son Préambule ou de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aucun de ces textes fondamentaux ne consacre un principe protégeant le mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme.
    J’ajoute que jamais la jurisprudence du Conseil constitutionnel n’a consacré le mariage entre un homme et une femme comme un principe fondamental des lois de la République.
    Ériger le caractère hétérosexué du mariage en principe constitutionnel n’aurait aucun sens. En effet, cela reviendrait à inscrire dans le registre de l’interdit, voire de la discrimination, un principe qui n’aurait pas sa place au sein de nos principes constitutionnels, qui tendent tous à la promotion de nouveaux droits, tels que la liberté d’association, les droits de la défense, la liberté d’enseignement.
    En outre, comme l’indique l’article IV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Le mariage des couples homosexuels n’empêchera pas les couples hétérosexuels de se marier. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Christian Cambon. Encore heureux ! Il ne manquerait plus que ça !
    Mme Marie-Christine Blandin. Enfin, l’adoption, qui est également au cœur de ce projet de loi, permettra, d’une part, de mettre fin à une discrimination qui n’avait plus lieu d’être et, d’autre part, d’apporter une plus grande sécurité juridique et, disons-le, un foyer à de nombreux enfants.
    Quand M. Gérard Longuet déclare que les homosexuels sont « des personnes comme les autres, mais pas des parents comme les autres », il énonce, certes, une évidence – individuellement, aucun parent, père ou mère, n’est identique à un autre –, mais il procède également à un amalgame entre un groupe et une idée d’inadéquation à la parentalité.
    M. Gérard Longuet. La « parentalité », cela n’existe pas. C’est la « parenté » !
    Mme Marie-Christine Blandin. Cet amalgame, nous ne l’acceptons pas !
    Dès lors que notre code civil autorise l’adoption pour une personne seule, l’enfant n’ayant alors qu’un seul parent, il ne peut pas être reconnu comme contraire à notre Constitution qu’un enfant ait deux pères ou deux mères.
    En conséquence, le groupe écologiste votera bien évidemment contre cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
    M. Jean-Pierre Sueur. L’argument de M. Gélard sur les conventions internationales a des qualités d’artefact que je voulais souligner.
    Si nous nous privions de légiférer sur tous les sujets visés par les innombrables conventions internationales qui ont été signées par la France, nous ne pourrions plus légiférer.
    Je connais bien l’article 55 de la Constitution. Mais le fait que la loi change en France peut contraindre le Gouvernement ou l’inciter à renégocier des conventions existantes.
    M. Jean-Claude Lenoir. Comme pour le traité européen ?
    M. Jean-Pierre Sueur. Notre collègue Jean-Jacques Hyest, qui a dû nous quitter,…
    Mme Isabelle Debré. Momentanément !
    M. Jean-Pierre Sueur. … a déclaré tout à l’heure que notre rapporteur Jean-Pierre Michel avançait « masqué ».
    Or, si nous pouvons faire des critiques à M. Jean-Pierre Michel, nous ne pouvons pas, surtout compte tenu des épisodes précédents, dont nous avons été les témoins, lui faire le reproche d’avancer masqué. C’est quelqu’un qui dit ce qu’il pense !
    M. Roland Courteau. C’est vrai !
    M. Jean-Pierre Sueur. En outre, M. Hyest a évoqué l’anthropologie. Depuis le début de ce débat, nous avons entendu plus d’une vingtaine de fois des orateurs affirmer : « l’anthropologie dit », argument que nous avons d’ailleurs entendu plusieurs fois, au cours des derniers mois, de la part de nombre d’autorités spirituelles.
    Je pense que cela n’a aucun sens. (Approbations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) En effet, on ne peut pas parler de « l’anthropologie ».
    Mme Esther Benbassa. Il y a plusieurs écoles !
    M. Jean-Pierre Sueur. Lisez les œuvres de Margaret Mead, de Marcel Mauss, de Malinowski, de Claude Lévi-Strauss ou encore de Françoise Héritier : vous verrez que les positions sur le sujet sont extrêmement diverses au sein de « l’anthropologie ».
    Je ne comprends donc pas que ce mot soit mis au singulier. C’est une facilité de raisonnement qui ne correspond strictement à rien. Il y a beaucoup de demeures dans la maison « anthropologie » !
    Je souhaite ajouter deux codicilles.
    D’abord, il me paraît léger d’embarquer, comme cela a pu être fait, des auteurs célèbres dans la défense de positions diverses et variées. Je ne sais pas ce que Louis Aragon ou Albert Camus auraient dit s’ils avaient siégé dans cette enceinte, mais il me paraît tout de même un peu excessif d’en faire des partisans de l’opposition absolue à ce texte !
    Ensuite, beaucoup de nos collègues ont fait référence au dictionnaire et aux définitions qui y figurent.
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Sueur. Mais, mes chers collègues, les sciences sociales et les sciences humaines nous enseignent que les mots sont comme les êtres vivants : ils évoluent, ils changent de sens. Il est des lois – celle-ci peut en être une – qui contribuent à changer le sens des mots. Et si certains, en vertu d’une conception immobiliste, fixiste et positiviste, pensent que les mots ont un sens immuable, je me propose de leur offrir, même si c’est un peu volumineux, les quinze tomes de la magistrale Histoire de la langue française de Ferdinand Brunot. Ils y découvriront que les mots, comme les êtres humains et les sociétés, changent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Voilà un homme lettré !
    M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié bis, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
    Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
    J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
    Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 127 :
    Nombre de votants 341
    Nombre de suffrages exprimés 337
    Majorité absolue des suffrages exprimés 169
    Pour l’adoption 160
    Contre 177
    Le Sénat n’a pas adopté.
    Question préalable

    Exception d’irrecevabilité
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Rappel au règlement (début)
    M. le président. Je suis saisi, par M. Portelli et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, d’une motion n° 2 rectifiée bis.
    Cette motion est ainsi rédigée :
    En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 438, 2012-2013).
    Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
    En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
    La parole est à M. Hugues Portelli, pour la motion.
    M. Hugues Portelli. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, vous le savez, parmi toutes les motions de procédure, la question préalable est la plus radicale, puisqu’elle exprime le refus d’examiner un texte dont on estime qu’il n’y a aucune raison valable de l’adopter. C’est le cas aujourd’hui.
    D’abord, la situation dramatique que connaît notre pays, sur les plans tant économique que social ou moral, imposerait que Gouvernement et Parlement réunis se consacrent à la seule priorité qui vaille : le sauvetage et le redressement de notre pays, menacé par un déclin irréversible.
    M. Philippe Bas. Très bien !
    M. Hugues Portelli. Au lieu d’œuvrer à nous rassembler sur ce sujet vital, la majorité présidentielle ne trouve rien de mieux à faire que de diviser profondément notre nation sur une question que personne, à droite comme à gauche, ne juge essentielle ou urgente, une question qui ne se posait pas jusqu’à ce jour.
    En effet, pour les rédacteurs du code civil – je vous renvoie au discours préliminaire de Portalis sur le projet de code civil –, le fait que le mariage soit l’union d’un homme et d’une femme relevait de l’ordre physique de la nature, commun à tous les êtres animés. Cela ne relevait ni du droit naturel, qui est propre aux hommes et à la base de nos lois civiles, ni des lois positives, qui sont plus conjoncturelles. C’était la conception du droit romain ; c’est celle du code civil.
    Le projet de loi soumis au Parlement, un texte écrit à la va-vite qu’il faudra, de l’aveu même du Gouvernement, au minimum compléter par des ordonnances, est ainsi devenu une priorité. Il s’agit de faire diversion, faute de pouvoir résoudre les vrais problèmes de notre pays et d’offrir à la majorité un marqueur idéologique de rechange, faute de pouvoir mettre en œuvre ses anciennes croyances, devenues obsolètes.
    Au-delà des circonstances, ce texte soulève selon nous plusieurs problèmes graves qui justifient son rejet et que je voudrais énumérer rapidement.
    Le premier est la confusion intellectuelle et juridique sur laquelle il repose.
    La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est le fondement de l’État de droit dans notre pays, proclame que les hommes naissent…
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Et demeurent !
    M. Hugues Portelli. … libres et égaux en droits. De cette affirmation découlent plusieurs conséquences.
    La première est que les droits de l’homme s’enracinent dans le droit naturel et qu’on ne peut bâtir le droit sur des constructions virtuelles : le droit civil notamment, celui de la famille avec ses éléments constitutifs – le mariage, la filiation –, ne peut prendre en considération une entité artificielle où l’enfant ne connaîtrait pas ses parents réels, père et mère, et où la naissance, la filiation, la structure familiale deviendraient des fictions, comme celles auxquelles se risquent parfois les auteurs de film fantastique.
    Cet enracinement naturel du droit civil n’est nullement contradictoire avec le fait que tous les êtres humains soient égaux,…
    M. Gérard Longuet. Absolument !
    M. François Calvet. Eh oui !
    M. Hugues Portelli. … qu’ils aient des droits identiques, mais cette égalité ne peut nier les différences, notamment sexuelles, qui font la richesse de l’humanité. Nous sommes tous différents et nous sommes tous égaux en même temps. Et la différence naturelle entre les êtres humains explique que des constructions sociales et juridiques différentes – le mariage, le PACS, l’union civile – doivent permettre d’arriver au même but : l’égalité de droits.
    La différence entre les sexes est fondatrice de la société et cette réalité naturelle ne peut être niée au profit d’aberrations qui lui substitueraient une sexualité virtuelle, fruit du ressenti des individus.
    Une deuxième source de confusion est la conception du mariage.
    Le mariage est en France, on l’a répété, une institution sociale, qu’elle soit juridique ou non, d’ailleurs. L’union d’un homme et d’une femme permet non seulement de construire une famille, mais également de donner aux enfants de cette famille une sécurité affective et sociale, puisque, en se construisant à partir de la double image de la mère et du père, ils peuvent connaître leurs origines, leur histoire, leur identité.
    Si le mariage n’était que la mise en forme d’un sentiment affectif, ou d’un désir entre deux êtres, quels qu’ils soient, il ne serait pas nécessaire de lui donner la solennité qu’il a toujours eue, pour la famille, pour la société, pour l’État,…
    M. Gérard Longuet. Exact !
    M. Hugues Portelli. … c’est-à-dire la force symbolique d’une institution qui structure toute l’histoire de l’humanité et que les civilisations successives ont enrichie sans jamais l’abattre.
    Une troisième source de confusion est l’absence de toute réflexion sur les conséquences qu’entraînerait l’adoption de ce projet de loi.
    Une telle loi serait bonne, ai-je entendu dire, car elle ne coûte pas cher, répond à une demande sociale et, de toute façon, ne concerne pas grand-monde : voilà l’argument qui nous est asséné,…
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Pas par nous !
    M. François Calvet. Il a raison !
    M. Hugues Portelli. … une fois que les arguments juridiques ont été balayés. Quel sera son impact sur la société dans trente ou cinquante ans ? Personne parmi les auteurs de ce texte ne s’en est vraiment soucié, comme le prouve d’ailleurs le caractère partiel et partial de l’étude dite d’impact du projet de loi.
    M. Bruno Retailleau. Exact !
    M. Hugues Portelli. Qu’elle bouleverse à long terme les règles de la filiation, qu’elle fragilise définitivement l’image et le rôle du père et de la mère, qu’elle permette à certains de revendiquer un droit à l’enfant – droit qui d’ailleurs n’existe pas – sans se poser la question du respect du droit des enfants à se construire de façon équilibrée, voilà autant de questions graves qui n’ont pas effleuré l’esprit des idéologues qui ont conçu ce texte.
    Enfin, quoi qu’en dise le Président de la République, ce projet de loi est le cheval de Troie de la procréation médicalement assistée et de la gestation pour autrui. D’ailleurs, les partisans les plus convaincus de ce texte l’ont dit ouvertement, que ce soit durant les auditions ou lors du débat en commission des lois.
    Ne soyez donc pas étonnés que nous soyons totalement opposés à cette évolution dangereuse, qui aboutit à faire du corps humain une marchandise et porte atteinte à sa dignité, tout comme nous sommes hostiles à une conception de l’enfant qui en fait un jouet entre les mains de l’adulte.
    M. François Calvet. Bravo !
    M. Hugues Portelli. Mes chers collègues, le législateur n’a pas tous les droits. Jean-Louis de Lolme, juriste genevois, disait au XVIIIe siècle, à l’aube du parlementarisme, que le Parlement avait tous les droits excepté celui de changer un homme en femme. Il pourrait être rejoint par Michel Crozier, qui expliquait en 1979 – donc sous la Ve République – qu’on ne change pas une société par décret.
    M. David Assouline. C’est une loi, pas un décret !
    M. Hugues Portelli. C’est cette prétention prométhéenne à vouloir, au nom d’une majorité de passage, mettre en cause les bases mêmes du droit naturel que nous contestons fermement. La société politique, dont vous savez bien la faible légitimité par les temps qui courent, ne peut bafouer aussi spectaculairement la société civile, sauf à voir un jour celle-ci, et plus tôt que vous ne l’imaginez, s’organiser en dehors d’elle.
    Le second problème que je voudrais aborder est celui des conséquences graves qu’entraînera votre projet de loi s’il entre en vigueur.
    La première conséquence sera l’affaiblissement de ce que vous voulez précisément favoriser. Ce sera ainsi le cas de l’adoption, qui est déjà difficile à obtenir. Peut-on imaginer un instant que les États dont seront originaires les enfants adoptables accepteront de les confier à des ressortissants français ?
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Oui !
    M. Hugues Portelli. Et que ferez-vous des traités conclus par la France avec de très nombreux États en matière de mariage et de droit de la famille ? Croyez-vous que ces États accepteront une modification unilatérale des conventions que nous avons signées avec eux ? Il y a fort à parier que votre initiative, si elle entre en vigueur, sera source de très nombreux litiges.
    La seconde conséquence – la plus grave à mes yeux – sera la rupture du consensus éthique auquel nous étions parvenus ces dernières années. Les lois sur la bioéthique, sur la fin de vie, sur le PACS avaient défini un cadre commun au statut de la personne,…
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Vous étiez contre !
    M. Hugues Portelli. … qui avait fini par convaincre même ceux qui y étaient hostiles à l’origine, trouvant un compromis intelligent entre principes intangibles et pragmatisme nécessaire, entre ce qui est écrit et ce qui n’a pas à l’être. (Très bien ! sur plusieurs travées de l’UMP.)
    Les auteurs de ce texte ont voulu rompre avec cet équilibre patiemment construit. Mais, à l’arrière-plan de ce texte, c’est cette pensée faible, indifférente aux valeurs, de la société postmoderne qui est à l’œuvre.
    En supprimant le père et la mère du code civil, en conduisant l’enfant à les ignorer plutôt qu’à les affronter pour s’en émanciper, vous ne créerez pas des personnes adultes et responsables, capables de construire leur propre itinéraire à partir de repères qui leur fassent sens.
    M. François Rebsamen. Qu’en savez-vous ?
    M. Hugues Portelli. Vous créerez des êtres indifférents, narcissiques et tournés vers l’éphémère. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Merci pour ceux qui existent !
    M. Roland Courteau. Vous appelez à un dérapage non contrôlé !
    M. Hugues Portelli. La troisième conséquence qu’entraînera l’adoption de ce texte sera le renforcement du communautarisme religieux.
    Jusqu’à ce jour, le mariage civil est la base commune à toutes celles et ceux qui créent une famille, croyants ou incroyants, quelle que soit leur religion. Avec son remplacement par un mariage qui n’en sera plus un, beaucoup de croyants convaincus ne jugeront plus utile de passer par la mairie et préfèreront s’en tenir à la reconnaissance de leur communauté ou se marier ailleurs, à l’étranger ou en Alsace-Moselle !
    M. David Assouline. Bien sûr ! Après les évadés fiscaux, les évadés du mariage !
    M. Hugues Portelli. Le mariage civil d’aujourd’hui cédera la place à l’éclatement des mariages communautaires de demain et à un nouvel affaiblissement du tissu national.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Il y a des chrétiens homosexuels !
    M. Hugues Portelli. Enfin, la quatrième conséquence sera la destruction définitive du mariage civil.
    À vrai dire, je pensais avec beaucoup d’autres que vous auriez plutôt à cœur de profiter du déclin du mariage civil, miné de l’intérieur par la multiplication des séparations et de l’extérieur par le développement du PACS ou de la cohabitation, pour le supprimer purement et simplement, conformément à ce qu’était l’idéologie révolutionnaire de vos prédécesseurs du XIXe siècle.
    Mme Cécile Cukierman. Nous ne sommes pas démagogues ! Nous ne voyons pas notre intérêt personnel mais l’intérêt général !
    M. Hugues Portelli. Non, vous avez préféré subvertir le mariage en remettant en cause sa fonction même, en diversifiant ses formes ! Ce faisant, vous l’avez vidé de sens, ce qui est une façon plus subtile de vous en débarrasser, et vous avez transformé le mariage en instrument de remise en cause de tout le droit de la famille, de l’état des personnes à la filiation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Retailleau. Absolument !
    M. Hugues Portelli. Mes chers collègues, est-ce vraiment cela que vous voulez en votant ce texte ? La vigueur des réactions qu’il entraîne, les conséquences graves qui seront les siennes à long terme, tant sur le plan social que sur le plan juridique, la fragilisation de tout notre droit civil qui en découlera devraient vous faire réfléchir et vous conduire à rejeter avec nous un dispositif qui vous met à la remorque de lobbies minoritaires jusque dans leurs propres communautés.
    Vous savez qu’il existe d’autres solutions, qui, tout en répondant aux situations de celles et ceux qui s’estiment victimes de discrimination, respectent les fondements de notre droit civil.
    Cette loi, quel que soit le sort qui lui sera réservé, ne sera jamais la nôtre. Elle n’est ni sérieuse, ni nécessaire, ni légitime. (M. François Rebsamen et M. Roland Courteau s’exclament.) Elle divise encore plus notre nation. Elle rompt avec deux mille ans d’histoire et deux cents ans de code civil. Comment pourrait-elle avoir une place dans notre droit ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. François Rebsamen, contre la motion.
    M. François Rebsamen. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le temps se déroule, le débat se poursuit. Quand on en arrive à la question préalable, après avoir amplement débattu d’une motion référendaire puis d’une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, on se trouve un peu, j’en conviens, cher Hugues Portelli, à court d’arguments et, comme cela se produit de temps en temps, on peut déraper.
    M. Roland Courteau. Eh oui !
    M. François Rebsamen. Je mets le dérapage auquel je viens d’assister sur le compte d’un peu de fatigue.
    Je viens en effet d’entendre une phrase qui m’a interpellé comme elle a sûrement interpellé tous les républicains. Monsieur Portelli, vous venez ici même à la tribune de déclarer que cette loi, si elle est votée – nous sommes bien sûr respectueux de la représentation nationale –, ne sera jamais la vôtre. Le caractère presque factieux, en tout cas antirépublicain de cette déclaration ne me paraît pas digne de la qualité des débats que nous avons eus jusqu’à présent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Il est difficile de justifier le dépôt d’une motion de renvoi ou d’une question préalable alors même que cela suppose que nous n’aurions pas à légiférer. C’est totalement contradictoire avec la volonté d’un large débat que vous avez exprimée tout au long de la journée, et même avec votre proposition de référendum : si l’on n’a pas à légiférer, pourquoi un référendum ?
    Nous ne sommes plus au temps de Michel Crozier – pour qui on peut d’ailleurs avoir beaucoup de respect –, et ce n’est pas par décret que nous voulons changer la société pour plus d’égalité, mais par la loi !
    Mme Cécile Cukierman. Très bien !
    M. François Rebsamen. À vous écouter, ce projet de loi qui ouvre le mariage aux couples de même sexe serait inutile et il n’y aurait donc pas lieu de légiférer. Vous ne serez pas surpris que nous ne partagions pas votre point de vue.
    Quelle est la portée du texte qu’après l’Assemblée nationale notre Haute Assemblée examine aujourd’hui ? Il s’agit tout simplement, en ouvrant le mariage aux couples de même sexe, de se conformer aux valeurs qui fondent notre République : la liberté, l’égalité, la fraternité pour tous les couples et toutes les familles.
    Liberté de vivre ensemble, égalité des droits, fraternité face aux différences et laïcité pour consolider l’ensemble !
    M. Roland Courteau. Très bien !
    M. François Rebsamen. C’est par ces quelques mots que nous pourrions résumer ce projet de loi, qui s’inscrit parfaitement dans nos institutions républicaines. Celles-ci ne peuvent s’accommoder de l’affirmation, que j’ai entendue, selon laquelle le mariage « structurerait » toute l’histoire de l’humanité. Nous accordons une grande importance, toute républicaine, au mariage, mais nous n’en faisons pas le pivot de l’histoire de l’humanité ! La lecture de quelques anthropologues, notamment de Claude Lévi-Strauss, cité par nombre d’intervenants, permettrait à certains de progresser dans la connaissance !
    Les conditions du mariage restent inchangées – de nombreux orateurs, à commencer par Mme la garde des sceaux, l’ont fort bien dit –, qu’il s’agisse de l’âge, du consentement, des prohibitions. Les modalités demeurent les mêmes : état civil, célébrations en mairie ; les obligations également – en tant que maires nous les connaissons tous – : les époux se doivent mutuellement respect, secours, fidélité et assistance. Enfin, le droit à l’adoption est ouvert aux couples homosexuels, dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels.
    L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe ne dénaturera pas l’institution républicaine et ne bouleversera pas l’ordre social, car rien, absolument rien, ne sera retiré aux couples hétérosexuels !
    De nombreux pays, des Pays-Bas au Danemark et jusqu’à l’Uruguay, ont ouvert le mariage, avec quelques différences, aux personnes de même sexe et ils ne se sont pas effondrés, l’institution n’a pas disparu et l’ordre social n’a pas été bouleversé ! Simplement, comme l’avait dit M. David Cameron, un droit supplémentaire a été accordé : un droit à l’égalité.
    En réalité, ce projet de loi met un terme à la discrimination qui résultait des choix sexuels des citoyens, or ces choix n’ont strictement rien à voir avec leurs droits et leurs devoirs ni, a fortiori, avec la loi.
    Les couples homosexuels, que cela plaise ou non, existent, ils sont pérennes et peuvent légitimement vouloir bénéficier de l’ensemble des règles dont bénéficient les couples hétérosexuels avec le mariage. Comment régler la contribution au logement et aux dépenses courantes, ou encore la question de l’autorité parentale ? Les mêmes règles doivent s’appliquer aux mêmes situations.
    Certains, dans les rangs de l’opposition sénatoriale, proposent la création d’une union, calquée pour l’essentiel sur le mariage, exception faite de la filiation. C’est tout simplement parce qu’il refuse de donner le nom de « mariage » à l’union de couples homosexuels.
    M. Charles Revet. Mais non ! C’est bien plus grave !
    M. François Rebsamen. Il serait bon que le Sénat retrouve l’ambition progressiste qui l’animait lorsqu’Henri Caillavet lui a fait adopter, en juin 1978, bien avant que l’Assemblée nationale ne le fasse, des dispositions supprimant la pénalisation de l’homosexualité.
    Depuis, bien sûr, vous avez mené le combat du conservatisme contre le PACS, en employant des mots que l’on n’oserait plus prononcer.
    Aujourd’hui – pas dans cet hémicycle, car le débat reste digne, mais à l’extérieur –, s’appuyant sur votre résistance, certains tiennent des propos homophobes et des attaques insupportables visent des parlementaires qui ont eu le courage de prendre des positions personnelles.
    M. Jean-François Husson. Nous aussi, nous sommes visés !
    M. François Rebsamen. Je veux les saluer et, en disant cela, je pense également au sénateur de Mayotte qui a tenu, hier soir, dans cet hémicycle, des propos fort courageux.
    Souvenez-vous donc de ces combats passés et retrouvez le sens de l’égalité, mes chers collègues !
    L’institution du mariage n’appartient pas à une catégorie de citoyens. Cette institution est républicaine, elle doit être ouverte à tous les couples, selon les mêmes conditions. Cette institution est laïque et n’est attachée à aucune religion. Ceux qui ne voudront pas se marier dans les mairies, comme je viens de l’entendre, peuvent ne pas le faire et aller à l’église, puisque je pense que c’est à cela qu’il était fait allusion. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Chacun a le droit de faire ce qu’il veut, mais, quand on ne se marie pas à la mairie, on n’est pas marié au regard de la loi ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    C’est pourquoi notre rôle de législateurs consiste bien à examiner ce projet de loi.
    D’une part, il faut mettre un terme à une inégalité et à une injustice juridique.
    D’autre part, il faut adapter notre droit aux évolutions de la société et à la réalité de la diversité, non pas de la famille, mais des familles françaises d’aujourd’hui.
    J’ai cru comprendre que vous aimiez beaucoup les sondages lorsque vous étiez au pouvoir, mes chers collègues, et je vais donc me référer à celui qui est paru dans la presse : il nous apprend que les Français sont majoritairement favorables à l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.
    M. Bruno Retailleau. Pas à l’adoption !
    M. François Rebsamen. Nous nous appuyons sur ce sondage comme vous vous appuyiez à l’époque sur tous ceux que vous commandiez, ce qui nous permet d’affirmer que nous sommes en phase avec la société ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Après les vingt-quatre séances, les dix jours, les 110 heures de débats à l’Assemblée, et les 5 000 amendements examinés, tout ou presque a été dit sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Au Sénat, notre rapporteur a mené plus de cinquante auditions et tenu des dizaines de réunions. Le débat a donc été mené dans le plus grand respect des opinions des uns et des autres. Je parle évidemment des arguments de bonne foi, et non des débordements verbaux et caricaturaux que l’on peut entendre à l’extérieur de cette enceinte.
    M. Roland Courteau. Ici aussi !
    M. François Rebsamen. Il est maintenant temps pour nous d’accomplir notre travail de législateur et d’examiner ce texte. Je fais confiance à la sagesse et à la sérénité du Sénat pour poursuivre les débats dans un climat apaisé, tel qu’il l’a été jusqu’à présent. J’appelle donc l’ensemble de notre assemblée à examiner ce texte et à rejeter la motion tendant à opposer la question préalable, comme le feront les membres du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission des lois souhaite que le Sénat repousse cette motion tendant à opposer la question préalable, car elle veut que le débat entamé en commission se poursuive.
    Nous avons en effet considéré que le moment était venu de légiférer. Pourquoi ? Pas seulement en raison d’une promesse d’un candidat à l’élection présidentielle – si cette promesse a été faite, c’est d’ailleurs parce qu’elle était opportune ! Le moment est venu de légiférer parce que nous avons assisté à une évolution du regard porté sur l’homosexualité, qui est entrée dans le code civil au moment de l’adoption du PACS. En outre, la famille, elle aussi, a évolué.
    D’ailleurs, c’est un gouvernement de droite, avec la loi de 1972 sur la filiation, qui l’a fait le plus évoluer, encore plus que ne le fera ce projet de loi ! Songez, mes chers collègues, qu’un homme marié peut depuis reconnaître comme enfant légitime, avec tous les droits et les devoirs afférents, un enfant qu’il aurait conçu avant son mariage – que l’on appelait autrefois un enfant « naturel » – ou un enfant qu’il aurait conçu hors mariage, soit adultérin, soit incestueux, sans l’accord de son épouse ! L’évolution de la conception de la famille avait donc déjà commencé en 1972.
    Enfin, nous avons évidemment un environnement international, mais ce n’est pas une raison pour faire comme tout le monde, surtout si c’est mal. En la matière, j’estime cependant que ce que font le Royaume-Uni conservateur de M. Cameron et l’Espagne socialiste de M. Zapatero n’est pas forcément mauvais : ces pays ont su réaliser des avancées.
    Par ailleurs, M. Portelli nous a mis en garde contre le risque de briser le consensus.
    J’observe, tout d’abord, qu’il n’y a pas de consensus sur ce projet de loi, pour l’instant, pas plus qu’il n’y en avait sur le PACS quand il a été voté. À l’époque, au Sénat et à l’Assemblée nationale, Patrice Gélard et moi-même avions défendu des positions opposées ; aujourd’hui, sur cette question, nous nous rejoignons ! Il faut donc un certain temps pour que le consensus s’installe dans une société lorsque des lois importantes modifient notre code civil.
    M. Portelli nous a également reproché d’avoir rompu le consensus sur la loi de bioéthique. Mais il n’existe pas encore de consensus sur cette loi. On l’a vu dernièrement, lorsque l’Assemblée nationale a repoussé, après des manœuvres de l’opposition, la proposition de loi adoptée par le Sénat sur l’emploi des cellules souches.
    Il n’y a pas non plus de consensus sur l’accompagnement de la fin de vie. Le Sénat a voté un texte, mais l’Assemblée nationale a toujours refusé de le suivre. Dans la société, le débat se poursuit. Peut-être un consensus s’établira-t-il lorsque le législateur – c’est son rôle – sera intervenu.
    En effet, je crois de toutes mes forces que nous devons, à un certain moment, faire notre devoir, prendre nos responsabilités et intervenir, y compris contre une majorité quelconque. Tel était le cas pour l’abolition de la peine de mort, et même pour la légalisation de l’avortement. Au bout d’un certain temps, les tensions s’apaisent, les nouveautés rentrent dans les mœurs et tout le monde se rassemble pour accepter les réformes que nous avons eu le courage de faire.
    Mes chers collègues, je fais appel à votre courage. Je suis sûr que, au cours des débats, un certain nombre d’entre vous évolueront. Quoi qu’il en soit, la commission des lois vous demande de ne pas adopter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Comme M. le rapporteur, je constate que le débat est apaisé et permet à chacun d’exposer des convictions et des positions très différentes, ce qui contribue aussi à éclairer l’ensemble de nos concitoyens.
    J’ai écouté avec beaucoup d’attention toutes les interventions cet après-midi et je tiens à mettre en garde certains contre les dérapages verbaux, car ils risquent de nous empêcher de poursuivre un débat de qualité dans un climat apaisé et serein.
    Par exemple, quand j’entends que l’enfant serait « un jouet entre les mains des hommes », je m’étonne qu’un tel argument puisse être avancé. Je ne comprends pas ce que signifie un tel propos, à moins qu’il ne s’agisse de nier que les homosexuels puissent éduquer des enfants, les élever de la même façon que des couples hétérosexuels.
    D’autres propos réveillent des échos inquiétants. J’ai ainsi entendu dire que l’on pourrait avoir des enfants « pour convenances personnelles ». A-t-on idée d’adresser ce reproche à des couples hétérosexuels ?
    M. Gérard Longuet. Pourtant, cela arrive parfois !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Dans ce cas, le problème n’est plus lié à l’orientation sexuelle !
    J’ai entendu aussi dire à plusieurs reprises, et l’argument a été repris sur les travées de la majorité, que les parents homosexuels ne seraient pas des parents « comme les autres ». Au nom de quoi ?
    M. Gérard Longuet. Ce n’est pas ce que nous avons dit !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Si, je l’ai noté !
    Nous avons déjà insisté sur la valeur des mots ; nous devons y faire attention. Nous pouvons avoir des conceptions de la famille fondamentalement différentes, mais nous ne pouvons pas nous aventurer dans ce domaine en faisant preuve d’une méconnaissance totale des familles homoparentales.
    Les familles homoparentales ont souvent un projet parental des plus élaborés, un projet sur lequel elles se sont posé beaucoup de questions, plus de questions que ne s’en posent quantité de familles hétérosexuelles. Donc, je pense qu’il faut utiliser avec sagesse un certain nombre de mots.
    Dans une assemblée que je sais attachée à la notion de respect, j’ai été profondément choquée d’entendre que le Gouvernement aurait pu faire une loi parce qu’elle ne coûte pas cher et que, au bout du compte, ce n’est pas très grave car cela concerne une minorité. Je l’avoue en toute franchise, ce discours, je l’ai pris comme une sorte de manque de respect à l’égard du Gouvernement, de ses convictions à l’égard de ses engagements républicains. (M. Philippe Bas s’exclame.) Nous ne faisons pas une loi pour des groupes !
    M. Gérard Longuet. Si !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Mais non ! Savez-vous pourquoi ? Parce que chaque fois qu’on fait progresser l’égalité, on fait progresser l’ensemble de la société !
    Mme Cécile Cukierman. Très bien !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Chaque fois qu’on a voté des lois contre les discriminations, on a aidé le combat des femmes, on a aidé le combat de tous ceux qui sont discriminés, quelle que soit la couleur de leur peau ou quelle que soit leur orientation sexuelle. Et cette loi n’est pas, comme je l’ai entendu, une loi communautariste ! Elle rend service à l’ensemble de la société. Et il ne faudrait pas oublier la leçon du PACS. En effet, lorsque le PACS a été voté, personne n’aurait imaginé que plus de 90 % des PACS sont aujourd’hui conclus par des couples hétérosexuels. Donc, vous le voyez bien, c’est l’ensemble de la société qui s’est emparée d’une mesure qui, au départ, pouvait être interprétée comme faite uniquement pour des couples homosexuels !
    Enfin, j’ai aussi entendu parler de majorité « de passage ». Moi, je ne sais pas ce qu’est une majorité « de passage » ! (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
    M. Charles Revet. Nous, si !
    M. David Assouline. Vous pensez toujours que nous sommes illégitimes, que le pouvoir, c’est vous !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je connais une majorité qui est le produit du suffrage universel, direct ou indirect (M. Charles Revet s’exclame.), et que le suffrage universel, direct ou indirect, fait ou défait. Je le dis en toute clarté, je suis très respectueuse du verdict des urnes !
    Ma conclusion sera pour dire que j’ai entendu qu’il fallait avoir à l’égard des homosexuels de la « bienveillance » ou de la « générosité ». Or, ce qu’ils veulent, ce n’est pas de la bienveillance ou de la générosité, ce qu’ils veulent, c’est tout simplement de l’égalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En défendant cette motion tendant à opposer la question préalable, vous avez commencé, monsieur le sénateur Portelli, par nous dire qu’il y a la crise et que nous ferions mieux de nous en préoccuper et de nous en occuper.
    M. Francis Delattre. Eh oui !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mais le Gouvernement s’en préoccupe et s’en occupe, il y travaille depuis le premier jour !
    M. Francis Delattre. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de résultats !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis étonnée de cet argument de la part d’un parlementaire qui a une connaissance achevée des institutions et de la répartition des responsabilités de chacun. Le fait d’accomplir notre travail en matière de justice sur l’état des personnes, sur les libertés, sur l’état civil ne gêne en rien la tâche de ceux qui ont en charge les questions économiques. L’argument n’a aucun poids, il n’a aucune pertinence ! Et je comprends d’autant moins qu’il soit constamment abordé que l’histoire, y compris l’histoire récente, montre qu’il n’est absolument pas exclu, même pendant des périodes économiquement difficiles, de faire courageusement les réformes de société ou les réformes sociales qui sont nécessaires.
    Je tenais à évacuer rapidement cet argument.
    Selon vous, la preuve que nous faisons tout cela « à la va-vite », c’est que le Gouvernement sera habilité à prendre des ordonnances dans un délai de six mois. Je rappelle à cette occasion que c’est justement la contestation des députés UMP qui a attiré encore un peu plus l’attention du Sénat sur le mode d’écriture retenu par l’Assemblée nationale, conduisant votre commission des lois à choisir un autre mode d’écriture.
    Et dans cet autre mode d’écriture, vous avez choisi de prendre une sécurité supplémentaire en habilitant le Gouvernement à prendre, bien évidemment en conformité avec les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, des ordonnances dans les six mois. Si le texte est voté en l’état, il en sera ainsi. C’est une sécurité juridique supplémentaire qui a été prise. Ce n’est absolument pas la marque d’une précipitation ou d’une accélération. Je rappelle que ce texte, qui est passé en conseil des ministres au début du mois de novembre, est sur la table depuis cette époque. Il n’y a donc aucune précipitation, aucun élément de nature à invalider le projet de loi.
    J’ai également entendu que ce texte est un cheval de Troie de la PMA et de la GPA. Voilà tout de même quelques mois que nous avons droit au débat sur le débat ! Maintenant, nous avons droit à un débat avant le débat ! Autrement dit, à l’occasion de l’examen d’un texte qui ne traite ni de la PMA ni de la GPA, vous allez constamment, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, développer des argumentaires sur ces sujets – en tout cas, je le crains, pour l’avoir vécu récemment à l’Assemblée nationale pendant deux semaines. Quel est l’intérêt de faire un débat avant le débat ? (Mme Sophie Primas s’exclame.) Essayons d’être dans l’instant, d’être sur le texte qui vous est soumis ! Et il concerne le mariage, l’adoption et quelques dispositions qui sont profitables aux familles hétéroparentales, aux couples hétérosexuels, justement à la faveur du travail qui a été effectué pour que le mariage et l’adoption soient ouverts aux couples de même sexe.
    Vous avez dit, par ailleurs, que cette loi ne sera jamais « vôtre ». Je ne sais pas qui est visé dans ce « vôtre », mais comme l’a souligné le président Rebsamen à l’instant, il y aurait là incontestablement une rupture du contrat républicain.
    Vous dites encore qu’un certain nombre de maires s’interrogent. Je le sais mais je connais les habitudes, les pratiques et les convictions républicaines des maires. Autant certains protestent avant l’adoption de la loi, autant ils seront en grand nombre, très probablement la totalité, à exercer leur devoir d’officier d’état civil et, donc, à appliquer la loi.
    Ce que les maires attendent plus volontiers des parlementaires, des législateurs, c’est qu’ils se battent aussi longtemps que c’est nécessaire, jusqu’à la dernière seconde, pour améliorer un texte de loi, éventuellement pour empêcher son adoption. Mais une fois le texte de loi adopté, les maires attendent, à mon sens, des parlementaires une parole qui, au contraire, leur rappelle que toute loi adoptée est une loi de la République et doit être exécutée en tant que telle.
    Vous dites qu’il y a une confusion intellectuelle et juridique sur ce qu’est le mariage et un non-respect du droit naturel. Je ne sais pas comment vous définissez le droit naturel. En tout cas, on peut voir dans l’affirmation des droits et des libertés contenue dans le préambule de la Constitution une référence en termes de droit naturel. Si par « droit naturel », vous entendez « lois naturelles », c’est un autre débat que je n’ouvrirai pas, car vous avez dit « droit ».
    En évoquant la confusion sur ce qu’est le mariage, vous vous référez à Portalis, éminente personnalité qui a incontestablement apporté son intelligence à l’élaboration du code civil de 1804.
    Cela étant, j’invite à la prudence ceux qui se réfèrent à Portalis et à sa conception de la relation à l’intérieur du mariage. Nous avons vu à quel point le mariage a évolué, et je l’ai dit, je le répète parce que j’en suis profondément convaincue, cette institution porte vraiment l’empreinte de tous les combats pour l’émancipation, pour l’égalité, pour la justice. Il y a ces traces-là dans le divorce, son instauration, sa suppression, son rétablissement, dans le statut de la femme, dans le statut des enfants, dans la suppression des discriminations entre les enfants. L’institution du mariage porte donc, peut-être plus que toute autre institution de la République, la trace des grands combats pour l’émancipation, pour la justice et pour l’égalité.
    Je me permets de vous rappeler simplement ce que proclamait Portalis en 1804 à l’époque de l’écriture du code civil : « l’obéissance de la femme est alors considérée comme une suite nécessaire de la société conjugale, qui ne pourrait subsister si l’un des époux n’était subordonné à l’autre ». Heureusement, il y a eu vraiment beaucoup de progrès depuis et, en effet, s’il y a chez nous une confusion sur l’institution du mariage, que nous refusons de comprendre comme elle était définie ici par Portalis, oui, nous assumons cette confusion !
    Je vous invite à rejeter cette motion. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe écologiste. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
    M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
    M. André Gattolin. En préalable, je voudrais remercier très sincèrement l’opposition sénatoriale, et le groupe UMP en particulier.
    Sénateur encore assez novice, j’avoue que je ne connaissais pas l’ensemble des procédures préalables visant à rejeter un texte sans l’avoir étudié au fond. Aujourd’hui, cette lacune est comblée et je ne pense pas que ce soit simplement une volonté pédagogique à mon endroit ou à l’endroit des sénateurs récemment élus ! Je pense qu’il y a vraiment une procédure visant à bloquer, à retarder ce texte.
    Je m’interroge simplement sur la cohérence. Comment peut-on demander de voter une motion référendaire, laquelle appelle à recourir au suffrage universel direct et, en même temps, expliquer que cette loi ne peut pas être discutée parce qu’elle est inconstitutionnelle ? Je suis vraiment très novice, donc, j’aimerais qu’on m’explique !
    Mais je comprends qu’il y a des jeux, des procédures parlementaires qui consistent à s’exprimer le plus longtemps possible sur tout un tas de choses.
    Je voudrais simplement revenir sur le fond du débat. Depuis l’adoption de la loi sur le PACS en 1999, les parlementaires écologistes ont toujours plaidé en faveur d’interventions du législateur pour remettre une réelle égalité des droits devant le mariage. Les partenaires du PACS, il faut bien le dire, n’ont pas accès aux mêmes droits que les couples mariés. Bénéfice de la pension de réversion, adoption des enfants du conjoint, protection juridique des enfants au sein d’une famille homoparentale, autant de sujets qui révèlent des inégalités de droit et qui justifient pleinement une évolution de notre législation.
    Il est donc, à notre sens, temps de légiférer pour réparer ces inégalités et permettre de trouver des solutions à des situations humaines déjà existantes. Nul ne peut fermer les yeux face aux difficultés du quotidien qui sont celles des couples homosexuels et face au besoin de légiférer en faveur de l’amélioration des droits.
    L’union civile sans filiation que vous proposez est une sorte de mariage au rabais. Outre qu’elle est discriminatoire, on va superposer un nombre de types d’unions absolument incroyable ! On aura le PACS, l’union civile, le mariage civil et il y aura encore, et merci, heureusement le mariage religieux !
    Je pense donc qu’il vient un moment où la logique législative doit être rationnelle et rationalisée. Et surtout, on a le droit de débattre de cela au Parlement parce que l’objet même de ce texte, celui de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, relève strictement et précisément de la compétence du Parlement ! Et il est de notre responsabilité de parlementaires d’honorer la confiance que les citoyens nous ont accordée et de respecter les engagements pris devant les électeurs. C’est notre devoir d’élus de la nation de faire voter des lois qui assurent l’égalité entre tous les citoyens et qui protègent les plus faibles contre toutes les discriminations.
    C’est pourquoi le groupe écologiste ne votera pas cette motion tendant à opposer la question préalable, qui cache difficilement, sous des arguties juridiques très variées, la volonté de faire obstruction au travail parlementaire et à un débat de fond, urgent et nécessaire.
    Pour revenir sur la fort sympathique question référendaire qui a été posée, j’aimerais qu’on se penche sur l’utilisation du référendum, notamment du référendum d’initiative populaire dans d’autres pays, en Europe, par exemple.
    En Italie, on peut demander un référendum d’initiative populaire. Il est, d’abord, abrogatif d’une loi existante, ce qui n’est pas le cas ici. Et il existe un dispositif qui permet de hiérarchiser, au moins dans le temps, les différentes légitimités issues du suffrage universel, c’est la limitation ratione temporis. Avec cette disposition, il est permis de procéder à des référendums ou, au contraire, interdit d’y procéder pendant de nombreux mois précédant une élection générale et lui succédant. En Italie, on considère, en effet, que les élus au suffrage universel direct – pour nous, le Président de la République ou les parlementaires –, mais aussi les élus au suffrage universel indirect, disposent, pendant une période donnée, qui représente la moitié de la législature, la pleine légitimité pour légiférer sur des sujets très variés. On ne peut alors recourir au référendum.
    Je vous invite donc à vous intéresser aux différents droits constitutionnels et aux règles relatives au référendum en vigueur dans les autres pays. Ce serait fort utile avant de proposer une procédure aussi originale que la question référendaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
    M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, il y a là en vérité deux problèmes, l’un et l’autre assez délicats : un problème constitutionnel et un problème conventionnel.
    Le problème constitutionnel tient au préambule de notre Constitution, qui, comme chacun le sait, renvoie au préambule de la Constitution de 1946, lequel prévoit que la Nation assure à la mère et à l’enfant la protection de la loi.
    Cette question se pose à nous au moment d’inventer une nouvelle forme de parenté, qui ne serait plus celle qui est exercée conjointement par le père et la mère,...
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Elle existera toujours !
    M. Philippe Bas. ... mais une coparenté d’intention dont l’exercice serait confié à deux personnes de même sexe dont seule l’une peut être la mère ou le père. Le deuxième membre de ce couple ne se trouve pas, vis-à-vis de l’enfant, dans la même situation que l’époux ou l’épouse dans le cadre actuel du mariage.
    Cette situation s’en distingue par deux points : premièrement, le lien biologique ne peut exister entre le deuxième membre de ce couple et l’enfant ; deuxièmement, le fondement de cette famille ne peut se trouver dans l’altérité sexuelle qui est à l’origine de toute vie.
    Bien sûr, il est certain que ces couples pourront élever leurs enfants dans l’amour, celui que se portent les conjoints et que les parents portent à leurs enfants. Ils pourront même, aussi, faire preuve de qualités éducatives, qui ne sont nullement en cause.
    Restera simplement un manque. Chacun de ces enfants dotés de deux parents femmes ou de deux parents hommes vivra, en effet, dans le manque du parent de l’autre sexe qu’il n’a pas. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Il sera, on peut le dire tout à fait concrètement, orphelin de père ou de mère.
    M. Jean-Vincent Placé. Qu’en savez-vous ?
    M. Philippe Bas. Les parents ne doivent jamais être dans le déni de cette réalité !
    Les parents homosexuels que nous écoutons, tout comme vous, affirment qu’ils ne disent jamais à leur enfant qu’il a deux pères, ou deux mères (Mme Esther Benbassa s’exclame de nouveau.), et qu’ils ne le feront jamais. Si eux ne le font pas, pourquoi la loi dirait-elle qu’ils sont parents à égalité de devoirs à l’égard de l’enfant, comme s’ils étaient père et mère ? Cette difficulté constitutionnelle (Mme Dominique Gillot s’exclame.), il faudra bien qu’elle soit tranchée, et elle le sera.
    Le Conseil constitutionnel n’a pas tranché cette question. Il s’est en effet contenté de dire, dans sa décision rendue voilà deux ans, que le fait de réserver le mariage à deux personnes de sexe opposé n’était pas contraire au principe d’égalité et que l’on ne pouvait pas, par conséquent, déclarer inconstitutionnelles les règles du mariage qui figurent actuellement dans le code civil.
    Au-delà de ce problème constitutionnel, il y a un problème conventionnel.
    Que vous le vouliez ou non, compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, si vous entrez dans un régime au nom de l’égalité, alors il faut appliquer cette égalité complètement.
    Que faites-vous, dans ce cas, de l’équivalent que pourrait trouver le législateur du principe de présomption de paternité pour les enfants qui naîtront dans des couples de même sexe ?
    Une femme n’a pas besoin d’avoir accès à l’assistance médicale à la procréation en France pour pouvoir y accéder en Belgique. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Si, en vertu de votre texte, elle se marie, ou est mariée, à une autre femme, l’enfant qui naîtra dans leur foyer pourra être adopté par l’épouse de la mère. Vous ne pouvez nier que telle est la logique de votre texte !
    Mme Esther Benbassa. Et alors ?
    M. Philippe Bas. Or l’épouse de la mère ne bénéficiera pas des mêmes droits que le père de l’enfant dans un couple hétérosexuel. Cette femme se trouvera donc dans la situation de devoir demander un jugement d’adoption. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Bruno Retailleau. Rupture d’égalité !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Où est-on ? Nous discutons de la motion tendant à opposer la question préalable !
    M. Philippe Bas. Il y a là une rupture d’égalité caractérisée. Je ne suis pas certain que la Cour européenne des droits de l’homme laissera sans réponse cette question, qui ne manquera pas d’être soulevée par de nombreux couples de même sexe dont vous aurez permis le mariage ! (Bravo ! et applaudissements sur la plupart des travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
    Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis hier, nos collègues de l’opposition ont déjà largement pu exprimer devant la Haute Assemblée leurs arguments, conformément d’ailleurs à la liberté de parole qui sied à chacun d’entre nous dans les limites du respect des droits des personnes. La discussion de la motion référendaire a été l’occasion de synthétiser l’ensemble de ces arguments, du point de vue de l’opportunité de ce texte, de sa constitutionnalité et des conséquences qu’il engendre.
    Le Sénat s’est déjà prononcé sur l’opportunité de renvoyer au référendum l’adoption de ce projet de loi, en estimant qu’il lui revenait de poursuivre son examen.
    À ce stade de la discussion, nous considérons, pour notre part, que la discussion doit désormais se poursuivre dans le détail des articles du projet de loi, pour permettre de débattre au fond des questions techniques. Nos collègues qui s’opposent au texte ne seront d’ailleurs pas en reste, puisqu’ils ont déposé de nombreux amendements soulevant des problématiques qui méritent d’être débattues dans toutes leurs dimensions. Or le vote de la présente motion annihilerait ex ante cette volonté de discussion et de délibération communes que notre groupe souhaite.
    Mes chers collègues, je ne pense pas utile de revenir une nouvelle fois sur l’ensemble des éléments présentés par les uns et les autres. L’essentiel a sans doute déjà été dit, et les positions de chacun sont connues de la Haute Assemblée et de nos concitoyens.
    Les radicaux de gauche et la majorité du groupe RDSE demeurent convaincus que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux personnes de même sexe ne provoquera pas le changement de civilisation que certains d’entre nous redoutent ici. Bien au contraire !
    L’histoire de la République que nous avons en partage est celle d’une inclusion toujours plus grande des citoyens dans une égale dignité. « L’histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté », écrivait d’ailleurs Hegel. Je crois que cette citation résume parfaitement l’esprit dans lequel nous souhaitons, pour notre part, que soit appréhendé ce projet de loi.
    Non, lorsque demain des couples homosexuels se marieront ou adopteront, le paradigme anthropologique de notre société ne sera pas bouleversé. Non, les enfants qui vivront dans une famille composée d’un couple homosexuel ne seront pas plus exposés à des risques névrotiques que n’importe quel autre enfant.
    M. Jean-Vincent Placé. Absolument !
    Mme Françoise Laborde. Ce que réclament les homosexuels n’est ni plus ni moins que l’indifférence de la puissance publique à leur égard, le droit de vivre comme bon leur semble dans le respect des règles communes de la cité.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
    Mme Françoise Laborde. « L’État fondé sur le principe civique, respectant l’homme et son monde naturel dans toutes ses dimensions ou composantes est un État pacifique et humain », écrivait avec une grande justesse Václav Havel.
    Mes chers collègues de l’opposition, je souhaite une nouvelle fois vous convaincre de la pertinence de ce projet de loi, qui n’est finalement fondé que sur l’idée de donner toutes leurs chances à ces familles de s’épanouir sereinement. Notre constitution sociale, à laquelle se référait hier le doyen Gélard en citant Léon Duguit, sera non pas bouleversée ou anéantie, mais, au contraire, enrichie et élargie, car elle ne saurait rester figée dans des concepts qui ne correspondent plus aux réalités de la société.
    Faut-il rappeler comment Maurice Hauriou, qui fut durant vingt ans le doyen de la faculté de droit de Toulouse, démontre que l’État et la liberté sont par essence des réalités sociales vivantes que le droit ne fait qu’encadrer, sans les créer ?
    Mes chers collègues, pour toutes ces raisons, la grande majorité du groupe RDSE s’opposera à cette motion, comme elle s’est déjà opposée aux précédentes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
    Mme Esther Benbassa. Bravo !
    M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2 rectifiée bis, tendant à opposer la question préalable.
    Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
    J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
    Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 128 :
    Nombre de votants 339
    Nombre de suffrages exprimés 335
    Majorité absolue des suffrages exprimés 168
    Pour l’adoption 158
    Contre 177
    Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
    Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux dix minutes pour une réunion de la conférence des présidents.
    La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures vingt.)
    M. le président. La séance est reprise.
    Mes chers collègues, la conférence des présidents vient d’établir la suite de nos travaux.
    Il a été décidé, après avis de l’ensemble des groupes, au regard du nombre de sénateurs qui avaient prévu d’être présents ce soir, que nous examinerons dans un instant la motion tendant au renvoi à la commission puis que nous interromprons nos travaux pour les reprendre après le dîner jusqu’à minuit, comme c’était initialement prévu.
    M. Charles Revet. C’est incohérent !
    M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendle.
    Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, je demande une suspension de séance afin de réunir mon groupe. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
    M. Charles Revet. Elle est de droit !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. On a compris ! Prenez vos trains !
    M. le président. Ma chère collègue, si je vous accorde une suspension de séance de dix minutes, il sera dix-neuf heures trente, heure du dîner.
    Par conséquent, nous allons dès à présent interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
    La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-deux, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.)
    PRÉSIDENCE DE MME BARIZA KHIARI

    vice-présidente
    Mme la présidente. La séance est reprise.
    Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Rappels au règlement

    Question préalable
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Rappel au règlement (suite)
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour un rappel au règlement.
    M. Jean-Claude Lenoir. Je souhaite faire, au nom du groupe UMP, un rappel au règlement…
    Mme Nathalie Goulet. Sur quel article est-il fondé ?
    M. Jean-Claude Lenoir. … sur l’organisation de nos travaux.
    Des personnes dignes de foi nous disent que, en conférence des présidents, il avait été convenu que cette semaine serait entièrement consacrée à la discussion générale et à l’examen des motions.
    À cette occasion, il avait semble-t-il été décidé – un certain nombre de personnes pourront corroborer mes propos – que, une fois l’examen des motions achevé, la discussion des articles serait renvoyée à la semaine prochaine, c’est-à-dire à lundi après-midi.
    Tout le monde aura constaté que le débat s’est pour l’instant déroulé dans des conditions qui ont permis à chacun de s’exprimer, dans le respect des opinions de chacun et sans excès, d’un côté comme de l’autre. (M. Ronan Kerdraon s’exclame.)
    Or nous avons appris tout à l’heure qu’il existait une volonté de marche forcée pour que, une fois la dernière motion discutée, nous commencions à examiner dès ce soir les premiers amendements déposés sur le texte.
    Nous voulons protester contre cette façon de faire, qui ne correspond absolument pas à ce qui avait été convenu en conférence des présidents.
    Je ne vous demande pas de vous prononcer, madame la présidente. En revanche, nous vous informons dès à présent que nous allons tirer toutes les conséquences de cette volonté manifeste,…
    M. Gérard Longuet. Passage en force !
    M. Jean-Claude Lenoir. … qui altère quelque peu la sérénité de nos travaux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’est ça, faites traîner, faites les flibustiers !
    Mme la présidente. Monsieur Lenoir, lorsque la conférence des présidents s’est réunie avant le dîner, il y régnait visiblement une atmosphère assez sereine.
    Mme Troendle a expliqué ce qu’elle avait compris à l’occasion de la précédente conférence des présidents. Il s’avère que tout le monde n’a pas compris la même chose.
    M. Gérard Longuet. C’est le problème de la communication !
    Mme la présidente. Nous étions convenus ensemble de continuer nos travaux, et je ne vois pas ce qui nous empêcherait de les poursuivre,…
    M. Charles Revet. Jusqu’à minuit ! Pas après !
    Mme la présidente. … animés du même esprit de sérénité qui a présidé à nos débats depuis le début de l’examen de ce texte.
    Je constate que tous les groupes avaient prévu de siéger ce soir, et que des sénateurs sont venus relayer certains de leurs collègues.
    Je vous propose donc d’examiner la dernière motion, puis d’aviser au fur et à mesure du déroulement de la soirée. (M. Gérard Longuet proteste.)
    La parole est à M. Roger Karoutchi, pour un rappel au règlement.
    Rappel au règlement (début)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Rappel au règlement (suite)
    M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, comme certains ici, j’ai une petite expérience des conférences des présidents et des engagements qui y sont pris.
    Nous savons que nombre d’entre nous sont tout à fait prêts à discuter sereinement du projet de loi, en prenant tout le temps qu’il faudra.
    Toutefois, lorsque des engagements sont pris, il faut qu’ils soient respectés si l’on veut que la sérénité perdure.
    En l’occurrence, après la motion de renvoi à la commission, le groupe UMP a déposé, avant l’article 1er, des amendements relatifs à l’union civile.
    Nous allons les défendre, et la majorité va très probablement s’y opposer, ce qui est normal dans un débat démocratique.
    Il n’est en revanche pas convenable – pardonnez-moi de le dire – de demander à l’opposition de ne pas déraper et de lui proposer dans le même temps d’examiner ces amendements sur l’union civile, essentiels à ses yeux, entre vingt-deux heures trente – vingt-trois heures et minuit le vendredi soir,…
    M. Gérard Longuet. Vite fait !
    M. Roger Karoutchi. … alors que l’examen de l’article 1er sera nécessairement renvoyé à lundi.
    Chacun doit y mettre un peu du sien. Il est certes normal que la majorité sénatoriale appelle l’opposition à faire preuve de sérénité. Mais reconnaissons que, sur ce plan, au regard des quelque 5 000 amendements déposés à l’Assemblée nationale, le Sénat et ses 250 amendements environ apparaît bien plus raisonnable.
    M. Jean Desessard. Fainéants ! (Sourires.)
    M. Roger Karoutchi. Chacune des interventions est ici restée dans le strict cadre du respect des opinions des uns et des autres.
    Je considère que les engagements pris devant la Haute Assemblée doivent valoir pour tout le monde, sur la durée. Ils ne peuvent donc pas être remis en cause conférence des présidents après conférence des présidents pour arranger les affaires de la majorité.
    Il est logique et normal que les amendements importants que nous avons déposés avant l’article 1er soient défendus concomitamment à l’examen de l’article 1er. À notre place, vous n’accepteriez pas de disjoindre ainsi du débat général certains de ses éléments essentiels.
    M. Christian Cambon. Si on vous avait fait ça…
    M. Roger Karoutchi. Nous demandons que ce soit le cas pour ces amendements.
    Je souhaite donc sincèrement que nous arrêtions ce soir le débat après l’examen de la motion et que nous le reprenions en début de semaine prochaine, avec l’union civile, l’article 1er et la suite du texte.
    Nous avons pris l’engagement que tout se ferait sereinement, sans blocages.
    Mme Isabelle Debré. C’est vrai !
    M. Roger Karoutchi. À ce titre, nous méritons donc bien que la majorité sénatoriale respecte les décisions de la première conférence des présidents. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Rappel au règlement (suite)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Demande de renvoi à la commission
    Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen, pour un rappel au règlement.
    M. François Rebsamen. J’hésitais à intervenir…
    M. Jean-Claude Lenoir. On comprend pourquoi !
    M. François Rebsamen. Monsieur Karoutchi, avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas vous laisser dire des choses qui ne sont pas vraies.
    Lors de la conférence des présidents, la décision a été prise d’ouvrir le vendredi soir.
    M. Gérard Longuet. Si l’examen des motions n’était pas achevé !
    M. François Rebsamen. La séance est donc ouverte ce soir,…
    Mme Catherine Troendle. Pour l’examen des motions !
    M. François Rebsamen. … et je constate d’ailleurs que nombre de nos collègues sont venus participer au débat, sur toutes les travées. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.) Jamais un engagement n’a été pris en conférence des présidents – j’invite M. Karoutchi à réécouter l’enregistrement si nécessaire – d’arrêter le débat à tel ou tel instant.
    Mme Catherine Troendle. Si, après les motions !
    M. François Rebsamen. Ce n’est pas vrai, madame Troendle !
    Mme Catherine Troendle. Si !
    M. François Rebsamen. Le débat est ouvert et rien ne nous empêche de le poursuivre sereinement. Vous aurez tout le loisir, ce soir ou lundi, puisque c’est le déroulement normal de nos travaux, de défendre votre position sur l’union civile. Personne ne s’y opposera.
    Je demande simplement que l’on respecte la conférence des présidents…
    Mme Catherine Troendle. Chiche !
    M. François Rebsamen. … et les décisions qui y ont été prises.
    Je vous rappelle que deux conférences des présidents ont eu lieu pour organiser nos débats : l’une le 20 février, l’autre le 20 mars. À cette occasion, le président de la commission des lois avait même demandé qu’une séance soit ouverte le samedi,…
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !
    M. François Rebsamen. … si nécessaire, et peut-être même, avait-il ajouté – mais c’est parce qu’il travaille beaucoup –, le dimanche.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Le débat sur le fond me passionne ! (Sourires.)
    M. François Rebsamen. Nous lui avions répondu ensemble que le dimanche était sans doute excessif, mais que le samedi pouvait s’envisager si nécessaire. Finalement, nous étions tous tombés d’accord pour ouvrir seulement le vendredi soir.
    Je propose donc que les débats se poursuivent, et, comme vous l’avez dit, dans la sérénité. Quoi qu’il en soit, un groupe ne peut pas dicter sa loi aux autres groupes de l’assemblée.
    Mme la présidente. Acte vous est donné de vos rappels au règlement, mes chers collègues.
    En tant que gardienne des décisions de la conférence des présidents, vous comprendrez que je poursuive le débat comme si c’était ouvert normalement.
    M. Gérard Longuet. Par conséquent, vous reconnaissez qu’il n’est pas normal !
    Mme la présidente. Nous passons donc à la discussion de la motion.
    Demande de renvoi à la commission

    Rappel au règlement (suite)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Demande de vérification du quorum
    Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Bas et les membres du groupe Union pour un mouvement populaire et MM. Darniche et Husson, d’une motion n° 3 rectifiée bis.
    Cette motion est ainsi rédigée :
    En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 438, 2012–2013).
    Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
    Aucune explication de vote n’est admise.
    La parole est à M. Philippe Bas, pour la motion. (L’orateur se dirige vers la tribune, encouragé à la lenteur par ses collègues de l’UMP. – Sourires. – Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. François Rebsamen. C’est comme dans le football pour un changement de joueur lorsqu’on mène au score !
    M. Philippe Bas. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, en adoptant cette motion, le Sénat adresserait au Président de la République un message fort.
    Dans le climat de tension que nous connaissons,…
    M. Jean-Pierre Caffet. C’est calme ici !
    M. Philippe Bas. … alors que les Français s’inquiètent pour la croissance, pour l’emploi et pour les valeurs de notre démocratie,…
    M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !
    M. Philippe Bas. … le moment est venu de rassembler et non de diviser, d’unir et non de cliver, d’écouter, de dialoguer et de rechercher, madame la ministre, des solutions équitables, des solutions justes apportant des réponses aux uns et aux autres sans heurter les convictions profondes de millions de Français.
    La question posée à travers cette réforme n’est pas celle de l’homosexualité et de sa reconnaissance par la société, mais celle des fondements d’une nouvelle forme de parenté, qui serait exercée conjointement par deux personnes de même sexe.
    Ce n’est pas non plus, contrairement à ce que nous avons souvent entendu depuis l’ouverture de ce débat, la question de l’égalité qui est posée. Si nous voulons préserver la valeur et la force de ce grand principe républicain, il ne faut pas le dénaturer.
    Le principe d’égalité est pleinement respecté quand des personnes qui se trouvent dans des situations différentes se voient appliquer des règles différentes. C’est cela, madame la ministre, – et je fais référence à ce que nous disait hier Mme la garde des sceaux – ne pas « ruser avec nos principes » pour ne pas les compromettre. Je ne pense pas que le grand républicain que fut Aimé Césaire aurait pu me contredire sur ce point. (M. David Assouline s’exclame.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Encore un écrivain à qui l’on fait dire ce qu’il ne dit pas. Décidément, c’est une manie !
    M. Philippe Bas. Or vis-à-vis de l’enfant qui survient au foyer, les situations sont éminemment différentes selon que ce foyer a été constitué par une femme et un homme…
    M. François Rebsamen. M. Bas parlait plus vite cet après-midi !
    M. Philippe Bas. … ou par deux personnes de même sexe, qui n’ont pu concevoir cet enfant ensemble et ont donc avec lui un lien qui peut être fort mais qui, pour l’un d’eux au moins, n’est pas le lien de paternité ou de maternité.
    Si le Parlement veut néanmoins appliquer les mêmes règles aux deux catégories de familles, il peut tenter de le faire, c’est son droit, mais certainement pas au nom d’une conception toute personnelle, toute particulière, de l’égalité qui la détournerait de son sens profond. Et ce ne peut d’ailleurs être que sous réserve de respecter nos principes constitutionnels. Ce que vous aurez à démontrer avec ce texte !
    Ce qui fonde notre opposition, ce n’est pas le refus de reconnaître la réalité vécue par les personnes de même sexe liées par un engagement mutuel. Leur vie commune doit pouvoir s’organiser dans un cadre stable. Ce qui nous sépare, en vérité, c’est le sentiment que le mariage n’est pas un instrument adapté pour poser ce cadre.
    Il ne s’agit pas seulement de permettre à deux adultes de voir leur amour reconnu par un acte solennel, puis protégé ou dénoué par un juge. Si elle se réduisait à cela, votre réforme relèverait d’un acte essentiellement symbolique et politique, destiné à affirmer l’égale dignité de toute personne et la valeur de tout amour. (M. David Assouline s’exclame.) Ce sont des finalités nobles mais étrangères à l’objet du mariage. Celui-ci n’a pas été institué pour le seul bonheur des individus qui s’y engagent, mais dans l’intérêt de la société et des plus vulnérables, c’est-à-dire conjoints sans revenus et enfants.
    Se marier, dès lors, c’est s’inscrire dans un cadre juridique conçu principalement pour permettre à la famille de se constituer et d’être protégée.
    Il n’y a pas aujourd’hui de mariage sans possibilité d’adoption ni sans droit d’adopter l’enfant de son conjoint, sous réserve de réunir certaines conditions. À travers l’adoption, la « coparenté » – j’utilise cette expression approximative, faute de mieux – serait donc rendue possible du seul fait que le mariage de personnes de même sexe serait autorisé.
    Il est difficile d’admettre l’argument presque incivique qui consiste à soutenir que nul ne devrait s’opposer à ce projet dès lors qu’il ajouterait des droits aux uns sans en retirer aux autres. Il ne peut y avoir de « mariage pour tous », selon un slogan que son inexactitude condamne, sans une évolution profonde du sens donné au mariage de chacun. Vous n’êtes pas seulement en train d’élargir l’accès au mariage, vous changez le mariage.
    Votre réforme esquisse une conception de la filiation qui reposerait principalement sur la parenté d’intention, parenté intellectuelle et affective, qui s’imposerait comme supérieure ou, à tout le moins, égale à toute autre.
    Les auditions auxquelles notre commission a procédé permettent d’entrevoir les quelques fondements doctrinaux et même anthropologiques que vous tentez d’invoquer à l’appui de cette théorie de rupture avec le droit matrimonial actuel.
    Nul ne peut d’ailleurs nier la part qui revient à la dimension affective dans la création du lien réciproque de parent à enfant.
    M. François Rebsamen. Accélère ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Philippe Bas. Il est également exact que la loi reconnaît déjà l’importance de cette dimension intentionnelle, en matière d’adoption comme en matière d’assistance médicale à la procréation, avec toutes les difficultés que cela implique d’ailleurs s’agissant de la quête, de plus en plus revendiquée, des origines. De même, la loi attache des conséquences essentielles à la présomption de paternité pour les pères, qui sont aussi des époux.
    Mais dans ces trois exemples, adoption, assistance médicale à la procréation, présomption de paternité, le législateur, respectueux de l’anthropologie, a toujours recherché l’analogie la plus grande avec l’expérience multiséculaire que nous avons de la famille, dans laquelle les dimensions génétique et affective se fortifient mutuellement.
    Par ailleurs, on oublie de rappeler que la présomption de paternité n’est pas irréfragable. On oublie aussi que les actions en recherche de paternité par test génétique sont couramment pratiquées, on oublie encore que la preuve génétique l’emporte toujours dans les conflits de filiation.
    C’est dire tout le poids que conserve le paramètre biologique, le paramètre génétique, dans l’établissement de la filiation, même là où ce paramètre ne semblait pas devoir jouer le rôle principal.
    En séparant le critère génétique du critère affectif dans la construction de la parenté légale au-delà de ce que permet déjà notre droit, et en négligeant la dimension fondatrice de l’altérité sexuelle, vous voulez créer un moule juridique commun à toutes les familles. Mais vous le faites au prix d’une déconstruction de ce qui faisait jusqu’alors le réalisme de notre droit matrimonial, auquel vous préférez l’intention d’être parents. C’est un peu comme si vous vouliez ériger en norme commune un modèle familial expérimental entravé par les restrictions qu’impose la nature.
    Votre approche est exagérément volontariste. Elle se révélera bien souvent fausse. Et dangereuse.
    M. Roger Karoutchi. Expliquez pourquoi ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
    M. Philippe Bas. Que dira la mère biologique le jour où, après séparation, un juge confiera l’enfant à sa compagne ?
    M. Gérard Longuet. C’est assez bien vu !
    M. Philippe Bas. Votre proposition dispense de penser comme spécifique cette forme, pourtant spécifique, de lien qui attache l’enfant à la compagne ou au compagnon du parent de même sexe.
    Vous partez du postulat que ce lien est non pas différent des parentés traditionnelles mais au contraire fondamentalement analogue, au point de vouloir lui appliquer le même régime.
    Cela ne nous paraît pas rendre compte de la réalité de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler l’« homoparentalité », sans doute précisément pour affirmer et même revendiquer une différence par rapport à la parenté.
    On ne cesse de nous dire, à juste titre, qu’il n’y a plus désormais une famille mais des familles,…
    M. Jean Desessard. Ah !
    M. Philippe Bas. … toutes respectables dans leurs différences, mais toutes différentes.
    Mme Nathalie Goulet. Très bien !
    M. François Rebsamen. On avance ! C’est déjà un progrès !
    M. Philippe Bas. Pourquoi faudrait-il les englober dans un régime unique qui n’a pas été prévu pour les unes et jetterait un trouble profond parmi les autres ? (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
    Il serait erroné d’affirmer qu’un enfant élevé par deux femmes ou par deux hommes est forcément pénalisé dans son éducation…
    Mme Catherine Génisson. Heureusement !
    M. Philippe Bas. … et la formation de sa personnalité par rapport à d’autres enfants.
    M. Jean Desessard. Bravo !
    M. Philippe Bas. Dans de multiples situations, l’expérience de la vie se charge depuis toujours de démontrer le contraire.
    En revanche, qu’on le veuille ou non, il est certain que l’absence d’un père, ou celle d’une mère, est un manque profond pour l’enfant, et ce manque doit être pris en compte.
    Mme Catherine Génisson. Et les familles monoparentales ?
    M. Philippe Bas. Vouloir accréditer auprès de l’enfant l’idée fausse qu’il a deux pères ou deux mères se heurte à une impossibilité. Deux personnes de même sexe ne peuvent remplacer le père ou la mère qui manque à l’enfant. Quelles que soient leurs qualités éducatives, qui ne sont pas en cause, quel que soit l’amour qu’ils portent à l’enfant, l’amour qu’ils se portent l’un à l’autre, rien ne peut empêcher que cet enfant reste orphelin du père ou de la mère qu’il n’a pas.
    Il est donc périlleux de proclamer une équivalence entre parenté et « homoparentalité », comme si le fait d’avoir deux parents femmes ou deux parents hommes, c’était la même chose qu’avoir un père et une mère.
    Il y a dans votre projet un parti pris de négation de l’altérité sexuelle (M. Ronan Kerdraon s’exclame.) pourtant fondatrice de toute vie et de toute organisation sociale.
    M. Ronan Kerdraon. Ba-ba-ba-ba !
    M. Philippe Bas. Ce parti pris ne correspond à aucune forme d’organisation familiale connue, dans toute l’histoire de l’humanité. Comme le constatait sobrement Claude Lévi-Strauss : « Il existe une infinie variété des formes de la parenté et de la répartition des rôles sexuels, mais ce qui n’existe jamais, c’est l’indifférenciation des sexes. » Monsieur le président de notre commission, les anthropologues ne sont pas prescripteurs de droit mais ils analysent en profondeur les réalités humaines. Nous devons en tenir compte.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Mais Claude Lévi-Strauss a beaucoup varié sur ce sujet !
    M. Philippe Bas. La construction sur laquelle repose votre projet ne comporte qu’un seul inconvénient : celui d’être fausse. Comme il n’est pas vrai que les deux membres d’un couple homosexuel puissent être parents de l’enfant autant l’un que l’autre, ni que l’enfant puisse être issu du couple comme il l’est de son père et de sa mère, il vaudrait mieux que la loi n’affirme pas le contraire en imposant un modèle d’équivalence entre parents de même sexe et parents de sexes opposés.
    Ce modèle s’appliquerait à une réalité que les intéressés eux-mêmes décrivent comme différente. Et nous les écoutons, comme vous ! En général, les couples de même sexe disent qu’ils sont conscients de cette exigence et qu’ils n’essaient jamais de faire croire à l’enfant ce qui n’est pas vrai. Respectueuse de l’enfant, cette pratique de vérité est juste. Comment la loi pourrait-elle, au contraire, mentir à l’enfant en lui imposant comme « vérité » légale une conception de la « coparenté » qui ne correspondrait ni à la réalité anthropologique ni à son vécu familial ?
    La spécificité de la famille constituée par deux adultes de même sexe doit être affirmée sur des fondements exacts. Ce ne serait pas lui rendre service que de la construire juridiquement par une assimilation abusive à d’autres situations. On créerait alors un fossé entre la réalité et le droit. (Mme Michèle André s’exclame.)
    En dehors de l’adoption conjointe d’orphelins, à nos frontières, des enfants naissent déjà de la volonté commune de Français de même sexe, par recours à l’assistance médicale à la procréation ou à des mères porteuses. Vous avez eu la sagesse de refuser de transposer les règles de la présomption de paternité pour établir une filiation de ces enfants à l’égard du conjoint de même sexe que leur mère ou leur père. Le mariage…
    M. Roland Courteau. Il faut conclure !
    Mme Cécile Cukierman. C’est l’heure !
    M. Philippe Bas. Il y a vraiment des choses que vous ne voulez pas entendre !
    Le mariage, disais-je, ne produira donc pas ses effets juridiques de droit commun : ni l’épouse de la mère ni l’époux du père n’auront, du seul fait du mariage, la qualité de parents de l’enfant.
    M. François Rebsamen. C’est fini !
    M. Philippe Bas. Ils devront obtenir un jugement d’adoption.
    L’ouverture, par votre réforme, du droit d’adopter l’enfant de son conjoint de même sexe (Marques d’impatience sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)…
    M. Charles Revet. Écoutez, c’est très important !
    M. Philippe Bas. … constituera cependant une incitation supplémentaire à faire naître des enfants sans père, par assistance médicale à la procréation, dans des pays voisins du nôtre.
    M. Christian Favier. Il faut conclure !
    M. Philippe Bas. Nous refusons que cette pratique, illégale en France, soit couverte d’un manteau de légitimité par votre réforme. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Accommodée à votre façon, l’égalité prend une curieuse physionomie. Il y aura désormais au moins trois catégories de mariages vis-à-vis des enfants survenus au foyer (Mme Isabelle Pasquet ainsi que MM. Christian Favier et Roger Madec martèlent leur pupitre en signe d’impatience.) : celui où le mari devient père par la mise en jeu de la présomption de paternité ;…
    Mme la présidente. Mon cher collègue, vous devez conclure.
    M. Gérard Longuet. Il faut compter les arrêts de jeu !
    M. Philippe Bas. … celui où la compagne de la mère devient parent par un jugement d’adoption, l’enfant étant le fruit, par exemple, d’une assistance médicale à la procréation à l’étranger ; enfin,…
    M. Christian Favier. C’est scandaleux !
    M. Philippe Bas. … celui où le compagnon du père se voit refuser toute parenté car l’enfant que les deux membres du couple ont voulu ensemble ne pouvait être le fruit que d’une gestation pour autrui, condamnée par la France.
    Mme la présidente. Concluez, monsieur Bas !
    M. Philippe Bas. Madame la présidente, je m’achemine tout doucement, comme vous m’y invitez, vers la conclusion de ces brefs propos. (Rires et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC.)
    Mme la présidente. Mon cher collègue, vous avez d’ores et déjà dépassé votre temps de parole !
    M. Philippe Bas. Mais j’aurais encore beaucoup à dire sur ce sujet pour vous démontrer à quel point il est nécessaire, mes chers collègues, que vous adoptiez cette motion tendant au renvoi à la commission (M. David Assouline s’exclame.), motion de sagesse et d’apaisement destinée à nous permettre à tous d’approfondir notre réflexion…
    Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Amen !
    M. Philippe Bas. … car celle-ci a été partielle et incomplète. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. David Assouline proteste.)
    M. Christian Favier. On reviendra la semaine prochaine !
    Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. Gérard Longuet. Mon cher collègue, vous n’êtes pas obligé d’être bon, mais vous pouvez être long ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean Desessard. Madame la présidente,…
    M. Gérard Longuet. Ça commence bien !
    M. Jean Desessard. … madame la ministre,…
    Mme Isabelle Debré. Mesdames les ministres !
    M. Jean Desessard. … mesdames les ministres, en effet – je n’avais pas vu Mme Taubira entrer dans l’hémicycle ! –, mes chers collègues, M. Bas nous présente une motion tendant au renvoi à la commission.
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Jean Desessard. Sincèrement, je me demande combien d’heures de débat à l’Assemblée nationale, dans les commissions parlementaires,…
    M. Charles Revet. Chez nous, il n’y a pas eu de débat !
    M. Jean Desessard. … dans les médias, combien d’auditions et de rapports il faudra à la droite pour qu’elle se fasse enfin une opinion sur le mariage pour tous.
    M. Gérard Longuet. Pas à droite seulement ! Vous ne répondez pas à nos questions !
    M. Jean Desessard. Que nous ne soyons pas tous d’accord, c’est compréhensible ; il faut respecter la diversité des idées. Mais invoquer l’argument selon lequel les conditions d’examen du présent texte n’ont pas permis de l’étudier de manière approfondie ni d’auditionner l’ensemble des autorités compétentes en la matière me semble, je suis désolé de vous le dire, mes chers collègues, tout à fait démagogique.
    M. Charles Revet. Absolument pas !
    M. Francis Delattre. C’est un expert qui vous le dit !
    M. Jean Desessard. Pour ceux qui ont la mémoire courte, je rappelle que la commission des lois – je salue d’ailleurs en cet instant le travail de son président – a effectué de nombreuses auditions, plus de quarante ! (M. Charles Revet s’exclame.)
    M. Gérard Larcher. Ah ça oui !
    M. Jean Desessard. Les sénateurs et sénatrices, dont ma collègue Esther Benbassa, qui s’est beaucoup investie sur ce texte, ont consulté, en commission, des experts de l’adoption, des psychanalystes, des ministres, des associations, des juristes, mais aussi des élus locaux, des représentants des différents cultes, des philosophes, des professeurs d’université, des pédopsychiatres, et j’en passe... Que faut-il de plus ?
    M. Christian Cambon. L’avis des Français !
    M. Jean Desessard. Je crois que cette motion est avant tout un artifice,…
    M. Charles Revet. Absolument pas !
    M. Jean Desessard. … une procédure de mauvaise foi – n’y voyez aucun jeu de mots, mes chers collègues –, destinée à retarder nos travaux, mais en vain !
    M. Charles Revet. Ça n’a jamais été fait par la majorité actuelle quand elle était dans l’opposition ?
    M. Jean Desessard. Vous me retardez, mon cher collègue ! (Sourires.)
    Certains semblent découvrir avec effarement que la famille est, en fait, une institution multiple et changeante.
    M. Gérard Longuet. Non !
    M. Jean Desessard. Nous ne sommes plus à l’époque où l’homme était le chef de famille tout-puissant,…
    M. Gérard Longuet. C’est vrai !
    M. Jean Desessard. … ayant tous pouvoirs sur sa femme restant au foyer et sur ses enfants.
    Un sénateur du groupe UMP. Heureusement !
    M. Jean Desessard. La famille dite « nucléaire » n’est pas l’unique modèle du bonheur. Et, vous le savez, pour les écologistes, le nucléaire n’est pas un dogme ! (M. André Gattolin applaudit. – Sourires.) Au-delà de la boutade, rappelons qu’il existe des familles élargies, reconstituées, recomposées, monoparentales, des familles sans enfant, et même des familles homoparentales.
    M. Gérard Longuet. C’est marginal !
    M. Jean Desessard. Cette réalité est de plus en plus répandue,…
    M. Gérard Longuet. C’est marginal !
    M. Jean Desessard. … car notre société est ouverte et, en son sein, les hommes et les femmes sont libres et autonomes.
    Il existe toute une biodiversité des couples : mixité des religions, des ethnies, des nationalités, des sexes. C’est cela qui fait aujourd’hui la richesse de notre civilisation.
    Certains voudraient aussi faire un amalgame entre le mariage civil et le mariage religieux.
    M. Michel Mercier. Non !
    M. Jean Desessard. Moi qui suis très attaché aux valeurs républicaines, je ne comprends pas que l’on puisse ainsi confondre ces institutions !
    Comme l’a très bien rappelé Mme la ministre, nous parlons ici du mariage civil créé en 1791, sur lequel le législateur a toute légitimité pour se prononcer.
    Des arguments contradictoires, nous en entendons beaucoup ! Mais quelques-uns sont particulièrement cocasses !
    On nous dit, par exemple, que, en tant qu’écologistes, nous devrions être contre le mariage pour tous, parce que deux personnes de même sexe, ce n’est pas naturel ;…
    M. Gérard Longuet. Évidemment !
    M. Jean Desessard. … parce qu’il faut appliquer le « principe de précaution » pour les enfants ; parce qu’il faut veiller à la reproduction de l’espèce humaine.
    M. Gérard Longuet. Eh oui !
    M. Jean Desessard. Rassurez-vous, l’espèce humaine se pérennise très bien et le principe de précaution est respecté (M. Alain Fauconnier s’esclaffe.) : déjà au moins sept pays ont légalisé le mariage homosexuel, à savoir les Pays-Bas en 2001, la Belgique en 2003, l’Espagne et le Québec en 2005, la Suède en 2009, le Portugal en 2010 et le Danemark en 2012,…
    M. François Rebsamen. Et l’Uruguay !
    M. Jean Desessard. … dont six autorisent l’adoption. Cela se passe très bien ; personne n’est revenu sur ces avancées.
    Enfin, l’amour homosexuel est un sentiment qui s’exprime naturellement, tout comme chez les hétérosexuels, et cela doit être respecté.
    Je vous l’affirme, les écologistes sont très attachés au mariage pour tous. Nous le revendiquons depuis longtemps, au nom de nos valeurs progressistes et respectueuses des droits de chacune et de chacun. (Mme Isabelle Debré s’exclame.)
    Mes chers collègues, en cet instant, permettez-moi une petite incidente personnelle.
    M. Gérard Longuet. Faites votre coming out, mon cher collègue !
    M. Jean Desessard. Dans les années soixante-dix, c’est vrai, j’étais un grand défenseur des droits des homosexuels, de la liberté de vivre une autre sexualité. Je vous rappelle que ce n’est que depuis le décret du 27 juillet 1982 que l’homosexualité n’est plus considérée comme un délit !
    M. Gérard Longuet. Ce n’est pas un décret mais une loi !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est depuis une loi, mon cher collègue !
    M. Jean Desessard. Certes, ce décret a été précédé par une loi.
    Ce rappel historique montre que ce combat date d’à peine trente ans.
    M. Gérard Longuet. Cela n’a jamais été interdit en France !
    M. Jean Desessard. Aujourd’hui, personne ne voudrait revenir sur ces dispositions, même si ce combat reste à mener dans d’autres pays.
    Je pourrais établir une longue liste des arguments…
    M. Philippe Bas. Oui !
    M. Jean Desessard. … contradictoires, de mauvaise foi, mais je ne voudrais pas retarder nos débats, mon cher collègue.
    Oui, il est temps de se décider. Le débat doit avoir lieu, avec l’examen des articles de ce projet de loi audacieux et d’actualité présenté par Mme Taubira, que je félicite pour sa détermination, son sérieux et son talent.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Merci !
    M. Jean Desessard. Je n’entrerai pas davantage dans ce jeu de rôle qui consiste à prolonger le débat de façon stérile.
    M. Jean-Pierre Caffet. Très bien !
    M. Jean Desessard. Ce texte constitue une grande avancée pour l’égalité des droits et je suis fier que le Gouvernement le défende devant la Chambre haute. Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter contre cette motion, ce que va faire le groupe RDSE. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
    Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mes chers collègues, bien entendu, la commission ne vous invite pas à voter la présente motion.
    M. Charles Revet. C’est dommage, monsieur le rapporteur ! Ce serait bien utile !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Mon cher collègue, vous avez assisté aux deux tiers des auditions.
    M. Charles Revet. Merci de le souligner !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Nous avons entendu environ cent cinquante personnes, de tous horizons, de toutes opinions.
    M. Charles Revet. Il n’y a pas eu pour autant de débat !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Vous avez dit vous-même que les débats étaient intéressants, bien menés, que tout le monde pouvait intervenir. Les questions qui ont été abordées laborieusement par M. Bas ont été examinées. Deux séances de commission, qui ont duré chacune quatre heures et demie, se sont déroulées. Aujourd’hui, nous nous retrouvons. Il faut passer à la suite !
    Par conséquent, mes chers collègues, la commission vous demande de ne pas adopter la motion tendant au renvoi à la commission et de passer à la discussion des articles. Quand ? Nous verrons ce que décideront les présidents de groupe. (Mme Dominique Gillot et M. André Gattolin applaudissent.)
    M. Jean-Claude Lenoir. C’est une ouverture !
    Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement sera empreint de grande sobriété.
    M. Gérard Longuet. Vous avez raison !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je considère que, lors de l’examen des motions précédentes, particulièrement de la motion référendaire, les parlementaires se sont autodéjugés, ce qui me surprend considérablement. J’ai été auditionnée aussi bien par la commission des lois que par les groupes qui l’ont souhaité. J’ai lu les rapports, les comptes rendus d’auditions. Je trouve extrêmement surprenant d’entendre dire aujourd’hui qu’il faut renvoyer le texte à la commission.
    M. Charles Revet. Mais il n’y a pas eu de débat !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Voilà pourquoi je dis, avec une grande sobriété, que le Gouvernement trouve cette proposition inadaptée. Il vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à ne pas l’adopter. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Jean Desessard applaudit également.)
    Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’aucune explication de vote n’est admise.
    M. Charles Revet. C’est dommage !
    Demande de vérification du quorum

    Demande de renvoi à la commission
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Vérification du quorum
    Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.
    Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, conformément à l’article 51 de notre règlement, les sénateurs signataires du présent document (L’orateur brandit le document.) demandent la vérification du quorum.
    Mme la présidente. Sur la motion que nous examinons, j’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et, l’autre, du groupe UMP. Nous procéderons au vote après la vérification du quorum.
    Mes chers collègues, en application de l’article 51 du règlement, je suis saisie d’une demande écrite de vérification du quorum, présentée par Mme Catherine Troendle et plusieurs de ses collègues.
    En application de l’article 51, alinéa 2 bis, du règlement du Sénat, la constatation du nombre des présents est effectuée sur la demande écrite de trente sénateurs dont la présence doit être constatée par appel nominal.
    Avant qu’il soit procédé à cet appel, la parole est à M. François Rebsamen.
    M. François Rebsamen. Madame la présidente, la vérification du quorum est de droit, mais je conteste les conditions dans lesquelles la demande a été faite. Vous aviez annoncé qu’il n’y avait pas d’explications de vote sur la motion et la procédure de vote était donc commencée.
    M. Jean-Claude Lenoir. Non !
    M. Christian Cambon. La vérification du quorum avait été demandée avant !
    M. François Rebsamen. Je ne m’oppose évidemment pas à la vérification du quorum – je n’en aurais d’ailleurs pas la possibilité –, mais je propose que cette vérification n’ait lieu qu’après le vote sur la motion. (Mais non ! sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Claude Lenoir. Et le règlement ? Il faut connaître le règlement !
    Mme la présidente. Monsieur Rebsamen, la procédure est totalement respectée. Le vote sur la motion aura lieu après.
    Il va être procédé à l’appel nominal des signataires de la demande de vérification du quorum.
    Huissiers, veuillez effectuer cet appel.
    (L’appel nominal a lieu. – Ont signé cette demande et répondu à l’appel de leur nom : MM. Philippe Bas, Christian Cointat, Patrice Gélard, Gérard Larcher, Bruno Retailleau, Charles Revet, Mme Sophie Primas, MM. Antoine Lefèvre, Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, MM. Francis Delattre, François Trucy, Yann Gaillard, Michel Magras, Abdourahamane Soilihi, Mme Marie-Annick Duchêne, MM. Gérard Longuet, Hugues Portelli, Michel Bécot, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. Dominique de Legge, Roger Karoutchi, Mme Catherine Troendle, MM. Christian Cambon, Philippe Dominati, Albéric de Montgolfier, Jean-Claude Lenoir, Marcel-Pierre Cléach, Jean-Pierre Cantegrit et Mme Isabelle Debré.)
    Mme la présidente. Mes chers collègues, la présence d’au moins trente signataires ayant été constatée, il peut être procédé à la vérification du quorum.
    Vérification du quorum

    Demande de vérification du quorum
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Demande de renvoi à la commission
    Mme la présidente. Mes chers collègues, la vérification du quorum relève normalement de la compétence du bureau. Mais l’Instruction générale du bureau, telle qu’elle a été modifiée par le bureau le 7 octobre 2009, me donne la possibilité de procéder moi-même à cette vérification pour peu que je sois assistée de deux secrétaires du Sénat.
    Je vais procéder à la vérification du quorum et j’invite donc Mme Odette Herviaux et M. Jean Desessard, secrétaires de séance, à venir m’assister.
    (La vérification du quorum a lieu.)
    Mme la présidente. Mes chers collègues, je constate, avec les deux secrétaires de séance, que la majorité absolue des sénateurs n’est pas présente.
    En application du XIII bis de l’Instruction générale du bureau, cette constatation étant faite, le Sénat n’est pas en nombre pour procéder au vote.
    Aussi, conformément au règlement, je vais suspendre la séance pour une heure. Elle sera reprise à vingt-trois heures vingt.
    La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt, est reprise à vingt-trois heures vingt-cinq.)
    Mme la présidente. La séance est reprise.
    Demande de renvoi à la commission (suite)

    Vérification du quorum
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Rappel au règlement
    Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 3 rectifiée bis, tendant au renvoi à la commission.
    J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste, l’autre, du groupe UMP.
    Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 129 :
    Nombre de votants 343
    Nombre de suffrages exprimés 340
    Majorité absolue des suffrages exprimés 171
    Pour l’adoption 161
    Contre 179
    Le Sénat n’a pas adopté.
    Mme Cécile Cukierman. Tout ça pour ça !
    Mme la présidente. Les différentes motions ayant été repoussées, nous passons à la discussion du texte de la commission. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Rappel au règlement

    Demande de renvoi à la commission
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Articles additionnels avant l’article 1er
    Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour un rappel au règlement.
    M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, mon intervention se fonde sur l’article 29 bis de notre règlement. Elle porte sur un sujet qui me paraît grave, dans la mesure où il y va de nos délibérations, dont je crains qu’elles ne soient affectées, voire altérées.
    M. François Rebsamen. Ouh là !
    M. Bruno Retailleau. J’ai rendu tout à l’heure hommage à la franchise et à la sincérité de Mme la ministre. Plusieurs d’entre nous avaient indiqué que cette loi pouvait être un cheval de Troie : le Gouvernement nous a répondu que les choses étaient claires et que la PMA et la GPA étaient écartées.
    Or nous avons pris connaissance, cet après-midi, d’un entretien de Mme Najat Vallaud-Belkacem, qui n’est pas n’importe qui au Gouvernement, puisque, ministre des droits des femmes, elle est également porte-parole du Gouvernement.
    À la journaliste qui lui demande si le Gouvernement compte en revanche ouvrir la PMA aux couples de femmes, Mme Vallaud-Belkacem, porte-parole du Gouvernement, répond : « Oui, c’est notre intention pour une raison, et c’est la deuxième différence avec la GPA, qui est que la PMA est déjà accessible aux couples hétérosexuels. Vous vous réjouissez certainement autant que moi que l’on puisse arracher à l’ordre naturel des couples stériles qui ont un projet d’enfant. Par souci d’égalité, nous offrirons cette possibilité – la PMA – aux couples de femmes dans la loi "famille". En revanche, dès lors que la GPA est interdite aux couples hétérosexuels, il n’y a aucune raison de l’autoriser pour quiconque. Ne voyez-vous pas toutes ces nouvelles familles dans votre entourage, ces femmes qui vivent en couple et sont allées en Belgique pour procéder à une insémination artificielle ? Par exemple, à votre avis, quelle est la situation juridique de ces "bébés Thalys", nés de donneurs anonymes ? Elle est particulièrement insécurisante, car ils n’ont de lien qu’avec une seule de leur mère, quand ils vivent dans l’affection des deux. »
    M. David Assouline. Rien de nouveau là-dedans ! Arrêtez de jouer la montre !
    M. Bruno Retailleau. Ces propos sont troublants, car ils tendent à prouver que le Gouvernement ne met pas tout sur la table, mesdames les ministres.
    Il est parfaitement clair que vous avez adopté une véritable stratégie du découpage. C’est une sorte de valise à double fond que vous nous présentez : un fond, que l’on nous présente, et un autre, qui est caché.
    M. David Assouline. C’est un rappel au règlement ?
    M. Bruno Retailleau. Absolument, cher collègue ! C’est qu’il est indispensable que nous puissions avoir une délibération éclairée.
    Si votre projet de loi est ainsi découpé, comme en tranches de salami,…
    Mme Cécile Cukierman. C’est bon, le salami !
    M. Bruno Retailleau. … je pense que cela porte préjudice à l’intelligibilité de la loi.
    Dans le même ordre d’idées, puisqu’il s’agit finalement de régulariser des situations de « bébés Thalys », il est permis de s’interroger sur ce qui pourrait constituer un détournement de l’ordre public français.
    À cet égard, je voudrais vous citer un extrait du rapport de la mission d’information parlementaire sur la révision des lois de bioéthique, de 2009 : « La fonction protectrice assurée par la loi ne serait-elle pas réduite à néant s’il suffisait de se rendre à l’étranger pour la contourner, en étant assuré, à son retour en France, de voir sa situation régularisée ? Ce faisant, n’encouragerait-on pas le tourisme procréatif ? »
    Deux problèmes se posent donc, et d’ordre constitutionnel : le premier concerne l’intelligibilité de la loi ; le second tient à une sorte de détournement de l’ordre public dont ce texte serait l’un des moyens.
    J’attends donc la réponse du Gouvernement.
    Vous nous avez répété que la PMA ne se ferait pas et qu’il n’était pas question de discuter de ce sujet. Or la porte-parole du Gouvernement elle-même déclare franchement, dans un entretien accordé à un journaliste que, oui, la PMA se fera ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    Mme la présidente. Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement, qui ne me semble cependant pas en être un… (Sourires.)
    M. Philippe Bas. Madame la présidente, je demande la parole pour un rappel au règlement.
    Mme Catherine Troendle. Madame la présidente…
    Mme la présidente. Mes chers collègues, je ne peux pas vous accorder la parole pour un nouveau rappel au règlement.
    Mme Catherine Troendle. Mais si !
    M. Philippe Bas. Pourquoi ne le pourriez-vous pas ?
    Mme la présidente. Je viens de vous en accorder un.
    M. Patrice Gélard. Je demande une suspension de séance !
    Mme la présidente. La séance vient de reprendre après une heure de suspension, mon cher collègue.
    M. Patrice Gélard. Je vous en prie, madame la présidente : le rapporteur n’est pas là !
    Mme Catherine Troendle. Où est le rapporteur ?
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je le supplée !
    Mme la présidente. Nous allons donc maintenant passer à la discussion des articles. (Protestations sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    CHAPITRE IER
    DISPOSITIONS RELATIVES AU MARIAGE
    Rappel au règlement
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Organisation des travaux
    Articles additionnels avant l’article 1er
    Articles additionnels avant l’article 1er
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite) (début)
    Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
    L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Gélard, Hyest et Buffet, Mme Troendle, MM. Bas, Portelli et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et M. Husson, est ainsi libellé :
    A – Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    I. – Le code civil est ainsi modifié :
    1° L’intitulé du titre XIII du livre Ier est ainsi rédigé :
    « TITRE XIII
    « DU PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ, DU CONCUBINAGE ET DE L’UNION CIVILE » ;
    2° Le même titre XIII est complété par un chapitre ainsi rédigé :
    « Chapitre …
    « De l’union civile
    « Section 1
    « Des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter une union civile
    « Art. 515-8-1. – L’union civile est contractée par deux personnes majeures de même sexe.
    « Art. 515-8-2. – Néanmoins, il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration de l’union civile d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves.
    « Art. 515-8-3. – Il n’y a pas d’union civile lorsqu’il n’y a point de consentement.
    « Art. 515-8-4. – L’union civile d’un Français, même contracté à l’étranger, requiert sa présence.
    « Art. 515-8-5. – On ne peut contracter une seconde union civile avant la dissolution de la première.
    « Art. 515-8-6. – Les mineurs ne peuvent contracter une union civile sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement.
    « Art. 515-8-7. – Si l’un des deux est mort ou s’il est dans l’impossibilité de manifester sa volonté, le consentement de l’autre suffit.
    « Il n’est pas nécessaire de produire l’acte de décès du père ou de la mère de l’un des futurs conjoints lorsque le conjoint ou les père et mère du défunt attestent ce décès sous serment.
    « Si la résidence actuelle du père ou de la mère est inconnue, et s’il n’a pas donné de ses nouvelles depuis un an, il pourra être procédé à la célébration de l’union civile si l’enfant et celui de ses père et mère qui donnera son consentement en fait la déclaration sous serment.
    « Du tout, il sera fait mention sur l’acte de l’union civile.
    « Le faux serment prêté dans les cas prévus au présent article et aux articles suivants du présent chapitre sera puni des peines édictées par l’article 434-13 du code pénal.
    « Art. 515-8-8. – Si le père et la mère sont morts, ou s’ils sont dans l’impossibilité de manifester leur volonté, les aïeuls et aïeules les remplacent ; s’il y a dissentiment entre l’aïeul et l’aïeule de la même ligne, ou s’il y a dissentiment entre les deux lignes, ce partage emporte consentement.
    « Si la résidence actuelle des père et mère est inconnue et s’ils n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an, il pourra être procédé à la célébration de l’union civile si les aïeuls et aïeules ainsi que l’enfant lui-même en font la déclaration sous serment. Il en est de même si, un ou plusieurs aïeuls ou aïeules donnant leur consentement à l’union civile, la résidence actuelle des autres aïeuls ou aïeules est inconnue et s’ils n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an.
    « Art. 515-8-9. – La production de l’expédition, réduite au dispositif, du jugement qui aurait déclaré l’absence ou aurait ordonné l’enquête sur l’absence des père et mère, aïeuls ou aïeules de l’un des futurs conjoints équivaudra à la production de leurs actes de décès dans les cas prévus aux articles 515-8-7, 515-8-8 et 515-8-14.
    « Art. 515-8-10. – Le dissentiment entre le père et la mère, entre l’aïeul et l’aïeule de la même ligne, ou entre aïeuls des deux lignes peut être constaté par un notaire, requis par le futur conjoint et instrumentant sans le concours d’un deuxième notaire ni de témoins, qui notifiera l’union projetée à celui ou à ceux des père, mère ou aïeuls dont le consentement n’est pas encore obtenu.
    « L’acte de notification énonce les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs conjoints, de leurs pères et mères, ou, le cas échéant, de leurs aïeuls, ainsi que le lieu où sera célébrée l’union civile.
    « Il contient aussi déclaration que cette notification est faite en vue d’obtenir le consentement non encore accordé et que, à défaut, il sera passé outre à la célébration de l’union civile.
    « Art. 515-8-11. – Le dissentiment des ascendants peut également être constaté soit par une lettre dont la signature est légalisée et qui est adressée à l’officier de l’état civil qui doit célébrer l’union civile, soit par un acte dressé dans la forme prévue par le deuxième alinéa de l’article 73.
    « Les actes énumérés au présent article et à l’article 515-8-10 sont visés pour timbre et enregistrés gratis.
    « Art. 515-8-12. – Les officiers de l’état civil qui auraient procédé à la célébration des unions civiles contractées par des fils ou filles n’ayant pas atteint l’âge de dix-huit ans accomplis sans que le consentement des pères et mères, celui des aïeuls ou aïeules et celui du conseil de famille, dans le cas où il est requis, soit énoncé dans l’acte de l’union civile, seront, à la diligence des parties intéressées ou du procureur de la République près le tribunal de grande instance de l’arrondissement où l’union civile aura été célébrée, condamnés à l’amende portée en l’article 515-8-51 du code civil.
    « Art. 515-8-13. – L’officier de l’état civil qui n’aura pas exigé la justification de la notification prescrite par l’article 515-8-10 sera condamné à l’amende prévue par l’article 515-8-12.
    « Art. 515-8-14. – S’il n’y a ni père, ni mère, ni aïeuls, ni aïeules, ou s’ils se trouvent tous dans l’impossibilité de manifester leur volonté, les mineurs de dix-huit ans ne peuvent contracter une union civile sans le consentement du conseil de famille.
    « Art. 515-8-15. – Si la résidence actuelle de ceux des ascendants du mineur de dix-huit ans dont le décès n’est pas établi est inconnue et si ces ascendants n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an, le mineur en fera la déclaration sous serment devant le juge des tutelles de sa résidence, assisté de son greffier, dans son cabinet, et le juge des tutelles en donnera acte.
    « Le juge des tutelles notifiera ce serment au conseil de famille, qui statuera sur la demande d’autorisation à contracter une union civile. Toutefois, le mineur pourra prêter directement serment en présence des membres du conseil de famille.
    « Art. 515-8-16. – En ligne directe, l’union civile est prohibée entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne.
    « Art. 515-8-17. – En ligne collatérale, l’union civile est prohibée, entre deux frères ou deux sœurs.
    « Art. 515-8-18. – L’union civile est encore prohibée entre l’oncle et le neveu, la tante et la nièce.
    « Art. 515-8-19. – Néanmoins, il est loisible au Président de la République de lever, pour des causes graves, les prohibitions portées :
    « 1° par l’article 515-8-16 aux unions civiles entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée ;
    « 2° par l’article 515-8-18 aux unions civiles entre l’oncle et le neveu, la tante et la nièce.
    « Section 2
    « Des formalités relatives à la célébration de l’union civile
    « Art. 515-8-20. – L’union civile sera célébrée publiquement devant l’officier de l’état civil de la commune où l’un des époux aura son domicile ou sa résidence à la date de la publication prévue par l’article 63-1, et, en cas de dispense de publication, à la date de la dispense prévue à l’article 515-8-22.
    « Art. 515-8-21. – La publication ordonnée à l’article 63-1 sera faite à la mairie du lieu de célébration de l’union civile et à celle du lieu où chacun des futurs conjoints a son domicile ou, à défaut de domicile, sa résidence.
    « Art. 515-8-22. – Le procureur de la République dans l’arrondissement duquel sera célébrée l’union civile peut dispenser, pour des causes graves, de la publication et de tout délai ou de l’affichage de la publication seulement.
    « Art. 515-8-23. – Le Président de la République peut, pour des motifs graves, autoriser la célébration de l’union civile en cas de décès de l’un des futurs conjoints, dès lors qu’une réunion suffisante de faits établit sans équivoque son consentement.
    « Dans ce cas, les effets de l’union civile remontent à la date du jour précédant celui du décès du conjoint.
    « Toutefois, cette union civile n’entraîne aucun droit de succession ab intestat au profit du conjoint survivant et aucun régime matrimonial n’est réputé avoir existé entre les conjoints.
    « Section 3
    « De l’union civile des français à l’étranger
    « Art. 515-8-24. – L’union civile contractée en pays étranger entre Français, ou entre un Français et un étranger, est valable si elle a été célébrée dans les formes usitées dans le pays de célébration et pourvu que le ou les Français n’aient point contrevenu aux dispositions contenues à la section 1 du présent chapitre.
    « Il en est de même de l’union civile célébrée par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises, conformément aux lois françaises.
    « Toutefois, ces autorités ne peuvent procéder à la célébration d’une union civile entre un Français et un étranger que dans les pays qui sont désignés par décret.
    « Art. 515-8-25. – Lorsqu’elle est célébrée par une autorité étrangère, l’union civile d’un Français doit être précédée de la délivrance d’un certificat de capacité à contracter une union civile établi après l’accomplissement, auprès de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration du mariage, des prescriptions prévues à l’article 63-1.
    « Sous réserve des dispenses prévues à l’article 515-8-22, la publication prévue à l’article 63-1 est également faite auprès de l’officier de l’état civil ou de l’autorité diplomatique ou consulaire du lieu où le futur conjoint français a son domicile ou sa résidence.
    « Art. 515-8-26. – À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition des futurs conjoints prévue à l’article 63-1 est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France du ou des futurs conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente en cas de domicile ou de résidence à l’étranger.
    « Art. 515-8-27. – Lorsque des indices sérieux laissent présumer que l’union civile envisagée encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51, l’autorité diplomatique ou consulaire saisit sans délai le procureur de la République compétent et en informe les intéressés.
    « Le procureur de la République peut, dans le délai de deux mois à compter de la saisine, faire connaître par une décision motivée, à l’autorité diplomatique ou consulaire du lieu où la célébration de l’union civile est envisagée et aux intéressés, qu’il s’oppose à cette célébration.
    « La mainlevée de l’opposition peut être demandée, à tout moment, devant le tribunal de grande instance conformément aux dispositions des articles 515-8-39 et 515-8-40 par les futurs conjoints, même mineurs.
    « Art. 515-8-28. – Pour être opposable aux tiers en France, l’acte d’union civile d’un Français célébrée par une autorité étrangère doit être transcrit sur les registres de l’état civil français. En l’absence de transcription, l’union civile d’un Français, valablement célébrée par une autorité étrangère, produit ses effets civils en France à l’égard des conjoints.
    « Les futurs conjoints sont informés des règles prévues au premier alinéa à l’occasion de la délivrance du certificat de capacité à contracter une union civile.
    « La demande de transcription est faite auprès de l’autorité consulaire ou diplomatique compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile.
    « Art. 515-8-29. – Lorsque l’union civile a été célébrée malgré l’opposition du procureur de la République, l’officier de l’état civil consulaire ne peut transcrire l’acte d’union civile étranger sur les registres.
    « Art. 515-8-30. – Lorsque l’union civile a été célébrée en contravention aux dispositions de l’article 515-8-25, la transcription est précédée de l’audition des conjoints, ensemble ou séparément, par l’autorité diplomatique ou consulaire. Toutefois, si cette dernière dispose d’informations établissant que la validité de l’union civile n’est pas en cause au regard des articles 515-8-3 et 515-8-42, elle peut, par décision motivée, faire procéder à la transcription sans audition préalable des conjoints.
    « À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France des conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente si les conjoints ont leur domicile ou résidence à l’étranger. La réalisation de l’audition peut être déléguée à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents.
    « Lorsque des indices sérieux laissent présumer que l’union civile célébrée devant une autorité étrangère encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51, l’autorité diplomatique ou consulaire chargée de transcrire l’acte en informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription.
    « Le procureur de la République se prononce sur la transcription dans les six mois à compter de sa saisine.
    « S’il ne s’est pas prononcé à l’échéance de ce délai ou s’il s’oppose à la transcription, les conjoints peuvent saisir le tribunal de grande instance pour qu’il soit statué sur la transcription de l’union civile. Le tribunal de grande instance statue dans le mois. En cas d’appel, la cour statue dans le même délai.
    « Dans le cas où le procureur de la République demande, dans le délai de six mois, la nullité de l’union civile, il ordonne que la transcription soit limitée à la seule fin de saisine du juge. Jusqu’à la décision de celui-ci, une expédition de l’acte transcrit ne peut être délivrée qu’aux autorités judiciaires ou avec l’autorisation du procureur de la République.
    « Art. 515-8-31. – Lorsque les formalités prévues à l’article 515-8-25 ont été respectées et que l’union civile a été célébrée dans les formes usitées dans le pays, il est procédé à sa transcription sur les registres de l’état civil à moins que des éléments nouveaux fondés sur des indices sérieux laissent présumer que l’union civile encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51. Dans ce dernier cas, l’autorité diplomatique ou consulaire, après avoir procédé à l’audition des conjoints, ensemble ou séparément, informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription.
    « À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France des conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente si les conjoints ont leur domicile ou résidence à l’étranger. La réalisation de l’audition peut être déléguée à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents.
    « Le procureur de la République dispose d’un délai de six mois à compter de sa saisine pour demander la nullité de l’union civile. Dans ce cas, les dispositions du dernier alinéa de l’article 515-8-30 sont applicables.
    « Si le procureur de la République ne s’est pas prononcé dans le délai de six mois, l’autorité diplomatique ou consulaire transcrit l’acte. La transcription ne fait pas obstacle à la possibilité de poursuivre ultérieurement l’annulation de l’union civile en application des articles 515-8-42 et 515-8-46.
    « Section 4
    « Des oppositions à l’union civile
    « Art. 515-8-32. – Le droit de former opposition à la célébration de l’union civile appartient à la personne engagée par mariage ou par une union civile avec l’une des deux parties contractantes.
    « Art. 515-8-33. – Le père, la mère, et, à défaut de père et de mère, les aïeuls et aïeules peuvent former opposition à l’union civile de leurs enfants et descendants, même majeurs.
    « Après mainlevée judiciaire d’une opposition à une union civile formée par un ascendant, aucune nouvelle opposition, formée par un ascendant, n’est recevable ni ne peut retarder la célébration.
    « Art. 515-8-34. – À défaut d’aucun ascendant, le frère ou la sœur, l’oncle ou la tante, le cousin ou la cousine germains, majeurs, ne peuvent former aucune opposition que dans les deux cas suivants :
    « 1° Lorsque le consentement du conseil de famille, requis par l’article 515-8-14, n’a pas été obtenu ;
    « 2° Lorsque l’opposition est fondée sur l’état de démence du futur conjoint ; cette opposition, dont le tribunal pourra prononcer mainlevée pure et simple, ne sera jamais reçue qu’à la charge, par l’opposant, de provoquer la tutelle des majeurs, et d’y faire statuer dans le délai qui sera fixé par le jugement.
    « Art. 515-8-35. – Dans les deux cas prévus par l’article 515-8-34, le tuteur ou curateur ne pourra, pendant la durée de la tutelle ou curatelle, former opposition qu’autant qu’il y aura été autorisé par un conseil de famille, qu’il pourra convoquer.
    « Art. 515-8-36. – Le ministère public peut former opposition pour les cas où il pourrait demander la nullité de l’union civile.
    « Art. 515-8-37. – Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l’audition prévue par l’article 63-1, que l’union civile envisagée est susceptible d’être annulée au titre de l’article 515-8-4 ou 515-8-42, l’officier de l’état civil peut saisir sans délai le procureur de la République. Il en informe les intéressés.
    « Le procureur de la République est tenu, dans les quinze jours de sa saisine, soit de laisser procéder à l’union civile, soit de faire opposition à celle-ci, soit de décider qu’il sera sursis à sa célébration, dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder. Il fait connaître sa décision motivée à l’officier de l’état civil, aux intéressés.
    « La durée du sursis décidé par le procureur de la République ne peut excéder un mois renouvelable une fois par décision spécialement motivée.
    « À l’expiration du sursis, le procureur de la République fait connaître par une décision motivée à l’officier de l’état civil s’il laisse procéder à l’union civile ou s’il s’oppose à sa célébration.
    « L’un ou l’autre des futurs conjoints, même mineur, peut contester la décision de sursis ou son renouvellement devant le président du tribunal de grande instance, qui statue dans les dix jours. La décision du président du tribunal de grande instance peut être déférée à la cour d’appel qui statue dans le même délai.
    « Art. 515-8-38. – Tout acte d’opposition énonce la qualité qui donne à l’opposant le droit de la former. Il contient également les motifs de l’opposition, reproduit le texte de loi sur lequel est fondée l’opposition et contient élection de domicile dans le lieu où l’union civile doit être célébrée. Toutefois, lorsque l’opposition est faite en application de l’article 515-8-27 le ministère public fait élection de domicile au siège de son tribunal.
    « Les prescriptions mentionnées au premier alinéa sont prévues à peine de nullité et de l’interdiction de l’officier ministériel qui a signé l’acte contenant l’opposition.
    « Après une année révolue, l’acte d’opposition cesse de produire effet. Il peut être renouvelé, sauf dans le cas visé par le deuxième alinéa de l’article 515-8-33.
    « Toutefois, lorsque l’opposition est faite par le ministère public, elle ne cesse de produire effet que sur décision judiciaire.
    « Art. 515-8-39. – Le tribunal de grande instance prononcera dans les dix jours sur la demande en mainlevée formée par les futurs conjoints, même mineurs.
    « Art. 515-8-40. – S’il y a appel, il sera statué dans les dix jours et, si le jugement dont est appel a donné mainlevée de l’opposition, la cour devra statuer même d’office.
    « Art. 515-8-41. – Si l’opposition est rejetée, les opposants, autres néanmoins que les ascendants, pourront être condamnés à des dommages-intérêts.
    « Les jugements et arrêts par défaut rejetant les oppositions à mariage ne sont pas susceptibles d’opposition.
    « Section 5
    « Des demandes en nullité d’union civile
    « Art. 515-8-42. – L’union civile qui a été contractée sans le consentement libre des deux conjoints, ou de l’un d’eux, ne peut être attaquée que par les conjoints, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public. L’exercice d’une contrainte sur les conjoints ou l’un d’eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité d’union civile.
    « S’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité de l’union civile.
    « Art. 515-8-43. – Dans le cas de l’article 515-8-42, la demande en nullité n’est plus recevable à l’issue d’un délai de cinq ans à compter de la célébration de l’union civile.
    « Art. 515-8-44. – L’union civile contractée sans le consentement des père et mère, des ascendants, ou du conseil de famille, dans les cas où ce consentement était nécessaire, ne peut être attaquée que par ceux dont le consentement était requis, ou par celui des deux conjoints qui avait besoin de ce consentement.
    « Art. 515-8-45. – L’action en nullité ne peut plus être intentée ni par les conjoints, ni par les parents dont le consentement était requis, toutes les fois que l’union civile a été approuvée expressément ou tacitement par ceux dont le consentement était nécessaire, ou lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de leur part, depuis qu’ils ont eu connaissance de l’union civile. Elle ne peut être intentée non plus par le conjoint, lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de sa part, depuis qu’il a atteint l’âge compétent pour consentir par lui-même à une union civile.
    « Art. 515-8-46. – Toute union civile contractée en contravention aux dispositions contenues aux articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, peut être attaquée, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les conjoints eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public.
    « Art. 515-8-47. – Dans tous les cas où, conformément à l’article 515-8-46, l’action en nullité peut être intentée par tous ceux qui y ont un intérêt, elle peut l’être par les parents collatéraux, ou par les enfants nés d’un mariage précédent, du vivant des deux conjoints, mais seulement lorsqu’ils y ont un intérêt né et actuel.
    « Art. 515-8-48. – Le conjoint au préjudice duquel a été contractée une seconde union civile peut en demander la nullité, du vivant même de l’époux qui était engagé avec lui.
    « Art. 515-8-49. – Si les nouveaux conjoints opposent la nullité de la première union civile, la validité ou la nullité de cette union civile doit être jugée préalablement.
    « Art. 515-8-50. – Le procureur de la République, dans tous les cas auxquels s’applique l’article 515-8-46, peut et doit demander la nullité de l’union civile, du vivant des deux conjoints, et les faire condamner à se séparer.
    « Art. 515-8-51. – Toute union civile qui n’a point été contractée publiquement, et qui n’a point été célébrée devant l’officier public compétent, peut être attaquée, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par les conjoints eux-mêmes, par les père et mère, par les ascendants et par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel, ainsi que par le ministère public.
    « Art. 515-8-52. – Si l’union civile n’a point été précédée de la publication requise ou s’il n’a pas été obtenu des dispenses permises par la loi, ou si les intervalles prescrits entre les publications et la célébration n’ont point été observés, le procureur de la République fera prononcer contre l’officier public une amende qui ne pourra excéder 4,5 euros et contre les parties contractantes, ou ceux sous la puissance desquels elles ont agi, une amende proportionnée à leur fortune.
    « Art. 515-8-53. – Les peines prononcées par l’article 515-8-52 seront encourues par les personnes qui y sont désignées, pour toute contravention aux règles prescrites par l’article 515-8-20, alors même que ces contraventions ne seraient pas jugées suffisantes pour faire prononcer la nullité de l’union civile.
    « Art. 515-8-54. – Nul ne peut réclamer le titre de conjoint et les effets civils de l’union civile, s’il ne représente un acte de célébration inscrit sur le registre de l’état civil ; sauf les cas prévus par l’article 46, au titre Des actes de l’état civil.
    « Art. 515-8-55. – La possession d’état ne pourra dispenser les prétendus conjoints qui l’invoqueront respectivement, de représenter l’acte de célébration de l’union civile devant l’officier de l’état civil.
    « Art. 515-8-56. – Lorsqu’il y a possession d’état, et que l’acte de célébration de l’union civile devant l’officier de l’état civil est représenté, les conjoints sont respectivement non recevables à demander la nullité de cet acte.
    « Art. 515-8-57. – Si néanmoins, dans le cas des articles 515-8-54 et 515-8-55, il existe des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier de deux individus qui ont vécu publiquement comme conjoints, et qui soient tous deux décédés, la légitimité de ces enfants adoptés ne peut être contestée sous le seul prétexte du défaut de représentation de l’acte de célébration, toutes les fois que cette légitimité est prouvée par une possession d’état qui n’est point contredite par l’acte de naissance.
    « Art. 515-8-58. – Lorsque la preuve d’une célébration légale de l’union civile se trouve acquise par le résultat d’une procédure criminelle, l’inscription du jugement sur les registres de l’état civil assure à l’union civile, à compter du jour de sa célébration, tous les effets civils, tant à l’égard des époux qu’à l’égard des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier.
    « Art. 515-8-59. – Si les conjoints ou l’un d’eux sont décédés sans avoir découvert la fraude, l’action criminelle peut être intentée par tous ceux qui ont intérêt de faire déclarer l’union civile valable, et par le procureur de la République.
    « Art. 515-8-60. – Si l’officier public est décédé lors de la découverte de la fraude, l’action sera dirigée au civil contre ses héritiers, par le procureur de la République, en présence des parties intéressées, et sur leur dénonciation.
    « Art. 515-8-61. – L’union civile qui a été déclarée nulle produit, néanmoins, ses effets à l’égard des conjoints, lorsqu’elle a été contractée de bonne foi.
    « Si la bonne foi n’existe que de la part de l’un des époux, le mariage ne produit ses effets qu’en faveur de cet époux.
    « Art. 515-8-62. – Elle produit aussi ses effets à l’égard des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier, quand bien même aucun des conjoints n’aurait été de bonne foi.
    « Le juge statue sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale comme en matière de divorce.
    « Section 6
    « Des devoirs et des droits respectifs des conjoints
    « Art. 515-8-63. – Les conjoints se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.
    « Art. 515-8-64. – Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des conjoints aux charges de l’union civile, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
    « Si l’un des conjoints ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au code de procédure civile.
    « Art. 515-8-65. – Les conjoints s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
    « La résidence des conjoints est au lieu qu’ils choisissent d’un commun accord.
    « Les conjoints ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous.
    « Art. 515-8-66. – Chaque conjoint a la pleine capacité de droit ; mais ses droits et pouvoirs peuvent être limités par l’effet du régime matrimonial et des dispositions du présent chapitre.
    « Art. 515-8-67. – Un conjoint peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire, si celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté ou si son refus n’est pas justifié par l’intérêt des conjoints.
    « L’acte passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice est opposable au conjoint dont le concours ou le consentement a fait défaut, sans qu’il en résulte à sa charge aucune obligation personnelle.
    « Art. 515-8-68. – Un conjoint peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le régime matrimonial lui attribue.
    « Il peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat.
    « Art. 515-8-69. – Si l’un des conjoints se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge.
    « À défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un conjoint en représentation de l’autre ont effet, à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires.
    « Art. 515-8-70. – Chacun des conjoints a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.
    « La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
    « Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux conjoints, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
    « Art. 515-8-71. – Si l’un des conjoints manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts.
    « Il peut notamment interdire à ce conjoint de faire, sans le consentement de l’autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles. Il peut aussi interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.
    « La durée des mesures prises en application du présent article doit être déterminée par le juge et ne saurait, prolongation éventuellement comprise, dépasser trois ans.
    « Art. 515-8-72. – Si l’ordonnance porte interdiction de faire des actes de disposition sur des biens dont l’aliénation est sujette à publicité, elle doit être publiée à la diligence du conjoint requérant. « Cette publication cesse de produire effet à l’expiration de la période déterminée par l’ordonnance, sauf à la partie intéressée à obtenir dans l’intervalle une ordonnance modificative, qui sera publiée de la même manière.
    « Si l’ordonnance porte interdiction de disposer des meubles corporels, ou de les déplacer, elle est signifiée par le requérant à son conjoint, et a pour effet de rendre celui-ci gardien responsable des meubles dans les mêmes conditions qu’un saisi. Signifiée à un tiers, elle le constitue de mauvaise foi.
    « Art. 515-8-73. – Sont annulables, à la demande du conjoint requérant, tous les actes accomplis en violation de l’ordonnance, s’ils ont été passés avec un tiers de mauvaise foi, ou même s’agissant d’un bien dont l’aliénation est sujette à publicité, s’ils sont simplement postérieurs à la publication prévue par l’article 515-8-72.
    « L’action en nullité est ouverte à l’époux requérant pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée, si cet acte est sujet à publicité, plus de deux ans après sa publication.
    « Art. 515-8-74. – Chacun des conjoints peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel.
    « À l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la rupture de l’union civile, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt.
    « Art. 515-8-75. – Si l’un des conjoints se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte.
    « Cette disposition n’est pas applicable aux meubles meublants visés au troisième alinéa de l’article 515-8-65, non plus qu’aux meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404.
    « Art. 515-8-76. – Chaque conjoint peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des charges de l’union civile.
    « Art. 515-8-77. – Chacun des conjoints administre, oblige et aliène seul ses biens personnels.
    « Art. 515-8-78. – Les dispositions de la présente section, en tous les points où elles ne réservent pas l’application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet de l’union civile, quel que soit le régime matrimonial des époux.
    « Section 7
    « De la dissolution de l’union civile
    « Art. 515-8-79. – L’union civile se dissout :
    « 1° Par la mort de l’un des conjoints ;
    « 2° Par la rupture légalement prononcée ;
    « 3° Par le mariage de l’un des conjoints. » ;
    3° L’intitulé du titre V du livre III est ainsi rédigé :
    « Du contrat de mariage et d’union civile et des régimes matrimoniaux » ;
    4° Après le c de l’article 34, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
    « c bis) des conjoints dans les actes d’union civile ; »
    5° À l’article 46, après le mot : « mariages, », sont insérés les mots : « unions civiles, » ;
    6° Après l’article 63, il est inséré un article 63-1 ainsi rédigé :
    « Art. 63-1. – Avant la célébration de l’union civile, l’officier de l’état civil fera une publication par voie d’affiche apposée à la porte de la maison commune. Cette publication énoncera les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs conjoints, ainsi que le lieu où l’union civile devra être célébrée.
    « La publication prévue au premier alinéa ou, en cas de dispense de publication accordée conformément aux dispositions de l’article 515-8-22, la célébration de l’union civile est subordonnée :
    « 1° À la remise, pour chacun des futurs conjoints, des indications ou pièces suivantes :
    « - La copie intégrale de l’acte de naissance remise par chacun des futurs conjoints à l’officier de l’état civil qui doit célébrer leur union civile ne doit pas dater de plus de trois mois si elle a été délivrée en France et de plus de six mois si elle a été délivrée dans un consulat.
    « - Celui des futurs conjoints qui serait dans l’impossibilité de se procurer cet acte pourra le suppléer en rapportant un acte de notoriété délivré par un notaire ou, à l’étranger, par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises compétentes. L’acte de notoriété est établi sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et de tout autre document produit qui attestent des prénoms, nom, profession et domicile du futur époux et de ceux de ses père et mère s’ils sont connus, du lieu et, autant que possible, de l’époque de la naissance et des causes qui empêchent de produire l’acte de naissance. L’acte de notoriété est signé par le notaire ou l’autorité diplomatique ou consulaire et par les témoins.
    « - la justification de l’identité au moyen d’une pièce délivrée par une autorité publique ;
    « - l’indication des prénoms, nom, date et lieu de naissance, profession et domicile des témoins, sauf lorsque l’union civile doit être célébrée par une autorité étrangère ;
    « 2° À l’audition commune des futurs conjoints, sauf en cas d’impossibilité ou s’il apparaît, au vu des pièces fournies, que cette audition n’est pas nécessaire au regard des articles 515-8-3 et 515-8-42.
    « L’officier de l’état civil, s’il l’estime nécessaire, demande à s’entretenir séparément avec l’un ou l’autre des futurs conjoints.
    « L’audition du futur conjoint mineur se fait hors la présence de ses père et mère ou de son représentant légal et de son futur conjoint.
    « L’officier de l’état civil peut déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires du service de l’état civil de la commune la réalisation de l’audition commune ou des entretiens séparés. Lorsque l’un des futurs conjoints réside à l’étranger, l’officier de l’état civil peut demander à l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente de procéder à son audition.
    « L’autorité diplomatique ou consulaire peut déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents la réalisation de l’audition commune ou des entretiens séparés. Lorsque l’un des futurs conjoints réside dans un pays autre que celui de la célébration, l’autorité diplomatique ou consulaire peut demander à l’officier de l’état civil territorialement compétent de procéder à son audition.
    « L’officier d’état civil qui ne se conformera pas aux prescriptions des alinéas précédents sera poursuivi devant le tribunal de grande instance et puni d’une amende de 3 à 30 euros. »
    II. – Les dispositions du titre V du livre III du code civil s’appliquent aux personnes ayant contracté une union civile telle que le 1° du I du présent article la prévoit.
    B – En conséquence, chapitre Ier, intitulé
    Remplacer les mots :
    au mariage
    par les mots :
    à l’union civile
    La parole est à M. Patrice Gélard.
    M. Patrice Gélard. Madame la présidente, nous ne pouvons pas examiner les amendements sans rapporteur ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Retailleau. Où donc est le rapporteur ?
    Mme Isabelle Debré. Ce n’est pas sérieux ! Il n’y a ni quorum ni rapporteur !
    Mme la présidente. Mes chers collègues, M. le président de la commission des lois, conformément à l’usage, va suppléer M. le rapporteur. (Exclamations sur les mêmes travées.)
    M. Patrice Gélard. Nous travaillons dans des conditions insupportables, inadmissibles pour cette assemblée ! (On approuve sur les travées de l’UMP.)
    Et il nous reste un quart d’heure pour examiner sept amendements !
    M. David Assouline. Non, une heure !
    Mme la présidente. Monsieur Gélard, je vous demande de présenter votre amendement.
    M. Patrice Gélard. Madame la présidente, il est impossible de travailler dans ces conditions. L’amendement n° 4 rectifié bis est essentiel en ce qu’il constitue la totalité du dispositif alternatif que nous proposons.
    Mais vous avez décidé de bâcler son examen ! Vous nous mentez depuis le départ dans cette affaire pour nous contraindre à travailler coûte que coûte, alors que les conditions objectives ne sont pas réunies pour que nous puissions présenter ce qui constitue l’essentiel de notre projet.
    Je demande que la séance soit levée immédiatement et que nous reprenions nos travaux lundi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Organisation des travaux

    Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen.
    M. François Rebsamen. Chers collègues, on se calme ! (Exclamations sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. Charles Revet. Vous avez les moyens de ramener le calme !
    M. Patrice Gélard. Trouvez le rapporteur !
    M. François Rebsamen. Il nous faut retrouver la sérénité qui sied à nos débats et reprendre le cours de nos travaux, conformément à l’ordre du jour fixé par la conférence des présidents.
    M. Philippe Bas. Et où est le rapporteur ?
    M. François Rebsamen. Tout le monde était d’accord, lors des deux dernières conférences des présidents, pour que nous continuions nos travaux ce vendredi en soirée. Nous y sommes, et il nous reste encore du temps.
    M. Charles Revet. Un quart d’heure ? La séance doit être levée à minuit, vous vous y êtes engagé !
    M. François Rebsamen. Il n’y a donc aucune raison de s’agacer comme vient de le faire notre collègue Patrice Gélard.
    M. Gérard Longuet. Notre collègue parle avec son cœur !
    M. François Rebsamen. Nous n’irons pas beaucoup plus loin ; vous pourrez reprendre vos explications lundi, comme prévu.
    M. Patrice Gélard. J’ai demandé la levée de la séance !
    M. François Rebsamen. Vous souhaitez peut-être que la séance soit levée, mais le règlement ne prévoit pas que vous puissiez le décider vous-même !
    J’en appelle donc au respect des règles que nous nous sommes fixées, en l’occurrence les décisions prises par la conférence des présidents. Cette dernière a décidé de la poursuite des débats ce soir, nous les poursuivons donc, malgré les procédures d’obstruction, pour certaines bien connues, que vous êtes en train de mettre en œuvre.
    M. Patrice Gélard. Pas du tout !
    M. David Assouline. Si, c’est de l’obstruction !
    M. Charles Revet. Mais non !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Bien sûr que si !
    M. François Rebsamen. Mais si, nous les connaissons aussi, ces procédures !
    M. Christian Cambon. C’est que nous avons pris de bonnes leçons auprès de vous !
    M. François Rebsamen. La demande de vérification du quorum, de droit, a été présentée : vous avez donc perdu une heure de débat volontairement. Aussi, nous allons poursuivre nos travaux un moment. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Il n’y a pas de quoi s’énerver !
    Mais quel est votre objectif, ici ? (Exclamations sur les mêmes travées.)
    Vous ne souhaitez pas que nous commencions l’examen des amendements que vous avez déposés. Pouvez-vous me dire pourquoi, alors que le règlement et la conférence des présidents le prévoient ?
    J’en appelle au respect de notre institution, de son règlement et des décisions de la conférence des présidents.
    M. Gérard Longuet. Le respect, c’est de venir en séance !
    M. François Rebsamen. En l’occurrence, le règlement comme la conférence des présidents font que nous devons maintenant passer à l’examen des articles et donc des amendements.
    Un sénateur du groupe UMP. Quand le rapporteur sera là ! (On renchérit sur les travées de l’UMP.)
    M. François Rebsamen. Les fonctions de rapporteur seront assurées par M. le président de la commission des lois. Ce n’est pas n’importe qui, tout de même ! Et M. Sueur a, à ses côtés, Mme Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.
    Monsieur Gélard, exécutez-vous et présentez votre amendement : nous avons le temps nécessaire. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Larcher. (Manifestations de satisfaction sur les travées de l’UMP.)
    M. Gérard Larcher. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, hier après-midi, nous avons entamé ce débat avec hauteur de vues, sérénité, chacun opposant ses arguments, parfois citant des grands auteurs, de Lacan à Miller,…
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je ne sais pas si l’on peut les qualifier de « grands auteurs » !
    M. Gérard Larcher. … puis, remontant plus loin dans le temps, de Camus à Diderot. J’ai même entendu des références au livre de la Genèse.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est mieux !
    M. Gérard Larcher. À cet instant, je tiens à m’adresser à M. le président de la commission des lois.
    Cher collègue, il n’est pas possible, sans le rapporteur, de procéder à un examen serein et approfondi d’une disposition essentielle – la création d’un contrat d’union civile – issue d’une proposition faite au nom du groupe UMP.
    M. Roger Karoutchi. Ce ne serait pas sérieux !
    M. Gérard Larcher. Monsieur le président de la commission des lois, j’ai, moi aussi, exercé la fonction de président de commission. J’ai, moi aussi, eu à connaître de situations difficiles. Mais nous sommes là sur un point déterminant du débat.
    Je vous en prie, faites en sorte que nous ne bâclions pas cet examen. Ce n’est pas une marque de défiance à votre égard, mais M. le rapporteur a lui-même exprimé un certain nombre d’avis sur ce sujet, à l’occasion de la discussion générale.
    Je crois qu’il serait plus raisonnable de nous en tenir là pour ce soir, compte tenu de l’engagement qui a été pris de mener, la semaine prochaine, un examen apaisé, approfondi, argument contre argument, plutôt que de tenter ce soir de gagner une demi-heure d’un mauvais débat sur un enjeu aussi important. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    J’invite les uns et les autres à me rejoindre dans cette réflexion et à adopter cette position de sagesse. Si chacun sait raison garder, nous serons en phase, me semble-t-il, avec l’image du Sénat ou, du moins, avec la conception que j’en ai ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Mme la présidente. Quel est l’avis de M. le président de la commission des lois ?
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, M. Jean-Pierre Michel m’a demandé de le suppléer pour cette fin de soirée. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Christian Cambon. Pourquoi ?
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je vous assure que je suis en mesure de donner le point de vue de la commission sur l’amendement de M. Gélard, et même de vous donner les arguments de M. Michel.
    Je dois en cet instant me référer, monsieur le président Larcher, au droit qui gouverne le fonctionnement de notre institution : lors de la conférence des présidents, une décision a été prise.
    M. Charles Revet. Celle d’arrêter à minuit !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Non, mon cher collègue.
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. C’est ce qui a été dit !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il a été décidé d’appliquer une décision prise à l’occasion de la précédente conférence des présidents, qui prévoyait pour ce vendredi une séance le soir. L’ensemble des groupes, à l’exception de l’UMP, représentée par Mme Catherine Troendle, en étaient d’accord. Le représentant du groupe UDI-UC a même précisé qu’il souhaitait que la séance du soir soit prévue et inscrite à l’ordre du jour, pour donner la possibilité à certains des membres de son groupe, par exemple M. Michel Mercier, de nous rejoindre et de participer à nos travaux.
    M. Roger Karoutchi. Ils pourront revenir !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Quoi qu’il en soit, il a été décidé que l’on siégerait ce soir, ce qui fut fait. C’est alors que Mme Troendle a dégainé une demande de vérification du quorum !
    Mme Catherine Troendle. Je souhaitais que nos collègues soient présents en grand nombre !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Entre nous, chère collègue, cela ne contribue pas beaucoup à faire avancer les débats, ni ne favorise l’expression des convictions ! (Mme Catherine Troendle proteste.) Mais nous sommes ici quelques-uns à avoir l’expérience de ces procédures, pour siéger au Parlement depuis quelques années déjà...
    Il fut donc procédé à la vérification du quorum, mes chers collègues, mais chacun ici sait combien tout cela est artificiel.
    M. Gérard Larcher. Nous n’avons pas changé le règlement !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Certes, monsieur Larcher, et je respecte le règlement, mais il n’empêche que nous pourrions plutôt continuer à débattre du fond !
    Ensuite, ce fut le scrutin public sur la dernière motion. Et on vous a vus arriver les uns après les autres, à la queue leu leu, chacun muni de son petit morceau de carton pour le déposer dans l’urne, de manière à prolonger le vote… (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Puis il y eut un rappel au règlement – nous les connaissons tous, ces rappels au règlement -,…
    M. Christian Cambon. Surtout vous !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … et je voyais des sourires s’esquisser sur les visages lorsque M. Retailleau s’exprimait, alors que son propos n’avait strictement aucun rapport avec notre règlement !
    Derechef, nous vîmes un autre de ses collègues enchaîner pour demander un autre rappel au règlement…
    Enfin, M. Larcher prit la parole pour nous alerter sur la gravité du problème.
    M. Gérard Larcher. Mais oui !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Chacun ici le sait, deux heures ou deux heures et demie de débats parlementaires permettent d’avancer. Vous étiez fâchés, et vous seuls, chers collègues du groupe UMP, de la décision prise par la conférence des présidents. Elle n’en est pas moins démocratique.
    Il me semble donc, madame la présidente, que rien ne s’oppose à ce que, par exemple, M. Gélard nous présente son amendement.
    M. Roger Karoutchi. Non !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il le fait tellement bien ! Et puis, je nous trouve en forme, ce soir ! (Sourires.) Pour ma part, je ne ressens pas de lassitude particulière…
    Mme Catherine Troendle. Et le rapporteur ?
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je ne sais, madame la présidente, à quelle heure vous souhaitez lever la séance, mais je me sens tout ragaillardi par l’ambiance qui règne ici. (Mme Cécile Cukierman s’esclaffe.)
    J’avais le sentiment que M. Bas s’était un peu assoupi, mais je vois que chacun a retrouvé vigueur et vitalité ! (Sourires.) Raison de plus pour achever cette soirée par quelques travaux productifs.
    Mme Christiane Taubira et Mme Dominique Bertinotti sont présentes, elles sont venues pour parler du sujet qui nous occupe et seraient sans doute très déçues si nous levions la séance maintenant !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui ! (Mme la ministre déléguée chargée de la famille opine.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Je dis cela avec le sourire, mais j’insiste pour que nous poursuivions nos travaux ce soir, comme il était prévu. Pour ma part, je souhaitais même que l’on siège demain – j’étais très minoritaire, il est vrai...
    Je suis très heureux que Mme la présidente m’ait donné la parole – je ne l’avais pas demandée -, ce qui me donne l’occasion, chers collègues, de vous inviter à cet ultime effort !
    Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur le président de la commission des lois.
    Mes chers collègues, j’ai une proposition à vous faire (Ah ! sur les travées de l’UMP.) : que leurs auteurs présentent les cinq premiers amendements faisant l’objet de la discussion commune (Protestations sur les travées de l’UMP.),…
    M. Christian Cointat. Sans rapporteur ?...
    Mme la présidente. … et je lèverai la séance ensuite. (Protestations renouvelées sur les mêmes travées.) Je pense qu’il s’agit là d’un bon compromis.
    M. Charles Revet. Ce n’est pas sérieux !
    M. David Assouline. Non, en effet, mieux vaut continuer ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Bruno Retailleau. Cela n’a pas de sens !
    Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, je demande une suspension de séance pour réunir mon groupe.
    Mme la présidente. Madame Troendle, je vous accorde cinq minutes.
    Mme Catherine Troendle. Plutôt dix, madame la présidente !
    Mme la présidente. Madame Troendle, dans notre assemblée, les suspensions de séance ne sont pas de droit ; elles sont soumises à l’appréciation du président de séance.
    Vous avez cinq minutes !
    La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à vingt-trois heures cinquante, est reprise à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
    Mme la présidente. La séance est reprise.
    Organisation des travaux
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite) (interruption de la discussion)
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite)
    Mme la présidente. Je vous rappelle que je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
    La parole est à M. Patrice Gélard, pour défendre l’amendement n° 4 rectifié bis.
    M. Patrice Gélard. Madame la présidente, je suis de très mauvaise humeur (Sourires.).
    En effet, j’estime que tout cela n’est pas sérieux de la part de la majorité. Nous examinons ici le principal amendement de notre groupe, celui qui présente une alternative par rapport au dispositif que nous soumettent le Gouvernement et la commission. Et vous voulez qu’on bâcle le travail ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Si, c’est bien ce que vous voulez ! Je m’en vais donc bâcler mon intervention et je défendrai mieux l’amendement en explication de vote !
    Je tiens à le souligner d’emblée, cet amendement se justifie par une erreur figurant dès l’étude d’impact et dans les études annexes. Cette erreur tient au fait que le « mariage » entre couples homosexuels à l’étranger ne correspond pas au mariage en France. C’est fondamentalement différent de ce que nous connaissons : ce que l’on appelle « mariage » ici ou là n’est en réalité qu’une union civile parfois sans conséquences sur l’adoption – on applique alors d’autres règles –, pas plus que sur la religion ou sur quoi que ce soit d’autre.
    L’exemple scandinave le prouve : c’est le pasteur qui marie tout le monde, que l’on soit protestant, catholique, juif, musulman ou athée. Cette situation n’a donc rien à voir avec ce que l’on veut nous imposer ici. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
    En outre, le système que l’on veut instaurer est « bricolé » et n’a pas sa raison d’être pour l’adoption parce qu’il crée de nouvelles inégalités et aboutit à un traitement différent des enfants selon leur ascendance.
    Face à cette situation, nous avons tenté de trouver une solution de compromis qui satisfasse tout le monde et permette aux couples homosexuels d’avoir les mêmes droits que les couples hétérosexuels au regard du mariage : c’est l’union civile que nous voulons mettre en place.
    Mais, pour ce qui concerne l’adoption, c’est de l’hypocrisie que de soutenir qu’elle sera possible avec le présent projet de loi : elle sera impossible ! Ou alors la majorité sera obligée de mettre en place des quotas qui seront inconstitutionnels. Par conséquent, nous avons proposé un autre système qui consiste à repenser l’adoption simple et la délégation de l’autorité parentale.
    C’est là-dessus que nous allons nous battre, c’est cette position que nous défendrons ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Gérard Larcher. Très bien !
    Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par MM. Cointat et Frassa, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    I. – Le titre XIII du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
    A. – L’intitulé de ce titre est ainsi rédigé :
    « TITRE XIII – DE L’UNION CIVILE, DU PACTE CIVIL DE SOLIDARITE
    ET DU CONCUBINAGE »
    B – Avant le chapitre Ier, il est inséré un chapitre Ier A ainsi rédigé :
    « Chapitre Ier A
    « De l’union civile
    « Art. 515-1 A – Deux personnes physiques majeures célibataires peuvent s’allier en concluant un contrat d’union civile.
    « Art. 515-1 B – Les alliés se doivent mutuellement fidélité, respect, secours et assistance.
    « Ils s’obligent également à une communauté de vie.
    « Art. 515-1 C – Le contrat d’union civile est conclu devant l’officier de l’état civil compétent pour la célébration d’un mariage.
    « L’officier de l’état civil demande aux intéressés s’ils entendent conclure un contrat d’union civile. Il leur lit un résumé des droits et obligations des alliés, établi par le décret prévu à l’article 515-1 J et leur fait signer le contrat.
    « Art. 515-1 D – Le contrat, ses modifications et la déclaration de dissolution du contrat doivent être déposés au greffe du tribunal de grande instance dans le ressort duquel les alliés fixent leur résidence commune.
    « Art. 515-1 E – I. – Sont applicables au contrat d’union civile les dispositions relatives :
    « – aux conflits de loi ;
    « – aux qualités et conditions pour contracter mariage ;
    « – à la résidence commune et aux droits par lesquels est assuré le logement commun des alliés et des meubles meublants dont il est garni au nom de famille des conjoints ;
    « – à la contribution aux charges du mariage ;
    « – à la représentation des époux dans les actes de la vie civile notamment en matière de mandat, en cas d’empêchement de manifestation de la volonté et dans les cas où l’un des conjoints met en péril les intérêts du couple ;
    « – à la capacité des époux en matière d’exercice d’une profession, de perception et dispositions des gains et salaires, d’administration, de disposition et d’aliénation des biens personnels des époux ;
    « – aux régimes matrimoniaux ;
    « – aux successions et aux libéralités entre époux.
    « II. – Pour l’application du I, sont substitués :
    « – les alliés aux conjoints, époux et épouse ou mari et femme ;
    « – la signature du contrat à la célébration du mariage ;
    « – le régime patrimonial de l’union aux régimes matrimoniaux.
    « Art. 515-1 F – L’union civile prend fin par :
    « 1° le décès de l’un des alliés ;
    « 2° la dissolution de l’union résultant d’une déclaration conjointe des alliés ou d’une déclaration unilatérale de l’un d’entre eux faite à la mairie du lieu d’enregistrement du contrat. L’allié qui décide de mettre fin au contrat le fait signifier préalablement à l’autre.
    « La dissolution du contrat d’union civile prend effet, dans les rapports entre les alliés, à la date de la déclaration.
    « Elle est opposable aux tiers à partir du jour où les formalités de publicité ont été accomplies.
    « Aucun allié ne peut contracter mariage, ni un nouveau contrat d’union civile ni un pacte civil de solidarité sans qu’il soit préalablement mis fin au contrat d’union civile.
    « Art. 515-1 G – En cas de cessation du contrat, un notaire choisi d’un commun accord par les alliés ou, à défaut, par le juge aux affaires familiales, établit l’acte de liquidation et procède aux publicités de dissolution.
    « À défaut d’accord, le juge aux affaires familiales statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi.
    « Art. 515-1 H – Mention de la signature du contrat, des modifications qui lui sont apportées en matière patrimoniale et de sa dissolution est portée en marge des actes de naissance des alliés.
    « Art. 515-1 I – À l’étranger, les fonctions confiées par le présent article à l’officier d’état civil ou au notaire sont assurées par les agents diplomatiques et consulaires français.
    « Art. 515-1 J – Un décret en Conseil d’État détermine, en tant que de besoin, les modalités d’application du présent chapitre. »
    C – La première phrase du premier alinéa de l’article 515-7 du même code est ainsi rédigée :
    « Le pacte civil de solidarité se dissout par la mort de l’un des partenaires, la conclusion d’un contrat d’union civile ou par le mariage des partenaires ou de l’un d’eux. »
    II. – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au mariage sont étendus à l’union civile.
    Pour l’ouverture, la liquidation et le calcul des droits à pensions de retraite, les alliés d’un contrat d’union civile sont assimilés à des conjoints. Il en est de même en matière de pension civile et militaire de retraite.
    III. – Le chapitre unique du titre Ier du livre Ier du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un article L. 111-12 ainsi rédigé :
    « Art. L. 111-12 – Pour l’application du présent code, les étrangers alliés à un Français par un contrat d’union civile sont assimilés à des conjoints. »
    IV. – La perte de recettes résultant pour l’État des I, II et III ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
    La parole est à M. Christian Cointat.
    M. Christian Cointat. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, on s’en est rendu compte tout au long de la journée : la question de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe est un sujet extrêmement sensible. Il suscite beaucoup d’émotion d’un côté, mais aussi beaucoup d’espérance de l’autre.
    Or on assiste à une augmentation du nombre de couples homosexuels, qui se montrent de plus en plus fréquemment au grand jour. Si la plupart d’entre eux revendiquent l’égalité des droits avec les autres couples, tous ne souhaitent pas pour autant se marier, loin de là. Ils trouvent seulement anormal de ne pas bénéficier du même traitement que les autres, notamment en matière sociale, fiscale ou successorale. Ils attendent une législation équitable mais pas forcément identique.
    Il est vrai que d’autres – en particulier ceux qui militent dans les associations – réclament en revanche le droit au mariage dans sa plénitude. Mais ils ne représentent pas la totalité des couples homosexuels.
    Au-delà d’une égalité des droits qui reste à obtenir, leur approche se fonde sur la valeur attachée à cette institution républicaine et sur la force du mot « mariage ». Pour eux, le mariage apparaît comme un symbole incontournable pour accéder à la qualité de véritable couple, de couple à part entière, et non pas de foyer de deuxième catégorie. C’est une approche idéologique forte.
    Mais le problème est que, pour les opposants à cette ouverture du mariage aux couples homosexuels, le ressort idéologique est tout aussi fort, si ce n’est davantage, car il entraîne des réactions négatives parfois viscérales. En effet, le mariage, même pour beaucoup de laïcs, est un symbole qui touche au sacré et ne peut donc être modifié dans son essence. La réponse peut donc être : oui aux droits, mais non au mariage. Même si elle n’est pas complète, cette réponse représente déjà un pas important vers l’autre, il faut en être conscient.
    Dans cet esprit de rapprochement, cet amendement vise à créer un contrat d’union civile afin d’offrir aux couples homosexuels mais aussi hétérosexuels tous les avantages du mariage sous une forme simplifiée sans pour autant lui donner la même appellation. Il a pour but de répondre aux attentes essentielles et légitimes des couples homosexuels tout en ménageant la sensibilité des autres.
    Je comprends l’émotion qui s’attache au mot « mariage », à tout ce que cette notion représente et signifie. Cet amendement devrait donc offrir un équilibre acceptable par chacun, d’autant plus que sa rédaction lui permet de s’ajouter au texte de la commission des lois sans obligatoirement s’y substituer. Il ne tranche pas la question du mariage proprement dit, mais règle celle, autrement plus importante en réalité, mais moins sensible, des droits qui s’y attachent.
    J’ajoute qu’entre un contrat d’union civile et le mariage, si d’aventure les deux formules étaient retenues, je suis intimement convaincu que le contrat d’union civile l’emporterait auprès des intéressés, car il est bien plus simple et pratique. Lui, au moins, résout les problèmes au lieu de les créer…
    Aussi, je compte sur le bon sens et la sagesse de la Haute Assemblée pour se rassembler sur une solution de progrès qui permette d’avancer dans la bonne direction, mais sans heurter ni blesser. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Mme la présidente. L’amendement n° 169 rectifié ter, présenté par MM. Zocchetto et Détraigne, Mme Gourault, MM. Mercier, Amoudry et Arthuis, Mme Morin-Desailly, MM. Pozzo di Borgo, Vanlerenberghe, Delahaye, Marseille, Bockel, J. Boyer et Dubois, Mme Férat, MM. Roche, J.L. Dupont, Capo-Canellas, Namy, Jarlier, Maurey, Guerriau, Merceron et Tandonnet, Mme Létard et M. de Montesquiou, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    Le titre XIII du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
    1° L’intitulé est ainsi rédigé :
    « Du pacte civil de solidarité, du concubinage et de l’union civile » ;
    2° Il est ajouté un chapitre ainsi rédigé :
    « Chapitre …
    « De l’union civile
    « Art. 515-8-... – L’union civile est l’engagement par lequel deux personnes physiques majeures expriment leur consentement libre et éclairé à faire vie commune et à se soumettre aux droits et obligations liées à cet état.
    « Art. 515-8-... – Les prohibitions édictées aux articles 161 à 163 sont applicables à l’union civile.
    « Les majeurs sous tutelle ne peuvent contracter une union civile qu’avec l’accord du juge des tutelles.
    « En cas de curatelle, l’union civile ne peut être célébrée qu’avec l’accord du curateur.
    « Art. 515-8-... – L’union civile est célébrée publiquement devant l’officier de l’état civil du lieu de résidence commune des partenaires ou de la résidence de l’un d’eux.
    « Avant la célébration de l’union civile, l’officier de l’état civil fait une publication par voie d’affiche à la mairie du lieu de la célébration. Cette publication énonce les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des partenaires.
    « Les officiers de l’état civil tiennent des registres d’état civil. Ils font figurer la mention de l’union civile en marge de l’acte de naissance des partenaires de l’union civile.
    « Le régime de l’union civile s’applique entre les partenaires dès le consentement de ceux-ci devant l’officier de l’état civil. Les conséquences patrimoniales de l’union civile peuvent être précisées par acte notarié établi avant la célébration.
    « Un certificat d’union civile est délivré aux partenaires par le maire à l’issue de la cérémonie.
    « L’officier de l’état civil porte mention de l’acte en marge de l’acte de naissance des partenaires.
    « L’officier de l’état civil peut déléguer à un adjoint ou à un conseiller municipal de la commune la célébration de l’union et à un fonctionnaire l’accomplissement des formalités et publicité.
    « Les dispositions d’ordre patrimonial de l’union civile peuvent être modifiées, en cours d’exécution, par le consentement mutuel des partenaires par acte notarié.
    « Art. 515-8-... – Les partenaires ont, en union civile, les mêmes droits et les mêmes obligations.
    « Ils se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.
    « Ils s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
    « Art. 515-8-... – L’union civile a, en ce qui concerne la contribution aux charges, les mêmes effets que le mariage.
    « Art. 515-8-... – L’un des deux partenaires peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que l’union civile lui confère. Il peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat.
    « Art. 515-8-... – Toute dette contractée par l’un des partenaires oblige l’autre solidairement.
    « La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du contractant.
    « Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
    « Art. 515-8-... – Le régime des biens de l’union civile est celui de la communauté réduite aux acquêts à moins d’en avoir disposé autrement par acte authentique. Les meubles acquis par les partenaires sont des biens communs à compter du jour de la célébration.
    « Tous les autres biens demeurent la propriété personnelle de chaque partenaire, sauf convention contraire. Demeurent toutefois nécessairement la propriété exclusive de chacun les biens ou portions de biens reçus par succession ou acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession.
    « Art. 515-8-... – Les partenaires sont assimilés à des conjoints pour la détermination de leurs droits successoraux et des libéralités qu’ils peuvent se consentir.
    « Art. 515-8-... – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au pacte civil de solidarité sont étendus à l’union civile.
    « Art. 515-8-... – L’union civile se dissout par le décès de l’un des partenaires.
    « Elle se dissout également par un jugement du tribunal ou par une déclaration commune notariée lorsque la volonté de vie commune des partenaires est irrémédiablement atteinte.
    « Les partenaires peuvent consentir, dans une déclaration commune, à la dissolution de leur union.
    « À défaut d’une déclaration commune de dissolution reçue devant notaire, la dissolution doit être prononcée par le tribunal.
    « La rupture de l’union civile est inscrite sur un registre d’union civile, mention en est faite sur le registre de conclusion de l’union civile et en marge de l’acte de naissance des parties. »
    La parole est à M. Michel Mercier.
    M. François Rebsamen. Qui ne sera donc pas venu pour rien ! (Sourires.)
    M. Michel Mercier. Je remercie beaucoup M. le président du groupe socialiste de cette réflexion plutôt moyenne, mais je reconnais que vous avez beaucoup travaillé ce soir, cher collègue, et que vous ne pouvez pas être bon tout le temps ! (Sourires.)
    M. François Rebsamen. Vous n’avez pas encore travaillé !
    M. Michel Mercier. Raison de plus pour essayer d’être moins mauvais ! (Nouveaux sourires.)
    Cet amendement, comme l’a dit M. Gélard en présentant le sien, représente la philosophie de notre groupe : un temps de parole de deux minutes vingt-sept secondes pour l’exposer est un peu bref, vous en conviendrez, madame la présidente.
    M. David Assouline. C’est le règlement !
    Mme la présidente. Prenez le temps qui vous est imparti pour la présentation de cet amendement, monsieur Mercier.
    M. Michel Mercier. Je vous remercie, madame la présidente ; il me reste donc deux minutes et seize secondes, ce qui n’arrange pas la situation, mais j’ai bien compris que ce n’était pas le but que vous recherchiez par ailleurs. (Exclamations amusées sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du CRC.)
    J’indiquerai donc simplement – nous aurons l’occasion d’y revenir lors des explications de vote… – que nous sommes très favorables à la reconnaissance d’un régime juridique protecteur des couples homosexuels, mais que nous n’acceptons pas l’idée de filiation qui est contenue dans le texte de la commission.
    L’union civile que nous présentons est célébrée en mairie ; elle organise la vie du couple homosexuel et comporte toutes les garanties patrimoniales, mais exclut la filiation.
    Pour nous, en effet, l’intérêt supérieur de l’enfant suppose d’abord de respecter ses origines, que précisément l’adoption plénière prévue par le texte de la commission aurait pour effet de faire disparaître, de « gommer », en quelque sorte, ce qui nuirait à sa construction d’homme ou de femme susceptible de transmettre à son tour la vie qu’il ou elle a reçue.
    C’est la position que nous défendrons lors de la discussion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    Mme la présidente. L’amendement n° 192 rectifié, présenté par M. Revet, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    Le titre XIII du livre Ier du code civil est complété par un chapitre ainsi rédigé :
    « Chapitre ...
    « Du concubinat
    « Art. 515-8-1. – Le concubinat est l’accord de volonté par lequel deux personnes physiques majeures de même sexe ou de sexe différent soumettent leur union à un corps de règles légales ci-dessous développées.
    « Art. 515-8-2. – Les prohibitions édictées en droit du mariage aux articles 161 à 163 sont applicables au concubinat.
    « Les majeurs sous tutelle ne peuvent contracter un concubinat qu’avec l’accord du juge des tutelles et pendant un intervalle lucide.
    « En cas de curatelle, le concubinat ne peut être célébré qu’avec l’accord du curateur.
    « Art. 515-8-3. – Les concubins se doivent mutuellement fidélité, respect, secours et assistance.
    « Les concubins s’engagent mutuellement à une vie commune.
    « Art. 515-8-4. – Le concubinage règle la contribution aux charges de la vie commune. À défaut, les concubins y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
    « Art. 515-8-5. – L’un des concubins peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le concubinage lui confère. Ce mandat peut être librement révoqué à tout moment.
    « Art. 515-8-6. – Les concubins sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante.
    « Toutefois, cette solidarité n’a pas lieu pour les dépenses manifestement excessives.
    « La solidarité n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des concubins, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
    « Art. 515-8-7. – L’officier d’état civil compétent pour célébrer le concubinage est celui du lieu de la résidence commune des concubins ou de la résidence de l’un d’eux.
    « L’officier d’état civil, après avoir vérifié que les conditions requises à l’article 515-8-2 sont bien réunies, fixe une date de célébration du concubinat.
    « Vingt jours avant la célébration, les concubins doivent remettre, à la mairie du lieu de la résidence commune ou de la résidence de l’un des concubins, la copie intégrale de leur acte de naissance datant de moins de trois mois.
    « La célébration fait l’objet d’une publicité en mairie pendant les dix jours qui précèdent la cérémonie.
    « Au cours de la célébration de l’union, l’officier d’état civil rappelle aux concubins quelles sont leurs obligations réciproques, puis les déclare unis devant la loi en présence d’un ou de deux témoins par concubin.
    « Le régime du concubinat s’applique entre concubins dès le consentement de ceux-ci devant l’officier d’état civil. Les conséquences patrimoniales du concubinat peuvent être précisées par acte notarié établi avant la célébration.
    « Un certificat de concubinat est délivré aux concubins par le maire à l’issue de la cérémonie.
    « L’officier d’état civil porte mention de l’acte en marge de l’acte de naissance des concubins.
    « À compter de la mention du concubinat en marge de l’acte de naissance des concubins, celle-ci a date certaine et est opposable aux tiers.
    « L’officier de l’état civil peut déléguer à un adjoint ou conseiller municipal de la commune la célébration du concubinat et à un fonctionnaire l’accomplissement des formalités et publicité. Lorsque les concubins, dont l’un au moins est de nationalité française, résident à l’étranger, l’officier de l’état civil peut déléguer cette mission à l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente. L’autorité diplomatique ou consulaire peut déléguer la mission à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil. Le délégataire accomplit les formalités prévues au présent article.
    « Les dispositions d’ordre patrimonial du concubinat peuvent être modifiées, en cours d’exécution, par le consentement mutuel des concubins par acte notarié.
    « À l’étranger, les concubins dont l’un au moins est de nationalité française peuvent compléter ou modifier les conséquences patrimoniales du concubinat par un acte enregistré auprès des agents diplomatiques et consulaires français.
    « Art. 515-8-8. – Les meubles acquis par les concubins sont des biens communs à compter du jour de la célébration.
    « Tous les autres biens demeurent la propriété personnelle de chaque concubin, sauf convention contraire. Demeurent toutefois nécessairement la propriété exclusive de chacun les biens ou portion de biens reçus par succession ou acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession.
    « Art. 515-8-9. – Les concubins sont assimilés à des concubins unis par le mariage pour la détermination de leurs droits successoraux et des libéralités qu’ils peuvent consentir.
    « Art. 515-8-10. – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au pacte civil de solidarité sont étendus au concubinat.
    « Art. 515-8-11. – Le concubinat prend fin par :
    « 1° Le décès de l’un des concubins. Le survivant ou tout intéressé adresse copie de l’acte de décès à la mairie qui a reçu l’acte initial ;
    « 2° Sa dissolution est prononcée par le juge à la demande de l’un des concubins ou des deux. Le juge prononce la dissolution du concubinat et statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi. Le juge rétablit, le cas échéant, l’équilibre des conditions de vie qui existe entre concubins au moment de la dissolution de l’union par l’attribution d’une compensation pécuniaire.
    « La date de fin du concubinat est mentionnée en marge de l’acte de naissance des parties à l’acte. ».
    « Art.515-8-12. – À compter de la parution au journal officiel des dispositions inscrites dans les précédents articles, le terme de concubinat se substitue au terme du pacte civil de solidarité.
    « Art. 515-8-13. - Les engagements prévus dans le cadre du pacte civil de solidarité avant l’application des présentes dispositions restent en vigueur dès lors que les intéressés n’ont pas apporté de modifications juridiques à leur situation de couple.
    La parole est à M. Charles Revet.
    M. Charles Revet. Le projet de loi qui nous est soumis vise à autoriser le « mariage » aux personnes de même sexe dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. Cette proposition crée une division profonde à l’intérieur de notre pays, bien au-delà des philosophies politiques des uns et des autres. La très large mobilisation qu’elle a suscitée et qui se poursuit en est l’illustration.
    Lors des auditions, il nous a été dit que le mot « mariage » était un terme identifiant. La notion de mariage remonte très loin dans le temps, bien au-delà de la civilisation judéo-chrétienne. La définition que l’on retrouve chaque fois dans le dictionnaire, sur internet, dans les conventions, notamment la Convention européenne, est la suivante : un homme, une femme dont l’union permet la procréation. L’évidence, nul ne peut le contester, c’est que deux personnes de même sexe ne peuvent à elles seules avoir un enfant.
    Un autre aspect, peut-être plus préoccupant encore, c’est que le mariage de personnes de même sexe ouvrirait sur la filiation et tout ce qui en découle ; c’est probablement ce qui soulève le plus d’interrogations et d’inquiétudes. Lors des auditions notamment de magistrats, d’avocats et de notaires auxquelles nous avons procédé, nous avons pu appréhender les répercussions qu’il faudrait en attendre et dont, nous ont dit ces professionnels, nous n’avions pas pris la pleine mesure.
    Les demandes répétées lors des manifestations par les partenaires de couples de même sexe souhaitant vivre ensemble étaient la reconnaissance de leur différence et, au titre de l’égalité, le bénéfice des dispositions existantes dans le cadre du mariage, en termes de fiscalité, de succession, de responsabilité, entre autres choses. Il apparaît donc qu’il faut être vigilant et d’une grande prudence avant de décider du « mariage pour tous ».
    En revanche, il semble nécessaire de donner une réponse aux demandes exprimées par les personnes de même sexe décidant d’une vie commune. Des réponses peuvent être apportées sans pour autant remettre en cause les valeurs et les dispositions qui sont les fondements de notre société.
    Le PACS a été une avancée, mais les dispositions afférentes sont aujourd’hui considérées comme insuffisantes pour répondre aux attentes. Il est probablement nécessaire de définir une terminologie plus symbolique : tel est le sens de cet amendement.
    M. le Président de la République a déclaré, il y a quelques jours, qu’il excluait que l’on traite des questions de PMA et de GPA pendant la durée de son mandat. Or, et vous le savez très bien, madame le garde des sceaux, il suffit d’une saisine notamment de la Cour européenne des droits de l’homme pour que celles-ci soient imposées à la France !
    Mme Michèle André. Mais non !
    M. Roger Karoutchi. On verra cela lundi…
    M. Gérard Larcher. Oui, lundi !
    M. Charles Revet. Vous ne pouvez affirmer le contraire. C’est ce qui se passera, tous les juristes le disent ! Par conséquent, si le mariage pour tous devait être inscrit dans notre droit, c’est bien ce que nous rejetons et, avec nous, une majorité de Français…
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Si on veut !...
    M. David Assouline. C’est la méthode Coué !
    M. Charles Revet. … qui finalement deviendrait la loi française !
    Mme la présidente. L’amendement n° 22 rectifié ter, présenté par M. Gélard et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, MM. Darniche et Husson, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    À la première phrase du premier alinéa de l’article 515-7 du code civil, après les mots : « le mariage », sont insérés les mots : « ou l’union civile ».
    La parole est à M. Patrice Gélard.
    M. Patrice Gélard. Il s’agit d’un amendement de coordination. La conclusion d’une union civile, comme celle d’un mariage, emporte la dissolution du PACS.
    M. David Assouline. Vous voyez qu’on peut aller vite !
    Mme la présidente. Mes chers collègues, les cinq premiers amendements faisant l’objet de la discussion commune ont été présentés ; nous avons donc respecté les décisions de la conférence des présidents. Vous pourrez dès lundi entendre l’avis du rapporteur de la commission des lois, même si nous ne doutions pas un seul instant de la qualité des réponses qu’aurait pu vous apporter le président de la commission des lois. (Sourires.)
    La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite) (début)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Discussion générale
    6
    ORDRE DU JOUR

    Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au lundi 8 avril 2013, à quatorze heures trente et le soir :
    Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013) ;
    Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 437, tomes I et II, 2012 2013) ;
    Texte de la commission (n° 438, 2012-2013) ;
    Avis de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 435, 2012-2013).
    Personne ne demande la parole ?…
    La séance est levée.
    (La séance est levée le samedi 6 avril 2013, à zéro heure dix.)

  • Séance du 8 avril 2013

    15 janvier 2018

    PRÉSIDENCE DE M. JEAN-PIERRE BEL

    Secrétaires :
    M. Jean Boyer,
    Mme Marie-Noëlle Lienemann.
    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq.)
    1
    PROCÈS-VERBAL

    M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
    Il n’y a pas d’observation ?…
    Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
    2
    RAPPELS AU RÈGLEMENT

    M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour un rappel au règlement.
    M. David Assouline. Monsieur le président, ce rappel au règlement se fonde sur l’article 29 ter du règlement du Sénat.
    Nos débats, tout le monde en convient, sont de bonne tenue, mais je tiens à dire solennellement que nous ne pourrons les poursuivre librement, dans le climat dépassant toutes les bornes qui est entretenu à l’extérieur de cet hémicycle, si nous ne dénonçons pas avec force la pression absolument inadmissible qui s’exerce sur la représentation nationale.
    Comme vous le savez tous, le matin du jour où nous avons entamé l’examen du présent texte, une manifestation s’est déroulée devant le domicile privé de Mme Jouanno. Vendredi soir, pendant que nous débattions, un local du parti socialiste a été saccagé près d’ici. Ce week-end, les choses se sont accélérées : dans la nuit de samedi à dimanche, les locaux où l’Inter-LGBT organise le « printemps des assoces » ont également été saccagés par des personnes qui ont filmé leurs actes.
    Chaque fois, les slogans, les mots d’ordre étaient ceux de la manifestation contre le mariage pour tous. Ils ont été relayés par certains dans cet hémicycle. Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale est empêché de prendre la parole lors de ses déplacements ; ce fut le cas notamment à Saint-Etienne.
    Les menaces se multiplient, nous sommes inondés de messages agressifs, allant bien au-delà de la simple sollicitation des parlementaires pour qu’ils ne votent pas tel ou tel texte…
    M. Roland Courteau. C’est inadmissible !
    M. David Assouline. « Crève ! », ai-je ainsi pu lire sur ma page Facebook. Ce message provenait d’opposants tout à fait identifiés au mariage des homosexuels.
    Le groupe socialiste appelle les responsables des partis républicains siégeant dans les assemblées à prononcer des paroles fortes pour condamner ces actes. Prenons garde à ne pas délégitimer le Parlement : au cours des débats, notamment lors de la discussion de la motion référendaire,…
    M. Christian Cambon. Parlons-en, du référendum !
    M. David Assouline. … il a été dit qu’il n’est pas légitime que ce soit le Parlement qui décide sur cette question. En entendant de tels propos, certains, à l’extérieur de notre hémicycle, peuvent se sentir autorisés à sortir du cadre légal. Je demande à ceux qui sont opposés à ce projet de loi de condamner fermement et solennellement ces méthodes, ces pressions. Un sursaut est absolument nécessaire dans le contexte actuel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Si vous aviez organisé un véritable débat, nous n’en serions pas là !
    M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour un rappel au règlement.
    M. Dominique de Legge. Monsieur Assouline, nous sommes bien évidemment tous opposés aux pressions de tous ordres, à commencer par celles qui viseraient à contraindre notre liberté de vote et de conscience. Je pense pouvoir dire que démonstration a été faite qu’une telle liberté existe au sein du groupe UMP. Par conséquent, nous ne sommes pas concernés par les propos que vous venez de tenir.
    Un sénateur du groupe UMP. Tout à fait !
    M. Dominique de Legge. Lors de la discussion de la motion référendaire, qui a occupé presque toute la journée de vendredi,…
    M. Christian Cambon. Et la nuit !
    M. Dominique de Legge. … il nous a été expliqué, notamment par vous, qu’organiser un référendum sur l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe serait contraire à la Constitution, car il s’agit d’un problème sociétal.
    Or un revirement complet est survenu pendant le week-end : un grand spécialiste de la morale publique et politique, à savoir M. Harlem Désir, demande maintenant un référendum sur la moralisation de la vie politique. Apparemment, ce qui était vrai vendredi ne l’est donc plus aujourd’hui… J’aimerais que l’on nous explique pourquoi ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. Acte est donné de ces rappels au règlement.
    3
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite) (interruption de la discussion)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Articles additionnels avant l’article 1er
    OUVERTURE DU MARIAGE AUX COUPLES DE PERSONNES DE MÊME SEXE

    Suite de la discussion d’un projet de loi dans le texte de la commission
    M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (projet n° 349, texte de la commission n° 438, rapport n° 437, avis n° 435).
    Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen, au sein du chapitre Ier, des amendements tendant à insérer des articles additionnels avant l’article 1er.
    CHAPITRE IER (SUITE)
    DISPOSITIONS RELATIVES AU MARIAGE
    Discussion générale
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Rappel au règlement
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite)
    M. le président. Nous en sommes parvenus aux avis de la commission et du Gouvernement sur les amendements nos 4 rectifié bis, 6, 169 rectifié ter, 192 rectifié et 22 rectifié ter, faisant l’objet d’une discussion commune.
    Ces amendements ont déjà été présentés ; pour la clarté des débats, j’en rappelle cependant les termes :
    L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Gélard, Hyest et Buffet, Mme Troendle, MM. Bas, Portelli et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et M. Husson, est ainsi libellé :
    A – Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    I. – Le code civil est ainsi modifié :
    1° L’intitulé du titre XIII du livre Ier est ainsi rédigé :
    « TITRE XIII
    « DU PACTE CIVIL DE SOLIDARITÉ, DU CONCUBINAGE ET DE L’UNION CIVILE » ;
    2° Le même titre XIII est complété par un chapitre ainsi rédigé :
    « Chapitre …
    « De l’union civile
    « Section 1
    « Des qualités et conditions requises pour pouvoir contracter une union civile
    « Art. 515-8-1. – L’union civile est contractée par deux personnes majeures de même sexe.
    « Art. 515-8-2. – Néanmoins, il est loisible au procureur de la République du lieu de célébration de l’union civile d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves.
    « Art. 515-8-3. – Il n’y a pas d’union civile lorsqu’il n’y a point de consentement.
    « Art. 515-8-4. – L’union civile d’un Français, même contracté à l’étranger, requiert sa présence.
    « Art. 515-8-5. – On ne peut contracter une seconde union civile avant la dissolution de la première.
    « Art. 515-8-6. – Les mineurs ne peuvent contracter une union civile sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement.
    « Art. 515-8-7. – Si l’un des deux est mort ou s’il est dans l’impossibilité de manifester sa volonté, le consentement de l’autre suffit.
    « Il n’est pas nécessaire de produire l’acte de décès du père ou de la mère de l’un des futurs conjoints lorsque le conjoint ou les père et mère du défunt attestent ce décès sous serment.
    « Si la résidence actuelle du père ou de la mère est inconnue, et s’il n’a pas donné de ses nouvelles depuis un an, il pourra être procédé à la célébration de l’union civile si l’enfant et celui de ses père et mère qui donnera son consentement en fait la déclaration sous serment.
    « Du tout, il sera fait mention sur l’acte de l’union civile.
    « Le faux serment prêté dans les cas prévus au présent article et aux articles suivants du présent chapitre sera puni des peines édictées par l’article 434-13 du code pénal.
    « Art. 515-8-8. – Si le père et la mère sont morts, ou s’ils sont dans l’impossibilité de manifester leur volonté, les aïeuls et aïeules les remplacent ; s’il y a dissentiment entre l’aïeul et l’aïeule de la même ligne, ou s’il y a dissentiment entre les deux lignes, ce partage emporte consentement.
    « Si la résidence actuelle des père et mère est inconnue et s’ils n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an, il pourra être procédé à la célébration de l’union civile si les aïeuls et aïeules ainsi que l’enfant lui-même en font la déclaration sous serment. Il en est de même si, un ou plusieurs aïeuls ou aïeules donnant leur consentement à l’union civile, la résidence actuelle des autres aïeuls ou aïeules est inconnue et s’ils n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an.
    « Art. 515-8-9. – La production de l’expédition, réduite au dispositif, du jugement qui aurait déclaré l’absence ou aurait ordonné l’enquête sur l’absence des père et mère, aïeuls ou aïeules de l’un des futurs conjoints équivaudra à la production de leurs actes de décès dans les cas prévus aux articles 515-8-7, 515-8-8 et 515-8-14.
    « Art. 515-8-10. – Le dissentiment entre le père et la mère, entre l’aïeul et l’aïeule de la même ligne, ou entre aïeuls des deux lignes peut être constaté par un notaire, requis par le futur conjoint et instrumentant sans le concours d’un deuxième notaire ni de témoins, qui notifiera l’union projetée à celui ou à ceux des père, mère ou aïeuls dont le consentement n’est pas encore obtenu.
    « L’acte de notification énonce les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs conjoints, de leurs pères et mères, ou, le cas échéant, de leurs aïeuls, ainsi que le lieu où sera célébrée l’union civile.
    « Il contient aussi déclaration que cette notification est faite en vue d’obtenir le consentement non encore accordé et que, à défaut, il sera passé outre à la célébration de l’union civile.
    « Art. 515-8-11. – Le dissentiment des ascendants peut également être constaté soit par une lettre dont la signature est légalisée et qui est adressée à l’officier de l’état civil qui doit célébrer l’union civile, soit par un acte dressé dans la forme prévue par le deuxième alinéa de l’article 73.
    « Les actes énumérés au présent article et à l’article 515-8-10 sont visés pour timbre et enregistrés gratis.
    « Art. 515-8-12. – Les officiers de l’état civil qui auraient procédé à la célébration des unions civiles contractées par des fils ou filles n’ayant pas atteint l’âge de dix-huit ans accomplis sans que le consentement des pères et mères, celui des aïeuls ou aïeules et celui du conseil de famille, dans le cas où il est requis, soit énoncé dans l’acte de l’union civile, seront, à la diligence des parties intéressées ou du procureur de la République près le tribunal de grande instance de l’arrondissement où l’union civile aura été célébrée, condamnés à l’amende portée en l’article 515-8-51 du code civil.
    « Art. 515-8-13. – L’officier de l’état civil qui n’aura pas exigé la justification de la notification prescrite par l’article 515-8-10 sera condamné à l’amende prévue par l’article 515-8-12.
    « Art. 515-8-14. – S’il n’y a ni père, ni mère, ni aïeuls, ni aïeules, ou s’ils se trouvent tous dans l’impossibilité de manifester leur volonté, les mineurs de dix-huit ans ne peuvent contracter une union civile sans le consentement du conseil de famille.
    « Art. 515-8-15. – Si la résidence actuelle de ceux des ascendants du mineur de dix-huit ans dont le décès n’est pas établi est inconnue et si ces ascendants n’ont pas donné de leurs nouvelles depuis un an, le mineur en fera la déclaration sous serment devant le juge des tutelles de sa résidence, assisté de son greffier, dans son cabinet, et le juge des tutelles en donnera acte.
    « Le juge des tutelles notifiera ce serment au conseil de famille, qui statuera sur la demande d’autorisation à contracter une union civile. Toutefois, le mineur pourra prêter directement serment en présence des membres du conseil de famille.
    « Art. 515-8-16. – En ligne directe, l’union civile est prohibée entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne.
    « Art. 515-8-17. – En ligne collatérale, l’union civile est prohibée, entre deux frères ou deux sœurs.
    « Art. 515-8-18. – L’union civile est encore prohibée entre l’oncle et le neveu, la tante et la nièce.
    « Art. 515-8-19. – Néanmoins, il est loisible au Président de la République de lever, pour des causes graves, les prohibitions portées :
    « 1° par l’article 515-8-16 aux unions civiles entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée ;
    « 2° par l’article 515-8-18 aux unions civiles entre l’oncle et le neveu, la tante et la nièce.
    « Section 2
    « Des formalités relatives à la célébration de l’union civile
    « Art. 515-8-20. – L’union civile sera célébrée publiquement devant l’officier de l’état civil de la commune où l’un des époux aura son domicile ou sa résidence à la date de la publication prévue par l’article 63-1, et, en cas de dispense de publication, à la date de la dispense prévue à l’article 515-8-22.
    « Art. 515-8-21. – La publication ordonnée à l’article 63-1 sera faite à la mairie du lieu de célébration de l’union civile et à celle du lieu où chacun des futurs conjoints a son domicile ou, à défaut de domicile, sa résidence.
    « Art. 515-8-22. – Le procureur de la République dans l’arrondissement duquel sera célébrée l’union civile peut dispenser, pour des causes graves, de la publication et de tout délai ou de l’affichage de la publication seulement.
    « Art. 515-8-23. – Le Président de la République peut, pour des motifs graves, autoriser la célébration de l’union civile en cas de décès de l’un des futurs conjoints, dès lors qu’une réunion suffisante de faits établit sans équivoque son consentement.
    « Dans ce cas, les effets de l’union civile remontent à la date du jour précédant celui du décès du conjoint.
    « Toutefois, cette union civile n’entraîne aucun droit de succession ab intestat au profit du conjoint survivant et aucun régime matrimonial n’est réputé avoir existé entre les conjoints.
    « Section 3
    « De l’union civile des français à l’étranger
    « Art. 515-8-24. – L’union civile contractée en pays étranger entre Français, ou entre un Français et un étranger, est valable si elle a été célébrée dans les formes usitées dans le pays de célébration et pourvu que le ou les Français n’aient point contrevenu aux dispositions contenues à la section 1 du présent chapitre.
    « Il en est de même de l’union civile célébrée par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises, conformément aux lois françaises.
    « Toutefois, ces autorités ne peuvent procéder à la célébration d’une union civile entre un Français et un étranger que dans les pays qui sont désignés par décret.
    « Art. 515-8-25. – Lorsqu’elle est célébrée par une autorité étrangère, l’union civile d’un Français doit être précédée de la délivrance d’un certificat de capacité à contracter une union civile établi après l’accomplissement, auprès de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration du mariage, des prescriptions prévues à l’article 63-1.
    « Sous réserve des dispenses prévues à l’article 515-8-22, la publication prévue à l’article 63-1 est également faite auprès de l’officier de l’état civil ou de l’autorité diplomatique ou consulaire du lieu où le futur conjoint français a son domicile ou sa résidence.
    « Art. 515-8-26. – À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition des futurs conjoints prévue à l’article 63-1 est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France du ou des futurs conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente en cas de domicile ou de résidence à l’étranger.
    « Art. 515-8-27. – Lorsque des indices sérieux laissent présumer que l’union civile envisagée encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51, l’autorité diplomatique ou consulaire saisit sans délai le procureur de la République compétent et en informe les intéressés.
    « Le procureur de la République peut, dans le délai de deux mois à compter de la saisine, faire connaître par une décision motivée, à l’autorité diplomatique ou consulaire du lieu où la célébration de l’union civile est envisagée et aux intéressés, qu’il s’oppose à cette célébration.
    « La mainlevée de l’opposition peut être demandée, à tout moment, devant le tribunal de grande instance conformément aux dispositions des articles 515-8-39 et 515-8-40 par les futurs conjoints, même mineurs.
    « Art. 515-8-28. – Pour être opposable aux tiers en France, l’acte d’union civile d’un Français célébrée par une autorité étrangère doit être transcrit sur les registres de l’état civil français. En l’absence de transcription, l’union civile d’un Français, valablement célébrée par une autorité étrangère, produit ses effets civils en France à l’égard des conjoints.
    « Les futurs conjoints sont informés des règles prévues au premier alinéa à l’occasion de la délivrance du certificat de capacité à contracter une union civile.
    « La demande de transcription est faite auprès de l’autorité consulaire ou diplomatique compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile.
    « Art. 515-8-29. – Lorsque l’union civile a été célébrée malgré l’opposition du procureur de la République, l’officier de l’état civil consulaire ne peut transcrire l’acte d’union civile étranger sur les registres.
    « Art. 515-8-30. – Lorsque l’union civile a été célébrée en contravention aux dispositions de l’article 515-8-25, la transcription est précédée de l’audition des conjoints, ensemble ou séparément, par l’autorité diplomatique ou consulaire. Toutefois, si cette dernière dispose d’informations établissant que la validité de l’union civile n’est pas en cause au regard des articles 515-8-3 et 515-8-42, elle peut, par décision motivée, faire procéder à la transcription sans audition préalable des conjoints.
    « À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France des conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente si les conjoints ont leur domicile ou résidence à l’étranger. La réalisation de l’audition peut être déléguée à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents.
    « Lorsque des indices sérieux laissent présumer que l’union civile célébrée devant une autorité étrangère encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51, l’autorité diplomatique ou consulaire chargée de transcrire l’acte en informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription.
    « Le procureur de la République se prononce sur la transcription dans les six mois à compter de sa saisine.
    « S’il ne s’est pas prononcé à l’échéance de ce délai ou s’il s’oppose à la transcription, les conjoints peuvent saisir le tribunal de grande instance pour qu’il soit statué sur la transcription de l’union civile. Le tribunal de grande instance statue dans le mois. En cas d’appel, la cour statue dans le même délai.
    « Dans le cas où le procureur de la République demande, dans le délai de six mois, la nullité de l’union civile, il ordonne que la transcription soit limitée à la seule fin de saisine du juge. Jusqu’à la décision de celui-ci, une expédition de l’acte transcrit ne peut être délivrée qu’aux autorités judiciaires ou avec l’autorisation du procureur de la République.
    « Art. 515-8-31. – Lorsque les formalités prévues à l’article 515-8-25 ont été respectées et que l’union civile a été célébrée dans les formes usitées dans le pays, il est procédé à sa transcription sur les registres de l’état civil à moins que des éléments nouveaux fondés sur des indices sérieux laissent présumer que l’union civile encourt la nullité au titre des articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, 515-8-42 ou 515-8-51. Dans ce dernier cas, l’autorité diplomatique ou consulaire, après avoir procédé à l’audition des conjoints, ensemble ou séparément, informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription.
    « À la demande de l’autorité diplomatique ou consulaire compétente au regard du lieu de célébration de l’union civile, l’audition est réalisée par l’officier de l’état civil du lieu du domicile ou de résidence en France des conjoints, ou par l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente si les conjoints ont leur domicile ou résidence à l’étranger. La réalisation de l’audition peut être déléguée à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents.
    « Le procureur de la République dispose d’un délai de six mois à compter de sa saisine pour demander la nullité de l’union civile. Dans ce cas, les dispositions du dernier alinéa de l’article 515-8-30 sont applicables.
    « Si le procureur de la République ne s’est pas prononcé dans le délai de six mois, l’autorité diplomatique ou consulaire transcrit l’acte. La transcription ne fait pas obstacle à la possibilité de poursuivre ultérieurement l’annulation de l’union civile en application des articles 515-8-42 et 515-8-46.
    « Section 4
    « Des oppositions à l’union civile
    « Art. 515-8-32. – Le droit de former opposition à la célébration de l’union civile appartient à la personne engagée par mariage ou par une union civile avec l’une des deux parties contractantes.
    « Art. 515-8-33. – Le père, la mère, et, à défaut de père et de mère, les aïeuls et aïeules peuvent former opposition à l’union civile de leurs enfants et descendants, même majeurs.
    « Après mainlevée judiciaire d’une opposition à une union civile formée par un ascendant, aucune nouvelle opposition, formée par un ascendant, n’est recevable ni ne peut retarder la célébration.
    « Art. 515-8-34. – À défaut d’aucun ascendant, le frère ou la sœur, l’oncle ou la tante, le cousin ou la cousine germains, majeurs, ne peuvent former aucune opposition que dans les deux cas suivants :
    « 1° Lorsque le consentement du conseil de famille, requis par l’article 515-8-14, n’a pas été obtenu ;
    « 2° Lorsque l’opposition est fondée sur l’état de démence du futur conjoint ; cette opposition, dont le tribunal pourra prononcer mainlevée pure et simple, ne sera jamais reçue qu’à la charge, par l’opposant, de provoquer la tutelle des majeurs, et d’y faire statuer dans le délai qui sera fixé par le jugement.
    « Art. 515-8-35. – Dans les deux cas prévus par l’article 515-8-34, le tuteur ou curateur ne pourra, pendant la durée de la tutelle ou curatelle, former opposition qu’autant qu’il y aura été autorisé par un conseil de famille, qu’il pourra convoquer.
    « Art. 515-8-36. – Le ministère public peut former opposition pour les cas où il pourrait demander la nullité de l’union civile.
    « Art. 515-8-37. – Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer, le cas échéant au vu de l’audition prévue par l’article 63-1, que l’union civile envisagée est susceptible d’être annulée au titre de l’article 515-8-4 ou 515-8-42, l’officier de l’état civil peut saisir sans délai le procureur de la République. Il en informe les intéressés.
    « Le procureur de la République est tenu, dans les quinze jours de sa saisine, soit de laisser procéder à l’union civile, soit de faire opposition à celle-ci, soit de décider qu’il sera sursis à sa célébration, dans l’attente des résultats de l’enquête à laquelle il fait procéder. Il fait connaître sa décision motivée à l’officier de l’état civil, aux intéressés.
    « La durée du sursis décidé par le procureur de la République ne peut excéder un mois renouvelable une fois par décision spécialement motivée.
    « À l’expiration du sursis, le procureur de la République fait connaître par une décision motivée à l’officier de l’état civil s’il laisse procéder à l’union civile ou s’il s’oppose à sa célébration.
    « L’un ou l’autre des futurs conjoints, même mineur, peut contester la décision de sursis ou son renouvellement devant le président du tribunal de grande instance, qui statue dans les dix jours. La décision du président du tribunal de grande instance peut être déférée à la cour d’appel qui statue dans le même délai.
    « Art. 515-8-38. – Tout acte d’opposition énonce la qualité qui donne à l’opposant le droit de la former. Il contient également les motifs de l’opposition, reproduit le texte de loi sur lequel est fondée l’opposition et contient élection de domicile dans le lieu où l’union civile doit être célébrée. Toutefois, lorsque l’opposition est faite en application de l’article 515-8-27 le ministère public fait élection de domicile au siège de son tribunal.
    « Les prescriptions mentionnées au premier alinéa sont prévues à peine de nullité et de l’interdiction de l’officier ministériel qui a signé l’acte contenant l’opposition.
    « Après une année révolue, l’acte d’opposition cesse de produire effet. Il peut être renouvelé, sauf dans le cas visé par le deuxième alinéa de l’article 515-8-33.
    « Toutefois, lorsque l’opposition est faite par le ministère public, elle ne cesse de produire effet que sur décision judiciaire.
    « Art. 515-8-39. – Le tribunal de grande instance prononcera dans les dix jours sur la demande en mainlevée formée par les futurs conjoints, même mineurs.
    « Art. 515-8-40. – S’il y a appel, il sera statué dans les dix jours et, si le jugement dont est appel a donné mainlevée de l’opposition, la cour devra statuer même d’office.
    « Art. 515-8-41. – Si l’opposition est rejetée, les opposants, autres néanmoins que les ascendants, pourront être condamnés à des dommages-intérêts.
    « Les jugements et arrêts par défaut rejetant les oppositions à mariage ne sont pas susceptibles d’opposition.
    « Section 5
    « Des demandes en nullité d’union civile
    « Art. 515-8-42. – L’union civile qui a été contractée sans le consentement libre des deux conjoints, ou de l’un d’eux, ne peut être attaquée que par les conjoints, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public. L’exercice d’une contrainte sur les conjoints ou l’un d’eux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité d’union civile.
    « S’il y a eu erreur dans la personne, ou sur des qualités essentielles de la personne, l’autre époux peut demander la nullité de l’union civile.
    « Art. 515-8-43. – Dans le cas de l’article 515-8-42, la demande en nullité n’est plus recevable à l’issue d’un délai de cinq ans à compter de la célébration de l’union civile.
    « Art. 515-8-44. – L’union civile contractée sans le consentement des père et mère, des ascendants, ou du conseil de famille, dans les cas où ce consentement était nécessaire, ne peut être attaquée que par ceux dont le consentement était requis, ou par celui des deux conjoints qui avait besoin de ce consentement.
    « Art. 515-8-45. – L’action en nullité ne peut plus être intentée ni par les conjoints, ni par les parents dont le consentement était requis, toutes les fois que l’union civile a été approuvée expressément ou tacitement par ceux dont le consentement était nécessaire, ou lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de leur part, depuis qu’ils ont eu connaissance de l’union civile. Elle ne peut être intentée non plus par le conjoint, lorsqu’il s’est écoulé cinq années sans réclamation de sa part, depuis qu’il a atteint l’âge compétent pour consentir par lui-même à une union civile.
    « Art. 515-8-46. – Toute union civile contractée en contravention aux dispositions contenues aux articles 515-8-1, 515-8-3, 515-8-4, 515-8-5, 515-8-16, 515-8-17, 515-8-18, peut être attaquée, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, soit par les conjoints eux-mêmes, soit par tous ceux qui y ont intérêt, soit par le ministère public.
    « Art. 515-8-47. – Dans tous les cas où, conformément à l’article 515-8-46, l’action en nullité peut être intentée par tous ceux qui y ont un intérêt, elle peut l’être par les parents collatéraux, ou par les enfants nés d’un mariage précédent, du vivant des deux conjoints, mais seulement lorsqu’ils y ont un intérêt né et actuel.
    « Art. 515-8-48. – Le conjoint au préjudice duquel a été contractée une seconde union civile peut en demander la nullité, du vivant même de l’époux qui était engagé avec lui.
    « Art. 515-8-49. – Si les nouveaux conjoints opposent la nullité de la première union civile, la validité ou la nullité de cette union civile doit être jugée préalablement.
    « Art. 515-8-50. – Le procureur de la République, dans tous les cas auxquels s’applique l’article 515-8-46, peut et doit demander la nullité de l’union civile, du vivant des deux conjoints, et les faire condamner à se séparer.
    « Art. 515-8-51. – Toute union civile qui n’a point été contractée publiquement, et qui n’a point été célébrée devant l’officier public compétent, peut être attaquée, dans un délai de trente ans à compter de sa célébration, par les conjoints eux-mêmes, par les père et mère, par les ascendants et par tous ceux qui y ont un intérêt né et actuel, ainsi que par le ministère public.
    « Art. 515-8-52. – Si l’union civile n’a point été précédée de la publication requise ou s’il n’a pas été obtenu des dispenses permises par la loi, ou si les intervalles prescrits entre les publications et la célébration n’ont point été observés, le procureur de la République fera prononcer contre l’officier public une amende qui ne pourra excéder 4,5 euros et contre les parties contractantes, ou ceux sous la puissance desquels elles ont agi, une amende proportionnée à leur fortune.
    « Art. 515-8-53. – Les peines prononcées par l’article 515-8-52 seront encourues par les personnes qui y sont désignées, pour toute contravention aux règles prescrites par l’article 515-8-20, alors même que ces contraventions ne seraient pas jugées suffisantes pour faire prononcer la nullité de l’union civile.
    « Art. 515-8-54. – Nul ne peut réclamer le titre de conjoint et les effets civils de l’union civile, s’il ne représente un acte de célébration inscrit sur le registre de l’état civil ; sauf les cas prévus par l’article 46, au titre Des actes de l’état civil.
    « Art. 515-8-55. – La possession d’état ne pourra dispenser les prétendus conjoints qui l’invoqueront respectivement, de représenter l’acte de célébration de l’union civile devant l’officier de l’état civil.
    « Art. 515-8-56. – Lorsqu’il y a possession d’état, et que l’acte de célébration de l’union civile devant l’officier de l’état civil est représenté, les conjoints sont respectivement non recevables à demander la nullité de cet acte.
    « Art. 515-8-57. – Si néanmoins, dans le cas des articles 515-8-54 et 515-8-55, il existe des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier de deux individus qui ont vécu publiquement comme conjoints, et qui soient tous deux décédés, la légitimité de ces enfants adoptés ne peut être contestée sous le seul prétexte du défaut de représentation de l’acte de célébration, toutes les fois que cette légitimité est prouvée par une possession d’état qui n’est point contredite par l’acte de naissance.
    « Art. 515-8-58. – Lorsque la preuve d’une célébration légale de l’union civile se trouve acquise par le résultat d’une procédure criminelle, l’inscription du jugement sur les registres de l’état civil assure à l’union civile, à compter du jour de sa célébration, tous les effets civils, tant à l’égard des époux qu’à l’égard des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier.
    « Art. 515-8-59. – Si les conjoints ou l’un d’eux sont décédés sans avoir découvert la fraude, l’action criminelle peut être intentée par tous ceux qui ont intérêt de faire déclarer l’union civile valable, et par le procureur de la République.
    « Art. 515-8-60. – Si l’officier public est décédé lors de la découverte de la fraude, l’action sera dirigée au civil contre ses héritiers, par le procureur de la République, en présence des parties intéressées, et sur leur dénonciation.
    « Art. 515-8-61. – L’union civile qui a été déclarée nulle produit, néanmoins, ses effets à l’égard des conjoints, lorsqu’elle a été contractée de bonne foi.
    « Si la bonne foi n’existe que de la part de l’un des époux, le mariage ne produit ses effets qu’en faveur de cet époux.
    « Art. 515-8-62. – Elle produit aussi ses effets à l’égard des enfants adoptés selon les procédures du chapitre II du titre VIII du livre Ier, quand bien même aucun des conjoints n’aurait été de bonne foi.
    « Le juge statue sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale comme en matière de divorce.
    « Section 6
    « Des devoirs et des droits respectifs des conjoints
    « Art. 515-8-63. – Les conjoints se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.
    « Art. 515-8-64. – Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des conjoints aux charges de l’union civile, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
    « Si l’un des conjoints ne remplit pas ses obligations, il peut y être contraint par l’autre dans les formes prévues au code de procédure civile.
    « Art. 515-8-65. – Les conjoints s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
    « La résidence des conjoints est au lieu qu’ils choisissent d’un commun accord.
    « Les conjoints ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement, ni des meubles meublants dont il est garni. Celui des deux qui n’a pas donné son consentement à l’acte peut en demander l’annulation : l’action en nullité lui est ouverte dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous.
    « Art. 515-8-66. – Chaque conjoint a la pleine capacité de droit ; mais ses droits et pouvoirs peuvent être limités par l’effet du régime matrimonial et des dispositions du présent chapitre.
    « Art. 515-8-67. – Un conjoint peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le concours ou le consentement de son conjoint serait nécessaire, si celui-ci est hors d’état de manifester sa volonté ou si son refus n’est pas justifié par l’intérêt des conjoints.
    « L’acte passé dans les conditions fixées par l’autorisation de justice est opposable au conjoint dont le concours ou le consentement a fait défaut, sans qu’il en résulte à sa charge aucune obligation personnelle.
    « Art. 515-8-68. – Un conjoint peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le régime matrimonial lui attribue.
    « Il peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat.
    « Art. 515-8-69. – Si l’un des conjoints se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale, ou pour certains actes particuliers, dans l’exercice des pouvoirs résultant du régime matrimonial, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge.
    « À défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un conjoint en représentation de l’autre ont effet, à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires.
    « Art. 515-8-70. – Chacun des conjoints a pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.
    « La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du tiers contractant.
    « Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux conjoints, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
    « Art. 515-8-71. – Si l’un des conjoints manque gravement à ses devoirs et met ainsi en péril les intérêts de la famille, le juge aux affaires familiales peut prescrire toutes les mesures urgentes que requièrent ces intérêts.
    « Il peut notamment interdire à ce conjoint de faire, sans le consentement de l’autre, des actes de disposition sur ses propres biens ou sur ceux de la communauté, meubles ou immeubles. Il peut aussi interdire le déplacement des meubles, sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des conjoints.
    « La durée des mesures prises en application du présent article doit être déterminée par le juge et ne saurait, prolongation éventuellement comprise, dépasser trois ans.
    « Art. 515-8-72. – Si l’ordonnance porte interdiction de faire des actes de disposition sur des biens dont l’aliénation est sujette à publicité, elle doit être publiée à la diligence du conjoint requérant.
    « Cette publication cesse de produire effet à l’expiration de la période déterminée par l’ordonnance, sauf à la partie intéressée à obtenir dans l’intervalle une ordonnance modificative, qui sera publiée de la même manière.
    « Si l’ordonnance porte interdiction de disposer des meubles corporels, ou de les déplacer, elle est signifiée par le requérant à son conjoint, et a pour effet de rendre celui-ci gardien responsable des meubles dans les mêmes conditions qu’un saisi. Signifiée à un tiers, elle le constitue de mauvaise foi.
    « Art. 515-8-73. – Sont annulables, à la demande du conjoint requérant, tous les actes accomplis en violation de l’ordonnance, s’ils ont été passés avec un tiers de mauvaise foi, ou même s’agissant d’un bien dont l’aliénation est sujette à publicité, s’ils sont simplement postérieurs à la publication prévue par l’article 515-8-72.
    « L’action en nullité est ouverte à l’époux requérant pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée, si cet acte est sujet à publicité, plus de deux ans après sa publication.
    « Art. 515-8-74. – Chacun des conjoints peut se faire ouvrir, sans le consentement de l’autre, tout compte de dépôt et tout compte de titres en son nom personnel.
    « À l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la rupture de l’union civile, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt.
    « Art. 515-8-75. – Si l’un des conjoints se présente seul pour faire un acte d’administration, de jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte.
    « Cette disposition n’est pas applicable aux meubles meublants visés au troisième alinéa de l’article 515-8-65, non plus qu’aux meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint conformément à l’article 1404.
    « Art. 515-8-76. – Chaque conjoint peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des charges de l’union civile.
    « Art. 515-8-77. – Chacun des conjoints administre, oblige et aliène seul ses biens personnels.
    « Art. 515-8-78. – Les dispositions de la présente section, en tous les points où elles ne réservent pas l’application des conventions matrimoniales, sont applicables, par le seul effet de l’union civile, quel que soit le régime matrimonial des époux.
    « Section 7
    « De la dissolution de l’union civile
    « Art. 515-8-79. – L’union civile se dissout :
    « 1° Par la mort de l’un des conjoints ;
    « 2° Par la rupture légalement prononcée ;
    « 3° Par le mariage de l’un des conjoints. » ;
    3° L’intitulé du titre V du livre III est ainsi rédigé :
    « Du contrat de mariage et d’union civile et des régimes matrimoniaux » ;
    4° Après le c de l’article 34, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
    « c bis) des conjoints dans les actes d’union civile ; »
    5° À l’article 46, après le mot : « mariages, », sont insérés les mots : « unions civiles, » ;
    6° Après l’article 63, il est inséré un article 63-1 ainsi rédigé :
    « Art. 63-1. – Avant la célébration de l’union civile, l’officier de l’état civil fera une publication par voie d’affiche apposée à la porte de la maison commune. Cette publication énoncera les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs conjoints, ainsi que le lieu où l’union civile devra être célébrée.
    « La publication prévue au premier alinéa ou, en cas de dispense de publication accordée conformément aux dispositions de l’article 515-8-22, la célébration de l’union civile est subordonnée :
    « 1° À la remise, pour chacun des futurs conjoints, des indications ou pièces suivantes :
    « - La copie intégrale de l’acte de naissance remise par chacun des futurs conjoints à l’officier de l’état civil qui doit célébrer leur union civile ne doit pas dater de plus de trois mois si elle a été délivrée en France et de plus de six mois si elle a été délivrée dans un consulat.
    « - Celui des futurs conjoints qui serait dans l’impossibilité de se procurer cet acte pourra le suppléer en rapportant un acte de notoriété délivré par un notaire ou, à l’étranger, par les autorités diplomatiques ou consulaires françaises compétentes. L’acte de notoriété est établi sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et de tout autre document produit qui attestent des prénoms, nom, profession et domicile du futur époux et de ceux de ses père et mère s’ils sont connus, du lieu et, autant que possible, de l’époque de la naissance et des causes qui empêchent de produire l’acte de naissance. L’acte de notoriété est signé par le notaire ou l’autorité diplomatique ou consulaire et par les témoins.
    « - la justification de l’identité au moyen d’une pièce délivrée par une autorité publique ;
    « - l’indication des prénoms, nom, date et lieu de naissance, profession et domicile des témoins, sauf lorsque l’union civile doit être célébrée par une autorité étrangère ;
    « 2° À l’audition commune des futurs conjoints, sauf en cas d’impossibilité ou s’il apparaît, au vu des pièces fournies, que cette audition n’est pas nécessaire au regard des articles 515-8-3 et 515-8-42.
    « L’officier de l’état civil, s’il l’estime nécessaire, demande à s’entretenir séparément avec l’un ou l’autre des futurs conjoints.
    « L’audition du futur conjoint mineur se fait hors la présence de ses père et mère ou de son représentant légal et de son futur conjoint.
    « L’officier de l’état civil peut déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires du service de l’état civil de la commune la réalisation de l’audition commune ou des entretiens séparés. Lorsque l’un des futurs conjoints réside à l’étranger, l’officier de l’état civil peut demander à l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente de procéder à son audition.
    « L’autorité diplomatique ou consulaire peut déléguer à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil ou, le cas échéant, aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents la réalisation de l’audition commune ou des entretiens séparés. Lorsque l’un des futurs conjoints réside dans un pays autre que celui de la célébration, l’autorité diplomatique ou consulaire peut demander à l’officier de l’état civil territorialement compétent de procéder à son audition.
    « L’officier d’état civil qui ne se conformera pas aux prescriptions des alinéas précédents sera poursuivi devant le tribunal de grande instance et puni d’une amende de 3 à 30 euros. »
    II. – Les dispositions du titre V du livre III du code civil s’appliquent aux personnes ayant contracté une union civile telle que le 1° du I du présent article le prévoit.
    B – En conséquence, chapitre Ier, intitulé
    Remplacer les mots :
    au mariage
    par les mots :
    à l’union civile
    L’amendement n° 6, présenté par MM. Cointat et Frassa, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    I. – Le titre XIII du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
    A. – L’intitulé de ce titre est ainsi rédigé :
    « TITRE XIII – DE L’UNION CIVILE, DU PACTE CIVIL DE SOLIDARITE
    ET DU CONCUBINAGE »
    B – Avant le chapitre Ier, il est inséré un chapitre Ier A ainsi rédigé :
    « Chapitre Ier A
    « De l’union civile
    « Art. 515-1 A – Deux personnes physiques majeures célibataires peuvent s’allier en concluant un contrat d’union civile.
    « Art. 515-1 B – Les alliés se doivent mutuellement fidélité, respect, secours et assistance.
    « Ils s’obligent également à une communauté de vie.
    « Art. 515-1 C – Le contrat d’union civile est conclu devant l’officier de l’état civil compétent pour la célébration d’un mariage.
    « L’officier de l’état civil demande aux intéressés s’ils entendent conclure un contrat d’union civile. Il leur lit un résumé des droits et obligations des alliés, établi par le décret prévu à l’article 515-1 J et leur fait signer le contrat.
    « Art. 515-1 D – Le contrat, ses modifications et la déclaration de dissolution du contrat doivent être déposés au greffe du tribunal de grande instance dans le ressort duquel les alliés fixent leur résidence commune.
    « Art. 515-1 E – I. – Sont applicables au contrat d’union civile les dispositions relatives :
    « – aux conflits de loi ;
    « – aux qualités et conditions pour contracter mariage ;
    « – à la résidence commune et aux droits par lesquels est assuré le logement commun des alliés et des meubles meublants dont il est garni au nom de famille des conjoints ;
    « – à la contribution aux charges du mariage ;
    « – à la représentation des époux dans les actes de la vie civile notamment en matière de mandat, en cas d’empêchement de manifestation de la volonté et dans les cas où l’un des conjoints met en péril les intérêts du couple ;
    « – à la capacité des époux en matière d’exercice d’une profession, de perception et dispositions des gains et salaires, d’administration, de disposition et d’aliénation des biens personnels des époux ;
    « – aux régimes matrimoniaux ;
    « – aux successions et aux libéralités entre époux.
    « II. – Pour l’application du I, sont substitués :
    « – les alliés aux conjoints, époux et épouse ou mari et femme ;
    « – la signature du contrat à la célébration du mariage ;
    « – le régime patrimonial de l’union aux régimes matrimoniaux.
    « Art. 515-1 F – L’union civile prend fin par :
    « 1° le décès de l’un des alliés ;
    « 2° la dissolution de l’union résultant d’une déclaration conjointe des alliés ou d’une déclaration unilatérale de l’un d’entre eux faite à la mairie du lieu d’enregistrement du contrat. L’allié qui décide de mettre fin au contrat le fait signifier préalablement à l’autre.
    « La dissolution du contrat d’union civile prend effet, dans les rapports entre les alliés, à la date de la déclaration.
    « Elle est opposable aux tiers à partir du jour où les formalités de publicité ont été accomplies.
    « Aucun allié ne peut contracter mariage, ni un nouveau contrat d’union civile ni un pacte civil de solidarité sans qu’il soit préalablement mis fin au contrat d’union civile.
    « Art. 515-1 G – En cas de cessation du contrat, un notaire choisi d’un commun accord par les alliés ou, à défaut, par le juge aux affaires familiales, établit l’acte de liquidation et procède aux publicités de dissolution.
    « À défaut d’accord, le juge aux affaires familiales statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi.
    « Art. 515-1 H – Mention de la signature du contrat, des modifications qui lui sont apportées en matière patrimoniale et de sa dissolution est portée en marge des actes de naissance des alliés.
    « Art. 515-1 I – À l’étranger, les fonctions confiées par le présent article à l’officier d’état civil ou au notaire sont assurées par les agents diplomatiques et consulaires français.
    « Art. 515-1 J – Un décret en Conseil d’État détermine, en tant que de besoin, les modalités d’application du présent chapitre. »
    C – La première phrase du premier alinéa de l’article 515-7 du même code est ainsi rédigée :
    « Le pacte civil de solidarité se dissout par la mort de l’un des partenaires, la conclusion d’un contrat d’union civile ou par le mariage des partenaires ou de l’un d’eux. »
    II. – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au mariage sont étendus à l’union civile.
    Pour l’ouverture, la liquidation et le calcul des droits à pensions de retraite, les alliés d’un contrat d’union civile sont assimilés à des conjoints. Il en est de même en matière de pension civile et militaire de retraite.
    III. – Le chapitre unique du titre Ier du livre Ier du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un article L. 111-12 ainsi rédigé :
    « Art. L. 111-12 – Pour l’application du présent code, les étrangers alliés à un Français par un contrat d’union civile sont assimilés à des conjoints. »
    IV. – La perte de recettes résultant pour l’État des I, II et III ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
    L’amendement n° 169 rectifié ter, présenté par MM. Zocchetto et Détraigne, Mme Gourault, MM. Mercier, Amoudry et Arthuis, Mme Morin-Desailly, MM. Pozzo di Borgo, Vanlerenberghe, Delahaye, Marseille, Bockel, J. Boyer et Dubois, Mme Férat, MM. Roche, J. L. Dupont, Capo-Canellas, Namy, Jarlier, Maurey, Guerriau, Merceron et Tandonnet, Mme Létard et M. de Montesquiou, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    Le titre XIII du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
    1° L’intitulé est ainsi rédigé :
    « Du pacte civil de solidarité, du concubinage et de l’union civile » ;
    2° Il est ajouté un chapitre ainsi rédigé :
    « Chapitre …
    « De l’union civile
    « Art. 515-8-... – L’union civile est l’engagement par lequel deux personnes physiques majeures expriment leur consentement libre et éclairé à faire vie commune et à se soumettre aux droits et obligations liées à cet état.
    « Art. 515-8-... – Les prohibitions édictées aux articles 161 à 163 sont applicables à l’union civile.
    « Les majeurs sous tutelle ne peuvent contracter une union civile qu’avec l’accord du juge des tutelles.
    « En cas de curatelle, l’union civile ne peut être célébrée qu’avec l’accord du curateur.
    « Art. 515-8-... – L’union civile est célébrée publiquement devant l’officier de l’état civil du lieu de résidence commune des partenaires ou de la résidence de l’un d’eux.
    « Avant la célébration de l’union civile, l’officier de l’état civil fait une publication par voie d’affiche à la mairie du lieu de la célébration. Cette publication énonce les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des partenaires.
    « Les officiers de l’état civil tiennent des registres d’état civil. Ils font figurer la mention de l’union civile en marge de l’acte de naissance des partenaires de l’union civile.
    « Le régime de l’union civile s’applique entre les partenaires dès le consentement de ceux-ci devant l’officier de l’état civil. Les conséquences patrimoniales de l’union civile peuvent être précisées par acte notarié établi avant la célébration.
    « Un certificat d’union civile est délivré aux partenaires par le maire à l’issue de la cérémonie.
    « L’officier de l’état civil porte mention de l’acte en marge de l’acte de naissance des partenaires.
    « L’officier de l’état civil peut déléguer à un adjoint ou à un conseiller municipal de la commune la célébration de l’union et à un fonctionnaire l’accomplissement des formalités et publicité.
    « Les dispositions d’ordre patrimonial de l’union civile peuvent être modifiées, en cours d’exécution, par le consentement mutuel des partenaires par acte notarié.
    « Art. 515-8-... – Les partenaires ont, en union civile, les mêmes droits et les mêmes obligations.
    « Ils se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.
    « Ils s’obligent mutuellement à une communauté de vie.
    « Art. 515-8-... – L’union civile a, en ce qui concerne la contribution aux charges, les mêmes effets que le mariage.
    « Art. 515-8-... – L’un des deux partenaires peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que l’union civile lui confère. Il peut, dans tous les cas, révoquer librement ce mandat.
    « Art. 515-8-... – Toute dette contractée par l’un des partenaires oblige l’autre solidairement.
    « La solidarité n’a pas lieu, néanmoins, pour des dépenses manifestement excessives, eu égard au train de vie du ménage, à l’utilité ou à l’inutilité de l’opération, à la bonne ou mauvaise foi du contractant.
    « Elle n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des deux partenaires, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
    « Art. 515-8-... – Le régime des biens de l’union civile est celui de la communauté réduite aux acquêts à moins d’en avoir disposé autrement par acte authentique. Les meubles acquis par les partenaires sont des biens communs à compter du jour de la célébration.
    « Tous les autres biens demeurent la propriété personnelle de chaque partenaire, sauf convention contraire. Demeurent toutefois nécessairement la propriété exclusive de chacun les biens ou portions de biens reçus par succession ou acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession.
    « Art. 515-8-... – Les partenaires sont assimilés à des conjoints pour la détermination de leurs droits successoraux et des libéralités qu’ils peuvent se consentir.
    « Art. 515-8-... – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au pacte civil de solidarité sont étendus à l’union civile.
    « Art. 515-8-... – L’union civile se dissout par le décès de l’un des partenaires.
    « Elle se dissout également par un jugement du tribunal ou par une déclaration commune notariée lorsque la volonté de vie commune des partenaires est irrémédiablement atteinte.
    « Les partenaires peuvent consentir, dans une déclaration commune, à la dissolution de leur union.
    « À défaut d’une déclaration commune de dissolution reçue devant notaire, la dissolution doit être prononcée par le tribunal.
    « La rupture de l’union civile est inscrite sur un registre d’union civile, mention en est faite sur le registre de conclusion de l’union civile et en marge de l’acte de naissance des parties. »
    L’amendement n° 192 rectifié, présenté par M. Revet, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    Le titre XIII du livre Ier du code civil est complété par un chapitre ainsi rédigé :
    « Chapitre ...
    « Du concubinat
    « Art. 515-8-1. – Le concubinat est l’accord de volonté par lequel deux personnes physiques majeures de même sexe ou de sexe différent soumettent leur union à un corps de règles légales ci-dessous développées.
    « Art. 515-8-2. – Les prohibitions édictées en droit du mariage aux articles 161 à 163 sont applicables au concubinat.
    « Les majeurs sous tutelle ne peuvent contracter un concubinat qu’avec l’accord du juge des tutelles et pendant un intervalle lucide.
    « En cas de curatelle, le concubinat ne peut être célébré qu’avec l’accord du curateur.
    « Art. 515-8-3. – Les concubins se doivent mutuellement fidélité, respect, secours et assistance.
    « Les concubins s’engagent mutuellement à une vie commune.
    « Art. 515-8-4. – Le concubinage règle la contribution aux charges de la vie commune. À défaut, les concubins y contribuent à proportion de leurs facultés respectives.
    « Art. 515-8-5. – L’un des concubins peut donner mandat à l’autre de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le concubinage lui confère. Ce mandat peut être librement révoqué à tout moment.
    « Art. 515-8-6. – Les concubins sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante.
    « Toutefois, cette solidarité n’a pas lieu pour les dépenses manifestement excessives.
    « La solidarité n’a pas lieu non plus, s’ils n’ont été conclus du consentement des concubins, pour les achats à tempérament ni pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante.
    « Art. 515-8-7. – L’officier d’état civil compétent pour célébrer le concubinage est celui du lieu de la résidence commune des concubins ou de la résidence de l’un d’eux.
    « L’officier d’état civil, après avoir vérifié que les conditions requises à l’article 515-8-2 sont bien réunies, fixe une date de célébration du concubinat.
    « Vingt jours avant la célébration, les concubins doivent remettre, à la mairie du lieu de la résidence commune ou de la résidence de l’un des concubins, la copie intégrale de leur acte de naissance datant de moins de trois mois.
    « La célébration fait l’objet d’une publicité en mairie pendant les dix jours qui précèdent la cérémonie.
    « Au cours de la célébration de l’union, l’officier d’état civil rappelle aux concubins quelles sont leurs obligations réciproques, puis les déclare unis devant la loi en présence d’un ou de deux témoins par concubin.
    « Le régime du concubinat s’applique entre concubins dès le consentement de ceux-ci devant l’officier d’état civil. Les conséquences patrimoniales du concubinat peuvent être précisées par acte notarié établi avant la célébration.
    « Un certificat de concubinat est délivré aux concubins par le maire à l’issue de la cérémonie.
    « L’officier d’état civil porte mention de l’acte en marge de l’acte de naissance des concubins.
    « À compter de la mention du concubinat en marge de l’acte de naissance des concubins, celle-ci a date certaine et est opposable aux tiers.
    « L’officier de l’état civil peut déléguer à un adjoint ou conseiller municipal de la commune la célébration du concubinat et à un fonctionnaire l’accomplissement des formalités et publicité. Lorsque les concubins, dont l’un au moins est de nationalité française, résident à l’étranger, l’officier de l’état civil peut déléguer cette mission à l’autorité diplomatique ou consulaire territorialement compétente. L’autorité diplomatique ou consulaire peut déléguer la mission à un ou plusieurs fonctionnaires titulaires chargés de l’état civil. Le délégataire accomplit les formalités prévues au présent article.
    « Les dispositions d’ordre patrimonial du concubinat peuvent être modifiées, en cours d’exécution, par le consentement mutuel des concubins par acte notarié.
    « À l’étranger, les concubins dont l’un au moins est de nationalité française peuvent compléter ou modifier les conséquences patrimoniales du concubinat par un acte enregistré auprès des agents diplomatiques et consulaires français.
    « Art. 515-8-8. – Les meubles acquis par les concubins sont des biens communs à compter du jour de la célébration.
    « Tous les autres biens demeurent la propriété personnelle de chaque concubin, sauf convention contraire. Demeurent toutefois nécessairement la propriété exclusive de chacun les biens ou portion de biens reçus par succession ou acquis au moyen de deniers reçus par donation ou succession.
    « Art. 515-8-9. – Les concubins sont assimilés à des concubins unis par le mariage pour la détermination de leurs droits successoraux et des libéralités qu’ils peuvent consentir.
    « Art. 515-8-10. – Les avantages sociaux et fiscaux attachés au pacte civil de solidarité sont étendus au concubinat.
    « Art. 515-8-11. – Le concubinat prend fin par :
    « 1° Le décès de l’un des concubins. Le survivant ou tout intéressé adresse copie de l’acte de décès à la mairie qui a reçu l’acte initial ;
    « 2° Sa dissolution est prononcée par le juge à la demande de l’un des concubins ou des deux. Le juge prononce la dissolution du concubinat et statue sur les conséquences patrimoniales de la rupture, sans préjudice de la réparation du dommage éventuellement subi. Le juge rétablit, le cas échéant, l’équilibre des conditions de vie qui existe entre concubins au moment de la dissolution de l’union par l’attribution d’une compensation pécuniaire.
    « La date de fin du concubinat est mentionnée en marge de l’acte de naissance des parties à l’acte. ».
    « Art.515-8-12. – À compter de la parution au journal officiel des dispositions inscrites dans les précédents articles, le terme de concubinat se substitue au terme du pacte civil de solidarité.
    « Art. 515-8-13. - Les engagements prévus dans le cadre du pacte civil de solidarité avant l’application des présentes dispositions restent en vigueur dès lors que les intéressés n’ont pas apporté de modifications juridiques à leur situation de couple.
    L’amendement n° 22 rectifié ter, présenté par M. Gélard et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    À la première phrase du premier alinéa de l’article 515-7 du code civil, après les mots : « le mariage », sont insérés les mots : « ou l’union civile ».
    Quel est l’avis de la commission sur ces cinq amendements ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Mes chers collègues, je regrette d’avoir dû quitter la séance vendredi soir avant son terme. J’avais demandé à M. le président de la commission des lois de me suppléer, ce qu’il est parfaitement en mesure de faire. Cela étant, j’ai été touché par vos réactions à mon absence : je ne pensais pas susciter une telle attente parmi vous ! (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)
    M. Dominique de Legge. Qu’un seul être vous manque…
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ces cinq amendements en discussion commune sont peut-être les plus importants. En effet, quatre d’entre eux visent à substituer au texte dont nous discutons une autre formule, l’amendement n° 6 de M. Cointat relevant d’un autre esprit ; j’y reviendrai.
    L’amendement n° 4 rectifié bis de M. Gélard, qui tend à créer une union civile réservée aux couples de personnes de même sexe, est le fruit d’un travail très important, précédé de nombreuses auditions. Cette union civile va moins loin que le mariage, puisqu’elle ne recouvre pas la parentalité, mais beaucoup plus loin que le PACS, en ce que sont prévus la célébration devant l’officier d’état civil et les devoirs de respect, de fidélité, de secours et d’assistance.
    Je me réjouis que ceux qui, hier, s’opposaient au PACS proposent aujourd’hui d’aller au-delà ! Nous sommes tous d’accord sur un point : il est nécessaire d’accorder aux couples de personnes de même sexe un régime juridique plus protecteur que celui du PACS. En revanche, nous ne pouvons être d’accord avec la formule présentée ici, qui tend à substituer totalement, pour ces couples, une union civile au mariage. À cet égard, mais c’est un détail, je tiens à signaler aux signataires de l’amendement que la présomption de paternité n’est pas remise en cause par le projet de loi, qui ne modifie pas le titre VII du livre Ier du code civil, relatif à la filiation.
    L’amendement ne prévoit pas la possibilité de l’adoption plénière ni celle de l’adoption simple. Pour des raisons que tout le monde connaît, la fiction de l’adoption plénière ne tient plus aujourd’hui : les enfants adoptés à l’étranger par des couples hétérosexuels voient qu’ils ne ressemblent pas à leurs parents ; dans le cas de couples homosexuels, les enfants comprendront très vite qu’ils ne sont pas issus biologiquement des personnes qui les élèvent. Je me félicite donc que Mme la ministre chargée de la famille ait annoncé que le texte sur la famille à venir porterait notamment sur ce sujet. Cela me semble indispensable.
    L’expression « union civile » est empruntée au professeur Hauser, qui l’avait utilisée dans le rapport à lui commandé par Jacques Toubon avant les élections législatives provoquées par la dissolution de 1997 et remis en 1998 à Mme Guigou. Selon plusieurs professeurs de droit, la création d’une union civile, réservée aux seuls couples homosexuels,…
    MM. Vincent Delahaye et Christian Cambon. Pas forcément !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. … encombrerait le code civil, ce nouveau régime venant s’ajouter au concubinage, désormais légalisé – grâce au Sénat et, en particulier, à votre action, monsieur Gélard –, au PACS et au mariage. Cela fait beaucoup !
    En outre, comment réserver l’union civile aux seuls couples homosexuels ? Dans notre droit civil, il n’est pas de coutume qu’un statut ne s’applique qu’à une certaine catégorie de personnes. Je ne suis même pas sûr que ce soit constitutionnel. Ainsi, le PACS avait été ouvert à tous, même s’il était avant tout destiné aux couples homosexuels et réclamé par eux. Aujourd’hui, d’ailleurs, les couples hétérosexuels sont plus nombreux à conclure un PACS que les couples homosexuels.
    La commission des lois a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 4 rectifié bis, tout en saluant le travail important réalisé par M. Gélard et le groupe UMP.
    L’amendement n° 169 rectifie ter est semblable au précédent, à la différence près qu’il prévoit d’ouvrir l’union civile à tous les couples. Dans l’esprit de ses rédacteurs, et même s’ils n’ont pas fait le travail de coordination que son adoption imposerait, son dispositif a vocation à se substituer à celui du projet de loi. Par conséquent, nous y sommes également défavorables.
    Par l’amendement n° 192 rectifié, M. Revet propose, quant à lui, une formule singulière. En effet, si le dispositif présenté se rapproche des deux précédents, il tend plutôt à créer une sorte de concubinage solidifié, « bétonné », qui viendrait après le concubinage notoire tel que nous l’avions légalisé lorsque le PACS fut créé. Il se substituerait également au mariage pour les couples homosexuels et ne comporte pas de dispositions sur la parentalité. Pour des raisons qu’elle a déjà données, la commission des lois émet un avis défavorable sur cet amendement.
    La commission des lois a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 22 rectifié ter. Il s’agit, en effet, d’un amendement de coordination avec l’amendement n° 4 rectifié bis : si, comme le souhaite la commission, ce dernier n’est pas adopté, il n’aura plus d’objet.
    J’en viens à l’amendement n° 6 de MM. Cointat et Frassa. Sa discussion aurait à mon avis dû être disjointe de celle des quatre autres amendements, car il répond à une logique différente. En effet, s’il tend lui aussi à instaurer une union civile, il ne vise pas pour autant à se substituer à l’ensemble du projet de loi, dont il conserve le texte tout en prévoyant la mise en place d’un PACS très amélioré, ouvert à tous les couples. Si j’ai bien compris leur pensée quelque peu complexe, ses auteurs se proposent, dans la suite de la discussion, d’apporter des correctifs aux dispositions du projet de loi relatives à l’adoption.
    J’ai dit, en commission des lois, tout le bien que je pensais de cet amendement, qui tend à améliorer le régime du PACS, ce que nous n’avions pu faire à l’époque de la création de celui-ci, faute de soutien du gouvernement d’alors. Nous avons d’ailleurs eu l’occasion à deux reprises, au Sénat, de débattre de ce sujet. Ainsi, j’avais déposé une proposition de loi sur l’adoption par les couples pacsés, dont Mme Des Esgaulx fut la rapporteur et qui fut rejetée ; nous examinerons ultérieurement un amendement portant spécifiquement sur ce point. Par ailleurs, nous avons également eu à débattre d’une proposition de loi de Mme Borvo Cohen-Seat qui visait à améliorer le PACS, sans aller toutefois aussi loin que votre dispositif, monsieur Cointat.
    La commission des lois demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable. Quoi qu’il en soit, si l’amendement de M. Cointat était adopté, l’examen du texte se poursuivrait, puisqu’il ne tend pas à se substituer au projet de loi.
    Pour que les choses soient claires, la commission des lois a décidé, sur ma proposition, d’inviter les auteurs de l’amendement à déposer une proposition de loi spécifique pour modifier profondément et renforcer le PACS. Nous souhaitons qu’elle puisse être inscrite très rapidement à l’ordre du jour du Sénat, et espérons que le Gouvernement voudra également y mettre du sien !
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée de la famille. Avant de laisser la parole à Mme la garde des sceaux, je voudrais faire deux remarques.
    La première porte sur la création d’une union civile. Nous avons déjà eu l’occasion d’expliquer, la semaine dernière, que cette union civile ressemblait fort à un sous-mariage et que, de la même façon, la négation de l’adoption plénière s’apparentait à la préconisation d’une forme de sous-adoption. Aller dans ce sens reviendrait à rompre avec nos principes universalistes et à s’engager sur la voie du communautarisme.
    À ce titre, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, à relire le texte de l’entretien que Nicolas Sarkozy avait accordé au journal Têtu en avril 2012. À cette occasion, il avait tenu les propos suivants :
    « En 2007, j’ai pensé qu’on pouvait faire un contrat d’union civile en mairie. Après analyse, les juristes ont indiqué qu’il était anticonstitutionnel de réserver ce contrat d’union civile aux seuls homosexuels, qu’il devait aussi être ouvert aux hétérosexuels. Du coup, ce n’était plus le mariage des homosexuels entre guillemets, mais un substitut au mariage. Dans ces conditions, j’ai estimé, à tort ou à raison, qu’une telle disposition aurait vidé le mariage de tout son sens. »
    Vous le voyez, la majorité actuelle et le Gouvernement ne sont pas seuls à contester la pertinence de la création d’une union civile !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Vous citez Nicolas Sarkozy ; si vraiment vous en êtes arrivés là pour nous convaincre…
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Cela montre que nous ne sommes pas sectaires ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo à Sarkozy, alors !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Ma seconde remarque fait suite à l’intervention de M. Assouline.
    En tant qu’ancien maire du IVe arrondissement de Paris, je tiens à souligner que c’est la première année, depuis plus de dix ans que cet événement a lieu, que le « printemps des assoces » est perturbé.
    MM. Henri de Raincourt et Christian Cambon. La faute à qui ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. La faute à des gens d’extrême droite !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’avez pas voulu de débat national !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’accepte tout à fait que l’on puisse avoir une vision de la famille différente de la nôtre. Je respecte tout à fait votre opposition à l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe. On peut affirmer de telles positions en prenant la parole dans des débats, dans les journaux, mais certainement pas par la violence, le saccage, en ne respectant pas les opinions d’autrui ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous n’avez pas voulu de débat national, c’est votre faute !
    Mme Cécile Cukierman. Laissez Mme la ministre parler !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je m’étonne que vous n’ayez pas protesté contre le fait que l’on puisse aller manifester devant le domicile d’une ancienne ministre ou qu’il soit impossible que la tenue d’un forum ou d’un débat sur le mariage pour tous ne suscite pas des violences.
    M. Christian Cambon. Et les manifestants attaqués par les CRS ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur les cinq amendements.
    À l’exception de l’amendement de M. Cointat, qui vise davantage à améliorer le régime actuel du PACS, ils relèvent, à quelques nuances près, de la même démarche : il s’agit de mettre en place un quatrième régime juridique dans notre code civil ; le Gouvernement s’y oppose.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est bien dommage !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces amendements présentent des défauts d’ordre tant pratique que juridique. Par exemple, les conséquences de la dissolution de l’union civile par le juge ne sont pas précisées de façon explicite. En outre, les conséquences de la conclusion d’une union civile sur la nationalité du conjoint ne sont pas non plus spécifiées. Enfin, concernant les régimes sociaux et fiscaux, il est simplement indiqué que les dispositions prévues pour le PACS sont étendues à l’union civile.
    Cela étant, ce n’est pas en raison de ces insuffisances juridiques et techniques que le Gouvernement s’oppose à ces amendements : son avis défavorable tient au fait qu’ils tendent à instaurer un régime spécifique, alors qu’il a fait le choix, au travers de ce projet de loi, d’ouvrir l’institution du mariage, telle qu’elle existe actuellement dans notre code civil, aux couples de personnes de même sexe.
    C’est donc essentiellement pour une raison de principe que le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements.
    M. Jean-Claude Gaudin. Dommage !
    M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote sur l’amendement n° 4 rectifié bis.
    M. Patrice Gélard. Madame le garde des sceaux, je ne suis pas d’accord avec vos conclusions.
    Si nous proposons de créer une union civile, c’est parce que le mariage ne peut être modifié par la seule loi : il faut que la Constitution prévoie la possibilité, pour le législateur, d’intervenir sur ce sujet.
    En effet, l’un des éléments essentiels qui fondent le mariage est l’altérité ; depuis deux millénaires, aucun mariage n’existe sans elle. Or le texte que vous nous proposez ne fait plus référence à l’altérité. Nous admettons parfaitement que les couples de personnes de même sexe puissent s’unir avec solennité. Ils ont droit à cette reconnaissance, mais, en réalité, il s’agit, avec ce projet de loi, de mettre en place un substitut qui aura la forme du mariage, la solennité du mariage, les effets du mariage, mais qui ne sera pas le mariage, faute d’altérité, cet élément nécessaire reconnu par les principes fondamentaux de la République. En somme, ce sera un mariage Canada Dry…
    Ce sera d’autant moins un véritable mariage que le couple ainsi formé ne pourra accéder à la parentalité de façon simple, « normale », si l’on peut dire. Il lui faudra recourir à l’adoption ou à des techniques médicales qui, pour l’instant, sont prohibées dans notre droit.
    Le risque, je l’ai souligné, est qu’émergent trois statuts différents pour les enfants : certains pourront être adoptés de façon plénière, d’autres seront susceptibles de faire l’objet d’une adoption simple, du moins par l’un des époux, d’autres encore ne pourront pas du tout être adoptés, parce qu’ils auront déjà des parents.
    Les juges et les avocats que nous avons entendus n’ont pas manqué de le souligner, le texte que vous nous proposez conduira à toute une série d’aventures.
    J’estime que l’union civile était la seule formule pouvant permettre d’aboutir à un compromis. Malheureusement, en rejetant notre proposition, vous vous engagez dans une logique d’opposition évidemment néfaste. Cette opposition crée des tensions que nous ne souhaitons pas, mais que faire ? Vous nous entraînez dans une voie dans laquelle nous ne voulons pas vous suivre. Dès lors, l’affrontement est inévitable. Nous estimons que ce que vous proposez n’est pas un véritable mariage et, pour votre part, vous tenez l’union civile pour impraticable : nous ne pourrons pas nous entendre sur de telles bases. Il est déplorable qu’une concertation préalable beaucoup plus large n’ait pas été conduite. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur la plupart des travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Bernard Fournier, pour explication de vote.
    M. Bernard Fournier. Notre collègue Bruno Gilles souhaitait intervenir à ce moment du débat. Empêché par le décès de sa mère, il m’a demandé de le remplacer, ce que je fais bien volontiers.
    L’être humain est issu de l’altérité des sexes. Cette affirmation est incontournable : nous sommes tous nés d’un père et d’une mère. C’est pourquoi le mariage est réservé aux couples constitués d’un homme et d’une femme, avec pour perspective une descendance. Il ne s’agit pas d’un contrat qui consacre l’amour. Il n’est pas réservé aux hétérosexuels, comme on voudrait le faire croire. Tout individu majeur, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel, peut parfaitement se marier, mais avec une personne de sexe opposé, puisque c’est le principe fondamental du mariage.
    D’ailleurs, la plupart des unions homosexuelles avec enfants sont le résultat de la désunion de parents de sexe différent et dont l’un ou l’autre vit, désormais, avec une personne du même sexe.
    La puissance publique ne prend en compte ni les sentiments ni les pratiques sexuelles des individus, qui appartiennent à la sphère privée.
    L’institution du mariage en tant qu’union légitime d’un homme et d’une femme est un principe fondamental reconnu par les lois de la République depuis 1804. Avec le mariage, l’État entend protéger la dualité du couple, seul capable de procréer, et l’enfant qui peut en être issu afin de donner au renouvellement des générations un cadre juridique stable. Le mariage n’est pas un droit, c’est un choix qu’un homme et une femme accomplissent.
    Malgré l’érosion du nombre de mariages contractés chaque année depuis quelques décennies, ce statut reste très dominant. Quelque 23 millions de personnes, c’est-à-dire 72 % des hommes et des femmes en couple, sont mariées, nous indique l’INSEE dans une étude récente. Les homosexuels vivant en unions stables y sont, eux, estimés à 200 000.
    Une minorité gay surmédiatisée, estimée à 1 500 personnes, s’est arrogée une légitimité pour parler au nom des homosexuels dont la majorité ne réclame rien et souhaite vivre en paix.
    Le projet de loi nous conduit donc à légiférer pour la minorité d’une minorité, puisque la plupart des homosexuels sont contre ce texte. Le militantisme revendicatif de la LGBT, lesbiennes, gays, bisexuels et trans, et de l’APGL, Association des parents gays et lesbiens, relève donc d’un communautarisme que notre loi fondamentale récuse.
    Est-il légitime que le Parlement bouleverse les fondements mêmes de notre société, l’institution du mariage, fondée sur l’altérité des sexes, la famille, pour une proportion si faible de nos compatriotes ? Le Parlement n’a pas à modifier, par un simple projet de loi, une norme consacrée au nom du bien commun par notre République, afin de satisfaire les revendications d’une infime minorité.
    En faisant accéder officiellement des unions homosexuelles au mariage et, ce faisant, à l’adoption, le législateur détruira une composante fondamentale de la structure sociale, et par là même de l’ordre constitutionnel.
    La règle de droit est faite pour aider la société à vivre. Elle peut y parvenir sans pour autant porter atteinte à des institutions – le mariage, la famille – qui assurent précisément la pérennité de l’ordre social. Les unions homosexuelles sont une réalité, même si elles sont minoritaires. Elles demandent à être respectées. Des conséquences peuvent en être tirées, dès lors qu’elles obéissent aux principes généraux de notre droit. Mais prendre acte des particularismes n’est pas les institutionnaliser. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour explication de vote.
    Mme Colette Mélot. Ce texte de loi vise deux objectifs : premièrement, ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe ; deuxièmement, donner à ces couples l’accès à la paternité et à la maternité, en leur accordant la possibilité d’adopter.
    J’observe que si le premier objectif est affiché dans le titre du projet de loi, le second ne l’est pas. Je m’interroge : pourquoi cette dissimulation, pourquoi cette ambiguïté dès le départ ? Parce qu’il s’agit d’un droit lié ; nous parlons d’égalité des droits.
    Le sujet dont nous avons à débattre est fondamental. Nous touchons ici au cœur de toute société humaine. Quelle définition de la famille voulons-nous retenir ? Quelle place accordons-nous à l’enfant dans cette famille ? À l’évidence, un débat d’une telle envergure, qui touche au plus profond de l’intime conviction de chacun, méritait mieux et ne peut se trancher en deux semaines de discussion parlementaire.
    Vous escamotez le débat et vous refusez de faire confiance au peuple. Je n’entrerai pas dans une bataille de chiffres, mais il est certain que les manifestations qui ont eu lieu étaient quatre fois plus amples qu’indiqué par la préfecture de police.
    Quoi qu’il en soit, ces manifestations témoignent des interrogations profondes du peuple français face aux évolutions que vous proposez. En recourant au référendum, vous auriez choisi la clarté ; en vous obstinant dans la voie parlementaire, vous choisissez l’évitement.
    On peut être pour ou contre cette réforme, c’est la liberté de chacun. Ce qui n’est en revanche pas acceptable, c’est votre façon d’avancer masqués : dans ce projet de loi, le plus fondamental est non pas ce que vous dites, mais ce que vous ne dites pas.
    En ce qui nous concerne, notre position est claire.
    Nous sommes soucieux de renforcer la sécurité et d’améliorer le quotidien des couples homosexuels, c’est pourquoi nous proposons une union civile, qui permettrait d’accorder aux couples homosexuels les mêmes droits que ceux dont bénéficient les couples hétérosexuels, d’un point de vue patrimonial. Sur ce point, notre proposition rend d’ailleurs applicable à l’union civile le régime prévu au titre V du livre III du code civil. Ce régime comprend les dispositions applicables pour les couples mariés en ce qui concerne les héritages, les pensions civiles et militaires et la communauté de biens.
    Par ailleurs, le texte prévoit plus de solennité, puisque c’était là l’une des revendications des couples homosexuels, avec la publication par voie d’affiche, la célébration publique de l’union devant un officier de l’état civil, des règles de publication.
    Toutefois, nous ne souhaitons pas tout mélanger au nom d’un principe d’égalité vide de sens. Nous entendons régler différemment des situations différentes, comme le prévoit la Constitution. D’ailleurs, aucune politique responsable ne peut se tenir en dehors des réalités. Or, en l’espèce, comment pouvons-nous penser un instant pouvoir nous substituer à la nature en reconnaissant aux couples homosexuels un droit à la parenté ?
    L’objectif du législateur n’est pas de se substituer à la nature, pas plus que celui de la médecine n’est de pallier une offre défaillante en matière d’adoption. Or, Mme Bertinotti en conviendra, l’adoption se tarit, et c’est une chance. S’il existe un droit à l’enfant, il faudra alors élargir les droits à la procréation médicalement assistée et ouvrir un droit à la gestation pour autrui pour les couples homosexuels et, de fait, pour les couples hétérosexuels qui voudront – pourquoi pas ? – sélectionner leur descendance. Tout cela au nom d’un principe d’égalité appliqué de manière irresponsable !
    Alors, me direz-vous, pourquoi n’avez-vous pas mis en place plus tôt une union civile ?
    Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Eh oui !
    Mme Colette Mélot. D’une part, je crois que les lobbies avaient conscience que, avec nous, les revendications les plus saugrenues ne pourraient pas aboutir. D’autre part, il faut bien admettre que, en temps de crise, nous avions fait le choix de nous concentrer sur les véritables problèmes qui touchent les Français : le chômage, les délocalisations, l’insécurité, la désindustrialisation, etc.
    M. Christian Cambon. Très bien !
    Mme Colette Mélot. En attendant, puisque vous lancez un débat qui s’éloigne progressivement des Français, nous proposons, avec l’union civile, une alternative au mariage pour les couples de personnes de même sexe, car un tel mariage ruinerait la famille.
    La famille constitue pourtant le socle de notre société. Personne ne peut dire qu’il se passe sans regret d’une famille. Que direz-vous à ces centaines de milliers d’enfants qui seront privés d’un père ou d’une mère ?
    Mme Laurence Rossignol. Vous exagérez un peu les chiffres !
    Mme Cécile Cukierman. Et que leur dit-on aujourd’hui ?
    Mme Colette Mélot. Comment pourrons-nous répondre aux demandes de ces enfants qui, se fondant sur le principe du droit à la dignité, demanderont à connaître leurs origines ? C’est un drame humain que vous mettez en place. Cela est grave pour l’avenir de la France ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt, pour explication de vote.
    M. Henri de Raincourt. Au travers de ce projet de loi, le Gouvernement préconise ce qu’il appelle improprement le mariage pour tous. Celui-ci répondrait selon vous, madame le garde des sceaux, à la nécessité d’adapter la législation à l’évolution de notre société. Vous avez dit et redit que l’instauration d’un tel mariage serait un progrès en termes de liberté et d’égalité.
    Croyez-vous réellement que ce but sera atteint ? Je pense que, une fois encore, la déception sera au rendez-vous. Le mariage, tel qu’on le connaît depuis des siècles, n’en sortira pas renforcé ; il se trouvera au contraire probablement amoindri. Nombreux d’ailleurs sont aujourd’hui nos compatriotes qui préfèrent vivre en dehors de toute institution. C’est évidemment leur droit.
    Le PACS, créé avant tout pour donner plus de droits aux couples homosexuels, est aujourd’hui devenu essentiellement l’apanage des couples hétérosexuels !
    Selon l’INSEE, en 2010, seulement 4,45 % des PACS étaient conclus entre deux personnes de même sexe ! Parallèlement, alors que le nombre de PACS a été multiplié par onze entre 2000 et 2010, le nombre de mariages a, de son côté, baissé de 18 % sur la même période. Ainsi, en 2010, 203 000 PACS ont été conclus, tandis que 243 000 mariages ont été célébrés. En outre, nous le savons tous, un mariage sur trois en province et un mariage sur deux à Paris finissent par un divorce. Ainsi, il y a aujourd’hui de plus en plus de familles recomposées, et plus d’un enfant sur deux naît hors mariage. Tout cela est connu et a été rappelé à de nombreuses reprises.
    Je ne crois d’ailleurs pas que tous les couples homosexuels tiennent vaille que vaille à se marier !
    Voilà pourquoi, avec M. Gélard, nous avons proposé la création d’une union civile républicaine. Cette formule nous paraît tout à fait adaptée aux nécessités du temps. Elle aurait le mérite de renforcer les droits auxquels aspirent légitimement les couples de personnes de même sexe, sans dévoyer pour autant une institution qui a une dimension séculaire, revêt parfois un caractère sacré, puisqu’elle peut s’accompagner d’une célébration religieuse, et, surtout, est profondément liée à la filiation.
    L’autorité religieuse a la possibilité de refuser un mariage, mais il n’en sera pas de même pour les maires, malgré les hésitations et les contradictions de M. Hollande sur ce point. Il est tout de même désolant de voir le Président de la République invoquer, d’ailleurs à juste titre, le respect de la « liberté de conscience » des élus devant le congrès de l’Association des maires de France, puis revenir sur ses propres paroles quelques jours après devant les associations de défense des homosexuels… Il s’agit sans doute d’une nouvelle illustration de cette particularité de M. Hollande d’être toujours à la recherche d’un consensus, de ne jamais froisser ses interlocuteurs, d’essayer de contenter tout le monde, quitte parfois, on le voit, à se contredire et à apparaître incohérent.
    Au groupe UMP, notre position dans ce débat est claire et ne varie pas. Nous sommes très majoritairement opposés au mariage pour les couples de personnes de même sexe, mais favorables à l’institution d’une union civile et républicaine qui leur permette d’organiser leur vie comme ils l’entendent. L’amendement n° 4 rectifié bis va dans ce sens ; il reçoit notre entière approbation.
    J’ajouterai que nous condamnons nous aussi les éventuelles exactions ; nous n’acceptons pas que l’on essaie de nous assimiler à leurs auteurs. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
    Par ailleurs, s’il est flatteur pour lui et pour nous que Mme la ministre chargée de la famille cite le président Nicolas Sarkozy, il est dommage que vous ne vous référiez pas davantage à lui dans d’autres domaines ; la France n’en serait sans doute pas là aujourd’hui ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chauveau, pour explication de vote.
    M. Jean-Pierre Chauveau. Le nouvel article 143 que vous souhaitez introduire dans le code civil stipule…
    Mme Laurence Rossignol. Ce sont les contrats qui stipulent ; les articles du code civil disposent !
    M. Jean-Pierre Chauveau. … que le mariage est contracté « par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».
    Vous avancez l’idée qu’il existerait aujourd’hui une inégalité profonde entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels, inégalité que vous cherchez à corriger. Mais vous voyez une discrimination ou une différence de traitement là où les situations ne sont pas identiques. Vous confondez égalité et identité. Il y a des cas où la distinction est pertinente et le traitement en droit différent, sans que cela ait pour conséquence d’établir une discrimination. Les différences de traitement ne constituent pas en soi des inégalités, car il n’y a pas d’injustice juridique, ni d’inégalité de traitement dans des situations factuelles différentes.
    Le mariage est avant tout destiné à offrir une structure aux enfants. Or des partenaires de même sexe ne peuvent pas accéder à la procréation, qui suppose l’altérité sexuelle. Le mariage, c’est l’union d’une femme et d’un homme qui s’unissent pour perpétuer l’espèce.
    Le dernier alinéa de l’article 75 du code civil précise, au sujet du maire, qu’« il recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme : il prononcera, au nom de la loi, qu’elles sont unies par le mariage, et il en dressera acte sur-le-champ ».
    L’article 144 du même code dispose que « l’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ».
    Le code civil précise cette donnée biologique : le mariage implique qu’il s’agit d’un couple hétérosexuel ; souhaiter que le mariage demeure une union entre deux personnes de sexe différent n’est pas porter atteinte aux valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité fondatrices de la République.
    La reconnaissance des couples homosexuels ne doit pas induire une dénaturation du mariage. La société a donné un cadre juridique à cette donnée naturelle. Ou alors, le sentiment amoureux va-t-il devenir l’unique fondement du mariage ? Dans ce cas, où placer les limites ? Pourquoi restreindre le mariage à l’union de deux personnes ? (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) On pourrait envisager d’ouvrir ce contrat à plus de deux partenaires de même sexe ou de sexe différent. N’est-ce pas un peu discriminant d’exclure du mariage un amant ou une maîtresse, voire les deux ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste. – Sourires sur les travées de l’UMP.) La polygamie existe dans d’autres sociétés et pourrait être souhaitée, au nom du sentiment amoureux, par un certain nombre de nos concitoyens.
    Mme Marie-Noëlle Lienemann. N’importe quoi !
    M. Jean-Pierre Chauveau. Mais restons sérieux. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales. Oui, s’il vous plaît !
    M. Jean-Pierre Chauveau. Si nous décidons de légiférer sur le mariage en nous fondant sur le sentiment amoureux et en en faisant un simple contrat en dehors de toute donnée naturelle, où et comment établir la limite ? Au nom de l’égalité, est-il possible de conférer la même valeur à tous les couples ?
    Pour ma part, je réponds non ! On ne peut pas mettre sur le même plan les couples hétérosexuels et les couples homosexuels : une femme et un homme, ce n’est pas la même chose que deux hommes ou deux femmes. Un couple homosexuel ne peut pas avoir d’enfant, parce que la procréation implique obligatoirement et définitivement la rencontre entre une femme et un homme.
    L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, c’est en fait l’ouverture de la possibilité, pour les couples homosexuels, de recourir à l’adoption, puis, comme le Gouvernement nous l’a annoncé dans un second temps, l’ouverture de la possibilité d’accéder à la procréation médicalement assistée.
    Je préfère la solution présentée par M. Gélard : une union civile réservée aux couples homosexuels et qui exclurait pour ceux-ci le recours à l’adoption et à la procréation médicalement assistée. Elle permettrait d’éviter de bouleverser les fondements de notre société, tout en garantissant un certain nombre de droits supplémentaires aux couples homosexuels. L’union civile que nous proposons serait une réponse intelligente et respectueuse de tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux, pour explication de vote.
    Mme Caroline Cayeux. Dans son avis du 21 janvier 2013, l’Académie des sciences morales et politiques relevait que la réforme proposée conduisait à « une transformation profonde du droit du mariage et de la filiation » en vue de « répondre à la demande de couples de même sexe désireux d’organiser leur vie commune ». Elle estimait donc qu’une « formule plus respectueuse de tous aurait consisté à transformer le PACS conclu par des personnes du même sexe en une union civile comportant pour les partenaires de cette union les mêmes droits et obligations que ceux nés entre conjoints dans le mariage », afin d’épargner aux couples de personnes de sexe différent le préjudice d’une transformation trop radicale.
    Bien sûr, le PACS n’était peut-être pas parfait ;…
    Mme Laurence Rossignol. Vous étiez déjà contre !
    Mme Caroline Cayeux. … nous avions conscience d’un certain nombre d’insuffisances et de limites.
    Des insuffisances apparaissent d’abord en termes de protection juridique, puisqu’un partenaire n’est pas héritier de l’autre et qu’un testament est nécessaire. En outre, l’article 39 du code des pensions civiles et militaires exclut le conjoint pacsé du bénéfice de la réversion de la retraite, et les articles du code civil relatifs au régime du PACS ne prévoient pas un régime identique à celui de la communauté de biens.
    Des insuffisances existent également en termes de solennité : le PACS est conclu non pas en mairie, mais au tribunal d’instance ou devant notaire.
    Il apparaît aujourd’hui normal que les pouvoirs publics s’attachent à sécuriser la situation des couples de personnes de même sexe.
    Depuis le début des discussions dans notre assemblée, la majorité n’a de cesse d’évoquer les débats sur le PACS. Il ne m’appartient pas aujourd’hui de faire l’inventaire du travail législatif de la majorité précédente, mais je voudrais souligner que, à l’époque, notre opposition, et celle de tous les Français,…
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pas de tous ! D’un certain nombre !
    Mme Caroline Cayeux. … se fondait sur une crainte plus grande, qui a probablement contribué à l’agitation des débats : celle de voir un jour l’institution du mariage fragilisée. Admettez, mes chers collègues, que nous n’étions pas très loin du compte : nous le constatons malheureusement aujourd’hui !
    À l’époque, vous aviez promis à la France entière que le mariage resterait ce qu’il est aujourd’hui, à savoir le fondement de la famille, organisée autour d’un homme et d’une femme ; je ne peux que constater qu’il y a eu tromperie !
    Aujourd’hui, le PACS ne répond pas forcément, me semble-t-il, à une attente importante des Français, qu’ils soient homosexuels ou hétérosexuels. Toutefois, au vu des chiffres, il peut finalement apparaître comme une étape « prénuptiale » : sur 20 000 ruptures de PACS chaque année, 10 000 sont dues à un mariage entre les deux partenaires.
    Nous aurions pu, nous direz-vous, améliorer le régime du PACS. Ce n’est pas la solution que nous vous soumettons, mais nous proposons une alternative au mariage pour les couples de personnes de même sexe, afin d’améliorer leurs conditions de vie sans remettre en cause les droits légitimes des couples hétérosexuels. Comme cela a déjà été précisé, nous préconisons l’instauration d’une union civile, afin de rapprocher la situation des couples homosexuels de celle des couples hétérosexuels du point de vue patrimonial.
    Notre projet est sans ambiguïté. Il consiste à rendre le régime matrimonial applicable aux couples homosexuels ayant conclu une union civile. Le II de l’amendement prévoit ainsi que l’ensemble des « dispositions du titre V du livre III du code civil s’appliquent aux personnes ayant contracté une union civile ». Les conditions requises pour contracter cette union et les conséquences découlant de celle-ci seront également identiques à celles qui prévalent pour le mariage.
    En revanche, nous limitons les droits extrapatrimoniaux à ceux qui se rattachent à l’adoption simple. Cela nous paraît amplement suffisant au regard des droits qui existent déjà, notamment en matière d’adoption testamentaire et de possession d’état. Je ne reviendrai pas sur les raisons qui motivent cette limitation des droits extrapatrimoniaux. Elles seront encore évoquées dans les jours à venir.
    Vous l’aurez compris, la préférence des membres de notre groupe va à l’instauration d’une union civile. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, pour explication de vote.
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Notre collègue Colette Mélot a eu raison de rappeler tout à l’heure que ce projet de loi visait deux objectifs.
    Le premier, à savoir ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, est clairement annoncé, mais, s’agissant du second, vous avancez masqués : l’ouverture de la possibilité de recourir à l’adoption n’est pas énoncée explicitement.
    C’est la raison fondamentale pour laquelle nous proposons d’instaurer l’union civile. En tant que maire, je célèbre beaucoup de mariages. L’union civile, telle que nous la prônons, permettra aux personnes de même sexe qui le souhaiteront de s’unir solennellement devant le maire. Elle engagera chacun des conjoints à la fidélité (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.), au respect, au secours, à l’assistance envers l’autre, à la contribution aux charges du ménage. Ce n’est pas rien !
    Pour ma part, je suis favorable à ce que les couples homosexuels puissent bénéficier de ces avancées en termes de solennité de la célébration et d’engagements patrimoniaux. Je ne suis pas homophobe, que les choses soient bien claires !
    M. David Assouline. L’homophobie est punie par la loi !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je condamne moi aussi les débordements, mais vous y avez une part de responsabilité.
    M. David Assouline. Ah, voilà que c’est notre faute !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Puisque vous n’avez pas voulu d’un grand débat national, les gens s’expriment comme ils le peuvent ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Ce débat national, il fallait l’organiser dès le départ. Vous avez là une responsabilité dont vous ne pouvez pas vous exonérer. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
    M. David Assouline. C’est inacceptable !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ce qui est inacceptable, c’est ce que vous nous avez répondu jeudi et vendredi derniers, notamment à propos du référendum ! Les Français ne sont pas dupes !
    M. David Assouline. Incroyable !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous êtes responsables devant eux ! Pour ma part, je considère qu’il faut évoluer. Vous, vous n’évoluez pas du tout ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Laurence Rossignol. C’est vrai, vous avez évolué : vous étiez contre le PACS, et maintenant vous être pour !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il faut évoluer sur cette question de la reconnaissance sociale et du statut juridique des couples homosexuels : nous devons leur garantir la protection de leur vie familiale et leur faciliter la vie quotidienne.
    Cette amélioration des droits des couples homosexuels doit passer par la reconnaissance civile de leur union, par une célébration devant le maire, officier d’état civil. Cela leur donnerait des droits fiscaux, sociaux et successoraux identiques à ceux qui découlent du mariage.
    Cette solution permettrait de répondre aux demandes légitimes de ces couples tout en préservant l’institution du mariage, qui doit rester le lieu de la filiation. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) C’est ce point qui nous oppose !
    Le dispositif de l’amendement de M. Gélard, que j’ai cosigné, respecte l’amour homosexuel et vise à lui donner de nouveaux droits, une véritable reconnaissance sociale. Il s’agit de donner aux couples homosexuels non seulement des droits, mais aussi des devoirs : c’est un point sur lequel on n’a pas assez insisté !
    M. André Reichardt. Très bien !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Mais cette reconnaissance sociale a une limite : celle qui tient aux enfants. À cet égard, madame la garde des sceaux, l’article 1er est le socle de votre texte, car le mariage, nous le savons, ouvrira l’accès à l’adoption ainsi qu’à la PMA et à la GPA.
    M. André Reichardt. Bien sûr !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est cela que nous ne voulons pas !
    L’amendement présenté par M. Gélard est une main tendue par l’opposition à la majorité. C’est nous qui faisons des propositions en vue de rétablir un climat apaisé, monsieur Assouline !
    M. David Assouline. Vous n’avez pas condamné les agressions !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Si vous acceptiez cet amendement, notre pays retrouverait la sérénité dont il a besoin sur cette question. Les Français cesseraient de se dresser les uns contre les autres.
    M. André Reichardt. Très bien !
    M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Je terminerai en disant que ce que nous proposons est la voie de la sagesse. Je pense que, en 1999, la création du PACS était en phase avec la société ; aujourd’hui, c’est l’instauration de l’union civile ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
    Mme Isabelle Debré. Ce matin, une personne m’a demandé si un certificat d’homosexualité serait requis pour accéder à ce que l’on désigne à tort comme le « mariage homosexuel ». Bien sûr que non, ai-je répondu.
    Permettez-moi d’envisager une hypothèse qui, je l’espère, ne se rencontrera que très rarement. Soit un couple hétérosexuel, avec trois ou quatre enfants, qui divorce. Monsieur part de son côté, monte une société. Il a des difficultés avec son ex-femme et apprécie beaucoup son associé qui, pas plus que lui, n’est homosexuel. Imaginons qu’il lui propose le mariage… (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Vendredi dernier, quelqu’un déclarait que cette loi ne coûterait rien. Je m’inscris en faux contre cette affirmation : vous verrez quelles dérives entraînera l’entrée en vigueur de son dispositif ! Ce matin, j’ai reçu deux personnes venues m’alerter sur ce point.
    Je ne cherche absolument pas à polémiquer, je pointe un problème : c’est à tort que l’on parle, à propos de ce texte, de mariage homosexuel. Tous les hommes pourront se marier entre eux, toutes les femmes pourront se marier entre elles, qu’ils soient homosexuels ou non.
    Mme Laurence Rossignol. Quelle horreur !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, pour explication de vote.
    M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, avant d’expliciter le projet sur l’union civile que nous souhaitons soumettre au Gouvernement, permettez-moi de revenir sur les raisons qui nous amènent à nous opposer à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Vous les connaissez pour la plupart, et nous aurons l’occasion d’y revenir, mais, ces raisons fondant notre proposition, je ne crois pas que la répétition soit, en la circonstance, inutile. En tout état de cause, mieux vaut se répéter que se contredire, et cela nous permettra de relever publiquement, une nouvelle fois, la méprise du Gouvernement, qui nous dit, d’une part, que « seule l’ouverture du mariage aux couples de même sexe paraît être une réponse suffisante aux besoins d’évolution de la société », et, d’autre part, que cette réforme « ne remet pas en cause le droit des couples hétérosexuels ».
    En réalité, nos compatriotes savent, pour la plupart, que la réforme que nous examinons depuis quelques jours entraînera un bouleversement très important de notre droit de la famille et qu’elle soulève un très grand nombre d’interrogations d’ordre bioéthique.
    Pour votre majorité, la dualité des sexes, qui constitue pourtant la condition sine qua non de la procréation, n’est pas en soi un motif justifiant que le mariage soit réservé aux couples hétérosexuels.
    Pourtant, la préservation de cette caractéristique fondamentale du mariage ne peut se comprendre qu’au regard de deux autres principes avec lesquels elle s’articule, à savoir la présomption de paternité et la généalogie claire et lisible reposant sur le principe de la vraisemblance biologique. C’est pour préserver ces deux éléments essentiels qui constituent le socle de la cellule familiale classique que le groupe UMP ne s’est pas prononcé en faveur de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.
    D’abord, en l’état, le projet de loi va fragiliser la présomption de paternité, qui permet à un père d’établir un lien important entre lui et son enfant, lien qu’il n’a pu créer, contrairement à la mère, durant le développement de l’enfant in utero. On trouve un signe important de cette fragilisation dans le changement de règles en matière de transmission du nom de famille prévu aux articles 2 et 3 du projet de loi.
    C’est aussi la nécessité anthropologique d’établir une généalogie claire et lisible qui nous pousse à défendre la « vraisemblance biologique », à la suite de la majorité des psychiatres qui ont été entendus sur ce sujet.
    Nous pensons que l’adoption ne devrait pas remettre en cause l’altérité sexuelle, qui permet à l’enfant, dès lors qu’il prend conscience de son adoption, de trouver sa place au sein d’un couple composé d’un homme et d’une femme, qui auraient pu avec vraisemblance être ses parents biologiques. L’enfant fragilisé par la perte de ses parents naturels trouve alors un réconfort dans la vraisemblance biologique de sa nouvelle filiation.
    J’évoquerai enfin les questions bioéthiques liées au fait que, nous l’avons compris, le tarissement des offres d’adoption imposera le recours à des PMA et à des GPA « de confort ».
    Des zones d’ombre juridiques entachent encore ce projet de loi. Nous pensons notamment qu’il pose des problèmes d’inconstitutionnalité, mais il est inutile de revenir sur ce point ; je ne saurais d’ailleurs me montrer plus clair que M. Gélard sur cette question.
    Pour toutes ces raisons, nous proposons l’instauration d’une union civile qui aura l’avantage de sécuriser la situation des couples de personnes de même sexe, notamment à l’égard des enfants qui vivent avec eux, sans remettre en cause les droits légitimes des couples hétérosexuels.
    Dans cette perspective, notre projet vise à rendre applicable le régime matrimonial aux couples homosexuels qui auraient conclu une union civile, par l’introduction d’un article mentionnant que « l’ensemble des dispositions du titre V du livre III du code civil s’appliquent aux personnes ayant contracté une union civile ». Quant aux conditions requises pour contracter une telle union et aux conséquences qui découleront de celle-ci, elles seront identiques à celles qui prévalent pour le mariage.
    Les pouvoirs publics, au premier rang desquels se trouve le législateur, ont d’ailleurs le devoir de ne pas s’immiscer dans la vie privée des individus ; leur rôle est simplement de définir et d’organiser un modèle social assurant la stabilité et le renouvellement de la société. Voilà en quoi l’intérêt de la famille et celui de l’enfant rejoignent l’intérêt général, que les parlementaires ont mandat de défendre. Pour moi, la liberté des adultes s’arrête là où commence celle des enfants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
    M. André Reichardt. Je voudrais à mon tour plaider pour l’instauration d’une union civile, car cette formule est, à n’en pas douter, juste, sage et équilibrée.
    On peut, en effet, ne pas être indifférent aux difficultés et aux inquiétudes des couples homosexuels sans pour autant vouloir bouleverser notre société par la modification des règles du mariage et de la filiation.
    Comme l’a dit notre collègue Patrice Gélard, dont je tiens ici à saluer le travail, cette nouvelle institution de l’union civile donnerait les mêmes droits patrimoniaux aux couples homosexuels qu’aux couples hétérosexuels.
    Il s’agit d’une évolution des droits liés au PACS vers l’égalité que, mesdames les ministres, vous mettez régulièrement en avant dans votre projet de loi. Toutefois, il s’agirait d’une égalité en termes de retraite, de succession, de droit à la pension de réversion, de droits sociaux, de solennité du mariage, etc.
    En revanche, ce qu’il n’est vraiment pas envisageable pour nous d’accepter, c’est l’évolution en matière de filiation attachée au mariage prévue dans votre projet de loi. Nous aurons l’occasion de développer amplement ce point lors de l’examen des articles 1er et suivants.
    L’union civile que nous proposons d’instaurer ne toucherait donc pas aux règles régissant actuellement la filiation. Une telle solution pourrait satisfaire à la fois les adversaires et les partisans de l’instauration du mariage homosexuel tel que vous le voulez. Elle permettrait surtout de retrouver la sérénité que mérite ce débat, ainsi que Marie-Hélène Des Esgaulx l’a fort justement dit avant moi, avec la passion qui la caractérise ! (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)
    D’une part, cela constituerait une avancée importante pour les couples homosexuels, puisque l’union civile répondrait à une réelle attente de leur part en termes de reconnaissance sociale et de sécurité juridique. D’autre part, cela n’aboutirait pas à dévoyer l’institution séculaire qu’est le mariage, à laquelle sont attachés tous ces Français qui, jour après jour, réaffirment leur opposition à votre projet.
    C’est la raison pour laquelle j’appelle à voter en faveur de cet amendement dont, je le répète, le dispositif est juste, sage et équilibré. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Magras, pour explication de vote.
    M. Michel Magras. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, chers collègues, cet amendement présente une alternative à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Il repose en outre sur la décision relative à une question prioritaire de constitutionnalité du 28 janvier 2011 sur le mariage des personnes de même sexe, par laquelle le Conseil constitutionnel a rappelé que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes. Dans la même décision, le Conseil constitutionnel a également considéré que « le droit de mener une vie familiale normale n’implique pas le droit de se marier pour les couples de même sexe ».
    Le législateur, dès lors, semble libre d’ouvrir, mais aussi de ne pas ouvrir, le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Lors de son audition par la commission des lois du Sénat, Nicolas Gougain, porte-parole de l’inter-LGBT, a repris l’idée selon laquelle le mariage homosexuel n’enlèverait rien à la famille hétérosexuelle. Je pense exactement le contraire : ce projet, en changeant la nature même du mariage, prive d’un repère la société tout entière, y compris la famille hétérosexuelle. J’en veux pour preuve, s’il en fallait une, ce changement de vocabulaire auquel nous sommes tous contraints, alors que l’altérité sexuelle du couple marié était jusqu’à présent si évidente qu’elle n’avait pas besoin d’être précisée. Or je reste persuadé qu’une société évolue, mais qu’elle se construit aussi sur des fondamentaux, des valeurs fondamentales.
    En réalité, ce projet de loi prévoit déjà deux types de mariages : pour l’un s’appliquera la présomption de paternité, pour l’autre la présomption de parenté. On ne peut donc pas parler d’égalité.
    À ce sujet, permettez-moi, mes chers collègues, un aparté. S’il y a deux catégories de mariages, il y aura aussi deux catégories de parents, ceux qui peuvent donner la vie et les autres, et au moins deux catégories d’enfants, qu’on le veuille ou non. Je souhaite vous faire part d’une inquiétude inspirée par une carrière professionnelle consacrée à l’enseignement des sciences de la vie : que se passera-t-il lorsqu’un professeur sera appelé à enseigner à des élèves de sixième la transmission de la vie, à expliquer la fécondation, dont chacun d’entre nous sait qu’elle consiste en la fusion des noyaux d’un gamète mâle et d’un gamète femelle ? Les enfants de cet âge sont loin d’être naïfs et très spontanés. Les questions fusent dans tous les sens, et il faudra bien y apporter des réponses.
    M. David Assouline. Eh oui ! Il faudra être intelligent !
    M. Michel Magras. Que se passera-t-il lorsque le professeur devra, en classe de quatrième, présenter les bases de la génétique, expliquer notamment la transmission des caractères héréditaires, le déterminisme du sexe, la transmission du groupe sanguin, le rôle que la génétique peut jouer en matière de diagnostic médical ? Là aussi, il faudra bien apporter des réponses.
    M. David Assouline. Et alors ?
    Mme Cécile Cukierman. Comme il faut déjà le faire aujourd’hui pour les enfants adoptés ou issus de la PMA !
    M. Michel Magras. Mes chers collègues, je ne fais que soulever des questions. Je vous laisse imaginer quelle sera la situation des enfants de couples homosexuels.
    Loin de moi l’idée que des homosexuels ne puissent pas être d’aussi bons parents que les autres ! Ils ne seront certainement ni moins bons ni meilleurs. Il ne s’agit pas de s’opposer aux personnes homosexuelles, ou de les priver d’un droit. Proposer la création d’une union civile, c’est s’engager en faveur de valeurs auxquelles nous sommes attachés. Notre seule volonté est de maintenir l’imbrication entre la symbolique et le sens du mariage.
    De surcroît, l’union civile que nous proposons d’instaurer produirait les mêmes effets protecteurs pour les conjoints que le mariage. Il n’y a donc, de notre part, aucune –je dis bien aucune ! – volonté de priver les couples de personnes de même sexe d’un droit.
    L’union civile entraînerait, en revanche, des effets différents de ceux du mariage en matière de filiation. Elle permettrait en effet de réserver aux couples de personnes de sexe différent la plénitude de la filiation, dans le cadre du mariage, au nom de la cohérence biologique que je viens d’évoquer, voulant qu’un enfant naisse d’un père et d’une mère.
    Modifier le sens du mariage et de la filiation changerait celui des notions de parent, de père, de mère. Si l’on admettait qu’elles puissent être déconnectées de la filiation sinon biologique, du moins vraisemblable, on réduirait les notions de père et de mère à leur seule dimension éducative. Ce serait affaiblir le lien filial immémorial qui fait que l’on est père ou mère.
    Les enquêtes d’opinion auxquelles j’ai déjà eu l’occasion de faire référence montrent que, au fond, une majorité de Français, en étant pour le mariage des personnes de même sexe mais contre l’adoption par ces couples, sont attachés à ce lien filial qui fonde la famille.
    Le mariage n’étant pas, comme nous le savons, détachable de la filiation, les Français sont, comme je le suis, favorables à l’union civile pour les personnes de même sexe. C’est cette union souhaitée par les Français que tend à mettre en place l’amendement n° 4 rectifié bis. Voilà pourquoi je le voterai. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, pour explication de vote.
    M. Christian Cambon. La majorité de gauche semble croire que l’union civile est un gadget, une solution de repli qui aurait été inventée par l’opposition pour faire diversion. C’est une grave erreur, car l’union civile est justement la disposition qui doit nous permettre de sortir le pays de la confrontation morale dans laquelle vous l’avez plongé. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
    L’union civile est la disposition la plus équilibrée, celle derrière laquelle le plus grand nombre de Français pourront se ranger.
    Vous avez évoqué, madame la ministre, la situation en vigueur dans les pays étrangers. Or nous observons que l’union civile est le régime juridique que de nombreux pays, notamment l’Allemagne, ont choisi.
    Cette union civile reprend les droits patrimoniaux existant dans le mariage. Voilà qui répondra enfin à des revendications clairement affichées par de nombreux homosexuels vivant en couple et considérant, avec raison, qu’ils ne bénéficient pas des mêmes droits que les couples hétérosexuels mariés.
    De plus, l’union civile revêt la dimension symbolique qui manquait singulièrement aux couples de personnes de même sexe avec le pacte civil de solidarité. En effet, ces couples ont manifesté depuis plusieurs années leur souhait de pouvoir bénéficier d’une cérémonie plus solennelle, davantage en adéquation avec la gravité et l’importance du moment. Or, là aussi, l’union civile permettra de répondre à ce besoin légitime.
    Pour aller jusqu’au bout de la démarche, il est prévu que les conditions requises pour contracter cette union et les conséquences qui découleront de celle-ci seront identiques à celles qui prévalent pour le mariage. Là encore, il ne s’agit pas de faire de cette union civile un « super PACS » ou un sous-mariage.
    Cette union est une union « civile », qui apportera aux couples homosexuels les mêmes droits que ceux dont bénéficient les couples hétérosexuels, tout en prenant pleinement en compte la singularité des couples homosexuels en termes de filiation et en admettant donc une différence en matière de droits matrimoniaux.
    Cependant, et c’est là toute la différence entre l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et l’union civile, cette dernière recueille une très large adhésion au sein de la population française. En effet, même si le Gouvernement et la majorité ne veulent pas le voir, le respect des Français pour les différences d’orientation sexuelle ne pourra s’affermir que si l’on ne dresse pas les uns contre les autres.
    Or, avec cette union civile, nous honorons la demande des couples homosexuels, sans pour autant heurter la sensibilité de la majorité des familles françaises. Elle est donc le parfait compromis entre le respect des attentes des couples homosexuels en termes de droits et celui des préoccupations des autres formes de familles, qu’inquiète cette société qui, selon elles, bouge trop vite et n’est pas de nature à offrir un cadre structurant et sécurisant à leurs enfants.
    Faut-il préciser que plus personne en France ne conteste aux homosexuels le droit de s’aimer, de vivre ensemble et même, dans certains cas, d’élever des enfants ? Ces Français qui descendent dans la rue, que vous tentez d’ignorer et contre lesquels vous envoyez parfois les CRS quand ils manifestent (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) ne sont pas homophobes. Il s’agit simplement de familles qui s’inquiètent de voir l’institution du mariage détournée de son sens originel pour satisfaire les revendications d’une petite minorité de personnes et qui craignent un charcutage de la filiation.
    Mme Cécile Cukierman. Allez, les arguments sont exposés, on avance !
    M. Christian Cambon. Avec l’union civile, nous répondons à leurs inquiétudes, et nous leur disons que non ! le mariage ne sera pas détourné de sa fonction première, et que non ! la filiation ne sera pas « bricolée ».
    Pour ces raisons, et parce que l’union civile prend réellement en compte la condition des personnes homosexuelles et des couples de personnes de même sexe, sans heurter ceux qui pensent que la société et le législateur doivent être prudents et ne pas chambouler les institutions, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter un dispositif qui permettra de réconcilier les Français. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour explication de vote.
    M. André Trillard. Madame la garde des sceaux, lors du débat à l’Assemblée nationale, vous avez tenu les propos suivants : « Le mariage est une institution conservatrice en ce sens qu’elle témoigne d’un ordre passé. » Dans votre bouche, ces paroles n’étaient pas très élogieuses pour le mariage, vous en conviendrez.
    À vous entendre, le mariage serait donc une institution désuète, qu’il s’agit de briser. Dans ces conditions, pourquoi ne pas opter pour notre proposition d’union civile ?
    La vérité, mes chers collègues, c’est que le projet de loi, tel qu’il est rédigé – j’insiste sur ce point –, répond plus à une demande minoritaire qu’à un réel souci de placer la famille, toutes les familles, au cœur de la réflexion.
    Je le reconnais bien volontiers, la famille a évolué. Nous devons prendre acte de ces évolutions en mettant en place un cadre légal, notamment pour les couples de personnes de même sexe. Ces couples doivent pouvoir organiser leur vie commune comme les couples hétérosexuels, mais, à la vérité, j’en suis intimement convaincu, nous n’avons pas besoin d’instaurer le mariage homosexuel pour cela.
    Faire croire aux Français que le mariage et l’adoption peuvent être disjoints et que l’on pourrait être à la fois pour l’un et contre l’autre est un leurre. Le mariage est lié à l’adoption et à la parentalité. Or, sur les quelques dizaines de milliers de couples homosexuels de notre pays, combien sont réellement en situation de recourir à l’adoption conjointe ou à une PMA réalisée à l’étranger ? Pas plus de 5 000 ! C’est donc non pas de l’adoption dont il faut parler, mais du statut des beaux-parents.
    Toutes ces questions sont extrêmement importantes, car elles se rattachent à de véritables sujets de préoccupation pour les Français. C’est de ce genre de sujets que vous devriez vous saisir si vous voulez prendre la peine de vous placer du point de vue de l’intérêt des enfants. Mais est-ce vraiment ce qui vous préoccupe aujourd’hui ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Mme Cécile Cukierman. Pas de faux procès !
    M. André Trillard. Quoi qu’il en soit, nos concitoyens se disent favorables au mariage pour les couples homosexuels, mais opposés à l’adoption, à la PMA et à la GPA. C’est probablement pour cette raison que vous avez rejeté notre motion référendaire !
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Eh oui !
    M. André Trillard. En réalité, nos concitoyens, même ceux qui défilent dans la rue et que vous taxez d’être homophobes, réactionnaires ou rétrogrades, sont favorables à la sécurisation des couples homosexuels. Cela se traduit, me semble-t-il, par leur volonté de voir les pouvoirs publics accorder une place plus importante à l’union de ceux-ci.
    L’alternative au mariage que nous proposons est sans ambiguïté : elle consiste à ouvrir le régime patrimonial du mariage aux couples de personnes de même sexe par la voie de l’union civile. Tous les couples disposeraient des mêmes droits en matière d’héritage, de pensions, de communauté de biens, et devraient observer les mêmes devoirs : respect, fidélité, secours et assistance.
    Par ailleurs, les demandes des couples homosexuels en matière de solennité et de reconnaissance juridique de leur union seraient prises en compte.
    Pour autant, et pour les raisons que nous avons explicitées, nous estimons que les droits extrapatrimoniaux doivent être limités à l’ouverture de l’accès à l’adoption simple pour les couples homosexuels. Si l’on y ajoute les droits que le juge reconnaît d’ores et déjà au conjoint homosexuel en matière d’adoption testamentaire et de possession d’état, nous estimons que ce dispositif suffit à assurer la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant en termes d’affection, d’éducation, d’autorité parentale.
    Aller plus loin serait remettre en cause, vous l’aurez compris, les principes de la filiation qui permettent jusqu’à maintenant d’établir une filiation claire et lisible, ouvrant aux enfants la possibilité de reconstruire l’histoire de leur origine.
    Ne parlons pas pour l’heure de toutes les questions bioéthiques soulevées par les discussions à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
    Cela étant, puisque nous sommes une bonne dizaine de vétérinaires à siéger dans cette enceinte (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.),…
    Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Quel est le rapport ?
    M. André Trillard. … je rappellerai que les membres de cette profession pratiquent le transfert d’embryons à seule fin d’améliorer les races. (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    Un sénateur du groupe socialiste. Quelle élégance !
    M. André Trillard. Pourquoi le Gouvernement ne se pose-t-il pas la question de l’égalité des enfants ? Certains seront en effet privés du droit d’avoir un père ou une mère.
    Ce texte instaure d’ailleurs d’autres inégalités.
    Il s’agit tout d’abord d’inégalités au sein même du mariage : si le projet de loi est adopté, le principe d’unité du mariage disparaîtra. Il existera un mariage « hétérosexuel », qui continuera de garantir à l’enfant une double filiation par le biais de la présomption de paternité, et un mariage « homosexuel », où la filiation tiendrait du virtuel.
    Il s’agit ensuite d’inégalités entre les couples homosexuels : l’honnêteté du Gouvernement sur la question de la PMA aurait dû nous permettre de discuter sereinement d’un dispositif qui introduira prochainement une inégalité certaine entre les couples homosexuels sur le simple fondement de leur sexe, les hommes étant pour l’instant privés du recours à la GPA.
    Il s’agit enfin d’inégalités entre les enfants adoptés, la majorité d’entre eux étant ressortissants de pays qui n’acceptent pas l’union homosexuelle. C’est pourquoi, selon l’orientation sexuelle des candidats à l’adoption, les enfants ne disposeront pas des mêmes droits d’accéder à une famille.
    Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et nous voterons l’amendement présenté par M. Gélard. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Hélène Masson-Maret, pour explication de vote.
    Mme Hélène Masson-Maret. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, la France connaît aujourd’hui une période de turbulences. C’est sciemment que j’emploie cet euphémisme, pour ne pas dramatiser la situation engendrée par la discussion d’un projet de loi qui scinde notre pays et opère un clivage entre les Français, alors que nous, parlementaires, sommes responsables de la cohésion de la nation.
    Mes chers collègues, la chambre haute est investie d’une mission que tous les Français qui nous regardent et nous écoutent aujourd’hui exigent que nous assumions : celle d’examiner les textes de loi et de s’assurer de leur bien-fondé. J’en appelle à votre sagesse : ne soyez pas, ne soyons pas ceux qui auront été les instigateurs de la division des Français, rangeons-nous à la raison et instaurons pour les couples de personnes de même sexe l’union civile.
    Mme Marie-Noëlle Lienemann. Nous avons déjà entendu ces arguments !
    M. Roland Courteau. Cela nous rajeunit !
    Mme Hélène Masson-Maret. Cette union civile conférera aux couples homosexuels les mêmes droits sociaux et patrimoniaux qu’aux couples hétérosexuels.
    Le système que nous proposons existe en Allemagne et dans d’autres États, qui ont parfaitement compris la différence entre cette union et le mariage, institution consacrée par le code civil depuis deux siècles dans notre pays.
    Donnons l’image d’hommes et de femmes capables de porter ensemble un projet de société qui fasse consensus et qui montre aux Français que nous les avons écoutés.
    Oui, nous devons écouter les couples de personnes de même sexe, qui ont le droit de s’aimer au grand jour, de vivre en harmonie et de bénéficier des avantages d’une vie construite ensemble. Que les juristes travaillent pour que l’égalité entre les citoyens, fondement de notre République, soit respectée. Je ne reviendrai pas sur les dispositions garantissant cette égalité qui sont incluses dans le régime de l’union civile que nous souhaitons voir inscrire dans la loi.
    Nous devons aussi écouter les Français ébranlés dans leurs convictions, et nous refusons de voir qualifiés d’« homophobes » ceux qui défendent des valeurs partagées par une autre partie de nos concitoyens, tout aussi respectable, qui s’est largement manifestée.
    Nous devons également écouter ceux qui, parmi nous, s’inquiètent du bien de l’enfant, des problèmes posés par la filiation. Le bien de l’enfant : voilà le seul objectif qui doit nous réunir.
    J’ai écouté avec attention les intervenants ayant invoqué des études scientifiques pour apporter la preuve qu’il ne serait en aucun cas nuisible ou traumatisant, pour un enfant, d’être élevé par un couple dont les parents seraient de même sexe. C’est vraiment ignorer ce qu’est une étude scientifique ! Aujourd’hui, nous pouvons l’affirmer, aucune étude sur ce sujet n’a pu être menée de façon scientifique, avec les contraintes que cela suppose en matière d’échantillonnage, de représentativité et d’études statistiques.
    Par conséquent, ne faisons pas dire aux publications diffusées dans les médias ce que nous voulons qu’elles disent. Le texte écrit par un groupe de psychanalystes – rappelons au passage que la psychanalyse n’est pas une science – qui nous a été lu la semaine dernière dans cet hémicycle était beaucoup plus réservé que ce que l’on a bien voulu en dire. D’ailleurs, mes chers collègues, je vous invite à le relire.
    Sachons aujourd’hui ne pas jouer les apprentis sorciers. Sachons éviter les raccourcis dangereux, assimilant ceux qui sont contre le mariage entre deux personnes du même sexe aux opposants d’hier à l’abolition de la peine de mort. Eh oui, nous avons entendu de telles inepties dans cet hémicycle !
    M. Jean-Marc Todeschini. Et ça continue !...
    Mme Hélène Masson-Maret. Mes chers collègues, le groupe UMP propose aujourd’hui que nous nous réunissions, au-delà de nos appartenances politiques, pour porter ensemble un projet équitable…
    Mme Marie-Noëlle Lienemann. Équitable ?
    Mme Hélène Masson-Maret. … qui, en préservant les valeurs des uns et des autres, se montrerait fédérateur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
    Mme Esther Benbassa. Je tiens d’abord à rendre hommage au travail de notre collègue Patrice Gélard et des membres de son groupe (Très bien ! sur les travées de l’UMP.), qui, par leurs nombreux amendements, montrent tout l’intérêt qu’ils portent à notre débat d’aujourd’hui. Nous pouvons tout de même nous interroger sur les raisons qui les ont poussés à voter des motions ayant pour objet de nous priver de celui-ci…
    Mme Annie David. Très juste !
    Mme Esther Benbassa. Mais revenons à l’amendement n° 4 rectifié bis, qui tend à substituer à l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe la création d’une union civile.
    Dois-je vous rappeler, mes chers collègues, que les mots ont un sens…
    M. Charles Revet. L’expression « union civile » en a un, en effet !
    Mme Esther Benbassa. … et que le mariage est une union civile ?
    Personne ne s’étonnera que nous ne votions pas cet amendement. Sur le fond, plusieurs éléments me semblent devoir être rappelés.
    M. Gélard et les membres de son groupe nous proposent de créer, à côté du mariage, du PACS et du concubinage, une quatrième forme de conjugalité, ouverte aux couples homosexuels, proche du mariage en termes de protection du conjoint mais excluant tous les aspects liés à la filiation. On notera l’ironie de la situation, cette proposition émanant d’un groupe qui s’était violemment et bruyamment élevé contre la création du PACS…
    Mes chers collègues, soyons sérieux : nos concitoyens n’ont pas besoin d’une nouvelle forme d’union civile ! Le mariage assure d’ores et déjà toutes les protections nécessaires.
    Par ailleurs, que penser d’une union uniquement destinée aux gays et aux lesbiennes ? En matière de discrimination, ce n’est pas mal ! Les gays et les lesbiennes ne sont-ils pas des citoyens comme les autres ? Devons-nous leur réserver un traitement de citoyens de seconde zone ?
    Mes chers collègues, il est temps que vous admettiez que le mariage est une institution républicaine et laïque dont il n’est plus acceptable que certains de nos concitoyens soient exclus en raison de leur orientation sexuelle. Il est temps de retrouver la raison et, peut-être, de changer d’avis sur cette union civile qui n’a pas de sens. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour explication de vote.
    M. Jean-Pierre Raffarin. Madame la garde des sceaux, les fonctions qui sont les vôtres vous permettent de connaître des misères et des fragilités de la société française.
    Tout à l’heure, j’ai écouté M. Assouline avec attention. Si je ne partage pas sa conclusion, je souscris à son diagnostic : actuellement, la violence est la véritable menace contre notre société. Cette violence, nous la percevons dans le discours politique : c’est l’écume de ce qui se passe en profondeur. Ces derniers jours, des personnalités politiques se sont laissées aller à tenir des propos particulièrement préoccupants. Je pense en particulier à certains alliés de la majorité : quelle violence, quelle brutalité chez M. Mélenchon quand il en appelle à un « coup de balai » !
    M. Jean-Marc Todeschini. On est d’accord !
    Mme Cécile Cukierman. Aucun rapport !
    M. Christian Favier. Et ce qu’a subi Mme Jouanno ? Balayez devant votre porte !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Je pense aussi au récent discours de Mme Eva Joly. Que nous soyons dans la majorité ou dans l’opposition, nous devons veiller à nous exprimer avec tempérance.
    Dans ses profondeurs, cette violence de la société française est d’abord d’ordre social.
    Mme Annie David. Grâce à qui ?
    M. Jean-Pierre Raffarin. On mesure la désespérance provoquée par la montée du chômage depuis vingt-deux mois consécutifs. Aujourd’hui, mes chers collègues, un Vilvorde risque de survenir dans chacun de nos départements ; chez moi, c’est Heuliez ! Mais c’est pour l’ensemble du secteur automobile qu’un avis de tempête industrielle majeure est lancé !
    Cette violence sociale est extrêmement brutale. Je ne cherche pas à établir les responsabilités ; je ne fais que constater qu’elle est là, profonde,…
    Mme Annie David. La faute à qui ?
    M. Jean-Pierre Raffarin. … et que les prochains mois ne laissent guère présager d’améliorations sensibles. Tant que durera cette situation, la société sera d’une extrême fragilité.
    Dans ces conditions, prétendre rassembler dans la rue pour donner des coups de balai peut menacer l’équilibre de la République.
    Mme Cécile Cukierman. Aucun rapport !
    M. Jean-Marc Todeschini. Il y en a d’autres, qui rassemblent dans la rue…
    M. Jean-Pierre Raffarin. C’est vrai, cher collègue ! À la grogne sociale s’ajoute en effet une agitation sociétale, très originale dans la mesure où tant les opposants au projet de loi que les partisans de celui-ci sont désintéressés.
    M. Jean-Marc Todeschini. Oh !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Ils ne manifestent pas pour défendre leurs droits à la retraite, leur salaire, leur intérêt personnel. Qu’ils considèrent que le mariage doit être ouvert à tous ou qu’ils fassent du maintien du mariage tel qu’il est un élément fondamental, un pilier de la société, ils manifestent pour défendre une conviction. C’est cela qui est très original dans la situation présente, qui peut toutefois, à un moment ou à un autre, dégénérer en affrontement brutal.
    À cette réalité difficile sur le plan social, à ces divergences sociétales est venue s’ajouter, ces derniers jours, une crise politique et morale. Un grand quotidien comme Libération traite une rumeur comme une information et la diffuse dans le pays… Où va-t-on ? Quand la parole politique est décrédibilisée, même l’innocent a du mal à se faire entendre. Si des innocents sont aujourd’hui accusés, nous en sommes tous responsables, parce que, à un moment ou à un autre, notre parole nous aura échappé.
    Nous sommes pris dans un tourbillon que le politique ne maîtrise plus. Voyez ce titre de l’édition de ce soir du quotidien Le Monde, selon lequel, dans un climat délétère, le Président de la République chercherait une sortie…
    Chers collègues de la majorité sénatoriale, aidez-le à trouver cette sortie ; nous vous en offrons une avec l’union civile (Rires sur les travées du groupe socialiste.),…
    M. Jean-Pierre Caffet. Quelle chute !
    M. Jean-Pierre Raffarin. … qui est approuvée par une majorité de nos compatriotes.
    M. David Assouline. Condamnez les saccages !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Riez si vous voulez, mais les classes sociales qui constituaient vos soutiens traditionnels vous ont d’ores et déjà lâchés : si demain vous n’avez plus à vos côtés que les partisans de ce projet de loi, vous finirez bientôt par être seuls devant le pays ! Il est encore temps de vous ressaisir et de chercher cette sortie qu’évoque le journal Le Monde ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines de l’UDI-UC. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quel est votre bilan ?
    M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas en multipliant les projets de loi et les interventions dans les médias que vous compenserez le discrédit dont souffre la parole politique !
    M. David Assouline. Condamnez les saccages !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Aujourd’hui, vous avez encore la possibilité d’apaiser le pays, car tout le monde est favorable aux droits des homosexuels.
    Mme Annie David. Alors, acceptez le mariage pour tous !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Avec l’union civile, vous renforcerez ces droits, sans approfondir la fracture entre les consciences, entre les convictions, qui, conjuguée à la grogne sociale, fragilise gravement la République.
    Je respecte celles et ceux qui feront le choix de soutenir ce texte, mais un jour viendra où, les uns et les autres, nous serons placés devant nos responsabilités. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
    M. Roger Karoutchi. Il n’est pas facile de prendre la parole après Jean-Pierre Raffarin !
    Je voudrais revenir sur ce qu’a dit Mme Bertinotti tout à l’heure. Il est exact que, pendant le débat sur le pacte civil de solidarité, le comportement de bien des parlementaires de droite n’a pas été convenable. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Renée Nicoux. Pour le moins !
    M. Roger Karoutchi. Néanmoins, dans les années qui ont suivi, la droite républicaine a fait, si je puis dire, sa propre révolution, d’abord en acceptant le PACS,…
    M. Jean-Marc Todeschini. Vous n’aviez pas le choix !
    M. Roger Karoutchi. … puis en estimant que ce dernier n’allait pas assez loin.
    M. Roland Courteau. Tout est question de temps…
    M. Roger Karoutchi. J’ai été de ceux qui, en 2007, ont plaidé pour que figurent dans le programme du candidat Sarkozy l’union civile et le statut des beaux-parents.
    Après l’élection présidentielle, en tant que secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, j’ai défendu le projet de loi qui visait à améliorer le PACS en matière fiscale ou patrimoniale. Cependant, nous étions tous conscients que ce texte n’allait pas assez loin et, à plusieurs reprises, j’ai demandé au Président de la République l’inscription à l’ordre du jour du Parlement d’un projet de loi créant l’union civile, conformément aux engagements pris lors de la campagne. Cela correspondait à une véritable attente et une telle initiative aurait donné de la droite l’image d’une force politique en phase avec les évolutions de la société.
    Malheureusement, la crise bancaire, financière et sociale a éclaté dès 2008. Le Président de la République a alors estimé qu’il était plus urgent de sortir le pays de cette crise que d’instituer l’union civile.
    Aujourd’hui, je regrette infiniment que nous n’ayons pas fait adopter un texte créant l’union civile, car le présent débat en eût été tout différent.
    M. Gérard Larcher. Bravo !
    M. Roger Karoutchi. Quand vous avez annoncé ce projet de loi, madame la garde des sceaux, j’ai d’abord pensé, en toute sincérité, que puisque nous n’avions malheureusement pas mis en place l’union civile, il pourrait peut-être en reprendre le dispositif, quitte à ne pas conserver cette appellation. Cette position ne m’a pas valu que des amis.
    Il fallait refonder le code civil, vous l’avez en partie modifié au travers du présent texte. Pour un gouvernement dont la crédibilité est très altérée, il est bien difficile de faire passer une telle réforme de fond, car sa parole n’est plus guère audible.
    Jean-Pierre Raffarin l’a dit, nous sommes en pleine crise sociale, financière et morale. Cette crise affecte le Gouvernement et, sur bien des sujets, la classe politique tout entière. Dans ces conditions, madame la garde des sceaux, si je comprends votre volonté d’avancer, si je peux entendre que vous souhaitiez parler de mariage et non d’union civile, j’estime qu’il aurait fallu du moins déconnecter celui-ci de la filiation et de l’adoption, comme cela a été fait dans bien des pays européens. Nous le savons, il y a très peu d’enfants à adopter par rapport au nombre d’adoptants. En matière de filiation, le texte remet en cause un certain nombre de valeurs : pourquoi, et pour qui ?
    À droite, nous avons beaucoup évolué et fait une véritable révolution interne. On aurait dû, on aurait pu trouver une solution acceptable par toute la classe politique, mais nous avons le sentiment que vous vous êtes enfermée dans un refus d’échanger avec une droite que vous jugez à tort réactionnaire. Cette posture a provoqué une rupture dommageable dans le pays, alors que, si chacun faisait un pas vers l’autre, je suis sincèrement persuadé que nous pourrions trouver une véritable solution. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Roland du Luart, pour explication de vote.
    M. Roland du Luart. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il est difficile de prendre la parole après que deux ténors de mon groupe ont exprimé, avec autant de sincérité et de force, la réalité de la situation.
    Nous comprenons les revendications des couples homosexuels lorsqu’elles portent sur une plus grande sécurité juridique. Nous sommes d’ailleurs disposés à intervenir dans ce domaine, puisque c’est le rôle légitime des pouvoirs publics que de régler les rapports civils de nos concitoyens. C’est seulement en cela que l’intérêt des particuliers rejoint l’intérêt général. Voilà pourquoi il ne peut être question ici d’amour ou de reconnaissance sociale de l’amour des uns ou des autres : ces affaires sont d’ordre privé.
    Sans vouloir polémiquer, je remarque d’ailleurs que les différents rapports sur le texte font très souvent référence à la reconnaissance sociale de l’amour des couples homosexuels. Comment croire alors qu’il ne serait pas question ici d’une réforme sociale ? Soit ! Dès lors, vous ouvrez le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe au prétexte que le mariage est la reconnaissance sociale du couple. Mais cela est totalement réducteur : le mariage n’a pas pour but de reconnaître la relation entre deux personnes et d’officialiser leur amour ; si tel était le cas, tous les gens qui s’aiment devraient pouvoir se marier… Or, la loi a fixé un certain nombre de limites. Remarquez d’ailleurs, madame la garde des sceaux, que s’il en était ainsi, votre texte romprait avec le principe d’égalité, au regard de toutes les autres formes d’union légalement ou socialement réprimées.
    Il ne s’agit donc pas, pour les pouvoirs publics, de prendre en considération la simple relation de couple, mais d’aller au-delà en organisant les rapports intrafamiliaux. Contrairement à ce que vous prétendez, il n’y a pas de discrimination dans le mariage actuel. Simplement, le droit contresigne cette réalité de la nature : les sexes ne sont pas interchangeables. Ils sont égaux, mais pas équivalents, du fait de la dissymétrie entre homme et femme.
    Néanmoins, nous souhaitons apporter des droits supplémentaires aux couples homosexuels, afin de leur offrir une plus grande sécurité juridique. C’est ce que nous faisons en l’occurrence ici avec l’amendement de M. Gélard tendant à instaurer l’union civile.
    Ces notions de droits et de devoirs au sein des couples homosexuels doivent être totalement dissociées de toute question de filiation. Je m’interroge d’ailleurs sur la place que vous faites à l’enfant.
    Les questions de l’enfant, de l’adoption et de la filiation doivent être inscrites dans le cadre des obligations internationales souscrites par la France. M. Dominique Baudis, Défenseur des droits, l’a rappelé lors de son audition par la commission des lois de l’Assemblée nationale : « La procédure suivie pour l’élaboration du projet de loi présente une évidente lacune. En effet, l’étude d’impact qui accompagne le projet ignore totalement la Convention internationale des droits de l’enfant. » Or, dans toutes les décisions qui le concernent, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit prévaloir.
    Vous trompez les Français en renvoyant les discussions sur la procréation médicalement assistée à l’examen d’un autre texte. Vous trompez les Français en leur promettant que la gestation pour autrui ne sera pas autorisée, alors que toute votre argumentation repose sur la reconnaissance de l’amour et sur l’égalité des droits !
    Ainsi, l’égalité des droits peut se concevoir d’un point de vue patrimonial : l’homosexualité étant socialement acceptée et chaque individu ayant la liberté d’orienter sa sexualité comme il l’entend, il paraît normal que les pouvoirs publics puissent accorder aux homosexuels les droits patrimoniaux communs, dès lors qu’ils souhaitent s’engager dans une communauté de vie.
    Notre proposition prévoit donc, sur ce point, que l’ensemble des dispositions du titre V du livre III du code civil s’appliquent aux personnes ayant contracté une union civile. Dès lors, les conditions requises pour contracter cette union et les conséquences qui découleront de celle-ci seront identiques à celles qui prévalent pour le mariage.
    Mais si le mariage tel qu’il existe doit rester inchangé, c’est qu’il n’est justement pas question d’égalité. Le Conseil constitutionnel lui-même le reconnaît. Le législateur peut organiser différemment des situations différentes. Or les couples homosexuels et les couples hétérosexuels se trouvent dans des situations différentes, dès lors que l’altérité sexuelle offre la possibilité de procréer.
    Certes, les techniques médicales permettent aujourd’hui d’avoir recours à la procréation artificielle, mais cette procréation n’est artificielle qu’au stade de l’assemblage des gamètes masculin et féminin ; ainsi, l’altérité sexuelle persiste. De plus, la médecine a vocation à soigner, à guérir ou à prévenir des maladies, et non à assouvir le besoin de consommation des individus.
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Roland du Luart. Vous pouvez ne pas être d’accord avec ce point de vue, mais vous ne pouvez pas contester que la remise en question de ces principes entraîne un bouleversement bioéthique qui devrait faire l’objet d’un grand débat national.
    Je vous laisse, mes chers collègues, méditer cette question. En conclusion, j’indique que je voterai l’amendement de M. Gélard. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur quelques travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, pour explication de vote.
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Victor Hugo a écrit que « la forme, c’est le fond qui revient à la surface ». Je crois que cette formule pourrait s’appliquer au présent texte.
    Le mariage n’est pas seulement l’union de deux êtres ; il implique aussi la filiation : tout le monde l’a bien compris, et le Gouvernement, par la voix de son porte-parole, Mme Vallaud-Belkacem, l’a confirmé vendredi.
    Je considère que ce texte présente un risque d’ordre bioéthique extrêmement grave, dont la majorité et le Gouvernement n’ont pas semblé prendre la mesure.
    C’est la raison pour laquelle je reste opposée à l’ouverture du mariage aux couples de personnes du même sexe et je continue de défendre le mariage en tant qu’union d’un homme et d’une femme, estimant que la filiation ne peut être véritablement solide que si elle découle d’une telle union.
    Je conteste également les arguments que vous avancez pour imposer ce texte. Vous tentez de justifier l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe par des raisons juridiques ; il s’agirait, selon vous, de rétablir l’égalité et de lutter contre les discriminations.
    Selon la tradition juridique française, le mariage n’est pas un simple contrat, ni la reconnaissance de l’amour que se portent deux personnes. C’est une institution au statut très particulier.
    J’aimerais rappeler les propos du doyen Carbonnier sur la place du mariage dans la loi : « Le code civil n’a pas défini le mariage et il a eu raison : chacun sait ce qu’il faut entendre par là ; c’est la plus vieille coutume de l’humanité et l’état de la plupart des hommes adultes. »
    Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 28 janvier 2011, a indiqué qu’il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la situation des couples de personnes de même sexe. Autrement dit, il a clairement jugé non discriminatoire le fait que le mariage soit, en droit français, réservé aux couples de personnes de sexe différent.
    J’ajoute qu’il existe même un risque d’inconstitutionnalité, soulevé par des spécialistes du droit constitutionnel qui estiment que l’altérité sexuelle des époux, et donc des parents, figure parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Le mariage entre personnes de même sexe serait donc inconstitutionnel.
    Je m’inscris en faux contre l’invocation d’une inégalité entre les sexes. Si les citoyens sont égaux, il est de fait que la situation des couples homosexuels est différente de celle des couples hétérosexuels. La nature est ainsi faite que la conception d’un enfant nécessite une relation entre un homme et une femme.
    L’égalité que vous proposez, c’est l’égalité par l’effacement, par la négation de ce que sont l’homme et la femme.
    Pour notre part, nous voulons préserver cette différence dans le cadre du mariage à cause de la filiation. Les enfants ne sont ni des objets de plaisir, ni des médicaments destinés à soulager une souffrance.
    M. Philippe Marini. Très bien !
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Ne faites pas primer le désir des adultes sur les droits fondamentaux des enfants ! Tel est notre raisonnement ; nous le répéterons tout au long des débats.
    Vous invoquez également le fait européen. Ce sont, là encore, des arguties. Pour vous, la France serait en retard par rapport à ses voisins européens. Vous savez bien que cette affirmation est loin de correspondre à la réalité. La situation est la suivante : moins d’un quart des vingt-sept pays de l’Union européenne ont autorisé le mariage et l’adoption pour les couples de personnes de même sexe, et cela en posant des règles beaucoup plus restrictives que celles que vous nous présentez. Il en va de même pour la procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui. En revanche, seize pays, soit la majorité des pays européens, ont introduit l’union civile pour les couples de personnes de même sexe. C’est donc cette voie, que depuis des mois nous vous proposons de suivre, qui est privilégiée en Europe. Puisque vous êtes soucieux d’harmonisation européenne, c’est cette voie que vous auriez choisie si vous étiez cohérents.
    Vous arguez en outre de raisons sociétales pour justifier votre projet. Or il n’y a pas de consensus sur ce texte et, surtout, cessez de répéter que nous menons un combat d’arrière-garde, qui opposerait les anciens aux modernes !
    Les statistiques montrent que le nombre de mariages ne cesse de décliner : il est passé de 400 000 en 1970 à 240 000 en 2011, soit une baisse de 40 %. À l’inverse, le nombre de divorces a progressé de 12 % ces dernières années. En moyenne, on compte aujourd’hui un divorce pour 2,5 mariages. Les chiffres le prouvent : le mariage est une institution qui n’attire plus, d’où notre surprise que, à l’heure où beaucoup la contestent, on nous présente ce texte ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ! Tout se passe comme si le fait de pouvoir accéder au mariage, en tant que symbole de la revendication égalitaire, primait sur la recherche de sécurité juridique, que nous comprenons et soutenons.
    Par ailleurs, nous entendons des arguments tout à fait respectables, notamment celui selon lequel il faut respecter l’amour que se portent deux êtres et leur donner le droit de s’unir. Nous avons nous aussi pleinement conscience qu’il faut apporter des réponses en matière de protection des personnes.
    On ne saurait engager, comme vous prétendez le faire, une réforme de civilisation dans la précipitation ou en suggérant des solutions aux élus pour ne pas appliquer la loi. Ainsi, j’ai trouvé quelque peu gênant, lors du congrès de l’Association des maires de France, d’entendre le Président de la République parler d’une « liberté de conscience » laissée aux maires ; cela revient à leur donner le choix d’appliquer ou non la loi.
    En conclusion, je soutiens pleinement l’amendement de M. Gélard. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour explication de vote.
    Mme Françoise Férat. L’amendement que notre groupe a présenté résulte avant tout de notre volonté de répondre au besoin de reconnaissance sociale des couples homosexuels – que nous entendons ! – en leur permettant de s’unir par un acte solennel en mairie.
    Cette proposition que nous formulons, à la place du projet du Gouvernement d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe, permettrait selon nous de rassembler largement les Français autour d’un projet qui répondrait aux attentes de tous. Il s’agirait de créer une nouvelle institution, distincte du mariage et du pacte civil de solidarité, offrant aux couples un cadre juridique protecteur : l’union civile.
    Le PACS a permis de répondre aux évolutions de la société en créant des liens juridiques entre personnes de même sexe, mais il ne répond pas entièrement aux attentes de certains couples homosexuels. En effet, il est dépourvu de la solennité qui entoure la célébration du mariage. Autre point négatif, la rupture d’un PACS peut se faire par une simple lettre, comme une forme de répudiation – cela avait d’ailleurs été dénoncé lors des débats sur le PACS. C’est pourquoi nous proposons l’intervention du juge. En outre, la conclusion d’une union civile déclencherait l’application d’un statut patrimonial protecteur.
    Ainsi, l’union civile proposée par notre amendement serait déclarée en mairie devant l’officier d’état civil dans des conditions similaires au mariage, donnant de la solennité à l’engagement des couples homosexuels, même si celle-ci ne leur est pas réservée ; en cela, elle se distingue de la proposition de nos collègues de l’UMP.
    L’alliance civile permet donc une reconnaissance des couples homosexuels, laquelle est nécessaire, nous en sommes tous d’accord. Elle leur permet aussi d’inscrire leur relation de couple dans la durée. C’est tout le sens de cet amendement. Mais il s’agit aussi de maintenir une différence avec le mariage, acte fondateur d’une famille pour un couple hétérosexuel.
    Ce qui, vous l’avez bien compris, nous préoccupe vraiment, ce sont les questions de filiation, d’adoption plénière, de procréation médicalement assistée et de gestation pour autrui. La formule de l’union civile présente plusieurs avantages : elle organise la relation juridiquement et sur le plan patrimonial, elle règle les questions de solidarité et elle pose les conditions de reconnaissance et de construction d’un couple homosexuel selon les mêmes critères que pour un couple hétérosexuel, tout en préservant sa spécificité au mariage tel qu’il est actuellement défini dans le code civil, à savoir l’union d’un homme et d’une femme dans le but de fonder une famille. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Bécot, pour explication de vote.
    M. Michel Bécot. Conformément à la position que nous avons défendue à l’occasion de la discussion générale, nous proposons ici l’adoption de l’union civile, dont l’objet est de réparer trois grandes erreurs que le présent projet de loi s’apprête à commettre.
    La première est d’oublier que le mariage ne peut se dissocier de la présomption de paternité.
    La deuxième erreur tient à la transposition aux couples de personnes de même sexe des droits matrimoniaux que confère le mariage.
    La troisième erreur a trait au caractère symbolique du mariage pour tous. On nous parle souvent du symbole envoyé aux couples de personnes de même sexe, mais croyez-vous que le mariage n’a pas la même dimension symbolique pour les couples hétérosexuels ? En conséquence, pour envoyer un signal à quelques milliers de couples, nous allons en contrarier des centaines de milliers d’autres.
    Je reviendrai surtout sur ce que je crois être la première erreur du Gouvernement, à savoir oublier que l’on ne peut dissocier le mariage et la présomption de paternité.
    Le mariage n’est pas la reconnaissance sociale de l’amour. Il est le cadre de la filiation, ou plutôt le moyen de la rationaliser et de la définir. Pour ce faire, la présomption de paternité est apparue comme le meilleur moyen de protéger l’enfant, de sécuriser la mère et de mettre le père devant ses responsabilités. En occultant la présomption de paternité de ce nouveau mariage, nous nous privons du principal outil dont nous disposons pour lutter contre l’explosion des cellules familiales.
    Or cette présomption de paternité ne peut se transposer aux couples de personnes de même sexe. Voilà le niveau d’imprécision du Gouvernement dans le projet de loi, car même si, aujourd’hui, la présomption de parenté a été très justement écartée, notamment parce qu’elle revenait à autoriser le recours à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui, nous voyons que tous les membres de la majorité ne sont pas sur la même longueur d’onde.
    À ce titre, en admettant que, dans un avenir proche – mais nous sommes en pleine fiction, du moins je l’espère –, le recours à la procréation médicalement assistée soit autorisé par le Gouvernement, comment allons-nous transposer la présomption de paternité aux couples de femmes ?
    Passons sur le problème sémantique… Comment appliquer une présomption de parenté à la conjointe de la mère, alors que l’existence d’un projet parental, élément essentiel pour justifier la présomption de parenté, ne peut s’appliquer dans les mêmes termes aux couples de sexe féminin ?
    Je ne vais pas faire un cours d’anatomie, mais la présomption de paternité trouve sa justification par le fait que le couple marié de sexe différent voit son projet parental concrétisé.
    Or le projet parental d’un couple de personnes de même sexe ne peut se concrétiser par un acte sexuel puisque ces couples sont naturellement stériles. La présomption de paternité viendra donc entériner un projet parental avec l’intervention d’un tiers, intervention qui, je le rappelle, est l’exception, afin de répondre à un problème médical, pour les couples de personnes de sexe différent, mais qui serait la norme pour les couples de personnes de même sexe. C’est oublier que le tiers, selon les couples, n’aurait pas toujours la même place. Le texte qui nous est soumis ne prend donc pas en compte, car il ne le peut pas, la place de ces tiers.
    Alors, ayez conscience d’une chose très simple : vouloir faire entrer la présomption de parenté, impérieuse nécessité pour le développement harmonieux de la famille, dans les couples de personnes de même sexe, c’est vouloir faire entrer un cube dans un cylindre ! Par conséquent, il est vain de croire qu’une présomption de parenté ou de paternité puisse s’appliquer aux couples de personnes de même sexe. C’est pour cette raison que le mariage entre personnes de même sexe est un contresens : celui-ci ne pourra s’accompagner de la présomption de parenté.
    L’union civile proposée par le doyen Gélard permettrait de lever toutes les ambiguïtés. En effet, cette union, en écartant les droits matrimoniaux, ne rend plus indispensable la présomption de parenté. De ce fait, l’union civile permettra de mettre au clair la situation des couples de personnes de même sexe. C’est pour cette raison, mes chers collègues, que je vous invite à adopter notre amendement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, pour explication de vote.
    M. Alain Gournac. Avec l’union civile, notre groupe a tenté de trouver une solution de compromis, même si ce terme ne plaît pas à tout le monde. Il s’agit en effet d’une forme de reconnaissance légale qui accorderait aux couples homosexuels des droits dont le PACS ne leur permettait pas de bénéficier.
    J’avoue que j’ai d’abord été partagé sur cette proposition, parce qu’une solution de compromis n’a de sens qu’à partir du moment où l’on est deux. Or, depuis jeudi après-midi, je constate que nous sommes avec la majorité sénatoriale et le Gouvernement dans un dialogue de sourds.
    Les argumentations de très haute tenue intellectuelle et morale développées, notamment par nos collègues Patrice Gélard, Bruno Retailleau, Philippe Bas, Jean-Jacques Hyest, Gérard Longuet, Jean-Pierre Raffarin et Roger Karoutchi, ne semblent pas vous avoir le moins du monde intéressée, madame la garde des sceaux. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est injuste : Mme la garde des sceaux vous écoute attentivement !
    M. Alain Gournac. Vous faites une fixation sur le mot « égalité », tenant à le répéter inlassablement, consciente de la fascination qu’il exerce toujours sur une partie de votre électorat. Il y a des mots qui chantent plus qu’ils ne parlent, des mots qui font d’autant plus rêver qu’ils restent flous.
    Vous avez cité Hegel, puis Aimé Césaire. Je ne suis pas sûr que le grand poète martiniquais se retrouverait dans l’utilisation que vous avez faite d’un vers tiré de Cahier d’un retour au pays natal, publié en 1939. Quant à Hegel, il doit se retourner dans sa tombe tellement votre projet de loi n’a rien à voir avec sa théorie du mariage fondée sur la différence des sexes.
    C’est parce que j’ai compris que la proposition d’une union civile était plus profonde qu’un simple compromis que je la défends et que je la voterai. Elle permet en effet de sortir de la confusion qu’installe votre projet de loi.
    « Les homosexuels », expliquait Jean-Luc Romero dans un film, « n’ont plus qu’un seul objectif : l’égalité des droits et la conquête de son hétéro-symbole le plus précieux : le mariage. » Mais où certains militants de la cause homosexuelle ont-ils vu, ont-ils lu que le mariage était un « hétéro-symbole » ? Leur homosexualité semble les empêcher de saisir que le mariage n’institue nullement une orientation sexuelle, mais une réalité biologique incontournable qui contraint tout individu à avoir besoin de l’autre sexe pour engendrer.
    Devant ce fatum biologique, tout individu, quelle que soit son orientation sexuelle, se trouve à égalité avec tout autre individu, tout citoyen à égalité de droit avec tout autre citoyen. C’est cette égalité que notre droit a mise en forme. Aussi le mariage est-il un droit ouvert, non pas aux couples, comme on le dit à tort, mais à l’individu qui est invité, en tant qu’individu libre, à donner librement son consentement. Le mariage n’est donc en rien discriminant et n’institue en aucun cas une rupture d’égalité, comme on se plaît à le répéter à nos concitoyens en les trompant.
    Il est évident ensuite que, des deux orientations sexuelles, l’hétérosexuelle est, de loin, la mieux adaptée à cette réalité biologique constatée, puis, partant, instituée par la loi. L’institution du mariage ne prend pas en charge toute l’activité sexuelle. Ce qu’elle prend en charge, en l’ordonnant à l’aide de règles, c’est uniquement la part procréative de la sexualité.
    Même si nous sommes passés en quelques siècles du mariage de raison au mariage d’inclination, il y a ce socle de la part procréative que personne n’avait envisagé d’ébranler et qui fondait non pas notre civilisation mais toutes les civilisations. C’est parce que le mariage ne prend en compte que cette dimension à l’exclusion de tout autre aspect de l’activité sexuelle que le mariage homosexuel est une contradiction dans les termes. Vous ne pouvez avoir ni un même mot ni une même institution qui s’attacherait, d’un côté, à la dimension procréative de la sexualité et, de l’autre, à sa dimension non procréative.
    La grande séparation qui traverse l’humanité, depuis la nuit des temps, est celle des hommes et des femmes. Les uns et les unes ont cependant un point commun fondamental : tous sont procréateurs. Or vous voulez supprimer cette division pour lui en substituer une autre : vous voulez un monde désormais divisé en hétérosexuels et homosexuels, en procréateurs et non procréateurs. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Dominique Gillot. Mais non !
    M. Alain Gournac. L’institution du mariage consacrait cette capacité procréative commune. Or, en mettant sous la même enseigne institutionnelle du mariage les couples hétérosexuels et les couples homosexuels, vous évacuez ce qui était commun aux hommes et aux femmes, pour consacrer quelque chose que les couples hétérosexuels et les couples homosexuels ne peuvent avoir en commun. Et c’est ce que vous appelez l’égalité ! Eh bien, madame la garde des sceaux, je vous le dis : elle est belle votre égalité ! (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
    M. Philippe Bas. J’entendais tout à l’heure notre collègue Mme Benbassa parler au nom des couples homosexuels. En commençant cette explication de vote, j’ai envie de lui dire que, si elle est naturellement qualifiée pour le faire, nous ne le sommes pas moins qu’elle, car nous sommes tous les représentants de nos concitoyens, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, et naturellement aussi de nos concitoyens homosexuels qui vivent en couple. Nous avons simplement une conception différente de ce qu’il faut faire pour traiter les difficultés rencontrées par ces couples, à la fois pour la reconnaissance du lien qui les unit, l’organisation dans un cadre stable de leur vie commune, la description des droits et des devoirs qui tissent leurs engagements mutuels.
    Il me semble que nos différences sont en réalité circonscrites à un sujet essentiel, celui de la filiation et de la parenté. À cet égard, contrairement à ce que nous entendons trop souvent, nous ne cherchons pas à faire moins que vous, nous voulons faire mieux ! Nous considérons en effet que le système dans lequel vous voulez faire entrer les couples homosexuels a des conséquences négatives ou lacunaires.
    Tout d’abord, en l’occurrence c’est une lacune, votre texte ne traite nullement le cas le plus fréquent, c’est-à-dire celui où un père forme, après avoir eu des enfants, un couple avec un autre homme. En la circonstance, le compagnon du père n’est évidemment pas le père – il y a le plus souvent une mère –, mais celui-ci peut, comme dans toutes les familles recomposées, jouer un rôle éducatif et tisser un lien affectif très fort avec l’enfant.
    Ensuite, vous êtes confrontés à une difficulté que nous prétendons régler mieux que vous.
    Nous considérons – cela nous paraît relever du bon sens – que l’on ne peut pas être juridiquement parent sans être ni père ni mère. C’est pourtant la situation que vous allez créer en permettant, par un jugement, soit l’adoption conjointe d’un enfant par un couple d’homosexuels, soit l’adoption des enfants de son conjoint par l’autre membre du couple, lorsque ceux-ci n’ont pas de père ou de mère.
    Comment la loi pourrait-elle désigner comme parent à un enfant un deuxième adulte de même sexe, en lieu et place du père ou de la mère qu’il n’a pas, surtout si cet adulte est d’un autre sexe que ce père ou cette mère qui lui manque ? C’est l’une des failles de votre système. Alors même que les couples homosexuels ne mentent jamais aux enfants qu’ils élèvent – c’est du moins ce qu’ils disent toujours –, la loi créerait un mensonge légal, ce qui me paraît très grave.
    Enfin, loin d’instaurer un prétendu « mariage pour tous », ce qui est un abus de langage, vous créez trois types de mariage à l’égard des enfants.
    Le premier correspond au mariage que nous connaissons : l’enfant naît de la mère et l’époux de la mère devient père par la présomption de paternité.
    Le deuxième type de mariage concerne les couples composés de deux femmes, où un enfant serait conçu par l’une d’elles grâce à l’assistance médicale à la procréation. À ce sujet, le fait que les choses se passent à Bruxelles, plutôt qu’à Nantes ou à Rennes, ne représente pas une très grande différence, car, dès l’adoption du projet de loi, la question fondamentale, celle de la filiation, sera réglée. Vous créerez ainsi la possibilité de faire reconnaître, par un jugement d’adoption, la filiation à l’égard de « l’épouse de la mère », puisque ce sont les termes qu’il faudra employer.
    Le troisième type de mariage correspond au mariage de deux hommes. Un enfant conçu à l’étranger par gestation pour autrui, seul moyen pour un homosexuel d’avoir un enfant avec une paternité reconnue à l’étranger, ne pourra être adopté par l’époux en France, pour la simple – et heureuse ! – raison que la gestation pour autrui est contraire à l’ordre public français.
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Philippe Bas. Voilà les trois mariages que recouvre en fait le prétendu « mariage pour tous » ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour explication de vote.
    M. Alain Fouché. L’amendement du doyen Gélard, de Jean-Jacques Hyest et d’autres membres de notre groupe est important, parce qu’il fait avancer le débat.
    Dans le texte du Gouvernement, nous trouvons la volonté de donner les mêmes droits aux homosexuels qu’aux autres citoyens. Notre volonté est identique, mais pas sur toutes les dispositions. Dans ce domaine, nous pouvons avoir des opinions différentes, vous en avez convenu, madame la garde des sceaux. Quoi qu’il en soit, sachez que je me battrai toujours pour favoriser les droits des homosexuels, qui ne sont plus une minorité cachée.
    La différence entre notre amendement et le texte du projet de loi se situe au niveau de la filiation et de l’adoption, les précédents intervenants l’ont fort bien expliqué. Sur ces sujets très importants, j’ai toujours émis des réserves. Je ne voterai donc pas les dispositions qui les concernent.
    En revanche, je voterai l’amendement n° 4 rectifié bis, parce qu’il représente une avancée : l’union sera célébrée à l’hôtel de ville par le maire, avec la même publicité et le même cérémonial que le mariage – les choses ne sont plus cachées, comme dans le cas du PACS. Les conditions de dissolution seront les mêmes que pour le mariage. Il conviendra, si cet amendement est adopté, de voter les dispositions fiscales et testamentaires idoines.
    Notre amendement n’établit pas de lien avec la filiation ni avec l’adoption, contrairement au mariage pour tous. Le droit à l’enfant, dans notre législation, est différent du droit de l’enfant.
    Le projet de loi suscite de nombreuses inquiétudes chez les Français, notamment toutes ses dispositions relatives à la filiation et à l’adoption. Mes chers collègues, vous circulez tous dans vos départements, en semaine ou le week-end, vous rencontrez des jeunes et des moins jeunes : quelle que soit leur catégorie sociale, tous, dans leur grande majorité, expriment des inquiétudes sur cette partie du texte.
    Mme Cécile Cukierman. Ce n’est pas vrai !
    M. Alain Fouché. Chacun connaît ma liberté de vote et mon engagement sur des dossiers de société parfois difficiles, sur lesquels je travaille avec des collègues de tous horizons. Certains élus ont reçu des menaces. Pour ma part, ni menaces ni directives, c’est en toute liberté que je pense, par ce vote, répondre en toute sécurité à la grande majorité des souhaits formulés par les homosexuels, dont je continuerai à faciliter l’accession aux droits ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, pour explication de vote.
    M. Philippe Marini. Je voudrais m’en tenir à quelques remarques d’ordre politique.
    L’amendement n° 4 rectifié bis me semble extrêmement révélateur du point de vue politique. Peut-être s’agit-il du vrai tournant de nos débats, car cet amendement permet de comparer les approches qui s’opposent au sein de notre hémicycle.
    De notre côté, nous défendons un amendement réaliste qui, sur le plan des principes, peut exiger quelques efforts de la part de quelques-uns d’entre nous ; mais nous allons le voter très largement, car il marque notre volonté d’éviter l’affrontement, d’éviter d’opposer des Françaises et des Français à des Françaises et des Français.
    De l’autre côté de l’hémicycle, que voyons-nous ? Nous voyons s’exprimer l’esprit de doctrine. (Protestations sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    M. Roland Courteau. Mais non !
    M. Jean-Claude Gaudin. Mais si !
    M. Philippe Marini. Nous voyons que ce texte joue pour vous un rôle essentiel, un rôle identitaire, car peut-être est-ce le seul ciment qui peut, aujourd’hui, rassembler les éléments épars de votre majorité contradictoire, car telle est la réalité que nous voyons s’exprimer lors de très nombreux votes dans la Haute Assemblée.
    M. Roland Courteau. Hors sujet !
    M. Philippe Marini. Peut-être aussi tenez-vous tant à ce projet de loi parce que le prétendu « mariage pour tous » est l’une des seules promesses faites pendant la période électorale que vous soyez capables d’honorer vis-à-vis de celles et ceux qui, hélas ! à tort et par naïveté, vous ont fait confiance ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Jean-Marc Todeschini. Pas du tout !
    M. Philippe Marini. À mon sens, il serait raisonnable de tenir compte des démarches de bonne volonté, en particulier de celles de notre groupe, afin d’éviter de durcir davantage les rapports au sein de notre société, de prendre le très grand risque de voir s’exprimer toujours plus de violence. Si M. le rapporteur était présent, je le lui dirais que, quand on ne veut pas recevoir des représentants de larges fractions de l’opinion publique, quand on se refuse à les écouter,…
    M. Jean-Marc Todeschini. Vous avez toujours écouté, vous ?
    M. Philippe Marini. … quand on adopte une attitude figée,…
    M. Michel Vergoz. Calmez-vous !
    M. Philippe Marini. … il ne faut pas s’étonner de voir monter d’une grande partie du corps social, de manières très diverses, des protestations qui deviennent de plus en plus véhémentes ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. Jean-Marc Todeschini. C’est un appel à la rue !
    M. Christian Favier. Vous justifiez la violence !
    M. Philippe Marini. Avec cet amendement, nous proposons de faire un pas dans le sens du réalisme, d’accompagner, dans une certaine mesure, les évolutions de notre société.
    Vous le savez, ce qui pour nous demeure absolument inacceptable, c’est le lien que vous voulez établir entre l’évolution du mariage et les questions de filiation et de parentalité. Vous savez que nous récusons la notion de « droit à l’enfant ». Pour nous, ce qui doit dominer le raisonnement, ce sont les droits et les devoirs des enfants comme ceux des parents, de manière à permettre aux générations qui se succéderont d’accéder dans de bonnes conditions au cheminement de la vie, avec ses chances et ses risques, avec ses moments favorables et ses drames. Il s’agit bien de forger de jeunes personnalités et nous avons la ferme conviction que ce n’est pas dans le cadre de votre prétendu « mariage pour tous » que l’on forgera de vraies personnalités ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Mme Cécile Cukierman. On n’a pas les mêmes convictions !
    M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, pour explication de vote.
    M. Vincent Delahaye. À cet instant du débat, beaucoup de choses ont déjà été dites. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. Roland Courteau. Mais non ! Mais non !
    M. Vincent Delahaye. Pour ma part, j’ai été très impressionné par la mobilisation de centaines de milliers de Français, de millions de Français, pour défendre leurs convictions.
    Mme Cécile Cukierman. Des milliards, même !
    M. Vincent Delahaye. Quelques débordements se sont produits, sur lesquels certains ont beaucoup insisté ici. Personnellement, je les condamne et je dis à leurs auteurs que les actes qu’ils commettent ne servent pas la cause qu’ils défendent. Quoi qu’il en soit, ces incidents ne doivent pas nous faire oublier cette mobilisation des Français, et je suis surpris du peu d’écoute dont fait preuve le Gouvernement, surtout dans la situation qui est la sienne actuellement.
    Il me semblerait normal que le Gouvernement adopte une attitude favorisant le rassemblement, ce qui n’est pas si difficile à faire. Les amendements déposés par l’opposition sénatoriale, notamment ceux du groupe UDI-UC, visent à créer une union civile ouverte à tous, y compris aux couples hétérosexuels. Ils esquissent une piste rendant possible un rassemblement, et le Gouvernement devrait la suivre. Pour l’instant, nous avons l’impression de poursuivre un dialogue de sourds avec le Gouvernement, qui nous entend, mais ne nous écoute pas !
    Les diverses interventions qui se sont succédé montrent que des sensibilités différentes s’expriment au sein des groupes UMP ou UDI-UC, mais, sur les autres travées, on n’entend aucune divergence, alors que, nous le savons bien, là aussi, différentes sensibilités existent !
    Pour ma part, j’ai recherché quelques citations intéressantes, notamment de Lionel Jospin… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Mme Cécile Cukierman. Il a quitté la politique depuis longtemps !
    M. Vincent Delahaye. Il disait : « L’enfant n’est pas un bien que peut se procurer un couple homosexuel ou hétérosexuel, il est une personne née d’une union, quelle qu’en soit la modalité, d’un homme et d’une femme. J’entends parler de droit à l’enfant alors que l’on devrait mettre en avant le droit de l’enfant : droit de l’enfant à avoir un père et une mère, droit de l’enfant à connaître ses origines. »
    J’ai bien sûr retrouvé des propos souvent cités, ceux d’Élisabeth Guigou, à l’époque des débats sur le PACS, il y a quinze ans : « Un enfant a droit à un père et une mère. Ce droit de l’enfant ne peut dépendre du statut juridique du couple de ses parents. […] Je veux être parfaitement claire. Je reconnais totalement le droit de toute personne à avoir la vie sexuelle de son choix. […] Mais je dis avec la plus grande fermeté : ce droit ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l’enfant. »
    Plus récemment, la députée-maire socialiste de Chambéry, Bernadette Laclais, déclarait : « […] au nom de l’égalité des droits entre adultes, faut-il créer par la loi des inégalités entre enfants ? »
    Enfin, je citerai le courageux maire socialiste de Chasselas, en Saône-et-Loire : « Moi, homosexuel, je souffre de ne pas avoir d’enfants ; c’est l’une des limites dans ma vie. Mais je ne demande ni à l’État ni à la science de la combler : par respect pour moi-même et pour les enfants. J’accepte les lacunes liées à la nature même de l’homosexualité, des lacunes que l’institution du mariage pour tous ne comblerait en rien. Moi, élu et citoyen, je rejette, avec force et détermination, cette société matérialiste et consumériste qui voudrait légitimer le droit à l’enfant. Je rejoins ainsi l’immense majorité des personnes homosexuelles qui ne sont pas pacsées, qui n’ont pas d’enfant, et qui ne réclament que le respect de leur différence. »
    À dialoguer comme j’ai pu le faire avec des associations représentant les homosexuels et avec de nombreux homosexuels non affiliés, on se rend compte que leurs exigences bien légitimes de reconnaissance et de non- discrimination à leur encontre vont rarement aussi loin que le texte qui nous est présenté, notamment dans sa partie adoption. Je pense que le Gouvernement et l’ex-candidat à la présidence de la République, François Hollande, se sont laissés abuser par un collectif inter-LGBT qui ne représente qu’une infime minorité des personnes homosexuelles luttant pour la reconnaissance de leurs droits.
    Si chacun faisait preuve d’esprit constructif – je crois que c’est aussi le rôle des élus et du Gouvernement –, il serait possible de se rejoindre sur cette union civile ouverte à tous, aux couples homosexuels, comme aux couples hétérosexuels, laquelle union n’ouvre pas le droit à l’adoption, notamment à l’adoption plénière. Il s’agit en effet de permettre aux enfants adoptés d’avoir un père et une mère et de connaître leurs origines.
    C’est la raison pour laquelle je soutiendrai l’amendement qui a été déposé par François Zocchetto au nom du groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
    Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe est une proposition en apparence séduisante, car porteuse de progrès à plusieurs égards. Je vous propose de les reprendre.
    Premièrement, cela améliorerait la reconnaissance sociale de cette union grâce à une célébration en mairie.
    Deuxièmement, cela éliminerait certaines discriminations, je pense notamment à la pension de réversion ou à la garantie pour le conjoint survivant de pouvoir demeurer dans le logement commun. Un problème moins commenté mais non moins grave est celui de la liberté de circulation des couples internationaux. Contrairement au mariage, le PACS ne facilite ni la délivrance d’un visa pour la France, ni l’obtention d’un titre de séjour, ni l’accès à une naturalisation. J’avais d’ailleurs défendu en février 2011 un amendement visant à faciliter l’obtention d’un visa long séjour aux conjoints pacsés, mais il m’avait fallu le retirer. À ce jour, le seul progrès en ce domaine, obtenu grâce à un autre de mes amendements, c’est que le refus de visa doit désormais être motivé.
    Troisièmement, cela améliorerait la sécurité juridique en cas de dissolution de l’union. Ce dernier point me semble particulièrement important. Le mariage, qui insiste sur l’engagement dans la durée des partenaires, est plus difficile à dissoudre que le PACS. Cette stabilité, cette fidélité dans le mariage ont des effets positifs pour la société. Il s’agit, au-delà d’une morale personnelle, de maintenir des repères sociaux et culturels fondamentaux.
    À l’heure où de plus en plus de couples optent pour le PACS plutôt que pour le mariage, il pourrait sembler positif que l’État encourage un tel engagement dans la durée, y compris entre personnes de même sexe.
    « Le mariage est un acte politique et civil », nous dit le philosophe et ancien président de la commission d’éthique de la fédération protestante, Olivier Abel, en ce qu’« il tisse des différences dans une société qui éprouve ainsi son unité, en dépit des différences de milieu, de confession, d’opinion, éventuellement de nationalité ». Le mariage permet aussi d’organiser, de civiliser les rapports de force au sein du couple et de protéger le faible, ce que le PACS fait mal. « En renonçant à instituer la conjugalité, on contribue à la précarisation générale des engagements collectifs et à donner libre cours à la vengeance et à la violence », nous dit également Olivier Abel.
    La procédure du divorce, plus longue que celle du PACS, permet de laisser un temps de réflexion et de négociation aux couples qui se séparent. Surtout, après un divorce, le conjoint économiquement plus faible peut bénéficier d’une pension alimentaire ou d’une prestation complémentaire.
    Si le présent projet de loi se contentait de permettre aux couples de personnes de même sexe d’accéder à ce cadre institutionnel, je pourrais peut-être, sans doute même, le voter. Cependant, le mariage n’est pas seulement affaire de conjugalité, il soulève aussi de graves questions de filiation. La filiation peut être organisée hors mariage, ce qui est d’ailleurs le cas pour de nombreux couples hétérosexuels vivant en concubinage ou pacsés. Mais le mariage, sous sa forme actuelle, ne peut être pensé sans sa dimension filiale. Dès lors qu’un enfant naît au sein d’un couple marié, la présomption de paternité est automatique. Cela ne pourra pas être le cas dans un mariage homosexuel.
    Or un cadre juridique donné doit avoir les mêmes effets pour tous. C’est la raison pour laquelle il me semble infiniment préférable de créer une union civile ouverte à tous les couples, quelle que soit leur orientation sexuelle. Elle aurait les mêmes conséquences que le mariage en termes de régime matrimonial et de droits sociaux, elle serait célébrée en mairie et serait moins facilement dissoluble que le PACS. Outre la portée symbolique importante de ce terme de « mariage », la seule différence avec le mariage serait que cette union séparerait, juridiquement et symboliquement, la dimension de la conjugalité de celle de la filiation.
    Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, je ne comprends vraiment pas pourquoi vous opposez un tel refus de principe à cette solution de sagesse. Celle-ci serait facteur de progrès et d’apaisement dans notre société, qui en a bien besoin.
    Jusqu’à présent, je n’ai pas entendu d’argument qui m’ait dissuadée de soutenir cette union civile. Je voudrais donc vraiment vous exhorter à réfléchir, avant votre vote, à l’amendement présenté par le doyen Gélard. Il offre en effet toutes les garanties nécessaires à cet apaisement et, surtout, à cette égalité de droits que nous voulons tous entre homosexuels et hétérosexuels. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
    M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
    M. Hugues Portelli. Même si je célèbre beaucoup de mariages en tant que maire, je constate que le nombre de mariages recule dans ma commune. Voilà la réalité d’aujourd’hui !
    Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !
    M. Hugues Portelli. À mon sens, c’est cette situation qui devrait nous préoccuper. Au lieu de vouloir étendre le mariage à d’autres catégories de citoyennes et de citoyens, ce qui ne va pas beaucoup faire progresser les statistiques du mariage dans ce pays, on devrait se demander pourquoi dans une ville comme la mienne, par exemple, la majorité des enfants naissent maintenant hors mariage et pourquoi ceux qui décident de vivre ensemble préfèrent se pacser plutôt que se marier.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Eh oui !
    Mme Laurence Rossignol. Parce que le divorce coûte cher !
    M. Hugues Portelli. Je peux vous assurer que le cas de ma commune n’est pas isolé.
    Face à cette réalité, les sénateurs de l’UMP et ceux du centre ont choisi d’adopter une démarche pragmatique. Nous n’avons pas cherché à fabriquer un instrument a priori dogmatique, mais à savoir quels sont les problèmes des gens. Nous savons que nos concitoyens se marient de moins en moins, mais qu’ils ont besoin de tisser des liens et de bénéficier d’une sécurité juridique et patrimoniale. Dans ces conditions, créons les instruments, à l’instar d’ailleurs du PACS, afin que cette sécurité juridique et patrimoniale soit de plus en plus forte. Voilà de quoi ils ont besoin aujourd’hui, et non d’instruments symboliques, dogmatiques, qui ne serviront pas à grand monde !
    Si le projet de loi est adopté, il y aura pendant un moment quelques mariages dont on verra les photos dans les magazines. Après, la tendance se ralentira, on le sait pour avoir vu ce qui s’est passé chez nos voisins. Une fois que la routine sera de retour, on se posera les questions qu’on aurait dû soulever aujourd’hui : que faire pour donner plus de sécurité juridique aux familles monoparentales ou aux couples qui se séparent ? Que faire pour les enfants qui vivent ces situations ?
    Or, avec ce texte, on fonctionne à l’envers ! C’est là qu’on voit, et je suis complètement d’accord avec tous ceux et toutes celles qui ont parlé avant moi, que la vraie raison du projet de loi est non pas le mariage, mais la filiation : on veut nous imposer une filiation dont la majorité des habitants de ce pays ne veulent pas !
    Mme Cécile Cukierman. Nous pensons à ceux qui la veulent !
    M. Hugues Portelli. Je le répète, nous, nous proposons de créer un instrument juridique pragmatique et d’améliorer ce qui existe aujourd’hui. À titre personnel, je le dis franchement, j’aurais préféré que les sénateurs centristes et de l’UMP s’accordent sur un seul texte. Mais, puisqu’il y a en a deux, je les voterai l’un et l’autre parce que le dispositif me paraît bon.
    Je rejoins tous ceux qui se sont exprimés avant moi pour dire leur accord sur l’union civile et sur la création de liens pragmatiques afin d’améliorer la vie des gens. Pour nous, il est hors de question de fabriquer des liens de filiation dont nous savons très bien qu’ils sont l’antichambre d’autres types d’instruments juridiques dont nous ne voulons absolument pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.
    Mme Nicole Bonnefoy. Il existe aujourd’hui dans notre droit trois formes d’union : le concubinage, le PACS et le mariage.
    Mes chers collègues, les amendements que vous nous proposez visent à créer une quatrième catégorie d’union qui ne serait réservée qu’aux couples de personnes de même sexe.
    M. Jean-Claude Gaudin. Mais non !
    Mme Nicole Bonnefoy. Cette union civile, comme vous l’appelez, serait censée faire droit aux souhaits d’une célébration solennelle à la mairie et intègrerait les droits ultra-patrimoniaux. Or je rappelle une nouvelle fois que l’objet de cette réforme est non pas d’accorder des droits spécifiques aux couples de personnes de même sexe, mais de leur ouvrir l’accès à une institution républicaine dont ils sont aujourd’hui exclus. Il serait inutile, voire discriminatoire, d’instaurer une nouvelle forme d’union qui leur serait réservée.
    Par ailleurs, nous nous étonnons que vous proposiez la création d’une union calquée pour l’essentiel sur le mariage, exception faite de la filiation. En effet, pour la définir, vous avez repris le contenu du mariage en refusant d’en conserver le nom. Je vous pose une question simple : pourquoi créer un contrat spécifique, juridiquement identique – ou presque – à celui qui est déjà inscrit dans le code civil, sinon pour éviter d’ouvrir ce dernier aux personnes de même sexe ?
    Il est surprenant que certains de nos collègues reconnus pour leurs compétences de juristes en viennent à faire cette proposition, qui va inévitablement alourdir notre droit en créant un empilement des formes d’union – mariage, PACS, union civile et concubinage.
    En outre, je souhaite souligner le manque de cohérence et de lisibilité de votre message politique. Vous y avez vous-même volontairement consenti il y a quelques minutes.
    Voilà dix ans, vous vous opposiez, avec la plus grande virulence, à la création du PACS, développant des arguments proches de ceux que vous nous exposez aujourd’hui pour vous opposer à l’ouverture du mariage pour des couples de personnes de même sexe. Aujourd’hui, vous proposez une union civile dont les garanties sont très supérieures à celles du PACS de 1999, que vous jugiez inacceptables à l’époque ! Le paradoxe va même plus loin – nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises –, car vous en venez désormais à soutenir le PACS et à vouloir l’étendre.
    Monsieur Gélard, je constate, par exemple, que vous proposez plusieurs amendements tendant à l’améliorer, notamment en matière d’adoption simple ou en ce qui concerne son application en Polynésie.
    Monsieur Milon, vous proposez aussi l’ouverture de l’adoption pour les personnes pacsées.
    Mes chers collègues, nous avons un peu de mal à vous suivre. D’une certaine manière, cela peut nous rassurer, car dans dix ou quinze ans, vous nous proposerez sûrement des amendements visant à améliorer le mariage aux couples de personnes de même sexe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
    En tout état de cause, vous l’aurez compris, le groupe socialiste est fondamentalement opposé à la création d’une union civile. Celle-ci va en effet à l’encontre de l’esprit du projet de loi en perpétuant une différence de traitement entre les individus en fonction de leur orientation sexuelle.
    Les personnes homosexuelles ne sont pas des êtres à part. Ce sont des citoyens comme les autres ! Ils n’ont pas à être traités différemment. C’est d’ailleurs l’essence même du projet de loi que d’offrir les mêmes droits à toutes et à tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 4 rectifié bis.
    J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe UMP et, l’autre, du groupe socialiste.
    Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 130 :
    Nombre de votants 343
    Nombre de suffrages exprimés 336
    Majorité absolue des suffrages exprimés 169
    Pour l’adoption 157
    Contre 179
    Le Sénat n’a pas adopté. (M. David Assouline applaudit.)
    La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote sur l’amendement n° 6.
    M. Christian Cointat. Je souhaite compléter les propos que j’ai tenus lors de la présentation de cet amendement. En plus de conforter l’espoir éprouvé par une partie de la population de se voir enfin reconnue, il faut ouvrir une voie de retour aux jeunes homosexuels qui ont choisi d’aller se marier à l’étranger et s’y sont installés sans pouvoir revenir en France, de peur de perdre leurs droits.
    Il est vrai que ce débat sur le mariage, ou assimilé, soulève une question importante, souvent évoquée, à savoir celle du « désir d’enfant » – autrement dit de l’adoption, de la PMA et de la GPA –, qui constituera un vrai problème pour l’évolution de la famille s’il n’est pas maîtrisé.
    L’adoption est déjà possible, et l’instauration du « mariage pour tous », tel qu’il est proposé, n’y changera rien, faute d’un nombre suffisant d’enfants à adopter. Là où le danger guette l’avenir de la « famille » telle que notre société la perçoit, c’est au niveau de la PMA et de la GPA. Or le projet de loi du Gouvernement, tel qu’il est actuellement rédigé, n’en traite nullement, car les auteurs du texte savaient pertinemment que, dans ce cas, il n’aurait pas été possible de réunir une majorité sur cette proposition. L’inquiétude pour les « enfants à venir » n’a donc pas lieu d’être dans le cadre législatif présent, car elle repose sur des bases purement théoriques. Quant au contrat d’union civile, le texte n’en ouvre nullement la possibilité.
    En revanche, il faut résoudre le problème des « enfants existants », nés de l’un ou l’autre des parents homosexuels, voire des deux. Ces enfants ne doivent pas être oubliés. Encore plus que les autres, ils ont besoin de reconnaissance, de protection et d’identité. Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, le PACS n’est pas adapté. Au reste, à sa création, j’étais contre à cause de son insuffisance même ; la suite des événements m’a donné raison.
    Ce seul aspect du problème mérite que nous légiférions pour améliorer les choses. On ne peut pas, je le répète, se désintéresser de ces enfants.
    J’estime donc indispensable de répondre à l’attente légitime d’une partie de la population, mais nous devons le faire sans heurter l’autre partie de nos concitoyens, dont la participation aux manifestations d’opposition au « mariage pour tous » témoigne de l’importance.
    Tel est le sens de cet amendement : satisfaire les uns sans blesser les autres. L’adoption de ce contrat d’union civile permettra aux couples homosexuels, comme aux couples hétérosexuels, d’avoir droit à un véritable foyer, tout en apaisant les inquiétudes des opposants à l’ouverture du mariage. Elle peut ainsi résoudre les contradictions et les problèmes qui ont été soulevés et, de surcroît, le faire en douceur... Pourquoi donc se priver de l’adopter ?
    Il n’est pas nécessaire, monsieur le rapporteur, d’attendre le vote éventuel d’une proposition de loi. Votons ce dispositif maintenant ! Garantissons les droits fondamentaux, au cas où le Conseil constitutionnel ne validerait pas la notion de mariage, comme je l’ai entendu dire à plusieurs reprises. Au moins aurons-nous pu aller de l’avant et garantir les droits essentiels que réclament les homosexuels !
    Nous ne pouvons pas rester sans légiférer. Si nous n’ouvrions pas à ces couples, dans la loi, au moins l’accès à un contrat d’union civile comparable au mariage, alors oui, mes chers collègues, je suis navré de vous le dire, je voterais le texte proposé par le rapporteur, comme j’ai été conduit à le faire en commission des lois. Je le voterai, non par conviction – moi non plus, je ne souhaite pas que l’on touche au symbole du mariage ! –, mais par devoir. Non, nous n’avons pas le droit, en tant que législateur, de laisser perdurer une situation inéquitable, et ce d’autant plus que la solution n’entraîne aucune réelle conséquence pour les autres !
    S’il n’est pas possible d’obtenir le « bon choix », autrement dit le contrat d’union civile, ce qui serait regrettable, je préfère un « moins bon », le mariage, à deux « très mauvais » : rien et le PACS.
    Ce n’est pas le « mariage pour tous » qui guide mon action, mais le droit au bonheur pour tous.
    M. David Assouline. Bravo !
    M. Christian Cointat. À la suite de ma prise de position en commission, j’ai été inondé de courriels d’insultes, de menaces, de haine. On assiste avec internet à un dévoiement de la démocratie de proximité par le recours à l’intimidation et à la dictature de la pensée. Je suis atterré et attristé de voir se manifester une telle intolérance, doublée de méchanceté et de sectarisme, vis-à-vis de ceux qui pensent différemment. Ce n’est guère encourageant pour l’avenir de notre société.
    M. David Assouline. Vos collègues de l’UMP ne veulent pas le reconnaître !
    Mme Sophie Primas. Ça suffit, monsieur Assouline !
    M. Christian Cointat. Pourtant, au milieu de cette noirceur nauséabonde, j’ai reçu un message que je vous livre, car il fut un véritable rayon de soleil qui donne la force d’affronter tous les combats, et dont je remercie son auteur, un jeune homosexuel : « Comme des centaines de personnes, j’ai appris votre position à propos du projet de loi pour l’ouverture du mariage... Vous devez sûrement avoir reçu tout autant de mails pour vous demander de changer d’avis, pour tenter de vous expliquer comme cette loi pourrait “déstabiliser” la société voire pire...
    « Mon mail est donc tout à fait différent. Je tenais à vous remercier pour votre courage et la force de vos valeurs, notamment en tant que sénateur UMP. En ces temps sombres où, pour la première fois, je sens que mon homosexualité dérange et où l’homophobie se banalise, les choix de personnes comme vous signifient beaucoup.
    « N’oubliez jamais que cette loi, ne changeant rien au quotidien des milliers de personnes qui manifestent, impactera sensiblement le reste de ma vie... ». Ce message m’a fait chaud au cœur !
    Un pays dans lequel les gens sont heureux est bien plus florissant, bien plus fort, qu’un pays où les citoyens ne le sont pas. Je ne l’oublie jamais. Aussi, dans l’exercice de mon mandat de législateur, mes convictions personnelles s’effacent toujours devant ce que je considère comme l’intérêt général, dont l’équité est pour moi un élément fondamental.
    Alors légiférons, mes chers collègues, légiférons avec efficacité, légiférons avec habileté et douceur. N’oublions pas que les citoyens sont inquiets. Or, comme le disait un philosophe du XVIIIe siècle, et c’est malheureusement toujours d’actualité, « quand les peuples cessent d’estimer, ils cessent d’obéir ». (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Les interventions sur l’amendement n° 4 rectifié bis ayant été très nombreuses, ce qui est tout à fait normal, ainsi que sur l’amendement n° 169 rectifié ter du groupe UDI-UC, je souhaite revenir brièvement sur l’amendement n° 6 avant que nous ne passions au vote.
    Comme je l’ai dit précédemment, cet amendement ne se substitue pas au texte actuel, mais établit une union civile ou un PACS rénové pour tous.
    Monsieur Cointat, j’avais proposé en commission des lois que vous retiriez votre amendement, qui n’a pas sa place dans le texte actuel, et que vous présentiez, avec certains de vos collègues – je sais que vous n’êtes pas seul à travailler sur ce sujet –, une proposition de loi qui viendrait ultérieurement en discussion et dont les dispositions pourraient ainsi être inscrites dans le code civil – pourquoi pas à la place de celles relatives au PACS ? À défaut de retrait, je suis donc au regret, au nom de la commission des lois, d’émettre un avis défavorable.
    M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.
    J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
    Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 131 :
    Nombre de votants 344
    Nombre de suffrages exprimés 311
    Majorité absolue des suffrages exprimés 156
    Pour l’adoption 133
    Contre 178
    Le Sénat n’a pas adopté.
    Je mets aux voix l’amendement n° 169 rectifié ter.
    J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
    Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 132 :
    Nombre de votants 345
    Nombre de suffrages exprimés 341
    Majorité absolue des suffrages exprimés 171
    Pour l’adoption 164
    Contre 177
    Le Sénat n’a pas adopté.
    La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote sur l’amendement n° 192 rectifié.
    M. Charles Revet. Quelle réponse peut-on apporter aux personnes de même sexe qui souhaitent vivre ensemble ?
    Vous proposez le mariage, madame le garde des sceaux. Or bon nombre d’entre nous y sont totalement opposés, pour au moins deux raisons.
    En premier lieu, le terme mariage est signifiant : depuis qu’il existe, il correspond à la situation de deux personnes de sexe différent, un homme et une femme, qui, par leur complémentarité, peuvent donner la vie, ce que deux hommes ensemble ou deux femmes ensemble ne pourront jamais faire.
    En second lieu, et c’est probablement la raison la plus importante, si le texte est adopté, le risque est grand que, dès sa parution au Journal officiel, certains saisissent la Cour européenne des droits de l’homme ou la Cour de justice de l’Union européenne et que la France se voie de fait imposer l’adoption plénière, la PMA, voire la GPA. Or il va de soi que, sur les travées de l’opposition, nous ne voulons pas de cela, pas plus qu’un grand nombre de sénateurs de la majorité, du reste. Le Président de la République lui-même a d’ailleurs affirmé que, durant son quinquennat, il ne saurait en être question.
    Certes, madame le garde des sceaux, ce pourrait être une manœuvre habile – j’ignore si c’est prémédité – qui vous permettrait de dire demain que vous non plus ne le vouliez pas – preuve en est, cela ne figure pas dans le texte –, mais qu’il va falloir désormais s’en accommoder, puisque cela s’impose à nous. Il nous faut prendre cette menace au sérieux.
    L’amendement que j’ai déposé tente également de répondre à la question qui ouvre mon propos. Notre droit propose déjà un terme qui correspond à la situation. C’est celui de concubinage, qui figure à l’article 515-8 du code civil et qui est ainsi défini : « […] union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». Je l’ai transformé en « concubinat », pour en étendre les dispositions. Cette réponse permettrait l’avancée tant attendue par certains, tout en empêchant les recours à l’échelon européen.
    On nous a accusés d’être homophobes, au prétexte que, si l’on n’est pas pour le mariage pour tous, on est contre les personnes de même sexe qui veulent vivre ensemble. C’est le contraire ! Nous souhaitons proposer des solutions. C’est le cas avec cet amendement, dont l’adoption évitera les risques qui nous guettent si l’article 1er est voté.
    Madame le garde des sceaux, y aurait-il aujourd’hui deux mondes : le cercle fermé dans lequel nous sommes et l’extérieur ? J’ai bien entendu M. le Président de la République appeler à l’apaisement au regard des problèmes, notamment économiques, que traversait notre pays. Ce matin encore, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale soulignait que nous avions besoin de cohésion. Il est vrai que ce que nous vivons en ce moment touche l’ensemble des responsables politiques...
    Cet amendement est susceptible d’apporter une réponse qui comblerait les attentes de ceux qui ont suggéré ce projet de loi. Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de l’adopter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
    M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Cointat, je salue vos propos et votre prise de position. J’ai eu connaissance des menaces que vous avez reçues. Sachant que vous souhaitiez rester discret, je m’étais contentée de vous envoyer un petit mot. Puisque vous en faites aujourd’hui publiquement état, je tiens à vous dire tout aussi publiquement que les pratiques dont vous avez été la cible sont absolument inadmissibles. Je crois que ce point de vue est partagé sur l’ensemble des travées. (Applaudissements.) M. le rapporteur et moi-même avons eu l’occasion de souligner que l’amendement que vous aviez présenté était d’une autre nature que l’ensemble des amendements en discussion commune.
    Monsieur Revet, comme pour les autres amendements en discussion commune, l’amendement n° 192 rectifié fait l’objet d’une opposition de principe du Gouvernement, opposition que vous pouvez ne pas apprécier. Vous contestez le projet du Gouvernement, tout comme le Gouvernement conteste le vôtre, car ces deux projets sont résolument différents. Le Gouvernement a choisi d’ouvrir l’institution du mariage en l’état, à droit constant, ainsi que l’adoption, aux couples de personnes de même sexe ; telle n’est pas votre démarche.
    Je voudrais revenir sur certains propos tenus lors de la discussion de l’amendement n° 4 rectifié bis.
    Monsieur M. Trillard, vous vous êtes référé à une déclaration que j’ai faite à l’Assemblée nationale. Malheureusement, vous n’en avez retenu qu’un petit bout. Je vous invite donc tous, mesdames, messieurs les sénateurs, par souci de vérité, à aller lire l’intégralité de mes propos, même si cela relève du pensum. (Sourires.)
    J’avais alors déclaré, en substance, que le mariage était une institution conservatrice, à double titre.
    Premièrement – je crois avoir assez longuement insisté sur ce point, à l’Assemblée nationale comme au Sénat –, elle témoigne d’un ordre passé, car elle véhicule une conception de la conjugalité, de la vie de famille et de la liberté de chacun des membres du couple. Nous avons vu la définition qu’en avait donnée Portalis, puis l’évolution de l’institution, avec l’autorisation du divorce, conçue comme liberté suprême – puisqu’on peut contracter mariage, on peut tout aussi bien dissoudre mariage –, sa suppression – c’est-à-dire une nouvelle restriction de liberté – et enfin, de nouveau, son autorisation.
    Deuxièmement, elle porte les empreintes de tous les combats, de tous les débats, de tous les progrès réalisés dans la société française sur les questions des libertés individuelles et de l’égalité.
    Avant que je ne termine ma démonstration à l’Assemblée nationale, le député Claude Goasguen s’est exclamé : « Dans ce cas, ce n’est pas une institution conservatrice, mais conservatoire ! » Je lui ai répondu que si c’était une institution conservatoire, elle serait figée. Elle est conservatrice au sens où elle témoigne du passé et, de surcroît, elle en porte les traces.
    Le rappel de la teneur exacte de mes propos me semble de nature à invalider le commentaire que vous en avez fait, monsieur Trillard.
    Je passe sur le rapprochement, assez malheureux selon moi – je l’ai aussi entendu à l’Assemblée nationale –, que vous avez effectué avec les pratiques des vétérinaires en matière de transferts d’embryons. Je ne m’appesantirai pas sur ce point, car je souhaite que notre travail soit constructif.
    Monsieur Raffarin, les mots que vous avez prononcés ont résonné très fortement en moi. J’ai été très sensible à votre réflexion « en surplomb », au sens où l’on s’élève pour comprendre et analyser, notamment lorsque vous vous alarmez de cette violence qui est train de s’installer et de se manifester au grand jour dans la société, faisant fi de toutes les règles et principes du contrat républicain, lequel permet les oppositions, les désaccords, les divergences, les polémiques, voire les disputes, mais toujours dans le respect de la civilité de notre vie commune.
    Lorsque vous me dites que, en tant que garde des sceaux, je devrais être encore plus que d’autres touchée et concernée par ces sujets, vous avez raison : les misères sociales et morales sont en effet le quotidien du garde des sceaux, mais aussi celui des magistrats, des greffiers ou des avocats, particulièrement dans les tribunaux d’instance. Nous vivons cette violence et ces difficultés sociales dans nos juridictions. Mais les personnes victimes d’actes homophobes la vivent également lorsqu’elles subissent ces discriminations et ces inégalités.
    Nous partageons manifestement une même inquiétude sur l’état de notre société, sur la façon dont est en train de se défaire le lien social, avec cette radicalisation qui s’exprime parfois violemment, soit symboliquement, à travers le verbe, les messages ou les menaces, soit physiquement. Nous en sommes tous inquiets, mais aussi tous comptables, car c’est ensemble que nous ferons reculer cette violence et triompher de nouveau la civilité dans ce pays.
    Cela étant, la conclusion à laquelle vous parvenez ne me semble pas judicieuse. Je ne crois pas en effet qu’une si belle profession de foi sur la nécessité de ramener la paix civile dans la société puisse être utilisée comme argumentaire en faveur de l’union civile.
    Monsieur Karoutchi, vous avez regretté, avec toute la franchise qui vous caractérise, que, au cours des dix dernières années, et particulièrement lors du précédent quinquennat, aucun projet de loi ou proposition de loi sur l’union civile n’ait été présenté et adopté.
    À entendre aujourd’hui toutes les interventions de Mmes les sénatrices et de MM. les sénateurs en faveur de l’union civile, je regretterais presque – j’ai un petit côté masochiste (Sourires.) – qu’ils ne vous aient pas davantage soutenu à l’époque, car nous aurions aujourd’hui un texte. Je maintiens toutefois que cette démarche n’est pas de même nature que celle du Gouvernement.
    Il reste que, au regard de cette extraordinaire harmonie et de cette parfaite unanimité en faveur de l’union civile, je ne peux m’empêcher de me dire que vous auriez eu grand besoin de tous ces soutiens ces dernières années…
    Je veux surtout retenir deux choses dans vos propos.
    Tout d’abord, nous aurions pu, selon vous, retenir le mot « mariage », tout en le déconnectant de l’adoption. Ce n’est pas à vous que j’apprendrais que, pour notre code civil, le mariage entraîne l’adoption.
    M. Charles Revet. Et voilà !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement a décidé d’ouvrir l’institution du mariage aux couples de personnes de même sexe, et l’article 343 du code civil ouvre aux époux non séparés de corps, mariés depuis plus de deux ans ou âgés l’un et l’autre de plus de vingt-huit ans, l’adoption plénière et l’adoption simple. Cette question n’est donc pas sémantique, elle est liée à l’institution du mariage, puisque nous l’ouvrons à droit constant.
    Enfin, à vous entendre, nous nous obstinerions parce que nous ne parlons pas à la droite. Vous savez bien que cela est faux. D’abord, dans cet hémicycle, nous nous parlons en parfaite urbanité. Dans cette enceinte, je ne dialogue d’ailleurs pas avec la droite, mais avec l’opposition sénatoriale, et je le fais avec le même respect.
    Je note aussi que cette discussion a été engagée bien avant l’examen du texte en séance publique. Au cours de mon audition devant la commission des lois, les sénateurs de l’opposition ont pu s’exprimer et poser des questions. Je leur ai répondu, peut-être avec insuffisance à vos yeux, mais en tout cas avec le même soin et la même attention qu’aux sénateurs de la majorité.
    De surcroît, j’ai souhaité m’entretenir avec un certain nombre de sénateurs de l’opposition. Je n’ai pas vu tous ceux que j’avais prévu de voir, faute de temps, mais ceux que j’ai sollicités ont accepté de me rencontrer, et nous avons pu échanger en toute franchise.
    Ne nous accusez donc pas de ne pas parler à la droite ! Je l’ai déjà dit : l’œuvre législative est une œuvre éminemment responsable. Lorsque nous écrivons la loi, nous devons veiller à ce qu’elle soit juste, claire et, de surcroît, à ce qu’elle améliore la vie de nos concitoyens. C’est bien dans cet esprit que nous travaillons dans cet hémicycle.
    La droite n’est pas pestiférée, en aucune façon !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Ah !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’assume d’ailleurs publiquement d’avoir des relations, des échanges et des entretiens avec les membres de l’opposition, pour éventuellement constater, le cas échéant, que nos points de vue ne convergent pas, même après la confrontation d’arguments.
    Monsieur Gournac, vous pensez qu’Aimé Césaire, que j’ai précédemment cité dans le débat, n’aurait certainement pas approuvé le mariage pour tous. Il est toujours extrêmement délicat de faire parler ceux qui sont partis.
    M. Alain Gournac. Vous l’avez fait aussi !
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non, j’ai simplement dit que notre démarche consistait à « forcer de fumantes portes ».
    Aimé Césaire n’a pas eu l’occasion de s’exprimer sur le mariage des couples de personnes de même sexe. Néanmoins, dans son œuvre, riche et dense, il est question des personnes victimes d’inégalités ou de discriminations de fait ou de droit. Ainsi, dans le Cahier d’un retour au pays natal, il écrit : « Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serai un homme-juif, un homme-cafre, un homme-hindou-de-Calcutta, un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas. »
    Permettez-moi de penser que, aujourd’hui, il aurait sans doute été solidaire de personnes victimes de discriminations de fait ou de droit. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – MM. Michel Bécot et Yann Gaillard applaudissent également.)
    M. le président. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
    Mme Isabelle Debré. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai participé à deux manifestations calmes, dignes, familiales. À l’instar de tous mes collègues, je ne peux donc que condamner les violences.
    Il est normal de vouloir accorder des droits à des couples de personnes de même sexe qui vivent ensemble depuis de très nombreuses années. Mais vouloir légaliser, ce n’est pas forcément vouloir l’égalité. On ne peut pas mettre sur un même plan ce qui est de nature différente.
    Voilà pourquoi l’UMP avait déposé un amendement qui prévoyait, d’un côté, l’union civile et, de l’autre, le mariage. Cette disposition n’ayant pas été adoptée par la Haute Assemblée, je voterai l’amendement de Charles Revet, qui, lui aussi, établit une différence. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 192 rectifié.
    J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
    Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 133 :
    Nombre de votants 345
    Nombre de suffrages exprimés 312
    Majorité absolue des suffrages exprimés 157
    Pour l’adoption 134
    Contre 178
    Le Sénat n’a pas adopté.
    L’amendement n° 22 rectifié ter n’a plus d’objet. (M. Patrice Gélard acquiesce.)
    L’amendement n° 259 rectifié bis, présenté par MM. Retailleau, G. Bailly, Bécot et Leleux, Mme Procaccia, MM. Béchu, du Luart, Legendre, Sido, del Picchia, Duvernois, de Raincourt, Revet, Cambon, Savary, Pointereau, Cornu, Delattre, Paul, P. Leroy, César, J.P. Fournier et Cardoux, Mme Duchêne, MM. Bordier, Couderc, Fleming et Lenoir, Mme Hummel, MM. Grignon et Huré, Mme Sittler, MM. Magras, Houel, de Legge, Cléach et Gournac, Mme Mélot, M. Pierre et Mme Deroche, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    Le code civil est ainsi modifié :
    1° Au premier alinéa de l’article 758, après le mot : « conjoint », sont insérés les mots : « ou partenaire issu d’un pacte civil de solidarité » ;
    2° Le premier alinéa de l’article 767 est ainsi modifié :
    a) À la première phrase, après le mot : « époux », sont insérés les mots : « ou du partenaire issu d’un pacte civil de solidarité » ;
    b) La deuxième phrase est complétée par les mots : « ou au partenaire ».
    La parole est à M. Bruno Retailleau.
    M. Bruno Retailleau. Madame la garde des sceaux, peut-être vous souvenez-vous qu’en présentant la motion référendaire je vous avais donné acte d’un d’accord entre nous : ce projet de loi est une réforme de civilisation.
    Je vous donne acte d’un autre accord entre nous : le mariage ne dissocie pas la conjugalité de la filiation, comme vous venez de l’indiquer dans votre réponse à nos collègues. C’est la raison pour laquelle nous proposons, à travers différents amendements, des outils juridiques pour tenter de dresser une muraille entre le droit des adultes et le droit des enfants.
    Lors de son rappel au règlement, j’ai entendu David Assouline dire que celles et ceux qui réclament aujourd’hui un référendum justifient, ce faisant, le recours à la violence, car cette demande revient à vouloir diminuer la légitimité de la représentation nationale. Depuis quand en appeler au sens du peuple, comme le disait Michelet, diminue-t-il notre légitimité ? Car c’est bien du peuple que nous tenons le pouvoir de légiférer ! Reste que le projet de loi suscite des oppositions parmi nos concitoyens, en particulier sur la question de la filiation et de la parenté.
    L’amendement que je présente s’inscrit dans le droit fil de ceux qui viennent d’être rejetés. Il vise à rehausser les droits patrimoniaux du couple pacsé, notamment en matière de succession. En effet, le droit en vigueur apparaît particulièrement injuste : seuls les couples mariés, et donc composés de personnes de sexe différent, bénéficient des dispositions successorales. Le seul droit reconnu aux couples de personnes de même sexe consiste en la jouissance gratuite du logement un an après le décès du partenaire.
    Cette situation est choquante. C’est pourquoi je propose d’ouvrir les dispositions successorales au PACS. L’adoption d’une telle mesure protégerait le conjoint survivant en cas de décès de son partenaire. De façon symbolique, on peut dire que la mort n’arrêtera pas l’amour. Il faut dire que s’il existe un instant durant lequel nous sommes tous égaux, c’est bien face à la mort.
    Cette disposition constitue donc un outil juridique permettant de tracer une ligne entre le statut du mariage et celui des couples de personnes de même sexe. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement, sauf si M. Retailleau le retire. (Rires sur les travées de l’UMP.) Ne riez pas, il y a beaucoup de demeures dans la maison de l’UMP : certains, très majoritairement, suivent l’amendement de M. Gélard ; d’autres, de manière isolée, comme M. Revet, présentent un autre système qui s’inspire du concubinage, dispositif qui avait été adopté lors de l’examen du PACS par l’Assemblée nationale après avoir été introduit au Sénat ; quant à M. Retailleau, il emprunte encore une autre voie, individuelle et singulière.
    M. Bruno Retailleau. Cet amendement est cosigné par plusieurs dizaines de membres de mon groupe !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il s’abstient sur l’amendement de M. Gélard et du groupe UMP, mais il veut améliorer le cadre juridique du PACS en instaurant le même régime successoral que celui qui prévaut pour les conjoints mariés.
    Cet amendement est intéressant, tout comme celui de M. Cointat. Toutefois, ce type de dispositions se trouvent hors du champ du texte. Elles trouveront toute leur place lorsque nous reviendrons sur le régime juridique du PACS, notamment en matière successorale. M. Retailleau pourrait donc présenter cette mesure dans le cadre d’un autre débat.
    M. Jean-Claude Gaudin. Et les célibataires, à quoi ont-ils droit ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Monsieur Gaudin, les célibataires ont droit à toutes les faveurs de leur ville, dont ils sont maires depuis des années ! (Sourires.)
    M. le président. Avant de demander l’avis du Gouvernement sur l’amendement, je vous accorde la parole monsieur Gaudin.
    M. Jean-Claude Gaudin. Moi, je suis célibataire. Je n’ai pas de famille, rien !
    Mme Nathalie Goulet. Vous n’avez pas voulu adopter ?
    M. Jean-Claude Gaudin. Je n’aurais pas pu, je ne l’aurais pas voulu non plus.
    Le jour où je vais m’en aller, le peu de biens que j’ai, et que je déclarerai, puisque c’est la mode maintenant – je l’ai d’ailleurs déjà fait deux ou trois fois –, la personne, l’institution ou la ville à qui j’en ferai don devra payer 65 % d’impôts. C’est excessif ! J’aurais aimé que l’on corrige cette situation anormale dans le cadre des dispositions que nous sommes en train d’examiner. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur quelques travées de l’UDI-UC. – M. le rapporteur applaudit également.)
    M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je m’attendais à une ode au célibat, à ses mystères et ses merveilles. (Sourires.) Reste que nous avons entendu qu’il faudra éventuellement modifier le droit.
    Cela étant, comme l’écrit M. Retailleau, l’amendement n° 259 rectifié bis « a pour objet de donner une vocation successorale au PACS, jusqu’ici les partenaires ont besoin de recourir à un testament ». Au vu de cet argumentaire, comme l’indique M. le rapporteur, cette mesure est clairement hors champ du projet de loi.
    Qu’il faille aménager le pacte civil de solidarité, par petites touches ou en profondeur, comme l’a proposé M. Cointat, mérite un débat. Nous pouvons en effet discuter pour savoir s’il faut créer un autre régime juridique.
    Actuellement, il existe trois régimes distincts : le mariage, contrat-institution ; l’union de fait, c’est-à-dire le concubinage ; et le pacte civil de solidarité. En l’occurrence, nous parlons du mariage.
    La ministre chargée de la famille a déjà eu l’occasion de le dire, des débats auront prochainement lieu sur la façon d’améliorer le régime juridique du couple pacsé.
    Telles sont les raisons pour lesquelles l’avis du Gouvernement est défavorable.
    M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 259 rectifié bis.
    J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Claude Gaudin. Encore !
    M. le président. Je rappelle que la commission a demandé le retrait de l’amendement et que le Gouvernement a émis un avis défavorable.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    Articles additionnels avant l’article 1er
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 134 :
    Nombre de votants 342
    Nombre de suffrages exprimés 342
    Majorité absolue des suffrages exprimés 172
    Pour l’adoption 168
    Contre 174
    Le Sénat n’a pas adopté. (Mmes et MM. les sénateurs de l’UMP félicitent M. Bruno Retailleau du nombre de voix obtenues en faveur de son amendement et l’applaudissent.)
    Rappel au règlement

    M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour un rappel au règlement.
    M. Hugues Portelli. Depuis le début de la séance, je constate que nous allons de scrutin public en scrutin public.
    Je me rappelle que, à une époque pas si lointaine, nos collègues et amis du groupe socialiste, alors minoritaires, nous servaient régulièrement une critique contre cette procédure qui visait à pallier les absences scandaleuses de la majorité dans l’hémicycle.
    M. Philippe Marini. Eh oui ! Il ne faut jamais dire « fontaine »…
    M. Hugues Portelli. J’ai l’impression, mes chers collègues, que vous allez nous imposer des scrutins publics tout au long de la séance de ce jour. Je vous invite donc à méditer vos propos d’hier. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
    Rappel au règlement
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Article 1er (Texte non modifié par la commission) (début)
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite)
    M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Gélard, Hyest, Portelli, Bas et Buffet, Mme Troendle et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson, est ainsi libellé :
    Avant l’article 1er
    Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
    I. – Dans le mois qui suit la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l’opportunité de dénoncer tout traité, convention ou accord international, multilatéral ou bilatéral, ratifié ou approuvé, renfermant des stipulations qui règlent des questions matrimoniales, d’adoption ou d’attribution de nationalité par mariage ou de filiation entre les droits applicables aux ressortissants respectifs des deux parties, dans le cas où elles seraient devenues incompatibles avec les dispositions de la présente loi, et notamment :
    - le protocole relatif à l’aide mutuelle judiciaire franco-vietnamien (1954) ;
    - la convention relative à la délivrance de certains actes d’état civil n° 1 (1956) ;
    - la convention d’établissement franco-malgache (1960) ;
    - la convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages (1962) ;
    - la convention franco-polonaise relative à la loi applicable, la compétence et l’exequatur dans le droit des personnes et de la famille (1967) ;
    - la convention sur la légitimation par mariage n° 12 (1970) ;
    - la convention franco-marocaine relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire (1981) ;
    - la convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale (1993) ;
    - la convention concernant l’échange international d’informations en matière d’état civil n° 26 (1997) ;
    - la convention relative à la coopération en matière d’adoption d’enfants entre la République française et la République socialiste du Vietnam (2000).
    II. – Dans le mois qui suit la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport relatif à l’opportunité d’émettre une réserve d’interprétation entre les mains des dépositaires des traités ci-après ratifiés :
    - le pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) ;
    - le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) ;
    - la convention relative aux droits de l’enfant (1990).
    La parole est à M. Patrice Gélard.
    M. Patrice Gélard. Par le biais de cet amendement, j’aborde un problème essentiel qui n’a été traité ni dans le projet de loi ni a fortiori dans l’étude d’impact, à savoir celui des relations de ce texte avec les accords internationaux que nous avons conclus dans le domaine du droit de la famille. En effet, une multitude de conventions qui nous lient à des pays étrangers ont pour objet de régler les problèmes de mariage, d’adoption, de filiation, etc.
    Or, en droit français, il existe une règle simple, qui énonce la valeur supérieure des traités par rapport à la loi. En d’autres termes, nous sommes en train d’examiner un projet de loi dont les dispositions, s’il est adopté, seront en contradiction avec une multitude de traités qui nous lient.
    M. André Trillard. Exact !
    M. Patrice Gélard. Par conséquent, il s’agit d’une irrégularité constitutionnelle.
    M. David Assouline. Vous êtes un spécialiste des irrégularités !
    M. Patrice Gélard. Préalablement à toute transformation des règles du droit de la famille, nous aurions dû modifier nos accords conclus avec les États en question.
    Nous sommes face à une situation difficile à résoudre et qui soulève des interrogations.
    Certes, le Conseil constitutionnel a toujours estimé qu’il n’était pas juge de la conventionalité, mais nous sommes confrontés à un véritable problème de fond, qui constitue une négation de notre État de droit. C’est la raison pour laquelle nous vous proposons une solution, qui, sans instaurer d’injonctions à l’encontre du Gouvernement, a pour finalité de rétablir la normalité de la situation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je souhaite tout d’abord aborder un point de pure forme. En commission des lois, monsieur Gélard, je vous ai entendu dénoncer, comme sous la précédente majorité dont vous étiez membre, la multiplication des rapports remis au Parlement. En l’espèce, en présentant un seul amendement, vous demandez la remise de deux rapports pour le même prix. C’est tout de même beaucoup !
    Par ailleurs, vous le savez très bien, le Conseil constitutionnel, fort heureusement, se refuse à juger de la conventionnalité des lois.
    Dans les faits, que se passe-t-il ? Après avoir préparé un texte, quel qu’il soit, et une fois celui-ci voté, il appartient au Gouvernement de lister toutes les conventions internationales qui pourraient être en opposition partielle ou totale avec ledit texte et de les renégocier. C’est bien évidemment ce qu’il fera.
    L’intéressante question que vous soulevez trouvera sa place au sein des séances qui se déroulent au Sénat lors des semaines mensuelles réservées au contrôle de l’action du Gouvernement, en vertu de l’article 48 de la Constitution.
    En l’état, mes chers collègues, la commission des lois vous propose de rejeter l’amendement.
    M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Gélard, vous avez eu raison de rappeler que, dans la hiérarchie des normes, les traités internationaux s’imposent et ont une portée supérieure à celle de notre droit interne. Votre souci est tout à fait légitime. Néanmoins, je vous prie de faire crédit au Gouvernement : il s’est préoccupé de cette question dès l’élaboration du projet de loi. Faites également confiance au Conseil d’État, qui s’en est aussi soucié. À ce propos, M. Hyest a manifestement eu connaissance du rapport de celui-ci puisque, lorsqu’il a présenté la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, il nous a donné lecture d’une partie de ce document.
    Le Conseil d’État indique très précisément que « ni les obligations internationales de la France ni le droit constitutionnel ne s’opposent à un tel choix », à savoir celui du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe.
    Au moment de l’élaboration du projet de loi, nous avons eu le souci de vérifier les contradictions éventuelles qui pourraient résulter de l’évolution de notre droit civil que nous proposons avec les conventions multilatérales et bilatérales par lesquelles la France est liée.
    Ainsi, dans chaque texte que nous avons examiné, nous avons étudié les dispositions relatives au mariage puisque, monsieur Gélard, à travers aussi bien cet amendement que diverses interventions que vous avez faites, vous avez soulevé la question de savoir si une quelconque convention définissait le mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme, définition qui entrerait en contradiction avec l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe que nous voulons mettre en œuvre.
    Nous avons tout d’abord étudié la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée en 1950 et modifiée, comme vous le savez, par les protocoles nos 11 et 14. Son article 12 dispose : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. » En l’occurrence, nous sommes bien en train de faire évoluer la loi nationale.
    De surcroît, en 2010, la Cour européenne des droits de l’homme, ayant été amenée à se prononcer, a estimé que, en cas de désaccord entre des États, il leur revient de s’entendre et que c’est bien la loi nationale qui détermine le régime matrimonial.
    Quant au pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui date de 1966, son article 23 dispose :
    « 1. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État.
    « 2. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile. » Je le rappelle, ce droit est considéré comme une liberté individuelle de l’homme et de la femme. Il n’existe donc pas de contradiction avec la liberté individuelle de deux hommes ou de deux femmes de s’unir.
    Ce même article poursuit : « 3. Nul mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des futurs époux. »
    Vous le constatez, aucune contradiction n’apparaît entre le projet de loi et ce pacte.
    La Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages, elle, aurait pu contenir des dispositions particulièrement contraignantes. En fait, elle a pour objet la lutte contre des coutumes, des usages, des règles qui ne seraient pas conformes aux dispositions contenues, notamment, dans la Charte des Nations unies et dans la Convention européenne des droits de l’homme. En l’espèce, aucune incompatibilité n’est mentionnée.
    Nous avons bien évidemment examiné la compatibilité du présent texte avec la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à laquelle la France a pris une part significative, nous le savons tous, grâce au leadership de René Cassin. Son article 16 dispose : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. » De ce point de vue, il n’existe pas non plus d’incompatibilité.
    Enfin, j’en viens à la Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Elle est très claire. Elle ne définit pas les critères d’éligibilité à l’adoption, car cette compétence est reconnue aux États. Ce sont eux qui, dans leur droit, précisent les conditions d’adoption. En France, celles-ci sont inscrites dans le code civil.
    Je rappelle à ceux qui parlent de « droit à l’enfant » que, dans le code civil, il n’en existe pas aujourd’hui pour les couples hétérosexuels qui accèdent au mariage et au droit à l’adoption, en termes ni de pratiques ni de procédures. À l’avenir, il n’y en aura pas davantage pour les couples homosexuels, puisque nous voulons leur ouvrir le mariage à droit constant. Nous prévoyons une possibilité d’adoption. En la matière, siégeant dans la chambre des représentants des collectivités locales, vous êtes nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à être présidents de conseil général et vous savez bien que la procédure est rigoureuse, sérieuse et conduite avec sévérité et rigueur. C’est dans ces mêmes conditions que l’adoption par des couples homosexuels aura lieu.
    Je le répète, il n’existe pas de « droit à l’enfant ». En revanche, les procédures d’adoption se déroulent dans le respect du droit. Et, aux termes de l’article 353 du code civil, le juge qui prononce l’adoption vérifie si celle-ci est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.
    La Convention de La Haye renvoie la fixation des critères d’adoption aux États. Elle indique les dispositions, notamment procédurales, pour y accéder.
    Néanmoins, se pose, bien évidemment, la question des conventions bilatérales. Vous avez pu le constater, le projet de loi initial introduisait une dérogation à la loi personnelle de l’un des futurs époux dans le cas où son pays d’origine ne reconnaît pas le mariage des couples de personnes de même sexe. Pour cela, il devait s’unir à un Français qui réside en France et lui-même devait posséder sa résidence en France. Par ailleurs, il était fait référence au cas particulier de conventions bilatérales qui excluraient explicitement cette dérogation à la loi personnelle.
    Confortée par le vote de l’Assemblée nationale, la commission des lois a choisi de supprimer toute référence à celles-ci.
    Nous sommes liés par une telle convention bilatérale avec douze différents pays, lesquels se situent tant en Europe de l’Est qu’au Maghreb ou en Asie du Sud-Est. Pour revenir à vos observations, monsieur le doyen Gélard, ou bien il n’y a pas de possibilité de déroger à la loi personnelle, ou bien les personnes intéressées peuvent saisir la justice et obtenir, sur la base de la jurisprudence, une dérogation. En tout état de cause, ce n’est pas l’officier d’état civil qui peut en décider. L’affaire serait donc traitée au sein de nos institutions judiciaires.
    Par conséquent, il n’existe de difficulté ni dans les conventions multilatérales ni dans la plupart des conventions bilatérales, les douze auxquelles j’ai fait référence constituant les seules exceptions. En outre, vous le savez sans doute, la convention de Vienne relative à la délivrance d’extraits plurilingues d’actes de l’état civil est en cours de révision. Dans ce cadre, il est prévu d’introduire dans les annexes de nouveaux formulaires permettant de tenir compte, du fait de la possibilité pour des personnes de même sexe de se marier dans plusieurs pays, que ceux-ci puissent aussi être parents.
    Monsieur le doyen Gélard, j’ai pris le temps de développer ma réponse. Au risque d’être inutilement longue, mais par respect pour la préoccupation que vous avez exprimée, je tenais à vous donner tous ces éléments d’information afin de vous montrer que nous avons étudié avec rigueur le contenu des conventions qui lient la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
    M. Jean-Jacques Hyest. Je n’ai pas la même interprétation des conventions internationales. Quand il est écrit « l’homme et la femme », cela ne signifie pas « l’homme ou la femme » ! Il me semble que tant la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que la Déclaration universelle des droits de l’homme visent le mariage d’un homme et d’une femme. On peut faire dire ce qu’on veut aux conventions, mais les rédacteurs de ces deux textes n’envisageaient absolument pas le mariage – je ne parle pas de l’union – de personnes de même sexe.
    Je prétends que le projet de loi pose un véritable problème de conventionalité. Vous me demanderez peut-être comment ont fait les quelques pays qui ont autorisé le mariage des personnes de même sexe. Ce n’est pas forcément le mariage au sens où notre droit l’entend qui a été autorisé. Il faut donc être prudent et vérifier la conformité du présent projet de loi aux conventions internationales.
    Par ailleurs, le problème de l’application de la loi personnelle se posera inévitablement. Je vais vous donner un exemple concret, car c’est ce qu’il y a de mieux.
    L’Allemagne n’autorise pas le mariage des personnes de même sexe ; elle prévoit seulement un partenariat de vie – Lebenspartnerschaft –, un peu sur le modèle de ce qu’a proposé Charles Revet. Dès lors, que ferai-je si un Allemand et un Français viennent dans ma mairie pour m’annoncer qu’ils veulent se marier ? Si je les marie, comment cet acte s’appliquera-t-il au citoyen allemand, comment sera-t-il transcrit ? Je me pose vraiment un certain nombre de questions.
    Madame le garde des sceaux, vous me dites que les problèmes seront résolus par la révision de la convention de Vienne relative à la délivrance d’extraits plurilingues d’actes de l’état civil. Peut-être, mais ce projet de loi, dont les conséquences pour l’état civil français suscitent déjà des interrogations – nous en reparlerons tout à l’heure –, créera des problèmes avec de nombreux pays. L’officier d’état civil va devoir se poser des questions sur l’application de la loi personnelle. Certes, on peut régler le problème à la manière des Belges, en disant, justement, qu’il n’y en a pas… Pour ma part, je reste persuadé qu’on rencontrera de grosses difficultés pour certains mariages entre personnes de même sexe célébrés en France, mais impliquant un ressortissant d’un pays dans lequel ce type de mariage n’est pas reconnu.
    Il me paraît important d’éclaircir cette situation. Même si nous n’avons pas le droit d’adresser des injonctions au Gouvernement, nous demandons que celui-ci rédige un rapport compte tenu de l’importance de la question. Je remercie Mme le garde des sceaux de son effort d’explication, mais elle ne m’a pas complètement convaincu. C’est pourquoi je souhaiterais obtenir de plus amples éclaircissements. Je voterai donc cet amendement.
    M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
    M. Bruno Retailleau. Je m’efforcerai d’appuyer les démonstrations du doyen Gélard et de Jean-Jacques Hyest.
    Madame le garde des sceaux, on ne peut pas balayer, comme vous l’avez fait, l’argumentation du doyen Gélard. En réalité, il existe bien deux règles : la règle prévue à l’article 55 de la Constitution, selon laquelle l’autorité des traités et conventions est supérieure à celle d’une loi simple, et la règle pacta sunt servanda mentionnée au quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, selon laquelle les traités nous lient. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises que les accords tant multilatéraux que bilatéraux devaient être interprétés et exécutés de bonne foi par les parties cosignataires.
    J’ajoute que la jurisprudence de la Cour internationale de justice et la convention de Vienne sur le droit des traités indiquent que l’on ne peut pas donner aux mots n’importe quelle signification et que, lorsqu’il existe une ambiguïté, il faut se référer au sens commun à l’époque où le texte a été signé.
    Au vu de ces dispositions de droit international, qui s’ajoutent à celles de notre droit interne, je ne vois pas comment vous ne rencontreriez pas de difficultés pour justifier votre projet.
    Par ailleurs, j’aimerais savoir de quelle manière, selon vous, la Cour internationale de justice pourrait interpréter la définition qu’a donnée l’ONU du mariage en 1962 et, plus encore, la convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, dont l’article 7 dispose que l’enfant a le droit non seulement d’être nourri et élevé, mais aussi, dans la mesure du possible, de connaître ses parents. Je pense que la difficulté est extrêmement sérieuse. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
    M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Entendons-nous : la hiérarchie des normes n’est pas mise en cause. Nous sommes d’accord pour reconnaître que les traités internationaux s’imposent en droit interne. La question est de savoir si un ou plusieurs traités comportent une définition du mariage qui heurterait la nouvelle définition, ou plutôt, car il ne s’agit pas de créer une nouvelle définition, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe.
    Il ne s’agit pas d’interpréter abusivement les mots. Monsieur Hyest, vous avez le droit de considérer que, quand il est écrit « l’homme et la femme », cela signifie « l’homme avec la femme », mais cela peut également vouloir dire « l’homme en tant que citoyen et la femme en tant que citoyenne ». En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de faire des exégèses, parce que la décision de 2010 que j’ai évoquée portait précisément sur l’autorisation et l’interdiction du mariage de personnes de même sexe. C’est sur la base de la définition de l’expression « l’homme et la femme » dans la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé qu’il appartenait au législateur national de décider et que, en cas de désaccord entre deux pays, c’était le droit interne qui prévalait.
    Quant à l’Allemagne, monsieur Hyest, elle ne fait pas partie des douze pays avec lesquels nous avons signé une convention bilatérale excluant la dérogation à la loi personnelle. Le doyen Gélard a cité la Pologne, qui en fait effectivement partie. Voici la liste des onze autres : le Maroc, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, la Serbie, la Slovénie, le Vietnam, Madagascar, le Cambodge, le Laos, la Tunisie et l’Algérie. L’Allemagne n’est donc pas concernée. Cela signifie que, indépendamment du régime matrimonial et du droit du mariage allemands, il peut y avoir dérogation à la loi personnelle. Par conséquent, un Allemand ou une Allemande qui souhaite épouser un Français ou une Française en France peut le faire. Sous réserve du respect des dispositions du code civil relatives au mariage, il n’y aura aucune difficulté de transcription : l’acte sera simplement transcrit dans le registre de l’état civil. Je le répète, il ne peut y avoir de difficultés que pour les ressortissants des pays avec lesquels nous avons signé une convention bilatérale excluant la dérogation à la loi personnelle.
    Ma réponse est extrêmement claire. Aucune convention ne comporte de définition du mariage incompatible avec le mariage des personnes de même sexe. Du reste, si nous apprenions qu’une convention bilatérale ou multilatérale signée par la France comportait une telle définition, nous en tirerions les conséquences. Mais, parmi toutes les conventions que j’ai mentionnées – ce sont les principales –, aucune ne soulève la moindre difficulté.
    Même si le débat était indispensable, le Gouvernement maintient donc son avis défavorable sur cet amendement, parce qu’il n’y a pas lieu de prendre la précaution de demander un rapport gouvernemental.
    M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7 rectifié bis.
    J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
    Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
    Le scrutin est ouvert.
    (Le scrutin a lieu.)
    M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
    Le scrutin est clos.
    J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
    (Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
    M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 135 :
    Nombre de votants 342
    Nombre de suffrages exprimés 342
    Majorité absolue des suffrages exprimés 172
    Pour l’adoption 169
    Contre 173
    Le Sénat n’a pas adopté. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Philippe Marini. Ça monte, ça monte !
    Articles additionnels avant l’article 1er (suite)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Article 1er (Texte non modifié par la commission) (interruption de la discussion)
    Article 1er
    (Non modifié)
    I. – Le chapitre Ier du titre V du livre Ier du code civil est ainsi modifié :
    1° Il est rétabli un article 143 ainsi rédigé :
    « Art. 143. – Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. » ;
    2° L’article 144 est ainsi rédigé :
    « Art. 144. – Le mariage ne peut être contracté avant dix-huit ans révolus. » ;
    3° L’article 162 est complété par les mots : « , entre frères et entre sœurs » ;
    4° L’article 163 est ainsi rédigé :
    « Art. 163. – Le mariage est prohibé entre l’oncle et la nièce ou le neveu, et entre la tante et le neveu ou la nièce. » ;
    5° Le 3° de l’article 164 est ainsi rédigé :
    « 3° Par l’article 163. »
    II. – Après le chapitre IV du titre V du livre Ier du code civil, il est inséré un chapitre IV bis ainsi rédigé :
    « CHAPITRE IV BIS
    « DES RÈGLES DE CONFLIT DE LOIS
    « Art. 202-1. – Les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle.
    « Toutefois, deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet.
    « Art. 202-2. – Le mariage est valablement célébré s’il l’a été conformément aux formalités prévues par la loi de l’État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu. »
    M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l’article.
    M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, en mon âme et conscience, je voterai le texte qui nous est présenté, à commencer, bien évidemment, par son article 1er.
    Oui, le temps est enfin venu que le mariage, institution à forte charge plus que symbolique, soit ouvert à tous. C’est une question d’égalité !
    M. Charles Revet. Mais non !
    M. Roland Courteau. En effet, cette mesure est non seulement légitime ou souhaitable, mais elle est devenue nécessaire, parce qu’il fallait garantir aux familles homoparentales la même protection et la même reconnaissance sociale que celles dont bénéficient les familles constituées d’un père et d’une mère.
    En réalité, le temps est tout simplement venu d’adapter notre droit aux évolutions de notre société. L’opposition en est restée à proposer une union civile, sorte d’intermédiaire entre le mariage et le PACS, qu’elle avait pourtant combattu vivement en son temps. Or, aujourd’hui, quatorze ans après, elle l’accepte et le salue.
    Monsieur le rapporteur, vous avez eu raison de faire remarquer que l’exemple du PACS nous enseigne que le temps est l’allié le plus précieux des réformes de société. Gageons que ceux qui s’opposent aujourd’hui à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels salueront, dans une dizaine d’années, cette avancée. Ils ont juste besoin de davantage de temps pour s’adapter aux évolutions de notre société. C’est tout !
    Le consensus se fera jour dans dix ou quinze ans et chacun comprendra alors que le fait de cantonner les homosexuels dans une place à part au sein de notre corps social ne correspondait pas aux fondements de l’universalisme républicain, car la République travaille dans l’intérêt de la société, dans le but de protéger ses citoyens, tous ses citoyens. Elle n’a pas vocation à défendre uniquement une conception religieuse de la famille.
    Certes, il s’agit de faire tomber un bastion de stigmatisation, mais l’esprit de ce texte est aussi de réparer une inégalité.
    Nous devons à ces couples et à leurs enfants la même stabilité et la même protection qu’aux couples hétérosexuels. Or, dans notre droit, ce qui apporte à un couple et à une famille un tel environnement et la reconnaissance sociale, c’est bien le mariage républicain.
    La démonstration a été faite qu’aucune norme constitutionnelle, aucune norme supérieure, pas plus la Déclaration universelle des droits de l’homme que le pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, ne s’oppose à ce que la loi ouvre le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Il est par ailleurs des réalités qui doivent être prises en compte : je pense aux enfants ! Combien sont-ils aujourd’hui à vivre dans des familles homoparentales ? Sont-ils 20 000, 30 000, 40 000 ou plus ? L’homoparentalité est une réalité. Ces enfants sont-ils en danger aujourd’hui ? Non, puisque les personnes qualifiées s’accordent à dire que tel n’est pas le cas. En revanche, l’intérêt de ces enfants n’est-il pas de bénéficier, comme les autres, de la protection de la loi ?
    Cette avancée sociétale apparaît donc, plus que jamais, nécessaire pour eux. Ils ne se sentiront plus particuliers parce que leurs parents seront légitimes et reconnus.
    Non, il n’y a aucune raison de refuser des transformations dans l’ordre social, au seul motif que nos ancêtres, voilà quelques centaines d’années, ne vivaient pas ainsi.
    Mes chers collègues, la société avance et il vous faut en tenir compte.
    L’article 1er, je le répète, est une avancée sociétale, un bond en avant de nos libertés publiques. Ce texte faisant progresser l’égalité et reculer les différenciations ou les discriminations, il représente un progrès dont nous pouvons nous réjouir.
    Madame la ministre de la justice, je tiens à vous témoigner ici mon admiration pour votre détermination à défendre ce projet de loi et ses enjeux.
    Notre société évolue et c’est à nous, législateurs, de traduire cela dans la loi, comme l’occasion en fut donnée à nos prédécesseurs lors du vote de la loi Veil sur l’avortement ou de la loi Badinter sur l’abolition de la peine de mort.
    Souvenons-nous de ces débats et, parfois, de leur violence, mais souvenons-nous surtout de ce que ces lois nous ont apporté. Plus tard, nous serons fiers de pouvoir dire : oui, nous l’avons fait ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, sur l’article.
    Mme Sophie Primas. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je veux ici vous faire part à la fois de mon profond malaise, de ma gêne, mais aussi de ma colère, après avoir entendu, cet après-midi, en début de séance, les propos de M. Assouline, qui semble nous rendre responsables des exactions commises ce week-end.
    C’est bien évidemment faux et insultant ; nous condamnons formellement ces comportements. Je veux rendre hommage à Jean-Pierre Raffarin et à Mme le garde des sceaux pour leurs propos d’apaisement.
    En nous présentant ce projet de loi, sous le prétexte bien sûr très louable de liberté, d’égalité et de progrès social, vous avez, involontairement, fait de la communauté homosexuelle un « objet » politique, sur lequel vous attendez désormais une victoire politique.
    Pourquoi cette loi portant sur la famille, finalement, cette loi d’avancée sociétale, se restreint-elle au seul champ des homosexuels ? En isolant les familles homoparentales des autres types de familles, vous les exposez ainsi à la vindicte populaire, à ce que nous avons parfois de pire dans notre République. Elles sont devenues des cibles pour des propos injurieux, insupportables ; elles sont en proie à des comportements outranciers : ceux des homophobes, que nous condamnons, ceux des extrémistes religieux et politiques, dans l’idéologie desquels si peu de Français se retrouvent, et, enfin, ceux des individus qui nous menacent ouvertement, portant atteinte à la liberté du Parlement de façon inacceptable.
    Pour renforcer la normalité, la banalisation des couples homosexuels, pourquoi ne pas avoir attendu cette grande loi que vous nous annoncez dans les prochaines semaines, et qui traitera, je l’espère, de toutes les nouvelles formes de familles, y compris des familles homoparentales ?
    Ainsi, leur exception aurait été gommée et leur intégration aurait été une réalité, au moins dans nos débats.
    Madame le garde des sceaux, madame la ministre, je ressens malaise et gêne, car j’approuve avec responsabilité, respect et enthousiasme, mais surtout avec la même flamme que la vôtre, ce désir d’égalité ; j’approuve la reconnaissance par l’État de l’union homosexuelle, son droit à la pérennité et à la sécurité, son accès aux mêmes droits et aux mêmes devoirs que les couples hétérosexuels, sa banalisation dans notre vie sociale. Car, vous avez raison, qui se souciera dans trois mois, dans six mois, dans un an de cette union ?
    Oui, madame le garde des sceaux, oui, madame la ministre, j’approuve cette reconnaissance par l’État de la réalité de l’amour homosexuel. Je revendique également aux côtés d’eux leur capacité à désirer, à aimer, à élever des enfants dans le bonheur et dans l’équilibre.
    J’aurais tellement aimé vous accompagner sur ce chemin, madame le garde des sceaux, madame la ministre, très au delà de nos différences politiques.
    Aussi, ma colère est d’autant plus vive que ce projet de loi est aussi un mensonge par omission. Vous voulez nous faire croire que nous parlerons plus tard des sujets sensibles de filiation et de procréation artificielle, dont vous avez repoussé la discussion. Mais plus tard sera trop tard !
    En vérité, en adoptant cet article 1er, nous acterons un statut unique du mariage. Ainsi, les couples mariés homosexuels disposeront, grâce à la Cour européenne des droits de l’homme, à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à tout l’arsenal juridique européen, de l’accès à la PMA.
    M. Charles Revet. Voilà !
    Mme Sophie Primas. Bien entendu, au nom de l’égalité des droits que proclamera cette même Cour, nous pourrions vite arriver à la GPA pour les couples homosexuels d’hommes, empêchés par nature d’enfanter.
    Or, vous le savez, la GPA est loin de faire l’unanimité. Elle est pour moi l’expression d’un cynisme social insupportable. Non, le ventre des femmes n’est pas assimilable aux bras des ouvrières.
    Au pays des droits de l’homme, devons-nous accepter que, parce qu’il existe une souffrance réelle liée à une infertilité ou à une impossibilité biologique d’enfanter, des femmes louent leur ventre pour survivre ? Devons-nous l’accepter au seul prétexte que d’autres l’acceptent ?
    Opter pour le statut unique du mariage, c’est renoncer à notre souveraineté nationale à faire ces choix éthiques, au terme d’un débat éclairé et serein que nous appelons de nos vœux sur la PMA et sur la GPA, dont vous nous privez définitivement. En effet, avec cet acte unique de mariage, le droit européen s’imposera, sous peine de condamnations, comme l’a souligné Charles Revet.
    En conclusion, madame le garde des sceaux, madame la ministre, je vous le demande : offrez-nous une seule belle loi sur la famille, qui n’en stigmatise aucune, qui traite de la reconnaissance de toutes les formes de familles, une loi qui traite du statut des beaux-parents, qui protège la filiation des enfants, quelle que soit la sexualité de leurs parents, qui parle de l’adoption, des pupilles de l’État, qui rouvre le débat sur l’anonymat des dons et sur l’égalité des droits des enfants à connaître leur filiation, fût-elle de paillettes et d’éprouvette, qui parle de la PMA et de la GPA dans toutes leurs dimensions, dans toutes leurs exceptions, aussi, mais sans arrière-pensées et sans mensonges par omission.
    Ce faisant, madame le garde des sceaux, madame la ministre, vous vous honoreriez. Vous pourriez rassembler au lieu de diviser et obtenir une belle victoire politique.
    L’amendement sur l’union civile ayant été repoussé, je ne voterai malheureusement ni cet article ni cette loi, et croyez bien que je le regrette amèrement et franchement, car je crois à la sincérité de ceux qui réclament leur droit à la reconnaissance, je crois en l’amour, quelle qu’en soit sa forme, mais pas quel qu’en soit son prix ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, sur l’article.
    M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous abordons la discussion de l’article 1er, c’est le moment de dire à la majorité qu’elle fait fausse route, tant sur le plan politique – Jean-Pierre Raffarin l’a très bien exprimé tout à l’heure – que sur le plan du raisonnement.
    Vous nous dites vouloir combattre les discriminations et, à vos yeux, toute différence serait génératrice d’une inégalité, toute inégalité serait génératrice d’une injustice et toute injustice serait génératrice d’une discrimination. En termes clairs, un tel raisonnement s’appelle un sophisme.
    Pour nous, la différence est une chance et un atout ; ce n’est pas une inégalité. Si toute différence doit être combattue, vous nous préparez une société de l’uniformité, telle que celle qui est décrite, en quelque sorte, dans Le meilleur des mondes.
    Lutter contre les injustices suppose, au préalable, des situations équivalentes ; or, à nos yeux, un homme et une femme sont certes égaux, mais différents.
    Avec ce sophisme, c’est la théorie du gender que vous voulez mettre en application.
    La deuxième erreur est résumée dans la formule de Mme Héritier, que nous avons auditionnée le 5 février : « Rien de ce qui nous paraît marqué du sceau de l’évidence n’est naturel : tout procède de créations de l’esprit. »
    Mes chers collègues, lorsque l’on nie le naturel pour privilégier l’esprit, c’est l’ouverture à toutes les dictatures et à toutes les dérives. (Oh ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
    Si les constructions de l’esprit peuvent faire fi de la nature, la porte est ouverte à toutes les constructions.
    À cet égard, je m’étonne que ceux qui avancent si souvent le principe de précaution et le respect de la nature soient aussi silencieux pour les défendre dans ce cas d’espèce.
    Enfin, madame le garde des sceaux, madame la ministre, M. Retailleau vous a interrogées, vendredi dernier, sur les déclarations de votre collègue, Mme Vallaud-Belkacem, qui expliquait, dans une interview, que ce texte de loi était bien évidemment appelé à évoluer vers la PMA pour régulariser un certain nombre de situations.
    Bien que j’aie été assidu vendredi, je n’ai pas noté que vous ayez répondu à l’interrogation de notre collègue. Aussi, madame le garde des sceaux, je vous le demande solennellement : au moment où nous nous apprêtons à examiner l’article 1er, nous aimerions savoir si ce texte est l’amorce de la PMA…
    M. Philippe Marini. C’est une bonne question !
    M. Dominique de Legge. … ou si votre collègue porte-parole du Gouvernement a dit faux. Il est important que vous leviez toute ambiguïté en cet instant.
    Enfin, permettez-moi de relever que tous les scrutins qui ont eu lieu depuis le début de l’après-midi sont des scrutins publics.
    M. David Assouline. Oui !
    M. Dominique de Legge. Je ne peux pas oublier ce qui nous a été dit vendredi, à savoir, chers collègues de la majorité, que 18 millions d’électeurs sont derrière vous. Or, constatant que les travées du groupe socialiste sont vides, je me dis que c’est la démonstration que vous en doutez (Protestations sur les travées du groupe socialiste.), que, dans vos rangs, la liberté de vote n’est pas assurée, enfin que vous doutez de ce projet de loi.
    Telles sont les raisons pour lesquelles nous ne voterons bien évidemment pas l’article 1er. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, sur l’article.
    M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, nous abordons, avec l’examen de l’article 1er, le cœur du texte ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Nous l’avons dit à plusieurs reprises, des différentes voies possibles, vous avez choisi la plus radicale. Votre texte est une déclaration de toute-puissance dans la mesure où vous niez le rôle de l’altérité des sexes et que vous imposez votre point de vue aux enfants.
    Permettez-moi de m’attarder sur vos motivations. Pourquoi avez-vous choisi cette voie radicale ? Pourquoi avez-vous choisi non seulement d’ouvrir le mariage aux personnes de même sexe, mais surtout de l’imposer aux enfants de demain ?
    Vous avancez trois motivations majeures.
    La première, c’est l’égalité. Or le droit au mariage n’est un droit pour personne, pas plus pour les homosexuels que pour les hétérosexuels, dans la mesure où, pour se marier, il faut respecter des règles. Ceux qui ne les acceptent pas ou n’y correspondent pas ne peuvent se marier.
    Ensuite, comme nous l’avons montré à plusieurs reprises, la conception de l’égalité qui prévaut dans notre droit républicain n’est pas de traiter tout le monde de la même façon. Sinon, concrètement, tout le monde devrait payer le même impôt. Le Conseil constitutionnel l’avait rappelé le 28 janvier 2011. Les trois grands ordres juridictionnels – le Conseil d’État, la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel – ont chaque fois rappelé que l’égalité républicaine consiste à traiter de la même façon des cas identiques. A contrario, ces situations appellent un traitement différencié. Vous ne pouvez pas faire de cette égalité-là l’alpha et l’oméga de la loi.
    La deuxième motivation, c’est l’amour. Le mariage serait une sorte de célébration sociale de ce très beau sentiment. Or, comme cela a été souligné, au nom de quoi l’amour donnerait-il le droit d’accéder à ce qui est bien plus qu’un contrat : une institution ?
    Si un officier d’état civil – un élu, en général M. le maire ou celui qu’il a délégué – est nécessaire pour procéder au mariage, c’est pour signifier que celui-ci n’est pas simplement la conclusion d’un contrat entre deux personnes, c’est aussi une institution qui concerne la société, pour qui ce contrat est important, car de lui dépend le renouvellement des générations et bien d’autres choses. Le mariage est d’abord un cadre protecteur, ce que même l’amour ne doit pas occulter. C’est fondamental.
    Enfin, la troisième motivation, c’est le droit aux enfants, dont il faut bien parler. Derrière le slogan du mariage pour tous s’en cache un autre : les enfants pour tous. Cela n’est pas acceptable. Là encore, il n’existe pas de droit à l’enfant, pas plus pour un couple homosexuel que pour un couple hétérosexuel.
    Comme d’autres collègues, je suis président d’un conseil général. En matière d’adoption, il n’y a pas de droits, il y a d’abord des devoirs. L’adoption consiste non pas à donner un enfant à une famille, mais une famille à un enfant, ce qui est très différent. Or, si l’on se place de votre point de vue, l’enfant devient un objet de droit, alors qu’il est avant tout un sujet de droit. Là est le vice fondamental du texte – nous y reviendrons tout à l’heure – en matière de parenté et de filiation. Ce vice ne peut être appréhendé seulement du point de vue du développement de l’enfant, il est aussi un vice légistique. Nous y reviendrons également.
    Le problème, c’est que les enfants subiront une double perte : celle de leurs origines, bien sûr, mais également celle de l’absence de la double figure masculine et féminine, laquelle est essentielle à leur construction.
    Cette question fait débat et n’est pas consensuelle. De fait, on devrait au moins pouvoir se dire que, en l’absence de consensus, il faut être prudent et appliquer le principe de précaution.
    Il faut donc faire attention, d’autant plus que le mariage consacre une fois pour toutes la différence des sexes et des générations, l’altérité et la généalogie, l’identité. C’est fondamental. Il consacre également la conjugalité entre deux êtres qui s’aiment, mais également la différence entre générations. Enfin, il crée une articulation entre culture et nature.
    Nous sommes d’accord, la nature ne doit pas tout imposer, mais la civilisation, c’est faire tenir ensemble des éléments d’ordre à la fois naturel et culturel. Cela me paraît fondamental. (Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.)
    Le plus piquant est que ceux qui ont le plus dénigré le mariage dans le passé veuillent aujourd’hui l’imposer à tous. Il est vrai qu’il ne s’agit plus du même mariage. Je pense que, comme dans la novlangue d’Orwell, vous avez conservé le mot, mais que vous en avez radicalement transformé le sens. Nous aurons l’occasion d’en reparler. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Magras, sur l’article.
    M. Michel Magras. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, invariablement, la jurisprudence a sans cesse rappelé le caractère sexué du mariage.
    Juridiquement, il est sexué parce que le droit a vocation à « objectiver » les situations, non à se fonder sur les désirs des individus ou sur leurs orientations privées. C’est justement une garantie d’égalité : les désirs sont par nature variables et les orientations sexuelles relèvent de la vie privée, que le droit respecte.
    En outre, la jurisprudence s’est appuyée non seulement sur un repère profondément ancré dans notre société, mais aussi sur un principe de réalité indéniable.
    Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé que « le mariage constitue non seulement un statut du couple mais également l’acte de fondation d’une famille ».
    À part dans les cas d’adoption, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir, la famille au sens nucléaire commence par l’engendrement, qui lui-même suppose la complémentarité des deux sexes opposés. Le mariage est donc le cadre juridique de la procréation. Plus qu’un contrat, il est une institution. Nous n’avons cessé de le rappeler.
    Le projet de loi que nous examinons vise à ouvrir le mariage aux personnes de même sexe en se fondant sur leur orientation sexuelle, au nom de l’égalité. Au nom de mon attachement à l’égalité, je ne peux m’empêcher de rappeler, comme l’a d’ailleurs fait indirectement le Conseil constitutionnel, que l’égalité consiste à traiter de manière identique une situation identique.
    Or, au regard de l’engendrement, finalité du mariage, nul ne peut soutenir qu’un couple de même sexe est dans la même situation qu’un couple de sexe différent. Le second, sauf exception, n’a pas besoin de recourir à un tiers pour la procréation, contrairement au premier.
    Dès lors, il n’y a pas de discrimination puisque les situations sont différentes. Le psychiatre Pierre Lévy-Soussan rappelait à juste titre que « toute différence n’est pas une inégalité, voire une discrimination, mais une distinction ». Pour ma part, j’ajouterai que distinguer, c’est respecter.
    En revanche, si l’on avait interdit le mariage aux personnes en tant qu’individus sexués en raison de leur orientation sexuelle, nous aurions là créé une discrimination.
    En réalité, le mariage est déjà ouvert à tous dès lors que les conditions de fond sont réunies.
    Ce projet de loi conduit ni plus ni moins à la disparition du mariage actuel puisqu’il efface la réalité à laquelle il renvoie. En effet, tel qu’il est actuellement rédigé, le texte cesse de faire du mariage l’institution de la procréation pour en faire le cadre juridique de l’union de deux adultes. Il en conserve le nom, mais pas le contenu.
    À cet égard, le fait que le législateur originel ait limité le mariage à deux individus montre bien que le mariage est « hétérosexuel », non par orientation sexuelle, mais par réalité biologique. En résumé, je le répète, ce texte fait disparaître le mariage.
    Pour autant, j’entends et je comprends la revendication d’un cadre protecteur de l’union des couples de même sexe. Le mariage est-il, compte tenu de notre droit, de notre lien ténu avec la filiation, le cadre le mieux adapté ? Je ne le pense pas.
    L’union civile permettrait la reconnaissance sociale de l’amour de deux personnes de même sexe, de leur désir d’être ensemble, de leur volonté de s’engager – car c’est aussi en ces termes que le mariage est évoqué. Dès lors, on ne peut qu’y être favorable. J’en reviens à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui autorise la distinction de traitement. Qu’importe le cadre dès lors que les effets juridiques en termes d’union, c’est-à-dire de relation entre adultes consentants, sont les mêmes ? L’égalité se mesure d’abord en termes d’effets du droit.
    En revanche, en matière de filiation, on ne peut objectivement parler d’égalité entre un couple de même sexe et un couple de sexe différent.
    À cet égard, je rappelle que 170 juristes se sont alliés pour s’insurger contre la dénaturation du sens du lien filial par la loi. C’est une position dont je mesure la gravité, d’autant plus lorsque je mets en perspective l’égalité des droits accordés aux personnes de même sexe en matière de parentalité et la réalité de ces droits.
    Soit il y a effectivement égalité et, une fois réglées les situations existantes, ce droit ne pourra être exercé dans la réalité puisque la PMA et la GPA restent interdites en France. Dans ce cas, l’égalité ne sera pas réelle.
    Soit, pour passer de l’égalité à la réalité des droits, il faudra « produire » des enfants adoptables. Or, la PMA et la GPA étant interdites en France, les couples seront obligés de contourner la loi de leur pays pour passer à la réalité des droits.
    Nous aurons bien entendu l’occasion de revenir sur la dimension filiale du projet de loi, mais il me paraissait important de l’évoquer à l’occasion de l’examen de l’article 1er, car la filiation, madame le garde des sceaux, madame la ministre, n’est pas détachable du mariage. Vous l’avez sans cesse rappelé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Philippe Marini. Très bien ! Bravo !
    M. le président. La parole est à M. Alain Gournac, sur l’article.
    M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 144 du code civil dispose que « l’homme et la femme ne peuvent contracter mariage avant dix-huit ans révolus ». La conjonction de coordination « et » signifie à la fois le sentiment amoureux initial, la naissance à venir d’un enfant et la durée d’une relation, même en cas de divorce, car les enfants inscrivent dans le temps et dans les générations suivantes ce qui n’était que de l’ordre du sentiment et de l’éphémère.
    Cette conjonction de coordination disparaît de l’article 143, dont l’article 1er du projet de loi propose une nouvelle rédaction, à savoir que « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ». Le texte aligne le face-à-face d’une altérité du couple homme-femme sur le parallélisme sans différence du couple homosexuel.
    C’est parce que, pour tout un chacun, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme que vous êtes obligés de scinder l’ancien article 144 en deux : d’une part, l’article 143 redéfinit le mariage et rompt ainsi avec le sens commun du mot « mariage » ; d’autre part, l’article 144 fixe l’âge à partir duquel le mariage est autorisé.
    Dans le code civil, le mariage est un droit ouvert non pas aux couples, comme on le dit à tort, mais à l’individu. Juridiquement, le couple n’existe qu’après l’échange des consentements.
    Le mariage n’institue en aucun cas une rupture d’égalité.
    Il est évident ensuite que des deux orientations sexuelles – mais pourquoi n’en retiendrait-on que deux ? –, l’hétérosexuelle est, de loin, la mieux adaptée à la réalité biologique instituée par la loi.
    Compte tenu de ce destin biologique, auquel aucun individu n’échappe, l’institution du mariage ne peut être, en ce qu’elle a de fondamental, modifiée, sauf à n’être plus elle-même.
    On peut cependant imaginer instituer l’orientation sexuelle comme vous le proposez. La première difficulté est alors, pour le législateur, la question du nombre de partenaires. (Mme Éliane Assassi rit.) Pourquoi s’arrêter à deux ? C’est plaquer arbitrairement le chiffre de l’incontournable dualité homme-femme de la procréation sur la réalité de l’orientation sexuelle. (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Or, de par sa nature érotique, celle-ci, quelle qu’elle soit, n’est pas prisonnière du chiffre deux. Il est possible de multiplier les partenaires selon son bon plaisir.
    Si toute civilisation a pour enseigne ce chiffre deux, c’est parce que ce nombre définit la réalité même de la relation procréatrice.
    Mme Éliane Assassi. On l’enregistre, celle-là ?
    M. Alain Gournac. Aussi, retoucher cette enseigne et lui demander de désigner, à l’avenir, la plasticité d’une orientation sexuelle, qui peut multiplier à l’infini le nombre des partenaires, c’est tromper l’opinion publique. Ce n’est nullement introduire plus d’égalité dans notre société, madame le garde des sceaux.
    Le mot « égalité » étant de ces mots qui, comme disait Valéry, « chantent plus qu’ils ne parlent », les partisans du mariage homosexuel en usent à tort et à travers pour semer dans la société une confusion dont ils sont, eux-mêmes, les premières victimes. (Mme Éliane Assassi s’esclaffe.)
    Le monde, jusqu’à ce jour, était divisé entre les deux sexes. Tout sépare, dans leur sexualité, l’homme et la femme, au point qu’aucun des deux ne peut imaginer la sexualité de l’autre.
    Malgré cette différence que rien ne peut combler, un point commun rassemble l’homme et la femme : la possibilité de procréer et de devenir père ou mère, de le devenir ensemble, de façon partagée et égale. Voilà, entre parenthèses, une vraie égalité !
    Bien que la parenté ne puisse se réduire à sa dimension biologique, parce qu’elle a aussi une dimension spirituelle, culturelle, sociale – je vous laisse le choix des mots, dont aucun n’est totalement satisfaisant –, elle ne peut s’en dispenser, sans être vécue comme une incomplétude.
    Votre article 143 revient sur la séparation hommes-femmes et sur leur complémentarité, pour scinder l’humanité entre homosexuels et hétérosexuels. Par l’engendrement et la succession des générations, l’amour initial, et par nature éphémère, de l’homme et de la femme, se métamorphose et se prolonge. Mais dans le couple homme-homme ou femme-femme, il ne s’agit que d’amour. Que celui-ci ait besoin de reconnaissance, certes – qui peut aller contre ? –, mais, du fait de son impossibilité à se métamorphoser et à se prolonger par la suite des générations, nous avons nécessairement affaire à un sentiment dont la tonalité – et plus que cela ! – ne peut être que différente. C’est cette assimilation des deux sentiments, analogues en apparence, mais dont les avenirs ne peuvent être semblables, qui heurte les Français. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à Mme Caroline Cayeux, sur l’article.
    Mme Caroline Cayeux. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, je ne voudrais pas vous ennuyer avec de fumeuses considérations anthropologiques ou philosophiques,…
    Mme Éliane Assassi. Ah !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Merci pour la philosophie ! Elle n’est pas fumeuse !
    Mme Caroline Cayeux. … mais parler du mariage des couples de personnes de même sexe, c’est parler de la place de l’homme dans la nature.
    Chacun, en fonction de sa sensibilité, de sa formation intellectuelle et spirituelle, admet un postulat sur la place de l’homme dans la nature, à partir duquel il élabore un raisonnement qui l’amène à se positionner favorablement, ou défavorablement, à l’endroit du « mariage pour tous », et donc à l’endroit de l’article 1er du présent projet de loi.
    Pour ma part, je pense ne pas être trop rétrograde. Ainsi, je crois que les lois qui régissent la vie des hommes ne doivent pas avoir comme unique déterminant les lois naturelles. « L’homme est un animal social », disait-on, un être de culture qui cherche à se distancier de la nature et à la dominer.
    Cependant, puisqu’il est demandé au législateur de se prononcer sur le bien-fondé de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, il nous faut, une nouvelle fois, nous poser les bonnes questions.
    À moins que certains ne désirent ardemment vivre dans le monde d’Orwell, où les enfants naîtraient dans des machines,…
    M. David Assouline. Oh là là !
    Mme Caroline Cayeux. … où ceux-là seraient le fruit de manipulations génétiques et où l’immortalité serait devenue un droit aussi évident que celui de voter,…
    Mme Laurence Rossignol. Oh !
    Mme Caroline Cayeux. … l’avancée des possibilités techniques, l’extension du champ des possibles techniques de l’homme doivent s’accompagner d’une réflexion sur la place qu’occupe celui-ci dans l’ordre naturel.
    Mes chers collègues, j’ai retrouvé les propos de la philosophe Chantal Delsol,…
    Mme Laurence Rossignol. Mme Charles Millon, l’ami du Front national !
    Mme Caroline Cayeux. … selon qui « c’est dans notre nature de dépasser la nature, et nous sommes vraiment humains quand nous le faisons ; mais c’est notre devoir de nous poser la question des limites, et nous sommes irresponsables et insensés si nous ne le faisons pas ».
    C’est justement de ces limites, je crois, qu’il convient de parler. Avec cette excellente philosophe, je pense que « l’exigence du mariage homosexuel, et l’adoption des enfants qui va avec », n’est pas simplement un dessein « qui va contre la “nature” ». C’est plus grave, parce que l’on ne débat pas sur « la question des limites : tout ce que je veux, et tout de suite, et qu’elles qu’en soient plus tard les conséquences ».
    M. Philippe Marini. Le droit à l’enfant !
    M. David Assouline. Cela relève du fantasme !
    Mme Caroline Cayeux. On remplace donc des valeurs morales par l’unique critère de la souffrance ou du désir individuels, selon lequel empêcher deux homosexuels de se marier serait inhumain, car, enfin, ils souffrent ! Pourquoi les en empêcher, puisqu’ils s’aiment ?
    Mes chers collègues, lorsque plus rien n’arrête le désir, ni la religion, ni la tradition, ni les valeurs, ni aucune sagesse plus haute, alors les dégâts ne sont pas loin. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela vaut également pour les hétérosexuels !
    Mme Caroline Cayeux. Mais tout le monde a conscience de cette fuite en avant, même ceux qui se targuent, abusivement, d’être des progressistes. En effet, dans tous les autres domaines – l’environnement, l’économie –, ils militent contre la loi du désir tout-puissant. Dans ces domaines, tout le monde est conservateur, mais au bon sens du terme, au sens où nous ne devons pas insulter la nature.
    M. Philippe Marini. Oh oui !
    Mme Caroline Cayeux. Ne croyez-vous pas, madame le garde des sceaux, que la famille mérite plus d’égards ? Ne croyez-vous pas que la famille mérite plus de protection, je dirais même plus de respect ?
    Le mariage c’est, aujourd’hui, un des piliers de notre société…
    Mme Laurence Rossignol. Et voilà !
    Mme Caroline Cayeux. … et non pas un ordre conservateur.
    Je pense à tous ces enfants dont nous devons nous occuper dans nos communes, dans le cadre de la protection de l’enfance ou des actions sociales, à tous ces enfants en danger, qui sont perdus et dont on nous dit qu’ils manquent de repères.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Ils ont une famille, ces enfants !
    Mme Caroline Cayeux. Ces repères, à mon sens madame le garde des sceaux, c’est aussi la famille, qu’il nous faut protéger.
    C’est la raison pour laquelle, bien évidemment, je ne voterai pas cette loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Christian Cambon, sur l’article.
    M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le sujet de droit homosexuel n’existe pas, donc ce texte n’a pas lieu d’être.
    Cette vérité est certainement un peu provocante et dure à entendre. Pourtant, mes chers collègues, vous ne pouvez pas y échapper. Le droit ne reconnaît que des hommes et des femmes, et leurs désirs homosexuels ou hétérosexuels, par définition subjectifs, évolutifs, comme tous les désirs, ne peuvent fonder leur appréhension par le droit.
    Aussi, comme le souligne Mme Mirkovic, professeur de droit public, qui a signé, pour le groupe Portalis, de nombreux articles sur ce sujet, le droit classe les personnes en fonction non pas de leurs désirs, mais de ce qu’ils sont : majeurs et mineurs, nationaux et étrangers, actifs et retraités. Le désir ne définit pas la personne, et le désir sexuel pas plus qu’un autre. Il existe des hommes, et des femmes, qui peuvent avoir un désir homosexuel. Mais un désir n’est ni un mode d’être, ni une nature, ni une catégorie juridique.
    En conséquence, c’est non pas l’accès au mariage des personnes homosexuelles qui est en cause, mais la possibilité de se marier avec une personne de même sexe.
    Aussi, rappelons un élément fondamental dans cette discussion. Le mariage n’est pas la reconnaissance sociale du couple, même entre personnes de sexe différent. Le mariage n’est pas là pour reconnaître leur relation ni officialiser leur amour. En tant que maire, je n’ai jamais signé de certificats d’amour lorsque j’ai célébré des mariages. Cela se saurait ! (Oh ! sur les travées du groupe socialiste.)
    M. David Assouline. Et en tant que père ?
    M. Christian Cambon. Si le mariage était la reconnaissance sociale de la relation vécue par deux personnes, pourquoi – la question se pose, du moins, dans d’autres pays – la relation vécue entre trois ou quatre personnes serait-elle ignorée socialement ?
    Il faudrait alors admettre toutes sortes de mariage, entre deux personnes de même sexe, entre frère et sœur – cela peut avoir un intérêt économique non négligeable –, entre trois personnes ou plus, sous peine d’être taxé de discrimination. C’est déjà le cas, d’ailleurs, outre-Atlantique, où des personnes qui vivent la polyamorie, l’amour en groupe, dénoncent la discrimination dont elles sont victimes.
    Encore une fois, ce sont des professeurs de droit qui évoquent ce sujet et qui nous posent la question.
    C’est la raison pour laquelle, après avoir admis le mariage homosexuel, les Pays-Bas reconnaissent désormais le partenariat civil à trois personnes. Le premier de ces partenariats a été conclu par deux femmes bisexuelles et un homme.
    En conséquence, la vie de couple relève de la vie privée des intéressés et le couple peut organiser sa vie commune dans le cadre de conventions privées. Notamment, les couples de personnes de même sexe peuvent déjà organiser leur relation dans le cadre du pacte civil de solidarité, et nous avons évoqué, à plusieurs reprises, des pistes pour l’améliorer. De même, un simple certificat de concubinage peut juridiquement assurer la publicité à l’égard des tiers d’une relation privée.
    Pour Mme Mirkovic, si certains couples de même sexe réclament le mariage, c’est parce qu’il est envisagé comme la reconnaissance sociale du couple, ce qu’il n’est pas.
    Le mariage n’est pas un simple contrat susceptible de concerner n’importe quelle relation. Il est institué en vue de la structuration d’une famille.
    Nul n’est obligé de se marier et il est tout à fait possible de fonder une famille en dehors du mariage. Le cadre légal du mariage est proposé pour la famille et chacun est libre de le choisir ou non. Ce caractère facultatif ne change en rien la dimension familiale du mariage, qui a été rappelée par le Conseil constitutionnel à plusieurs reprises : « Le mariage constitue non seulement un statut du couple mais également l’acte de fondation d’une famille et d’un lien qui produit des effets au-delà de sa rupture. »
    Ainsi, dans sa décision du 29 juillet 2011, le Conseil constitutionnel affirme encore que « le régime du mariage a pour objet non seulement d’organiser les relations personnelles, matérielles et patrimoniales des époux pendant la durée de leur union, mais également d’assurer la protection de la famille » et « que ce régime assure aussi une protection en cas de dissolution du mariage ».
    Cette dimension familiale du mariage inclut, bien évidemment, la perspective de la procréation.
    En conclusion, le mariage n’a pas pour but de reconnaître un lien affectif, qui n’est d’ailleurs pas une condition du mariage. Il ne suffit donc pas de s’aimer pour avoir droit au mariage, contrairement à ce que l’on entend ici ou là – « Ils s’aiment, donc ils ont droit au mariage. » –, il faut également remplir les conditions nécessaires et indispensables pour fonder une famille, c’est-à-dire, notamment, être un homme et une femme. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas très glamour !
    M. le président. La parole est à M. Michel Bécot, sur l’article.
    M. Michel Bécot. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le mariage est un acte juridique visant à établir un cadre institutionnel pour un couple constitué d’un homme et d’une femme, qui décident de fonder une famille.
    Le mariage est l’acte de fondation de la famille. Il est intrinsèquement lié à la filiation. Il n’est pas une reconnaissance de l’amour que se portent deux personnes.
    La condition d’altérité sexuelle des époux découle de la signification profonde du mariage, qui est de créer une famille. Pour fonder une famille, avoir un enfant, il sera toujours nécessaire de faire appel à un homme et à une femme.
    Les personnes de sexe différent et de même sexe ne sont pas dans la même situation au regard de la procréation. Les premières peuvent procréer alors que les secondes ne le peuvent pas.
    Les couples de même sexe ne peuvent donc pas être concernés par l’institution du mariage.
    En cela, leur traitement juridique est différent parce que leur situation n’est pas analogue. Le principe d’égalité signifie seulement que doivent être traités de la même manière ceux qui sont dans des situations équivalentes.
    Au contraire, la différence de situation entre les couples de sexe différent et ceux de même sexe justifie la différence de traitement, ainsi que l’a reconnu la Cour de cassation.
    Dès lors que le mariage est permis entre des personnes de même sexe et, donc, que deux individus acquièrent le statut d’époux ou de conjoints, l’ensemble des articles concernant les époux ou conjoints s’appliquent à eux.
    Ce projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe va, de facto, leur permettre d’accéder à la parenté, par le biais de l’adoption. Ainsi, l’ensemble des dispositions sur l’adoption plénière et sur l’adoption simple s’appliquent à eux. Par l’ouverture de l’adoption plénière aux couples de personnes de même sexe, l’enfant adopté va se retrouver avec « deux pères » ou « deux mères », puisque l’adoption plénière substitue une filiation à une autre.
    M. Jean-Louis Carrère. Il vaut mieux avoir deux parents plutôt qu’un seul !
    M. Michel Bécot. L’enfant ne bénéficiera plus d’une filiation maternelle et d’une filiation paternelle. Il se verra amputer de cette richesse d’avoir une mère et un père. De manière délibérée, ces enfants se verront privés de cette parité, qui est pourtant imposée dans tous les autres domaines. Ils vivront dans le mensonge délibéré de leur filiation.
    Le droit de la famille est basé sur la vraisemblance biologique et sur la filiation sexuée. Ce projet de loi rompt avec cette logique.
    Face à l’impossibilité d’adopter que rencontreront les couples de même sexe – la difficulté de mener à bien une démarche d’adoption, aussi bien en France qu’à l’international, étant avérée –, on ne pourra répondre au désir d’enfant exprimé par les couples de personnes de même sexe que par l’autorisation de l’assistance médicale à la procréation pour les couples de femmes, et par celle de la gestation pour autrui pour les couples d’hommes, en application du principe d’égalité, bien sûr.
    M. Jean-Louis Carrère. Qu’est-ce qu’ils sont réacs !
    M. Michel Bécot. Le Président de la République, dans son intervention télévisée du 29 mars 2013, nous a annoncé attendre l’avis que rendra le Comité consultatif national d’éthique, à la fin de l’année 2013, avis consultatif qu’il s’est engagé à respecter. Mme Vallaud-Belkacem, porte-parole du Gouvernement, a tenu à préciser néanmoins que cet avis ne contraindra pas celui-ci.
    Le texte qu’on nous demande d’adopter aujourd’hui n’est pas la simple modification d’un article du code civil : une révolution se profile derrière lui !
    Madame le garde des sceaux, madame la ministre, l’histoire de l’humanité est un bien précieux qu’il nous faut protéger. Chacun d’entre nous a une histoire, souvent forte. Elle fait notre richesse. Ne permettez pas que certains en soient privés. Je vous remercie de votre écoute, mais je ne voterai pas ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Charles Revet, sur l’article.
    M. Charles Revet. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, si vous voulez par avance discréditer les adversaires d’un projet de loi, présentez-le comme une réforme permettant d’aller vers plus de liberté et d’égalité !
    M. François Rebsamen. Et de fraternité !
    M. Charles Revet. Celui qui se prononcera contre un tel texte ne pourra qu’être réactionnaire. Sinon, pourquoi se poserait-il en adversaire de la liberté et de l’égalité ?
    Si vous êtes progressiste, vous devez donc être favorable à cette réforme !
    Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe s’inscrit très exactement dans ce contexte. Y être hostile ou, à tout le moins, éprouver des réserves vous condamne sans autre forme de procès à la relégation dans le camp de la réaction et de l’obscurantisme.
    Si vous êtes un esprit libre et ouvert, vous devez être favorable à ce texte, cela ne se discute même pas.
    Doit-on se taire et faire comme si l’on était dans le même camp que ceux qui défendent une mesure que l’on juge contestable ? Ce n’est pas parce qu’une mesure est dans l’air du temps, qu’elle a un « look » jeune et moderne, qu’elle est bonne.
    Il est évident qu’en matière de sexualité, la liberté des pratiques semble être la règle entre adultes consentants et jouissant de toutes leurs facultés mentales. Le problème vient des conclusions que l’on en tire en matière de droits : droit au mariage, à l’adoption, voire à la procréation médicalement assistée, etc.
    Ce projet de loi remet donc sur le devant de la scène une institution, le mariage, que l’on a voulu désacraliser et reléguer au rang de simple formalité administrative. En clair, on se mariait éventuellement par commodité. L’acte le plus important avait été accompli avant, par le choix de son partenaire et par la décision de partager sa vie.
    Avec le « mariage pour tous », on se trouve amené à accorder une importance de premier rang à un acte juridique que l’on avait volontairement un peu oublié.
    Pourquoi, alors, cela pose-t-il un problème d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe ? Parce qu’il ne faut pas se leurrer sur le rôle de cette institution. Si beaucoup d’entre nous l’utilisent comme un simple instrument de gestion, il est clair que le mariage, depuis l’origine, a pour objet plus ou moins explicite la procréation. Or la procréation demande, qu’on le veuille ou non, deux personnes de sexe différent.
    Ouvrir le mariage aux couples de même sexe, c’est automatiquement ouvrir la porte à la procréation médicalement assistée, voire à la gestation pour autrui. Vous aurez beau le nier, c’est une réalité qui s’imposera. Cela mérite tout de même d’être réfléchi, discuté et débattu.
    La liberté, c’est le droit donné à chacun de faire ses choix de vie et de prendre ses responsabilités. Chacun doit être libre de vivre avec la personne de son choix, y compris avec une personne de son sexe. Mais, en toute logique, on devrait accepter, dans ce dernier cas, de ne pas avoir d’enfants.
    Le problème, c’est que l’on vit dans une société où la notion de choix et de conséquences de ses choix n’a plus guère de sens. Cette évolution n’est pas surprenante ; elle est dans le droit fil de ce à quoi l’on assiste depuis des dizaines d’années.
    J’espère que l’on retrouvera un jour la raison : un homme et une femme, c’est ce qu’il y a d’unique pour faire un enfant, et c’est encore mieux si cet homme et cette femme restent ensemble après avoir conçu cet enfant.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Rien n’est moins sûr !
    M. Charles Revet. Mon point de vue est-il affreusement conventionnel ? (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Peut-être, mais est-ce vraiment un progrès que de refuser la réalité ?
    On nous dit qu’il s’agit d’accepter la différence alors qu’en fait on nous propose de la nier. Faire comme s’il n’y avait pas de différence entre un homme et une femme, comme si les êtres étaient interchangeables, c’est une régression.
    C’est pourquoi, sauf à vouloir faire table rase de tout ce sur quoi se sont appuyés nos ancêtres pour bâtir la société dans laquelle nous vivons, nous sommes tout à fait opposés à l’article 1er de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz, sur l’article.
    M. Michel Vergoz. J’ai entendu que le vote des élus des DOM était très attendu. Depuis lors, leurs choix ont été clarifiés.
    Je confirme mon vote en faveur de l’article 1er de ce projet de loi, qui, je vous le rappelle, traite uniquement du mariage civil – je dis bien du mariage civil – entre les couples de même sexe et de l’adoption. Pour écarter toute polémique, je rappelle, comme cela a souligné au Sénat et à l’Assemblée nationale par Mme le garde des sceaux, que l’article 343 du code civil prévoit que le mariage emporte l’adoption.
    Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, me trouver dans cet hémicycle aujourd’hui, au cœur de ce débat sur le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe, me procure le sentiment d’un long voyage réalisé en un temps infiniment court. Cela va trop vite, peut-être. Dans les îles plus que dans l’Hexagone ! C’est la raison pour laquelle on attendait des élus des DOM qu’ils ne soutiennent pas ce texte.
    En effet, j’ai vécu en vase clos, dans une société chargée du poids des principes, des préjugés, des interdits largement distillés par la famille et par la religion, avec grand amour.
    Les nouvelles du monde nous parvenaient alors qu’elles n’étaient déjà plus d’actualité là où elles avaient éclos. L’information ne disposait pas des moyens modernes d’aujourd’hui pour se répandre. Elle était toujours partielle, souvent partiale, et naturellement orientée.
    Dans ce contexte qui a nourri ma jeunesse, pendant des années, je me souviens d’avoir partagé assez longtemps, sur la question du mariage, avec nombre de mes camarades, l’idée selon laquelle des deux mariages, civil et religieux, le plus important, l’officiel, était celui qui était célébré à l’église, le sacrement !
    C’est dire combien je viens de loin, de très loin, s’agissant de ce sujet. Ne sourions pas : d’une île à l’autre, ces faits peuvent se recouper.
    Rien de surprenant quand on rappellera, chaque fois, le poids non pas de la tradition, mais de l’éducation et de la religion dans le contexte insulaire.
    Il y a quelques semaines, encore, je fus avec le plus grand sérieux questionné par l’un de mes amis, qui voulait que je récuse publiquement le passage par l’église de couples homosexuels qui souhaitaient se marier, alors que cette question ne se pose aucunement. C’est vous dire combien d’interrogations sommeillent encore.
    C’est en 1970, lorsque j’effectue le grand voyage vers l’Europe pour mes études, que je découvre l’ampleur de l’hypocrisie sur la question de l’homosexualité. Celle-ci sera pénalisée jusqu’en 1982 et ce n’est qu’en 1991 qu’elle sera retirée de la liste des maladies mentales par l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé.
    J’ai vu des personnes de même sexe heureuses de vivre ensemble leur amour différent, mais vrai et profond.
    Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Heureusement !
    M. Charles Revet. Personne ne le conteste !
    M. Michel Vergoz. Comme j’ai vu, mes chers collègues, des jeunes des îles fuir leur insularité pour cacher ce même amour et éviter ainsi les regards culpabilisants et meurtris de leurs propres parents.
    M. Jean-Pierre Raffarin. Il n’y a pas que dans les îles !
    M. Michel Vergoz. J’ai longtemps entendu les souhaits, les attentes, les espérances de ces couples de personnes de même sexe. J’ai souvent pensé que ces personnes pouvaient trouver leur juste place dans la devise de la République française : « Liberté, égalité, fraternité. »
    Mes chers collègues, à ce jour, aucun élément pertinent ne démontre que l’environnement d’un enfant évoluant au sein d’une famille homoparentale serait moins équilibré que celui d’un enfant d’une famille monoparentale. La monoparentalité concerne plus de 20 % des familles à La Réunion, contre 8 % dans l’Hexagone.
    De même, chez les couples hétérosexuels unis par le mariage, le même équilibre indispensable à l’épanouissement de l’enfant est-il assuré lorsque le divorce survient ?
    Plus de 50 % des couples mariés divorcent, souvent dans des conditions préjudiciables à l’intérêt de l’enfant. Nous avons tous en tête des exemples difficiles, voire dramatiques, y compris dans notre entourage. Telle est la réalité ! Le fait biologique ne constitue en aucune façon une assurance « tous risques » pour une éducation réussie de l’enfant.
    Mes chers collègues, c’est avec sérénité et dans le respect du choix de chacun que je réponds aujourd’hui positivement aux avancées que contient, en termes d’égalité des droits et de conquête de libertés nouvelles, l’article 1er du projet de loi.
    Une démocratie s’honore lorsqu’elle traite aussi des minorités, elle se cimente, elle se fortifie. Lorsqu’elle agrège toutes ses composantes, c’est la cohésion sociale qui gagne ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, sur l’article.
    M. Pierre Laurent. Nous sommes enfin parvenus à l’examen de l’article 1er. Je me contenterai de faire deux remarques.
    « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe. » Voilà donc l’article qui suscite stupeur et effroi sur les travées de la droite depuis le début du débat !
    Ainsi, depuis maintenant des semaines, nous assistons à un véritable déferlement contre cet article fondateur d’un nouveau progrès en termes d’égalité, cette égalité que nous nous apprêtons à inscrire avec bonheur dans la loi. Enfin, nous allons mettre un terme à une discrimination devenue insupportable !
    Certains des arguments avancés par ceux qui s’opposent à ce progrès relèvent – il faut bien le dire – d’une homophobie franche et déclarée, d’une homophobie agressive et brutale. (Murmures sur les travées de l’UMP.)
    Mme Françoise Férat. Non !
    M. Pierre Laurent. Si, nous l’avons entendu !
    Il y a aussi une homophobie honteuse et larvée, celle de ceux qui affirment que, bien sûr, l’homosexualité est un choix d’orientation sexuelle légitime, mais qui ne veulent pas reconnaître des droits identiques pour tous, sans distinction de genre et d’orientation sexuelle.
    Pour se prémunir des accusations d’homophobie, ces détracteurs du projet de loi inventent des droits de second ordre, des droits de sous-citoyen, de demi-citoyen.
    Ainsi, le PACS, hier combattu, d’ailleurs par les mêmes, paraît aujourd’hui suffisant. Au mieux, on propose une union civile dont les motivations n’ont finalement qu’un but : barrer la route à une égalité enfin pleine et entière.
    Il est temps pour nous de rejeter ces faux-fuyants et d’ouvrir l’égalité à tous, l’égalité tout simplement.
    Dès lors, mariage, adoption et, à nos yeux, PMA pour les femmes…
    M. Charles Revet. Voilà !
    M. Pierre Laurent. … relèvent du même principe d’égalité. Les droits des uns doivent être, en toute circonstance, les droits des autres.
    Au nom de quoi des personnes d’orientation sexuelle différente, hétéros ou homos, se verraient, pour une partie d’entre elles, privées de leurs droits alors que l’égalité devant la citoyenneté leur est reconnue ? Aucun des arguments entendus ne nous convainc d’en rabattre sur une telle exigence. Notre soutien au projet est donc guidé d’un bout à l’autre par le respect de l’égalité des citoyens devant la loi. C’est aussi simple et aussi fondamental que cela.
    Je voudrais également souligner le caractère profondément rétrograde des arguments que l’on entend à propos de la conception de la famille et de la filiation. À cet égard, le florilège auquel nous venons d’avoir droit gagnerait à être davantage connu…
    Que d’arguments qui ramènent la femme à son rôle de procréatrice sous domination masculine ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Christian Cambon. Qui a dit cela ?
    M. Pierre Laurent. Que d’arguments qui cherchent à figer une vision archaïque de la famille !
    Je pense à cette notion totalement rétrograde de « complémentarité », que l’on substitue à celle d’« égalité » pour définir les rapports entre les hommes et les femmes dans la famille.
    Dans un couple constitué d’un homme et une femme, les conjoints ne sont pas complémentaires ; ils sont égaux en droits ! D’ailleurs, cette conquête de l’égalité au sein de la famille a profondément changé le mariage lui-même. Mesdames, messieurs de droite, savez-vous que, en Tunisie, les islamistes s’acharnent, sans y parvenir pour le moment, à substituer dans la constitution de leur pays la notion de « complémentarité » à celle d’« égalité » pour désigner les droits des femmes ?
    Le mariage n’est pas le statut figé et rétrograde dans lequel nos collègues de droite tentent de le circonscrire depuis le début de notre débat. Il a évolué. Hier encore, le divorce était interdit, proscrit, banni… Ceux qui faisaient ce choix étaient montrés du doigt. La femme n’avait pas les mêmes droits que l’homme dans le mariage.
    Tout cela a bougé. La conquête de l’égalité a aussi avancé à l’intérieur du mariage.
    Par conséquent, la conception que vous portez est non seulement homophobe,…
    M. Alain Gournac. Mais arrêtez !
    M. Jean-Pierre Raffarin. C’est honteux ! Ça suffit !
    M. Christian Cambon. C’est un provocateur !
    Mme Éliane Assassi. Pourtant, c’est la vérité ! C’est ça qui vous embête !
    M. Pierre Laurent. … mais aussi sexiste ! (Vives protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Pierre Raffarin. Vous n’avez trouvé que cela comme argument ? C’est la faiblesse du sujet !
    Mme Cécile Cukierman. Mais non ! C’est la force du sujet !
    M. Alain Gournac. C’est odieux !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Inacceptable ! C’est inacceptable !
    Mme Éliane Assassi. Monsieur Raffarin, vous n’aimez pas entendre les vérités !
    M. Pierre Laurent. Nous croyons que le mariage pour tous est un nouveau pas vers l’égalité pour toutes et tous. (Les protestations couvrent en partie la voix de l’orateur.)
    Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Faites-le taire !
    M. Jean-Pierre Raffarin. On va finir par regretter Mélenchon !
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
    M. Pierre Laurent. C’est aussi un progrès pour les couples homosexuels, qui verront tomber la discrimination dont ils sont victimes. Mais ce nouveau droit sera un progrès pour tous les couples, pour toutes les femmes, pour toutes celles et tous qui veulent concevoir leur mariage comme un espace commun d’amour et de liberté, et non comme un corset qui nous ramène deux siècles en arrière. (Nouvelles protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Alain Gournac. C’est nul ! Honteux !
    M. Pierre Laurent. Je ne parle même pas des propos sur l’état de nature que nous venons d’entendre : ils feraient s’évanouir les penseurs des Lumières ! (Mêmes mouvements.)
    M. le président. Concluez, monsieur le sénateur !
    M. Pierre Laurent. En votant ce projet, c’est au nom de l’égalité que nous ferons gagner…
    M. Christian Cambon. La sérénité dans le débat ?
    M. Pierre Laurent. … la liberté pour toutes et tous ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Christian Cambon. La grande classe !
    M. Alain Gournac. Il n’est jamais là !
    M. David Assouline. Et vous, vous n’avez même pas condamné les saccages de permanence de parlementaires ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. André Reichardt, sur l’article.
    M. André Reichardt. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat va à son tour se prononcer sur l’article 1er, article essentiel et fondateur de ce projet de loi. À la suite de tant d’autres qui se sont exprimés à l’Assemblée nationale, dans cette enceinte et dans la rue, je souhaite également vous faire part de mon désaccord à l’égard de ce texte.
    Mesdames les ministres, je vous le dis solennellement : vous vous trompez !
    Vous vous trompez non seulement sur la motivation de ce projet, la recherche de l’égalité à tout crin, mais également sur les conséquences du mariage homosexuel, que vous sous-estimez.
    Votre motivation, c’est la recherche de l’égalité. Selon vous, les homosexuels sont victimes de discriminations et doivent, au même titre que les hétérosexuels, avoir le droit de se marier s’ils le désirent. Cet argument du « mariage pour tous ceux qui le désirent au motif qu’ils s’aiment » ne tient pas.
    Ce n’est pas parce que des gens, hétérosexuels ou homosexuels, le désirent qu’ils ont le droit de se marier. Les exemples de personnes qui ne peuvent pas se marier alors qu’elles le voudraient sont nombreux.
    On ne peut pas, au nom de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, donner le droit au mariage à tous ceux qui le souhaitent simplement parce qu’ils déclarent s’aimer.
    Par ailleurs, le mariage n’est pas uniquement l’alliance entre deux personnes en reconnaissance de l’amour qu’elles se portent. C’est une institution qui articule l’union d’un homme et d’une femme avec le souhait de construire une famille, fondée sur l’existence d’une relation de filiation. En ce sens, c’est un acte fondamental dans la société qui est la nôtre. Il est basé sur l’altérité. Les homosexuels, pour de simples raisons biologiques, ne peuvent pas y recourir.
    Les couples formés de deux personnes de sexe différent sont, par nature, différents des couples formés de personnes du même sexe. Par conséquent, il n’y a pas de discrimination à exclure de la catégorie du mariage d’autres types d’union et il n’y a pas d’inégalité à traiter différemment des réalités différentes.
    Vous vous trompez donc sur la motivation. Mais vous vous trompez aussi – et vous nous trompez du même coup – sur les conséquences de votre texte. Vous reconnaissez permettre l’adoption par deux personnes de même sexe par le fait du mariage, mais vous déclarez que la procréation médicalement assistée, la PMA, n’est pas dans le texte à ce stade.
    À cet égard, le Président de la République a indiqué qu’il respecterait l’avis du Conseil national consultatif d’éthique et que la gestation pour autrui demeurerait interdite tant qu’il serait en fonction.
    Ce faisant, vous vous limitez à réparer une autre inégalité, mesdames les ministres. Selon vous, les homosexuels, comme les hétérosexuels, ont le droit d’avoir des enfants, et vous dites que l’ouverture de l’adoption par le mariage y contribuera.
    Outre que le droit à l’enfant n’existe pas, pas plus chez les homosexuels que chez les hétérosexuels, vous vous trompez gravement sur les conséquences de votre projet du point de vue de la filiation.
    En effet, nous savons que les enfants adoptables sont peu nombreux. Les couples de même sexe auront beaucoup de mal à en adopter, les pays d’origine voulant garantir à leurs pupilles des familles adoptives susceptibles de remplacer au mieux la famille biologique dont l’enfant a été privé. Il ne restera donc qu’une solution aux couples homosexuels qui voudront un enfant : recourir à la PMA ou à la GPA et procéder ensuite à l’adoption de l’enfant du conjoint.
    Et que M. le Président de la République en soit d’accord ou non, c’est le droit européen, et plus précisément la Cour européenne des droits de l’homme, qui contraindra la France à ouvrir la PMA à des femmes homosexuelles qui voudront un enfant sans père.
    En effet, la Cour admet que certains droits soient réservés aux couples mariés par rapport aux couples non mariés, en raison de leur différence de situation. En revanche, au sein d’un même statut, elle n’accepte pas de différence entre les couples de même sexe et les couples de sexe différent.
    Nous le savons, les arrêts de la CEDH s’imposent aux pays du Conseil de l’Europe, dont la France, qui doivent les respecter, sous peine de condamnations financières. Il suffira ainsi à un couple de femmes auxquelles on aura refusé la PMA de saisir la Cour pour obtenir la condamnation de la France, qui devra alors modifier sa législation.
    M. Charles Revet. Exactement !
    M. André Reichardt. Bien entendu, une telle logique vaudra également pour la gestation pour autrui. Pourquoi ce type de « fabrication » d’enfant ne serait-il pas exigé aussi par des couples d’hommes mariés, au nom de l’égalité et de la non-discrimination avec les femmes mariées ?
    Rappelons à cet égard que la circulaire du 25 janvier de Mme le garde des sceaux facilite déjà l’octroi des certificats de nationalité française aux enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger…
    En ouvrant le mariage aux couples homosexuels, quoi que vous en disiez, vous ouvrez de facto la voie à la PMA et à la GPA. Au mieux, c’est une erreur, au pire une tromperie. En tout état de cause, prétendre l’inverse, c’est faire preuve d’une énorme hypocrisie.
    Pour ma part, je ne peux pas accepter vos raisons, quelles qu’elles soient. Je voterai donc résolument contre l’article 1er, dont la motivation est erronée et les conséquences sont irréfléchies. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Vive l’Alsace !
    M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures cinquante-cinq.
    La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jean-Claude Carle.)
    PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE CARLE

    vice-président
    M. le président. La séance est reprise.
    Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
    Je rappelle que, dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 1er, sur lequel plusieurs orateurs se sont déjà exprimés.
    La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, sur l’article.
    M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette que nos collègues du Front de gauche ne soient pas présents en séance à cet instant, car je tiens à exprimer notre révolte profonde devant les propos qui ont été tenus tout à l’heure qualifiant d’« homophobes » les travées de l’UMP. C’est inacceptable !
    M. Alain Gournac. C’est scandaleux !
    M. Jean-Pierre Raffarin. On nous a traités de délinquants ! Car depuis l’entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, que j’ai fait voter, l’homophobie, l’injure à caractère homophobe, est passible de plusieurs mois de prison et d’une amende de plusieurs dizaines de milliers d’euros. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    Madame la ministre, je vous demande de prendre acte du fait que nous avons tout à l’heure été injuriés. Nous vous demandons de croire en notre bonne foi, en notre sincérité. Nous n’avons pas, vis-à-vis des homosexuels, une attitude de compassion, une attitude distante ; nous avons tout simplement à leur égard une attitude de respect, auquel tout citoyen a droit dans notre République. Nous respectons tous les citoyens, quelles que soient leurs pratiques sexuelles. Nous ne pouvons donc accepter cette violence, que l’on dénonce par ailleurs et que, dans cette assemblée même, on pratique quelquefois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    Si nous sommes pour l’apaisement, c’est justement parce que nous souhaitons que les convictions des uns et des autres soient respectées.
    M. David Assouline. Vous n’avez pas dénoncé les violences !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Nous sommes pour cette logique d’apaisement que j’ai développée tout à l’heure parce que, nous le pensons sincèrement, la France n’a pas besoin de ce débat aujourd’hui.
    Nous pensons que les difficultés sociales que rencontre notre pays, que ce qui est devant nous aujourd’hui…
    M. Gaëtan Gorce. Assumez vos responsabilités !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Peut-être pouvons-nous parler des responsabilités ; il n’empêche que la réalité est là. Ce n’est pas parce que Heuliez a déjà connu deux faillites qu’on ne va pas reconnaître que la troisième est dramatique, cher monsieur ! Vous pouvez toujours chercher les responsabilités dans la première ou la deuxième faillite, aujourd’hui, il y a 300 salariés qui sont menacés par le dépôt de bilan de leur entreprise ! Pour eux, la violence est dans la société. C’est la raison pour laquelle ce débat nous paraît dangereux parce qu’il ajoute des ruptures, des fractures dans une société qui a besoin de cohésion.
    M. Alain Gournac. Oui !
    M. Ronan Dantec. Qui les a créées ?
    M. Jean-Pierre Raffarin. Ainsi que Fénelon l’a dit bien avant nous, « les injures sont les raisons de ceux qui ont tort », cher collègue. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    Sur le fond des choses, il existe ici un vrai risque – et c’est une autre forme de violence – qui est dans le changement de sens des mots.
    M. David Assouline. C’est un rappel au règlement ?
    M. Jean-Pierre Raffarin. Vous transformez d’abord les mots sur le plan sémantique. Plusieurs d’entre nous ont d’ailleurs saisi l’Académie française puisqu’elle est le garant du bon usage des mots. L’article 2 de notre Constitution précise en outre que le français est la langue de la République. Or, dans notre langue, aujourd’hui, selon l’Académie française, le mariage est l’union légitime d’un homme et d’une femme.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est faible !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Vous changez le sens des mots, mais aussi le sens de la famille, cela a été dit et redit.
    Mais ce qui nous choque profondément, c’est que vous privilégiez toujours le moment à la destinée et que votre vision est celle non pas de la famille, mais du couple. Le mariage n’est pas un contrat pour une situation présente entre deux personnes ; c’est la destinée qui fait la famille et cette destinée, c’est la destination de l’enfant. C’est cela qui est très important.
    M. Gaëtan Gorce. Il faut interdire le divorce, alors ! Soyez cohérents !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas parce que nous reconnaissons aux homosexuels la liberté de la pratique sexuelle qu’ils souhaitent, que, pour autant, cela leur donne le droit à l’enfant. Nous ne pensons pas que le droit à l’enfant puisse naître de l’alliance d’un homme et d’un autre homme ou d’une femme et d’une autre femme.
    C’est la raison pour laquelle il y a fondamentalement un changement dans la vision de la famille. Vous changez le sens de la famille, vous enlevez ce qui est aujourd’hui fondamentalement le sens de la famille, sa destinée. Au droit de l’enfant, vous substituez le droit à l’enfant, comme cela a déjà été dit. Donc, au-delà de ce changement sémantique, vous changez le sens de la famille.
    Mais vous allez encore plus loin, par un changement sur le plan politique. Vous faites ainsi un curieux choix dans le vieux débat classique entre nature et culture, parce que c’est le seul sujet sur lequel vous faites le choix de toutes les libertés. Sur les autres sujets, vous êtes à l’inverse prêts à tout réguler, à tout diriger. Mais, sur ce sujet-là, vous appelez à toutes les libertés et vous voulez maîtriser la nature par davantage de liberté, que vous habillez du mot « égalité ».
    Il va vous arriver ce qui arrive toujours lorsqu’on pèche par excès de libéralisme. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Au fond, vous êtes comme les libéraux américains. Mais faites-nous confiance, car nous avons appris à tempérer le libéralisme. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. David Assouline. Vous avez dépassé votre temps de parole !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Savez-vous qui gagne dans le match entre la culture et la nature quand vous ne faites confiance qu’aux libertés et au libéralisme ? Eh bien, c’est écrit, le vainqueur, c’est le marché et ce qu’il y a derrière votre texte, c’est le marché de l’enfant, celui de l’adoption.
    M. Jean-Jacques Mirassou. Et l’humanisme aussi !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Vous ne pourrez pas résister à la PMA, à la GPA, parce que la mécanique que vous enclenchez, c’est celle du marché de l’adoption.
    M. David Assouline. C’est le libéralisme d’un ancien premier ministre !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Vous faites une grave erreur philosophique et politique en oubliant qu’on ne doit jamais s’écarter de l’essentiel, c’est-à-dire de l’espèce humaine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt, sur l’article.
    M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet article 1er est évidemment le cœur du projet de loi, qui donne, comme cela a été maintes fois répété, mais peut-être faut-il le dire encore, la possibilité aux personnes de même sexe de contracter mariage, ce que le code civil réservait jusqu’à maintenant à deux personnes de sexe différent.
    Il permet par conséquent, et ce sera presque automatique, l’accès à l’adoption conjointe aux époux de même sexe. C’est bien en priorité ce que vise ce texte !
    On parle de mariage. Il faudrait d’abord parler de divorce avec une bonne partie de l’opinion publique, avec des millions de nos compatriotes qui ont manifesté leur incompréhension, à plusieurs reprises et en de nombreux endroits ces derniers mois, qui ont témoigné de leur désarroi devant ce qu’ils considèrent comme une véritable entreprise de démolition d’une institution, l’une des plus anciennes de l’humanité, au profit d’une minorité, reconnaissons-le, agissante, active et parfaitement organisée.
    M. Yves Daudigny. Ce n’est pas le sujet !
    M. Henri de Raincourt. Je voudrais dire un mot des conditions de la manifestation du 24 mars,…
    M. Alain Gournac. Ah !
    M. Henri de Raincourt. … pour relever d’abord que tout a été fait dans sa préparation pour en contrarier l’organisation (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)…
    M. Alain Gournac. Bien sûr !
    M. Henri de Raincourt. … à tous les égards, en particulier s’agissant de l’itinéraire.
    J’ai vu, évidemment comme tout le monde, qu’on avait refusé l’accès des Champs-Élysées aux familles de France qui voulaient venir exprimer leurs valeurs ; on préfère réserver les Champs-Élysées au marathon de Paris !
    Mme Laurence Rossignol. Quand Raffarin était Premier ministre, c’était déjà la même chose !
    M. Henri de Raincourt. Les participants ont été entassés en haut de l’avenue de la Grande-Armée – nombreux ici en ont été les témoins –, mettant les familles, les personnes et surtout les enfants en danger. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Catherine Tasca. Et que faisaient là les enfants ?
    M. Henri de Raincourt. La liberté de manifester est quand même inscrite dans la Constitution, mais quand on en fait usage, cela vous gêne ! Je reconnais que ce n’est pas trop dans notre culture, mais vous n’appréciez guère que nous allions manifester pour le respect de valeurs et de principes.
    Mais ce n’est pas la dernière fois, chers collègues, puisque nous y retournerons le 26 avril !
    Ces millions de Français, pourquoi ne pas avoir voulu les écouter ? Pourquoi n’avoir manifesté à leur égard aucune considération ? Leur réaction était bien légitime ; ils avaient tout à fait le droit de l’exprimer publiquement.
    À aucun moment, il n’a été envisagé, comme nous l’avons demandé ici même à de nombreuses reprises, de les consulter spécifiquement sur cette question, qui mérite mieux que la réponse qui fut faite en référence à la Constitution.
    Il faudrait également parler de divorce avec nombre de sociologues, de juristes, de philosophes et d’autres personnalités éminentes que nous avons auditionnées, proches de la majorité pour certaines d’entre elles, proches d’autres obédiences pour d’autres, soit dans le cadre de la commission des lois – et j’en remercie son président et son rapporteur –, soit dans le cadre de notre propre groupe.
    Ces personnes ont su, par leurs travaux sur ce bouleversement du droit de la famille, démontrer les dangers que court l’institution du mariage, mais plus globalement notre société. Le droit de la famille est fondé sur l’alliance et la filiation ; les juristes nous l’ont, au fil des jours, suffisamment répété. Certaines de ces personnalités ont, me semble-t-il, secoué les « certitudes » d’un certain nombre d’entre nous.
    Il faudrait aussi parler de divorce avec les terribles réalités du moment : les Français ont avant tout besoin que le Gouvernement trouve des réponses adaptées à la dureté des temps, à la crise économique, financière, sociale, politique maintenant, qui ronge le pays confronté au monde global, qui détruit des espérances et la cohésion de notre société.
    Alors, pourquoi malmener une bonne partie de l’opinion publique avec ce projet qui dresse les Français les uns contre les autres ? Nous avons tous en mémoire la volonté exprimée par le Président de la République de rassembler les Français. Avouez qu’en la matière, ce n’est pas très réussi !
    Faire fi de ce malaise dans la population nous pose un véritable problème. Ce n’est pas de cette manière que l’on pansera les plaies entre nos compatriotes et leurs élus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.
    Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, si la loi a institué le mariage et créé pour lui un cadre protecteur en n’acceptant sa rupture qu’à la suite d’une procédure judiciaire et de l’intervention d’un juge, c’est parce qu’elle le considère comme base d’une famille et non pas comme reconnaissance sociale du couple.
    Car la société n’a pas besoin de couples. Elle a besoin d’enfants qui bénéficient de la meilleure structure possible pour devenir les adultes de demain, d’un cadre sécurisant, objectif et protecteur. D’où le mariage.
    C’est vrai, la procréation n’est pas obligatoire dans le mariage et lorsqu’un couple homme-femme ne procrée pas, c’est pour des raisons qui lui sont particulières, soit, par exemple, parce que l’un des deux souffre d’infertilité ou encore parce qu’ils sont l’un et l’autre trop âgés.
    La dimension familiale du mariage peut tout à fait supporter que certains couples n’aient pas d’enfants. Cela ne prive absolument pas le mariage de cette perspective. En revanche, si des couples de même sexe ne procréent pas, ce n’est pas pour des raisons particulières et personnelles, c’est pour des raisons objectives. L’union de personnes du même sexe ne permet pas, nous le savons tous, la procréation.
    La relation entre personnes de même sexe est un rapport de personnes. Il peut y avoir un lien de droit, un contrat, mais ce rapport n’a pas vocation à aller au delà pour fonder une famille, non pas parce que ces personnes n’auraient pas les qualités individuelles pour cela, mais parce que, ensemble, elles ne peuvent pas procréer.
    La condition d’altérité sexuelle des époux posée par la loi n’est pas un choix. Elle découle de la signification profonde du mariage, qui a pour rôle non pas d’officialiser la vie de couple, mais d’instituer la famille.
    Il n’est pas question pour moi de nier que des couples homosexuels puissent élever des enfants aussi correctement que n’importe quel autre couple. Leur homosexualité peut constituer un facteur de difficulté, mais au même titre que les difficultés spécifiques auxquelles font face de nombreux couples hétérosexuels, en lien avec leur propre histoire personnelle ou leurs difficultés du moment.
    J’estime même qu’il est important de donner une sécurité juridique aux dizaines, voire aux centaines de milliers d’enfants qui sont d’ores et déjà élevés par des couples de même sexe.
    En revanche, je trouve extrêmement dangereux d’organiser la fiction d’une filiation au sein de couples homosexuels. Le mariage n’articule automatiquement conjugalité et filiation que dans le cas d’un couple hétérosexuel.
    Pour les couples de même sexe, la situation est différente. Je ne veux pas leur dénier le droit d’élever un enfant ensemble, mais, sur le plan de l’état civil, il est important de ne pas tromper celui-ci.
    Un enfant peut être élevé par deux hommes ou par deux femmes s’il connaît les conditions de sa naissance et comment il est arrivé auprès de ce couple.
    Mme Cécile Cukierman. Ses parents lui diront !
    Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Cet accès à l’information généalogique est essentiel pour construire son identité, comme le soulignent tous les psychologues et psychanalystes.
    Enfin, je considère qu’autoriser les couples de même sexe à conclure un mariage nous projette inéluctablement vers une légalisation de la PMA « de convenance » et de la GPA, quelles que soient les dénégations du Gouvernement. La PMA est actuellement autorisée pour les couples mariés infertiles ; empêchera-t-on les homosexuels de faire valoir leur propre infertilité pour en bénéficier aussi ? Cela serait sans doute considéré comme une discrimination par la CEDH.
    Et si l’on autorise les couples homosexuels à concevoir par PMA, pourra-t-on encore interdire la PMA de convenance aux hétérosexuels ? Là encore, cela deviendrait discriminatoire. Bien sûr, le raisonnement vaut également pour la GPA.
    Plus encore que l’accès des homosexuels à ces techniques reproductives, c’est la brèche qu’une telle autorisation ouvrirait pour l’ensemble des couples qui me paraît particulièrement dangereuse. Il y a là un véritable risque de dérive et il est tout à fait irresponsable de la part du Gouvernement de s’entêter à le nier.
    Autoriser le mariage entre les couples de même sexe emporte de graves conséquences pour le droit de la filiation et pour la bioéthique. Vous vous en doutez, je voterai donc contre cet article, d’autant que la création d’un dispositif d’union civile, sans conséquence directe sur le plan de la filiation, aurait pu parfaitement répondre aux attentes légitimement exprimées par les couples homosexuels pour sécuriser leur vie conjugale. Il me semble vraiment tragique, madame la ministre, que vous n’ayez pas accepté ce concept d’union civile. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. David Assouline. C’est votre intervention qui est tragique !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chauveau, sur l’article.
    M. Jean-Pierre Chauveau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom de Roland du Luart, absent ce soir pour raisons de santé.
    Au regard de l’atmosphère qui règne autour de ce débat sur le mariage des couples de personnes de même sexe et des incidents qui se sont produits lors de l’exercice par le peuple du droit à manifester son opinion, je n’ai nullement l’intention d’être dans la nuance.
    Pour moi, ce texte est antirépublicain.
    M. David Assouline. C’est une insulte ! Vous acceptez que l’on soit traités ainsi, monsieur Raffarin ?
    M. Jean-Pierre Chauveau. Ce projet de loi part d’une bonne intention : défendre les personnes revendiquant leur homosexualité qui subissent encore trop souvent des discriminations en raison de leur orientation sexuelle. Pour autant, en faisant d’une communauté fondée sur l’orientation sexuelle une sorte de corps intermédiaire qui déciderait des lois qui s’appliquent à lui-même et en instaurant une sorte de discrimination positive, il contrevient aux principes essentiels de la République française.
    Comme le souligne l’avocat Alexandre Duval-Stalla dans Le Figaro du 18 septembre 2012, « la première remise en cause fondamentale est celle de la reconnaissance en tant que telle de la communauté homosexuelle en lui attribuant des droits spécifiques […]. Pourquoi la République accorderait-elle plus de droits aux couples homosexuels qu’aux autres citoyens ? » Si la loi de la nature n’a aucune importance, car elle serait rétrograde, pourquoi limiter le droit de se marier aux couples de même sexe au lieu de l’ouvrir à d’autres formes de couples qui ne sont pas encore rentrées dans les mœurs officielles ?
    De fait, pousser jusqu’au bout la logique qui sous-tend le mariage homosexuel conduit à des aberrations.
    Mais d’où viennent ces incantations progressistes, modernistes ou humanistes qui font qu’aujourd’hui la moindre réticence au mariage homosexuel est assimilée à une résurgence fasciste ? Visiblement, elles résultent du multiculturalisme anglo-saxon, du droit européen et, surtout, de la notion suprême, nouvelle valeur fondamentale de la République française : la non-discrimination.
    Comme l’a indiqué Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public, l’argumentaire avancé en faveur du mariage homosexuel fait passer l’impossibilité naturelle et factuelle de deux hommes ou de deux femmes de se marier pour une discrimination juridique dont se rendrait coupable une méchante législation homophobe.
    Le mariage a toujours été universellement défini comme l’institutionnalisation d’une relation, c’est-à-dire de l’union sexuelle d’un homme et d’une femme. Il en résulte que deux hommes ou deux femmes ne peuvent se marier. Ce n’est aucunement une question de droit, c’est un constat de pur fait, dont la législation positive, notamment la Convention européenne des droits de l’homme, se borne à prendre acte. Il faut donc une sacrée dose de mauvaise foi pour prétendre que le texte de cette convention instituerait une discrimination.
    Selon Mme Le Pourhiet, l’argument discriminatoire est si faible que la Cour européenne des droits de l’homme et le Conseil constitutionnel ont dû, à plusieurs reprises, rappeler à des lobbies vindicatifs que le principe d’égalité ne s’applique pas à des situations différentes. Il n’y a évidemment pas l’ombre d’une discrimination dans cette affaire. Tout individu majeur peut parfaitement se marier, mais avec une personne de sexe différent, puisque c’est la définition même du mariage.
    Par conséquent, ce texte ne va pas « ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe », puisque cette expression n’a aucun sens. Il tend tout simplement à falsifier le mariage, à le dénaturer au sens fort du terme, c’est-à-dire à lui faire perdre sa signification, son fondement, sa finalité et sa nature pour le remplacer par une tout autre chose désormais asexuée et déstructurée, à laquelle on aura seulement conservé le nom de mariage. En réalité, il s’agit d’une parodie, d’un simulacre de mariage.
    La nature ne se prête pas à des croyances ou à des religions ; elle est un objet de connaissance et de science, que l’on ne peut relativiser ou feindre d’ignorer. On pourrait certes écrire dans le code civil que deux hommes ou deux femmes peuvent se marier ou inscrire dans la Constitution que la terre est plate : ce serait une contrevérité, un mensonge d’État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Marie-Annick Duchêne, sur l’article.
    Mme Marie-Annick Duchêne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jeudi et vendredi derniers, le début de la discussion sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe s’est déroulé des heures durant dans un climat serein. Les interventions étaient écoutées, et certains orateurs ont été quasi ovationnés. Nous n’avions pas le même avis sur ce projet de loi, mais le respect régnait.
    Aujourd’hui, lundi, le démarrage fut un peu brutal, mais le calme est ensuite vite revenu. Puis l’un de nos collègues a pris le mors aux dents et, dépassant son temps de parole d’une minute et vingt secondes, a tenu à notre encontre, nous « gens de droite », selon ses propres mots, des propos plus que désagréables.
    À cet orateur, qui est absent ce soir, je tiens à dire que je ne suis pas homophobe et que je ne connais pas parmi mes collègues des personnes qui le soient.
    M. Jean-Marc Todeschini. Il y en a !
    Mme Marie-Annick Duchêne. J’ai participé à la « manif pour tous » et, là encore, je n’ai pas rencontré de personnes homophobes.
    Mme Cécile Cukierman. Pourtant, elles se sont exprimées !
    Mme Marie-Annick Duchêne. J’ai rencontré des hommes et des femmes disant leur malaise devant ce projet de loi. Ils ne comprenaient pas pourquoi il serait nécessaire d’ouvrir le droit à la PMA, puis, toujours par souci d’égalité, peut-être à la GPA.
    Certains avaient peur que les femmes des pays pauvres ne soient utilisées pour porter les enfants de certains couples de même sexe ; cela les révoltait. Tous étaient pour une procréation naturelle, tous mettaient l’enfant au centre du débat, tous parlaient de la filiation indispensable à la construction d’une société. Comme ils nous demandaient de trouver une solution, je leur ai parlé de l’union civile qui serait célébrée en mairie. Ils étaient soulagés, car, pour eux, c’était une solution de rassemblement.
    Et puis il y a eu, lors la dernière manifestation, quelques dérapages, avec des individus qui n’avaient pas leur place dans un tel rassemblement (Exclamations sur les travées du groupe CRC.),…
    M. David Assouline. Vous êtes la seule à le dire !
    Mme Marie-Annick Duchêne. … où l’ambiance était plutôt bon enfant. La presse a surtout parlé de ces petits désordres, ce qui est injuste pour les organisateurs de la manifestation.
    Or cette loi est, nous le savons, très importante : elle transforme le droit français du mariage et de la filiation. Aussi, mes chers collègues, il est inutile de se lancer des noms d’oiseaux ! Nous avons chacun des convictions, respectons-les. Pour ma part, je voterai contre l’article 1er. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, sur l’article.
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens à la place de Bruno Gilles. Ayons une pensée pour lui, qui, dans la peine d’avoir perdu sa mère, ne peut être présent parmi nous ce soir.
    Au nom de l’égalité et du refus des discriminations, on nous demande, avec cet article 1er, d’établir une équivalence entre les unions homosexuelles et les couples mariés. Il semble exagéré de parler de discriminations aujourd’hui dans notre société vis-à-vis des homosexuels, même s’il existe encore des actes agressifs à leur égard, hélas, toujours trop nombreux, comme il demeure des violences contre les femmes et des crimes pédophiles.
    La grande majorité de nos compatriotes refuse les discriminations. Critiquer le « mariage gay » n’a rien à voir avec une hostilité à l’égard des homosexuels.
    En revanche, ce texte, notamment dans son article 1er, instaure des discriminations. En ouvrant le mariage et l’adoption aux unions homosexuelles, il instaure une réelle inégalité entre les enfants qui vivront entre un père et une mère dont ils sont issus et ceux dont la filiation sera fondée sur un mensonge et établie de façon fictive, à savoir qu’ils seraient le fils ou la fille de deux pères ou de deux mères.
    Ces derniers seront intentionnellement privés d’une mère ou d’un père. Pourtant, la majorité des homosexuels pensent qu’un enfant doit vivre entre un père et une mère.
    « Alors que la filiation est un élément essentiel de l’identification pour chaque individu tant sur le plan biologique que social et juridique, l’état civil ainsi reconstitué mettra en évidence, par la référence à des parents de même sexe, la fiction juridique sur laquelle repose cette filiation ». Ici, c’est le Conseil d’État qui s’exprime.
    En revanche, ce texte, en ouvrant le mariage et l’adoption d’enfants aux unions homosexuelles, remet en cause notre conception de la filiation issue de la dualité sexuelle. Il donne la priorité à « un droit à l’enfant » sur « les droits de l’enfant », consacrés par la Convention internationale des droits de l’enfant et par notre corpus constitutionnel.
    Lorsqu’un couple hétérosexuel adopte un enfant, il le fait pour donner à un enfant qui a perdu sa famille biologique, une famille de substitution constituée d’un père et d’une mère d’adoption. Si les homosexuels adoptent un enfant,…
    Mme Cécile Cukierman. Ils feront comme tout couple qui désire un enfant !
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. … ils le font pour satisfaire leur désir d’enfant, en contournant leur impossibilité à l’engendrer.
    Mme Cécile Cukierman. C’est insupportable !
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. En cherchant à mettre de l’égalité entre les unions de même sexe et les couples homme-femme,…
    Mme Cécile Cukierman. C’est le désir d’enfant qui compte !
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Madame Cukierman, c’est moi qui ai la parole, et pas vous !
    Je disais donc qu’en cherchant à mettre de l’égalité entre les unions de même sexe et les couples homme-femme, on crée une inégalité entre les enfants : ceux qui auront droit à un père et une mère et les autres.
    Bien plus que l’instauration d’une filiation sociale, c’est partant de l’idéologie du genre, bouleverser ce qui fonde notre civilisation.
    C’est encore la porte ouverte aux gestations artificielles, aux transferts d’embryons, dans le cas d’unions de lesbiennes, et le recours à la gestation pour autrui par des mères porteuses, dans celui d’unions de deux hommes.
    Quant à l’allégation d’inégalité de droits entre hétérosexuels et homosexuels, elle n’est pas recevable, car ils ont les mêmes droits.
    En revanche, il ne peut y avoir d’égalité entre les couples mariés et les unions homosexuelles puisque ces dernières sont fondées sur l’absence d’altérité sexuelle et, par voie de conséquence, sur l’impossible conception d’enfants. Des situations, des réalités différentes, sans qu’il y ait pour autant discrimination, appellent des droits différents.
    L’égalité de droits respecte les différences. En France, nous sommes égaux au-delà de nos différences de peau, de religion, de sexe et de naissance…
    L’égalité suppose invariablement que l’on traite également les situations égales et inégalement les situations inégales. L’égalité, qui est une valeur démocratique, ne peut, en effet, se confondre avec l’égalitarisme qui est le propre de régimes autoritaires, faisant disparaître les différences pour imposer une même norme à tous.
    Or le projet de loi, sous couvert de termes, improprement utilisés et sans doute volontairement choisis, de « mariage » et de « couples » d’homosexuels, veut autoritairement et officiellement éliminer ces différences.
    L’article 1er répond aux revendications communautaristes d’un groupe militant, la LGTB, lesbiennes, gays, trans et bi, et l’APGL, Association des parents gays et lesbiens, qui n’est pas représentatif des homosexuels, ceux-ci étant majoritairement opposés à ce texte.
    En fait, le projet de loi nous conduit à légiférer pour la minorité d’une minorité. Or notre loi fondamentale refuse d’institutionnaliser les particularismes sous peine de morceler l’unité de notre nation et la cohésion de notre société. Nous assistons là, comme disait Jean Carbonnier, à la « pulvérisation du droit objectif en droits subjectifs ».
    Le mariage est une institution. La dualité sexuelle sur laquelle il se fonde, consacrée par les lois de notre République depuis 1792, constitue sans doute le principe le plus fondamental de notre droit civil.
    Ne tenant plus compte de la dualité sexuelle du couple, de sa capacité à procréer, de la filiation biologique, de la présomption de paternité inhérente à l’institution du mariage, l’article 1er du texte, s’il est adopté, dénaturera l’essence même du mariage, qui n’en aura plus que le nom.
    Le mariage est « le plus haut degré de protection juridique que peuvent se vouer librement deux personnes qui s’aiment », nous indique notre rapporteur. Or le mariage n’est pas un contrat qui consacre l’amour. Notre droit ne prend pas en compte les sentiments des individus, qui appartiennent à la sphère privée.
    M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Je conclus, monsieur le président, mais j’observe que d’autres orateurs ont dépassé leur temps de parole d’une minute à une minute et demie… Par conséquent je ne me sens pas en infraction pour quelques secondes ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. François Rebsamen. Ça suffit !
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. C’est l’égalité ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) Parce qu’avec cet article 1er, le projet de loi altérera une composante fondamentale de notre cohésion sociale et de notre ordre constitutionnel, nous en demandons la suppression.
    Bruno Gilles et moi-même voterons contre cet article. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Ambroise Dupont, sur l’article.
    M. Ambroise Dupont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais reprendre le thème de la déclaration des droits de l’enfant qu’a évoqué brillamment, mais très rapidement, notre collègue Bruno Retailleau. Adoptée par l’assemblée générale de l’ONU le 20 novembre 1959, elle proclame notamment que l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération déterminante de la construction de la famille.
    Selon le principe n° 6 de cette déclaration, « l’enfant en bas âge ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, être séparé de sa mère ». En d’autres termes, si l’on permet qu’un enfant ait deux pères, on contrevient au principe n° 6 de la déclaration des droits de l’enfant de novembre 1959.
    Toujours sur le plan juridique, j’ajoute que la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Fretté contre France – relatif au rejet d’une demande d’agrément préalable à l’adoption d’un enfant par une personne homosexuelle –, a estimé que les autorités nationales avaient légitimement et raisonnablement pu considérer que le droit d’adopter trouve sa limite dans l’intérêt de l’enfant, nonobstant les aspirations légitimes du requérant, sans que soient remis en cause ses choix et sans violation des articles 14 et 18 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c’est-à-dire des dispositions relatives à la discrimination.
    Ces éléments juridiques complètent les arguments qui vous sont fournis, mes chers collègues. La convention internationale des droits de l’enfant de 1989, notamment son article 3, nous conduit à poser la question suivante : ce projet de loi ne viole-t-il pas le droit international ?
    Vous le savez, la Constitution assure la supériorité du droit international sur la loi ; cela a été rappelé tout à l’heure, lors des échanges avec Mme la garde des sceaux. Par conséquent, tout citoyen pourra attaquer cette loi au motif qu’elle ne respecte pas le droit international. La seule possibilité pour y échapper serait de modifier la Constitution, mais, pour cela, il faudrait naturellement un référendum.
    De même, la connaissance des origines ressortit aux droits et à la dignité de la personne humaine. C’est pourquoi nous proposons que les enfants qui naîtront aient le droit, à l’âge de trente ans, de savoir d’où ils viennent, non seulement parce qu’ils auront besoin de se construire en tant qu’individus responsables, mais aussi, et surtout, en raison d’éventuels problèmes génétiques. Voilà qui touche au cœur de l’ensemble de nos discussions.
    Ainsi, on peut regretter que vous ne répondiez pas aux questions que nous avons posées, en partant du principe que l’enfant est un sujet de droit, avec tout ce que cela implique.
    Malheureusement, nous sentons que, avec ce texte, l’enfant peut devenir un objet de droit avant d’être un sujet de droit. Or il est une personne humaine. Il est protégé par le principe de dignité de la personne humaine, selon lequel un enfant doit pouvoir être élevé par son père et sa mère.
    D’ailleurs, comme le relevait le psychanalyste Jean-Pierre Winter, votre projet crée « une mutation anthropologique majeure ». D’après lui, « on généralise l’exceptionnel, on coupe sciemment et légalement un enfant de ses origines ».
    Par ailleurs, « l’enfant se pose en permanence des questions sans réponse, ce qui lui crée de graves difficultés lorsqu’il veut fonder sa propre famille ». Jean-Pierre Winter explique encore : « Tous les "bricolages généalogiques" sont sources de perturbation et l’enfant devra démêler une question difficile : celle d’être le produit du désir de deux personnes qui ne peuvent pas engendrer. Dans cette situation, comment arrivera-t-il à définir qui il est ? ». Enfin, d’après lui, « l’homoparenté est un déni de la nature, un déni du réel qui inscrit l’enfant dans une illusion biographique ».
    Pourquoi tant de questions, aux conséquences bioéthiques fondamentales, sont-elles ignorées ? Ces enjeux auraient nécessité un grand débat. C’est d’ailleurs ce que préconisait l’Académie des sciences morales et politiques dans son avis en date du 21 janvier 2013.
    Par ailleurs, j’ai conscience que nos concitoyens sont préoccupés par d’autres problèmes, relatifs au chômage grandissant, à la crise qui touche leur pouvoir d’achat, à la fragilisation de notre modèle social, entre autres. Je considère donc que vous ne les écoutez pas.
    Certes, il est difficile de revenir sur une telle réforme sociétale, car ses conséquences ne se feront pas sentir avant plusieurs décennies. Vous évoquez notre appréciation du PACS par rapport au moment où il a été voté. Certes, cette appréciation a changé, mais il s’agissait, me semble-t-il, d’un dispositif d’une nature différente, dans lequel il n’est pas question de filiation.
    Dans l’histoire de l’humanité, des moments semblables à celui que nous connaissons aujourd’hui se sont déjà produits, et je pense, malgré tout, que nous reviendrons à des usages plus conformes à la nature des choses.
    Il n’est pas question, ici, d’évaluer ce qui est bien ou mal, ce qui est moral ou ce qui ne l’est pas, ce qui est normal ou ce qui ne l’est pas. Il s’agit de prendre de la hauteur et de constater que, un jour ou l’autre, l’œuvre humaine est rattrapée par la nature.
    Or malgré toute notre bonne volonté, malgré notre désir d’égalité – qui ne supprime pas les différences –, malgré la conscience mélancolique dans laquelle la réalité plonge certains, il est des privilèges et des responsabilités que nous ne pourrons pas abolir, parmi lesquels figure celui de donner la vie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, sur l’article.
    Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes conduits à débattre d’un sujet de société dont l’incidence sur la vie de nos concitoyens est forte et durable.
    Chacun d’entre nous a bien sûr le devoir de se prononcer selon sa conscience et son vécu. À cet égard, je veux le souligner, le groupe politique auquel j’appartiens permet à ses membres d’exprimer leur opinion et leurs convictions sur le sujet ; puisse son président, Jean-Claude Gaudin, en être remercié.
    Comme pour chacun d’entre nous, mes chers collègues, c’est la pratique du terrain, la richesse des rencontres, la participation à des débats, mais aussi la souffrance qui nous est exprimée lors de certains échanges qui nous conduisent à faire nos choix. C’est mon expérience de parlementaire et d’élue de terrain qui a forgé, au plus profond de moi-même, ma conviction : il est temps, pour la République, de donner aux personnes homosexuelles la même reconnaissance, les mêmes droits et la même sécurité juridique qu’aux personnes hétérosexuelles.
    Je comprends l’attachement au mot « mariage » de ceux de nos concitoyens qui sont opposés au projet de loi du Gouvernement. Toutefois, j’entends également la revendication légitime d’égalité des couples homosexuels, qui s’adresse à l’ensemble des institutions de la République.
    Même si notre société a beaucoup évolué, pour nombre d’homosexuels, le chemin de l’adolescence, de la construction d’une vie d’adulte et de l’acceptation personnelle, familiale et sociétale demeure parsemé de difficultés profondes.
    Par ailleurs, je suis profondément attachée à la famille et à son rôle structurant dans la société. Premier cercle de l’éducation, de la construction de l’individu et des solidarités, elle est un repère fondateur. Permettre à des personnes homosexuelles de s’unir, de se marier, de fonder une famille, c’est promouvoir et consolider la structure familiale dans une société qui prône trop l’individualisme et le chacun pour soi.
    Avec le mariage homosexuel, mes chers collègues, se pose bien sûr la question de l’enfant, qui est d’ailleurs au centre de nos débats. Or l’intérêt supérieur de celui-ci, c’est d’être aimé, choyé, éduqué par ses parents.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est vrai !
    Mme Fabienne Keller. L’homoparentalité ne prive pas les enfants des richesses de l’altérité dans l’éducation.
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Très bien !
    Mme Fabienne Keller. Nous savons tous que la famille présente désormais des formes diverses, homoparentales, mais aussi monoparentales et recomposées.
    Défendre l’intérêt de l’enfant, c’est aussi se préoccuper de la précarité des milliers d’enfants élevés aujourd’hui par des couples homoparentaux, au sein desquels un seul parent est reconnu par la loi. Nous le savons tous, cette situation place ces enfants dans une position d’insécurité juridique.
    Ne nous y trompons pas, mes chers collègues, le droit à l’adoption n’offre pas un droit automatique à l’enfant : il ouvre le droit de se soumettre aux procédures et contrôles légaux en vigueur.
    Ceux qui ont la chance d’être parents savent quelle est l’importance des enfants et apprécient le sens qu’ils donnent à nos vies. Or, aujourd’hui, accepter son homosexualité, c’est renoncer au mariage et à la parentalité. C’est s’amputer de l’un des plus beaux objectifs de l’existence : fonder une famille, aimer et élever des enfants.
    L’homosexualité est non pas un choix, mais une réalité qui s’impose à ceux qui aiment une personne de même sexe. Je ne me sens pas prête, en tant que parlementaire, à accepter que toute l’existence d’une personne puisse être conditionnée par la préférence sexuelle qu’elle se découvre à l’adolescence.
    Je ne me sens pas prête, en tant que parent, à interdire ce bonheur à ceux dont les orientations sexuelles ne seraient pas les miennes. Nous sommes tous, évidemment, des êtres en quête de bonheur. Notre rôle de parlementaires n’est pas d’inventer ce dernier, mais de le rendre accessible. L’homosexualité n’est ni un danger ni une chance pour notre société. Elle en fait tout simplement partie. Je souhaite prendre en compte cette réalité, plutôt que la contester.
    Pour l’ensemble de ces raisons, par attachement à la notion d’égalité, pour laquelle je me suis toujours battue, et après avoir réfléchi et m’être questionnée sur mes valeurs et le sens de mon engagement, j’ai décidé, en mon âme et conscience, de voter en faveur du mariage pour tous.
    Je voterai donc l’article 1er de ce texte, come l’ensemble de ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, sur l’article.
    M. François-Noël Buffet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voulais redire, après Jean-Pierre Raffarin tout à l’heure, que les propos tenus tout à l’heure, à notre endroit, par notre collègue Laurent étaient tout à fait déplacés, notamment en ce qu’ils laissaient entendre que nous serions homophobes.
    Jean-Pierre Raffarin a été très clair, et je regrette qu’il n’ait pas été présent lors de notre débat sur l’union civile de cet après-midi, car il aurait pu constater que les propos en question n’étaient justifiés ni par notre volonté, ni par notre attitude, ni par nos convictions.
    Notre premier objectif était de dire que l’on pouvait parfaitement faire ce choix de vie, qu’un couple homosexuel avait naturellement vocation à obtenir les mêmes droits, dans toutes leurs acceptions, et que l’union civile était de nature à répondre à cette demande.
    Cependant, la majorité sénatoriale en a décidé autrement, préférant maintenir la position qui est la sienne en faveur du mariage pour tous, qui entraîne nécessairement la filiation.
    Or si vous êtes publiquement réservés sur une partie de ce sujet – je pense en particulier à la procréation médicalement assistée, voire à la gestation pour autrui –, il n’en demeure pas moins que, en ce qui concerne l’adoption, les choses sont engagées.
    Je ne reviendrai pas sur les conditions de cette adoption, abordées par le doyen Gélard, sur les difficultés rencontrées, voire sur l’impossibilité dans laquelle se trouveront les couples de voir aboutir leur désir d’enfant.
    Ce que je crains surtout, c’est que nous ne soyons confrontés très rapidement, au détour du texte sur la famille que vous nous promettez prochainement, aux questions de la procréation médicalement assistée, puis de la gestation pour autrui, qui seront inévitablement évoquées, dans un souci d’égalité. Or, sur ce point, nous ne pouvons évidemment pas vous suivre,…
    M. David Assouline. Nous sommes contre la GPA !
    M. François-Noël Buffet. … la gestation pour autrui supposant le commerce d’un être humain, d’une femme.
    Mme Gisèle Printz. Ce n’est pas dans le texte !
    M. François-Noël Buffet. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, que les choses soient claires ! On peut s’offrir un enfant pour 80 000 euros aux États-Unis et, sans doute, pour environ 15 000 euros en Europe centrale. Un tel dispositif est d’ailleurs contraire à la législation française, le corps humain ne pouvant faire l’objet d’un commerce.
    Mme Cécile Cukierman. Personne n’a dit le contraire !
    M. François-Noël Buffet. Vous n’abordez pas ces questions aujourd’hui parce qu’elles ne sont pas mûres sur le plan politique, mais vous y viendrez la prochaine fois. En réalité, avec ce texte, vous avancez masqués. Nous savons tous, car nul n’est dupe ici, que c’est la prochaine étape.
    C’est la raison pour laquelle je voterai contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, sur l’article.
    M. Philippe Bas. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai parfois le sentiment, en écoutant nos échanges, que la définition même du mariage est en question et que certains d’entre nous ne l’ont plus réellement à l’esprit. On peut d’ailleurs formuler la même observation bien au-delà de cet hémicycle.
    Les instituts de sondage demandent souvent à nos concitoyens de se prononcer sur deux questions, la première portant sur le mariage des personnes de même sexe, la seconde sur l’adoption par des personnes de même sexe vivant en couple. Il est très intéressant de constater que la réponse n’est pas la même aux deux questions, et l’on peut se demander pourquoi il en est ainsi.
    En effet, il est écrit noir sur blanc à l’article 345-1 du code civil que, quand la filiation d’un enfant n’est établie qu’à l’égard d’une personne, le conjoint de celle-ci peut l’adopter. Quand on est marié, on peut donc adopter l’enfant de son conjoint. L’article 346 du même code prévoit en outre que nul ne peut être adopté par deux personnes, si ce n’est par deux époux.
    Par conséquent, sans même rien modifier – nous verrons tout à l’heure que vous touchez cependant à ces règles –, le système dans lequel nous entrons rend l’adoption automatique. Les Français doivent en être bien conscients, car j’ai le sentiment, malgré le débat qui s’est développé au cours des derniers mois, qu’ils imaginent encore qu’un mariage est possible sans qu’en découle mécaniquement la possibilité de l’adoption par le conjoint ou de l’adoption conjointe par les époux.
    Le problème est grave. Je crains fort qu’il n’y ait un très grave malentendu, non pas à l’égard de nos compatriotes qui se sont opposés au projet de loi, mais envers ceux qui disent le soutenir tout en refusant l’adoption.
    M. Charles Revet. Il y en a ici !
    M. Philippe Bas. Pour ma part, je crois que ces Français ont raison. En effet, l’adoption consiste tout de même à présenter à un enfant, à égalité de droits et de devoirs avec sa mère ou avec son père, un adulte de même sexe que le père ou la mère en considérant que, sans être père ni mère, il pourra être parent. C’est une parenté d’intention ; elle repose sur une construction du cœur et de l’esprit respectable, mais elle est essentiellement une fiction.
    Mme Laurence Rossignol. Comme les parents adoptifs !
    M. Philippe Bas. Je suis, pour ma part, inquiet de cette fiction, en particulier en ce qui concerne l’assistance médicale à la procréation, même si celle-ci est interdite par la loi française.
    Pour rebondir sur ce que disait à l’instant excellemment notre collègue Buffet, il est certes interdit de recourir à l’assistance médicale à la procréation à Caen, à Rennes et à Nantes, mais tel n’est pas le cas à Barcelone, à Londres ou à Bruxelles. Or l’enfant ainsi conçu, avec le mariage des personnes de même sexe, sera adoptable par le conjoint.
    Tout est donc fait, sans même modifier la loi française sur l’assistance médicale à la procréation, pour créer des enfants sans père. Eh bien, c’est une perspective à laquelle, personnellement, je me refuse ! Tous les Français qui ont eu le malheur de grandir orphelins de père partagent ce sentiment profond, car on peut avoir bénéficié des meilleures qualités éducatives de la part de sa mère, du conjoint de sa mère, de sa grand-mère et de toute sa famille, mais rien ne remplace un père qui n’est pas là !
    M. David Assouline. Savez-vous combien de pères sont absents ?
    M. Philippe Bas. Or tel est bien le chemin que vous prenez non seulement en permettant de créer des enfants sans père, mais en faisant en sorte, par une forme d’imposture, que le conjoint de la mère puisse devenir le deuxième parent de l’enfant. C’est un artifice, et il est grave ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, sur l’article.
    M. Jean-Marie Bockel. Chers collègues, je voudrais d’abord affirmer qu’il me semble tout à fait normal qu’un couple homosexuel bénéficie d’un statut renforcé et protecteur de ses droits légitimes.
    La question des différents cadres juridiques existants, comme le concubinage, le PACS, que j’avais d’ailleurs voté en son temps, mérite à ce titre d’être posée. Le droit doit être appréhendé, dans notre conception, non pas comme un corpus de règles figées, mais plutôt comme un vecteur d’accompagnement des évolutions de notre société, dans le domaine conjugal comme dans d’autres.
    C’est tout le sens d’un certain nombre d’amendements que mes collègues du groupe UDI-UC et moi-même avons déposés. Je pense notamment à l’amendement relatif à la création d’une institution distincte du mariage et du PACS, l’union civile, qui fonctionne bien dans plusieurs pays voisins, comme j’ai pu le constater, mais qui n’a malheureusement pas recueilli l’assentiment de notre assemblée.
    M. François Rebsamen. Nous avons déjà voté sur ce point !
    M. Jean-Marie Bockel. L’union civile répondrait pourtant aux attentes de tous, en offrant aux couples à la fois un cadre juridique, avec l’application d’un statut patrimonial protecteur et le recours au juge en cas de rupture, et une célébration solennelle en mairie, soit une reconnaissance sociale semblable dans la forme au mariage, comme l’a rappelé le président de notre groupe, François Zocchetto.
    La mise en place d’un tel cadre juridique, qui nous semble aussi pertinente que nécessaire, apporterait également une réponse sans ambiguïté aux questions de filiation, d’adoption plénière, ainsi que de PMA et de GPA, qui suscitent les préoccupations que l’on sait chez nombre de nos concitoyens.
    Ce n’est pas la problématique de la conjugalité qui ébranle nos convictions, c’est bien celle de la filiation. En effet, alors que le principe d’union homosexuelle pourrait rassembler très largement nos concitoyens comme nous-mêmes, force est de constater que le principe de l’homoparentalité, tel qu’il est formulé dans ce texte, nous divise.
    L’ouverture du mariage aux couples homosexuels emporte de fait la possibilité pour ces couples d’adopter un enfant. Sans remettre en cause la capacité de quiconque à adopter, éduquer, aimer un enfant, j’émets toutefois des réserves fortes sur ce qui me semble être une transformation profonde de la parentalité et de la filiation.
    Notre espèce humaine se reproduit, dure et existe par l’union d’un homme et d’une femme. Ainsi, inscrire dans le même cadre juridique l’union homosexuelle et l’union hétérosexuelle mettrait en cause la notion d’altérité sexuelle nécessaire à la transmission de la vie.
    La théorie du genre, finalement, n’est pas très loin, et c’est peut-être là que réside le véritable clivage, qu’on l’assume ou non. Les conversations sur ce sujet l’attestent. Cependant, si on veut défendre la théorie du genre, il faut le dire clairement.
    J’ai évoqué, au début de mon intervention, l’adoption du PACS, que j’avais défendu à l’époque. Je ne reviendrai pas sur les propos de Mme Guigou, qui affirmait alors, certainement avec une totale sincérité, que le PACS n’était pas le mariage. Nous avions déjà ce débat entre ceux qui pensaient, comme moi, que le PACS était une solution dans le contexte de l’époque et ceux qui soulignaient que d’autres étapes viendraient inévitablement.
    Nous en sommes aujourd’hui à l’étape suivante. Nous voyons bien qu’il y en aura d’autres et que nous serons confrontés aux éléments de clivage qui ont été rappelés par l’ensemble des collègues. Au fond, je le répète, la théorie du genre n’est pas très loin.
    Ce projet de loi – et j’en termine, monsieur le président – bouleverse les repères de la filiation, pourtant essentiels à la compréhension par l’enfant de son identité. La différence sexuelle reste fondamentale dans la construction de la filiation, beaucoup d’entre nous l’ont dit. L’adoption elle-même garde d’ailleurs une structure asymétrique, avec deux parents possibles, non identiques, père et mère.
    En conséquence, adopter en l’état l’article 1er du projet de loi, mes chers collègues, conduirait à modifier pas à pas les principes fondamentaux de notre société, en gommant progressivement, et en le disant sans le dire, la différence biologique entre les sexes, ce qui n’est pas anodin.
    Vous l’avez compris, je voterai contre cet article, tout en souhaitant qu’un prochain texte puisse se faire l’écho de nos propositions visant à renforcer le cadre actuel de l’union des couples de personnes de même sexe. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, sur l’article.
    M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le mariage doit rester l’union entre un homme et une femme. Je le répète devant Jean Étienne Marie Portalis, dont la statue nous surplombe. Celui-ci entend les fondements mêmes du code civil être remis en cause, lui qui définissait le mariage comme « la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels […] et pour partager leur commune destinée ».
    M. David Assouline. J’ai entendu cela des centaines de fois !
    M. Jean-Claude Lenoir. Certes, monsieur le président de la commission, il reste de marbre quand il vous entend remettre en cause les fondements mêmes de notre code civil !
    Je suis contre ce texte, comme la plupart des collègues qui siègent dans mon groupe.
    Je respecte évidemment, comme nous tous, les choix de vie de chacun et je suis prêt à admettre que certains droits acquis aux personnes hétérosexuelles doivent être reconnus ou renforcés par la loi au profit des personnes homosexuelles.
    En revanche, je suis fondamentalement opposé à ce projet de loi, qui marque une profonde hypocrisie, parce que vous n’assumez absolument pas les conséquences entraînées par la remise en cause du code civil, notamment en ce qui concerne la filiation.
    Je me souviens également des débats sur le projet de loi instituant le PACS à l’Assemblée nationale, dont le rapporteur n’était autre que notre collègue Jean-Pierre Michel. Que nous disait, en substance, la ministre de la justice ? « Le PACS n’est pas le mariage, il n’ouvre pas droit à l’adoption. Acceptez-le, car c’est le droit que revendiquent les personnes homosexuelles, et nous n’irons pas au-delà » !
    J’ajoute d’ailleurs que, au terme de la discussion, qui avait pris quelques mois, nous avions entendu des voix s’élever en disant : « C’est un premier pas, nous en reparlerons » ! Il a fallu attendre effectivement quelques années, mais nous voyons aujourd’hui les mêmes personnes revendiquer ce qui était refusé par principe par le représentant du Gouvernement à l’époque.
    Vous êtes hypocrites, chers collègues de la majorité, parce que vous n’assumez pas que, derrière ce texte, se cachent d’autres projets, d’ailleurs assez spontanément revendiqués par certains orateurs.
    Après avoir reconnu que l’adoption serait difficile pour le plus grand nombre – aujourd’hui, on le sait, peu d’enfants sont adoptables –, on nous annonce déjà la procréation médicalement assistée, la PMA, et la gestation pour autrui, la GPA.
    En ce qui concerne la gestation pour autrui, redisons-le, nous assistons à une marchandisation. Aujourd’hui, elle existe, les voies sont connues, mais elles sont réservées à des personnes qui ont des moyens, qui peuvent traverser l’Atlantique ou l’Oural pour obtenir ce que l’on ne peut pas aujourd’hui obtenir en France. Néanmoins, vous dites vous-même que nous serons conduits, demain, à accepter l’introduction dans notre législation du droit, pour certaines personnes, de faire faire un enfant par d’autres mères situées loin de chez nous.
    Enfin, ce projet de loi vient ouvrir des plaies profondes au sein de notre société. Le Gouvernement et la majorité actuelle refusent d’entendre un certain nombre de personnes afficher leurs convictions. Ils n’acceptent pas d’en discuter et préfèrent donner satisfaction à des minorités influentes dans lesquelles ne se reconnaissent pas forcément les personnes homosexuelles ; en effet, nous connaissons tous dans nos départements des personnes homosexuelles qui ne revendiquaient pas cette réforme et souhaitaient surtout que l’on s’en tienne à la loi existante, avec quelques aménagements.
    Aujourd’hui, chers collègues de la majorité, vous avancez masqués vers l’instauration du droit à l’enfant pour tous, ce que nous dénonçons, car c’est un contresens par rapport à l’idée que nous nous faisons de la famille !
    Au terme de ce débat, nous aurons l’occasion de fournir à l’opinion un florilège des mots utilisés dans ce débat. Parmi les plus provocants figurent ces propos d’un sénateur de gauche : « Il y a un phantasme, celui du père, de la mère et de l’enfant ». Non, le père, la mère et l’enfant ne sont pas des phantasmes, ils constituent les piliers de notre société ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. Alain Gournac. Très bien !
    M. David Assouline. Ils dépassent tous leur temps de parole de quarante secondes !
    M. Jean-Marc Todeschini. D’une minute, oui !
    M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, sur l’article.
    M. Bruno Sido. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, des foules immenses se sont déplacées de toute la France, le 13 janvier et le 24 mars 2013, pour manifester à Paris contre ce projet de loi. Le Gouvernement a cru bon de ne pas en tenir compte, de balayer d’un revers de main méprisant les inquiétudes, le malaise de ces familles, de ces jeunes, de tous ceux qui se sont exprimés.
    Il aurait pourtant dû écouter l’angoisse et mesurer la détermination de ces femmes et de ces hommes venus manifester : angoisse devant ce qui est non pas une évolution, mais une révolution, dont ils ne comprennent pas – ou comprennent trop bien ! – le sens ; détermination à se faire entendre et à empêcher la réalisation du plus ahurissant des projets que notre République ait jamais porté en son sein.
    M. Jean-Jacques Mirassou. N’exagérons rien, tout de même !
    M. Bruno Sido. Et tout cela au nom de l’égalité ! Quel cheval de Troie, quel détournement de cette valeur essentielle de notre République.
    Oui, le genre humain est divisé non pas entre hétérosexuels et homosexuels, mais entre femmes et hommes. Aucune société, même celles de Grèce ou de Rome, dans lesquelles l’homosexualité était relativement courante et acceptée, aucune société, jusqu’à la fin du XIXe siècle, n’a autorisé le mariage homosexuel.
    Si nous abandonnons la définition actuelle du mariage, selon laquelle il s’agit de l’union d’un homme et d’une femme, nous courons le risque, à terme, de ne plus définir du tout ce qu’est le mariage. N’en doutons pas, tout ce qui contribue à affaiblir l’institution du mariage nous entraînera inévitablement vers une fragilisation de notre société. En effet, le mariage n’est pas seulement l’expression d’un choix libre entre deux personnes. Dans ses conséquences pratiques, il concerne bien évidemment la société tout entière et son avenir. Oui, je veux parler des enfants, notre bien le plus précieux et le plus cher !
    Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, l’a dit à l’envi, et fort justement : ce projet de loi ne modifie en rien l’article 343 du code civil, donc le mariage continue à emporter l’adoption, sous certaines conditions peu restrictives – être marié depuis plus de deux ans et avoir plus de vingt-huit ans.
    Or, nous le voyons bien, ce projet de loi introduit une dérive très claire du droit de l’enfant vers le droit à l’enfant. Disons-le clairement : le droit à l’enfant reste très subsidiaire par rapport au droit de l’enfant. Examinons ensemble ce qui se passera demain, si ce projet de loi est adopté.
    Actuellement, l’adoption plénière est très difficile à réaliser, car le nombre d’enfants adoptables est très faible en France – en effet, ils ne sont considérés comme tels que si la famille biologique ne s’intéresse plus à eux, et la jurisprudence veut que l’envoi d’une seule carte postale par an prouve que la famille biologique entretient toujours des liens avec son enfant. L’adoption « en interne », si je puis m’exprimer ainsi, est donc pratiquement fermée.
    La famille se tournera donc vers l’adoption internationale. Ainsi que l’a dit fort justement, Mme Bertinotti, ministre de la famille, les pays d’origine traditionnels des enfants adoptables encouragent de plus en plus l’adoption nationale, tournant donc le dos à l’adoption internationale. De plus, ce qui est particulièrement cruel pour l’actuel gouvernement, ces pays sont de plus en plus réticents, pour ne pas dire hostiles, aux adoptions par des couples homosexuels : ils ont gardé les pieds sur terre, eux !
    En résumé, si les futurs mariés homosexuels de demain veulent exercer leur prétendu droit à l’enfant, ils n’auront pas accès à l’adoption nationale ni internationale.
    Il leur restera donc trois solutions, sans plus : soit l’adoption par le conjoint, homme ou femme, de l’enfant de l’autre conjoint ; soit la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes ; soit, enfin, la gestation pour autrui pour les couples d’hommes ou les couples de femmes qui n’ont pas la possibilité d’avoir des enfants. La vérité nue, sans faux-semblant, est celle que je viens de décrire.
    Je note que M. le Président de la République n’a jamais promis, dans son programme de gouvernement, ni la PMA ni la GPA.
    M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
    M. Jean Bizet. Il a menti !
    M. Bruno Sido. Toutefois, si l’on veut bien y réfléchir, on y vient tout naturellement, comme l’ont dit avant moi certains de mes collègues.
    M. Jospin a bien promis, en 1998, à l’occasion du débat sur le PACS, que celui-ci n’ouvrirait pas la porte vers le mariage homosexuel, disant que « le mariage est, dans son principe et comme institution, l’union d’un homme et d’une femme ».
    Mme Guigou a bien pu dire, toujours à l’occasion de la discussion du projet de loi relatif au PACS : « Pourquoi l’adoption par un couple d’homosexuels serait-elle une mauvaise solution ? Parce que le droit, lorsqu’il crée des filiations artificielles […], ne peut ni ignorer ni abolir la différence entre les sexes ».
    Pour l’enfant adopté, il y a un arrachement à ses origines, à son histoire, qui est très difficile à surmonter. La quête des origines est prégnante, alors même que, le plus souvent, ces recherches ne peuvent aboutir.
    M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
    M. Bruno Sido. Je conclus en soulignant que je ne voterai pas cet article 1er ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, sur l’article.
    M. Yann Gaillard. Pour ma part, je m’étonne de la timidité de cet article 1er. Je comprends, à la rigueur, qu’on interdise le mariage entre frères et sœurs, mais je ne vois vraiment pas pourquoi, puisqu’il est question d’une libération de cette institution, on se préoccupe encore des relations de l’oncle et de son neveu, de la tante et de sa nièce ! Cet article me paraît donc ridiculement timide. (Sourires sur les travées de l’UMP.) C’est pourquoi je ne le voterai pas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher, sur l’article.
    M. Gérard Larcher. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après le refus, par la majorité sénatoriale, du contrat d’union civile, qui aurait pourtant pu réduire la fracture que nous sentons, jour après jour, s’élargir dans la société française, le vote de l’article 1er est bien le cœur de ce projet de loi.
    Nous sommes pour la liberté et contre toute discrimination – il me semble nécessaire de le rappeler après avoir entendu certains propos en fin d’après-midi. Nous défendons la liberté pour chacun de vivre comme il l’entend. Nous voulons cependant réaffirmer pourquoi nous ne sommes pas favorables à ce projet de loi.
    Le mariage, c’est la destinée de la famille, au travers de l’enfant. Nous sommes bien ici au cœur du sujet.
    M. Jean-Pierre Raffarin. Exact !
    M. Gérard Larcher. Ce projet de loi engendrera de profonds changements sociétaux s’il est adopté, parce qu’il va révolutionner la famille et la filiation. Le terme « révolution » est bien celui qui convient.
    Au fond, nos références les plus essentielles sont bouleversées. C’est pourquoi, avec Bruno Retailleau, nous avons souhaité que l’ensemble des Français soient consultés face à un tel bouleversement.
    M. Bruno Sido. Tout à fait !
    M. Gérard Larcher. Approuver ce texte tel quel ne reviendrait pas simplement à accorder aux couples de personnes de même sexe un droit au mariage, au nom de l’égalité devant les lois de la République. Cela aboutirait nécessairement, logiquement, juridiquement, au nom même de cette égalité, à accorder un droit à tous les attributs de la parentalité, notamment un droit à la transmission du nom, du patrimoine et, surtout, à la reconnaissance du lien de filiation et de l’exercice de l’autorité parentale.
    Cette tendance simplificatrice reviendrait, ni plus ni moins, à renier le code civil, sur lequel repose l’organisation de notre société tout entière. Peu importe ce que nous pensons du code civil et du code de la famille en leur état actuel, ceux-ci devraient être profondément modifiés si ce projet de loi était adopté.
    La question du mariage est intrinsèquement et originellement liée à la question de la filiation. Sur les bancs des ministres, dans cet hémicycle ou à l’Assemblée nationale, lors des questions d’actualité ou en commission, beaucoup ont appelé à la fin des postures hypocrites ; très bien !
    Dans ce cas, reconnaissons d’abord que, de l’institution du mariage, résulte l’établissement de la présomption de paternité. Reconnaissons que, avec ce projet de loi, nous aboutirons, qu’on le veuille ou non, à l’ouverture de l’adoption plénière aux couples mariés de même sexe.
    M. Bruno Sido. Bien sûr !
    M. Gérard Larcher. Soyons logiques et allons jusqu’au bout de cet égalitarisme à tous crins. Ouvrir le mariage aux personnes de même sexe revient à leur ouvrir le droit de filiation.
    Cette filiation « artificielle » sera indispensable, en même temps, puisque ni un couple d’hommes ni un couple de femmes ne peuvent procréer par eux-mêmes. Ces personnes, une fois mariées, n’auront pas les mêmes droits que les hétérosexuels mariés, puisqu’elles seront privées d’enfant, et la réalité fera que l’adoption ne pourra pas, à elle seule, répondre à l’ensemble des demandes.
    Je veux insister sur un point : à l’esprit du don, qui sied à notre éthique – don d’organe, gratuit ; don du sang, gratuit ! –, succédera un marché de la procréation, qui bouleversera profondément notre éthique ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Cela, nous ne pouvons pas le faire par petites étapes successives de non-dits additionnés. Ce point me semble essentiel.
    Samedi dernier – si vous en doutez, chers collègues, vous le vérifierez –, j’ai marié un jeune couple et, en relisant les articles 212, 213 et suivants du code civil, je me suis demandé quel sens pouvait avoir cet engagement.
    Ce couple présentait une particularité : il était composé d’un jeune garçon d’origine cambodgienne, dont la famille était rescapée des drames du Cambodge, et d’une jeune fille d’origine bien bretonne, puisqu’elle le revendiquait – de Bénodet, très exactement. Ce jeune couple avait inscrit ce proverbe cambodgien en exergue de son faire-part de mariage : « Un enfant sans père, c’est comme une maison sans toit. Un enfant sans mère, c’est comme une maison sans âtre. » (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    C’est bien ce à quoi nous devons réfléchir, avant de voter cet article 1er. Pour ma part, je le rejetterai avec conviction ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. David Assouline. Raffarin-Larcher : un-un !
    M. Jean-Pierre Raffarin. Cela fait un total de deux !
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, certains propos ne peuvent rester sans réponse.
    Mme Françoise Héritier a déclaré, lors des auditions de la commission des lois : « Rien de ce qui nous paraît marqué du sceau de l’évidence n’est naturel : tout procède de créations de l’esprit […]. »
    Tout à l’heure, M. Dominique de Legge a répondu – je ne pense pas déformer ses propos, qui figurent d’ailleurs au compte rendu de la séance –, « quand on nie le naturel pour privilégier les constructions de l’esprit, on ouvre la porte à toutes les dictatures. » Cette phrase est terrible, parce qu’elle exprime la négation de nos traditions humanistes, et même spiritualistes. (Murmures sur les travées de l’UMP.)
    Il faut tenir compte de la nature. Elle est parfois dure avec les constructions de l’esprit, elle se venge. Il faut chercher l’harmonie avec la nature. Toutefois, quand l’esprit abdique, c’est la porte ouverte à toutes les dictatures.
    M. Bruno Sido. Pas quand c’est un mensonge !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est la raison pour laquelle je tenais à relever ce cheminement intellectuel.
    Je veux également rapporter les propos de Mme Cayeux, qui est intervenue sur l’article 1er. « Quand rien n’arrête plus le désir, […] les dégâts commencent. La loi du désir tout-puissant conduit à insulter la nature. » (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Vous avez, madame, tout à fait le droit d’avoir une telle conception du désir, mais vous vous êtes exprimée à propos de ce texte, ce qui, pour moi, n’est pas anodin. En effet, ce que vous avez voulu dire, c’est que certaines formes de plaisir sont un bienfait et que d’autres, celles qui émanent d’homosexuels, deviennent des malédictions ! (Protestations sur les travées de l’UMP.) Madame Cayeux, c’est ce que vous avez dit !
    M. Alain Gournac. Pas du tout !
    M. Philippe Bas. Vous détournez nos propos !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. C’est exactement ce qui a été dit. (M. Charles Revet s’exclame.) Or nous devons être très attentifs, monsieur Revet, aux présupposés de nos propos !
    M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Lorsque l’on nous parle de la polygamie, dont tout le monde voit bien qu’elle n’est pas l’objet du projet de loi, lorsque l’on nous redit, pour la cent cinquantième fois au moins, que nous avançons masqués et que ce texte dissimule la PMA et la GPA,…
    M. Charles Revet. C’est la vérité !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. … où veut-on en venir ? Mes chers collègues, nous sommes nombreux ici – quelques-uns, en tout cas, dont je suis – qui ignorons totalement, dans l’hypothèse où viendrait en discussion un texte sur la PMA et la GPA, ce que nous voterions.
    M. Alain Gournac. Nous, si !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Pour ma part, je ne sais pas ce que je voterais.
    Aujourd’hui, nous débattons d’un texte qui a un objet. Et il n’est pas correct, sur le plan intellectuel, de nous ressasser qu’il serait invalidé en raison d’un objet qui n’est pas le sien et par rapport auquel on fait constamment des procès d’intention à ceux qui voteraient ce texte !
    M. Charles Revet. Nous nous répétons parce que l’on refuse de nous écouter !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. On a le droit d’être pour ce texte et de n’être favorable ni à la PMA ni à la GPA, dont nous discuterons le cas échéant.
    M. Jean-Claude Lenoir. C’est vous qui tenez toujours le même discours !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Ensuite, monsieur Raffarin, je tiens à revenir sur cette question du langage. Vous nous dites que le français est la langue de la République en vertu de la Constitution, et nous sommes ici bien d’accord. Il existe une Académie française, qui prévoit que tel mot, par exemple « mariage », a un sens et n’en changera pas.
    Néanmoins, je le répète, toutes les institutions scientifiques humaines et sociales montrent le contraire, bien entendu, y compris l’Académie française elle-même. En effet, si le mot n’avait qu’un sens et que ce sens était immuable, ce serait contraire à l’histoire des langues et à l’histoire tout court. Vous savez, monsieur le Premier ministre, que le dernier dictionnaire de l’Académie française à être paru est le neuvième du genre. La première édition date de 1694. Si l’Académie française a publié neuf dictionnaires, c’est que le sens de nombreux mots a changé.
    M. Jean-Pierre Raffarin. Jusqu’à maintenant, le sens du mot « mariage » n’avait pas changé !
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Les mots sont des êtres vivants, et ce n’est pas la peine de faire comme si tous les mots gardaient toujours le même sens, puisque c’est rigoureusement faux, tout le monde le sait d’ailleurs.
    Enfin, je termine en rappelant que nous sommes très attachés à l’esprit du don, monsieur Larcher. C’est quelque chose qui est beau, qui est fort. Nous y tenons, comme nous sommes sensibles aux mots « reconnaissance » et « respect ». Et c’est avec respect que nous voterons cet article 1er, notamment à l’égard de toutes les personnes qui ont été si longtemps vilipendées, qui ont vécu dans la honte, qui veulent être reconnues et qui, ainsi, le seront ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Étant très attentive et respectueuse des autres, je me réjouis d’entendre que personne, sur aucune travée, n’est homophobe. Je m’en félicite !
    Néanmoins, après vous avoir écoutés avec beaucoup d’attention les uns et les autres, je voudrais vous poser un certain nombre de questions, notamment pour savoir le lien que vous établissez entre les homosexuels et, par exemple, le droit à l’enfant. À supposer qu’il existe, ce dernier s’adresse indifféremment aux hétérosexuels comme aux homosexuels. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. C’est absurde !
    M. Alain Gournac. Le droit à l’enfant, cela n’existe pas !
    Mme Cécile Cukierman. Laissez-la parler !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, je vous ai écoutés avec beaucoup d’attention. Je vous demande donc de me rendre la pareille !
    M. Bruno Sido. Pas quand vous dites des choses absurdes !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Vous donnez, monsieur Sido, une très belle définition de l’adoption par les couples hétérosexuels quand vous dites que c’est « donner une famille à un enfant ».
    Néanmoins, pensez-vous vraiment que la seule motivation de l’ensemble des couples hétérosexuels lancés dans des démarches d’adoption soit de donner une famille à un enfant ? Eh bien, je vous réponds que tel n’est pas le cas ! Sans porter ici de jugement, la réalité est qu’il existe un désir d’enfant qui peut se satisfaire de façon « naturelle », comme vous le dites si bien, mais qui, lorsqu’il ne peut pas être satisfait de façon « naturelle », cherche à s’exprimer dans l’adoption. Cela n’a donc rien à voir avec notre débat.
    Je dirai la même chose pour les couples hétérosexuels qui ont recours à l’assistance médicale à la procréation. N’est-ce pas, là aussi, une forme du droit à l’enfant ou du désir d’enfant qui n’a rien à voir avec l’homosexualité et qui peut s’appliquer indifféremment aux homosexuels comme aux hétérosexuels ?
    J’ai également entendu dire que, pour les enfants adoptés par des couples homosexuels, il y aurait une perte des origines. Toutefois, pendant combien de décennies les couples hétérosexuels ont-ils caché à l’enfant qu’ils avaient adopté d’où il venait ? À l’époque, je n’ai pas entendu de voix, ou bien peu, s’élever contre la perte des origines !
    Enfin, pensez-vous que les homosexuels seraient assez sots pour laisser croire aux enfants qu’ils élèvent et éduquent qu’ils sont nés de deux pères ou de deux mères ?
    M. Bruno Sido. Il n’y a pas de danger !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Pour ma part, je ne leur ferai pas cette insulte !
    J’ai entendu l’opposition parler d’« enfants adoptables », de « la fiction d’une filiation », de « l’enfant qu’on peut s’offrir » ou du « marché de la procréation. » Toutefois, pensez-vous que l’adoption, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui à l’échelle internationale, n’est pas, elle aussi, une forme de marché ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Alain Gournac. Et alors ?
    M. Bruno Sido. C’est scandaleux !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Croyez-vous que l’adoption soit actuellement un processus gratuit ? Certes, on peut très bien combattre tout le processus d’adoption qui implique de l’argent, mais pourquoi aller stigmatiser les homosexuels ? Pourquoi les rendre responsables d’une brusque marchandisation ? Pourquoi les stigmatiser avec cette expression si affreuse selon laquelle « on peut s’offrir un enfant » ?
    M. Bruno Sido. On s’expliquera à l’article 2 !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je suis assez étonnée que vous n’appliquiez ce vocabulaire qu’aux homosexuels, sans pousser votre réflexion jusqu’au bout et l’étendre aux couples hétérosexuels.
    Vous nous faites aussi brosser un tableau qui camperait, d’un côté, les « rétrogrades », et, de l’autre, les « progressistes ». Nous n’avons pas employé de tels mots, pas plus Christiane Taubira que moi-même.
    Il n’en demeure pas moins indispensable de le reconnaître, ce sont bien deux visions de la famille qui s’opposent.
    M. Jean-Claude Lenoir. C’est vrai.
    M. Charles Revet. C’est une certitude !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Les uns défendent l’idée d’une famille idéale, composée d’un père, d’une mère et de deux enfants. Pour eux, elle est éternelle et doit constituer le seul modèle. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
    Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mais non, madame !
    M. Jean-Claude Lenoir. Et dire que vous êtes ministre de la famille !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Laissez-moi m’exprimer, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition !
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée et à elle seule, mes chers collègues.
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Cette famille idéale a-t-elle existé une seule fois dans l’histoire ? Et même si elle existe, que cela plaise ou non à vous ou à moi, aujourd’hui, les formes de la famille dans la société sont diverses. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas une raison pour détruire !
    M. Bruno Retailleau. Mais qui l’a nié ?
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. De toute façon, il ne s’agit pas de porter un jugement décrétant que tel type de famille serait positif et que tel autre ne serait pas défendable. Ce n’est pas ce que demandent nos concitoyens. C’est là que vous faites erreur !
    Ce que demandent l’ensemble de nos concitoyens, c’est que soit reconnue, à droits et à devoirs égaux, la diversité de ces modèles de familles, que vous pouvez, en effet, opposer à une famille idéale. Pour ma part, j’ai envie de vous opposer la diversité des familles réelles qui existent aujourd’hui.
    M. Yann Gaillard. Rendez-nous Mme Taubira ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Il ne s’agit pas de la destruction de la famille, au contraire ! Je veux répondre à M. Raffarin. Celui-ci a affirmé que le Gouvernement allait autoriser toutes les libertés. Ce grand libéral nous a annoncé la loi du marché.
    M. Jean-Pierre Raffarin. Je ne suis pas un « grand libéral ». Je suis un libéral tempéré ! Et vous y viendrez !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je vous donne acte du « libéral tempéré ».
    Contrairement à ce que vous pensez, la demande de mariage est très normative. Elle exprime la volonté d’entrer dans un cadre qui est, effectivement – vous avez raison et nous vous rejoignons sur ce point – très traditionnel. Ceux qui demandent le mariage réclament, non la liberté débridée, mais, au contraire, une protection et une sécurisation juridiques.
    M. Bruno Sido. Cela vous ennuie ?
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Non, cela ne nous ennuie pas ! Ce que nous proposons, c’est de prendre en considération la réalité de la demande de nos concitoyens homosexuels, qui souhaitent bénéficier de la même protection et de la même sécurité juridique que n’importe quelle autre famille.
    M. Jean-Pierre Raffarin. Le marché commence ainsi, par une demande, qui est suivie d’une offre !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. J’ai entendu réclamer une grande loi sur la famille. Ce texte, qui ne relèverait pas de la logique du tout ou rien, aurait pour objet de reconnaître la diversité des modèles familiaux. Vous avez évoqué des questions de fond, qui sont très justes : le statut du beau-parent, la réforme de l’adoption, la levée de l’anonymat, par exemple. Cependant, pour pouvoir élaborer un tel texte, encore faudrait-il que toutes les familles soient sur un pied d’égalité.
    Or, aujourd’hui, s’il est des familles qui ne sont pas sur un pied d’égalité avec les autres, qui n’ont les mêmes droits et les mêmes devoirs, ce sont bien les familles homoparentales. Elles existent déjà. Et il y a déjà des enfants – nombreux ! – qui vivent en leur sein. La loi sur la famille viendra dans un second temps, une fois que l’égalité sera réalisée.
    M. Alain Gournac. Cela promet !
    Mme Sophie Primas. Cette loi viendra trop tard !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. S’agissant de la gestation pour autrui, je ne vois pas comment il faut le dire ! Le Président de la République n’a cessé de répéter sa ferme détermination et son hostilité à la légalisation de la gestation pour autrui, et même à l’ouverture d’un débat sur cette question.
    M. Alain Gournac. Quel président de la République ? (Sourires sur les travées de l’UMP.)
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Je vous renvoie sur ce point à l’article 16-1 du code civil qui, justement, protège contre toutes les formes de marchandisation du corps.
    Enfin, je veux remercier Mme Fabienne Keller. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Mme Jouanno, aussi, j’imagine !
    M. Jean-Marc Todeschini. Un peu de respect, les machos !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Celle-ci a déclaré avec beaucoup d’humanité qu’elle ne se verrait pas, en tant que parent, expliquer à un enfant ou à un adolescent, futur adulte homosexuel, qu’il ne pourrait pas bénéficier des mêmes droits, des mêmes devoirs et des mêmes potentialités que n’importe quelle autre personne vivant en couple, et qu’il devrait renoncer à la parentalité.
    M. Bruno Sido. C’est facile !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Au fond, les homosexuels ne réclament pas autre chose qu’une certaine banalisation. En leur proposant une autre forme de mariage, en leur refusant l’adoption plénière, vous leur dites : on vous tolère, mais on ne vous accepte pas ; on veut bien que vous viviez à côté de nous, mais pas avec nous. (Vives protestations sur les travées de l’UMP.)
    M. Gérard César. Vous déformez tout !
    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée. Les homosexuels ne demandent qu’à être des citoyens à part entière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
    L’amendement n° 5 rectifié bis est présenté par MM. Gélard, Hyest et Buffet, Mme Troendle et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire et MM. Darniche et Husson.
    L’amendement n° 170 rectifié ter est présenté par MM. Zocchetto et Détraigne, Mme Gourault, MM. Mercier et Pozzo di Borgo, Mme Morin-Desailly, MM. Amoudry, Arthuis, J. Boyer, Delahaye, Marseille, Bockel et Dubois, Mme Férat et MM. Roche, Merceron, J.L. Dupont, Namy, Tandonnet, Maurey, Guerriau et de Montesquiou.
    Ces deux amendements sont ainsi libellés :
    Supprimer cet article.
    La parole est à M. Patrice Gélard, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié bis.
    M. Patrice Gélard. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, il est difficile de prendre la parole après les orateurs qui se sont succédé pour intervenir sur l’article 1er, car de nombreux arguments ont d’ores et déjà été développés. Je veux cependant contredire certaines des affirmations que je viens d’entendre.
    Oui, monsieur Sueur, ce texte est un camouflage, derrière lequel vous avancez masqués. On ne peut pas le nier.
    M. Charles Revet. Eh oui !
    M. Patrice Gélard. Ce texte projette toute une série de dispositions à venir que nous ne pouvons pas, et vous avez raison sur ce point, examiner aujourd’hui.
    Nous sommes en réalité dans un théâtre d’ombres ou dans un village Potemkine : ce que l’on voit est tout à fait supportable, mais on ne voit pas ce qui se trouve derrière le décor, tout simplement parce que l’étude d’impact a été insuffisante, superficielle, et parce que les questions qui auraient dû être posées ne l’ont pas été.
    Je souhaite revenir sur quelques éléments du texte.
    Monsieur Gaillard, vous n’avez pas très bien compris le texte que vous nous avez lu. (Sourires sur les travées de l’UMP.). Il nous pose problème ! Dorénavant, la tante et la nièce pourront vivre ensemble, de même que l’oncle et le neveu. Plus grave encore, le texte dispose que le Président de la République pourra autoriser le mariage entre eux pour « motif grave ». Et ce motif, c’est le fait d’avoir un enfant. En d’autres termes, nous sommes en plein délire !
    Une autre disposition, figurant dans le chapitre IV bis, intitulé « Des règles de conflit de lois », est plus grave encore, car elle tend à affirmer, purement et simplement, qu’il faut violer les règles de droit international privé qui nous régissent. Il nous faudrait aller à l’encontre de tout ce que nous avons fait jusqu’à présent et autoriser ce que les conventions que nous avons signées avec d’autres États nous interdisent de faire !
    Nous ne pouvons aller en ce sens. Pour ces raisons, mes chers collègues je vous demande de voter cet amendement de suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour présenter l’amendement n° 170 rectifié ter.
    Mme Françoise Férat. Nous présentons cet amendement visant à supprimer l’article 1er à plusieurs titres, notamment au nom du principe d’égalité, qui a été si souvent invoqué depuis le début de cette discussion.
    Dans ce texte, l’égalité présente deux dimensions : l’une, absolue et systématique, concerne l’égalité entre les couples de sexe différent et les couples de même sexe ; l’autre, relative, est en cause lorsqu’il s’agit de donner à des enfants une parenté fondée sur l’altérité sexuelle et une parenté avec des couples de même sexe.
    On ne peut pas invoquer en permanence la notion d’égalité et lui donner, dans certains cas, une acception absolue et systématique, et, dans d’autres, une acception relative.
    Nous avons également déposé cet amendement en raison du flou, volontairement entretenu, sur la portée réelle de la réforme que vous envisagez.
    Cette réforme du mariage est en fait la porte d’entrée d’une réforme qui ne dit pas son nom, celle de la parenté.
    M. André Trillard. Exact !
    Mme Françoise Férat. C’est le point central du projet de loi, mes chers collègues, et nous ne pouvons pas rester dans le flou sur ces questions.
    Avec votre conception de l’égalité, où s’arrête-t-on ? Vous proposez aujourd’hui l’égalité entre couples hétérosexuels et couples homosexuels. Et demain ? Il vous faudra, bien sûr, instaurer l’égalité entre couples homosexuels. Comment ? En autorisant la PMA pour les couples de femmes et la GPA pour les couples d’hommes ! Ces changements seront en vérité inévitables, puisqu’ils reposeront sur cette prétendue égalité qui irrigue ce projet de loi, en particulier son article 1er.
    L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe ne peut être fondée sur un principe d’égalité de droit entre les couples homosexuels et les couples hétérosexuels, alors même que leur situation est différente au regard de la transmission de la vie.
    Cette ouverture constituerait une remise en cause profonde des fondements mêmes de notre société et de notre politique familiale.
    Nous vous avons proposé précédemment de créer, en lieu et place de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, une union civile, proposition que vous avez balayée d’un revers de main.
    M. Jean-Marc Todeschini. C’est Sarkozy qui l’a repoussée !
    Mme Françoise Férat. Il ne nous reste qu’une possibilité : nous opposer fermement, avec conviction, à votre texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)
    M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. La commission des lois est bien entendu défavorable à ces deux amendements tendant à supprimer l’article 1er, qui est le nœud de ce texte, comme elle l’était à ceux qui visaient à proposer la mise en place d’une union civile et qui ont été repoussés précédemment.
    Mes chers collègues, y a-t-il lieu de passionner autant ce débat ?
    M. Charles Revet. Oui, car c’est important pour la société !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Certains d’entre vous, qu’ils soient pour ou contre ce texte, sont intervenus calmement, quand d’autres se livraient à des envolées lyriques qui ne changent rien à la réalité des choses.
    Cette réalité, quelle est-elle ? De mon point de vue, la famille d’aujourd’hui offre plutôt une meilleure image que celle du XIXe siècle et du début du XXe siècle, qui était abîmée et salie par les mariages forcés, les adultères à répétition, la situation des bâtards et des enfants naturels. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
    M. Bruno Sido. Parce qu’il n’y a plus de bâtards ?
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. C’était cela, la famille, tout au moins dans les milieux aisés et bourgeois ! La situation était différente, on le sait, dans les milieux ruraux.
    Aujourd’hui, la famille vit à son aise et à son rythme : elle peut se former et se défaire par le divorce, qui n’est d’ailleurs pas sans conséquences, hélas, pour les enfants. Dans cette famille, personne n’est contraint de se marier et les enfants sont désirés, y compris au sein des couples hétérosexuels. Dans cette famille, on peut même faire entrer des enfants que l’on n’a pas eus au sein du mariage.
    Vous avez dit, monsieur Gérard Larcher, que le mariage était intimement lié à la présomption de paternité. Or nous savons bien que celle-ci est aujourd’hui réduite à sa plus simple expression.
    Il existe également les familles recomposées et décomposées par les hasards de la vie. Nous en connaissons tous, et certains d’entre nous sont même concernés par cette situation. Il y a aussi les familles monoparentales, composées de femmes qui élèvent seules leurs enfants, qu’elles l’aient voulu ou que le hasard de la vie en ait ainsi décidé.
    Enfin, qu’on le veuille ou non, il y a les familles homosexuelles, qui élèvent des enfants, souvent nés d’une union antérieure.
    Ces familles et ces enfants existent. Or ils n’ont pas les mêmes droits que les autres et ne bénéficient pas de la même sécurité. Telle est réalité !
    Monsieur Hyest, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe et la possibilité d’adopter qui leur est donnée ne change rien à la nature du mariage.
    M. Bruno Sido. C’est la politique du chat crevé au fil de l’eau !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Certes, j’en suis d’accord avec vous, le mariage a des modalités juridiques différentes selon les pays, mais sa signification est la même qu’en France.
    Une autre réalité s’impose à nous. Dans des pays très différents, tels que la Belgique, les pays scandinaves, l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni, entre autres, l’adoption par des couples homosexuels a été légalisée, parfois même avant le mariage. Or une fois que celui-ci a été autorisé, il n’y a pas eu de tsunami familial. Les choses se passent normalement !
    M. François Rebsamen. Eh oui !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Il n’est pas étonnant que le législateur prévoie des barrières ou des bornes afin de préparer les étapes suivantes qui, bien sûr, ne manqueront pas de survenir... (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
    M. Alain Gournac. Vous reconnaissez donc que l’on y viendra !
    M. André Reichardt. Il faut le dire, alors !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Chers collègues, sommes-nous au bal des hypocrites ? Pour ma part, je n’y suis pas et n’y serai jamais !
    M. Charles Revet. Si !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Le législateur est là pour dire la vérité, observer la réalité, mettre des bornes, poser des règles et prévoir des empêchements.
    Vous avez parlé des enfants qui, selon vous, viendront demain « on ne sait comment ». Toutefois, mes chers collègues, rappelez-vous que, il y a encore quelques dizaines d’années, l’adultère était un délit condamné par les tribunaux correctionnels. J’ai moi-même, en 1978, condamné des hommes, au pénal – j’y insiste –, pour ce motif !
    Et les enfants, dites-vous ? En 1972, on a considéré que les enfants adultérins pouvaient être légitimés. Dans l’histoire des sociétés, c’est toujours la réalité qui s’impose !
    Avant la loi Veil, adoptée sous le septennat de M. Giscard d’Estaing, l’avortement était considéré comme un crime.
    M. Bruno Sido. C’est un meurtre !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. À l’époque, les débats étaient encore plus vifs qu’aujourd’hui, ce qui, selon moi, se justifiait davantage.
    Aujourd’hui, nous en sommes là. Certes, tous n’acceptent pas l’avortement, mais des bornes ont été posées, et la loi dit ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. On évite ainsi ces situations absolument terribles, à la Zola, dans lesquelles des femmes mouraient parce qu’elles se faisaient avorter dans la clandestinité. Voilà la réalité !
    Ce n’est donc pas la peine de passionner le débat et de désinformer des personnes déjà mal informées. Il faut, au contraire, les informer sur l’état de la société, sur la réalité, sur ce qu’ils ne veulent pas voir,...
    M. Bruno Sido. Comme s’ils ne le savaient pas !
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. ... et sur les problèmes que nous tâchons, très modestement, de régler avec ce projet de loi.
    Pourquoi tant de passions face à un texte qui, finalement, ne révolutionnera rien, qui ne fait qu’offrir un cadre à ce qui existe déjà ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
    M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces deux amendements identiques de suppression de l’article 1er, celui qui est signé notamment par MM. Gélard et Hyest, et celui qui est présenté, entre autres, par M. Zocchetto, ont une logique claire, puisque leurs auteurs contestent le texte du Gouvernement depuis le début de nos discussions.
    Après une discussion générale qui fut dense et d’abondantes prises de parole sur l’article 1er, vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, dans la cohérence et la continuité de votre opposition à ce texte. Vous passez cependant à un autre niveau de contestation : la suppression de l’article 1er. Je suppose que vous en viendrez ensuite, si ces amendements ne sont pas adoptés, au démembrement de l’article.
    Or consentez, à votre tour, que le Gouvernement demeure lui aussi dans sa cohérence. Nous n’avons pas rédigé ce texte par inadvertance ! Il résulte d’un choix mûrement pesé et réfléchi, et d’autant plus approfondi que la Haute Assemblée examine ce projet de loi après qu’il a été discuté l’Assemblée nationale.
    Je note la logique qui est la vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition. Vous souhaitez supprimer l’article 1er du projet de loi. Nous le maintiendrons pourtant, parce que c’est l’article principal de ce texte.
    Je relève en particulier les observations qu’a formulées à l’instant Patrice Gélard, avec une certaine tension. (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Ce n’est pas là un jugement de valeur : c’est plutôt un hommage à son tempérament. (Sourires.)
    Monsieur Gérard, j’ai du mal à vous suivre. Depuis le début de ce débat, vous répétez à l’envi qu’il faut cesser de se référer aux formes de mariage qui ont été instituées à l’étranger pour les personnes de même sexe, parce que les conséquences des effets de la législation diffèrent. J’en conviens, et c’est d’ailleurs ce que j’ai répondu à l’Assemblée nationale à ceux qui prétendaient que nous cherchions à rejoindre un club de pays prétendument audacieux.
    Pour ma part, même si nous devons rappeler que nous ne sommes pas les seuls à avoir décidé cette réforme, je considère que cet argument ne suffit pas. Je préfère me référer à l’évolution de l’histoire du mariage, à celle de l’histoire de la France, à celle de l’histoire de ses valeurs, à celle des libertés et de l’égalité en France même.
    Aujourd’hui, je m’étonne que vous fassiez une telle « fixation » – pardonnez-moi de le dire ainsi – sur les conventions internationales, dont nous avons débattu cet après-midi, et que vous nous expliquiez que nous ne pourrions pas légiférer en droit interne au motif que la France est engagée par de tels textes.
    Vous avez raison sur un point : la hiérarchie des normes fait que les conventions internationales s’imposent à notre droit. Nous avons passé en revue les principales conventions internationales, notamment les douze traités bilatéraux qui précisent explicitement que les ressortissants de ces pays ne peuvent pas déroger à leur loi nationale. Le Gouvernement avait initialement fait mention de ces conventions dans le projet de loi, mais l’Assemblée nationale a supprimé cette référence. La hiérarchie des normes ne s’en trouve pas pour autant remise en cause. En cas de conflit, je l’ai rappelé cet après-midi, c’est non pas l’officier d’état civil, mais bien le juge qui tranchera, en se référant à la jurisprudence en la matière.
    Nous n’avons donc d’aucune crainte à avoir à ce sujet. Je rappelle en outre que la Cour européenne des droits de l’homme, statuant sur la question de l’autorisation de l’interdiction du mariage pour les personnes de même sexe, a très clairement indiqué qu’il s’agissait d’une législation qui relevait des États.
    Que vous soyez opposés à ce projet de loi, nous en convenons. Que vous manifestiez votre opposition jusqu’au bout, preniez toutes initiatives, toutes dispositions, recouriez à tous les instruments juridiques et parlementaires pour en empêcher l’adoption, nous en convenons aussi. C’est le rôle de l’opposition.
    En revanche, en matière de conventions internationales, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales, il n’y a pas d’argument d’autorité, même si, tout comme M. Hyest, ancien président de la commission des lois, vous faites autorité en matière de droit, monsieur Gélard.
    Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements identiques de suppression. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. le président. Y a-t-il des demandes d’explication de vote sur ces amendements identiques ?... (De nombreux sénateurs du groupe UMP lèvent la main. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. David Assouline. C’est un scandale ! Vous ne tenez aucun de vos engagements !
    M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, pour explication de vote.
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, notre droit de la famille relatif au mariage et, en conséquence, à l’adoption et à la filiation se trouve fondamentalement bouleversé par ce projet de loi. L’article 1er remet en cause le sens et la vocation du mariage pour l’ensemble des couples.
    Au nom du principe d’égalité, vous instaurez dans notre droit positif une fiction juridique, celle d’un nouveau principe d’égalité entre les personnes, qui passe par la suppression de la référence au sexe biologique. Ainsi, le texte supprime les mots « mari » et « femme » du code civil au profit de ceux d’ « époux » ou de « conjoints ».
    Madame la garde des sceaux, vous avez affirmé : « Pour moi, une civilisation a des fondements et des principes. Parmi eux figure celui de l’égalité. » Estimez-vous que ce principe s’appliquera aux enfants qui seront délibérément privés de leur père ou de leur mère, qui ne pourront établir leur filiation paternelle ou maternelle et qui ne pourront s’inscrire dans une généalogie ?
    Que répondra l’institutrice aux élèves qui lui demanderont : « Pourquoi n’ai-je pas de papa ? », « Pourquoi mon copain en a-t-il deux ? », « Pourquoi cet autre en a-t-il un ? » (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    Mme Cécile Cukierman. Parce que c’est la vie !
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Ça existe déjà ! Dans quel monde vivez-vous ?
    Mme Marie-Thérèse Bruguière. Cette enseignante sera particulièrement désemparée et, franchement, je n’aimerais pas être à sa place ! Si c’est ça l’égalité, merci !
    Vous allez donc priver certains enfants de tout ce que permet le cadre juridique du mariage. En fusionnant dans un article deux mariages, on abolit à l’évidence le sens et la finalité de l’institution du mariage. En obligeant chacun à entrer dans ce nouveau modèle, on instaure une vision uniforme et statutaire de la société. Au contraire, celle-ci doit être ouverte, c’est-à-dire cultiver et proposer plusieurs modèles. C’est pourquoi nous avons proposé l’union civile, en plus du mariage.
    Pour toutes ces raisons, je voterai la suppression de l’article 1er. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest, pour explication de vote.
    M. Jean-Jacques Hyest. Madame la garde des sceaux, je ne prétends pas avoir une quelconque autorité en matière de droit : j’essaie de réfléchir aux règles de droit, comme chacun d’entre nous. À tout le moins puis-je me prévaloir d’une petite expérience… (Sourires.)
    Monsieur le rapporteur, votre vision de l’histoire de la famille est étonnante.
    M. Alain Gournac. Elle est scandaleuse !
    M. Jean-Jacques Hyest. Je vais moi aussi vous livrer mon témoignage. J’appartiens à une famille nombreuse, et c’est ma fierté. Il est important que des hommes et des femmes se soient consacrés à leur famille. Aujourd’hui, cela n’a plus d’importance, on « fait » famille ; j’ignore ce que cela signifie. On peut très bien avoir des enfants, vivre en couple longtemps et ne pas se marier. J’en veux pour preuve le Président de la République. (Et alors ? sur les travées du groupe socialiste.)
    Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. C’est une famille aussi !
    M. Jean-Jacques Hyest. Dans ces conditions, pourquoi accorder un traitement particulier aux couples homosexuels ? On le sait, il existe des formes extrêmement variées, non pas de familles, mais d’exercices de l’autorité parentale.
    Pour autant, je demeure absolument convaincu que, si l’on ne maintient pas la définition de la famille telle qu’elle existe depuis toujours, on détruira la famille. Si c’est ce que l’on veut, il faut le dire !
    On nous rétorque que cela n’a aucune importance, de la même façon que l’on nous répond que l’altérité sexuelle ne signifierait rien et qu’il faut d’autres principes.
    Monsieur le rapporteur, vous prétendez donner simplement aux couples homosexuels la possibilité de faire comme les autres et de rentrer dans le rang. C’est aussi ce que nous proposons, par le biais de l’union civile. Mais vous, ce faisant, vous touchez à la filiation, à la famille, ce qui est extrêmement dangereux, car, quand on commence à toucher à des institutions qui sont millénaires, la société se délite peu à peu.
    M. Jean-Claude Lenoir. Eh oui !
    M. Jean-Jacques Hyest. Laissons de côté le droit : mon humanisme m’empêche de faire n’importe quoi. Et c’est parce que je considère que l’on va trop loin que je voterai avec conviction ces amendements de suppression. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La parole est à M. François Trucy, pour explication de vote.
    M. François Trucy. J’essayerai de faire preuve de la même cohérence que Patrice Gélard, celle-là même qu’a saluée Mme la garde des sceaux, mais je doute d’avoir son tempérament... (Sourires.)
    Quoi que vous en disiez, l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ne trouve aucune justification sur le terrain du combat pour l’égalité. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel lui-même rappelle qu’il est loisible au législateur d’organiser le droit différemment afin de régler des situations différentes.
    C’est d’ailleurs ce que le législateur a fait depuis toujours en créant notamment le PACS, dont le régime fiscal et patrimonial a été progressivement aligné sur celui du mariage. Certes, des différences existent, vous l’avez rappelé, mais d’autres formules, plus respectueuses de tous, pouvaient être envisagées pour remédier à cette différence de traitement. Vous ne les avez pas voulues.
    Contrairement à ce que certains d’entre vous croient, les enfants élevés par des couples de personnes de même sexe ne sont pas non plus en situation de totale insécurité juridique. Le législateur a prévu des possibilités en matière de partage ou de délégation de l’autorité parentale. Voilà du droit appliqué !
    En revanche, si la situation actuelle ne porte préjudice à personne, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe crée, à nos yeux, de nouvelles inégalités.
    Une telle ouverture produit des inégalités au sein même du mariage. Si ce texte est adopté, le principe d’unité du mariage disparaît. Il existera un mariage « hétérosexuel », qui continuera de garantir à l’enfant une double filiation par le biais de la présomption de paternité, et un mariage « homosexuel », dans lequel la filiation tiendra plutôt du virtuel.
    Cette ouverture crée des inégalités dans l’accès au mariage. Si l’on transforme fondamentalement et substantiellement le fondement, autrefois juridique, du mariage en lui substituant un fondement simplement sentimental, on réduit le mariage à une simple reconnaissance sociale de l’amour des couples de même sexe. Dans ces conditions, comment le Conseil constitutionnel, saisi par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité, pourrait-il ne pas s’attaquer aux lois prohibant la polygamie ou la minorité dans le mariage ? Cet aspect ne vous a pas inquiétée, madame la garde des sceaux. Nous, il nous inquiète !
    Cette ouverture crée des inégalités parmi les couples de personnes de même sexe. Le Gouvernement aurait dû nous permettre de discuter sereinement de ce dispositif, qui introduit une inégalité certaine entre les couples homosexuels sur le simple fondement de leur sexe.
    Cette ouverture crée des inégalités parmi les enfants adoptés, nous en avons suffisamment parlé. La vérité nous oblige à dire que la majorité des enfants adoptés sont des ressortissants de pays qui n’acceptent pas l’union homosexuelle des adoptants. C’est pourquoi les enfants, selon les candidats à l’adoption, ne disposeront pas des mêmes droits pour créer une famille.
    Enfin, cet article, que nous contestons et qui constitue le cœur de ce texte, ne nous paraît pas en conformité avec notre ordre juridique interne qui, depuis 1804, a fait de l’altérité sexuelle un caractère fondamental du mariage. Or, en rappelant ce principe dans un nombre important de textes antérieurs à 1946 – la loi du 27 juillet 1884 sur le divorce, la loi du 13 juillet 1907 sur le libre salaire de la femme mariée et la contribution des époux aux charges du ménage, la loi du 18 février 1938 portant modification des textes du code civil relatifs à la capacité de la femme mariée –, le législateur en a fait un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
    C’est la raison pour laquelle je voterai ces amendements identiques de suppression. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Alain Gournac. Moi aussi !
    M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
    M. Dominique de Legge. À l’évidence, l’article 1er pose un problème de filiation. Nous nous sommes largement expliqués sur ce point. Nous connaissons la position du Gouvernement, vous connaissez la nôtre, je n’y reviens pas.
    M. Marc Daunis. Ah !
    M. Dominique de Legge. La situation de l’adoption étant ce qu’elle est, vous ouvrez un droit dont on sait qu’il ne pourra pas effectivement s’exercer.
    Par ailleurs, madame la garde des sceaux, à la question qui vous a été posée vendredi dernier par Bruno Retailleau et de nouveau cet après-midi par moi-même,...
    M. Alain Gournac. On n’a pas eu la réponse !
    M. Dominique de Legge. ... vous n’avez toujours pas répondu, ou plutôt nous avons eu plusieurs réponses.
    Tout à l’heure, M. Sueur a affirmé : « Nous n’avançons pas masqués ! »
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. En effet !
    M. Dominique de Legge. Or j’ai aussi entendu M. Michel, rapporteur, nous dire tout à l’heure : « Je ne suis pas hypocrite, la suite viendra. »
    J’ai enfin entendu Mme la ministre chargée de la famille nous expliquer que le Président de la République n’était pas favorable à la GPA, mais je ne connais toujours pas la position du Gouvernement sur la procréation médicalement assistée.
    En conséquence, au moment où nous allons voter ces amendements identiques de suppression de l’article 1er, il est important que vous nous disiez clairement si le Gouvernement est en accord ou en désaccord avec la position exprimée par Mme Vallaud-Belkacem et par M. Michel.
    Madame la garde des sceaux, vous devez la vérité à la représentation nationale et aux Français. Il est temps que vous sortiez de l’hypocrisie et que vous nous disiez quelle sera la suite ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    Mme Laurence Rossignol. Tout cela pour faire durer le plaisir !
    M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour explication de vote.
    Mme Élisabeth Lamure. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, je regrette le manque de bonne volonté du Gouvernement sur des questions qui intéressent l’ensemble de la société.
    Il va de soi que nos propositions dénaturent votre projet, puisque nous y sommes opposés. Nous contestons les notions de « droit à la parenté » et de « droit à l’enfant » que vous tentez d’introduire dans notre droit. Au-delà, nous sommes opposés au bouleversement que vous engagez !
    En effet, nous espérons préserver l’altérité sexuelle dans le mariage afin de préserver la présomption de paternité.
    Nous souhaitons créer une nouvelle union assurant une meilleure sécurité juridique pour les couples de personnes de même sexe. Cela nous permettrait d’ailleurs de codifier les nombreuses dispositions qui existent déjà et qui permettent d’assurer la protection des enfants vivant avec des couples homosexuels. De surcroît, certains d’entre nous souhaitent très logiquement ouvrir l’adoption simple à ces couples.
    Nous considérons en revanche que le mariage s’insère dans la réalité biologique de la procréation. L’objectif de cette institution est de protéger juridiquement le lien de filiation entre un père et son enfant, par le biais de la présomption de paternité. Or vous souhaitez réduire le mariage à la reconnaissance sociale de l’amour entre deux personnes de même sexe.
    Nous ne défendons pas seulement une position de principe : nous avions prévu la création d’une union civile, qui aurait permis aux couples de même sexe de bénéficier d’un statut plus protecteur. Le régime de cette union aurait été aligné, comme nous vous l’avons exposé en début de débat, sur celui du mariage, excepté en ce qui concerne la filiation, puisque nous considérons que le droit ne saurait se substituer totalement à la nature, qui veut que la procréation soit le fait d’un homme et d’une femme.
    Ainsi, conscients des réalités biologiques qui s’imposent à nous, nous n’ignorons pas non plus la nécessité d’améliorer le cadre juridique de l’union des couples de même sexe.
    Malheureusement, vous rejetez notre proposition au motif qu’elle modifie substantiellement le texte qui nous est présenté.
    Ainsi, et puisqu’il faut mettre en avant les interrogations que vous devriez à l’évidence résoudre par vous-mêmes, je souhaiterais que vous nous expliquiez votre position sur les conséquences de cet article, tout d’abord en ce qui concerne la dilution de la présomption de paternité, qui se voit fortement fragilisée par l’instauration d’une parenté virtuelle, ensuite en ce qui concerne la PMA, voire la GPA – celle-ci constitue en réalité la suite logique du cheminement que vous tracez –, enfin en ce qui concerne l’égal accès des enfants à une famille, qui devrait être l’une des préoccupations majeures de ce débat.
    Je rappellerai, comme beaucoup d’autres collègues avant moi, que beaucoup de pays qui ouvrent l’adoption à des couples français le font, notamment, sur la base de leur situation matrimoniale. Certes, cette position peut vous déplaire ; elle n’en constitue pas moins une réalité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Alain Gournac. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
    M. Philippe Bas. Madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, tout à l’heure, notre excellent rapporteur s’est étonné du caractère quelque peu passionné du débat.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Je ne parlais pas de vous. Vous êtes toujours d’un calme normand, cher collègue !
    M. Philippe Bas. Pour ma part, je suis surpris de son étonnement. Il y a en effet de multiples raisons de se passionner pour cette question, en raison de l’importance des répercussions de la loi que vous nous proposez d’adopter sur la société française.
    Tout à l’heure, monsieur le président de la commission des lois, non seulement vous avez contesté certains propos tenus par des membres de mon groupe – c’est votre droit –, mais vous êtes allé jusqu’à mettre en évidence ce que vous appelez les « présupposés » de certains de ses discours.
    Nous sommes ainsi passés du procès d’intention à une forme d’inquisition.
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument pas. Pourquoi dites-vous cela ?
    M. Philippe Bas. Ce n’est plus seulement ce que nous disons qui est en cause, mais les présupposés de nos interventions. Permettez-moi de le dire, je trouve cela très désagréable, pour ne pas dire insupportable.
    Quand Mme la ministre chargée de la famille ne cesse de répandre sur nous le soupçon, de mettre en cause les arrière-pensées que nous pourrions avoir, je me dis que vous préférez mettre en cause vos contradicteurs plutôt que de répondre à la contradiction. C’est un aveu de faiblesse plus qu’une démonstration de force.
    En effet, pour ce qui nous concerne, nous ne partageons en aucune façon les dérives que vous dénoncez, et les caricatures que vous nous opposez nous blessent et nous offensent.
    Nous sommes, nous aussi, soucieux des droits de nos concitoyens, en particulier des droits des homosexuels qui vivent en couple et élèvent des enfants. Tout autant que vous, nous avons conscience de cette réalité. Néanmoins, et c’est une grande différence entre nous, nous considérons que les solutions que vous êtes en train d’apporter à ce problème sont non seulement excessives, mais aussi dangereuses.
    Si la reconnaissance officielle du lien qui unit deux personnes de même sexe nous gênait à ce point, nous n’aurions pas proposé le contrat d’union civile.
    Non, ce qui justifie cette passion que nous mettons à répondre à votre projet, que des centaines de milliers de Français mettent à s’opposer à ce projet, que 700 000 d’entre ces derniers mettent à contester ce projet par une pétition, c’est le souci, éminemment humain et humaniste, de préserver un certain nombre d’intérêts fondamentaux, parmi lesquels figure au premier rang la préoccupation envers les plus vulnérables.
    Nous considérons que, en raison du lien indissoluble qui existe entre le mariage et l’adoption, ce projet de loi conduira inévitablement à la situation suivante : des jeunes femmes mettront au monde des enfants qui auront été conçus par assistance médicale à la procréation, sans père, et les épouses de ces jeunes femmes pourront, par un jugement d’adoption, devenir elles aussi les mères de ces enfants.
    Or je ne connais pas d’autres mots pour désigner des parents que les mots « père » ou « mère ». Vous êtes en train d’inventer une troisième catégorie de parents, qui ne seront ni pères ni mères.
    M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Ils seront les deux à la fois !
    M. Philippe Bas. Je crois pour ma part que ce projet comporte des inconvénients très graves pour le développement de l’enfant. Cela n’a rien à voir avec l’amour que les adultes se portent, rien à voir avec l’amour qu’ils portent à leurs enfants, rien à voir avec leurs capacités éducatives.
    Au cœur de la vie de ces enfants qui, comme tous les autres, n’ont pas demandé à naître, il y aura l’absence du parent de l’autre sexe. En dépit de vos rêves et de vos utopies, vous ne pourrez faire en sorte que cela se passe autrement. Vous ne pourrez empêcher que cette absence soit un manque profond.
    Nous voulons éviter cela, tout simplement, et nous affirmons pouvoir organiser la vie de ces familles sur d’autres fondements que ceux que vous proposez.
    C’est la raison pour laquelle je soutiens, avec un peu de passion en effet, monsieur le rapporteur, les amendements identiques de suppression présentés par nos collègues Patrice Gélard et François Zocchetto. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Cela n’a rien à voir avec les « présupposés » dont vous parliez !
    M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
    M. Bruno Retailleau. Je voudrais revenir sur votre dernière intervention, madame la ministre, qui condense en quelque sorte tous les arguments que nous contestons dans votre défense de ce projet.
    Vous avez prétendu, tout d’abord, qu’il n’y avait pas de modèle de la famille : finalement, tout se vaudrait, et le pire serait encore l’existence même d’un modèle.
    C’est ignorer que tous les responsables de l’action sociale, qui sont en première ligne, savent que les situations de misère sont souvent suscitées par des pathologies de la famille. Ce n’est pas un problème d’homosexualité ou d’hétérosexualité : il est évident pour tout le monde que le délitement de la famille emporte des conséquences sociales.
    Par conséquent, entendre des propos aussi relativistes dans la bouche de la ministre de la famille de la République est assurément un mauvais signal !
    Toutes les études montrent aujourd’hui que, face aux difficultés sociales, le premier bouclier reste précisément la famille.
    M. David Assouline. Toutes les familles, pas « votre » famille, monsieur Retailleau !
    M. Bruno Retailleau. Madame la ministre, il s’agit non pas de dégrader tel ou tel comportement familial, mais de reconnaître, en tant que représentant de l’État, l’importance de l’existence d’un modèle familial. Car le système le plus protecteur reste pour l’instant le père, la mère et les enfants.
    M. François Rebsamen. Et le Saint-Esprit ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. Bruno Retailleau. J’en viens maintenant à la question centrale : les enfants.
    Vous avez, madame la ministre, utilisé à plusieurs reprises le terme de « droit à l’enfant ». Vous avez même parlé du « désir d’enfant », qui serait plutôt, en l’occurrence, le « désir pour l’enfant ».
    Ce qui fonde notre opposition radicale à ce texte, c’est que vous ne prenez garde à rien. Vous allez même jusqu’à ignorer les précautions qu’un certain nombre d’autorités vous ont invité à prendre.
    Le Défenseur des droits, Dominique Baudis, a ainsi pointé des incertitudes juridiques préjudiciables aux enfants. Et je n’insisterai pas sur l’avis du Conseil supérieur de l’adoption – il est relaté dans l’étude d’impact du projet de loi, au demeurant bien lacunaire – ou sur la position de nombreux pédopsychiatres.
    Pourquoi passer par pertes et profits tous ces avis mitigés sur les conséquences que pourrait avoir ce projet pour les plus faibles, c’est-à-dire pour les enfants ?
    En réalité, vous préférez les ignorer par pure idéologie, parce que vous n’êtes guidés que par l’utopie. Vous n’ignorez sans doute pas les racines grecques de ce terme : l’utopie, c’est un lieu qui n’existe pas.
    Madame la ministre, ce n’est pas le droit qui empêche des couples de même sexe d’avoir des enfants, mais la nature, tout simplement. Certes, il y a l’adoption, mais vous verrez que, malheureusement, l’« offre d’adoption », selon l’expression que vous avez vous-même employée, sera insuffisante, et qu’il faudra recourir à d’autres moyens.
    À ce stade du débat, je voudrais, madame la garde des sceaux, madame la ministre déléguée, que vous répondiez enfin à la question que j’ai posée vendredi soir. Confirmez-vous les propos de la porte-parole du Gouvernement, à savoir, premièrement, que la PMA serait légalisée, et, deuxièmement, que l’un des objectifs du projet de loi était de régulariser les « bébés Thalys », c’est-à-dire ceux qui sont conçus par insémination artificielle en Belgique ?
    Je vous sais attachée à la vérité, madame la garde des sceaux. Aujourd’hui, les Français ont besoin de savoir. Oui ou non, cette loi a-t-elle un double fond ?
    Aujourd’hui, vous sentez sans doute, comme nous tous, la colère publique qui monte. Sans doute est-elle causée par l’attitude de quelques-uns ; sans doute est-elle aussi suscitée par l’impuissance publique de beaucoup, depuis longtemps. Toutefois, il ne faudrait pas qu’elle soit accentuée par le mensonge, fût-il par omission.
    Oui ou non, y a-t-il derrière ce texte autre chose qui se profile en matière de méthodes de procréation assistée ? Votre réponse nous intéresse et intéresse tous les Français, madame la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. André Trillard, pour explication de vote.
    M. André Trillard. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, au travers de l’article 1er du projet de loi, vous ouvrez le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, au prétexte que le mariage serait la reconnaissance sociale du couple. Cette vision est très réductrice.
    Le mariage civil n’a pas pour but de reconnaître la relation entre deux personnes et d’officialiser leur amour. En allant jusqu’au bout de cette logique, tous les gens qui s’aiment devraient pouvoir se marier. Or la loi a fixé des limites. En effet, le mariage n’est pas la simple reconnaissance de l’amour, ni même la consécration d’une union privée ; dois-je rappeler ici le symbole que revêt l’obligation de laisser la porte de la mairie ouverte lors de la célébration d’un mariage ?
    Le mariage est une institution sociale, qui permet de fonder, en droit, la filiation biologique. Nous nous situons donc bien au-delà de la simple relation de couple : dans le cadre de la famille.
    Je rappelle que le code civil dispose que « le mariage est l’institution par laquelle un homme et une femme s’unissent pour vivre en commun et fonder une famille. » L’article 203 dispose également que « les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants. »
    Je tiens à souligner que la question n’est pas celle de la capacité des personnes homosexuelles à aimer, mais celle de l’institutionnalisation, de la codification, par la loi, d’une structure familiale nouvelle.
    Autant l’orientation sexuelle est la résultante d’actes relevant du libre-arbitre des individus, autant le mariage est une institution sociale publique, entérinée par les représentants de l’État aux yeux de la société. Qu’il s’agisse d’un acte légal, soumis à des conditions précises, à commencer par la différenciation des sexes, vient contredire la notion de « liberté de se marier ».
    Autre postulat erroné sur lequel repose la philosophie de votre projet : votre conception de la loi et de son rôle. Pour nous, la loi ne sert pas seulement à donner des droits, à suivre les évolutions sociales, à faire plaisir à tel ou tel, à assumer les engagements numérotés d’un candidat à la présidence de la République.
    Au contraire, il s’agit d’une boussole qui sert à fixer des valeurs, qui donne autant de points de repères à la société. Lorsqu’une loi touche à des valeurs ancestrales aussi importantes que le mariage ou la filiation et à des êtres aussi vulnérables que les enfants, nous redoublons de prudence, car nous ne voulons pas jouer les apprentis sorciers.
    C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons demandé, en vain, un grand débat public préalable. Nous sommes convaincus que, au-delà de la légitimité de la représentation nationale que nous incarnons, chaque Français doit pouvoir s’exprimer sur la forme de famille qu’il laissera en héritage à ses enfants.
    C’est pour cela que nous avons défendu une motion référendaire. Nous débattons aujourd’hui d’un vrai sujet de civilisation, qui mérite mieux qu’un texte de loi bricolé, truffé d’incohérences, aussi bien juridiques que scientifiques, et bourré de non-dits.
    La stabilité de la loi est un outil essentiel à la démocratie. La philosophie qui est la vôtre s’inscrit aux antipodes de ce principe : lors du débat à l’Assemblée nationale, l’un de nos collègues députés a résumé d’une phrase toute la logique de ce projet : « Il est grand temps que la loi rattrape les mœurs ! »
    Vous rendez-vous compte, madame la ministre, de ce que sous-tend cette phrase et des errements auxquels l’application d’un tel principe pourrait donner lieu ? Le rôle de la loi est non pas de courir après les évolutions de la société, mais d’offrir un cadre de références cohérent, stable et protecteur aux citoyens.
    La loi n’est pas faite pour répondre aux desiderata d’une minorité, même si, nous l’avons souligné à plusieurs reprises, un très large consensus se dégage sur la nécessité d’apporter une reconnaissance juridique aux couples homosexuels.
    Montesquieu, qui nous inspire tant ici, ne disait-il pas en son temps : « Il faut toucher aux lois d’une main tremblante » ?
    « Il est grand temps que la loi rattrape les mœurs » ? Vous rendez-vous compte, madame la ministre, que la philosophie sous-jacente à ces propos condamne par avance toutes vos dénégations relatives à la PMA et à la GPA ?
    Vous rendez-vous compte de la portée de la déclaration de l’ancienne garde des sceaux, madame Élisabeth Guigou, présentant le projet de loi sur le PACS : « Mon refus de l’adoption pour des couples homosexuels est fondé sur l’intérêt de l’enfant et sur ses droits à avoir un milieu familial où il puisse épanouir sa personnalité » ?
    Si je vous concède qu’il n’est pas interdit d’évoluer, le moins que l’on puisse dire est que son revirement ne plaide pas en faveur de la confiance que l’on pourrait placer dans la fermeté des engagements socialistes, en particulier dans des domaines aussi sensibles.
    M. Jean-Marc Todeschini. Elle n’a jamais dit cela !
    M. André Trillard. Vous trompez les Français en reportant les discussions sur la procréation médicalement assistée à un autre texte. Et que dire du mépris destructeur avec lequel Mme la ministre de la famille a traité l’ensemble du système de protection de l’enfance ? Vous trompez les Français en leur promettant que la gestation pour autrui ne sera pas autorisée.
    Le premier pas vers la légalisation de la GPA a d’ailleurs été franchi avec votre circulaire, madame la garde des sceaux. La nécessité supposée de prendre en compte la situation particulière des enfants nés selon de tels procédés est une argutie. Ces enfants sont instrumentalisés par ceux-là mêmes qui ont provoqué cette situation, afin de satisfaire leurs propres revendications d’adultes.
    Derrière le « mariage pour tous » se trouve donc clairement le « droit à l’enfant pour tous », et par tous les moyens, sans pour autant que vous assumiez ouvertement les conséquences de votre texte.
    Non, madame la garde des sceaux, il n’est pas « grand temps que la loi rattrape les mœurs ». Il est grand temps que le législateur réfléchisse au sens du droit ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Christophe Béchu, pour explication de vote. (Marques de lassitude sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. David Assouline. Et cela, ce n’est pas de l’obstruction ?
    M. Charles Revet. Vous parlez d’expérience, monsieur Assouline !
    M. Christophe Béchu. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, cet article est la clef de voûte du projet de loi qui nous est soumis.
    M. Marc Daunis. Vraiment ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Christophe Béchu. Consacrer quelques minutes à expliquer notre vote me semble, compte tenu de l’importance de cette disposition, aller de soi.
    M. David Assouline. Vous venez seulement d’arriver. Nous, nous sommes là depuis quatorze heures trente !
    M. Christophe Béchu. J’ajoute que les amendements déposés à la fois par le doyen Gélard et par le président Zocchetto proposent de supprimer purement et simplement cet article, ce qui, par rapport à ceux qui suivront et qui proposeront de n’en supprimer qu’une partie, a au moins le mérite de la clarté.
    De quoi, finalement, le projet de loi sur le mariage pour tous nous parle-t-il ?
    M. François Rebsamen. Il arrive à l’instant ! Il n’a rien entendu de ce qui s’est dit depuis tout à l’heure ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
    M. Christophe Béchu. Je vais emprunter les mots d’un autre.
    Mme Cécile Cukierman. Encore ? C’est une manie chez vous !
    M. Christophe Béchu. « S’agit-il d’une question de sexualité ? La réponse est non. »
    M. François Rebsamen. Ah ! C’est déjà ça !
    M. Christophe Béchu. « Chaque adulte est libre de son orientation et de ses pratiques sexuelles dès lors qu’elles sont consenties, non violentes […].
    « S’agit-il d’un nouveau contrat entre deux personnes ? La réponse est non. » Le PACS existe depuis 1999 », même s’il « pourrait être amélioré sans doute […].
    « S’agit-il de permettre une reconnaissance sociale de l’amour ? La réponse est encore non. Le mot "amour" ne figure pas dans le code civil. Et heureusement, car il faudrait alors en vérifier la réalité ! »
    M. Bruno Sido. De quelle façon ?
    M. Christophe Béchu. « Un officier d’état civil ne demande jamais aux futurs époux s’ils s’aiment. Il le constate souvent et c’est tant mieux. Il faut ajouter qu’on peut s’aimer toute une vie sans se marier. »
    M. David Assouline. Et se marier sans s’aimer !
    M. Christophe Béchu. « S’agit-il d’une question de filiation, donc des enfants ? La réponse est oui. Car le mariage entre deux personnes de sexe différent présuppose une filiation biologique […] ».
    Ces mots, chers collègues, sont ceux de Bernard Poignant.
    Mme Cécile Cukierman. Vous ne l’aviez pas encore convoqué, celui-là !
    M. Christophe Béchu. Ils datent non pas d’il y a dix ans, mais de l’année 2012. Je n’ai pas eu à les chercher dans les comptes rendus du Journal officiel relatant les débats sur le PACS.
    Ces propos, publics, ont été exprimés voilà moins d’une année. Cela montre, au-delà de ce que certains voudraient faire croire, que peuvent exister des opinions personnelles et de conscience dans tous les partis…
    Mme Bariza Khiari. C’est une évidence !
    M. Christophe Béchu. … et que chacun, sur ce sujet, peut avoir sa propre singularité.
    Pour dire les choses de manière encore plus claire, chers collègues, il y a quelque chose que je n’apprécie pas dans la manière dont se déroulent les débats. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
    M. Jean-Marc Todeschini. Vous les faites durer !
    Mme Cécile Cukierman. Pour l’instant, c’est vous qui menez les débats !
    M. Christophe Béchu. C’est que l’on veut croire que tous ceux qui refusent ce projet de loi participent d’une homophobie honteuse ou avouée, franche ou larvée !
    M. David Assouline. Mais de quoi parlez-vous ? Vous venez d’arriver !
    M. Christophe Béchu. Acceptez, mes chers collègues, qu’il puisse y avoir dans cet hémicycle des gens qui, sans partager votre opinion, ne manquent en aucune manière de respect à nos concitoyens vivant d’une manière différente la sexualité et la parentalité.
    Vous avez souligné tout à l’heure, monsieur le rapporteur, que le rôle du législateur était de dire la vérité. Cet article 1er est au cœur de votre dispositif. Toutefois, les dispositions qui suivent doivent également orienter notre vote sur ces amendements de suppression.
    Dans votre conception, l’égalité devant le mariage doit s’accompagner de l’égalité devant l’adoption. Or cette même égalité dont vous vous targuez amènera, demain, la GPA, de manière automatique, en quelque sorte par un effet de domino.
    M. Jean Bizet. Tout à fait !
    M. Christophe Béchu. L’édifice législatif que vous construisez mériterait d’être présenté plus clairement, afin que chacun puisse voter en son âme et conscience.
    En ce qui me concerne, les démonstrations du doyen Gélard et du président Zocchetto m’ont convaincu, et je voterai ces amendements de suppression. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
    M. le président. La parole est à M. Pierre Bordier, pour explication de vote.
    M. Pierre Bordier. Mesdames les ministres, permettez-moi de rappeler l’un des arguments que vous avez régulièrement avancés. Le mariage, le vrai, a perdu de sa valeur : il n’est plus qu’une forme de vie de couple parmi d’autres, et l’on constate une forte augmentation des divorces, du nombre de familles recomposées et monoparentales. L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe s’inscrit donc dans la politique du moins-disant pour les familles et les enfants.
    Si votre constat est juste, en revanche, votre passivité face à lui est contestable.
    Alors que vous êtes respectivement garde des sceaux, chargée de la protection des personnes, et ministre chargée de la famille, votre action se résume à constater que le cadre protecteur et sécurisant pour chacun des membres de la famille que met en place le mariage n’a plus lieu d’être.
    Ce bilan revient à dire que les enfants s’épanouissent aussi bien dans les familles désunies ou recomposées que dans celles où les parents restent engagés et unis. Il revient à prendre comme prétexte la souffrance des enfants dont les parents se séparent et divorcent pour dévaloriser l’institution du mariage.
    Votre devoir, en tant que ministres, n’est-il pas plutôt de vous attaquer aux causes des divorces, qui entraînent tant de souffrances pour les adultes et les enfants ? En la matière, le champ des mesures à mettre en œuvre relève de nombreux domaines, à commencer par celui de l’éducation des jeunes à l’engagement, pour finir par celui de la fiscalité, eu égard aux mesures fiscales appropriées qui doivent être prises.
    Est-ce à dire que les fragilisations conséquentes à l’instabilité des familles et aux séparations sont sans effet sur la société dans son ensemble ? Est-ce à dire encore que les jeunes d’aujourd’hui, adultes de demain, n’aspirent plus à cette forme d’engagement profond à laquelle souscrivent les personnes qui optent pour le mariage ? Cela qui revient à mépriser leur souhait de s’engager dans la durée et leur capacité à le faire.
    Le cadre protecteur mis en place par l’institution du mariage entre deux personnes de même sexe l’est non seulement pour la famille, mais aussi pour la société tout entière. Il est corrélatif de l’engagement pris par l’homme et la femme unis dans le mariage devant la société. Il s’agit d’un engagement social. En tant que législateurs, nous nous devons donc d’encourager le service social qu’il rend.
    Quel en est le sens ? La dimension familiale du mariage inclut la perspective de la transmission de la vie. S’agissant donc de l’enfant, il est acquis pour tous que, pour se construire et se développer harmonieusement, celui-ci a besoin de cette sécurité très étroitement liée à son environnement familial.
    À cet égard, il est de la responsabilité d’un gouvernement d’encourager les situations qui garantissent au mieux cette sécurité et suscitent le maximum de stabilité ; nul doute que la structure la plus favorable est bien celle du mariage entre deux personnes de sexe différent, conscientes de l’engagement qu’elles prennent devant les enfants et la société, et l’une vis-à-vis de l’autre.
    Mesdames les ministres, nous espérons que, dans le cadre du prochain projet de loi portant sur la famille, vous saurez aller au-delà du constat d’échec et proposer les dispositions propres à redonner un élan à cette institution protectrice.
    Ces mesures devront être à la hauteur du service public que rend cette institution, qui articule, dans les domaines personnel et patrimonial, les droits et devoirs des époux, entre eux comme à l’égard des enfants à venir.
    Quant au projet de loi dont nous débattons, la vraie question que l’on doit se poser est la suivante : madame la garde des sceaux, comme vous l’avez considéré, la remise en cause du cadre juridique et social qui structure la société et la filiation depuis des siècles constitue-t-elle un progrès de civilisation ? Pourquoi menacer ce cadre, alors qu’il doit être consolidé, comme je l’ai évoqué précédemment ? N’y avait-il pas d’autres voies pour organiser juridiquement les liens entre les personnes de même sexe ?
    Par ailleurs, vous êtes-vous vraiment posé toutes les questions quant aux conséquences de son remplacement par un nouveau référent : la volonté contractuelle des individus, quelle que soit leur orientation sexuelle ? Le contrat relevant de la liberté des individus, comment poser les limites à ne pas dépasser dans l’exercice de cette liberté, dans le souci du respect de celle de l’autre ? Notre République ne doit-elle pas veiller à ce qu’un individu ne fasse pas primer son propre intérêt sur celui d’un autre ? Comment définir et aboutir au bien commun ?
    Peut-il y avoir une vie en société sans repères partagés ? La source de la transmission de la vie n’en est-elle pas un ?
    Le droit de la famille porte-t-il une valeur symbolique ? Ne doit-il pas poser des jalons partagés par tous ?
    La course réitérée aux « droits à », qui semblent prendre le pas sur les « droits de », est-elle compatible avec le modèle de notre République « une et indivisible » ? En effet, ne risque-t-elle pas de faire se multiplier les communautarismes, à l’inverse de la recherche du bien commun ?
    Pour toutes ces raisons, je demande la suppression de l’article 1er, qui, au lieu de valoriser le mariage comme cadre protecteur de la famille et des enfants, en supprime la condition de l’altérité du couple qui s’unit par ce biais. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
    Article 1er (Texte non modifié par la commission) (début)
    Dossier législatif : projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe
    Discussion générale
    4
    COMMUNICATION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL

    M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le lundi 8 avril 2013, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État avait adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 43 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre (Droits à la pension) (2013-324 QPC).
    Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
    Acte est donné de cette communication.
    5
    ORDRE DU JOUR

    M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mardi 9 avril 2013 :
    À neuf heures trente :
    1. Questions orales
    (Le texte des questions figure en annexe.)
    À quatorze heures trente et le soir :
    2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (n° 349, 2012-2013) ;
    Rapport de M. Jean-Pierre Michel, fait au nom de la commission des lois (n° 437, tomes I et II, 2012-2013) ;
    Texte de la commission (n° 438, 2012-2013) ;
    Avis de Mme Michelle Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 435, 2012-2013).
    Personne ne demande la parole ?…
    La séance est levée.
    (La séance est levée le mardi 9 avril 2013, à zéro heure trente.)

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Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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