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jeudi 31 janvier 2013

☛ Conclusion par C. Taubira (30 janvier)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, je tiens d’abord à saluer le professionnalisme avec lequel vous avez conduit ces débats.

M. Bernard Roman. C’est vrai !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

Cette présidence a très largement contribué au climat d’échange de nos discussions. (Mêmes mouvements.)

M. Philippe Gosselin. Nous n’en sommes pas encore aux remerciements après le vote de la loi ! N’anticipons pas trop vite !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

Monsieur le président de la commission des lois, madame la présidente des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis, il est tout à fait réconfortant qu’à cette heure tardive l’hémicycle soit encore occupé par tant de députés de très grande qualité.
 
Je tiens à saluer de manière générale la qualité des interventions ; il y a eu venant de l’opposition quelques interventions répétitives,…

M. Hervé Mariton. Enseigner, c’est répéter !

M. Philippe Gosselin. C’est l’art de la pédagogie, madame la ministre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

…mais c’est certainement une façon de solliciter de notre part des explications renouvelées, réitérées, « récidivées », et nous le faisons très volontiers.
 
Je veux remercier les députés de la majorité pour leurs contributions à ce débat, pour la passion et la rigueur qu’ils y ont mises. C’est cette alchimie qui produit les plus belles et les plus grandes lois.
 
Je tiens à saluer le président du groupe SRC, M. Bruno Le Roux, pour la qualité de son intervention et pour la part qu’il prend personnellement dans la conduite de ces débats, ce qui va bien l’occuper – comme nous tous ! – pendant ces deux semaines.
 
Mes remerciements vont aussi aux présidents ou aux porte-parole des groupes GDR, écologiste et RRDP, M. Marc Dolez, Mme Barbara Pompili, M. de Rugy et M. Schwartzenberg, pour leur contribution à la cohésion de la majorité et à l’enrichissement de nos réflexions sur ce sujet majeur.
 
Je veux remercier en particulier MM. Patrick Bloche et Bernard Roman, qui ont joué un rôle pionnier en la matière depuis de nombreuses années et qui ont eu raison de ne pas désespérer, de ne pas déchanter, de s’obstiner, jusqu’à faire semblant parfois de se fâcher avec quelques amis. Ils doivent savourer pleinement l’étape que nous sommes sur le point de franchir, si le Parlement y consent.
 
Je salue Mme Élisabeth Guigou, qui, avec le courage qui la caractérise, a conduit il y a près de quinze ans, ce débat lourd, difficile, sur le PACS, qui a marqué l’ouverture de quelques droits pour les couples homosexuels.
 
Hier, entendant dire que le Gouvernement satisfaisait à des revendications minoritaires, j’ai répondu que dans l’histoire de la France et de nombreux pays, c’est souvent la mobilisation de groupes minoritaires qui a fait progresser le droit général, notamment sur les questions de droit et d’égalité.

M. Hervé Mariton. C’est dire nos espérances !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

De demeurer durablement minoritaires ? Ce sont les nôtres aussi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

M. Hervé Mariton. Je ne retiens que votre hommage aux groupes minoritaires, madame la ministre.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

S’il y a bien un sujet qui illustre particulièrement cette mobilisation, c’est le PACS. Ce contrat, qui visait à reconnaître quelques droits aux couples homosexuels, est aujourd’hui une façon, à 94 %, de composer un couple pour des hétérosexuels. C’est ainsi que des combats menés par ceux que vous appelez parfois des minoritaires, ou en considération de revendications de groupes minoritaires, ont pu faire progresser le droit.
 
Je ne saluerai pas chacune et chacun d’entre vous – nous y serions encore demain soir. Je m’adresserai particulièrement à M. Olivier Dussopt, pour le remercier de mettre autant de force et de tranquillité dans l’affirmation de très grands et très beaux principes. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Il nous a rappelé le désarroi de nombreux adolescents, à un âge où ils s’interrogent, où ils sont troublés par de nombreuses questions, en particulier par celle qui nous occupe.
 
Je voudrais saluer à cette occasion le travail extraordinaire que fournissent les associations, telles Le Refuge, qui accueille ces jeunes et leur permet de se poser, de se retrouver, de ne pas sombrer dans la désespérance, dont nous savons qu’elle peut, loin d’être factice ou passagère, aboutir au suicide.
 
Permettez que je salue, sur les bancs de l’opposition, MM. Riester, Jégo et Apparu, qui affichent clairement et avec courage mais tranquillement leur position sur ce texte, tout en allant au fond du sujet.

M. Jean-Frédéric Poisson. Et M. Azerot ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

J’y viendrai.
 
Pour avoir vécu les débats de 1999 et vu Roselyne Bachelot monter à cette tribune dans une ambiance lourde et pesante, je me dis que les femmes, avec un courage immense, peuvent, avec l’affirmation de convictions profondes, ouvrir un chemin et en affronter toutes sortes de conséquences. J’ai vu Roselyne Bachelot vivre quelques minutes particulièrement difficiles, et je me dis, à l’écoute de M. Riester et de M. Jégo, que c’est bien qu’elle ait eu ce courage-là.

M. Hervé Mariton. Observez que ces députés ont pu s’exprimer paisiblement et dans une ambiance respectueuse. (Murmures sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Catherine Lemorton, présidente de la commission des affaires sociales. Laissez parler la ministre !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

Sans doute ce précédent a-t-il contribué, et c’est tant mieux, à dédramatiser des prises de position courageuses, parce qu’extrêmement minoritaires.
 
Je voudrais m’arrêter rapidement, pour ne pas prolonger inconsidérément les débats cette nuit, sur les interventions de MM. Fillon, Ollier et Goasguen.
 
M. Fillon, Premier ministre pendant cinq ans, nous a parlé du droit à l’enfant. Il s’agit là d’un slogan terrible, car ceux qui l’emploient entretiennent la confusion. Il n’y a jamais eu de droit à l’enfant dans ce pays. Et pourtant, parmi les innovations qui ont surgi dans les mois qui ont précédé ce débat, il y a eu ce droit à l’enfant, que personne ne réclame, qui n’est reconnu nulle part.
 
De l’avis général, la procédure d’adoption est extrêmement rigoureuse, trop rigoureuse diront certains, au point d’être restrictive. Il n’y a pas de droit fantaisie à l’enfant, d’enfant-jouet ou, comme je l’ai entendu, d’enfant-cobaye. Il y a d’abord des enfants qui peuvent être accueillis dans une famille ou par un célibataire, homme ou femme. Il y a aussi, et surtout, une puissance publique – l’État et les collectivités – qui veille à l’intérêt de l’enfant. Ce n’est pas propre à la gauche, c’est un élément stable du droit français.

M. Hervé Mariton. Ce sera plus compliqué demain ! (« Assez ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

Il serait donc bien que ce débat finisse par dissoudre cette expression infondée.
 
M. Fillon a évoqué, comme presque vous tous, la circulaire adressée aux greffiers.

M. Hervé Mariton. Et aux présidents des tribunaux. (« Qu’il se taise ! » sur les bancs du groupe SRC.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

Non, monsieur Mariton, et je vous expliquerai pourquoi lorsque je répondrai à M. Goasguen.

M. le président. Monsieur Mariton, laissez la garde des sceaux s’exprimer.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

M. Fillon nous a dit que cette circulaire faciliterait l’acquisition de la nationalité. Alors qu’il a été Premier ministre pendant cinq ans, voilà qu’il vient ici, à l’Assemblée nationale, dans une institution de la République, nous expliquer qu’une circulaire facilitera l’acquisition de la nationalité… par des enfants français – parce qu’il s’agit bien d’enfants français ! Le sujet, en effet, ce n’est pas la nationalité de ces enfants, mais la transcription de l’état civil étranger établissant leur filiation paternelle. En réalité, cela fait des heures que vous soulevez un non-sujet : c’est une véritable prouesse !
 
Il faut le savoir : entre 2008 et 2011, il y a eu quarante-quatre cas litigieux et l’on en dénombre onze en 2012. Onze cas litigieux ! Mais vous avez, bien entendu, le droit de débattre des heures durant d’un non-sujet…
 
Dois-je par ailleurs rappeler que le garde des sceaux s’adresse au Parquet, et certainement pas aux présidents, qui sont des magistrats du siège ? Aussi la circulaire est-elle adressée aux procureurs généraux, aux procureurs et aux greffiers, qui exécuteront cet acte administratif, lequel, je le répète, ne consiste pas à attribuer la nationalité, mais à délivrer un certificat.
 
MM. Fillon et Goasguen demandent pourquoi l’on ne poursuit pas les pères des enfants qui seraient issus d’une GPA. Dans ces conditions, pourquoi, en 2012, lorsque des procureurs ont, après examen des dossiers, approuvé la non-transcription du fait de la présomption de GPA, les pères n’ont-ils pas été poursuivis ?
 
Au cours du précédent quinquennat, sur les quarante-quatre cas présentés, dont 38 ont été confirmés par décisions de justice, votre majorité n’a pas poursuivi les pères. Il est vrai que le code civil indique très clairement, en son article 25, que, dans les cas de déchéance de nationalité, il faut veiller à ne pas faire de la personne déchue une personne apatride.

Plusieurs députés du groupe SRC. Bien sûr !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

Vous avez donc eu raison de ne pas poursuivre les pères en 2102, même si, pendant deux semaines, vous allez au contraire nous demander de poursuivre toutes les personnes concernées ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
 
J’en viens à M. Azerot, qui a défendu à la tribune la position de plusieurs parlementaires d’outremer – pas de tous –, déjà exposée à plusieurs reprises dans la presse ces derniers mois.
 
J’ai eu l’occasion de répondre sur ce sujet à une question posée par des députés de l’opposition sur les outremers sinon sur le ton de la tolérance – car le mot a pour moi un sens précis, et nous ne sommes pas ici dans la tolérance, mais dans la reconnaissance de droits –, du moins avec une tonalité particulière fondée sur le fait qu’étant moi-même originaire des outremers je devais être consciente qu’il s’agissait là d’une question sensible, ce qui est doublement exact. Sans le formuler exactement de cette façon, on m’interrogeait en fait sur le bien-fondé d’une telle loi dans nos sociétés ultramarines.
 
Il est vrai que le sujet est difficile pour les outremers, comme l’avait été le PACS. Mais c’est tout l’honneur des parlementaires et des élus locaux qui soutiennent ce projet de loi de le faire courageusement, par conviction et par éthique.
 
Ceux qui ne le soutiennent pas ont des raisons tout à fait recevables. Mais lorsque M. Azerot argue, comme beaucoup d’entre vous, qu’il y aurait – tout en nous demandant d’organiser un référendum –d’autres priorités, économiques et sociales, je m’étonne. En effet, en quoi le fait que nous fassions notre travail empêche ceux qui ont en charge les questions économiques et sociales de faire le leur ?

M. Hervé Mariton. Vous m’avez obligé à changer de commission – je plaisante !

M. Yann Galut. M. Mariton plaisante, c’est une bonne nouvelle !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux.

Nous sommes responsables de notre sort, monsieur Mariton !
 
M. Azerot évoque par ailleurs un risque de rupture du pacte républicain. Au regard de l’histoire des outremers, ce serait à n’y rien comprendre si le pacte républicain pouvait être rompu à propos d’une question concernant les libertés individuelles !
 
M. Azerot nous rappelle qu’au temps de l’esclavage les couples n’avaient pas le droit de se marier, car chacun, selon le code noir, était un bien meuble et appartenait, en cette qualité, au patrimoine de son maître. Il est certain qu’on ne reconnaît pas aux meubles le droit de se marier. Mais si le mariage était interdit au temps de l’esclavage, c’est que les esclaves n’étaient pas reconnus en tant que personnes humaines. Et c’est précisément parce que nous portons la mémoire vive de cette histoire que nous supporterions moins encore que le mariage fut aujourd’hui refusé à des personnes dont on douterait peut-être !
 
Il ne peut y avoir de rupture du pacte républicain entre la France et les outremers sur la question des libertés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.) Les esclaves ont détruit le système esclavagiste au nom des libertés individuelles ! (Les députés du groupe SRC se lèvent et applaudissent.)

Ce site a été actif entre novembre 2012 et mai 2013, pendant les débats sur la loi concernant l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
 
Il est, et restera, à disposition de ceux qui le souhaitent pour garder en mémoire les peurs, contre-vérités et attaques de ceux qui y étaient opposés.

Deuxième édition pour Marions-les ! ,le livre gratuit à avoir toujours sur soi, pour ne plus se laisser impressionner par contre-vérités et approximations.


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