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samedi 6 avril 2013

Catherine Tasca

M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.

Mme Catherine Tasca. Madame la garde des sceaux, vous avez magistralement retracé à l’Assemblée nationale l’histoire du mariage civil, que vous avez qualifié de « conquête […] de la République ». Une conquête, disiez-vous, emportée dans un mouvement général de laïcisation de la société. Vous avez eu également raison d’évoquer le long et difficile chemin des femmes pour trouver leur place dans l’institution du mariage.
 
Aujourd’hui – c’est l’honneur du Gouvernement ! –, nous avons la faculté d’ouvrir le mariage civil aux personnes de même sexe.
 
En quatre décennies, la société française a changé profondément son regard sur l’homosexualité.
 
Le premier pas sur le chemin de la reconnaissance fut franchi avec la loi du 4 août 1982 dépénalisant les relations homosexuelles. Le deuxième pas fut fait en 1999 avec l’adoption du PACS, qui donna lieu à des annonces catastrophistes, à l’agitation de toutes les peurs et à un débat assez semblable à celui que nous vivons aujourd’hui. Le troisième pas qui nous reste à franchir, c’est l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe. J’espère que le Sénat, fidèle à sa tradition, mettra plus de raison que de passion dans ce débat.
 
Avec le PACS, nous avons eu l’acceptation de la différence, ce qui a permis aux homosexuels de sortir du silence, du mensonge, de la peur et de vivre légalement, au grand jour, leurs unions.
 
La sexualité est une dimension de la vie humaine où subsistent trop de zones d’ombre, trop de tromperies et de dissimulations, sources de multiples souffrances. C’est toute la société, tout le vivre-ensemble familial et social qui en pâtit.
 
Trop longtemps, l’homosexualité a été vécue comme une exclusion. Trop de jeunes la portent encore comme une faiblesse inavouable, jusqu’à en mourir parfois. Le PACS a ouvert une fenêtre, en permettant, enfin, de dire cette réalité. De fait, ce sont les couples hétérosexuels qui, très majoritairement, se sont approprié ce nouveau type de contrat, alors même qu’ils ont toute liberté de choisir le mariage. C’est bien le signe que nos contemporains ont une vision très diversifiée de la vie commune et ne se réfèrent pas forcément à l’institution du mariage.
 
Ce qui menace la stabilité des couples, ce n’est pas la création du mariage pour tous, mais ce sont notre individualisme, nos impatiences, les aléas de la vie moderne.
 
La famille est la première à subir les conséquences du stress au travail, du chômage, de la pauvreté, du mal-logement. Depuis bien longtemps, les mariages se font et se défont. Le « modèle » de la famille unie par le mariage a volé en éclats et ledit « mariage pour tous » n’y est absolument pour rien. De plus en plus d’enfants vivent dans des foyers homosexuels. Comment notre société civile pourrait-elle ignorer cette réalité, la nier, lui refuser une normalisation légale ?

M. Jean-Pierre Michel, rapporteur. Très bien !

Mme Catherine Tasca. Notre République n’est pas responsable des sentiments, ni de l’orientation sexuelle des individus, ni encore du choix de vie de chacun, mais elle doit donner à tous les couples le cadre juridique adéquat pour assumer leur engagement et leur pleine responsabilité à l’égard du partenaire et de l’enfant, ce que le PACS ne permet pas. Ce sont d’ailleurs ceux-là mêmes qui combattaient le PACS il y a quatorze ans qui réclament aujourd’hui son amélioration ou la création d’un nouveau contrat d’union civile. Que ne l’ont-ils fait pendant la décennie durant laquelle ils étaient au pouvoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

MM. François Rebsamen et Jacques Mézard. Eh oui !

Mme Catherine Tasca. Le temps est venu de donner à tous les couples le cadre légal non discriminatoire auquel ils aspirent. Nous devons passer de la reconnaissance de la différence, avec le PACS, à l’acceptation de l’intégration réelle, avec le mariage.
 
À mes yeux, il s’agit non pas seulement d’une quête d’égalité, mais aussi d’un principe de réalité et de respect de la dignité de tous. C’est l’ouverture d’une nouvelle liberté.
 
L’avenir dira si de nombreux couples homosexuels se saisiront de cette faculté ou si beaucoup d’entre eux continuent de se satisfaire de l’union libre ou du PACS. Au moins, aurons-nous levé une hypocrisie et une ultime barrière à une réelle liberté de choix.
 
Regardons ce qu’apporte le mariage civil, dont, curieusement, nos concitoyens ignorent bien souvent les conséquences juridiques. Ce n’est pas seulement la proclamation d’un amour, dont nous savons qu’il peut être précaire ; c’est la volonté d’un engagement durable et responsable. Là est notre responsabilité de législateur d’une République laïque. Laissons à chacun la liberté de faire consacrer ce lien du mariage par une Église, mais ne confondons pas ces deux engagements.

M. Jacques Mézard. Très bien !

Mme Catherine Tasca. De toutes les formes d’union, le mariage est celle qui assure au mieux aux partenaires le partage des droits et obligations, qui assure le sort de celui qui reste en cas de décès de l’un d’entre eux et qui assure un règlement équitable en cas de séparation.
 
Quant aux enfants, leur place au sein des familles de plus en plus diverses et mouvantes pose de très nombreuses et difficiles questions à propos des droits de chacun des parents certes, mais plus encore à propos de leurs devoirs et obligations à l’égard de l’enfant et des droits de celui-ci.
 
C’est à toutes ces questions que le projet de loi que nous examinons veut répondre, avec la préoccupation prioritaire de l’intérêt de l’enfant, pour être fidèle à la Convention internationale des droits de l’enfant.
 
Si l’on considère – et je le considère – que la protection de l’enfant est l’objectif majeur, alors on ne peut laisser perdurer l’inégalité de traitement qui frappe les milliers d’enfants vivant avec des parents homosexuels. Leur filiation n’est reconnue qu’à l’égard de l’un des deux parents, que ce soit par filiation biologique ou par filiation adoptive. Ces familles sont de facto dans une situation d’insécurité juridique, psychologique et affective, le second parent n’ayant aucun droit à l’égard de l’enfant en cas de disparition du parent légal ou de séparation du couple. C’est à cette insécurité que le projet de loi mettra fin. L’essentiel est que l’enfant ait une famille solide, responsable et aimante pour l’accompagner dans son développement. Si le projet de loi aboutit comme nous le souhaitons, l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe permettra d’instaurer une véritable égalité entre tous les couples, en termes de droits et de devoirs.
 
On constate que le PACS a vu son régime juridique se rapprocher encore un peu plus de celui du mariage, avec la loi du 23 juin 2006, mais des différences notables subsistent, sur lesquelles je ne reviendrai pas dans la mesure où elles ont déjà été évoquées.
 
Le mariage permet de pallier l’insécurité juridique du conjoint survivant en cas de décès de l’un des époux, en lui permettant de bénéficier d’une pension de réversion ou d’une allocation veuvage selon les situations. En termes de droits de succession, l’époux survivant est l’héritier légal, ce qui n’est pas le cas du partenaire lié par un PACS.
 
Enfin – ce n’est pas une considération secondaire –, l’époux est considéré comme le plus proche parent de l’autre pour les questions liées aux soins médicaux.
 
Le changement décisif apporté par ce texte réside dans son article 1er, qui établit, enfin, une véritable égalité entre tous les couples, en introduisant un article 143 dans le code civil, qui précise, pour la première fois, de manière explicite, la nature du mariage. Le mariage est non plus implicitement un contrat conclu entre un homme et une femme, mais est désormais explicitement « contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».
 
L’égalité des droits est particulièrement importante pour ce qui concerne l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe. L’article 343 du code civil dispose que « l’adoption peut être demandée par deux époux ». La possibilité pour les couples homosexuels de se marier leur ouvre dès lors le droit à l’adoption.
 
Le droit de l’adoption repose sur le principe fondamental du respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Non seulement cette considération juridique résulte de l’article 3 de la Convention internationale des droits de l’enfant, mais elle est inscrite dans notre droit national. Ainsi, l’article 371-1 du code civil définit l’autorité parentale comme « un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ».
 
Alors oui, nous allons permettre aux couples homosexuels d’adopter ! Oui, nous allons permettre à deux parents de même sexe d’exercer l’autorité parentale en commun ! Au-delà du désir de parentalité, l’exercice de cette autorité a pour finalité l’intérêt de l’enfant.
 
Le travail de notre rapporteur, Jean-Pierre Michel, et les auditions très larges qu’il a menées ont eu le mérite de mettre en lumière la nécessité absolue de bien traduire ce qu’on appelle aujourd’hui – et pour demain – « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Cette nécessité devra nous guider lors de l’examen de la future loi sur la famille.
 
Les futurs mariés de même sexe pourront adopter conjointement, dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Aujourd’hui, une personne vivant avec un partenaire de même sexe doit adopter seule. Dans les faits, selon les départements, cette personne doit souvent dissimuler sa situation familiale afin d’obtenir l’agrément. Est-ce bien l’intérêt de l’enfant ?
 
Nous savons que les possibilités d’adoption seront assez restreintes du fait du nombre d’enfants adoptables, très inférieur à celui des demandeurs. L’adoption de l’enfant du conjoint sera sans doute le cas le plus fréquent. Les milliers d’enfants vivant déjà dans une famille homoparentale vont enfin voir leur situation reconnue et protégée.
 
Aujourd’hui, les parents de même sexe doivent utiliser des moyens subsidiaires pour exercer une autorité parentale commune, à travers les procédures de délégation et de délégation-partage, qui, toutes, dépendent de la décision du juge. Avec ces mécanismes de délégation subsiste donc une certaine insécurité juridique, notamment en cas de séparation du couple.
 
En cas de décès du parent légal, le parent social redevient, en droit, un étranger vis-à-vis de l’enfant. Est-ce bien l’avenir que nous souhaitons préparer à ces enfants ? La possibilité d’adopter l’enfant du conjoint va permettre d’apporter une solution juridique sécurisante à ces enfants dont la vie peut très rapidement basculer en cas de survenance d’un événement dramatique, tel qu’une séparation ou un décès.
 
Quant à la filiation, il faut rappeler à ceux qui prétendent que l’on mentirait à un enfant en lui disant qu’il a été conçu par deux pères ou par deux mères, que l’adoption simple laisse la mention de la filiation d’origine sur l’acte de naissance de l’enfant et que, en cas d’adoption plénière, la référence du jugement d’adoption figure toujours sur cet acte de naissance. La nature adoptive de la filiation n’est pas cachée à l’enfant. La filiation ne repose donc pas sur un mensonge.
 
Le droit d’accès aux origines devra sans doute faire l’objet d’une évolution, mais nous avons d’ores et déjà rompu avec le modèle strictement procréatif, en permettant à une personne seule d’adopter de façon plénière, et donc de voir une filiation établie à l’égard d’un seul parent. On peut compter sur le bon sens des enfants pour que, très jeunes, ils voient clairement, grâce à leur environnement, qu’ils ne sont pas « nés » de deux hommes ou de deux femmes, pas plus que d’une femme seule, ce qui ne les empêchera pas de vivre à la fois le lien affectif et juridique.

Mme Michelle Meunier, rapporteur pour avis. Absolument !

Mme Catherine Tasca. Il est enfin une question que le texte, tel qu’il nous arrive de la première lecture à l’Assemblée nationale, traite précisément : c’est la question du patronyme. Nous y reviendrons au cours du débat. Ce n’est pas un sujet mineur, car, dans notre société, porter un nom différent de celui de sa mère ou de celui de sa fratrie peut être une vraie douleur pour l’enfant.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Catherine Tasca. À toutes les questions posées par l’ouverture du mariage aux homosexuels, le projet de loi répond concrètement. C’est un texte qui met fin à une discrimination. C’est un texte de pacification de notre société qui connaît des mutations profondes. C’est donc un texte de progrès que le groupe socialiste soutient pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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