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Les débats à l’Assemblée nationale

  • Ouverture du débat par Christiane Taubira (29 janvier)

    30 janvier 2013

    Voici le texte du discours de Christiane Taubira en intégralité, tel qu’il a été retranscrit par les personnels de l’Assemblée nationale, avec les interventions des députés, notamment de Jacques Myard.

    M. Jacques Myard. Elle est en vert parce qu’elle n’y croit pas !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.

    Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mesdames, messieurs les députés, nous avons l’honneur et le privilège, Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille, et moi-même, de vous présenter, au nom du Gouvernement, un projet de loi traduisant l’engagement du Président de la République d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe.
     
    S’agissant de l’état des personnes, ce sont donc principalement des dispositions du code civil relatives au mariage, à l’adoption et à l’attribution du nom de famille qui seront adaptées.
     
    Dominique Bertinotti et moi-même avons tenu à participer activement, dans le respect des prérogatives des parlementaires, aux deux séances de la commission des lois, puisque, à la suite des modifications du règlement de l’Assemblée nationale, c’est sur le texte issu des travaux de la commission que nous allons débattre pendant ces deux semaines, week-ends compris.
     
    Nous n’avons jamais sous-estimé l’importance de cette réforme. C’est pourquoi nous avons accueilli avec le plus grand respect toutes les personnes qui ont accepté d’être auditionnées. Nous savons à quel point les travaux de la commission sont utiles. Ils ont amélioré le texte, et les dispositions qui y ont été introduites seront présentées par vos rapporteurs.
     
    Je voudrais m’arrêter un instant sur l’évolution du mariage, pour que nous comprenions mieux ce que nous sommes en train de faire.
     
    Dans une maison qui aime tant à citer le doyen Jean Carbonnier, je ne vais pas déroger à la règle. En 1989, à l’occasion des travaux de réflexion sur le bicentenaire de la Révolution française, il définissait le mariage civil comme la « gloire cachée » de celle-ci. Il faisait évidemment allusion aux vifs débats qui ont accompagné l’instauration de ce mariage civil, sa dimension contractuelle, sa durée, c’est-à-dire la possibilité de divorcer. À cette époque, deux religions reconnaissent le divorce, la religion protestante et la religion juive, tandis que la religion catholique, majoritaire, déclare le mariage indissoluble. Le doyen Carbonnier considère donc que le constituant de 1791 a bien accompli une véritable révolution en instaurant le mariage civil. La sécularisation de ce mariage est ainsi consacrée dans la Constitution de 1791.
     
    Le mariage civil porte l’empreinte de l’égalité. Il s’agit d’une véritable conquête fondatrice de la République, dans un mouvement général de laïcisation de la société.
     
    Une telle conquête était importante essentiellement pour ceux qui étaient exclus du mariage à cette époque. Après la révocation de l’édit de tolérance, dit édit de Nantes, en 1685, les protestants ne pouvaient se marier qu’en procédant secrètement avec leurs pasteurs. Ils ne pouvaient pas constituer une famille et leurs enfants étaient considérés comme des bâtards. À partir de 1787, l’édit de tolérance autorise de nouveau les prêtres et les juges à prononcer ces mariages en tant qu’officiers de l’état-civil. Il y a donc une première ouverture, deux ans avant la Révolution, avec cette reconnaissance du pluralisme religieux et la possibilité d’inclure dans le mariage ceux qui en étaient exclus, à savoir les protestants et les juifs. Mais le mariage n’inclut encore que les croyants.
     
    Il exclut aussi des professions, et notamment les comédiens, parce que la religion proclame qu’elle ne saurait reconnaître les pratiques infâmes des acteurs de théâtre. C’est d’ailleurs le comédien Talma qui va saisir la Constituante parce que le curé de Saint-Sulpice refuse de publier les bans de son mariage avec une « mondaine », comme on disait à l’époque. (Sourires.)
     
    Les constituants décident donc d’instaurer un mariage civil et inscrivent dans l’article 7 du titre II de la Constitution de septembre 1791 que le mariage n’est que contractuel et que le pouvoir législatif établira pour tous les habitants, sans distinction, le mode par lequel les naissances, mariages et décès seront constatés et désignera les officiers chargés de constater et d’enregistrer ces actes.
     
    Le mariage civil permet d’inclure des croyants non catholiques, mais il est élargi à tous, c’est-à-dire que tous ceux qui souhaitent se marier peuvent disposer des mêmes droits et doivent respecter les mêmes obligations.
     
    Cette conception du mariage civil, qui porte l’empreinte de l’égalité, est en fait essentiellement une liberté, parce que, dès l’instauration du mariage, le divorce sera également reconnu. Il est écrit dans l’exposé des motifs de la loi de 1792 que le divorce résulte d’une liberté individuelle, dont un engagement indissoluble serait la perte. Puisque le mariage est la liberté des parties et non la sacralisation d’une volonté divine, cette liberté de se marier ne se conçoit qu’avec la liberté de divorcer, et, parce que le mariage va se détacher du sacrement qui l’avait précédé, il pourra représenter les valeurs républicaines et intégrer progressivement les évolutions de la société.
     
    La meilleure manifestation de cette liberté s’exprime par l’article 146 du code civil, qui n’a pas changé depuis son origine, et selon lequel il n’y a pas de mariage sans consentement. Cet article établit donc la pleine liberté de l’un et de l’autre conjoint dans le mariage.
     
    Si l’on se souvient que le mariage a d’abord été une union de patrimoines, d’héritages, de lignées, que l’on passait chez le notaire avant de passer chez le prêtre,…

    M. Jacques Myard. Aujourd’hui encore !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    …le fait de reconnaître la liberté de chacun des conjoints est un progrès considérable, aujourd’hui encore inscrit dans le code civil.
     
    Le divorce va donc accompagner très vite le mariage. Il sera prohibé en 1816, dans une ambiance où les courants conservateurs sont dominants et où les libertés, notamment celles des femmes, sont en régression. Il sera rétabli en 1884 par la loi Naquet, là encore dans un mouvement général contraire de laïcisation de la société. L’évolution du mariage porte en effet très fortement la marque de la laïcité, de l’égalité et de la liberté telles que ces valeurs ont évolué dans notre droit et dans notre société (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR), dans une relation diachronique qui a connu parfois de très vives tensions.

    M. Jacques Myard. Ce n’est pas le sujet !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    C’est donc dans un mouvement de laïcisation de l’état-civil, des libertés individuelles, de la société en général que le divorce sera restauré en 1884. C’est en effet au cours de cette décennie que d’autres lois de liberté individuelle, telles que la loi sur la presse, les lois relatives à la liberté d’association ou à la liberté syndicale, et bientôt la loi de séparation des églises et de l’État, vont intervenir. Le divorce sera consolidé en 1975 par le rétablissement du consentement mutuel, qui était déjà reconnu en 1792, comme d’ailleurs l’incompatibilité d’humeur.
     
    Le mariage, accompagné du divorce, reconnaît donc la liberté, y compris celle de ne pas se marier, et c’est la raison pour laquelle la loi reconnaît les familles en dehors du mariage et va progressivement reconnaître les enfants de ces familles. Le mariage, qui a réussi à se détacher du sacrement, va en effet se détacher également d’un ordre social fondé sur une conception patriarcale de la société (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC), conception qui fait du mari et du père le propriétaire, le possesseur du patrimoine, bien entendu, mais aussi de l’épouse et des enfants.
     
    Cette évolution du mariage et du divorce, qui permettra dorénavant aux couples de choisir librement l’organisation de leur vie, sera inscrite dans la loi parce que, depuis deux siècles, l’institution du mariage connaît une évolution vers l’égalité, et c’est bien ce que nous sommes en train de faire aujourd’hui : parachever l’évolution vers l’égalité de cette institution…

    Plusieurs députés du groupe UMP. Rien à voir !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …

    née avec la laïcisation de la société et du mariage. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
     
    Cette évolution va concerner d’abord les femmes, avec la suppression de la référence au chef de famille, la reconnaissance de la communauté de vie, la loi de 1970 puis celle de 1975, qui va réintroduire le consentement mutuel. La reconnaissance des droits des femmes sera inscrite progressivement dans la loi. L’année 1970, c’était il y a à peine une quarantaine d’années, c’est-à-dire que vivent encore aujourd’hui des femmes qui ont eu besoin de l’autorisation de leur époux pour ouvrir un compte bancaire, souscrire un contrat, disposer de leur salaire et donc être reconnue comme sujet de droit.

    (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)

    Plusieurs députés du groupe UMP. Hors sujet !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Cette évolution vers l’égalité, qui va moderniser notre institution du mariage en reconnaissant la femme comme sujet de droit, va reconnaître aussi progressivement les droits des enfants. Par la loi de 1972, le législateur cessera d’établir une différence entre les enfants légitimes et les enfants naturels. Il procédera donc à une refonte de la filiation, de façon à reconnaître une égalité des droits pour les enfants, que leur filiation soit légitime ou naturelle.
     
    En 2000, c’est un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, l’arrêt Mazurek, qui contraindra la France à mettre un terme aux discriminations imposées aux enfants adultérins, et c’est seulement par une ordonnance de 2005, ratifiée par une loi de 2009, que les notions d’enfant légitime et d’enfant naturel vont disparaître de notre code civil. L’enfant devient donc également un sujet de droit.
     
    En vous présentant aujourd’hui ce projet de loi, qui contient des dispositions ouvrant le mariage et l’adoption à droit constant aux couples homosexuels, le Gouvernement choisit de permettre aux couples de même sexe d’entrer dans cette institution et de composer une famille comme les couples hétérosexuels, soit par une union de fait, que l’on appelle le concubinage, soit par un contrat, le PACS, soit par le mariage. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
     
    C’est bien cette institution que le Gouvernement a décidé d’ouvrir aux couples de même sexe.

    M. Jacques Myard. Il a tort !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    C’est un acte d’égalité. (« Non ! » sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Marc Laffineur. Et l’enfant ?

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Il s’agit du mariage tel qu’il est institué actuellement dans notre code civil. Il ne s’agit pas d’un mariage au rabais, il ne s’agit pas d’une union civile…

    M. Jean-Luc Reitzer. C’est dommage !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …

    prétendument aménagée. Il ne s’agit pas non plus d’une ruse, d’une entourloupe (« Si ! » sur les bancs du groupe UMP.), il s’agit du mariage en tant que contrat entre deux personnes (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR), en tant qu’institution produisant des règles d’ordre public.
     
    Oui, c’est bien le mariage, avec toute sa charge symbolique et toutes ses règles d’ordre public, que le Gouvernement ouvre aux couples de même sexe, dans les mêmes conditions d’âge et de consentement de la part de chacun des conjoints, avec les mêmes interdits, les mêmes prohibitions, sur l’inceste, sur la polygamie, avec les mêmes obligations d’assistance, de fidélité (Exclamations sur de nombreux bancs du groupe UMP), de respect, instaurées par la loi de 2006, avec les mêmes obligations pour chaque conjoint vis-à-vis l’un de l’autre, les mêmes devoirs des enfants vis-à-vis de leurs parents et des parents vis-à-vis de leurs enfants.
     
    Oui, c’est bien ce mariage que nous ouvrons aux couples de même sexe. Que l’on nous explique pourquoi deux personnes qui se sont rencontrées, qui se sont aimées (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

    M. Lucien Degauchy. On va pleurer !

    M. Philippe Meunier. Sortez les violons !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    …qui ont vieilli ensemble devraient consentir à la précarité, à une fragilité, voire à une injustice, du seul fait que la loi ne leur reconnaît pas les mêmes droits qu’à un autre couple aussi stable qui a choisi de construire sa vie.

    M. Yves Fromion. Il faut supprimer le divorce, dans ce cas !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Qu’est-ce que le mariage homosexuel va enlever aux couples hétérosexuels ? (« Rien ! » et applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur de nombreux bancs du groupes UMP.) S’il n’enlève rien, nous allons oser poser des mots sur des sentiments et des comportements. Nous allons oser parler de mensonges à l’occasion de cette campagne de panique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), sur la pseudo-suppression des mots de « père » et de « mère » du code civil et du livret de famille. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Philippe Meunier. Scandaleux !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Nous posons les mots et nous parlons d’hypocrisie pour ceux qui refusent de voir ces familles homoparentales et ces enfants, exposés aux aléas de la vie. Nous posons les mots et nous parlons d’égoïsme pour ceux qui s’imaginent qu’une institution de la République pourrait être réservée à une catégorie de citoyens. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. - Protestations sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

    Un député du groupe UMP. C’est ce qui s’appelle un amalgame !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Nous disons que le mariage ouvert aux couples de même sexe illustre bien la devise de la République. Il illustre la liberté de se choisir, la liberté de décider de vivre ensemble.

    M. Yves Fromion. Et la liberté des enfants d’avoir un père et une mère ?

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Nous proclamons par ce texte l’égalité de tous les couples, de toutes les familles.

    M. Pierre Lequiller. Et les enfants ?

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Enfin, nous disons aussi qu’il y a dans cet acte une démarche de fraternité, parce qu’aucune différence ne peut servir de prétexte à des discriminations d’État. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. le président. S’il vous plaît, chers collègues ! Écoutez les arguments de Mme la garde des sceaux. Vous aurez l’occasion de vous exprimer par la suite.

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Au nom d’un prétendu droit à l’enfant (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…

    M. Yves Fromion. Ce n’est pas un « prétendu » droit !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …

    qui n’existe pas, vous protestez parce que le mariage et l’adoption sont ouverts aux couples de même sexe dans exactement les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.) Autrement dit, ou bien vous nous affirmez que les couples hétérosexuels ont un droit à l’enfant…

    M. André Schneider. Ils les font !

    M. Yves Fromion. C’est le droit naturel !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    …inscrit dans le code civil, ou bien ce droit à l’enfant n’existe pas – et de fait il n’existe pas – et les couples homosexuels auront le droit d’adopter dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
    Au nom d’un prétendu droit à l’enfant (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

    M. André Schneider. Arrêtez avec votre « prétendu » !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    …vous refusez des droits à des enfants que vous choisissez de ne pas voir. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Le texte que nous vous présentons n’a rien de contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant.

    M. Hervé Mariton. Si !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Au contraire, il protège des enfants que vous refusez de voir. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP. – Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
     
    Les couples homosexuels pourront adopter dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels,…

    M. Xavier Breton. La condition d’être père et mère ?

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    …selon les mêmes procédures : l’agrément sera accordé dans les mêmes conditions par les conseils généraux, l’adoption prononcée dans les mêmes conditions par le juge, conformément à l’article 353 du code civil,…

    M. Hervé Mariton. Ce n’est pas trop démontré !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. …

    qui dispose que l’adoption est prononcée si elle est conforme aux droits de l’enfant. Par conséquent, vos objections n’ont pas de fondement (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), si ce n’est une réelle difficulté à inclure dans vos représentations la légitimité de ces couples de même sexe. Or vos enfants et petits-enfants les incluent déjà et les incluront de plus en plus. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.) Et vous serez bien mal à l’aise lorsque, par curiosité, ils liront les comptes rendus de nos débats ! (Mêmes mouvements. –Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
     
    Nous avons donc décidé d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe. Le mariage, comme je l’ai montré références historiques et juridiques à l’appui, a été une institution de propriété puisqu’il a d’abord servi à marier des patrimoines, des héritages et des lignées.

    M. Yves Fromion. Vous réécrivez l’histoire !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Il a été une institution de possession puisque le mari et père avait une autorité absolue sur l’épouse et les enfants. Il a été une institution d’exclusion, nous l’avons vu : le mariage civil a mis un terme à l’exclusion des croyants non catholiques et de certaines professions, donc de toute une série de citoyens. Ce mariage, qui a été une institution d’exclusion, va enfin devenir, par l’inclusion des couples de même sexe, une institution universelle. Enfin, le mariage devient une institution universelle !
     
    Vous pouvez continuer à refuser de voir, à refuser de regarder autour de vous, à refuser de tolérer la présence, y compris près de vous, y compris, peut-être, dans vos familles, de couples homosexuels. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. André Schneider. C’est quoi, le débat, pour vous ?

    M. Claude Bartolone. S’il vous plaît !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Vous pouvez conserver le regard obstinément rivé sur le passé (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…

    M. Philippe Meunier. C’est vous qui êtes dépassés !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    …et encore, en regardant bien le passé, y trouverez-vous des traces durables de la reconnaissance officielle, y compris par l’Église, de couples homosexuels. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
     
    Vous avez choisi de protester contre la reconnaissance des droits de ces couples ; c’est votre affaire. Nous, nous sommes fiers de ce que nous faisons. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

    M. Lucien Degauchy. Ah oui, il y a de quoi !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Nous en sommes si fiers que je voudrais le définir par les mots du poète Léon-Gontran Damas : l’acte que nous allons accomplir est « beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit s’épanouir enfin les pétales ». Il est « grand comme un besoin de changer d’air ».

    Plusieurs députés du groupe UMP. Ridicule ! C’est à pleurer !

    Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

    Il est « fort comme le cri aigu d’un accent dans la nuit longue ».

    (Les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR se lèvent et applaudissent longuement. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    (via slate.fr)

  • D.Bertinotti (29 janvier)

    30 janvier 2013

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée chargée de la famille.

    Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, les débats sociétaux ont été nombreux au sein de cet hémicycle : les uns anticipateurs, les autres accompagnateurs des évolutions de la société.
     
    En effet, il est des temps où la représentation parlementaire a la possibilité de voter des lois qui devancent l’évolution de la société civile et résolvent des problèmes avant qu’ils ne se posent de manière conflictuelle. Mais il est d’autres temps où la représentation parlementaire a la possibilité de voter une loi qui accompagne l’évolution, dans le meilleur des cas sans trop de retard, en prenant acte d’un état des mentalités et des mœurs qui impose une nouvelle législation. Nous sommes précisément à ce moment-là. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
     
    Oui, cette réforme visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe est une avancée égalitaire.

    Un député du groupe UMP. Un recul !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Il n’est pas si loin, le temps où les homosexuels étaient stigmatisés,…

    M. Philippe Meunier. Hors sujet !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    …passibles d’une peine délictuelle jusqu’en 1982 en France. Il a fallu attendre 1990 pour que l’OMS retire l’homosexualité de la liste des maladies mentales. On vient de loin dans le rejet et la discrimination qui ont engendré bien des souffrances inutiles, aussi bien pour les homosexuels que pour leurs familles.

    M. Yves Fromion. Personne ne le conteste !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Ils nous l’ont dit lors des auditions, et je cite : « Mon homosexualité n’est pas le souci, c’est l’image de moi et de ma vie qu’on me renvoie et qui me blesse. »
     
    Comme femme, comme femme de gauche, comme citoyenne, comme ancienne élue de la République, je ne peux admettre qu’au nom de leur orientation sexuelle, d’autres citoyens ou citoyennes puissent être entravés par la peur, la culpabilité, subir les injures, le rejet, l’intimidation ou éprouver le dégoût de soi, la solitude morale et physique, d’autant plus quand il leur est demandé de choisir entre leur sexualité et leur famille.
     
    La République doit retrouver sa vocation universelle et, en particulier, celle de l’universelle dignité humaine. Plus personne ne doit être clandestin dans sa famille, clandestin dans la société, clandestin dans la République.

    M. Hervé Mariton. Cela n’a rien à voir !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Le regard de la société a commencé à changer, mais encore trop timidement : seule une loi d’égalité peut le transformer radicalement. Comme on lutte contre le sexisme, comme on lutte contre le racisme, comme il nous faut encore lutter contre l’homophobie, cette réforme visant à ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe s’inscrit dans la lignée des lois luttant contre toute forme de discrimination.

    M. Hervé Mariton. C’est faux !

    Mme Laurence Dumont. C’est vrai !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Elle est ainsi utile à l’ensemble de la société

    .

    Un député du groupe UMP. Fossoyeurs !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Cette loi est également utile, parce qu’elle nous oblige, nous et la société française, à regarder en toute objectivité la réalité des familles d’aujourd’hui. Comme ministre de la famille, comme ministre de toutes les familles, je vous invite à faire ce constat. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
     
    La généralisation du travail des femmes, la meilleure maîtrise de la contraception, la création et le perfectionnement des techniques d’assistance médicale à la procréation ont changé le visage de la famille et fait évoluer les repères traditionnels de la filiation. Aujourd’hui, conjugalité, sexualité, procréation, amour ou sentiments peuvent être séparés les uns des autres et agencés par chacun de nos concitoyens comme ils l’entendent.

    M. Xavier Breton. Ça, c’est votre conception des choses !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Chacun a pris le gouvernement de sa vie sentimentale : voici un phénomène inédit au regard des siècles passés. Le fait est là : la famille repose désormais sur la volonté des individus.

    M. Nicolas Dhuicq. C’est l’hybris !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Depuis les années 1970, les familles ont opéré une révolution silencieuse qu’Irène Théry qualifie de « révolution de velours ». Ces changements ont été acceptés parce que la famille, n’en déplaise à quelques-uns, loin d’être une institution figée dans des structures immuables, est un formidable facteur d’adaptation au changement. Les mots eux-mêmes ont changé et traduisent cette évolution sociétale.

    M. Hervé Mariton. Cette révolution !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Qui parlerait encore aujourd’hui d’enfants bâtards, d’enfants adultérins, de filles-mères, quand on sait que 56 % des enfants naissent hors mariage ?

    M. Jean-Claude Perez. Eux !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Le regard de la société a beaucoup évolué, sans remettre nullement en cause la volonté de « faire famille ». Et, s’il fallait vous en convaincre, pour plus de huit Français sur dix, la famille est devenue la première des priorités. De plus, 63 % de nos concitoyens considèrent que le bien-être, c’est d’avoir une famille, quelle qu’elle soit.

    M. Hervé Mariton. Vous mélangez tout !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    On a souvent jugé la valeur famille passéiste, saisissons cette chance pour que ce débat lui redonne ses lettres de modernité. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
     
    Moins que jamais il n’y a déclin de la famille,…

    M. Philippe Meunier. Vous cassez la famille !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    …car elle demeure le lien par excellence entre les générations, jouant un rôle d’autant plus important du fait de la prolongation de la vie humaine. Plus que jamais, elle est chargée de la quête affective et du bonheur que tous, adultes comme enfants, attendent des relations privilégiées qui s’y établissent.
     
    En revanche, il n’y a plus de modèle familial unique : c’est une évidence. Chacun invente le sien, chacun doit pouvoir le choisir. C’est pourquoi cette diversité des modèles familiaux appelle des avancées nombreuses de notre droit, qui seront l’objet d’un autre projet de loi que le Gouvernement est en train de préparer. (« Nous y voilà ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
     
    Pour l’heure, la loi que nous vous présentons s’inscrit dans la lignée d’une série de lois qui ont déjà fait évoluer notre code civil. Dès 1804, Napoléon Bonaparte n’a-t-il pas dit, au moment de la rédaction de ce code : « Les lois sont faites pour les mœurs et les mœurs varient. Le mariage peut donc être soumis au perfectionnement graduel auquel toutes les choses humaines paraissent soumises » ?
     
    Depuis lors – et Christiane Taubira l’a très bien rappelé –, la liste des modifications du droit de la famille s’est beaucoup enrichie. En 1938, les femmes mariées acquièrent la capacité juridique. En 1965, elles acquièrent l’indépendance dans l’exercice d’une profession et dans l’usage de leurs revenus. En 1970, la puissance paternelle est remplacée par l’autorité parentale partagée entre les deux parents. En 1975, la législation sur le divorce est assouplie et le divorce pour rupture de vie commune est créé.

    M. Hervé Mariton. Est-ce que c’est le sujet ?

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    En 2005, la distinction entre enfants légitimes, naturels ou adultérins est supprimée. En parallèle, sont reconnues les formes d’union alternatives au mariage : concubinage et PACS.
     
    Vous ne pensez pas que tout cela ait pu s’accomplir sans réticence. Combien de fois la fin du monde nous a-t-elle été annoncée, sans jamais avoir lieu ?
     
    Rappelez-vous les mises en garde de Pierre Mazeaud en 1970, hostile au partage de l’autorité parentale…

    M. Xavier Breton. Parlez-nous d’Elisabeth Guigou !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Je le cite : « Je voudrais, mes chers collègues, m’efforcer de vous préciser combien à notre époque, le texte qui nous est soumis est lourd de conséquences. Que l’on ne me taxe pas d’antiféminisme. Mais qu’on sache que ce projet risque d’aggraver la dissolution de la famille, pourtant cellule de base de toute société. »
     
    De surcroît, comme si la parole politique ne pouvait suffire, il fait appel aux pédiatres et psychanalystes : « La mère exerçant l’autorité parentale, n’est-ce pas affirmer que l’enfant devient finalement l’arbitre des décisions qui le concernent ? », avant de conclure avec gravité : « Je crains qu’il n’y ait des effets graves d’ici quelques années. ». Or ces effets graves n’ont pas eu lieu, et l’on voit aujourd’hui combien ces peurs étaient infondées. Refusons les peurs !
     
    La loi voulue aujourd’hui est une avancée pour tous. Tous les choix respectueux des valeurs de la République doivent obtenir d’elle la même reconnaissance et la même protection : c’est pour toutes les familles que l’État se veut confiant, sécurisant et exigeant.
     
    Cette loi apportera une réponse aux difficultés concrètes que rencontrent les familles homoparentales dans lesquelles vivent de 40 000 à 300 000 enfants en France. Ils n’ont en effet, pour l’heure, de lien établi qu’avec l’une des deux personnes du couple, ce qui les plonge dans l’incertitude du lendemain en cas de décès ou de séparation. La loi permettra de régler de nombreuses situations, en autorisant notamment l’adoption de l’enfant du conjoint.
     
    Redéfinir les contours juridiques des liens qui unissent et protègent adultes et enfants : voilà ce à quoi est invitée la société aujourd’hui, voilà ce que nous dicte l’intérêt de l’enfant.
     
    Mais vous savez aussi qu’il y a une multiplication des acteurs impliqués dans sa conception et son éducation. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Force est de reconnaître que la filiation ne peut plus se résumer à la seule filiation biologique, ne serait-ce que parce que l’adoption d’un enfant ou le recours à la procréation médicalement assistée autorisée à des couples hétérosexuels a fait évoluer la donne.
     
    M. Hervé Mariton. Pour des raisons médicales, pas pour des raisons sociétales !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    La filiation ne peut plus se réduire au fait procréatif, même s’il s’agit de lui donner la place qui lui revient dans l’histoire de tout individu. Elle s’est enrichie aujourd’hui de la relation sociale et affective qui se noue de plus en plus fréquemment entre l’enfant et l’adulte qui l’éduque.

    M. Xavier Breton. Ce n’est pas ça, des parents !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Le plus grand service que l’on puisse rendre à un enfant, c’est de lui reconnaître une histoire dont tous les acteurs et toutes les dimensions, qu’elles soient sociales, biologiques ou culturelles, puissent être connus.
     
    Assurément, cette loi répond à une vision généreuse de la famille, une vision qui inclut et non qui exclut (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.). Cette vision est largement partagée par des pays de plus en plus nombreux. À ce jour, il existe plus d’une quinzaine de pays qui se sont engagés ou qui s’engagent dans cette voie. Lorsque David Cameron, Premier ministre britannique conservateur, dit : « Le mariage est une grande institution, il n’y a pas de raison que les homosexuels en soient exclus »,…

    M. Hervé Mariton. Je ne peux pas vous laisser dire ça !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    …lorsque l’un des députés uruguayens, auteur de la loi sur le mariage, tient le propos suivant : « Ce n’est pas une loi sur le mariage homosexuel ou gay. Il s’agit d’une mesure pour égaliser l’institution du mariage indépendamment du sexe du couple », lorsque Manu Sareen, ministre danois de l’égalité et des affaires ecclésiastiques, dit : « Il s’agit d’égalité (...) c’est un immense pas en avant », lorsque Barack Obama, à l’occasion de son discours d’investiture, s’exprime ainsi : « Notre voyage ne sera pas terminé tant que nos frères et sœurs homosexuels ne seront pas traités comme tout le monde par la loi », peut-on balayer d’un revers de main les propos de ces responsables politiques, hommes et femmes, d’horizons différents ? Peut-on les soupçonner tous de vouloir détruire le mariage et la famille ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
     
    Il est temps de reconnaître à chacun, quelle que soit son orientation sexuelle, la liberté de choisir la façon dont il fait famille.

    M. Hervé Mariton. Que signifie cette expression, « faire famille » ?

    M. Xavier Breton. Où cela s’arrêtera-t-il ?

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Reconnaître cette liberté, c’est reconnaître la liberté de tous nos concitoyens. Elle est au cœur même de notre République, cette République que Jean Jaurès a si bien définie dans son adresse à la jeunesse : « La République, c’est un grand acte de confiance. La République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action, qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre. Oui la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. » Confiance et audace ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
     
    J’en appelle, au-delà de la conviction intime de chacun, de ses engagements philosophiques ou religieux, de sa propre expérience, aux forces du changement, aux forces du progrès, à celles qui font avancer l’Histoire. La loi et le droit doivent être les mêmes pour tous. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)
     
    Mais aucune avancée nouvelle n’est possible, aucune ne peut avoir de sens, tant que subsiste l’inégalité de principe qui frappe les couples de même sexe et les familles homoparentales, qui leur barre l’accès à des formes d’engagement – le mariage, la filiation – ouvertes à toutes les autres familles.
     
    Reconnaître la diversité, ce n’est pas créer des régimes juridiques spécifiques à une catégorie ou qui lui seraient plus particulièrement destinés, comme l’opposition nous le propose. Quand on aime la famille, on aime toutes les familles. Je me tourne vers les rangs de l’opposition (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP), même si je sais qu’en son sein il y a des hommes et des femmes d’ouverture, pour leur rappeler les propos de Nicolas Sarkozy en 2009, qui parlait d’« erreur » commise par la droite à l’époque du PACS : « C’était ridicule et outrancier. On s’est trompés. Jamais il ne faut se raidir, jamais il ne faut se bunkériser, jamais il ne faut détester. » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    Mme Arlette Grosskost. C’était pour le pacte civil !

    M. Matthias Fekl. Pour une fois qu’on applaudit Sarko !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    Ouvrons donc les mêmes droits dans des conditions qui permettent à tous d’y accéder.
     
    J’en appelle à votre attachement républicain et laïc pour refuser toute forme d’exclusion. C’est une tâche exigeante, inlassable. François Mitterrand, en 1981, devant l’Union nationale des associations familiales, nous y invitait déjà : « À chaque période de la vie, comme à chaque période de la vie d’une société, dans une civilisation qui se veut noble et juste, rien n’est facile. Rien, car tout est intolérance. Tout nous invite à ne pas tolérer l’autre, à ne pas l’accepter, à défendre son quant-à-soi par une sorte de mouvement animal qui nous porte à considérer comme une atteinte à notre personnalité l’adresse que l’autre nous fait. Il n’y a qu’une seule réponse. Cela porte un nom peut-être désuet en politique, cela s’appelle l’amour. » (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR, RRDP et écologiste.)

    Mme Marie-Jo Zimmermann. Mais c’est nul !

    Mme Dominique Bertinotti, ministre déléguée.

    J’ajoute, très modestement, que cela s’appelle la fraternité, car la famille est le creuset des solidarités par excellence, un lieu de confiance et d’entraide, dans un monde qui en manque par trop. Cela s’appelle la liberté, lorsque la République permet à chacun d’être responsable dans sa vie personnelle, dans sa vie familiale, dans sa vie sociale. Cela s’appelle l’égalité, lorsqu’on permet aux membres de la société d’être, comme on le dit, tous différents, mais tous pareils.
     
    Alors votez cette loi d’égalité des droits et des devoirs. Votez cette loi nécessaire. Votez cette loi nécessaire maintenant. (Les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR se lèvent et applaudissent longuement.)
  • Erwann Binet (29 janvier)

    30 janvier 2013

    M. Erwann Binet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

    Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, l’esprit et le sens du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe est d’instaurer l’égalité entre tous les citoyens. Il vise à permettre aux homosexuels qui vivent en couple, à ceux qui ont des enfants, de se marier. Il s’agit de donner des droits essentiels à certains de nos compatriotes qui s’en trouvent encore aujourd’hui dépourvus. C’est une avancée sociétale, c’est un bond en avant des libertés publiques et, comme à chaque fois que notre pays fait progresser l’égalité et reculer les différenciations injustifiées ou les discriminations, c’est un progrès indéniable.
     
    Les familles homoparentales existent dans notre pays.

    M. Jean Glavany. Eh oui !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Elles sont nombreuses, et le seront encore davantage demain. Les travaux menés durant les auditions ont permis de sortir enfin du silence et de la pénombre ces familles oubliées depuis trop longtemps, ce dont nous pouvons tous nous féliciter. Le débat dans le pays a permis une avancée considérable de ce point de vue en mettant au jour, devant de nombreux Français qui en ignoraient même l’existence, les familles homoparentales et leurs enfants. Aux enfants nés de couples hétérosexuels divorcés dont l’un des membres s’est révélé homosexuel, s’ajoutent les enfants adoptés par l’un des deux membres du couple et, bien sûr, les enfants de couples homosexuels nés par assistance médicale à la procréation pratiquée dans un pays voisin – je pense à la Belgique, à l’Espagne ou aux Pays-Bas. Puisque des doutes et des interrogations se sont souvent exprimés sur les questions de filiation dans ces familles, autant le dire tout de suite : aucune étude ne jette de suspicion sérieuse sur les familles homoparentales.

    M. Hervé Mariton. Mais si, c’est le contraire !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. Le rapporteur a raison !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    La très grande majorité d’entre elles montrent que les enfants se portent ni mieux, ni moins bien que dans les familles hétérosexuelles. Le nombre de ces études devient considérable et impose un faisceau de conclusions concordantes : les enfants issus de familles homoparentales sont des enfants comme les autres. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe SRC.)

    M. Hervé Mariton. Ce ne sont pas des études, mais des manifestes !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Pour autant, les familles homoparentales ne sont pas aujourd’hui des familles comme les autres, car leur existence n’est pas reconnue par notre droit, leur engagement de couple et la protection de leurs enfants sont ignorés par la République. Dans ces familles, le divorce n’existe pas et le juge ne peut départager un droit de garde ni statuer sur une pension alimentaire ; dans ces familles, le décès d’un seul des deux membres du couple peut créer des orphelins,…

    M. Hervé Mariton. Faux !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    …et une déchirure se surajoute alors au drame. Je dois exprimer mon extrême admiration pour les couples et les familles que la commission a rencontrés, pour la maturité et la sérénité avec lesquels ils envisagent leur avenir en ayant tous intégré un paramètre essentiel et très présent dans leur vie : en cas de drame, la loi n’est pas là pour les protéger et la société les délaissera.
     
    Les stratégies les plus élaborées permettent de combler ce vide. Ainsi, il n’est pas rare, dans ces familles, de donner comme deuxième prénom à son enfant le patronyme du conjoint non reconnu par la loi, celui qu’on appelle le parent intentionnel. De même, il est courant que le parent légal alimente, au profit de son compagnon ou de sa compagne, un dossier qui accumule tout au long des années les traces du lien qui existe avec les enfants. Imaginons-nous un instant, chers collègues, à la place de ces couples : imaginons-nous mettre soigneusement de côté telle photo pour prouver une présence, tel cadeau de fête des pères pour prouver un lien d’affection, telle facture acquittée pour démontrer un soutien alimentaire, et tout cela dans une perspective qui se rappelle à vous chaque jour à chaque instant, celle de la séparation et de ses conséquences pour les enfants.
     
    Le PACS a sans nul doute permis une meilleure acceptation de l’homosexualité dans la société, mais le cadre législatif du PACS ne permet pas d’assurer une sécurité et une protection juridique suffisantes aux projets de vie des couples homosexuels. D’ailleurs, c’est un contrat, qui relève à ce titre dans le code civil du droit contractuel, organisant la vie commune de deux personnes physiques majeures : il accorde essentiellement des droits sociaux et fiscaux aux deux contractants. Les conditions et les effets du PACS ne sont donc pas comparables avec ceux du mariage : il n’a aucune vocation successorale. Certes, il permet une attribution préférentielle du logement en cas de décès du conjoint, accorde quelques abattements fiscaux, facilite les mutations des fonctionnaires ou la prise simultanée de congés payés par les co-contractants, et offre donc des droits qui répondent aux besoins de la vie quotidienne d’un couple, mais ne reconnaît pas le désir d’union de ce couple. Il ne protégera pas les enfants du couple homosexuel en cas de séparation ou de décès car le PACS ne reconnaît pas la famille. Dès lors, même si nous nous réjouissons tous de l’unanimité que recueille sur tous les bancs le PACS aujourd’hui – je le dis vraiment sans malice –, il est clair que la nature de ses dispositions ne permet pas d’apporter une réponse juridique à la réalité des familles homoparentales.
     
    Il nous faut apporter à ces couples et à leurs enfants, pour aujourd’hui et pour l’avenir, la stabilité et la protection à laquelle ils ont droit comme tout le monde. Il leur faut nécessairement bénéficier de la même reconnaissance par la société. Dans notre droit, ce qui apporte à un couple et à une famille la stabilité, la protection et la reconnaissance sociale, ce n’est pas un contrat, mais une union, une institution, et celle-ci s’appelle le mariage.

    M. Patrick Bloche. Très bien !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe ouvre ainsi cette belle institution aux personnes qui en étaient exclues jusqu’à présent. Il donne tous les droits à des couples encore stigmatisés et considérablement restreints dans leur liberté. Il apporte enfin une vraie solution à la précarité et à l’insécurité juridique que subissent des dizaines de milliers d’enfants élevés par deux hommes ou par deux femmes.
     
    Le texte n’a pas pour but de créer un statut particulier aux couples homosexuels : il les intègre dans le droit commun du code civil. Le mariage est le seul acte juridique par lequel deux personnes établissent une union légitime reconnue devant la loi et qui, au-delà des aspects sociaux et fiscaux, accorde des droits et des devoirs aux membres du couple marié : les époux sont de facto héritiers, le mariage leur permet de porter le même nom, d’acquérir la nationalité française par simple déclaration, ils bénéficient d’une pension de réversion et sont considérés conjointement comme les parents légaux des enfants issus de leur couple.
     
    La publication préalable des bancs en mairie et la célébration par l’officier d’état civil révèlent qu’au-delà du statut juridique, le mariage manifeste aussi la reconnaissance publique du couple et de sa volonté de construire une famille. C’est pourquoi il ne pouvait pas y avoir d’autre solution que celle du mariage. Lorsque, en mairie, un élu prononce les formules consacrées, il manifeste la reconnaissance de la société tout entière, il jette sur ce couple, devant témoins, amis et familles, un regard favorable et porte un discours bienveillant. Un tel regard, un tel discours, c’est aujourd’hui la meilleure arme contre l’homophobie. Ouvrir l’institution du mariage aux couples de même sexe, c’est dire au jeune adolescent qui se révèle homosexuel : « Tu peux vivre ta vie. » ; c’est affirmer à l’enfant vivant dans une famille homoparentale : « Tu n’as pas à avoir honte de tes parents. » ; c’est permettre aux couples homosexuels de vivre comme tout autre couple de ce pays.
     
    Au nom de la portée symbolique du mariage civil, il n’est donc pas envisageable de laisser croire aux maires qu’ils pourraient se retirer, faire jouer la clause de conscience. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Claude Goasguen. Ça, c’est Hollande !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Lorsqu’un couple s’adresse à la mairie pour se marier, il n’a que faire des compétences ou de la bonne conscience du maire ; la seule chose qui compte, c’est l’écharpe tricolore que porte celui-ci. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

    Mme Marie-George Buffet. Très bien !

    M. Jacques Pélissard. C’est inacceptable de dire ça !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    En 2013, la République n’accepte plus l’exclusion des familles homoparentales, et c’est heureux. Le projet de loi répond indéniablement à l’intérêt de ces couples et à l’intérêt des enfants.
     
    On a parlé de transgression de la nature humaine.

    M. Yves Fromion. Personne n’a dit cela !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    L’homosexualité existe. Elle n’est donc pas hors de la nature.

    M. Bernard Roman. Très bien !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Les familles homoparentales existent. Elles ne sont donc pas contre-nature. De surcroît, les compétences et l’instinct paternels ou maternels sont naturels chez toute personne désireuse de devenir parent, indépendamment de son orientation sexuelle.

    M. Jean-François Lamour. Ce n’est pas un bon rapporteur !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Le projet de loi ne nie pas la différence des sexes, l’existence différenciée du féminin et du masculin, mais ce n’est pas la seule base, le seul fondement, le seul modèle du désir, de la sexualité, du couple et de la famille.
     
    Les couples homosexuels font des enfants (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et ils continueront à en faire parce qu’ils n’ont besoin ni de notre indulgence, ni de notre approbation.
     
    Être père ou être mère, ce n’est pas uniquement affaire d’hormones et de gènes, c’est une construction, une volonté, c’est reconnaître un enfant. Dans notre code civil, les règles relatives à la filiation sont avant tout des constructions sociales, elles peuvent évoluer, elles ne sont pas le décalque de la procréation. Un grand pas a ainsi été franchi, en plusieurs étapes successives, pour supprimer la différentiation qui a longtemps présidé au destin des enfants, selon qu’ils étaient nés légitimes dans le mariage ou enfants naturels hors du mariage. La discrimination entre l’un et l’autre était devenue si insupportable que la République l’a fait disparaître. Le geste était d’autant plus fort qu’il revenait à renoncer à pénaliser les enfants pour les actes, jugées négativement par la société, de leurs parents. Serions-nous revenus si loin en arrière pour entendre aujourd’hui certains refuser des droits aux enfants vivant au sein de familles homoparentales, en raison de l’orientation sexuelle de leurs parents ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Régis Juanico. En effet !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    En affirmant une place égale à la filiation juridique, affective et sociale, le code civil a conduit à élaborer un autre modèle de parenté où la filiation homosexuelle devient alors possible. La France ne peut pas tolérer qu’il y ait sur son sol des enfants non protégés du fait de l’orientation sexuelle de leurs parents. Il n’est pas concevable d’accepter, à travers le PACS, la vie de couple, l’amour entre personnes de même sexe, de constater qu’elles font des enfants tout en leur refusant l’accès à l’institution qui rassemble le tout : le mariage.
     
    Nous avons mené de très nombreuses heures d’auditions qui nous ont apporté un solide éclairage grâce au large faisceau de connaissances, d’expertises, et de compétences : plus de cent vingt personnes sont venues présenter leur expérience ou leur vécu devant les députés. Plusieurs d’entre nous se sont également rendus à Bruxelles pour partager l’expérience d’un pays qui a ouvert, depuis de très nombreuses années, le mariage et la procréation médicalement assistée aux couples homosexuels.
     
    Je tiens à remercier le président de la commission des lois et le président de l’Assemblée nationale pour avoir accepté les conditions d’organisation et de publicité exceptionnelles qui ont présidé à la tenue de ces auditions. Je tiens aussi à remercier le Gouvernement pour son écoute et pour la bienveillance qu’il a réservée aux initiatives parlementaires, madame la garde des sceaux, madame la ministre.

    M. Philippe Meunier. N’en rajoutez pas !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Enfin, Je tiens à saluer le travail de la rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.
     
    Le débat dans la société a foisonné depuis plusieurs mois, ce qui révèle bien la place fondamentale que prend la famille dans notre société, et c’est tout naturellement que le législateur répond aujourd’hui, non sans retard, à ses évolutions.
     
    Les débats qui vont suivre seront sans nul doute historiques. Il est d’autant plus important de les aborder avec la plus grande humilité. En effet, il faut avoir l’humilité de ne pas se mettre dans la posture de celui qui pourrait décider quels individus peuvent construire une famille, élever des enfants ou, pire, décider quels enfants doivent naître ou non en fonction de qui sont ses futurs parents. Je déplore le refus de certains de voir la société comme elle est, d’accepter nos concitoyens comme ils sont, de vouloir imposer à tous et pour toujours un modèle : le leur. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

    M. Nicolas Dhuicq. Mais c’est vous qui imposez un modèle !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Soyons humbles face aux Français, mais conscients des regards portés aujourd’hui sur la France, car le monde entier reconnaît notre pays comme celui qui a posé les fondements de valeurs universelles et des droits de l’homme. L’ouverture du mariage pour les couples de même sexe en France bénéficiera, parce que c’est la France, d’une formidable portée symbolique. Nos paroles, nos raisonnements, nos votes seront observés et regardés en Europe parce que nous sommes parmi les leaders européens, et dans le monde parce que la francophonie permet à des millions de personnes de voir et d’écouter la France.
     
    Ouvrir le mariage aux couples de même sexe en France est un signal d’espoir et de confiance pour ceux qui croupissent en prison pour des faits d’homosexualité, pour ceux qui se cachent, pour ceux sur lesquels on fait peser le poids de la honte et du déshonneur. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe ici, c’est donner tort aux députés russes qui ont adopté vendredi dernier, en première lecture à la Douma, une proposition de loi punissant tout acte public constituant une « propagande de l’homosexualité auprès des mineurs ». (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR), c’est condamner la lapidation sur place par la foule du marché de Maroua, au Cameroun, le 6 janvier dernier, de deux homosexuels surpris ensemble. (Mêmes mouvements. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Yves Nicolin. Cela n’a rien à voir !

    M. Jean-Claude Perez. Ça vous fait mal, chers collègues de l’opposition, mais c’est vrai !

    M. le président. Seul M. le rapporteur a la parole. Chacun aura largement le temps de lui répondre.

    M. Erwann Binet.

    Il est impensable que la République de la liberté – donc de la liberté d’assumer son orientation sexuelle –, de l’égalité – donc des mêmes droits pour tous –, de la fraternité – donc de l’interdiction de toute discrimination –, il est impensable, disais-je, que cette République ignore, méprise ses enfants homosexuels, les couples qu’ils forment et leurs familles.
     
    Dans leurs villages et dans leurs quartiers, ces familles homosexuelles sont banalement reconnues et insérées dans la vie quotidienne : les professeurs, la boulangère, les élus, les parents d’élèves connaissent la situation. Certains enfants sont baptisés en connaissance de cause, nous l’avons entendu lors des auditions. Aujourd’hui, il n’y a plus que la loi qui nie leur existence, l’évidence.

    M. Xavier Breton. C’est un mensonge de dire qu’ils ont deux papas et deux mamans, mais ça ne les empêche pas de vivre !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Permettez-moi de faire un vœu. Dans bon nombre de pays ayant ouvert le mariage et la filiation pour les couples de personnes de même sexe, il y a eu convergence entre la droite et la gauche. Au Danemark tous les partis ont soutenu le projet de loi excepté l’extrême droite. En Suède, la majorité au vote était constituée des partis libéraux, de centre droit et de toute l’opposition de gauche. Au Québec, le texte a été adopté à l’unanimité, en commission comme en séance plénière. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
     
    Dans d’autres pays, la loi n’a pas été victime des alternances politiques. En Espagne, après des débats très véhéments en 2005, le Premier ministre issu du Parti Populaire, Mariano Rajoy n’a pas envisagé une minute d’abroger la loi, allant jusqu’à affirmer après la décision de la Cour constitutionnelle que son parti était surtout gêné par le mot mariage et qu’il avait toujours été favorable à la totalité des droits pour tous.

    Plusieurs députés du groupe UMP. On est en France !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    David Cameron lui-même n’a pas hésité à déclarer : « Les conservateurs croient aux liens qui nous soudent, ils croient que la société est plus forte quand nous nous unissons et que nous nous entraidons. » Et d’ajouter : « Je soutiens le mariage gay parce que je suis conservateur. » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Philippe Meunier. Vous le citez quand cela vous arrange !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    N’en doutez pas, dans quelques années tout au plus après l’adoption de ce texte, nous nous rallierons tous au mariage pour les couples de même sexe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Razzy Hammadi. Eh oui !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Et, dans les mois qui suivront l’adoption de ce texte par notre assemblée, pas une commune en France ne refusera de marier deux hommes ou deux femmes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) C’est ainsi que cela s’est passé dans tous les pays du monde qui ont ouvert le mariage aux couples de personnes de même sexe, et il en ira de même en France.
     
    Il y eut un temps où l’on brûlait les homosexuels en place de Grève. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Il y eut un temps où l’on réprimait l’homosexualité, brutalement par la déportation, l’internement psychiatrique ou plus sournoisement par la pénalisation des relations homosexuelles avant l’âge de la majorité.
     
    Il y eut le temps où notre assemblée classa l’homosexualité dans la catégorie des fléaux sociaux au même titre que le proxénétisme, l’alcoolisme, la tuberculose, la prostitution. C’était en 1960.

    Mme Valérie Boyer. On n’était pas nés !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Il y eut un temps où elle refusa de dépénaliser l’homosexualité pour les mineurs de dix-huit ans. C’était en 1980.
     
    Il y eut un temps, jusqu’en 1981, où notre République entretenait, au sein du ministère de l’intérieur, un groupe de contrôle des homosexuels et alimentait des fichiers les concernant.

    M. Jean-Claude Perez. Eh oui !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    Il y eut l’époque où l’homosexualité était inscrite par l’Organisation mondiale de la santé sur la liste des maladies mentales. C’était encore le cas jusqu’en 1990.
     
    Il y eut un temps où l’homosexualité n’était plus pénalisée mais où les mots remplacèrent la violence des actes. Ce fut le cas lors des débats précédant l’adoption du PACS, il y a quinze ans.
     
    Alors que l’homosexualité est punie par la mort dans six pays et pénalisée dans quatre-vingt-huit pays, où la stigmatisation règne encore dans la plupart des autres, souvent entretenue par les pouvoirs religieux, il est enfin venu le temps, en France, de la reconnaissance à part entière par la République des homosexuels, de leur vie de couple et de leurs familles. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
     
    Cet aboutissement, nous le devons à toutes celles et tous ceux qui se sont mobilisés depuis tant d’années dans ce beau combat pour l’égalité. Cet aboutissement, nous le devons surtout au peuple français, qui a porté à sa tête un Président de la République qui lui avait proposé, sans détour et dans la plus grande clarté, le mariage pour les couples de personnes de même sexe dans son programme. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Philippe Vitel. Comme de ne pas augmenter la TVA !

    M. Erwann Binet, rapporteur.

    C’est cette volonté que nous avons l’honneur de porter aujourd’hui.
     
    Il y eut le temps du châtiment ; il y eut le temps de la tolérance ; il est venu enfin le temps de l’égalité. (Les députés des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR se lèvent et applaudissent vivement.)
  • Véronique Massonneau (29 janvier)

    30 janvier 2013

    Mme Véronique Massonneau.

    Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, mes chers collègues, en montant à cette tribune, je pense à toutes celles et tous ceux qui nous regardent, le cœur et l’esprit partagés entre une grande espérance et une vraie angoisse.
     
    Leur espoir, c’est de voir enfin établie l’égalité de toutes et de tous devant le mariage, qui est un contrat entre deux êtres qui s’aiment, ont décidé d’unir leurs destins et parfois d’accueillir des enfants pour fonder une famille.
     
    Leur angoisse – et comment pourrait-on leur donner tort ? – c’est de voir de nouveau leur vie jetée en pâture aux caricatures, aux préjugés et aux railleries.
     
    M. Guaino n’est plus là, mais je voulais lui dire que, moi aussi, je pense à des concitoyennes et des concitoyens anonymes qui se sont adressés à moi, par courrier ou lors de rencontres inoubliables, et qui m’ont parlé du texte que nous examinons aujourd’hui. Je ne pense pas seulement à celles et ceux qui ont recopié des lettres-types et qui ont saisi l’occasion de ce texte pour exiger de la République qu’elle obéisse à des lois supérieures à la loi, comme je l’ai lu parfois.
     
    Je pense à ces adolescents rejetés lorsqu’ils découvrent leur orientation sexuelle et qui attendent de nous un message et une garantie : la garantie qu’ils pourront, elles et eux, contrairement à tant d’autres jusqu’à présent, vivre dans une société qui reconnaîtra la plénitude de leurs droits.
     
    Je pense à ces couples qui, comme tous les autres couples, se battent pour assurer leur bonheur, et le bonheur d’enfants qui sont là. Ils demandent le droit de se voir reconnus socialement. Ils attendent de voir reconnue par la loi la réalité qu’ils vivent au quotidien.
     
    Je pense à toutes celles et tous ceux qui se sont battus, au fil des années, d’abord pour la simple reconnaissance de leur identité, ensuite pour l’égalité de leurs droits.
     
    Je pense aux militants, mais aussi et surtout aux anonymes.
     
    Je pense à nos homologues parlementaires belges, espagnols, néerlandais, argentins qui, avant nous, ont débattu de ce sujet. Ils n’ont pas conduit leur pays à la faillite morale ou à la décadence. Ils ont, au contraire, contribué à pacifier leur société.
     
    Et je pense à mon collègue Noël Mamère qui, en célébrant le premier mariage homosexuel, en 2004, a fortement contribué à ouvrir le chemin. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

    M. Hervé Mariton. Quelle ode à l’inégalité ! Et la loi ?

    Mme Véronique Massonneau.

    Mesdames et messieurs de la droite – pas tous, je le sais, je le ressens – vous nous demandez d’écouter les revendications des manifestants du 13 janvier. Mais de quelles revendications parlons-nous : d’un droit à conserver, ou à conquérir ? Non, personne ne verra, par ce texte, ses droits remis en cause.

    M. Hervé Mariton. Si !

    Mme Véronique Massonneau.

    On nous parle du droit de l’enfant, mais en optant pour un slogan simpliste : « Un papa, une maman, un enfant ». Mesure-t-on la stigmatisation que cela représente ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Hervé Mariton. C’est simple, pas simpliste !

    Mme Véronique Massonneau.

    Refuser aux familles monoparentales, aux familles homoparentales ce projet de loi, c’est leur dire : « À nos yeux, vous n’existez pas. Nous ne reconnaissons que les familles mariées, composées d’un papa et une maman. »

    M. Hervé Mariton. On n’a pas dit ça !

    Mme Véronique Massonneau.

    Vouloir, individuellement, reproduire ce schéma est tout à fait légitime. Ni plus légitime, ni moins légitime que la volonté de fonder une famille sans être marié. Ni plus légitime, ni moins légitime que la volonté de se marier lorsqu’on est homosexuel. Ni plus légitime, ni moins légitime que de vouloir des enfants pour un couple homosexuel.
     
    Je sais que vous allez, à l’écoute de cette dernière phrase, brandir l’argument de la prétendue sanctuarisation du droit à l’enfant, mais à qui ai-je demandé son avis lorsque j’ai eu mon fils ? À qui vous-mêmes qui êtes parents avez-vous demandé son aval lorsque vous avez décidé d’avoir des enfants ?

    M. Erwann Binet, rapporteur. Très bien !

    Mme Véronique Massonneau.

    Arrêtons l’hypocrisie : derrière ce faux débat du droit à l’enfant, c’est toujours la même question du choix d’avoir un enfant qui est posée. Avant-hier, c’était le choix de laisser faire la nature ou de recourir à la contraception. Hier, c’était le choix de donner la vie ou de recourir à l’IVG. Et demain, ce sera le droit, quand c’est possible, de porter son propre enfant. C’est ce qui amènera les écologistes à défendre dès ce texte, sans attendre la loi sur la famille, un amendement visant à ouvrir la PMA pour les couples de femmes.
     
    Oui, ce texte défend bien le droit de l’enfant. Regardons notre société : les familles homoparentales sont une réalité ! Or, à l’heure actuelle, les enfants issus de ces familles se retrouvent bien souvent sans cadre juridique stable.

    M. Hervé Mariton. C’est faux !

    Mme Véronique Massonneau.

    Ce projet de loi a pour but de leur assurer ce cadre juridique.
     
    Vous disiez tout à l’heure, monsieur Mariton, que chacun, sur ces bancs, a ses convictions. Nous nous affrontons, c’est le propre de la vie politique, mais nous tentons, aussi, de nous comprendre. Et je dois vous avouer, en toute sincérité, que cette opposition de certains à l’ouverture d’un droit qui n’en enlève aucun, à personne,…

    M. Hervé Mariton. Si !

    Mme Véronique Massonneau.

    …m’étonne – ou plutôt m’étonnait parce que tout à l’heure, au détour de votre discours et de celui de M. Guaino, une évidence est apparue : vous confondez égal et identique.
     
    Il aura fallu des décennies à notre République pour reconnaître qu’un homme et une femme ne sont pas identiques mais doivent être égaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP.)
     
    De la même manière, un couple homosexuel n’est pas identique à un couple hétérosexuel mais, en République, il doit en être l’égal. C’est de cela qu’il s’agit, mes chers collègues : d’égalité. (Mêmes mouvements.)
  • MF Clergeau (29 janvier)

    30 janvier 2013

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales.

    Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui est de ceux qui font l’honneur de notre assemblée et de notre fonction de député, car nous n’avons pas tous les jours la possibilité de faire progresser l’égalité, de faire vivre plus pleinement notre devise républicaine.

    M. Christian Jacob. Cela n’a rien à voir avec l’égalité !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Alors, sans galvauder le terme, n’ayons pas peur de dire que c’est un texte historique à plus d’un titre.
     
    Il l’est d’abord par le regard qu’il porte sur l’homosexualité. Pour la République, l’homosexualité est simplement une façon de vivre sa sexualité. Les homosexuels ne sont plus une catégorie à part, comme certains le voudraient encore, non plus qu’un groupe qui ne serait défini que par sa seule orientation sexuelle.
     
    Ce texte nous invite à abandonner ces clichés, à lutter contre ces stéréotypes qui ne font que stigmatiser la différence au risque parfois d’attiser la haine et la violence. Il est temps de regarder la réalité en face : les gays et les lesbiennes, comme les hétérosexuels, font notre société. Ils sont les voisins croisés dans l’escalier, les parents d’élèves dans le collège de nos enfants, les collègues de bureau, nos frères, nos sœurs, nos enfants, les amis avec lesquels nous partageons nos joies et nos peines.
     
    Eh bien je vous le dis, mes chers collègues, pour ces voisins, ces parents, ces proches, ces collègues, ces enfants, ces amis, nous revendiquons les mêmes droits que pour nous. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
     
    Je qualifie ce texte d’historique parce qu’il accompagne un changement d’idéal de vie. La sexualité relève de la sphère privée, mais n’a plus besoin d’être dissimulée. Les couples homosexuels deviennent visibles et expriment leur volonté de fonder une famille, y compris par le mariage.
     
    Le projet de loi reconnaît le droit à chaque couple de construire sa vie en faisant librement le choix du mariage, du pacte civil de solidarité ou de l’union libre. Chacun aura ainsi pleinement sa place dans le projet républicain, sans communautarisme ni particularisme, car il ne s’agit pas de créer un droit spécifique, mais d’intégrer les homosexuels dans le droit commun. Il s’agit de les considérer comme les autres, comme tout le monde.

    Mme Linda Gourjade. Très bien !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Ce qui se joue aujourd’hui c’est le droit à l’indifférence, le droit à l’égalité.
     
    L’opposition en est restée à proposer une union ou une alliance civile, sorte d’intermédiaire entre le PACS et le mariage. Pourquoi n’avoir pas eu cette idée en 1999 ? À cette époque, la question de l’union civile pouvait se poser, pour aller plus loin que le PACS et permettre la succession et la pension de réversion. Mais c’était il y a quatorze ans. Aujourd’hui, les couples mesurent les lacunes de cette formule en matière de filiation et d’adoption.
     
    Cette proposition d’union civile est d’autant plus anachronique que, si l’on admet que les homosexuels ne sont pas des citoyens de seconde zone, il est temps de passer d’une situation où un droit leur est refusé à une situation où, comme tous les couples, ils peuvent faire le choix de la forme de leur union.
     
    Ce projet de loi s’inscrit dans l’évolution de notre société mais, rappelons-le, il ne modifie pas le mariage pour les couples hétérosexuels. Il ouvre le mariage aux couples homosexuels, c’est-à-dire qu’il étend l’accès à ses droits et à ses devoirs. Dès lors, quelle étrange mobilisation qui consiste à refuser que l’on accorde à d’autres la protection du droit dont l’on bénéficie pour soi-même et pour sa famille ! C’est comme une façon de préserver pour soi une sorte de privilège qui serait l’apanage des couples hétérosexuels. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Bruno Le Roux. Très bien !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    En donnant la possibilité de se marier aux personnes de même sexe, le projet de loi leur ouvre la voie à l’adoption conjointe. Il faut noter que les possibilités d’adoption conjointe resteront limitées compte tenu du faible nombre d’enfants adoptables en France comme à l’étranger et du refus d’un grand nombre de pays de confier des enfants à des couples homosexuels.

    M. Philippe Meunier. Heureusement !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    C’est donc vraisemblablement l’adoption de l’enfant du conjoint qui sera privilégiée, et qui permettra à un grand nombre de « parents sociaux » de voir enfin reconnu leur lien de filiation avec les enfants qu’ils élèvent. Mais là encore, c’est l’égalité entre tous les couples qui sera réalisée : mêmes droits, mêmes devoirs.
     
    Par ailleurs, je suis particulièrement attachée à l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes qui le souhaitent. (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP.)

    M. Philippe Gosselin. Nous y voilà !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Je me suis ralliée à la solution du Gouvernement, qui proposera un autre projet de loi sur la filiation, comprenant notamment la question de la PMA.

    M. Philippe Meunier. Signé Furax !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Le fait qu’elle fasse l’objet d’un projet du Gouvernement, et non d’un amendement parlementaire, nous permettra de débattre de l’application de cette mesure aux couples mariés ou non mariés, hétérosexuels ou homosexuels. Enfin, ce futur texte permettra de sécuriser de nombreuses situations qui nous ont été décrites lors des nombreuses auditions.
     
    Le présent texte est historique car il fait tomber un bastion de la stigmatisation. Que d’évolutions ! Alors que le PACS était une initiative parlementaire, c’est aujourd’hui le Gouvernement qui dépose un projet de loi.
     
    Il nous est proposé de faire un pas supplémentaire vers la reconnaissance du couple homosexuel, qui va modifier nos représentations en intégrant dans la norme des réalités sociales déjà existantes. C’est une nouvelle étape dans le combat jamais achevé en faveur de l’égalité des droits et des dignités.
     
    Certains parlementaires, assez étrangement, préfèrent renoncer au pouvoir de faire la loi que leur confère le peuple pour en appeler à un référendum, mode de consultation qu’ils parent de toutes les vertus alors qu’ils n’en ont fait aucun usage récent. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
     
    Quel dommage de constater qu’hier, alors qu’ils étaient majoritaires, ils ont enterré le référendum d’initiative populaire pourtant ouvert par la réforme constitutionnelle de 2008.

    Plusieurs députés du groupe UMP. Cela n’a rien à voir !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Jacques Toubon, lorsqu’il était garde des Sceaux, n’avait-il pas rejeté l’idée d’organiser un référendum sur des sujets de société, estimant que le référendum ne devait pas être « un instrument de démagogie » ?

    M. Patrick Bloche et M. Bernard Roman. Eh oui !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Christiane Taubira a rappelé les obstacles juridiques et constitutionnels à la tenue d’un tel référendum. Surtout, le programme du candidat François Hollande, devenu Président de la République par le suffrage universel direct, contenait très explicitement l’engagement d’ouvrir le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Un référendum n’a donc pas lieu d’être, car le Gouvernement et la majorité assument pleinement ce texte ; ils le portent et le revendiquent.
     
    Ne nous laissons pas abuser par la rhétorique des opposants : le débat a bien eu lieu et il se poursuit. Il a eu lieu lors des grandes échéances électorales de 2012. Il se poursuit dans les colonnes des journaux, où les tribunes et les prises de position se multiplient depuis plusieurs mois, à la radio et à la télévision qui ont ouvert largement leurs antennes aux partisans comme aux opposants au projet. Il se poursuit dans les réunions publiques organisées localement dans tout le pays à l’initiative d’associations, d’élus, défenseurs ou contempteurs du projet. Il se poursuit au sein des groupes parlementaires et avant tout dans le mien, vous en avez même commenté abondamment les étapes.
     
    Le débat a eu lieu aussi lors des nombreuses auditions, dont certaines étaient retransmises sur le site de notre assemblée. J’en profite pour saluer l’énorme travail accompli par le rapporteur de ce texte, Erwann Binet (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC), que vous avez raison d’applaudir. Quel dommage que l’opposition ait préféré ne pas assister à ces auditions, à quelques rares exceptions.

    M. Philippe Gosselin. Ce n’est pas vrai, nous étions là !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Quel dommage que, le 14 janvier, lors de la réunion de la commission des affaires sociales, les représentants de l’UMP aient préféré se retirer plutôt que de débattre !

    M. Philippe Gosselin. Ils avaient des raisons de le faire, nous y reviendrons !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    On le constate, chacun a donc pu exprimer son point de vue, et ce n’est pas parce que les opposants au mariage pour les couples de même sexe n’ont pas réussi à convaincre que le débat n’a pas eu lieu.
     
    À ceux qui s’inquiètent des prétendus bouleversements à venir, je rappelle après Erwann Binet que la France n’est ni le seul ni le premier pays à avoir ce débat. Les pays qui l’ont fait n’ont provoqué aucun bouleversement majeur, quoi qu’on en dise : ils ont simplement permis aux familles homoparentales d’entrer dans la normalité. Nulle part le chaos tant annoncé n’est survenu, pas davantage qu’il ne s’était produit en France après l’adoption du PACS, quoi que certains aient dit à l’époque.
     
    Contre le PACS hier et contre le mariage aujourd’hui, les mêmes arguments sont utilisés. Certains en viennent même à soutenir le PACS et à proposer l’améliorer : ils ont visiblement besoin de davantage de temps pour se faire aux évolutions de notre pays. J’ai donc bon espoir…
     
    Permettez-moi de vous citer les propos d’Hannie Van Leeuwen, sénatrice démocrate-chrétienne des Pays-Bas. En 2000, elle s’était opposée avec virulence au mariage pour tous. Cinq ans plus tard, elle a déclaré : « Après avoir vu de nombreux couples de gays et de lesbiennes se marier, je réalise maintenant que j’avais tort. Je ne m’explique même plus ce qui m’avait poussée à traiter les gays et les lesbiennes différemment des autres citoyens. »
     
    Et comment ne pas évoquer le discours d’investiture de Barak Obama qui, la semaine dernière, le 21 janvier, déclarait : « Notre voyage ne sera pas terminé tant que nos femmes, nos mères et nos filles ne pourront gagner leur vie comme le méritent leurs efforts. Notre voyage ne sera pas terminé tant que nos frères et sœurs homosexuels ne seront pas traités comme tout le monde par la loi. »
     
    Ce combat pour l’égalité, d’autres pays le mènent en même temps que nous. Soyons toujours en France à la pointe de ce combat contre les discriminations et pour l’acceptation des différences.
     
    En revanche, comme il existe encore des pays qui condamnent pénalement l’homosexualité, nous avons soumis à votre examen un amendement touchant le code du travail et visant à permettre à un salarié – ou une salariée – marié à une personne de même sexe de refuser une mutation dans ces pays. Cet amendement, comme les autres amendements de la commission des affaires sociales, a été intégré au texte de la commission des lois.
     
    Certains craignent que la loi vienne bousculer ce qu’ils appellent l’ordre familial naturel, sacralisé et idéalisé, voire religieux. Je leur rappelle que la loi régit le seul mariage civil. La République légifère dans l’intérêt de la société et de la protection de ses citoyens, de tous ses citoyens, et non pour défendre une conception religieuse de la famille.
     
    Les Françaises et les Français savent que les cérémonies religieuses du mariage obéissent à d’autres exigences, dans le respect des croyances de chacun.
     
    Sur le plan juridique, le droit a su prendre en compte les faits sociaux pour les encadrer et pour fixer des repères. Le mariage a ainsi constamment évolué pour incarner, à chaque époque, l’idéal du couple tel que la société l’envisageait. C’est ainsi que le mariage n’est plus cette institution machiste, inégalitaire et hypocrite qui donnait la primauté au masculin et cantonnait la femme à une sexualité procréatrice.
     
    Le mariage est devenu libre et consenti librement. L’égalité des droits a remplacé la hiérarchie des sexes.

    M. Yves Fromion. Et la gestation pour autrui, c’est quoi ?

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Chacune des réformes du mariage civil depuis le XVIIIe siècle a marqué le progrès des libertés individuelles. Citons notamment l’instauration du divorce ou l’attribution de l’autorité parentale aux deux époux.
     
    L’idée même que le mariage, la sexualité, la procréation et la filiation formaient un tout indissociable a connu de nombreuses remises en cause. Ce fut le cas avec la contraception, l’assistance médicale à la procréation, le développement du concubinage aujourd’hui majoritaire dans la société, l’instauration de l’adoption plénière ou encore la fin des différences de traitement entre enfants légitimes et enfants naturels.
     
    Le mariage homosexuel marque ainsi une étape de plus dans un mouvement historique qui place le couple, la liberté de choix individuel et le sentiment amoureux au cœur du mariage.
     
    Cette conception prétendument naturelle de la famille est bien éloignée de la réalité. La famille n’a pas de définition juridique. Elle est un phénomène social et sociologique. Elle est presque toujours un point d’ancrage et de sécurité, un soutien en temps de crise. Mais elle connaît des évolutions qui l’ont fait s’écarter du modèle unique représenté par un papa, une maman et des enfants. Aujourd’hui, la famille se conjugue au pluriel.
     
    Il existe des couples sans projet d’enfant ; il existe des mariages tardifs sans enfant ; il existe des familles d’adoption, des familles à enfant unique, des familles monoparentales, recomposées, des familles hétéroparentales. Dans toutes ces familles, on peut rencontrer des enfants qui vont bien et d’autres en souffrance.
     
    La différence sexuelle des parents et la capacité procréatrice n’ont jamais été des garanties de stabilité et d’épanouissement de l’enfant. Ce qui compte, c’est l’affection, les conditions de vie des parents, l’accès à l’éducation, à la santé et à un logement décent. Ce qui compte, c’est que les parents offrent à la fois des liens affectifs et des figures d’autorité. Les familles homoparentales connaissent également cette diversité. Mme Dominique Bertinotti a donc raison de revendiquer le titre de ministre des familles, le pluriel a toute son importance.
     
    Ce qui me frappe depuis quelques semaines, c’est le décalage entre la société telle qu’elle existe et les opposants au projet qui ont choisi de porter des œillères pour ne pas voir ce qu’ils refusent d’admettre. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Mais nier l’homosexualité, nier l’homoparentalité, nier cette aspiration légitime à l’égalité des droits ne sert à rien. L’égalité est en marche !
     
    L’impossibilité juridique pour un enfant d’avoir deux parents de même sexe est en décalage avec la réalité. Les familles homoparentales se sont constituées d’abord en élevant des enfants issus de précédentes unions hétérosexuelles, puis, de plus en plus, avec des enfants conçus ou adoptés dans le cadre de projets homoparentaux. Il y a incontestablement un effet générationnel : les homosexuels parlent désormais de leur désir d’enfant et forment des projets parentaux. L’homoparentalité est devenue non seulement possible, mais réelle. Cependant, si de nombreux enfants sont élevés par deux personnes de même sexe, une seule des deux est leur parent au sens légal. C’est pourquoi il est nécessaire de sécuriser leur situation. C’est dans l’intérêt même de l’enfant.

    M. Patrick Bloche. Absolument !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Les auditions ont fait ressortir que le seul problème, pour ces enfants comme les autres, tient aux discriminations dont ils peuvent être victimes du fait de leur situation familiale. Le PACS a changé la perception de l’homosexualité dans la société, le mariage accentuera cette évolution. Car la loi rendra normal ce qui était auparavant jugé anormal par une partie de la société. Je pense à ces enfants qui ne se sentiront plus particuliers parce que leurs parents seront légitimes, reconnus et que leur famille sera protégée. Je pense à ces jeunes qui se découvrent homosexuels et entendent depuis des mois des discours discriminants leur expliquant qu’il ne faut pas leur donner les mêmes droits qu’aux autres dans leur vie d’adulte. Pour ces enfants, pour ces jeunes, pour ces familles, il est urgent d’agir ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Pas de gros mots dans l’hémicycle, s’il vous plaît ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
     
    Le projet de loi renforcera la famille. L’intérêt de l’enfant, c’est d’avoir des parents légitimes et reconnus, ces parents qui, comme dans toutes les familles, l’ont désiré et qui l’entourent de leur protection et de leur amour.
     
    Aujourd’hui, l’arrivée de l’enfant est mieux préparée car elle exprime un véritable projet parental. La procréation est maîtrisée. S’il existe des familles dans lesquelles les enfants n’arrivent jamais par hasard, ce sont bien les familles homoparentales ! Dans ces familles, les enfants sont le fruit obligé d’un projet et d’une mûre réflexion.
     
    Il ne s’agit pas de nier l’altérité des sexes. À l’âge de l’identification sexuelle, les enfants continueront à découvrir autour d’eux la mixité. La famille homosexuelle, comme les autres, ne se limite pas à une famille nucléaire sans fratries, sans parenté, sans ces liens familiaux et sociaux qui offrent des figures d’identification et des références masculines ou féminines.

    M. Nicolas Dhuicq. Charabia !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    C’est plus tard, lorsque les enfants s’interrogeront sur leur filiation, que le regard de la société est important. La loi peut changer les choses en banalisant leur situation.

    M. Jacques Myard. C’est peu probable !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Plus la réalité de toutes les familles sera connue et reconnue, plus disparaîtront les préjugés et reculeront les comportements ségrégationnistes et homophobes !
     
    Enfin, la famille sera d’autant plus forte qu’elle marchera enfin sur ses deux jambes : le biologique et le social. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) Acceptons, contre la dictature du tout-biologique, la part de social dans la parenté, part qui a d’ailleurs toujours existé.
     
    Les parents, dans un couple homosexuel, n’ont pas l’intention de se prétendre tous deux les géniteurs de leur enfant. Aucune famille homoparentale ne souhaite inventer de nouvelles fictions…

    M. Philippe Gosselin. C’est la loi qui est une fiction !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    …ni entretenir l’idée qu’un enfant puisse naître de deux femmes ou de deux hommes. Et, bien entendu, rien dans le texte de loi ne va dans ce sens. Il est quand même étrange d’accuser les homosexuels…

    M. Philippe Meunier. Nous n’accusons pas les homosexuels !

    M. Razzy Hammadi. Restez calmes !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    …de ce mensonge sur les origines, comme le font certains opposants au mariage pour tous ! Rappelons qu’un enfant peut être adopté par un ou une célibataire depuis 1966. Or, comment soutenir sérieusement que cet enfant puisse se croire né d’un seul homme ou d’une seule femme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) En fait, ce qui gêne certains, c’est que les familles homoparentales révèlent que le social participe à la parenté et que l’intérêt de l’enfant ne réside pas toujours dans la considération du seul lien biologique.
     
    Avec cette loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, personne n’y perdra et beaucoup y gagneront en dignité et en sécurité.
     
    Dignité, puisque le projet de loi permet l’accès au mariage, c’est-à-dire l’égalité dans l’accès à la norme. Cet accès à la norme se fait dans les mêmes conditions pour tous : mêmes interdits, mêmes repères et mêmes protections. Dans les faits, le nombre de mariages entre personnes de même sexe sera peut-être limité, comme d’ailleurs pour les couples hétérosexuels. Personne n’est obligé de se marier, mais chacun doit en avoir la possibilité.
     
    Sécurité, car le mariage est une institution républicaine qui permet de reconnaître et de protéger les couples et leurs familles.
     
    Je le répète, cette loi ne crée pas de familles homosexuelles, mais reconnaît des familles qui existent. Elle se saisit des réalités de la société. Le modèle du couple hétérosexuel n’est pas unique. Il est donc urgent de penser les changements de la société, de les encadrer plutôt que de les nier.
     
    C’est pourquoi la commission des affaires sociales vous demande d’adopter ce projet de loi, tel qu’il résulte des travaux de la commission des lois. Pour ma part, je suis fière de voter aujourd’hui en faveur du mariage pour tous…

    M. Yves Fromion. Ce n’est pas encore fait !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    …comme j’ai été fière de voter, hier, en faveur du PACS et de participer ainsi à une nouvelle étape de la construction de l’égalité des droits.
     
    Permettez-moi, chers collègues, de terminer mon propos par une citation de L’Esprit des lois de Montesquieu (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) : « L’amour de la démocratie est celui de l’égalité » (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

    M. Philippe Goujon et M. Éric Woerth. Justement !

    Mme Marie-Françoise Clergeau, rapporteure pour avis.

    Je crois qu’il s’agit bien là de démocratie, d’égalité et d’amour. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, RRDP et GDR.)

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Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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