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samedi 6 avril 2013

Esther Benbassa

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, comment comprendre la revendication, de la part des couples gays et lesbiens, de pouvoir accéder à une union dite « normale », c’est-à-dire « ordinaire », ne distinguant en rien ces couples-là, en termes de devoirs comme en termes de droits, de M. et Mme Tout-le-monde.
 
Force est de constater, aujourd’hui, la baisse du nombre de mariages civils et religieux célébrés dans la société globale et l’augmentation du nombre des naissances hors mariage.
 
Alors pourquoi, se demanderont d’aucuns, celles et ceux qui ne font rien « comme tout le monde » exigeraient-ils donc de pouvoir accéder au mariage, institution traditionnelle et quelque peu empoussiérée ? (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.)

MM. Jean-Claude Gaudin et Charles Revet. Oui, pourquoi ?

Mme Esther Benbassa. La perception de l’homosexuel a certes varié dans l’histoire, mais celle qui éclot à l’âge classique est indissociable de la morale bourgeoise. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Éric Doligé. Heureusement que les bourgeois paient leurs impôts !

Mme Esther Benbassa. Elle se traduit par une volonté d’exclusion morale et sociale des homosexuels, dont les répercussions, même atténuées, pèsent encore sur nos mentalités.
 
Comme Didier Eribon le souligne dans ses Réflexions sur la question gay, la morale bourgeoise n’est pas seulement une morale du travail ; c’est aussi une morale de la famille, qui dit désormais ce que doit être la société et qui y appartient ou non de plein droit.
 
Michel Foucault déjà, dans son Histoire de la folie à l’âge classique, insistait sur la prégnance d’« un certain ordre dans la structure familiale », valant « à la fois comme règle sociale et comme norme de la raison […]. La famille, avec ses exigences, devient un des critères essentiels de la raison […]. Elle exclut comme étant de l’ordre de la déraison tout ce qui n’est pas conforme à son ordre ou à son intérêt. » L’âge classique procède ainsi, précise Michel Foucault, à la « confiscation de l’éthique sexuelle par la morale de la famille ».
 
En sommes-nous donc toujours là ? Le moyen d’en sortir, après tant de siècles d’exclusion morale et sociale, ne passe-t-il pas, paradoxalement, par l’expression et la satisfaction de ce désir de mariage, de ce curieux désir de normalité bourgeoise, de la part des gays et des lesbiennes ?

M. Éric Doligé. Ce sont les bourgeois qui paient les impôts !

M. Gérard Longuet. Ça, c’est vrai !

Mme Esther Benbassa. Gays et lesbiennes entendent affirmer par là leur légitimité à se situer du côté de l’inclusion et de la « raison », mettre fin à ces siècles de discrimination qui en ont fait des malades et des fous. Ils et elles sont des êtres, des citoyens et des citoyennes comme les autres. La revendication du « mariage pour tous » fait partie d’une demande légitime de normalisation, de banalisation de leur condition.
 
Quels qu’aient pu être leurs slogans officiels ou officieux, les récentes manifestations anti-mariage pour tous ont appuyé l’idée inverse et séculaire selon laquelle ces gens-là ne sont pas comme les autres et n’ont donc pas droit à ce que tout citoyen ou résident en France obtient sans problème aucun. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

M. François-Noël Buffet. On n’a jamais dit ça !

M. David Assouline. Vous l’avez pensé très fort !

Mme Esther Benbassa. Elles ont remis à l’ordre du jour la fameuse « morale bourgeoise », pourtant bien craquelée depuis un bon demi-siècle.
 
Elles expriment une revanche, enfin, sur les artisans de mai 68, qui, soyons modestes, n’ont réussi qu’à bousculer un peu l’ancien modèle de la famille, même s’ils auraient bien voulu l’abattre.
 
Ces manifestations marquent surtout un retour du refoulé. L’ordre familial revient au galop et a trouvé ses cibles : anciens exclus et amis de la déraison. Et ce au nom du supposé intérêt supérieur de l’enfant !
 
Protéger les enfants, tout le monde est pour. Les opposants au mariage pour tous tentent donc d’en faire la justification imparable de leur refus. Le besoin, chez l’enfant, d’un père et d’une mère,…

M. Gérard Longuet. C’est normal !

Mme Catherine Troendle. Voilà !

Mme Esther Benbassa. … contre le désir d’enfant des homosexuels : pure idéologie ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Les manifestants expriment une peur, celle de l’effondrement d’une famille traditionnelle déjà bien ébranlée et de la multiplication, pour un même enfant, du nombre de référents parentaux. Fini, hélas, le modèle « papa-maman et leur enfant » ! (Exclamations indignées sur les travées de l’UMP.) Fini depuis longtemps en fait, sans que les gays et les lesbiennes soient des pionniers en la matière : les familles recomposées ne les ont pas attendus pour se recomposer !
 
Aucune étude ne démontre que les enfants de familles monoparentales ou homoparentales, que les enfants adoptés, ou nés par PMA ou de mères porteuses, vivent nécessairement dans le malheur. Ils ne vont ni mieux ni moins bien que les autres, élevés dans des familles dites « normales ».

M. Jean-Vincent Placé. Exactement !

Mme Esther Benbassa. L’avocate Caroline Mécary, que je le salue, a consacré une grande partie de sa carrière à défendre des familles homoparentales. Elle écrit que, si c’était l’inverse qui était vrai, il faudrait immédiatement contraindre les dix pays européens qui ont d’ores et déjà ouvert l’adoption à tous les couples de modifier leur législation, l’intérêt des enfants ne pouvant être à géométrie variable.
 
Ces situations existent. Ce sont à ces enfants-là que notre droit est tenu d’apporter une réponse. Les enfants nés par PMA ou par GPA, techniques déjà pratiquées, les enfants de parents homos, ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste.) Doit-on les exclure, comme on tente d’exclure leurs parents ? (Mêmes mouvements.)

M. Gérard Longuet. Vous êtes à côté de la plaque !

Mme Esther Benbassa. Pour aller encore plus loin, peut-on affirmer sans ambages que l’intérêt « supérieur » de l’enfant est vraiment au centre de notre construction juridique, qui donne la priorité à la liberté d’engendrer de chacun, quels que soient ses qualités et ses défauts, réels ou supposés ? (M. le rapporteur applaudit.)
 
Les pauvres et les riches, les alcooliques et les sobres, les analphabètes et les cultivés, les malades et les bien portants, les brutes et les doux, tous partagent le même droit de créer une famille. Et c’est fort bien ainsi ! Le temps où la société s’arrogeait le droit de stériliser les alcooliques et les handicapés comme dans les années 1930 en Suède, au nom de l’intérêt de l’enfant, est heureusement révolu. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Gérard Longuet. Vous y reviendrez avec l’eugénisme !

Mme Esther Benbassa. Il n’y a que les gays et les lesbiennes à qui, aujourd’hui, on ose ouvertement dénier le droit de fonder une famille au nom de l’intérêt dit « supérieur » de l’enfant. Pourquoi ? Parce qu’ils seraient différents ? Mais différents en quoi et différents de qui exactement ?

M. Gérard Longuet. Du calme !

Mme Esther Benbassa. Cette « différence » est-elle autre chose, au fond, que le préjugé qui les frappe ? Est-il admissible de continuer à faire de ce préjugé une règle sociale et juridique ? Si ce n’est pas de la discrimination, alors, qu’est-ce donc ?

M. Jean-Claude Gaudin. Oh !

Mme Esther Benbassa. L’internement des gays pour déraison fut hier l’un des outils de la sauvegarde de l’ordre moral au centre duquel se trouvait la famille. La psychiatrie a longtemps joué ce jeu. Aujourd’hui, certains psychanalystes instrumentalisent leur science pour apporter un renfort aux tenants de l’anti-mariage pour tous et défendent le modèle traditionnel de la famille dans une sorte de conservatisme dont on ne sait ce qu’il doit vraiment à la psychanalyse.
 
Au XIXe siècle, l’homosexualité était tenue pour une pathologie mentale ou pour une perversion du désir ou de l’instinct. Rien, pourtant, dans l’expérience freudienne, ne peut valider « une anthropologie qui s’autoriserait du premier chapitre de la Genèse », comme le rappelle Jacques-Alain Miller.
 
Calmons-nous quelques secondes (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) et remémorons-nous la Genèse : « Croissez et multipliez » ; « Voilà pourquoi l’homme abandonne son père et sa mère : il s’unit à sa femme, et ils deviennent une seule chair ».

M. Michel Mercier. Eh oui !

Mme Esther Benbassa. Pour les psychanalystes qui se réclament en fait de l’Adam et de l’Ève de la Genèse comme d’un modèle indépassable, il s’agit évidemment plus de croyance religieuse que de psychanalyse.
 
On ne surestimera jamais trop, dans une France à la laïcité pourtant si chatouilleuse, le poids écrasant de l’impensé catholique dominant (Murmures sur les travées de l’UMP.), y compris lorsque l’on évoque le mariage, même si, en l’occurrence, il s’agit du mariage civil. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
 
La sacralisation catholique du mariage continue de nous coller à la peau. (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Mme Christiane Hummel. Inacceptable !

Mme Esther Benbassa. Chez nous, il n’y a pas eu de révolution luthérienne. Ailleurs, cette révolution a émancipé le mariage de la tutelle de l’Église, l’a désacralisé, a accéléré un bouleversement des représentations, des symboles et des pratiques héritées de la longue tradition catholique.
 
Avec Luther, le mariage devient – déjà ! – un « mariage pour tous », pour les laïcs et les prêtres, pour les chrétiens et les païens. Cela explique peut-être la facilité avec laquelle le mariage entre personnes de même sexe a été instauré dans certains pays à majorité non catholique. Récemment encore, en Grande-Bretagne, la Chambre des communes adoptait, en une journée, le mariage pour tous, et ce à une écrasante majorité. Et dans la presse de ce 5 février 2013, le sujet ne faisait la une que d’un seul journal : The Daily Telegraph !
 
La France, premier pays à décriminaliser l’homosexualité, dès 1791, se classe depuis plusieurs années parmi les nations les plus conservatrices en matière de droits LGBT. Quel paradoxe ! La PMA, on n’ose plus en parler. Même la récente circulaire de Mme la garde des sceaux, que je salue, engageant les magistrats à faire droit aux demandes de délivrance de certificats de nationalité française au profit d’enfants nés à l’étranger de Français ayant eu recours à une GPA a provoqué la polémique.
 
L’intérêt « supérieur » des enfants, en cette occurrence, semblait de peu de poids. Ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? Parce qu’ils ont été conçus hors des modèles admis, seraient-ils donc marqués du sceau d’une sorte de « péché originel » ? Et pour cela, il faudrait les punir ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ils ne connaîtront pas leurs origines !

Mme Esther Benbassa. Les opposants au mariage gay et lesbien le dénoncent comme un facteur de décadence. Des pays « avancés » comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne reconnaissaient la PMA et la GPA avant même de légaliser le mariage. Sont-ils pour autant des pays décadents ? Mais la raison n’a plus droit de cité dans des débats qui se fondent sur des présupposés idéologiques et une bonne dose d’hypocrisie.
 
Rappelons-nous le bruit et la fureur ayant accompagné l’instauration du PACS, devenu depuis une forme de conjugalité hétérosexuelle très ordinaire ! Le mariage et la parentalité gays et lesbiens se banaliseront aussi, inéluctablement. Et je ne doute pas que des voix humanistes s’élèveront, dès aujourd’hui, également au centre et à droite, pour défendre un projet généreux, modernisateur, portant un coup décisif aux discriminations à raison de l’orientation sexuelle !
 
Nous, écologistes, croyons à ce progrès. Le mariage homosexuel a très tôt figuré dans notre projet de société. On se souvient du mariage de Bègles, en 2004, célébré par le député-maire de la ville, Noël Mamère. (M. Jean-Claude Gaudin s’exclame.) Venez à la tribune à ma place, monsieur Gaudin ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste. – Exclamations sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Claude Gaudin. Je ne dirai pas les mêmes choses que vous !

Mme Esther Benbassa. Tant mieux ! Mais au moins dans la vieille France, cher monsieur, on respectait les femmes. Ce n’est même plus le cas ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
 
Nous voterons bien entendu le projet de loi, même si nous regrettons que l’exécutif ne soit pas allé plus loin, qu’il n’ait pas toujours fait preuve de la même détermination que Mme la garde des sceaux et Mme la ministre chargée de la famille.

M. Jean-Vincent Placé. Voilà !

Mme Esther Benbassa. Dès le mois d’août dernier, j’ai déposé, au nom de mon groupe, une proposition de loi audacieuse, incluant notamment la PMA pour les couples de lesbiennes et la transcription sur les registres d’état civil des actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger. Nos amendements nous permettront de rouvrir le débat et de demander solennellement au Gouvernement de s’engager sur le texte à venir sur la famille.

M. Gérard Longuet. Quelle famille ?

Mme Esther Benbassa. La qualité d’une démocratie se mesure à l’aune de son engagement pour l’égalité. Chaque acquis est à arracher avec les ongles. Le mariage et l’adoption pour tous, voilà une bataille que nous pouvons gagner !

M. Bruno Sido. Elle sera perdue pour les enfants !

Mme Esther Benbassa. D’autres suivront demain, tout aussi cruciales, car l’égalité est un combat, et un combat sans fin ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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