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vendredi 15 février 2013

Explication de la motion : JF Poisson

M. Jean-Frédéric Poisson.

Mesdames les ministres, madame et monsieur les présidents de commission, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues,…

M. Bruno Le Roux. Jusque-là, ça va !

M. Jean-Frédéric Poisson.

…je veux commencer cet examen critique en vous remerciant, monsieur le rapporteur de la commission des lois, du travail volumineux que vous avez fourni ces derniers mois.
 
Tous ceux qui, sur l’ensemble de ces bancs, ont déjà eu la responsabilité de rapporter pour une commission savent la quantité de travail que cela réclame, et la disponibilité personnelle qu’il faut y consacrer.
 
Il me plaît également de reconnaître à votre rapport une très grande cohérence. On y voit en effet que vous avez parfaitement épousé, si je puis dire, le projet de loi gouvernemental, et que vous avez cherché par tous les moyens à le légitimer, à l’expliquer, et à l’inscrire dans une certaine lecture historique de l’évolution des sociétés.
 
Tout cela ne saurait suffire pour autant à considérer que vous avez traité le sujet dans toutes ses dimensions nécessaires. Je comprends parfaitement que le rapporteur de notre commission donne toute leur place à ses propres convictions. Mais je ne comprends pas que vous ayez évacué purement et simplement de très nombreuses questions pourtant essentielles à la compréhension du projet qui nous est soumis.
 
Pour étayer mon cheminement, je procéderai en trois temps, en posant trois questions.
 
Premièrement, la méthode de travail que vous avez choisie pouvait-elle permettre à la commission des lois de se faire l’avis le plus complet et le plus équilibré possible sur ce projet de loi ?

M. Patrick Ollier. Non !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Deuxièmement, sur quels principes intellectuels le rapporteur a-t-il choisi d’étayer son travail ?
 
Troisièmement, quelles sont les questions essentielles omises par ce rapport, qui sont pourtant centrales dans ce projet de loi et auraient de ce fait mérité d’être étudiées par notre commission ?
 
Concernant ma première question, on pourrait dire que, d’une certaine manière, monsieur le rapporteur, vous avez démarré de manière surprenante dans la carrière. Je fais ici référence à une interview que vous avez donnée au Dauphiné libéré quelques jours après votre nomination, selon laquelle « tous les opposants au projet de loi sont homophobes ».

M. Dominique Tian. Cela commençait bien !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Avant toute chose, je regrette que la jurisprudence n’ait pas encore acté le fait que traiter quelqu’un d’homophobe sans raison constitue une diffamation,…

M. Yannick Moreau. Discrimination !

M. Jean-Frédéric Poisson.

…mais nous vivrons encore pendant quelque temps avec cette imprécision. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)
 
De fait, mes chers collègues, cette entrée en matière promettait !
 
Vous avez ensuite mis en place les auditions. Au bout de quelques semaines, le parti pris dont vous faisiez preuve dans l’organisation de vos auditions et la sélection de vos interlocuteurs est apparu clairement. Du reste, la presse écrite nationale devait s’en faire elle-même l’écho, si j’en crois notamment un quotidien paru le 23 novembre 2012 évoquant les auditions du jeudi 2 novembre en commission des lois : « Première surprise : la table ronde du matin, intitulée "L’approche juridique", est composée exclusivement de juristes favorables au projet de loi.

M. Julien Aubert et M. Marc Le Fur. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Seconde surprise : l’absence de plusieurs poids lourds des associations concernées dans la liste des auditions. Pas de Familles de France, ni de Confédération nationale des associations familiales catholiques. Du côté de la défense de l’enfant, ni l’Appel des professionnels de l’enfance ni Alliance Vita. Contactés, ces quatre mouvements sont unanimes : ils ont tous demandé à être reçus par la commission, et tous se le sont vu refuser. » Je conviens que par la suite, monsieur le rapporteur, vous les avez reçus suivant d’autres modalités.
 
Quelques-uns d’entre nous s’en sont étonnés, en alertant de façon informelle le président de notre commission. Nous pensions à l’époque que vous prendriez conscience du caractère éminemment contestable de vos choix. Il n’en a rien été. Je suis au regret de devoir dire ici que le premier grave défaut de votre rapport est sa partialité.
 
Vous en doutez ? Quelques chiffres suffiront à le démontrer. En examinant précisément la liste des auditions conduites par vos soins, on constate que deux tiers des personnes auditionnées étaient favorables au projet de loi gouvernemental, que moins d’un quart d’entre elles y étaient défavorables, et que les 11 % restants avaient exprimé une position de neutralité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Bernard Lesterlin. Ce n’est pas dans la tradition d’attaquer le rapporteur !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Je critique le rapport, je n’attaque pas le rapporteur.
 
Un autre signe ? Il vous a été reproché un jour de n’avoir invité, dans une de ces auditions, que des juristes favorables au projet de loi gouvernemental.

M. Christian Assaf. C’est le Figaro qui parle !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Vous avez répondu qu’on ne connaissait pas de juristes opposés à ce projet. Cela vous avait valu, le 3 décembre dernier, une lettre cosignée par plusieurs d’entre eux, s’étant exprimés dans la presse nationale et soucieux de signaler leur existence à leur rapporteur préféré.

Mme Nicole Ameline. Ça, c’est excellent !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Il est curieux que vous ayez eu besoin d’un tel rappel à l’ordre pour rétablir – partiellement, il est vrai – un équilibre que vous n’avez, au fond, probablement pas souhaité. Monsieur le rapporteur, de telles proportions nous autorisent à mettre en cause non seulement votre méthode de travail, mais aussi les conclusions auxquelles vous avez abouti.
 
Il est vrai que vous avez tenu à inventer une nouvelle méthode. Sur le plan de l’innovation, personne ne peut vous faire de reproches. Ne nous méprenons pas : je ne remets pas en cause la diffusion publique, par Internet, de certaines des auditions. Je trouve cependant paradoxal – pour ne pas dire d’une certaine mauvaise foi – la conjonction de cette organisation et le reproche qui nous a été fait régulièrement ici – parfois même par les membres du Gouvernement, madame la garde des sceaux – de ne pas participer physiquement à des auditions alors même que nous disposions de tous les moyens pour y assister depuis notre bureau ou sur Internet. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

M. André Schneider. Eh oui !

Mme Corinne Narassiguin. Et vous pouvez poser des questions par Internet ?

M. Jean-Frédéric Poisson.

Il s’agit là d’un argument rhétorique qui n’a pas beaucoup de poids !
 
L’innovation ne s’arrête pas là. Sans doute pour la première fois dans cette belle maison, nous avons été confrontés à trois niveaux d’auditions : les auditions de première classe, dont les participants étaient annoncés et qui étaient retransmises sur Internet,…

M. Julien Aubert. C’est la classe affaires !

M. Jean-Frédéric Poisson.

…les auditions de deuxième classe, dont les participants étaient annoncés et qui n’étaient pas retransmises sur internet, et les auditions de troisième classe dont les participants n’étaient pas annoncés et qui n’étaient pas retransmises sur internet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. Tout à fait !

M. Xavier Breton. Quel réquisitoire !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Par ailleurs, une simple observation permet de constater que, parmi les personnes et organisations que vous avez reçues en catimini, la proportion d’opposants est nettement supérieure aux 22,5 % qui constituent l’ensemble des opposants au total.

M. Philippe Gosselin. En effet !

M. Jean-Frédéric Poisson.

C’est sans doute un mystère, à moins qu’il ne s’agisse, monsieur le rapporteur, d’une instruction à charge. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
 
Cette partialité évidente se retrouve d’ailleurs de manière criante dans votre rapport. Je prendrai trois exemples.
 
Premier exemple : lorsque vous évoquez l’évolution de l’opinion publique française sur le sujet du mariage homosexuel, vous avez soin de ne citer que les enquêtes d’opinion pleinement favorables à votre thèse. D’ailleurs, pour être certain d’atteindre ce résultat, vous n’en citez qu’une.

M. Julien Aubert. Excellent !

M. Philippe Gosselin. En effet, c’est plus simple !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Je vous renvoie aux pages 25, 26 et 27 de votre rapport. Vous conviendrez que la profusion d’enquêtes publiées depuis l’été dernier donne certainement une vision plus nuancée de l’opinion publique et de son évolution à ce sujet. Je trouve extrêmement curieux que vous n’en fassiez pas état.
 
Deuxième exemple : à la page 41 de votre rapport, lorsque vous posez la question de savoir si « ouvrir le mariage aux personnes de même sexe est une révolution anthropologique », vous donnez la parole à trois sociologues tous favorables à la thèse que vous défendez.

Mme Claude Greff. Évidemment !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Vous donnez vous-même la raison de cet état de fait. À la même page 41, vous écrivez : « Votre rapporteur a souhaité interroger à ce sujet trois éminents anthropologues et ethnologues – cela n’est pas contestable ! – qui, au cours de l’audition le 31 décembre 2012, ont unanimement réfuté toute idée de révolution anthropologique ». C’est presque une tautologie ! Fallait-il aussi vous indiquer, monsieur le rapporteur, des noms de sociologues qui ne partageaient pas votre point de vue ? Habituellement, mes chers collègues, cela n’est pas nécessaire ; ici, cela l’était visiblement.
 
Troisième exemple : lorsque vous essayez de démontrer que le fait de fonder le mariage sur l’altérité sexuelle pourrait être institué comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République, emportant alors la nécessité d’organiser une révision constitutionnelle pour inscrire le mariage pour tous dans la loi, vous convoquez un constitutionnaliste – un seul ! – dont vous citez les travaux à la page 23. Évidemment, il y est opposé ! Vous n’avez sans doute pas trouvé non plus un juriste qui pouvait contredire votre thèse.

M. Philippe Gosselin. Oh, ils sont rares !

Mme Claude Greff. Nous n’en connaissons pas !

M. Jean-Frédéric Poisson.

J’en viens au deuxième temps de mon exposé.

M. Bernard Roman. Et si on parlait du fond ?

M. Jean-François Lamour. C’est une motion de renvoi en commission, monsieur Roman ! On ne va pas vous apprendre cela !

M. Jean-Frédéric Poisson.

De fait, monsieur le rapporteur, il n’y avait aucune raison pour que la manière dont vous avez organisé votre travail d’auditions ne se répercutât point dans le texte de votre rapport. Ce qui m’a le plus frappé à sa lecture, c’est le fait qu’à aucun moment vous n’interrogez ni le bien-fondé, ni la légitimité, ni les conséquences de ce projet de loi. Vous vous contentez de constater que la demande existe, que de nombreux pays la satisfont déjà, et qu’elle va dans le sens de l’histoire – notion avec laquelle il convient de prendre, malgré tout, quelques précautions. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
 
Tels sont les trois principes de votre réflexion. Or, monsieur le rapporteur, ces trois points mériteraient d’être examinés un par un.
 
Premièrement, nul ne peut nier que certaines personnes homosexuelles demandent à accéder à des droits nouveaux pour elles. Vous écrivez à ce sujet, à la page 24 de votre rapport : « Les couples de personnes de même sexe souhaitent être reconnus au même titre que les couples de sexe différent et bénéficier des mêmes droits ». Monsieur le rapporteur, doit-on dire « les couples » ou « certains couples » ?

M. Xavier Breton. Le rapporteur n’écoute pas !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Êtes-vous bien certain de pouvoir convoquer ici l’unanimité de la communauté homosexuelle, alors même que de très nombreuses voix, au sein même de cette communauté, se font entendre pour expliquer précisément que leur droit à l’indifférence passe avant tout par le fait de ne pas avoir accès au mariage ?

M. Xavier Breton. Tout à fait !

M. Julien Aubert. Bravo !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Je cite Philippe Arino, homosexuel et essayiste – il le revendique –, dont l’audition a été effectuée de manière discrète : « Je suis contre le mariage pour tous au nom de la réalité, de la liberté et du respect des personnes homosexuelles. Elles ont un désir particulier, une identité singulière, une couleur, une originalité, un état de vie, une différence qu’il convient de reconnaître et de sauvegarder. » Comment pouvez-vous être certain que même une majorité d’entre eux réclame le mariage pour eux-mêmes, et l’attende ? Et quand bien même une majorité le réclamerait et l’attendrait, quelle nécessité y aurait-il à répondre de cette manière à cette demande ?

Mme Claude Greff. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Les sociétés sont-elles condamnées, en principe, à inclure dans leurs lois les évolutions qu’elles constatent en leur sein ?

M. Nicolas Dhuicq. Voilà la question !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Deuxièmement, il semble que l’on devrait écrire cette demande dans le droit parce que tout le monde le fait. À vous lire, la France contracterait un retard injustifiable par rapport au reste de la planète en n’acceptant pas ce projet. Monsieur le rapporteur, je dois ici rendre hommage à votre souci de précision. En effet, vous indiquez à la page 27 que onze pays dans le monde ont aujourd’hui reconnu le mariage homosexuel, et que ces pays représentent 280 millions d’habitants.

M. André Schneider. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Monsieur le rapporteur, onze pays sur la totalité de la planète et 280 millions d’habitants sur la population totale sont loin de constituer une majorité débordante ! (Protestations sur plusieurs bancs du groupe SRC. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
 
Troisièmement, il semblerait à vous entendre que ce projet aille dans le sens de l’histoire.

M. Bernard Roman. C’est du lourd, ça !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Sur ce point, sans vouloir réduire votre rapport à un seul de ses paragraphes – il ne le mérite pas –, on trouve un passage qui le résume parfaitement. Vous l’avez d’ailleurs fort bien fait, en haut de la page 41, lorsque vous reprenez à votre compte les arguments exprimés par Mme Élisabeth Badinter lors de son audition.

Mme Catherine Vautrin. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Je vous cite : « Le mariage aujourd’hui n’est plus qu’un PACS renforcé ; il a perdu son caractère sacré, il n’est plus indissoluble, il ne constitue plus l’autorisation de la sexualité ni le cadre de la filiation. Dans ces conditions, le couple homosexuel est aussi légitime que le couple hétérosexuel à prétendre au mariage. » Monsieur le rapporteur, ce que vous décrivez ici ne concerne sans doute rien d’autre que la perception du mariage, et certainement pas sa force institutionnelle qui demeure à mon sens intacte. C’est l’un de ces aspects sociologiques que l’évolution n’a pas emportés !
 
J’en viens au troisième point de mon exposé. Pour couronner le tout, monsieur le rapporteur, j’ai été très surpris par l’absence totale, dans votre texte, d’un certain nombre de questions absolument fondamentales posées par ce projet de loi. Certaines de ces questions ont d’ailleurs été abordées pendant la séance de notre commission des lois, et n’ont pas reçu de réelles réponses. J’en reprends quelques-unes.
 
Vous dites à de nombreuses reprises que le moteur de ce texte est l’égalité, et que cette référence à l’égalité, principe constitutionnel s’il en est, suffit à elle seule à justifier l’alignement des droits des couples de personnes de même sexe sur ceux des couples mariés aujourd’hui.

M. Jacques Myard. Quelle confusion mentale !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Vraiment, je peine à croire que vous le pensiez sincèrement.
 
Quelle est cette nouvelle lecture du principe d’égalité selon laquelle la France ne respecterait vraiment sa Constitution qu’en accordant les mêmes droits à toutes les personnes, quelles que soient leurs situations respectives ?

M. Jacques Myard. Le Conseil constitutionnel a dit le contraire !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Mme la ministre était-elle réellement sérieuse lorsqu’elle déclarait lors de la discussion générale en commission, au mois de décembre dernier, que toute différence de droit entre les personnes relevait purement et simplement de la discrimination ?

M. Jacques Myard. C’est inacceptable !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Faut-il considérer, madame la garde des sceaux, que cette interprétation prévaudra désormais dans l’ensemble des directives et des textes issus de votre ministère ? Cela promettrait une belle désorganisation dans l’ensemble de notre corps social, y compris sur un certain nombre de sujets à propos desquels nous ne manquerions pas d’être saisis, monsieur le président de la commission !
 
Vraiment, madame la garde des sceaux, je ne comprends pas comment vous avez pu déclarer que la République française « ruse avec ses propres principes » lorsqu’elle n’admet pas que deux personnes de même sexe puissent accéder au mariage. Il me semble que votre expression était à peu près celle-là – vous me pardonnerez cette inexactitude. J’avais d’ailleurs été un peu étonné par cette expression, même si elle provenait d’un poète qui n’est pas celui que vous avez cité tout à l’heure, mais d’Aimé Césaire, je crois.
 
Connaissez-vous, madame la garde des sceaux, une seule société dans laquelle toutes les personnes auraient strictement les mêmes droits ? Bien sûr, cette société n’existe pas ! Je suis prêt à admettre que vous ne souhaitez pas la constituer. Mais alors, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, quelle est la limite de votre argument sur l’égalité ?

M. Daniel Fasquelle. Il y en a qui ont essayé !

M. Jean-Frédéric Poisson.

La question vous avait été posée en commission : au nom de quoi continuer de maintenir les interdictions dans les premiers alinéas de votre projet de loi ?

M. Jacques Myard. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Au nom de quoi continuez-vous de limiter à deux personnes la composition du mariage ? Au nom de quoi maintenez-vous certaines personnes handicapées dans l’incapacité de se marier ? Si l’égalité est votre obsession, qu’est-ce qui vous retient d’aller au bout de votre démarche ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Christian Assaf. On est dans le dur !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Bien sûr, du moins je le souhaite, nous partageons la conviction qu’il n’y a pas d’organisation sociale sans gestion des inégalités. Cette affaire d’égalité n’est donc pas une question de principe, et elle ne peut pas être considérée comme telle.

M. Jacques Myard. Ce serait une imposture !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Si ce n’est pas une question de principe, c’est qu’elle est une affaire d’opportunité ou de choix politique – un véritable choix de société. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP.)

M. André Schneider. Très bien !

M. Jean-Frédéric Poisson.

C’est ce choix de société, monsieur le rapporteur, qui nous intéresse. Ce choix de société, vous ne l’avez pas traité.

Plusieurs députés du groupe UMP. Référendum !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Dans son article 1er, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen indique très clairement le chemin à suivre : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Au point où nous en sommes de notre réflexion, et à la lumière de cet article 1er, il ressort que vous n’acceptez pas que le fait de fonder le mariage sur l’altérité sexuelle soit de l’ordre de l’utilité commune. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) C’est là, madame la garde des sceaux, je le crois, le cœur de notre opposition.
 
Je reviens à votre texte, monsieur le rapporteur, pour illustrer ce point : « En l’état actuel du droit, le code civil ne contient aucune disposition définissant le mariage. […] Les rédacteurs du code civil de 1804 n’ont pas éprouvé le besoin de définir le mariage, tant la définition allait de soi » – tout est dans l’imparfait.

M. Jacques Myard. C’est une évidence !

M. Jean-Frédéric Poisson.

À la page 40, vous citez en note de bas de page, la célèbre définition du mariage donnée par Portalis dans le Discours préliminaire au projet du code civil. Le mariage est « la société de l’homme et la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie et pour partager leur commune destinée ».

M. Jacques Myard. C’est également dans la convention européenne des droits de l’homme !

Mme Catherine Vautrin. C’est une première : M. Myard fait référence à l’Europe ! (Sourires.)

M. Jean-Frédéric Poisson.

Nos prédécesseurs, mes chers collègues, n’avaient pas d’hésitation sur la définition du mariage. Certainement, les mœurs n’étaient pas les mêmes. Sans doute la technologie n’avait-elle pas encore fourni des techniques ou des outils susceptibles de créer, selon le titre d’un ouvrage paru il y a quelques années, un « malaise dans la filiation ». Mais par-dessus tout, il y avait cette cohorte de convictions sociales, toutes plus fortes et plus enracinées les unes que les autres. Et parmi les premières responsabilités de l’homme, figure celle de perpétuer son espèce.

M. Jean-Paul Bacquet. C’est du Boutin !

M. Jean-Frédéric Poisson.

D’ailleurs, même les représentants les plus éminents des éthiques de la discussion ont fait de cette perpétuation un impératif. Le philosophe allemand Hans Jonas, critique des éthiques tant du bien que des devoirs, formulait ainsi un nouvel impératif catégorique : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou encore : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité d’une telle vie. »
 
L’union d’un homme et d’une femme est la seule condition à la fois nécessaire et suffisante pour y parvenir. La pérennité de la société requiert que l’on assure tout ensemble le renouvellement des générations, ainsi que la transmission de tous les patrimoines, matériels ou spirituels, vers les descendants. Le mariage répond à l’évidence à ces nécessités. C’est aussi la raison pour laquelle la présomption de paternité a accompagné un peu plus tard la filiation en tant que telle.
 
Cette manière de considérer l’union de l’homme et la femme dans le mariage a traversé les siècles et elle a montré par son efficacité qu’elle méritait d’être appelée une institution. Les générations successives ont appris à lui faire suffisamment confiance pour continuer d’en faire le lieu d’une alliance privée et d’un engagement public. C’est le premier caractère de « l’utilité commune » du mariage en tant qu’il est fondé sur l’altérité sexuelle.
 
Le deuxième caractère d’utilité commune de ce même mariage est lié à la construction progressive et à l’éducation des enfants. Monsieur le rapporteur, vous avez accueilli pendant votre audition une table ronde de psychiatres et de psychanalystes. Cette audition s’est déroulée le 15 novembre 2012. Et lorsque vous évoquez dans votre texte, à la page 59, le développement des enfants élevés dans une famille monoparentale, vous récidivez – si je peux me permettre d’employer ce terme. À nouveau, seuls les points de vue qui concordent avec la thèse que vous défendez figurent dans votre analyse, et vous concluez, page 60, que les seules fragilités présentes chez les enfants élevés dans les couples de même sexe relèvent du regard social porté sur eux. Vous ignorez ainsi les mises en garde du docteur Lévy-Soussan à propos de toutes ces études qualifiées de convergentes, en dépit même des limites de méthode dont vous signalez l’existence pour en ignorer aussi vite la portée.

Mme Claude Greff. Eh oui !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Je ne comprends pas que vous passiez sous silence la critique épistémologique très sèche formulée par de nombreux pédopsychiatres à l’encontre des études sur lesquelles vous semblez fonder votre conviction. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.) Sur un sujet de cette importance, et face à tant d’incertitude, il n’y avait qu’une attitude possible : ne pas prendre de risques pour les enfants, en attendant de disposer d’éléments fiables d’appréciation.

M. Daniel Fasquelle. Le travail a été bâclé.

M. Jean-Frédéric Poisson.

À tout le moins, il semble que jamais personne n’ait inventé de meilleur cadre pour la croissance d’un enfant que celui de son père et de sa mère. Et qu’en définitive, le mariage n’a jamais fait que transposer sur le plan du droit, tant comme contrat que comme institution, cet état de fait. Le contrat lui apportait la réalité du consentement. L’institution lui apportait l’engagement réciproque du couple et du corps social et faisait en sorte que dans la famille, le corps social lui-même puisse trouver des raisons de fonder sa propre stabilité et sa propre pérennité. Voilà où se trouve le second caractère de cette utilité commune, qui achève de fonder la conjonction de ces deux critères équilibrants pour toute la société : l’égalité, comme principe, et l’utilité commune comme critère d’appréciation, pour ne pas dire d’organisation.
 
Il n’échappe à personne – et cela me permet de répondre en passant à ceux de nos collègues qui se demandaient ce qu’est le droit naturel l’autre jour en commission – que l’égalité comme l’utilité commune s’enracinent dans la nature. En réalité, c’est avec cet enracinement que vous souhaitez rompre. L’articulation entre adoption, assistance médicale à la procréation et mères porteuses achèvera cette rupture.

Mme Claude Greff. Tout à fait !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Vous nous avez dit que, à vos yeux, cet enchaînement est aujourd’hui moins que certain. Nous avons bien entendu que seul un faible nombre de députés de la majorité était favorable à la légalisation des mères porteuses in fine. Et je prends volontiers acte de la sincérité de votre opposition à cette perspective.

M. Jacques Myard. Pas moi !

M. Daniel Fasquelle. Moi non plus car ils ne sont pas sincères.

M. Jean-Frédéric Poisson.

De la même façon que j’avais pris acte de la sincérité de Mme la garde des sceaux Elisabeth Guigou, alors assise au même banc que vous, madame la ministre, et qui avait de dénégations énergiques en en serments enflammés, juré ses grands dieux que jamais au grand jamais, la France n’irait vers le mariage homosexuel à la suite du PACS.

Plusieurs députés du groupe UMP. Parjure !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Cela n’était pourtant pas faute d’avoir alerté. Et nous alertons de la même manière aujourd’hui en réaffirmant que l’adoption ouvre nécessairement la porte à l’assistance médicale à la procréation laquelle ouvre nécessairement la porte aux mères porteuses. (« En effet ! » sur les bancs du groupe UMP.) Que vous le vouliez ou non, mes chers collègues de la majorité, la légalisation des mères porteuses constitue la conséquence inéluctable des décisions que vous êtes en train de prendre et des principes au nom desquels vous les prenez. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

M. Daniel Fasquelle. On se dirige vers la marchandisation du corps humain.

M. Jean-Frédéric Poisson.

Ainsi totalement dissociée des capacités biologiques des personnes, votre conception de la filiation instaure de manière définitive un droit à l’enfant, dont nos codes avaient jusqu’ici réussi à se préserver. J’ai du mal à considérer qu’une telle distance à l’égard de la nature – doublée d’une telle volonté de satisfaire toutes les aspirations individuelles – constitue réellement un progrès social.
 
En ce sens, madame la garde des sceaux, nous sommes bien dans un changement de civilisation ou dans une « révolution anthropologique », pour reprendre l’expression de notre rapporteur, même s’il la conteste par ailleurs.
 
D’abord, parce que nous voyons bien que des bouleversements de ces notions d’égalité et d’utilité commune ne comportent pas que des conséquences purement juridiques. Mais surtout, parce que nous franchissons une limite supplémentaire dans le rapport que nous avons organisé jusqu’à présent entre la loi et la nature. À ceux de mes collègues qui se demandaient l’autre jour ce que peut bien être le « droit naturel », je les invite à relire l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme :…

M. Jean-Pierre Dufau. Vous oubliez l’article 1er :…

M. Christian Jacob. Écoutez, vous vous instruirez !

M. Jean-Pierre Dufau. …« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » !

M. Jean-Frédéric Poisson.

…« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme ». (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
 
Les pratiques sociales et la technologie, il est vrai, ont bousculé notre conception collective du mariage et de la filiation. Il est tout aussi vrai de dire que le législateur s’est parfois senti obligé d’accompagner ces évolutions en tâchant de concilier la force des principes et le pragmatisme des dérogations. Il y a parfois réussi. Parfois non. Mais nos institutions ont jusqu’ici préservé – au moins leur façade – leur enracinement dans l’ordre naturel : celui-là même qui enseigne que la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression s’enracinent d’abord dans la nature de l’homme. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)

M. Jacques Myard. Bravo !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Aujourd’hui, nous quittons cette logique. Vous nous demandez d’accepter que désormais la loi qui trouve son origine dans la nature et celle qui la trouve dans la seule volonté de l’homme aient toutes le même poids et la même importance. Vous nous demandez, pour reprendre une expression utilisée en commission, de placer sur le même rang la filiation sociale et la filiation biologique,…

M. Alain Marsaud. En effet.

M. Jean-Frédéric Poisson.

…indépendamment de la sincérité et de l’engagement des personnes. Vous nous demandez de considérer désormais comme primordiale la filiation sociale, au nom du fait que l’amour aurait tous les droits – je fais référence à votre propos de la page 40 du rapport. Vous nous demandez d’accepter une fois de plus que la loi ne serve, en définitive, pas à autre chose que de courir après les comportements humains.

M. Jacques Myard. Ils ont leur chef, ils vont le suivre !

M. Jean-Frédéric Poisson.

Mais, madame la garde des sceaux, vous ne pouvez pas considérer qu’une telle attitude puisse valablement constituer un principe, ni théorique, ni pratique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)
 
Sur ce dernier point, je souhaite revenir sur l’article 16 de votre projet de loi, emblématique de votre texte.

Mme Claude Greff. En effet.

M. Jean-Frédéric Poisson.

Il crée dans le code du travail un nouvel article L. 1132-3-2 disposant que : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L. 1132-1 pour avoir refusé une mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité, s’il est marié avec une personne de même sexe. » Personne ne conteste que les salariés qui sont dans cette situation puissent subir des discriminations.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Et les autres ?

M. Jean-Frédéric Poisson.

J’aurai l’occasion de reprendre en détail l’argumentation au cours du débat. Mais cet article pose un réel problème, portant sur l’universalité du droit.

M. André Schneider. Oui.

M. Jean-Frédéric Poisson.

En effet, il méconnaît l’ensemble des obligations incombant aux employeurs en ce qui concerne la santé et la sécurité de leurs salariés. J’en veux pour preuve la rédaction, très claire de l’article L. 4121-1 du code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » À l’évidence, la situation visée par l’article 16 de votre projet de loi entre parfaitement dans le champ de cet article ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Mme Arlette Grosskost. Cela devrait suffire.

M. Jean-Frédéric Poisson.

Mais le tort à nos yeux de cet article L. 1132-3-2, c’est qu’il ne mentionne pas expressément la situation visée par votre article 16. De la même manière, nous nous étions vivement étonnés, l’été dernier, au moment du débat sur le projet de loi concernant le harcèlement sexuel, de l’ajout d’un article interdisant les discriminations à l’égard des personnes transsexuelles.
 
Madame la ministre, cet article de votre projet de loi comporte, et c’est grave, des risques importants parce qu’il fait peser le soupçon sur l’universalité réelle de nos principes de droit. Il semble indiquer la nécessité d’énumérer les qualités individuelles des personnes, et parfois même leurs attitudes, pour qu’elles soient réellement prises en compte par les textes.

Mme Claude Greff et M. Nicolas Dhuicq. En effet.

M. Jean-Frédéric Poisson.

Il substitue une universalité de collection à l’universalité de principe, qui pourtant est la clé de voûte de nos codes.

Mme Claude Greff. Exactement !

M. Jean-Frédéric Poisson.

C’est assurément la marque la plus certaine de cette inspiration individualiste qui guide ce projet de loi. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que le côté droit de cet hémicycle rappelle aux exigences collectives un côté gauche soudain séduit par la souveraineté absolue et illimitée de l’individu. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe UMP.)
 
En conclusion, sur aucune de ces questions absolument essentielles, monsieur le rapporteur, vous n’avez souhaité écrire le moindre mot. Il me semble pourtant que, quelle qu’ait pu être votre opinion sur chacun de ces sujets, notre commission aurait tiré grand avantage à en débattre au fond.
 
À plusieurs reprises, vous avez dans votre texte rappelé qu’à l’évidence le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur la capacité de légiférer sur le mariage – il n’y a aucun doute sur ce sujet. Mais il n’y a aucun doute non plus sur la dimension parlementaire des différentes questions que je viens d’évoquer sur le principe d’égalité et de son utilité commune, sur le rapport entre filiation biologique et filiation sociale, sur la question de l’universalité du droit et de son écriture, sur le rôle de la loi et son rapport à l’évolution de la société, etc.
 
En choisissant la partialité comme principe d’organisation de votre travail, et le simple déroulement des événements comme clé de voûte de votre argumentation, vous vous êtes coupés de cette possibilité d’aborder en profondeur les questions essentielles posées par ce texte. Et vous en avez par conséquent privé notre commission. De ce fait, il n’est pas envisageable d’engager maintenant ce débat pour examiner au fond ces différents aspects.
 
C’est la raison pour laquelle, mes chers collègues je vous demande par votre vote d’adopter cette motion de renvoi en commission. (Mme et MM les députés du groupe UMP se lèvent et applaudissent.)

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